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Édition Semaine n° 13 / Mars 2024

"La Macchinazione"

Interview David Grieco

Rome, 05/01/17

 

 

 Interview EXCLUSIVE

© Lexnews -Tous droits réservés

 

 

David Grieco est un talentueux réalisateur italien (Evilenko 2004) qui a connu dans sa jeunesse Pier Paolo Pasolini dont il a été l'assistant pour ses films et l'ami jusqu'à sa disparition tragique. Convaincu que le grand intellectuel italien pourfendeur de la société de son temps n'est pas mort d'un simple assassinat crapuleux, il a réalisé un film sensible et engagé, La Macchinazione, dans lequel il évoque sa vision de cette disparition. Rencontre avec David Grieco autour de ce film et de son témoignage personnel.


 

ous avez connu Pier Paolo Pasolini et avez travaillé pour lui très tôt dans votre carrière cinématographique. Quel souvenir gardez-vous de lui ?

David Grieco : J’ai connu Pasolini alors que j’étais âgé d’une dizaine d’années. Pasolini fréquentait ma famille notamment mon père et sa seconde épouse, Lorenza Mazzetti, réalisatrice anglaise. Alors qu’elle réalisait son premier film sans aucun budget, Pasolini qui souhaitait entreprendre lui-même Accatone venait souvent à la maison lui demander conseil. Le lieu était ouvert à un grand nombre de personnes du cinéma de tous horizons et très tôt on m’a proposé d’être comédien, ce que j’ai accepté. Je me suis, cependant, vite rendu compte que je n’étais pas fait pour cela. Lorsque j’ai eu 15-16 ans, Pasolini a écrit un rôle pour moi dans le film Théorème. Malgré un certain nombre de réalisations derrière moi, je me sentais toujours gêné, mal à l’aise devant la caméra. Lors du tournage, j’ai dit à Pasolini que je ne souhaitais plus être acteur et qu’il fallait qu’il coupe les scènes où je figurais. Il fut surpris et même s’il fut certainement déçu, il accepta cependant de supprimer les scènes précédentes, mais me demanda instamment d’en réaliser encore une dernière qui autrement l’aurait bloqué dans la réalisation de son film. J’ai alors accepté et j’ai tourné cette dernière scène, mais je ne veux toujours pas, même encore aujourd’hui, revoir ce film ! Après cela, j’ai demandé à Pasolini d’être son assistant sur ce même film et il a accepté.

 


Je l’ai également déçu à une autre reprise lorsqu’il m’a demandé de m’occuper de Maria Callas pendant le tournage de Médée. C’était une tâche très délicate car il appréciait beaucoup cette femme, peut-être la seule femme qu’il ait vraiment aimée. Il savait que j’étais un petit voyou des rues mais qu’en même temps j’étais issu d’un milieu bourgeois et intellectuel. De plus, je parlais plusieurs langues, et pour lui, j’étais dès lors l’interlocuteur idéal pour m’occuper d’elle. Au bout de trois semaines, j’ai finalement décidé d’arrêter car Maria Callas était la diva que l’on connaît et méritait bien sa réputation ! Elle faisait par exemple tomber un objet par terre en me demandant de le ramasser, m’appelait au beau milieu de la nuit pour me demander une bouteille d’eau minérale alors qu’elle se trouvait dans le meilleur hôtel de Rome… Pasolini ne s’est pas fâché mais j’ai bien senti, qu’une nouvelle fois, il était déçu par mon attitude, et nous ne nous sommes plus vus pendant un an.
À l’âge de 18 ans, je suis devenu journaliste ; c’est à cette époque que nous avons repris contact. Nous avions un rapport beaucoup plus adulte, différent aussi parce qu’il était également journaliste et qu’il aimait beaucoup ce métier. On parle souvent de Pasolini en tant que poète, écrivain, réalisateur mais rarement en qualité de journaliste ; or, c’est une activité qui l’a non seulement beaucoup occupé, mais qui lui a aussi énormément apporté et qu’il a aimée. Il a fait plus de 800 articles dans sa vie en commençant par la presse clandestine pendant la guerre. Il a toujours gardé sur lui sa carte de journaliste, qui n’était pas, certes, la carte professionnelle mais une carte secondaire qu’il affectionnait tout de même. Pour l’anecdote, elle était encore dans ses papiers avec lui le jour de sa mort. Pour mener des enquêtes pour ses articles, il me demandait souvent des sources que je pouvais lui procurer dans les archives de L’Unita, le journal du PCI pour lequel je travaillais. J’étais d’ailleurs un peu l’intermédiaire entre lui et Enrico Berlinguer qu’il appréciait beaucoup. J’avais avec Pasolini un rapport quotidien très banal fait de conversations lors des nombreux repas dans les trattorias romaines pris avec Ninetto Davoli, Franco Citti et bien d’autres encore. Nous étions comme une bande de gamins en passant nos soirées ensemble, souvent dans la rue, on faisait les idiots. On ne le sait pas assez mais Pasolini avait un grand sens de l’humour. Je le considérais comme un ami d’enfance alors même qu’il avait exactement l’âge de mon père à cette époque !

L’image de Pasolini dans votre film laisse l’impression de quelqu’un à la fois résolu dans son combat mené depuis ses jeunes années, et en même temps une certaine érosion, fatigue, voire découragement ? Est-ce ainsi que vous avez pu le percevoir dans les derniers mois de sa vie ?

David Grieco : Le Pasolini que je décris dans mon film La Macchinazione est celui des quatre derniers mois de sa vie. À cette époque, je le voyais moins, car il fréquentait Pino Pelosi. La personnalité de Pasolini durant cette période, un Pasolini fatigué, usé - et je suis heureux que vous l’ayez souligné - est effectivement pour moi un élément très important du film. Dans ses derniers mois, il avait une fièvre, la fièvre d’aller jusqu’au bout, il avait mis son nez partout, il avait un grand nombre d’informateurs qui lui donnaient des tuyaux incroyables, mais parallèlement Pasolini était épuisé car il avait vraiment l’impression que personne ne le comprenait. Moi-même, avec le recul, je me souviens lui avoir fait le reproche qu’il était trop pessimiste, que sa vision apocalyptique de la société n’était pas forcément justifiée. Il n’acceptait pas ces remarques et estimait que nous ne comprenions pas ce que lui pourtant savait. C’est d’ailleurs un peu mon chagrin aujourd’hui avec le recul. Il a voulu aller jusqu’au bout, il savait probablement qu’il risquait sa vie, mais il a pensé qu’avec sa mort tout exploserait. Malheureusement…

 



Cet héritage a justifié ce long-métrage que vous venez de réaliser La Macchinazione. Le titre indique très clairement le parti que vous avez pris pour expliquer la mort du célèbre poète, écrivain et cinéaste, allant au-delà d’un crime crapuleux.

David Grieco : Oui, bien au-delà. Le film d’Abel Ferrara qui est sorti en 2014 sur cette même thématique est un peu la raison d’être de mon propre film. À l’époque, les producteurs m’avaient proposé de faire le scénario pour le film de Ferrara. Même si j’étais sceptique quant à l’approche qui y serait retenue, j’ai malgré tout commencé à travailler sur le scénario et Ferrara m’a indiqué qu’il ne souhaitait évoquer seulement que le dernier jour de la vie de Pasolini. J’ai insisté, cependant, qu’il fallait bien néanmoins rappeler comment et pourquoi il avait été tué, ce à quoi Ferrara m’a répondu : "Je ne veux pas faire une histoire d’espionnage !" Notre histoire s’est dès lors arrêtée là, et j’ai quitté cette réalisation. Les semaines qui ont suivi, je n’arrivais plus à dormir, j’avais pourtant un autre film à faire à Prague, mais j’ai tout arrêté en me disant que je devais réaliser ce film en souvenir de Pasolini, les autres personnes ayant connu Pasolini étant presque toutes mortes. Nous nous sommes très endettés pour réaliser ce film.

 


La Macchinazione, un film réalisé par David Grieco avec Massimo Ranieri, Libero De Rienzo, Matteo Taranto, François Xavier Demaison et avec Milena Vukotic, Roberto Citran, Tony Laudadio et Alessandro Sardelli et l’amicale participation de Paolo Bonacelli, Catrinel Marlon. Scénario de David Grieco et Guido Bulla. Produit par Marina Marzotto, Alice Buttafava, Dominique Marzotto, Lionel Guedj, Vincent Brançon. Musique PINK FLOYD. Produit par Propaganda Italia en association avec Moutfluor Films, MIBACT en coproduction avec To Be Continued Productions, 2016.

 

 

Des sources très précises sont évoquées dans votre film qui jettent un éclairage différent sur ce qui est habituellement présenté.

David Grieco : 50 % des sources m’appartiennent puisque ce sont des choses que j’ai vécues personnellement lors des derniers mois précédant sa mort. J’ai également suivi de très près le premier procès de Pelosi puisque j’en ai écrit le mémoire pour la famille Pasolini avec pour juge le frère d’Aldo Moro qui sera d’ailleurs kidnappé et tué deux ans après. Ce juge qui s’appelle Carlo Alfredo Moro condamne Pelosi à neuf ans de prison pour le meurtre de Pasolini avec des inconnus. À partir de là, ma conviction était confirmée. Et cela m’a rappelé une anecdote que j’avais vécue chez Laura Betti en février 1975. Alors que nous dînions avec elle, elle s’est mise à m’interpeller vivement en me disant : « Il faut que tu l’arrêtes ! ». Surpris, je lui ai demandé « Comment cela ? » Elle a poursuivi : « Oui, il (Pasolini) est fou, il est en train d’écrire un livre sur Eugenio Cefis, le président de ENI et de Montedison, il ne comprend pas, ils vont le tuer ! Toi qui es un journaliste professionnel, il faut que tu l’arrêtes ». Abasourdi, j’ai demandé à Pasolini " Pourquoi ? Tu as décidé d’écrire un livre sur Eugenio Cefis ? " Il m’a répondu amusé par métaphore : « Tu sais le pétrole est plus important que l’eau… », mais il ne m’en a pas dit plus et ne m’a pas laissé entrer dans ce qui le retenait déjà à cette époque. Les mois qui ont suivi, j’ai compris qu’il me demandait régulièrement des sources journalistiques qui m’ont donné une idée de son parcours et de ce qu’il recherchait. À chaque fois que j’ai essayé d’entrer dans le vif du sujet, il s’est esquivé. C’était un homme très méfiant, ce qui était plus que justifié avec, il faut le rappeler, plus d’une trentaine de procès dans sa vie… Il a vraiment été persécuté tout au long de sa carrière, ce qui l’incitait à ne faire confiance qu’à un très petit nombre de personnes dont je faisais partie. Dans les dernières années, il avait un peu ce syndrome d’être trahi, ce qui a fait qu’il a été trahi par presque tout le monde. Je ne saurai jamais si c’est lui qui a en quelque sorte provoqué cela ou si c’était son destin et qu’il le connaissait en tout état de cause.

Vous citez en exergue de votre film cette phrase de Pasolini : « Le courage intellectuel de la vérité et la pratique politique sont deux choses inconciliables en Italie ». Comment la réouverture de son procès et l’instruction récente se déroulent-elles dans votre pays récemment secoué politiquement par la chute du gouvernement Renzi et le non au référendum?

David Grieco : J’estime que cette phrase prononcée par Pasolini il y a plus de 40 ans est toujours valable. On est absolument dans la même situation, c’est d’ailleurs un phénomène mondial que nous avions devancé en Italie ! Je pense en effet que ce que Pasolini affirmait à une époque où certains individus avaient encore une réelle profondeur et désintéressement personnel est encore plus d’actualité aujourd’hui. Il m’est arrivé plein de difficultés et d’obstacles avec le tournage de ce film et qui sont le signe de ce que nous évoquons, j’ai d’ailleurs du mal à ne pas faire le parallèle dans une moindre mesure en ce qui me concerne avec ce qu’a pu connaître Pasolini à son époque. Si je peux citer un exemple, il est évocateur de ces petits tracas que l’on peut semer sur le chemin d’un réalisateur dénonçant un complot politique dans son film. 48 heures avant la sortie en salle du film en Italie, j’ai reçu une interdiction de le voir aux mineurs de moins de 14 ans alors même que j’ai bien pris soin d’éviter tout ce qui pourrait entrer dans ce type de censure. J’ai d’ailleurs obtenu depuis la levée de cette censure. J’aurais plein d’autres exemples de cet ordre à citer…

 



Peut-on dire de Pasolini qu’il a lui-même été la victime expiatoire de ce qu’il dénonçait ? Et avez-vous l’impression que cette image est encore présente dans la conscience collective italienne ou bien qu’elle a cédé au chant du relativisme et du consumérisme international ?

David Grieco : Pasolini a été non seulement la victime expiatoire de ce qu’il a dénoncé mais il l’a en plus, selon moi, souhaité. Dans ce film, je montre combien il est allé sur le lieu du crime en sachant, je pense, ce qui allait survenir. Ceux qui le connaissaient avaient remarqué avant sa mort combien il pouvait parfois abandonner une conversation, être très irritable et même laisser apparaître une peur, ce qu’il ne voulait jamais admettre pour autant. Le courage était son drapeau. Il était persuadé en agissant ainsi d’abattre tout le complot qu’il avait démasqué, ce en quoi il s’est trompé. J’ai souvent eu l’occasion lors de manifestations de constater combien Pasolini, bien qu’agressé verbalement par des jeunes, était capable d’engager une conversation avec eux et que ces derniers repartaient en s’excusant. Il a peut-être pensé pouvoir se rendre sur la plage d’Ostie et les convaincre.
Je pense que la raison principale et intime est qu’il s’est rendu sur place à cause de la mort de son frère. Pasolini a clairement annoncé dans une réponse à un courrier de lecteur que l’exemple de son frère le mènerait jusqu’à la fin de sa vie. J’ai interprété cela comme une vision prophétique. Pasolini a toujours mis une certaine distance entre lui-même et les autres intellectuels. Il a toujours critiqué ces intellectuels comme des penseurs de salon avec leurs beaux intérieurs et leur maison protégée, sans qu’ils sachent quoi que ce soit de l’extérieur et de la rue. Il a eu la même attitude parfois dans le cercle restreint de ses amis intellectuels. J’ai quelques anecdotes à l’esprit : par exemple, lorsque nous sortions manger une pizza, il nous emmenait dix minutes chez Moravia ou Calvino en prétextant une question à leur poser, mais j’ai vite compris qu’il le faisait exprès car nous débarquions à l’improviste avec des cheveux très longs, habillés comme des voyous et nous avions bien remarqué que les personnes présentes étaient sidérées ; C’était, selon moi, une provocation manifeste. Il était clair que c’était une manière de se stigmatiser, lui écrivain bourgeois vivant dans un intérieur confortable et parlant néanmoins de révolution avec le souvenir de son frère mort au combat. Ce sens de la culpabilité est essentiel selon moi pour comprendre Pasolini.

 

 

 

Pouvez-vous nous dire vos raisons pour le choix de la musique des Pink Floyd et plus précisément Atom Heart Mother qui rythme et donne un fil directeur à votre réalisation ? Comment avez-vous pu en obtenir les droits ?

David Grieco : Je travaille habituellement avec un compositeur italo-américain extraordinaire qui s’appelle Angelo Badalamenti ("Twin Peaks") qui est un de mes meilleurs amis et qui a composé la bande sonore de mon film précédent, "Evilenko". Mais cette fois je voulais faire ce que Pasolini faisait d’habitude, c’est-à-dire utiliser une musique qui existait déjà. J’ai tout de suite pensé à "Atom Heart Mother" qui est le disque qui a marqué davantage mes goûts musicaux quand j’étais jeune. J’ai donc envoyé aux Pink Floyd une lettre et le scénario du film traduit en anglais.
Tout le monde se foutait de ma gueule, bien évidemment, car ils l’avaient refusé à l’époque à Stanley Kubrick pour "Orange mécanique". Mais un mois après les Pink Floyd m’ont permis de l’utiliser en dépensant un minimum parce qu’ils voulaient soutenir ce film qui raconte la vérité sur la mort de Pasolini. J’en ai fait donc une sorte de requiem, et tout d’un coup je me suis aperçu qu’il s’agissait en quelque sorte d’un véritable requiem.

 

Cher David Grieco, merci pour ce précieux témoignage et nous ne pouvons que souhaiter que votre film soit très bientôt dans les salles françaises !

 

propos recueillis par Philippe-Emmanuel Krautter

© Interview exclusive Lexnews

Tous droits réservés

reproduction interdite sans autorisation

 

 

 

 Hommage à Pierre Schoendoerffer, disparu le 14 mars 2012.

Interview, Paris, 3 octobre 2006

  

BIOGRAPHIE

 

Pierre Schoendoerffer – Cet  Alsacien, écrivain, auteur et réalisateur de films, est né à Chamalières, Puy de Dôme, en 1928.

 

En 1947, il s’embarque comme matelot sur un cargo suédois, et navigue pendant deux ans en Baltique et en mer du Nord.

 

Fin 1951, il s’engage dans le service cinématographique des armées, et part pour l’Indochine. Il y filme les combats pendant trois ans, dont la bataille de Dien Bien Phu jusqu’à son issue, le 7 mai 1954. Prisonnier, il est libéré quatre mois plus tard après les accords de Genève. Il quitte alors l’armée, et devient reporter-photographe en Asie du Sud-Est pour différents magazines : Life, Look, Match…

 

Il quitte le Viêt-Nam en avril 1955. Il regagne la France en passant par Hongkong, le Japon, Hawaï et les Etats-Unis.

 

C’est à Hongkong qu’il rencontre Joseph Kessel. De leur amitié naît le premier film qu’il réalise en 1956La Passe du Diable – tourné en Afghanistan sur un scénario de Kessel, et qui obtient : le Prix de la ville de Berlin.

 

Par la suite, il alterne les films de fiction, les documentaires et écrit des livres. Son premier Roman – La 317ème Section – paraît en 1963. Il en fait un film, qu’il tourne au Cambodge l’année suivante, et qui reçoit le Prix du meilleur scénario, au Festival de Cannes en 1965.

 

Plusieurs de ses livres sont portés à l’écran : L’Adieu au Roi (Couronné par le Prix Interallié), Le Crabe-Tambour (Grand Prix du roman de l’Académie Française, Grand Prix du Cinéma Français, 3 César, Prix Fémina Belge), Là-haut. Il écrit deux films : L’honneur d’un Capitaine (Prix de l’Académie du Cinéma et Prix Leduc de l’Académie Française), et Dien Bien Phu.

 

Il réalise plusieurs documentaires de long-métrages, dont le plus célèbre – La Section Anderson – lui apporte une renommée internationale grâce à plusieurs prix de grande importance : l’Oscar à Los Angeles, et l’International Emy Award en 1968. Le prix du meilleur documentaire passé sur la BBC, le Prix Italia, le Red Ribbon Award au festival de film de New-York.

 

Son dernier livre paraît en 2003L’aile du papillon – (Prix des Sables-d’Olonne, Prix Encre Marine, Prix Livre et Mer de Concarneau, Prix littéraire de l’Armée de terre Erwan Bergot, Prix Meursault).

 

En 1984, le Prix Vauban couronne l’ensemble de son oeuvre cinématographique et littéraire.

 

Il est membre de l’Institut : Académie des Beaux-Arts, depuis 1988. Il en est aujourd’hui le Vice-président. Il est membre du jury du Prix Interallié depuis 1975, du Haut-conseil de la mémoire combattante depuis 1997, administrateur du Musée de l’armée depuis 1990, et Ecrivain de marine depuis 2003.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

1963 : La 317ème Section (Laffont) – Prix de l’Académie de Bretagne

 

1969 : L’Adieu au roi (Grasset) – Prix Interallié

 

1976 : Le Crabe-Tambour (Grasset) – Grand Prix du Roman de l’Académie Française

 

1981 : Là-haut (Grasset)

 

1992 : Dien Bien Phu 1954-1992 – De la Bataille au film – album (Laffont)

 

2003 : L’Aile du Papillon (Grasset) – Prix Littéraire de l’Armée de terre Erwan Bergot, Prix

Encre de Marine, Prix Meursault, Prix des Sables-d’Olonne, Prix du Festival Livre et   Mer de Concarneau

 

 

FILMOGRAPHIE

 

1956 : La Passe du Diable – Prix Pellman de la Presse, Prix de la ville de Berlin

 

1958 : Ramuncho – adaptation d’un roman de Pierre Loti, avec Gaby Morlay, Roger Hanin, Mijanou Bardot.

 

1959 : Pêcheur d’Islande – adaptation d’un roman de Pierre Loti, avec Charles Vanel, Jean-Claude Pascal, Juliette Méniel

 

 

 

1964 : La 317ème Section – tiré de son roman, avec Bruno Cremer et Jacques Perrin.

Sélection officielle au Festival de Cannes en 1965, il obtient le Prix du meilleur scénario. Le film est salué par la critique à sa sortie, qui y voit : « le premier film de guerre Français ». (Michel Courrot, le Nouvel Observateur, 1/04/1965) : «  Ce film a été fait 100 fois, avec une autre section décimée dans une autre guerre. Il est presque une spécialité des cinéastes américains. Pourquoi celui-ci est-il un chef d’oeuvre ? »

 

 

1965 : Objectif 500 millions, avec Bruno Cremer et Marisa Mell.

 

 

 

1966 : La section Anderson – Documentaire retraçant la vie d’une section américaine

pendant la guerre du Viêt-Nam. En 1968, il obtient l’Oscar du meilleur documentaire, l’Intenational Emmy Award, le prix Italia, et d’autres…

 

1970 : Documentaire sur le 25ème Anniversaire de l’ONU.

 

1973 : 7 jours en mer

 

1976 : La sentinelle du matin

 

1977 : Le Crabe-Tambour, adapté de son roman du même nom, avec Jean Rochefort,

Claude Rich, Jacques Perrin et Jacques Dufilho. Grand Prix du cinéma français, trois Césars, Prix Fémina Belge.

 

 

 

1982 : L’honneur d’un Capitaine, avec Nicole Garcia, Georges Wilson, Charles Denner et

Jacques Perrin. Prix de l’Académie du cinéma et Prix Leduc de l’Académie française.

 

 

 

1988 : Réminiscences – Documentaire où l’on retrouve 22 ans plus tard, les survivants de la Section Anderson.

 

1992 : Dien Bien Phu, écrit et réalisé par lui-même, avec Donald Plaisance, Jean-François Balmer et Ludmilla Michael.

 

 

 

2004 : Là-haut, d’après son roman, et co-adapté avec son fils Ludovic. Interprété entre autres par : Bruno Cremer, Florence Darel, Jacques Perrin et Claude Rich.

 

 

LEXNEWS : "Quel a été l’élément déclencheur qui vous a poussé dans la voie que vous vous êtes tracé ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Pendant la guerre, j’étais à l’école à Annecy où je faisais de mauvaises études. Je venais de perdre mon père, et j’étais très malheureux. Un jour de l’hiver 42/43 j’ai lu un livre, et tout a basculé. Pour moi ce que je vivais n’était pas la vraie vie. La vraie vie c’était l’aventure, les grands espaces, et tout ce qui m’emportait dans ce livre. C’était Fortune Carrée de Joseph Kessel. À partir de ce moment-là, ma vie a pris un sens : je voulais être marin, voir le reste du monde, et vérifier que la terre était bien ronde.

Alors tout naturellement, pendant l’été 46, le temps des vacances, j’ai été sur un petit chalutier à voile et à moteur en Baie de Bourgneuf, près de Pornic. Et c’est sans grande résistance que l’année suivante, j’ai cédé à l’appel de la mer. J’ai embarqué à Boulogne sur un cargo suédois, avec lequel j’ai sillonné la Mer du Nord. Une nuit, le capitaine m’a mis la barre entre les mains, m’a donné un cap, et est parti se saouler avec le reste de l’équipage. Ils étaient tous ivres morts, et j’étais seul aux commandes face à l’immensité de la mer ; et là, il s’est passé quelque chose d’irrémédiable au fond de moi, qui a provoqué un changement de cap dans ma vie. Je ne désirais plus seulement vivre l’aventure, je voulais la raconter ! Je voulais renvoyer l’écho d’une manière ou d’une autre.

Comment me direz-vous ?

Écrire ? Je ne croyais pas à l’époque que j’étais écrivain. La musique ? Pourquoi pas ? C’est une langue universelle, mais on ne devient pas musicien à 20 ans. Je n’étais ni peintre, ni sculpteur, et je me suis dit : « Pourquoi pas le cinéma ? Après tout j’ai vu beaucoup de films, ça ne doit pas être si difficile que ça ! » Le cinéma est un regard, et comme j’étais un homme curieux, j’ai pensé que ce serait dans mes capacités. Et puis il y avait des films qui, sans être des révélateurs comme les livres, m’avaient touché, m’avaient montré que derrière la face visible, il y avait une face cachée, et ça, ça m’intéressait beaucoup ! C’était juste après la guerre. Il y avait tous ces films américains que je consommais plutôt que d’aller au lycée…"

 

LEXNEWS : "Donc à ce moment-là, ce n’est plus l’appel de la mer ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "L’appel de la mer reste. J’ai fait quelques films sur la mer : Pêcheur d’Islande, Sept jours en mer, le Crabe-Tambour, même dans : Là-haut, la mer est présente, mais je ne suis pas devenu un marin professionnel. Je l’ai été. J’ai été marin pêcheur, et marin au commerce, mais je ne le suis plus."

 

LEXNEWS : "Comment êtes-vous arrivé au cinéma ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Le cinéma est un monde autarcique, vous frappez aux portes, elles restent fermées. J’ai vu Sabbag par exemple, qui était un personnage de cette télévision qui commençait à naître, et il m’a dit : « c’est très bien, mais on n’a pas besoin de vous, on en a d’autres ! » Dans les studios de cinéma, c’était pareil ! Pour pouvoir y entrer, il faut déjà être dedans. C’est un peu le château de Kafka. Alors j’ai fait de la photo…

Un jour, je lis dans le Figaro un article de Serge Bromberger, qui raconte la mort d’un sergent Kowal, caméraman, qui avait été tué en Indochine. Je me suis dit que personne ne voudrait prendre sa place, et que c’était peut-être une chance. J’apprends que Georges Kowal était engagé au service cinématographique des armées. Donc je m’engage, et je me porte volontaire pour l’Indochine…"

 

LEXNEWS : "Vous êtes allé en Indochine, pour faire du cinéma ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Mon point de départ n’était pas de faire la guerre, mais faire du cinéma ! Il n’y avait pas d’appel particulier de l’uniforme. J’avais fait mon service militaire fin 49/50, dans l’infanterie alpine à Chambéry et à Modane, sans enthousiasme. J’ai même été un mauvais soldat, parce que je trouvais que c’était une perte de temps.

Je suis donc parti en Indochine pour apprendre mon métier, et bien sûr, j’ai trouvé là-bas beaucoup plus que ma propre ambition !"

 

LEXNEWS : "Vous saviez quand même où vous alliez ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "C’était pour moi un quitte ou double. Ça c’est vrai ! Soit je revenais et j’étais un des meilleurs ou le meilleur, soit je ne revenais pas et c’était le destin ! Je m’en remettais à la volonté de Dieu."

 

LEXNEWS : "Et vous passez là-bas trois années."

 

Pierre Schoendoerffer : "Si vous voulez, ma position là-bas était exceptionnelle. Parce que j’ai partagé avec la troupe : la cigarette, les rations, la pluie, et les combats. J’ai même été blessé. Et en même temps, bien que je n’étais que caporal, puis caporal-chef, en tant que caméraman, j’ai rencontré tous les généraux en chefs qui voulaient être filmés en certaines occasions, une poignée de ministres qui venaient prendre le pouls de cette guerre d’Indochine, un empereur et deux rois. (Srisavang Vong, roi du Laos - Sihanouk, roi du Cambodge - Bao Daï,  empereur d’Annam) Sihanouk et Bao Daï  avaient une certaine affection pour moi. Ils aimaient le cinéma, et je ne les ai d’ailleurs jamais tout à fait perdus de vue. Par la suite, Sihanouk m’a permis de faire la 317è section, il a presque été un coproducteur…

Donc j’ai été avec le top, avant de toucher le fond de la misère humaine. "

 

LEXNEWS : "Donc à l’issue de la bataille de Dien Bien Phu, vous êtes fait prisonnier. Au même titre que vos camarades combattants ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Bien sûr, j’étais soldat ! La captivité a duré quatre mois, mais il y avait une longue route à faire pour arriver aux camps ! Entre 700 et 800 Kms dans la jungle, par les pistes, on n’avait presque rien à manger. Vraiment on crevait de faim ! Il y avait le paludisme, la dysenterie, le béribéri… J’ai tout eu, mais j’ai survécu, moi. Les trois quarts de mes camarades n’en sont pas revenus."

 

LEXNEWS : "À votre avis, pourquoi vous, vous avez survécu ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Je ne sais pas. Ma constitution, ma nature ? Je ne voulais pas mourir, j’avais une espèce de soif de vie. Ma mère a eu une formule quand j’étais prisonnier, et qu’on lui disait tous les dangers que ça impliquait. Elle a dit : « il a trop de joie en lui pour mourir. » Je pense que c’était assez juste."

 

LEXNEWS : "À l’issue de cette captivité, vous ne rentrez pas tout de suite."

 

Pierre Schoendoerffer : "Non, je venais de vivre quelque chose d’extraordinaire, une aventure exceptionnelle, et je me demandais ce que j’allais retrouver en France : des portes fermées ?! Et puis j’avais besoin de me remettre, physiquement et moralement. Quand on survit à ses camarades, on ne prend pas ça facilement, il faut retrouver son rythme. Comme j’aimais le Vietnam, je suis resté pendant cinq mois. Il restait encore des Français, ils ne sont partis définitivement qu’en 56. Je me suis fait démobiliser sur place, et j’ai gagné ma vie en faisant des photos…

Je suis allé dans le Sud, et j’ai travaillé pour Match, Life, Time Magazine, Look…

J’ai fait des reportages qui m’étaient commandés, ou qui m’étaient achetés : Sur les premiers boat people qui quittaient le Tonkin, et qu’on ramassait sur les côtes du nord Vietnam. Sur leur implantation dans le Sud, sur les plateaux montagnards. Sur Ngô Dinh Diêm, le nouveau président de la république du sud Vietnam…

À un moment donné, j’ai réalisé que ce n’était pas au Vietnam que ma carrière de cinéaste se ferait, et qu’il fallait que je rentre en France. J’avais mon ticket de retour de l’armée par la voie directe, mais comme mes photos m’avaient permis d’amasser un petit pécule, que j’avais fait un peu plus de la moitié du tour du monde, j’ai décidé de l’achever. Je me suis lancé dans une série de sauts de puces, Hongkong, Taipei, le Japon, les îles Hawaï, les États-Unis que j’ai traversés en passant par San Francisco…"

 

LEXNEWS : "Vous n’êtes pas allé faire un tour à Hollywood ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Si ! J’avais des petites clés qui m’ouvraient des portes. J’ai même été stagiaire pendant 10 jours sur un film, parce que les gens de Life, qui m’aimaient bien, m’avaient introduit. Mais comme je n’avais pas de Carte Verte, je n’ai pas pu rester. J’ai même été tenté de quitter l’Amérique et d’y retourner pour l’obtenir, et puis…

Mais la première escale que j’ai faite, était Hongkong. Il se trouve que Kessel était là. On me l’a présenté, parce que j’allais toujours voir les journalistes. Quand vous arrivez dans un pays que vous ne connaissez pas, c’est une bonne clé d’aller voir les gens de l’AFP. Ils vous expliquent comment ça se passe. Et j’ai donc passé une nuit Kesselienne, une nuit de prince ! On a fait tout ce que Kessel pouvait imaginer de faire, c’est-à-dire boire beaucoup, le cas échéant fumer de l’opium. Je lui ai déversé tout le trop-plein de cette aventure que j’avais vécue pendant trois ans en Indochine, et ça l’a fasciné. Il m’a dit : « Il faudra qu’on se revoie », et on s’est quitté…

À peine arrivé en France, Pathé Journal, qui connaissait mon travail, m’a demandé de partir pour le Maroc (avec un très gros contrat – pour une fois je gagnais de l’argent) où régnait une énorme effervescence. Le Sultan Mohammed V avait été déposé par la France au profit de Ben Arafat. Les marocains n’étaient pas d’accord et il y avait des émeutes partout.

15 jours après mon arrivée à Paris, je suis donc reparti pour Pathé Journal, comme correspondant au Maroc, où j’ai vécu tous les combats, qui n’étaient pas des vrais combats, mais c’était comme les préludes de la guerre d’Algérie…

Guerre d’Algérie qui avait déjà commencé fin 54 !

Et puis j’en ai eu marre, alors j’ai annoncé à Pathé Journal que je les quittais, et ils m’ont répondu : « Vous nous quittez ? Et bien vous ne ferez plus jamais de cinéma, parce que nous sommes très forts ! » Je me rappelle très bien cette phrase, et j’en étais un peu ébranlé ! Là j’ai sauté sans parachute !

J’ai raconté à Pat (Patricia, son épouse), que j’avais rencontrée au Maroc et qui travaillait à France Soir, ma rencontre avec Kessel. Elle me dit : « appelle-le ! » Moi je n’osais pas. Pour moi, Kessel, c’était un monument historique ! J’ai finalement cédé et il me répond : « je suis content que tu appelles. Je te cherche partout parce que je veux faire un film en Afghanistan, et je veux que ce soit toi qui le fasses ! » C’est donc lui qui m’a mis le pied à l’étrier, en me faisait faire : La Passe du Diable

Kessel m’a ressuscité, et Pathé Journal ne pouvait rien contre ça. "

 

LEXNEWS : "c’est en quelle année ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "C’était au moment du Canal de Suez (1956). Du coup, on nous a demandé poliment de quitter l’Afghanistan, parce que les relations entre les pays musulmans et la France s’étaient détériorées. Bien que le roi nous était très favorable, Kessel le connaissant. En attendant avec Coutard (Raoul Coutard, son chef opérateur dont c’était le premier film, qui deviendra également celui de Jean-Luc Godard), on est allé faire un moyen-métrage documentaire au Vietnam : Than le Pêcheur, et puis on est rentré finir le film. Il y a eu des problèmes de raccords, parce qu’on ne retrouvait plus les mêmes personnes, et ça, ça a été le talent de Kessel que de trouver la solution pour faire un film qui est un beau film, qui a eu le prix Pellman en 58, et l’Ours de la ville de Berlin au Festival de Berlin."

 

LEXNEWS : "Et qui avait été critiqué par Godard !"

 

Pierre Schoendoerffer : "Sans doute, mais Godard critiquait tout le monde. La nouvelle vague tirait sur tout ce qui était différent d’eux. Ils avaient leur petite bande et tiraient sur tout : Carné, Autant-Lara…"

 

LEXNEWS : "À cette époque-là, on est en pleine guerre d’Algérie. Vous y avez situé l’action de plusieurs de vos oeuvres, mais vous n’y participez pas, d’une façon ou d’une autre."

 

Pierre Schoendoerffer : "Non, parce que je menais à bien ma propre ambition, ma carrière de cinéaste. En même temps ce n’est pas tout à fait vrai. J’ai fait un reportage en 59, pour « Cinq colonnes à la une ». C’est Pierre Lazareff qui me l’avait demandé…"

 

LEXNEWS : "Justement, dans les rencontres qui ont compté pour vous ?

Il y a en premier Joseph Kessel."

 

Pierre Schoendoerffer : "Ça c’est sûr !"

 

LEXNEWS : "Pierre Lazareff."

 

LEXNEWS : "Exactement ! C’est une très grande rencontre qui m’a permis de faire ce reportage sur l’Algérie, et par la suite La Section Anderson."

 

LEXNEWS : "Il y a aussi Georges de Beauregard ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Georges de Beauregard était le producteur de : La Passe du Diable. Il s’est intéressé à moi, à ce que j’étais, et m’a fait faire mes films par la suite. La porte c’est donc Kessel, on en revient à Fortune carrée."

 

LEXNEWS : "Ce n’est pas anodin pour un cinéaste de rencontrer un producteur qui soit capable de produire : Schoendoerffer, et la nouvelle vague en même temps ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Non, ce n’est pas anodin. C’était un homme très cultivé, c’était un aventurier du cinéma ! Il avait une haute opinion de ce qu’était le cinéma, et de ce qu’il voulait essayer de promouvoir et d’inspirer. Mais c’était aussi un type qui ne payait pas ! J’ai moins gagné avec mes films qui ont pourtant très bien marché, qu’avec mes romans. Mais j’ai fait mes films, c’est important !"

 

LEXNEWS : "Il y a quelqu’un qu’on rencontre également à plusieurs reprises dans votre parcours, c’est Jacques Perrin. C’est juste un comédien, ou c’est un compagnon de parcours ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "C’est Beauregard qui me l’a présenté. Il rentrait d’Italie où il faisait une belle carrière, et il voulait revenir en France. Il venait de faire un très beau film qui s’appelait : La fille à la valise. Il souhaitait faire le rôle du Lieutenant Torrens dans la 317ème section. Quand je l’ai vu, il était un peu poupon, alors je lui ai dit : « vous savez les soldats c’étaient des loups maigres ». Il m’a demandé : « vous êtes très très pressé de faire votre choix ? » J’ai répondu : « j’ai 15 jours, 3 semaines devant moi, après ça je pars au Cambodge. Je ne reviendrai pas, il faudra que les personnages que j’ai choisis viennent me rejoindre là-bas ». Il m’a juste dit : « laissez-moi deux semaines ». Je pense que pendant ces 15 jours, il n’a pas mangé. Il n’était pas encore un loup maigre, mais cet acte de foi, de vouloir au point de revenir amaigri 15 jours plus tard, m’a convaincu. Je me suis dit qu’avec quelqu’un qui a cette volonté, on pouvait aller au bout du monde ! Et l’on est parti.

Après ça, j’ai fait : Objectif 500 millions. Il n’était pas dans le coup. Puis pendant 11 ans, je n’ai pas fait de films. J’ai écrit des livres, j’ai fait des documentaires : La Section Anderson - La Sentinelle du Matin, sur les avions de chasse – un autre sur le 25e anniversaire de l’ONU… Mais je n’ai pas fait de films. Parce que mes sujets n’intéressaient personne, et ceux qu’on me proposait ne m’emballaient pas. Et petit à petit, on m’en a proposé de moins en moins. 11 ans, c’est une longue période. Je me suis dit que je ne ferais plus jamais de cinéma, et j’ai écrit : Le Crabe-Tambour. Je l’ai envoyé à Georges de Beauregard, avec qui j’avais des différents financiers d’ailleurs. On avait échangé des avocats ! Mais je lui avais envoyé le livre, parce que je l’aimais bien. C’était un type qui savait lire, et je voulais lui montrer que je ne mourrais pas de faim, et que je continuais à faire des choses. Il m’a téléphoné le lendemain en me disant : « On en fait un film ! »

À ce moment-là, je ne voulais pas Jacques Perrin, mais quelqu’un d’autre qui m’a claqué dans les doigts. Le tournage avait déjà commencé sur l’escorteur d’escadre le Jaureguiberry de la Marine Nationale. En rentrant Beauregard me dit que Perrin veut faire le film."

 

LEXNEWS : "Donc c’est plus un désir de sa part, qu’un vrai choix de la vôtre."

 

Pierre Schoendoerffer : "Là, oui ! Mais je n’ai pas été du tout mécontent du choix. Ce n’était pas le personnage tel que je me l’imaginais, mais Perrin avait le don de l’éternelle jeunesse, et ça c’est quelque chose qui me touchait beaucoup. "

 

LEXNEWS : "Et pour L’Honneur d’un Capitaine ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Ça faisait une sorte petite de trilogie, et je voulais retrouver des images de lui très jeune dans de la 317ème section. Pour les mêmes raisons, j’avais besoin de lui, et de Cremer, pour : Là-haut. S’ils m’avaient dit non, je ne faisais pas le film !"

 

LEXNEWS : "Pierre Guillaume, vous l’avez rencontré ?"

(Né en 1925, Pierre Guillaume est un officier de marine très indépendant. Il fait trois séjours en Indochine qu’il marque de son empreinte. Après la guerre, il rejoint la France à bord d’une jonque et se fait dépouiller par une tribu somalienne dont il devient l’hôte. Il s’engage en Algérie pour remplacer son frère tombé au combat, et est fait officier de la légion d’honneur à trente-cinq ans. Ses convictions le poussent à participer au putsch des généraux avec lesquels il sera emprisonné durant six ans… Il meurt en 2002.) (Pour les curieux, il fait une petite apparition dans le film « Le Crabe Tambour ». Il joue le rôle de l’avocat de Jacques Perrin lors de son procès)

 

Pierre Schoendoerffer : "Je l’ai rencontré quand il est sorti de prison, parce que j’étais resté en contact avec Salan. Salan avait été mon patron en Indochine, et j’avais de l’estime pour lui. Pas pour ses choix politiques. Je ne suis pas un homme de politique, je suis un homme d’émotions, c’est mon métier. Je lui avais envoyé mon livre : La 317ème section, en 1964, avec la photo du premier poste qu’il avait occupé comme lieutenant sur le Mékong quand il avait 20 ans, et que j’avais retrouvé. Quand ils ont été amnistiés et libérés, sous Pompidou, je leur ai proposé de leur montrer mes films."

 

LEXNEWS : "Quand vous dites, que vous leur avez proposé…, de qui vous parlez exactement ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "De tous ceux qui étaient incarcérés à Tulle avec Salan. C’est-à-dire : Jouhaud, Challe…"

 

LEXNEWS : "Zeller ?"

(Le 21 avril 1961, les généraux : Jouhaud, Zeller, Challe, puis Salan, fomentent un coup d’état à Alger, parce qu’ils s’opposent aux négociations d’indépendance menées par de Gaulle. Le Putsch échoue rapidement…)

 

Pierre Schoendoerffer : "Oui je crois ! Pierre guillaume et quelques autres…"

 

LEXNEWS : "Denoix de St Marc ?"

(Commandant Hèlie Denoix de Saint-Marc, commandant par intérim du 1er Régiment Étranger de Parachutistes, fer de lance du putsch.)

 

Pierre Schoendoerffer : "Oui aussi ! Et je leur ai fait une projection. Ils avaient amené leur femme, ils étaient une vingtaine. J’ai fait ça par amitié, et c’est là que j’ai rencontré pour la première fois Pierre Guillaume. Je connaissais le personnage de réputation. C’était un de ces capitaines légendaires ! Donc on a fait connaissance, et l’on s’est pris de sympathie. Quand j’ai commencé à écrire mon livre : Le Crabe-Tambour, je me suis dit qu’il y avait dans son histoire quelque chose qui m’intéressait. Ce n’est pas sa biographie, c’est mon histoire telle que je l’ai rêvée, c’est ma Fortune Carrée !"

 

LEXNEWS : "D’où vient le titre ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "J’avais dédié mon deuxième roman : L’Adieu au roi, à mon fils aîné Frédéric que j’appelais le Petit Prince. J’ai donc dédié celui-ci à mon fils cadet, Ludovic, parce qu’enfant, il avait un petit ventre rond sur lequel il tambourinait, et comme il marchait à quatre pattes et de travers, je l’appelais le crabe. D’où le Crabe-Tambour ! Vous voyez, c’est quelque chose de tout à fait personnel. Ce n’est pas sa vie, ce n’est pas la mienne. C’est autre chose. C’est le mystère de la création ! Les personnages de Fortune Carrée n’ont jamais existé, même s’ils ont été inspirés par les gens que Kessel a croisés. C’est pareil pour moi. C’est le mélange de tous ceux que j’ai rencontré, qui m’ont impressionné, qui m’ont inspiré. Vous puisez dans ce qui existe en vous, c’est comme ça qu’on écrit un roman !"

 

LEXNEWS : "Justement vous dites : les personnes qui vous ont impressionné ? Qui d’autre par exemple ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Un certain nombre de capitaines et lieutenants que j’ai connus sur le terrain… Un type comme Bigeard par exemple ! Ou Bréchignac, qui était le patron du 2e bataillon du 1er RCP. (Régiment de Chasseurs Parachutistes) C’était un personnage formidable ! Et d’autres beaucoup moins galonnés, des petits sergents qui m’ont impressionné par leur manière d’être, d’affronter les dangers de la vie, et la mort à l’occasion ! En Indochine, j’en ai rencontré quelques-uns…"

 

LEXNEWS : "Le contraire aussi ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Beaucoup moins, ou alors j’étais aveugle et je ne les ai pas vus. Il y avait bien sûr des médiocres, mais ils étaient rares dans les unités qui allaient au combat, là où on m’envoyait parce que c’est ce que voulaient les informations. C’était la Légion, les Paras, la Coloniale, les Tirailleurs Algériens, les Goumiers Marocains…"

 

LEXNEWS : "Dans La 317ème Section, Willsdorf est alsacien comme vous, et c’est un : Malgré-nous…"

 

Pierre Schoendoerffer : "J’ai connu des alsaciens qui ont été enrôlés dans la Wehrmacht. C’est un sujet qui m’intéresse, parce qu’il y a une espèce de schizophrénie chez eux ! Ils souhaitaient fondamentalement la défaite de l’Allemagne, parce que sans ça l’Alsace devenait allemande… Mais il faisait tout pour le succès de la petite unité à laquelle ils appartenaient. D’abord parce que c’était leur survie, et ensuite parce qu’ils partageaient le sort de leurs compagnons qui étaient Allemands. Ils faisaient le contraire de ce qu’ils espéraient, et ça, ça les troublait. On les envoyait surtout sur le front de l’Est, parce que là-bas, ils ne pouvaient pas déserter, c’était trop dangereux…"

 

LEXNEWS : "Toujours dans La 317ème Section, il y a un parti pris dans la réalisation."

 

Pierre Schoendoerffer : "Absolument ! Mon principe était que la caméra soit un soldat invisible et anonyme, qui ne peut voir que ce qu’un soldat peut voir ! C’est pour ça que lorsque Cremer s’en va, on ne le voit que de loin si on le voit, on est pas avec lui, on reste tout le temps dans le groupe. À un moment donné, je voulais une vue aérienne du dakota qui leur parachute des vivres, mais là je me suis dit : « Je sors de la section, ce n’est plus le point de vue subjectif. » Je ne l’ai pas tourné !"

 

LEXNEWS : "La tenue du Lieutenant : les gants en cuir, l’usm1, c’était comme ça là-bas ?"

(US M1 :Petite carabine légère et compacte, en dotation dans l’armée américaine pendant la deuxième guerre mondiale, et dont les officiers français auraient été friands en Indochine)

 

Pierre Schoendoerffer : "ça dépend ! Lui c’était un St Cyrien tout neuf ! Il n’avait pas les gants blancs, parce que c’était fini, mais il sortait de l’école et c’est une école qui marque. Alors que Willsdorf était un sous-officier qui en avait vu des vertes et des pas mûres, et qui savait que la survie impliquait un certain nombre de sacrifices."

 

LEXNEWS : "Est-ce que Bruno Cremer sait combien il est devenu emblématique du sous-officier dans l’Armée Française ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Oui, et ça l’a agacé ! À juste titre, parce qu’après le film, on ne lui a plus proposé que des rôles de baroudeurs. Il a dit : « Non ! Moi je suis un acteur, je ne suis pas que ça ! » Je voulais l’avoir dans Le Crabe-Tambour, mais il a refusé!"

 

LEXNEWS : "Dans quel rôle vous le vouliez ?"

 

Pierre Schoendoerffer : Non, je ne vais pas vous le dire parce que c’est une cuisine interne… Mais par contre, il a tout de suite marché pour Là-haut. Il avait digéré tout ça, il était devenu Maigret… Il a beaucoup aimé le film, et pour moi ça a été un grand plaisir de le retrouver. J’ai fait trois films avec Cremer : La 317ème ; Objectif 500 millions, où il joue un type qui a fait l’OAS et qui sort de prison, et évidemment Là-haut. Et avec Perrin, j’en ai fait  quatre.

 

LEXNEWS : "Puisque vous parlez de Jacques Perrin, qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire : L’Honneur d’un Capitaine ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Je voulais faire un film sur la guerre d’Algérie, parce qu’on disait un tas de choses que je trouvais simplistes, et en même temps personne ne voulait se mouiller. C’était encore trop chaud. D’ailleurs j’ai posé ma main sur des cendres, et il y avait des braises juste en dessus. Je me suis brûlé ! Je voulais essayer de montrer la complexité de l’affaire. Je ne voulais pas avoir la fin parce que c’était quelque chose que je ne savais pas très bien régler au fond de moi-même. Donc j’ai choisi une année neutre : 1958, en soulevant un certain nombre des questions qui restent encore sur l’estomac des Français.

Ce n’était pas facile à faire, parce que je touchais à quelque chose que je n’avais pas vécue. Puisque à cette époque, j’étais préoccupé par ma propre ambition, ma carrière. En même temps, c’étaient mes camarades de combat d’Indochine, qui servaient en tant qu’officiers ou sous-officiers en Algérie, et j’avais un lien très profond avec eux, avec leurs tourments, leurs inquiétudes, leurs choix difficiles …"

 

LEXNEWS : "Votre conseiller militaire sur le film était : Alain Bastien-Thiry. C’est le fils ?"

(Jean Bastien-Thiry : Polytechnicien et brillant scientifique de stature internationale, dont la conscience a été bouleversée par le drame algérien. Interprétant les revirements du général de Gaulle sur la question algérienne comme une trahison à l’égard de la nation, il organise contre lui l’attentat du petit Clamart le 22 août 1962. Le lieutenant-colonel Bastien-Thiry est condamné à mort, et passé par les armes le 11 mars 1963. C’est la dernière exécution politique en France.)

 

Pierre Schoendoerffer : "Non, c’est le neveu. Comme je ne voulais pas avoir à expliquer sur le tournage comment on tient un fusil, j’avais besoin d’un petit Lieutenant qui sortait de son service militaire. Bastien-Thiry s’est proposé. Il avait une bonne gueule, j’ai dit ok ! Il a formé une vingtaine de jeunes locaux de l’Ardèche, et 7 ou 8 comédiens parisiens. On le voit un peu, il joue le jeune Caron, le fils de Nicole Garcia."

 

LEXNEWS : "Pourquoi ne pas avoir pris de vrais soldats ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "L’armée a refusé son concours. Il n’y a pas eu un soldat ! Au départ ils avaient dit oui, et après ils ont changé d’avis. Le général qui commandait à ce moment-là l’armée de terre, m’avait fait venir en me disant : « Tu ne me fais pas ça, c’est une mauvaise action ! » Il me tutoyait parce qu’on se connaissait depuis l’Indochine. Évidemment j’ai passé outre, mais le film était presque lancé, on a dû donc former notre propre petite armée avec Beauregard. Même quand je suis allé à St Cyr, ils ne voulaient pas que je tourne. Il se trouve qu’à l’entrée de l’école, il y a le musée qui est ouvert au public et qui n’appartient pas uniquement à l’armée. C’est donc là que j’ai tourné ! Les St Cyriens étaient furieux de cette interdiction, alors ils m’ont facilité l’accès au stand de tir. Il y a un adjudant-chef qui a dit : « je le prends sur moi, même si ça me coûte ma carrière ! »

 

LEXNEWS : "Certainement un fan de Willsdorf ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Certainement !"

 

LEXNEWS : "Georges Wilson qui joue le Bâtonnier, ça a été une belle rencontre ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Ah oui ! C’est un homme que j’aime beaucoup. Grand acteur ! Il y a lui, et puis Charles Denner qui est formidable !"

 

LEXNEWS : "Justement, Charles Denner, dans le rôle de l’avocat de la défense, mentionne L’école de guerre psychologique d’Arzew. Elle a vraiment existé ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Oui."

 

LEXNEWS : "Et le mémento aussi ? Le livre que Georges Marchal, dans le rôle du général commandant St Cyr, a dans la poche au procès ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Je ne me rappelle plus, mais je n’ai rien inventé. C’était une école de formation des cadres sur la guerre psychologique. Ces militaires revenaient pour la plupart d’Indochine. Beaucoup avaient été fait prisonniers, et subit le travail psychologique des commissaires politiques. Ils se sont dit qu’il y avait quelque chose à prendre là-dedans…"

 

LEXNEWS : "Vous avez tournez où ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "En Ardèche pour la part algérienne avec des Harkis."

 

LEXNEWS : "Le film Dien Bien Phu, c’est un désir de toujours ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Non, on me l’a demandé. C’est Kirshner, le producteur, qui en a eu l’idée. C’est quelque chose qui m’excitait, et en même temps me faisait très peur. Pour moi, c’était énorme ! On envisageait de le tourner en Thaïlande ou aux Philippines, et ce sont les Vietnamiens qui ont demandé que l’on tourne le film au Tonkin. Je pensais évidemment que ce serait formidable, mais je me méfiais des cocos. Je les connaissais !

On est parti à Hanoï. On a vu des personnages importants, beaucoup de commissaires politiques, et le général qui commandait le Tonkin. Je lui ai dit voilà, on va avoir besoin de votre armée, mais pas uniquement pour jouer le vietminh, aussi pour interpréter les Vietnamiens qui étaient avec nous, nos camarades de combats. Ceux que vous appeliez les fantoches. Il m’a répondu : « C’est un mot que nous n’utilisons plus. » J’ai pris ça comme un début de poignée de main…

Je leur ai également dit que je ne passerai pas de l’autre côté, je ne passerai pas la frontière de la ligne de feu. C’est l’histoire vue par un Français. Je ne voulais pas non plus de personnages historiques, pour ne pas avoir à leur faire dire des choses qu’ils n’auraient pas dites, parce que je ne suis pas biographe. On ne voit pas Bigeard par exemple !"

 

LEXNEWS : "On en parle pourtant !"

 

Pierre Schoendoerffer : "On en parle, mais je ne l’ai pas montré. Je ne voulais pas qu’on voie de Castres, ni même Cogny. On voit sa voiture, et l’on entrevoit un képi, mais on ne le voit pas. (Général Cogny, adjoint du général Navarre, commandant en chef en Indochine. Colonel, puis général de Castres : Chef du camp retranché de Dien Bien Phu.) Je ne voulais pas de personnages historiques, je voulais ma liberté. J’ai un capitaine, qui m’est inspiré d’un capitaine que j’ai connu, et qui a fait à peu près ce qu’il a fait. J’ai aussi un artilleur qui m’a inspiré."

 

LEXNEWS : "Il y a Geneviève de Galard !"

(Geneviève de Galard : Convoyeuse de l’air, engagée en Indochine. Elle sera la seule femme au milieu de 15 000 soldats pendant la bataille de Dien Bien Phu, et restera pour eux : « l’Ange de Dien Bien Phu ».)

 

Pierre Schoendoerffer : "Oui, et c’est ma fille qui joue le rôle. Quelqu’un dit juste : « Qui c’est celle-là ! » Et un autre répond : « C’est Geneviève. »"

 

LEXNEWS : "Et votre fils joue votre propre rôle."

 

Pierre Schoendoerffer : "Oui."

 

LEXNEWS : "Le personnage dans Là-haut, votre dernier film, c’est un peu vous ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Pas du tout, c’est tiré de mon roman. C’est le romancier qui écrit, qui s’inspire de ce qu’il connaît un peu, comme chez Proust, mais ce n’est pas moi. Je mets ma teinte !"

 

LEXNEWS : "Je ne crois pas que ce soit désobligeant de dire que vous êtes un cinéaste et un romancier conradien ? D’ailleurs vous le revendiquez vous-même ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Je me mets à l’ombre de Conrad, qui pour moi est un des plus grands écrivains de la charnière entre l’avant-dernier et le dernier siècle."

 

LEXNEWS : "Vous avez essayé d’adapter Typhon au cinéma ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Oui, j’ai fait une adaptation. Le film ne s’est pas fait."

 

LEXNEWS : "Qu’est-ce que vous pensez d’Apocalypse Now ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "C’est du grand spectacle américain. Beaucoup de caricatures en poussant le bouchon très loin. Il y a quand même une part de vérité, mais ce n’est pas le film qui m’a le plus touché sur ce que les Américains ont fait sur la guerre du Vietnam. Celui qui m’a vraiment troublé, et même ému profondément, c’est : Deer Hunter - Voyage au bout de l’enfer ! Un film tout à fait remarquable. C’est-à-dire : On prend des jeunes gens ; Ils sont broyés par la guerre ; On ouvre la main, et qu’est-ce qui reste : un invalide physique, un invalide moral qui se suicide, et un homme qui en sort grandi. ça m’a semblé très juste. En dehors du fait que le film est très bien fait, c’est vraiment du très beau travail…"

 

LEXNEWS : "Pour conclure. Quel regard portez-vous sur les évènements que vous avez traversés, et qu’est-ce que vous inspire le monde d’aujourd’hui ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "On a gagné la guerre contre le nazisme. Quelque soit la part qu’ait pris la France, on en a pris une part ! Les abominations du communisme se sont effondrées, mais elles ont été remplacées par d’autres, d’une certaine façon. Donc il y a tout une part de moi, la part raisonnable qui est très pessimiste, et tout une part de moi, qui est la part émotionnelle, parce que j’ai des enfants et des petits-enfants, qui veut être optimiste. Qui pense que la vie de l’homme ne peut pas se terminer par un abominable gâchis sur cette terre. C’est comme la foi dont parlait St Augustin, parfois on l’a et parfois on la perd. Il y a des moments où j’ai peu d’espoir, et d’autres ou je me dis : « Non. Il faut y croire ! »

 

LEXNEWS : "De ces valeurs qui sont les vôtres, qu’est-ce que vous avez essayé de transmettre à vos enfants ?"

 

Pierre Schoendoerffer : "Je n’ai fait que transmettre ce que j’avais reçu. Je n’ai rien inventé, elles appartiennent à la nature humaine. On me reproche toujours de parler d’honneur. Qu’est-ce que ça veut dire : l’honneur ? On ne sait peut-être pas ce que c’est, mais le déshonneur, tout le monde connaît, même le voyou sait quand il s’est déshonoré. On parle de justice. Qu’est-ce que la justice ? Une quête. On la cherche, on ne la trouve peut-être pas, mais on sait très bien ce qu’est l’injustice, en tout cas on la ressent. Le courage ? Ce n’est pas d’être soldat, de tirer sur quelqu’un et de se faire tirer dessus. Là aussi c’est quelque chose de…, mais la lâcheté, on sait très bien ce que c’est ! On sait toujours très bien ce qu’est la valeur, par son contraire ! "

 

LEXNEWS : "Merci pour cette interview."

 

Pierre Schoendoerffer : "C’est moi qui vous remercie."

 

Interview réalisée par Christophe Barbier

 

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Interview de Jean-François LEPETIT

Paris, 11 décembre 2006

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jean-François Lepetit est un producteur indépendant depuis 1983. Il a produit des metteurs en scène aussi prestigieux et différents que : Serreau, Pialat, Schoendoerffer, Polanski, Breillat, mais également des premiers films. Il a su préserver au sein de sa société, Flach Film, un côté artisanal, garant selon lui de qualité et d’indépendance. Il s’est essayé à tout : du film intimiste Franco-Français, à la grosse production internationale. Auréolé de succès qui comptent parmi les plus spectaculaires du cinéma Français, comme « Trois Hommes et un Couffin » (12 millions de spectateurs), il a également essuyé de cuisants revers de médailles. Homme de conviction, il est à l’origine du documentaire très corrosif « Le Monde selon Bush ». Il est aujourd’hui, alors que la culture donne lieu à des enjeux économiques et politiques importants, Président de la chambre syndicale des producteurs.
 

LEXNEWS : "Vous êtes originaire de Bordeaux. Vous y avez fait vos études, et à l’âge de 15 ans vous y avez fondé un ciné-club, c’est vrai ?"

 

Jean-François Lepetit : Oui. Au lycée, en 4ème ou 3ème, j’ai découvert assez tôt le cinéma grâce à des profs, et j’ai été assez actif dans l’animation du ciné-club : La sélection des films, l’organisation des débats… Je fréquentais les « U.F.O.L.E.I.S » (Union Française des Oeuvres Laïques d’Education par l’Image et le Son), j’allais aux journées cinématographiques de Poitiers qui n’existent plus, mais c’était un truc très important où l’on découvrait un pays à travers sa cinématographie. On voyait des films du Québec, des Pays de l’Est, d’Italie… Donc j’ai toujours été très actif, mais du côté culturel !

 

LEXNEWS : "Vous dites que ce sont vos profs qui vous ont donné le goût du cinéma. Çela ne vient-il pas de vos parents ?"

 

Jean-François Lepetit : Non, je suis d’un milieu très modeste. Mon père était assez ouvert, mais autodidacte. Il lisait beaucoup, mais ce sont surtout les profs et les copains. J’ai eu des profs très sympas, qui m’ont initié à plein de choses : Comment éditer un journal, m’occuper du ciné-club, du caméra-club… Tout ça a été très important pour moi, parce que je n’aurais pas supporté le milieu scolaire autrement !

 

LEXNEWS : "Vous faites un bac littéraire et des études de sociologie. Pourquoi pas des études de cinéma ?"

 

Jean-François Lepetit : Je savais très bien ce que je ne voulais pas faire, mais pour le reste, ce n’était pas très clair ! Probablement que socio était un moyen de reculer l’échéance, parce c’était un truc qui ne préparait à rien … ou à tout ! Et puis comme j’étais assez engagé politiquement, la socio me passionnait.

 

LEXNEWS : "Quel genre d’engagement politique ?"

 

Jean-François Lepetit : C’était juste après 68…

 

LEXNEWS : "Vous aviez des revendications ?"

 

Jean-François Lepetit : Socio : on étudie la vie… Nous, on voulait la changer !

 

LEXNEWS : "Après vos études, vous êtes monté à Paris et vous avez travaillé dans la distribution, notamment pour la Twenty Century Fox. Comment passe-t-on de l’animation d’un ciné-club au lycée à la distribution dans une major ?"

 

Jean-François Lepetit : En fait, j’ai d’abord été salarié de la ligue française de l’enseignement, où j’étais responsable de la cinémathèque régionale d’Aquitaine. Je m’occupais de tous les contacts avec les établissements scolaires et les associations dans les villages, parce que j’animais les ciné-clubs. J’organisais pas mal de manifestations, y compris en milieu rural pour que les salles ne ferment pas, ce qui m’a permis de mettre en avant la fonction sociale de la salle de cinéma dans les villages… En faisant ce boulot, j’ai fait venir de Paris des metteurs en scène, des acteurs. Je me souviens avoir présenté les premiers films de Laurent Heynemann (1979 : La Mort au Dents – 1981 : Il faut tuer Birgit Haas), de Colin Serreau (1977 : Pourquoi pas ? (Prix Georges Sadoul) - 1978 : Mais qu’est-ce qu’elles veulent ?)… Donc, j’étais devenu assez copain avec les gens de la S.R.F. (Société des Réalisateurs de Films), et même si je n’étais qu’un petit animateur dans le sud-ouest,  je me suis fait quelques relations, y compris dans les circuits commerciaux. J’ai participé par exemple à la promotion du film : « L’Histoire d’Adrien » de Jean-Pierre Denis distribué par la Gaumont (1980), parce qu’ils voulaient mobiliser les réseaux de cinéphiles… C’est donc grâce à tous ces contacts que j’ai finalement débarqué à Paris. Si vous voulez, je suis un amateur de cinéma qui est venu à la production, à l’aspect commercial, un peu comme quelqu’un qui aime la bonne bouffe, et qui un jour va voir dans les cuisines comment on la prépare !

 

LEXNEWS : "Finalement en 1983 vous créez Flach Film. D’où vient le nom ?"

 

Jean-François Lepetit : On était trois copains : Pascal Hommais, Henri Deleuse dont le deuxième prénom était Adrien, et moi-même. François, Lepetit, Adrien. Le « c », c’était : cinéma, et « h », d’Hommais.

 

LEXNEWS : "Comment cela a-t-il commencé ?"

 

Jean-François Lepetit : D’abord, moi j’ai eu envie de faire les films que j’ai eu envie de voir ! Je suis devenu producteur, alors que je n’avais pas d’argent. Le tout premier film que j’ai monté : « la vie de famille » de Doillon, était un téléfilm détourné, parce qu’il y avait un vide juridique dont j’ai profité. Je n’étais pas certain d’y arriver, mais je l’ai proposé à la Fox pour qui j’avais travaillé, et ils l’ont pris en distribution pour m’aider, et ça a marché.

Du coup la même année, j’ai fait « Dust » de Marion Hansel, une amie belge qui avait adapté un roman de Coetzee, avec Jane Birkin et Trevor Howard. Je suis rentré en co-pro à l’esbroufe, en disant à FR3 que j’étais encore distribué par la Twenty Century Fox. Ça faisait chic, et j’ai réussi à monter ces deux petits trucs…

 

LEXNEWS : "À cette époque-là, le cinéma français ne se porte pas très bien. La plupart des productions se font sur le même schéma, on prend des vedettes…"

 

Jean-François Lepetit : Oui, on est plutôt dans le star-system !

 

LEXNEWS : "Vous, vous montez un film avec peu d’argent, avec des acteurs connus, mais aucun n’est au box-office. Qu’est-ce qui vous passe par la tête ?"

 

Jean-François Lepetit : Coline est venue me voir en me disant : « J’ai un téléfilm à faire avec la 2. J’ai appelé ça : « 3 hommes et un couffin », mais c’est un titre provisoire. » Elle n’avait écrit que trois pages, et ça racontait l’histoire de trois mecs qui se retrouvaient avec un bébé sur les bras. Elle espérait que je fasse comme pour Doillon, parce qu’elle voulait tourner en 35mm ou en Super 16 de façon à pouvoir présenter le film dans les festivals, pour qu’il existe en tant que film. On a donc commencé à travailler. Elle est partie écrire le scénario, et la chance que j’ai eue, c’est qu’au moment où on allait signer un contrat de téléfilm avec la 2, le patron de la chaîne se fasse virer ! C’était Pierre Desgraupe. Son remplaçant a fait ce qu’ils font tous dans ce cas-là, il a abandonné tous les projets initiés par le prédécesseur. Du coup je me suis retrouvé le bec dans l’eau, et j’ai décidé de le produire pour le cinéma, c’est-à-dire monter un casting, trouver un distributeur, demander l’avance sur recette etc, mais Coline me dit : « On n’aura jamais l’avance sur recette ! ». Je lui demande pourquoi, et elle m’explique que l’avance était présidée par un producteur qui s’appelait Adolphe Viedzi, et la S.R.F (Société des Réalisateurs de Films) dont Coline était la présidente, attaquait le C.N.C (Centre National du Cinéma, dont dépend la commission d’avance sur recette) et le ministère de la culture, parce qu’ils trouvaient scandaleux  que la commission soit présidée par un producteur. Ils pensaient que l’avance était attribuée à des films commerciaux et pas à des films d’auteurs. Je ne me suis pas démonté, je suis allé voir Viedzi, et je lui ai dit que je développais un projet avec Coline Serreau, mais qu’elle était persuadée que c’était peine perdue. Il me répond : « Vous êtes malade, si vous me soumettez un projet de Coline Serreau, je ferai tout pour qu’elle obtienne l’avance, parce que j’en ai ras le bol qu’on m’accuse à tort de ne donner l’avance qu’à des films commerciaux ! »

Ce qui est très curieux, c’est que croyant soutenir un film d’auteur, ils ont soutenu le film le plus commercial de l’histoire de l’avance, puisqu’il a fait 12 ou 13 millions d’entrées.

Quand j’ai raconté l’histoire à Bonnel qui prenait la direction du cinéma à Canal + qui venait de se monter, il m’a suivi. Et à TF1, chaîne publique à l’époque, je connaissais un peu Larrieu qui m’a dit ok;

Voilà, ça a démarré comme ça !

 

LEXNEWS : "Le casting a été facile ?"

 

Jean-François Lepetit : Oh non ! Il a été très très dur à monter ! Quand Coline m’a fait lire les trois pages, elle m’a dit : « J’ai Boujenah, il faut trouver les deux autres ! » Elle avait aussi Bedos qui était intéressé, mais comme le montage financier ne s’est pas fait si facilement et que je galèrais un peu, il a commencé à hésiter. Finalement il nous a quitté. Il avait d’autres propositions, notamment Les Tréteaux de France.  Moi, je n’avais pas de dates, je ne pouvais pas le bloquer indéfiniment. On en a reparlé des années après avec Guy…

Coline avait également très envie d’Auteuil. Il n’était pas contre, mais il commençait à grimper. Il faisait partie des valeurs sûres chez Artmédia…

 

LEXNEWS : "Pourtant la carrière de Daniel Auteuil a fait un bon avec Jean de Florette. Avant il était encore accessible !"

 

Jean-François Lepetit : Oui, mais justement, Berry préparait Jean de Florette, et Auteuil faisait partie des candidats possibles ! Donc, entre un film produit par un inconnu, écrit par Coline Serreau qui avait la réputation d’être une militante féministe et dont les films précédents n’avaient pas fait beaucoup d’entrées… Quand Berry a proposé le rôle à Daniel, chez Artmédia, ils n’ont pas hésité une seconde…

 

LEXNEWS : "Vous avez donc continué à chercher ?"

 

Jean-François Lepetit : Oui, tous les comédiens en âge de tourner l’ont refusé : Richard Berry, Christophe Malavoy, Richard Anconina… Ils ont tous eu le scénario à un moment et n’ont pas voulu le faire pour plein de raisons. Certains parce qu’ils estimaient qu’ils étaient trop connus, et qu’il leur fallait un rôle plus important, d’autres n’ont pas accroché… Ce qui est vrai, c’est que personne n’a vu venir le film !

 

LEXNEWS : "Un petit film avec un gros succès !"

 

Jean-François Lepetit : Contrairement à ce qu’on dit, ce n’était pas tout à fait un petit budget. On l’avait budgété à 8 millions de francs, et le budget moyen il y a 20 ans tournait autour de 9 ou 10. Finalement, on l’a bouclé à 9,4 parce qu’il y a eu des dépassements, mais ce n’était pas un budget marginal.

 

LEXNEWS : "Le succès est inespéré ! Vous obtenez deux Césars (Scénario & film), le Grand Prix de l’Académie du Cinéma, et les 12 millions d’entrées émoustillent Disney qui fait un remake, dont vous serez le producteur exécutif. Comment cela s’est-il passé ? Qu’est-ce qu'un producteur exécutif ?"

 

Jean-François Lepetit : Je ne voulais pas céder les droits « flat », je voulais rester « involved » (Anglais - Flat : sans autres contreparties ; Involved : impliqué).

 

LEXNEWS : "Avoir un regard artistique ?"

 

Jean-François Lepetit : Oui, en même temps j’avais bien conscience qu’ils faisaient un film pour le marché domestique, et qu’ils étaient probablement mieux placés que moi pour savoir ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. L’autre raison est qu’en étant producteur du film, on pouvait espérer avoir des revenus liés à un pourcentage sur l’exploitation plutôt que de se contenter même d’un très gros chèque, et après plus rien. Le remake s’appelait « Three men and a baby » (1987, réalisé par Léonard Nimoy, avec Tom Selleck, Steve Guttenberg, Ted Danson). On a même fait la suite qu’on a tourné à Londres, et qui était très mauvaise (1990 : « Three men and the little lady »). J’ai retravaillé avec Disney en 1991 puisqu’ils ont fait un remake « Du grand chemin » (« Paradise » avec Mélanie Griffith et Don Johnson).

 

LEXNEWS : "En 1986, vous produisez : « L’Été en pente en douce », de Gérard Krawzcyk."

 

Jean-François Lepetit : J’étais assez déçu parce qu’on n’avait pas passé la barre du million, 900 000 entrées France, alors que pour moi c’était un film très fort, avec un casting remarquable. On avait curieusement été totalement ignoré aux Césars, et le film a été redécouvert à la télé sur Canal et après plusieurs passages hertziens. Je pense que c’est un des meilleurs films de Gérard Krawzcyk !

LEXNEWS : "L’année suivante vous produisez : « Le grand chemin » de Jean Loup Hubert."

 

Jean-François Lepetit : C’était la même année !

 

LEXNEWS : "Si c’était la même année, c’était également la même année aux Césars, où « Le grand chemin » en a raflé 3 ! (Meilleur film - Meilleur acteur : R.Bohringer - Meilleure actrice : Anémone) C’est peut-être pour ça que « L’Été en pente douce » a été oublié ?"

 

Jean-François Lepetit : Non, parce que « L’Été » n’avait même pas été parmi les nominés. Il y avait eu un barrage dès le départ.

 

LEXNEWS : "La même année, vous co-produisez : « Sous le soleil de Satan », de Maurice Pialat (Palme d’or à cannes en 1987). Pialat avait la réputation d’être la bête noire des producteurs à cause de son mode de fonctionnement, son non-respect du plan de travail, ses retards sur le plateau… Comment cela s’est-il passé ?"

 

Jean-François Lepetit : En réalité, je n’ai eu des contacts avec Pialat que bien après le film. C’est Toscan qui était venu me voir. (Daniel Toscan du Plantier 1941-2003. Figure emblématique du cinéma français : Producteur, Président de l’Académie des Césars, Président d’Unifrance pour la promotion et la distribution des films français à l’étranger). Il venait de se faire virer de la Gaumont dont il avait été le patron, et moi je roulais sur l’or.  Je l’aimais vraiment beaucoup, même s’il avait un côté courtisan et cire-pompes du pouvoir qui m’énervait un peu…

 

LEXNEWS : "Ce n’est pas nécessaire dans votre métier ?"

 

Jean-François Lepetit : Si, peut-être, mais je considère que ce n’est pas indispensable !

Quoi qu’il en soit, bien que la Gaumont le suive, il n’arrivait pas à monter le film. Moi j’avais beaucoup de fonds de soutien, et puis j’aimais beaucoup Pialat. J’avais adoré « À nos amours » (Comédie dramatique de 1983, avec Sandrine Bonnaire). J’ai dit  oui à Daniel, alors qu’en réalité je n’aimais pas le scénario. J’ai produit à hauteur de 40%, la Gaumont en a fait autant, et Daniel a mis le reste en faisant le travail de producteur.

Je n’ai jamais été sur le plateau, et je n’ai rencontré Pialat que plus tard. On a sympathisé, et il m’aimait bien, non pas parce que je l’avais produit, mais  parce qu’il avait trouvé très courageux que je produise : « Le Brasier », et il aimait beaucoup ce film.

 

LEXNEWS : "Donc justement, tous ces succès vous assoient dans votre fauteuil de producteur, et vous vous lancez en 1991 dans la production du film : « Le brasier », d’Eric Barbier. C’est un 1er film, et à l’époque c’est une des plus grosse production française."

 

Jean-François Lepetit : Oui, ça faisait partie des productions les plus chères, mais surtout la plus grosse jamais faite pour un premier film.

 

LEXNEWS : "Qu’est-ce qui vous a emballé dans ce projet, parce que vous vous êtes un peu emballé !"

 

Jean-François Lepetit :  Mmouai ! D’abord, le budget pour moi c’est secondaire ! Au départ il y a l’envie de faire exister un film, sur le scénario ou même juste une idée ! Après, ce qu’il faut pour le faire, c’est important, mais ce n’est pas mon critère de choix ! Ensuite, j’essaie de voir avec le metteur en scène, le plancher sous lequel on n’aura pas les moyens de nos ambitions. Alors évidemment, il arrive qu’après on se rende compte que ça coûte très très cher, et on se laisse embarquer parce qu’on y croit, parce que le désir est là, et aussi parce qu’on vient de faire plein de succès et qu’on se dit que tout va bien… Et puis voilà !

J’ai perdu beaucoup. La société a perdu presque 26 millions de francs à l’époque, et l’on a mis des années à s’en remettre, mais franchement je ne regrette pas ce film.  Peut-être qu’avec le recul, je me dis que Barbier est un metteur en scène génial, mais pas forcément un bon scénariste. On a dû faire des erreurs… Quand on fait un film si cher, il faut savoir s’adapter. C’est un peu comme un éditeur. Je ne peux pas faire un Breillat à 90 millions de francs, c’est comme une édition réduite, parce que ça s’adresse à un public restreint, et donc en termes d’économie et de production, il faut que ce soit cohérent. Mais bon, « Le brasier » reste une expérience fabuleuse !

C’est comme un boxeur qui démarre. Il monte sur le ring et il gagne tous ses combats par chaos au deuxième round. Là c’est l’inverse ! Après ça été dur, parce que je m’étais beaucoup impliqué dans ce projet, et je n’avais rien développé d’autre. ça a été un peu compliqué à gérer…

Qu’est-ce que le courage ou la témérité ? Si vous réussissez quelque chose de très difficile, on va vous dire que vous êtes très courageux ! Si vous vous plantez, on va vous dire que vous êtes inconscient ! C’est la relativité des choses !

 

LEXNEWS : "Toscan du Plantier a dit de vous après cet échec : « Désormais c’est un vrai producteur ! »"

 

Jean-François Lepetit : Il n’a pas tort. C’est dans la difficulté qu’on se réalise ! Si vous traversez l’Atlantique à la voile, que la mer est calme et que les vents vous sont favorables, vous ne savez pas si vous êtes un bon skippeur. Si vous essuyez plusieurs grosses tempêtes et que vous arrivez à bon port, vous pouvez vous dire : « Bon ok, là je me démerde ! ».

 

LEXNEWS : "En 1992 vous avez co-produit : « Dien Bien Phu ».

C’est encore un service, ou c’est pour l’univers de Pierre Schoendoerffer ?"

 

Jean-François Lepetit : J’aimais bien Schoendoerffer que je connaissais. Il a une image pour moi totalement fausse de facho, parce qu’il a fait des films de guerre, et qu’il s’est engagé dans l’armée… Pierre, c’est un humaniste. C’est quelqu’un qui a des principes. J’aimais beaucoup le personnage !

La raison pour laquelle je suis rentré sur « Dien Bien Phu » est un peu complexe, c’est de la cuisine interne, mais en gros, les banquiers ne voulaient pas suivre Kirshner (Producteur du film), sauf si un autre professionnel du secteur cautionnait le projet. Et c’est mon banquier qui était aussi celui de Kirshner, qui me l’a demandé.

 

LEXNEWS : "Ça fait ça un banquier ?"

 

Jean-François Lepetit : Bah oui, ils étaient mal, et du coup ça a coupé l’herbe sous le pied des autres.

 

LEXNEWS : "En 1995, vous vous lancez dans une production d’envergure internationale : « La jeune fille et la mort » de Roman Polanski avec Sigourney Weaver &Ben Kingsley. C’est le désir d’aller au-delà du cinéma français ?"

 

Jean-François Lepetit : J’ai toujours été assez éclectique, et même si j’ai produit des films que l’on peut considérer franco-français, je me suis toujours intéressé aux co-pros européennes. Je n’ai jamais eu envie de faire des co-pros pudding, dans lesquelles on met tout et n’importe quoi et qui finalement n’ont pas de couleur et sont vides de sens. Là c’était différent ! Quand on m’a proposé le projet, il y avait déjà des Anglais, des Italiens… Roman voulait tourner ici à paris. On a construit tous les décors aux studios de Boulogne qui n’existent plus. Roman m’intéressait, le thème m’intéressait, c’était l’adaptation d’un bouquin de Dorfmann, une pièce de théâtre (Ariel Dorfman). Il m’est arrivé de faire beaucoup de co-pro par la suite…

 

LEXNEWS : "Souvent avec l’Allemagne, l’Italie…"

 

Jean-François Lepetit : Oui, parce que je les ai souvent trouvés à mes côtés pour m’aider sur des films français, et du coup j’ai renvoyé plusieurs fois l’ascenseur…

 

LEXNEWS : "Vous avez aussi produit des films réalisés par des acteurs :

(1996 : Marie et le Magicien de Klaus Maria Brandauer)

(1996 : Les caprices d’un fleuve de Bernard Giraudeau)

(1997 : Tonka de Jean-Hugues Anglade)

Vous l’avez fait par amitié ? Ce sont les sujets qui vous ont emballé ? Il y a un regard particulier qui vous intéresse chez un comédien qui a envie de passer derrière la caméra ? "

 

Jean-François Lepetit : C’est tout ça ! Bien que ce soit différent pour Anglade et Giraudeau avec qui j’avais une certaine proximité, alors que je ne connaissais pas personnellement Klaus Maria Brandauer. Les Allemands m’avaient aidé sur « Les Caprices d’un fleuve », ils m’ont proposé différents projets, et j’ai choisi celui-là.

Les comédiens passent beaucoup de temps sur les plateaux, alors quand ils veulent passer derrière la caméra, en principe c’est plus rassurant qu’un premier film de quelqu’un qui n’a jamais rien fait. Et puis, ils ont souvent un point de vue qui me semble intéressant…

 

LEXNEWS : "Il y a des mauvaises langues qui disent, que depuis quelque temps vous ne produisez plus que Catherine Breillat."

(1999 - Romance)

(2001 - A ma soeur)

(2002 - Sex is comedy)

(2004 - Anatomie de l’enfer)

(2007 – La vieille maîtresse)

 

Jean-François Lepetit : Ce n’est pas tout à fait vrai, j’ai aussi produit le premier film d’Abdel Kechiche ! (2000 – « La faute à Voltaire » d’Abdellatif Kechiche). Je trouvais le cinéma de Breillat vraiment intéressant, et une amie commune, Victor Laslo, m’a donné le scénario de « Romance » en me disant : « tu devrais la rencontrer ».  J’ai lu le scénario qui m’est tombé des mains. Je ne comprenais absolument pas ce qu’elle voulait raconter. En revanche, je savais qu’elle voulait adapter : « une vieille maîtresse » (Roman de Barbey d’Aurevilly, publié en 1851). Je suis donc allé voir Catherine en lui parlant du livre, et elle ne m’a parlé que de « Romance ». Je lui ai annoncé que je ne voyais pas du tout le film, et au bout de trois heures de discussions, d’explications, elle me décrivait visuellement des scènes, elle m’a convaincu. Je lui ai alors dit que je produisais « Romance », mais qu’après on faisait « une vieille maîtresse », elle m’a répondu : « D’accord ! » Et en réalité, il fallait qu’elle aille au fond de ses obsessions, ce que j’ai compris en la fréquentant, et il lui a fallu tous ces films avant d’être prête. Le summum, si je puis dire, est « Anatomie de l’enfer », où elle m’a dit : « là, je touche le fond ! » Toutefois, ce qu’elle raconte me semble intéressant et passionnant, même s’il y a une certaine dichotomie entre son cinéma et elle. Elle a beaucoup d’humour, qu’il n’y en a pas dans ses films. Je ne partage pas à 100% tous ses points de vue sur la vie, j’ai même quelques fois beaucoup de mal à me retrouver dans ses films, mais c’est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup de respect. Trop de personnes parlent de son cinéma, sans l’avoir vu.

 

LEXNEWS : "Ça se passe comment entre le producteur que vous êtes, et les auteurs ou réalisateurs avec qui vous travaillez ? Vous intervenez dans l’écriture ?"

 

Jean-François Lepetit : Les attentes ne sont pas les mêmes suivant les personnes. Mon rôle consiste à réunir les conditions pour qu’un projet existe. Je ne parle pas uniquement d’argent. C’est aussi mobiliser des énergies, et parfois pousser un auteur, un metteur en scène dans ses retranchements, ne pas en rester à l’apparence. L’amener à s’expliquer, être une sorte de miroir pour lui renvoyer des choses pour bien comprendre l’univers du scénario et du film qu’il veut faire. C’est donc un travail assez long, et ça dépend dans quel état arrive un projet.

Bernard (Giraudeau) est venu me voir avec une idée, il voulait raconter l’exode du Marquis de Flers (« Les Caprices d’un fleuve »), il n’avait rien écrit. Il m’a dit : « Tu crois qu’on peut le faire en français ? Je pense que ça va coûter assez cher ! Il va falloir le faire en anglais avec des acteurs anglais ! » En réalité, plus je le faisais parler, plus il m’expliquait qu’il se taillait un rôle sur mesure. « Tu veux le jouer ou le mettre en scène ? » - « Je veux le réaliser, parce que le jouer ce ne sera pas possible, parce que tu comprends… » En fait, il attendait que je lui dise, que c’est lui qui l’interpréterait et qui le mettrait en scène.

La relation avec les auteurs est toujours de nature différente. On prépare actuellement  « Des poupées et des anges » de Nora Hamdi. C’est l’adaptation de son roman, qu’elle a écrit alors qu’elle voulait faire un film, et elle s’était rendue compte que ce n’était pas possible. Aujourd’hui, elle a donc fait l’inverse, elle est partie de son livre et elle a écrit le scénario.

 

LEXNEWS : "Flach, c’est aussi de la télévision."

 

Jean-François Lepetit : On est venu à la télé parce que je me suis toujours préoccupé de questions de société. La première production en 86 ou 87 n’était pas une fiction. C’était un documentaire, « L’amour en France » de Karlin et Lainé; Lainé était un psychanalyste, et Karlin  un metteur en scène de l’époque des Buttes Chaumont. Ils voulaient faire un état des lieux de la sexualité des Français sous forme de dix fois une heure. Des épisodes thématiques en suivant des individus. Ils abordaient absolument tous les sujets, y compris l’homosexualité, etc. Je m’en souviendrai toujours, parce que ça a beaucoup marqué ma relation avec la télévision. J’avais envoyé le projet à Antenne 2 au service des documentaires. J’étais un peu sceptique parce que dix fois une heure, c’est rare ! Surtout en télévision hertzienne ! (...)

 

(...) Et puis le président de la chaîne nous appelle. C’était Jean Drucker, le frère de Michel. J’étais étonné que ce soit lui qui nous contacte directement, mais bon… Au bout d’un moment on le remercie, et il nous dit : « Je vais être franc avec vous, ne me remerciez pas, ça ne se sait pas encore mais je suis viré, et ce sera annoncé demain. » Et il ajoute : « J’en ai jusque-là ! Votre sujet est passionnant, je le signe. Mais pour être très honnête, si je n’étais pas viré, je ne sais pas si j’aurais le courage de le faire. » C’est absolument incroyable, mais ça c’est passé comme ça ! ça a été ma première relation avec la télé. Après j’ai fait aussi de la fiction, mais j’ai toujours adoré les documentaires, parce que je pense qu’on peut avoir les meilleurs scénaristes du monde, la réalité dépasse souvent la fiction !

 

LEXNEWS : "Il y a un documentaire dont vous êtes vraiment à l’origine, dans lequel vous vous êtes pleinement investi, et qui a fait beaucoup parlé de lui : « Le monde selon Bush » de William Karel, d’après le livre d’Éric Laurent."

 

Jean-François Lepetit : C’est vrai ! J’étais assez révolté à la lecture du livre, et je me disais que même si beaucoup de monde le lisait, le meilleur moyen de le faire connaître était d’en faire un documentaire. Même si l’audience est limitée, la télévision c’est malgré tout 1 million de personnes qui le voient un soir.

 

LEXNEWS : "Le fait que le film n’ait pas été sélectionné à Cannes, alors que celui de Michael Moore l’ait été, vous en pensez quoi ?  (« Farenheit 9/11 » de M. Moore, Palme d’or en 2004)"

 

Jean-François Lepetit : Frémaux (Thierry Frémaux : Directeur artistique du Festival de Cannes) m’avait dit qu’il n’y a rien dans le règlement qui lui interdise de prendre des téléfilms. Les Bergman étaient des téléfilms ! Je lui montre le documentaire, il est très emballé, et il me dit que si Michael Moore n’a pas terminé à temps, il prend le mien. Je savais que Moore avait des difficultés à finir. Il avait trois équipes qui se relayaient 24h/24 pour boucler le montage, et Frémaux me l’a avoué plus tard, en réalité il n’avait jamais vu le film terminé quand il l’a sélectionné. Il l’a découvert à Cannes.

 

LEXNEWS : "Il ne pouvait pas prendre les deux ?"

 

Jean-François Lepetit : Il craignait qu’on accuse le festival d’être anti-Bush, s’il prenait les deux.

 

LEXNEWS : "Que pensez vous de  « Farenheit 9/11 » ?"

 

Jean-François Lepetit : Peut-être qu’il est efficace pour le marché domestique américain ?

 

LEXNEWS : "C’est un pamphlet plus qu’une analyse !"

 

Jean-François Lepetit : Oui ! Le nôtre est plus construit, plus rigoureux. Je le préfère, mais peut-être que pour l’audience américaine, il fonctionne mieux. Je trouve que par moments il a des procédés limites. Il y a par exemple la mère d’un soldat qui a été tué. C’est émouvant, mais c’est du pathos facile, je trouve que la démonstration manque de rigueur.

 

LEXNEWS : "Depuis quelques années, vous êtes le président du Syndicat des Producteurs."

(C.S.P.F. : Chambre Syndicale des producteurs de Films)

 

Jean-François Lepetit : J’ai toujours pensé qu’on faisait un métier d’artisans et d’individualistes. En même temps, une des forces du système français est qu’il y a des règles collectives. Particulièrement aujourd’hui, où il y a des enjeux importants liés à l’évolution des diffuseurs, la privatisation des chaînes, la situation de Canal, les règlements européens… Il me semble difficile d’être déconnecté du contexte, et le contexte pour chacun d’entre nous producteur est vital !

 

LEXNEWS : "Au sein du C.S.P.F., vous avez un projet de réécriture de la convention collective des ouvriers et techniciens du cinéma pour essayer de fédérer le plus possible de producteurs parce que pour l’instant ce n’est pas le cas. Dans ce projet, il y a des intentions qui sont dénoncées par les syndicats d’intermittents, puisqu’il est prévu une baisse des minima syndicaux ?"

 

Jean-François Lepetit : Ce n’est pas tout à fait ça, même si Stephan Posderec que je connais bien, présente les choses de cette façon. (Stephan Posderec : Délégué général du S.N.T.P.C.T. : Syndicat des Techniciens et Travailleurs de la Production Cinématographique et de la Télévision) Historiquement, il y a plusieurs syndicats de producteurs, mais il n’y a que la chambre syndicale qui a signé cette convention collective, il y a un peu plus de cinquante ans. Nous réactualisons régulièrement les salaires. Certains des producteurs qui n’ont pas signé la convention appliquent les barèmes et d’autres comme le S.P.I. (Syndicat des Producteurs Indépendants) ne les appliquent pas. Le problème est que depuis les trente-cinq heures et les directives européennes, cette convention est complètement obsolète. On est dans l’inégalité la plus totale !

 

LEXNEWS : "Est-ce qu’on ne peut pas faire une exception, comme dans certaines corporations professionnelles ?"

 

Jean-François Lepetit : Non, puisque l’accord de branche qui a été signé, a été cassé par le Conseil d’Etat ! Aujourd’hui il faut revoir cette convention, y compris sur la définition des postes.

 

LEXNEWS : "Quel est le problème des intermittents ?"

(Intermittent du spectacle : Statut administratif donné à une personne qui travaille par intermittence (alternance de périodes d’emploi et de chômage) pour des entreprises du spectacle : cinéma, théâtre, télévision, spectacle vivant, etc.)

 

Jean-François Lepetit : Il faut qu’il y ait une définition plus nette de ce qui est de l’intermittence, et de ce qui n’en est pas ! Il y a des dérives depuis quelques années. Dans le cinéma et à la télé, beaucoup de boîtes passent sous statut d’intermittents des gens qui n’en sont pas !

 

LEXNEWS : "Dans le service public par exemple ?"

 

Jean-François Lepetit : Oui, mais même dans le privé ! Si je prends une fille à l’accueil, que je ne la déclare que deux semaines par mois et que le reste du temps, elle continue de travailler en étant payée par les Assedic, je truande ! On est en train de creuser le trou d’un régime particulier qui pour moi doit être réservé à de vrais intermittents. On a le même problème sur les tournages. Je considère par exemple que ceux qui font la bouffe à la cantine, ne sont pas des intermittents. On s’adresse à une boîte qui nous facture ses services de location de matériel etc., et qui nous demande en plus de déclarer leurs employés comme régisseurs. Ce n’est absolument pas notre intérêt de branche si l’on veut préserver ce régime particulier !

L’autre domaine sur lequel on est dans l’illégalité, c’est le temps de travail. On travaille plus de trente-cinq heures sur un tournage. Au-delà de trente-neuf heures, on est censé demandé une autorisation…

Je souhaite que l’on puisse travailler jusqu’à 54 h. Que l’on déclare vraiment le nombre d’heures travaillées. Mais ça veut dire qu’il faut afficher un salaire pour trente-cinq. Évidemment pour trente-cinq heures, c’est moins que pour les trente-neuf actuellement déclarées sur les fiches de paye, puisqu’on ne veut pas augmenter les salaires. C’est le côté patronal…

 

LEXNEWS : "Ce n’est pas contradictoire avec vos aspirations d’étudiant ?"

 

Jean-François Lepetit : Non ! Je préside un syndicat, et il faut assumer notre fonction d’employeur. Et contrairement à certains, comme le S.P.I., on ne refuse pas de négocier avec des syndicats d’ouvriers et de techniciens. Refuser d’élaborer une convention collective, c’est se conduire comme le pire patronat du textile des années trente ! La seule proposition du S.P.I est de baisser les salaires !

 

LEXNEWS : "Les salaires et surtout les paliers des heures supplémentaires de façon à les intégrer dans le salaire actuel. Du coup cela génère une baisse importante !"

 

Jean-François Lepetit : Si on discute dans le détail, et ça c’est impossible à cause de la pesanteur aussi bien des syndicats de techniciens, que du côté patronal. Si on prend les grilles de salaires aujourd’hui, on va dire qu’il y a des gens sous-payés. Je considère personnellement que c’est le cas en régie, parce que ce sont les premiers levés et les derniers couchés. Mais on a aussi le contraire : en maquillage coiffure par exemple. Si vous prenez le salaire d’un mixeur, c’est quasiment scandaleux ! Alors tout le monde veut bien parler des trop petits salaires, mais personne ne veut toucher aux autres. ça ce n’est pas possible !

 

LEXNEWS : "Ces différences viennent souvent d’une représentation syndicale qui n’est pas la même selon les corporations. Les ouvriers, les assistants opérateurs sont très bien défendus. Les régisseurs, les assistants réalisateurs ne le sont pas du tout !"

 

Jean-François Lepetit : C’est très compliqué !

 

LEXNEWS : "Alors pourquoi avoir accepté la présidence du syndicat ?"

 

Jean-François Lepetit : C’est beaucoup plus pour jouer un rôle dans nos rapports avec les pouvoirs publics : le C.N.C. (Centre National du Cinéma), le ministère de la culture, avec les diffuseurs… En tout cas, plus que pour discuter de la convention collective, même si on doit le faire et que ça ne fait pas plaisir.

 

LEXNEWS : "Cela signifie quoi pour vous l’exception culturelle française ?"

 

Jean-François Lepetit : ça signifie que ce qu’on produit n’est pas un bien comme les autres. Je ne crois pas que l’on puisse traiter la culture, même si elle donne lieu à des enjeux économiques importants, comme n’importe quelle marchandise.

 

LEXNEWS : "Donc elle ne se réduit pas à l’hexagone, elle s’applique partout ?"

 

Jean-François Lepetit : Absolument ! Ce n’est pas l’exception culturelle qui est française, c’est la conception du cinéma par les professionnels, qui nous est propre ! Il faut à tout prix que l’on échappe à certaines règles du commerce international, notamment de l’O.M.C (Organisation Mondiale du Commerce). Le marché ne doit pas réguler la culture ! Je n’envisage pas pour autant un système uniquement basé sur la subvention. Le marché doit jouer son rôle, mais tous les mécanismes d’aide et de soutien doivent jouer le leur, qui est correcteur. C’est ce qui nous permet de garder notre capacité à produire dans la diversité. En ce sens, l’avance sur recette est pour moi fondamentale. À contrario, je trouve absurde et aberrant d’aller présenter et surtout obtenir l’avance pour des films qui disposent de toutes les caractéristiques pour se monter sur le marché. Mais obtenir ou pas l’avance ne doit pas être lié au budget du film. La différence n’est pas entre les gros et les petits, mais entre les faciles à monter et les autres. Ce sont ceux-là qui doivent être soutenus !

 

LEXNEWS : "La présidence de la commission de l’avance sur recette ne vous intéresse pas ?"

 

Jean-François Lepetit : Non ! J’ai été vice-président du deuxième collège pendant un an, à la fin du mandat de Frédéric Mitterrand, et c’est un travail considérable. Il faut se taper une cinquantaine de scénarios, or moi j’en reçois trois à quatre cents par an, ici, que je n’arrive pas à lire. Tout ça se fait en plus de mon activité, ce n’est donc pas possible. Je pense que ça doit exister. Il faut qu’il y ait des gens qui s’en occupe, mais je ne veux pas me mettre en première ligne là dessus, je ne peux pas être sur tous les fronts à la fois. Il y a aussi le fait que je crois qu’on ne devrait pas appliquer de critères littéraires à l’avance, et même si les gens s’en défendent, c’est forcément le cas puisqu’on lit. Je sais d’expérience qu’un film ce n’est pas de l’écrit. Juger un projet uniquement à la lecture du scénario n’est pas suffisant. Il faut passer du temps avec l’auteur pour voir ce qu’il y a derrière les mots, et l’avance ne permet pas ça !

 

LEXNEWS : "Quels sont vos projets aujourd’hui ?"

 

Jean-François Lepetit : J’ai déjà annoncé que je ne me représenterais pas à la présidence de la chambre syndicale, parce que je ne veux pas monopoliser le poste. Ça doit tourner, d’autres doivent s’investir. Ça  ne veut pas dire que je ne m’y impliquerai pas, mais j’existe aussi autrement, et j’ai très envie de prendre du plaisir ici avec mon équipe, en faisant des films de cinéma ou de télévision. Et puis j’ai ma vie à côté…

 

LEXNEWS : "Merci beaucoup pour cette interview."

 

Jean-François Lepetit : C’est moi qui vous remercie.

 

Réalisée par Ch.B. pour LEXNEWS.

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