"La Macchinazione"
Interview
David
Grieco
Rome, 05/01/17
Interview EXCLUSIVE
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David Grieco est un talentueux
réalisateur italien (Evilenko 2004) qui a connu dans sa jeunesse
Pier Paolo Pasolini dont il a été l'assistant pour ses films et l'ami
jusqu'à sa disparition tragique. Convaincu que le grand intellectuel
italien pourfendeur de la société de son temps n'est pas mort d'un
simple assassinat crapuleux, il a réalisé un film sensible et engagé, La
Macchinazione, dans lequel il évoque sa vision de cette disparition.
Rencontre avec David Grieco autour de ce film et de son témoignage
personnel.
ous avez connu Pier Paolo Pasolini et
avez travaillé pour lui très tôt dans votre carrière cinématographique.
Quel souvenir gardez-vous de lui ?
David Grieco :
J’ai connu Pasolini alors que j’étais âgé
d’une dizaine d’années. Pasolini fréquentait ma famille notamment mon
père et sa seconde épouse, Lorenza Mazzetti, réalisatrice anglaise.
Alors qu’elle réalisait son premier film sans aucun budget, Pasolini qui
souhaitait entreprendre lui-même Accatone venait souvent à la
maison lui demander conseil. Le lieu était ouvert à un grand nombre de
personnes du cinéma de tous horizons et très tôt on m’a proposé d’être
comédien, ce que j’ai accepté. Je me suis, cependant, vite rendu compte
que je n’étais pas fait pour cela. Lorsque j’ai eu 15-16 ans, Pasolini a
écrit un rôle pour moi dans le film Théorème. Malgré un certain
nombre de réalisations derrière moi, je me sentais toujours gêné, mal à
l’aise devant la caméra. Lors du tournage, j’ai dit à Pasolini que je ne
souhaitais plus être acteur et qu’il fallait qu’il coupe les scènes où
je figurais. Il fut surpris et même s’il fut certainement déçu, il
accepta cependant de supprimer les scènes précédentes, mais me demanda
instamment d’en réaliser encore une dernière qui autrement l’aurait
bloqué dans la réalisation de son film. J’ai alors accepté et j’ai
tourné cette dernière scène, mais je ne veux toujours pas, même encore
aujourd’hui, revoir ce film ! Après cela, j’ai demandé à Pasolini d’être
son assistant sur ce même film et il a accepté.
Je l’ai également déçu à une autre reprise lorsqu’il m’a demandé de
m’occuper de Maria Callas pendant le tournage de Médée. C’était
une tâche très délicate car il appréciait beaucoup cette femme,
peut-être la seule femme qu’il ait vraiment aimée. Il savait que j’étais
un petit voyou des rues mais qu’en même temps j’étais issu d’un milieu
bourgeois et intellectuel. De plus, je parlais plusieurs langues, et
pour lui, j’étais dès lors l’interlocuteur idéal pour m’occuper d’elle.
Au bout de trois semaines, j’ai finalement décidé d’arrêter car Maria
Callas était la diva que l’on connaît et méritait bien sa réputation !
Elle faisait par exemple tomber un objet par terre en me demandant de le
ramasser, m’appelait au beau milieu de la nuit pour me demander une
bouteille d’eau minérale alors qu’elle se trouvait dans le meilleur
hôtel de Rome… Pasolini ne s’est pas fâché mais j’ai bien senti, qu’une
nouvelle fois, il était déçu par mon attitude, et nous ne nous sommes
plus vus pendant un an.
À l’âge de 18 ans, je suis devenu journaliste ; c’est à cette époque que
nous avons repris contact. Nous avions un rapport beaucoup plus adulte,
différent aussi parce qu’il était également journaliste et qu’il aimait
beaucoup ce métier. On parle souvent de Pasolini en tant que poète,
écrivain, réalisateur mais rarement en qualité de journaliste ; or,
c’est une activité qui l’a non seulement beaucoup occupé, mais qui lui a
aussi énormément apporté et qu’il a aimée. Il a fait plus de 800
articles dans sa vie en commençant par la presse clandestine pendant la
guerre. Il a toujours gardé sur lui sa carte de journaliste, qui n’était
pas, certes, la carte professionnelle mais une carte secondaire qu’il
affectionnait tout de même. Pour l’anecdote, elle était encore dans ses
papiers avec lui le jour de sa mort. Pour mener des enquêtes pour ses
articles, il me demandait souvent des sources que je pouvais lui
procurer dans les archives de L’Unita, le journal du PCI pour
lequel je travaillais. J’étais d’ailleurs un peu l’intermédiaire entre
lui et Enrico Berlinguer qu’il appréciait beaucoup. J’avais avec
Pasolini un rapport quotidien très banal fait de conversations lors des
nombreux repas dans les trattorias romaines pris avec Ninetto Davoli,
Franco Citti et bien d’autres encore. Nous étions comme une bande de
gamins en passant nos soirées ensemble, souvent dans la rue, on faisait
les idiots. On ne le sait pas assez mais Pasolini avait un grand sens de
l’humour. Je le considérais comme un ami d’enfance alors même qu’il
avait exactement l’âge de mon père à cette époque !
L’image de Pasolini dans votre
film laisse l’impression de quelqu’un à la fois résolu dans son combat
mené depuis ses jeunes années, et en même temps une certaine érosion,
fatigue, voire découragement ? Est-ce ainsi que vous avez pu le
percevoir dans les derniers mois de sa vie ?
David Grieco :
Le Pasolini que je décris dans
mon film La Macchinazione est celui des quatre derniers mois de
sa vie. À cette époque, je le voyais moins, car il fréquentait Pino
Pelosi. La personnalité de Pasolini durant cette période, un Pasolini
fatigué, usé - et je suis heureux que vous l’ayez souligné - est
effectivement pour moi un élément très important du film. Dans ses
derniers mois, il avait une fièvre, la fièvre d’aller jusqu’au bout, il
avait mis son nez partout, il avait un grand nombre d’informateurs qui
lui donnaient des tuyaux incroyables, mais parallèlement Pasolini était
épuisé car il avait vraiment l’impression que personne ne le comprenait.
Moi-même, avec le recul, je me souviens lui avoir fait le reproche qu’il
était trop pessimiste, que sa vision apocalyptique de la société n’était
pas forcément justifiée. Il n’acceptait pas ces remarques et estimait
que nous ne comprenions pas ce que lui pourtant savait. C’est d’ailleurs
un peu mon chagrin aujourd’hui avec le recul. Il a voulu aller jusqu’au
bout, il savait probablement qu’il risquait sa vie, mais il a pensé
qu’avec sa mort tout exploserait. Malheureusement…
Cet héritage a justifié ce
long-métrage que vous venez de réaliser La Macchinazione. Le
titre indique très clairement le parti que vous avez pris pour expliquer
la mort du célèbre poète, écrivain et cinéaste, allant au-delà d’un
crime crapuleux.
David Grieco :
Oui, bien au-delà. Le film
d’Abel Ferrara qui est sorti en 2014 sur cette même thématique est un
peu la raison d’être de mon propre film. À l’époque, les producteurs
m’avaient proposé de faire le scénario pour le film de Ferrara. Même si
j’étais sceptique quant à l’approche qui y serait retenue, j’ai malgré
tout commencé à travailler sur le scénario et Ferrara m’a indiqué qu’il
ne souhaitait évoquer seulement que le dernier jour de la vie de
Pasolini. J’ai insisté, cependant, qu’il fallait bien néanmoins rappeler
comment et pourquoi il avait été tué, ce à quoi Ferrara m’a répondu : "Je
ne veux pas faire une histoire d’espionnage !" Notre histoire s’est
dès lors arrêtée là, et j’ai quitté cette réalisation. Les semaines qui
ont suivi, je n’arrivais plus à dormir, j’avais pourtant un autre film à
faire à Prague, mais j’ai tout arrêté en me disant que je devais
réaliser ce film en souvenir de Pasolini, les autres personnes ayant
connu Pasolini étant presque toutes mortes. Nous nous sommes très
endettés pour réaliser ce film.
La Macchinazione, un film
réalisé par David Grieco avec Massimo Ranieri, Libero De Rienzo, Matteo
Taranto, François Xavier Demaison et avec Milena Vukotic, Roberto Citran,
Tony Laudadio et Alessandro Sardelli et l’amicale participation de Paolo
Bonacelli, Catrinel Marlon. Scénario de David Grieco et Guido Bulla.
Produit par Marina Marzotto, Alice Buttafava, Dominique Marzotto, Lionel
Guedj, Vincent Brançon. Musique PINK FLOYD. Produit par Propaganda
Italia en association avec Moutfluor Films, MIBACT en coproduction avec
To Be Continued Productions, 2016.
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Des sources très précises sont évoquées
dans votre film qui jettent un éclairage différent sur ce qui est
habituellement présenté.
David Grieco :
50 % des sources m’appartiennent puisque
ce sont des choses que j’ai vécues personnellement lors des derniers
mois précédant sa mort. J’ai également suivi de très près le premier
procès de Pelosi puisque j’en ai écrit le mémoire pour la famille
Pasolini avec pour juge le frère d’Aldo Moro qui sera d’ailleurs
kidnappé et tué deux ans après. Ce juge qui s’appelle Carlo Alfredo Moro
condamne Pelosi à neuf ans de prison pour le meurtre de Pasolini avec
des inconnus. À partir de là, ma conviction était confirmée. Et cela m’a
rappelé une anecdote que j’avais vécue chez Laura Betti en février 1975.
Alors que nous dînions avec elle, elle s’est mise à m’interpeller
vivement en me disant : « Il faut que tu l’arrêtes ! ». Surpris,
je lui ai demandé « Comment cela ? » Elle a poursuivi : « Oui,
il (Pasolini) est fou, il est en train d’écrire un livre sur
Eugenio Cefis, le président de ENI et de Montedison, il ne comprend pas,
ils vont le tuer ! Toi qui es un journaliste professionnel, il faut que
tu l’arrêtes ». Abasourdi, j’ai demandé à Pasolini " Pourquoi ?
Tu as décidé d’écrire un livre sur Eugenio Cefis ? " Il m’a répondu
amusé par métaphore : « Tu sais le pétrole est plus important que
l’eau… », mais il ne m’en a pas dit plus et ne m’a pas laissé entrer
dans ce qui le retenait déjà à cette époque. Les mois qui ont suivi,
j’ai compris qu’il me demandait régulièrement des sources
journalistiques qui m’ont donné une idée de son parcours et de ce qu’il
recherchait. À chaque fois que j’ai essayé d’entrer dans le vif du
sujet, il s’est esquivé. C’était un homme très méfiant, ce qui était
plus que justifié avec, il faut le rappeler, plus d’une trentaine de
procès dans sa vie… Il a vraiment été persécuté tout au long de sa
carrière, ce qui l’incitait à ne faire confiance qu’à un très petit
nombre de personnes dont je faisais partie. Dans les dernières années,
il avait un peu ce syndrome d’être trahi, ce qui a fait qu’il a été
trahi par presque tout le monde. Je ne saurai jamais si c’est lui qui a
en quelque sorte provoqué cela ou si c’était son destin et qu’il le
connaissait en tout état de cause.
Vous citez en exergue de votre
film cette phrase de Pasolini : « Le courage intellectuel de la
vérité et la pratique politique sont deux choses inconciliables en
Italie ». Comment la réouverture de son procès et l’instruction
récente se déroulent-elles dans votre pays récemment secoué
politiquement par la chute du gouvernement Renzi et le non au
référendum?
David Grieco :
J’estime que cette phrase prononcée par
Pasolini il y a plus de 40 ans est toujours valable. On est absolument
dans la même situation, c’est d’ailleurs un phénomène mondial que nous
avions devancé en Italie ! Je pense en effet que ce que Pasolini
affirmait à une époque où certains individus avaient encore une réelle
profondeur et désintéressement personnel est encore plus d’actualité
aujourd’hui. Il m’est arrivé plein de difficultés et d’obstacles avec le
tournage de ce film et qui sont le signe de ce que nous évoquons, j’ai
d’ailleurs du mal à ne pas faire le parallèle dans une moindre mesure en
ce qui me concerne avec ce qu’a pu connaître Pasolini à son époque. Si
je peux citer un exemple, il est évocateur de ces petits tracas que l’on
peut semer sur le chemin d’un réalisateur dénonçant un complot politique
dans son film. 48 heures avant la sortie en salle du film en Italie,
j’ai reçu une interdiction de le voir aux mineurs de moins de 14 ans
alors même que j’ai bien pris soin d’éviter tout ce qui pourrait entrer
dans ce type de censure. J’ai d’ailleurs obtenu depuis la levée de cette
censure. J’aurais plein d’autres exemples de cet ordre à citer…
Peut-on dire de Pasolini qu’il
a lui-même été la victime expiatoire de ce qu’il dénonçait ? Et
avez-vous l’impression que cette image est encore présente dans la
conscience collective italienne ou bien qu’elle a cédé au chant du
relativisme et du consumérisme international ?
David Grieco :
Pasolini a été non seulement
la victime expiatoire de ce qu’il a dénoncé mais il l’a en plus, selon
moi, souhaité. Dans ce film, je montre combien il est allé sur le lieu
du crime en sachant, je pense, ce qui allait survenir. Ceux qui le
connaissaient avaient remarqué avant sa mort combien il pouvait parfois
abandonner une conversation, être très irritable et même laisser
apparaître une peur, ce qu’il ne voulait jamais admettre pour autant. Le
courage était son drapeau. Il était persuadé en agissant ainsi d’abattre
tout le complot qu’il avait démasqué, ce en quoi il s’est trompé. J’ai
souvent eu l’occasion lors de manifestations de constater combien
Pasolini, bien qu’agressé verbalement par des jeunes, était capable
d’engager une conversation avec eux et que ces derniers repartaient en
s’excusant. Il a peut-être pensé pouvoir se rendre sur la plage d’Ostie
et les convaincre.
Je pense que la raison principale et intime est qu’il s’est rendu sur
place à cause de la mort de son frère. Pasolini a clairement annoncé
dans une réponse à un courrier de lecteur que l’exemple de son frère le
mènerait jusqu’à la fin de sa vie. J’ai interprété cela comme une vision
prophétique. Pasolini a toujours mis une certaine distance entre
lui-même et les autres intellectuels. Il a toujours critiqué ces
intellectuels comme des penseurs de salon avec leurs beaux intérieurs et
leur maison protégée, sans qu’ils sachent quoi que ce soit de
l’extérieur et de la rue. Il a eu la même attitude parfois dans le
cercle restreint de ses amis intellectuels. J’ai quelques anecdotes à
l’esprit : par exemple, lorsque nous sortions manger une pizza, il nous
emmenait dix minutes chez Moravia ou Calvino en prétextant une question
à leur poser, mais j’ai vite compris qu’il le faisait exprès car nous
débarquions à l’improviste avec des cheveux très longs, habillés comme
des voyous et nous avions bien remarqué que les personnes présentes
étaient sidérées ; C’était, selon moi, une provocation manifeste. Il
était clair que c’était une manière de se stigmatiser, lui écrivain
bourgeois vivant dans un intérieur confortable et parlant néanmoins de
révolution avec le souvenir de son frère mort au combat. Ce sens de la
culpabilité est essentiel selon moi pour comprendre Pasolini.
Pouvez-vous nous dire vos raisons pour
le choix de la musique des Pink Floyd et plus précisément Atom Heart
Mother qui rythme et donne un fil directeur à votre réalisation ?
Comment avez-vous pu en obtenir les droits ?
David Grieco :
Je travaille habituellement
avec un compositeur italo-américain extraordinaire qui s’appelle Angelo
Badalamenti ("Twin Peaks") qui est un de mes meilleurs amis et
qui a composé la bande sonore de mon film précédent, "Evilenko".
Mais cette fois je voulais faire ce que Pasolini faisait d’habitude,
c’est-à-dire utiliser une musique qui existait déjà. J’ai tout de suite
pensé à "Atom Heart Mother" qui est le disque qui a marqué
davantage mes goûts musicaux quand j’étais jeune. J’ai donc envoyé aux
Pink Floyd une lettre et le scénario du film traduit en anglais.
Tout le monde se foutait de ma gueule, bien évidemment, car ils
l’avaient refusé à l’époque à Stanley Kubrick pour "Orange mécanique".
Mais un mois après les Pink Floyd m’ont permis de l’utiliser en
dépensant un minimum parce qu’ils voulaient soutenir ce film qui raconte
la vérité sur la mort de Pasolini. J’en ai fait donc une sorte de
requiem, et tout d’un coup je me suis aperçu qu’il s’agissait en quelque
sorte d’un véritable requiem.
Cher David Grieco, merci pour ce précieux
témoignage et nous ne pouvons que souhaiter que votre film soit très
bientôt dans les salles françaises !
propos recueillis par Philippe-Emmanuel
Krautter
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reproduction interdite sans autorisation
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Hommage
à Pierre Schoendoerffer,
disparu le 14 mars 2012.
Interview,
Paris, 3 octobre 2006
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BIOGRAPHIE
Pierre Schoendoerffer
– Cet Alsacien, écrivain, auteur et réalisateur de films, est né à
Chamalières, Puy de Dôme, en 1928.
En 1947, il s’embarque comme
matelot sur un cargo suédois, et navigue pendant deux ans en Baltique et en
mer du Nord.
Fin 1951, il s’engage dans le
service cinématographique des armées, et part pour l’Indochine. Il y filme
les combats pendant trois ans, dont la bataille de Dien Bien Phu jusqu’à son
issue, le 7 mai 1954. Prisonnier, il est libéré quatre mois plus tard
après les accords de Genève. Il quitte alors l’armée, et devient
reporter-photographe en Asie du Sud-Est pour différents magazines : Life,
Look, Match…
Il quitte le Viêt-Nam en avril 1955.
Il regagne la France en passant par Hongkong, le Japon, Hawaï et les
Etats-Unis.
C’est à Hongkong qu’il rencontre Joseph
Kessel. De leur amitié naît le premier film qu’il réalise en 1956 –
La Passe du Diable – tourné en Afghanistan sur un scénario de
Kessel, et qui obtient : le Prix de la ville de Berlin.
Par la suite, il alterne les films de
fiction, les documentaires et écrit des livres. Son premier Roman – La
317ème Section – paraît en 1963. Il en fait un
film, qu’il tourne au Cambodge l’année suivante, et qui reçoit le Prix du
meilleur scénario, au Festival de Cannes en 1965.
Plusieurs de ses livres sont portés à
l’écran : L’Adieu au Roi (Couronné par le Prix Interallié),
Le Crabe-Tambour (Grand Prix du roman de l’Académie Française,
Grand Prix du Cinéma Français, 3 César, Prix Fémina Belge), Là-haut.
Il écrit deux films : L’honneur d’un Capitaine (Prix de
l’Académie du Cinéma et Prix Leduc de l’Académie Française), et Dien
Bien Phu.
Il réalise plusieurs documentaires de
long-métrages, dont le plus célèbre – La Section Anderson –
lui apporte une renommée internationale grâce à plusieurs prix de grande
importance : l’Oscar à Los Angeles, et l’International Emy Award en 1968.
Le prix du meilleur documentaire passé sur la BBC, le Prix Italia, le Red
Ribbon Award au festival de film de New-York.
Son dernier livre paraît en 2003 –
L’aile du papillon – (Prix des Sables-d’Olonne, Prix Encre
Marine, Prix Livre et Mer de Concarneau, Prix littéraire de l’Armée de terre
Erwan Bergot, Prix Meursault).
En 1984, le Prix Vauban couronne
l’ensemble de son oeuvre cinématographique et littéraire.
Il est membre de l’Institut : Académie des
Beaux-Arts, depuis 1988. Il en est aujourd’hui le Vice-président. Il
est membre du jury du Prix Interallié depuis 1975, du Haut-conseil de
la mémoire combattante depuis 1997, administrateur du Musée de
l’armée depuis 1990, et Ecrivain de marine depuis 2003.
BIBLIOGRAPHIE
1963 : La 317ème Section (Laffont) – Prix
de l’Académie de Bretagne
1969 : L’Adieu au roi (Grasset) – Prix Interallié
1976 : Le Crabe-Tambour (Grasset) – Grand Prix du
Roman de l’Académie Française
1981 : Là-haut (Grasset)
1992 : Dien Bien Phu 1954-1992 – De la Bataille au film
– album (Laffont)
2003 : L’Aile du Papillon (Grasset) – Prix
Littéraire de l’Armée de terre Erwan Bergot, Prix
Encre de Marine, Prix Meursault, Prix des Sables-d’Olonne, Prix
du Festival Livre et Mer de Concarneau
FILMOGRAPHIE
1956 : La Passe du Diable – Prix Pellman de la Presse, Prix de la ville de Berlin
1958 : Ramuncho – adaptation d’un roman de Pierre
Loti, avec Gaby Morlay, Roger Hanin,
Mijanou Bardot.
1959 : Pêcheur d’Islande – adaptation d’un roman de
Pierre Loti, avec Charles Vanel, Jean-Claude Pascal, Juliette Méniel
1964 : La 317ème Section – tiré de son
roman, avec Bruno Cremer et Jacques Perrin.
Sélection officielle au Festival de Cannes en 1965, il obtient le Prix du
meilleur scénario. Le film est salué par la critique à
sa sortie, qui y voit : « le premier film de guerre Français ». (Michel Courrot, le Nouvel
Observateur, 1/04/1965) : « Ce film a été fait 100 fois,
avec une autre section décimée dans une autre guerre. Il est presque une
spécialité des cinéastes américains. Pourquoi celui-ci est-il un chef
d’oeuvre ? »
1965 : Objectif 500 millions, avec Bruno Cremer et
Marisa Mell.
1966 : La section Anderson – Documentaire
retraçant la vie d’une section américaine
pendant
la guerre du Viêt-Nam. En 1968, il obtient l’Oscar du meilleur documentaire,
l’Intenational Emmy Award, le prix Italia, et d’autres…
1970 :
Documentaire sur le 25ème
Anniversaire de l’ONU.
1973 : 7 jours en mer
1976 : La sentinelle du matin
1977 : Le Crabe-Tambour, adapté de son roman du même
nom, avec Jean Rochefort,
Claude
Rich, Jacques Perrin et Jacques Dufilho. Grand Prix du cinéma français,
trois Césars, Prix Fémina Belge.
1982 : L’honneur d’un Capitaine, avec Nicole Garcia,
Georges Wilson, Charles Denner et
Jacques
Perrin. Prix de l’Académie du cinéma et Prix Leduc de l’Académie française.
1988 : Réminiscences – Documentaire où l’on retrouve
22 ans plus tard, les survivants de la
Section
Anderson.
1992 : Dien Bien Phu, écrit et réalisé par lui-même,
avec Donald Plaisance, Jean-François
Balmer et Ludmilla Michael.
2004 : Là-haut, d’après son roman, et co-adapté avec
son fils Ludovic. Interprété entre autres
par :
Bruno Cremer, Florence Darel, Jacques Perrin et Claude Rich.
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LEXNEWS :
"Quel a été l’élément déclencheur qui vous a poussé dans la voie que vous
vous êtes tracé ?"
Pierre Schoendoerffer :
"Pendant la guerre, j’étais à l’école à Annecy où je
faisais de mauvaises études. Je venais de perdre mon père, et j’étais très
malheureux. Un jour de l’hiver 42/43 j’ai lu un livre, et tout a basculé.
Pour moi ce que je vivais n’était pas la vraie vie. La vraie vie c’était
l’aventure, les grands espaces, et tout ce qui m’emportait dans ce livre.
C’était Fortune Carrée de Joseph Kessel. À partir de ce moment-là, ma
vie a pris un sens : je voulais être marin, voir le reste du monde, et
vérifier que la terre était bien ronde.
Alors tout naturellement, pendant l’été
46, le temps des vacances, j’ai été sur un petit chalutier à voile et à
moteur en Baie de Bourgneuf, près de Pornic. Et c’est sans grande résistance
que l’année suivante, j’ai cédé à l’appel de la mer. J’ai embarqué à
Boulogne sur un cargo suédois, avec lequel j’ai sillonné la Mer du Nord. Une
nuit, le capitaine m’a mis la barre entre les mains, m’a donné un cap, et
est parti se saouler avec le reste de l’équipage. Ils étaient tous ivres
morts, et j’étais seul aux commandes face à l’immensité de la mer ; et là,
il s’est passé quelque chose d’irrémédiable au fond de moi, qui a provoqué
un changement de cap dans ma vie. Je ne désirais plus seulement vivre
l’aventure, je voulais la raconter ! Je voulais renvoyer l’écho d’une
manière ou d’une autre.
Comment me direz-vous ?
Écrire ? Je ne croyais pas à l’époque que
j’étais écrivain. La musique ? Pourquoi pas ? C’est une langue universelle,
mais on ne devient pas musicien à 20 ans. Je n’étais ni peintre, ni
sculpteur, et je me suis dit : « Pourquoi pas le cinéma ? Après tout j’ai vu
beaucoup de films, ça ne doit pas être si difficile que ça ! » Le cinéma est
un regard, et comme j’étais un homme curieux, j’ai pensé que ce serait dans
mes capacités. Et puis il y avait des films qui, sans être des révélateurs
comme les livres, m’avaient touché, m’avaient montré que derrière la face
visible, il y avait une face cachée, et ça, ça m’intéressait beaucoup !
C’était juste après la guerre. Il y avait tous ces films américains que je
consommais plutôt que d’aller au lycée…"
LEXNEWS :
"Donc
à ce moment-là, ce n’est plus l’appel de la mer ?"
Pierre Schoendoerffer :
"L’appel de la mer reste. J’ai fait quelques films sur
la mer : Pêcheur d’Islande, Sept jours en mer, le
Crabe-Tambour, même dans : Là-haut, la mer est présente, mais je
ne suis pas devenu un marin professionnel. Je l’ai été. J’ai été marin
pêcheur, et marin au commerce, mais je ne le suis plus."
LEXNEWS :
"Comment êtes-vous arrivé au cinéma ?"
Pierre Schoendoerffer :
"Le cinéma est un monde autarcique, vous frappez aux
portes, elles restent fermées. J’ai vu Sabbag par exemple, qui était un
personnage de cette télévision qui commençait à naître, et il m’a dit :
« c’est très bien, mais on n’a pas besoin de vous, on en a d’autres ! » Dans
les studios de cinéma, c’était pareil ! Pour pouvoir y entrer, il faut déjà
être dedans. C’est un peu le château de Kafka. Alors j’ai fait de la photo…
Un jour, je lis dans le Figaro un article
de Serge Bromberger, qui raconte la mort d’un sergent Kowal, caméraman, qui
avait été tué en Indochine. Je me suis dit que personne ne voudrait prendre
sa place, et que c’était peut-être une chance. J’apprends que Georges Kowal
était engagé au service cinématographique des armées. Donc je m’engage, et
je me porte volontaire pour l’Indochine…"
LEXNEWS :
"Vous êtes allé en Indochine, pour faire du cinéma ?"
Pierre Schoendoerffer : "Mon point de départ n’était pas de faire la guerre,
mais faire du cinéma ! Il n’y avait pas d’appel particulier de l’uniforme.
J’avais fait mon service militaire fin 49/50, dans l’infanterie alpine à
Chambéry et à Modane, sans enthousiasme. J’ai même été un mauvais soldat,
parce que je trouvais que c’était une perte de temps.
Je suis donc parti en Indochine pour
apprendre mon métier, et bien sûr, j’ai trouvé là-bas beaucoup plus que ma
propre ambition !"
LEXNEWS :
"Vous saviez quand même où vous alliez ?"
Pierre Schoendoerffer :
"C’était pour moi un quitte ou double. Ça c’est vrai !
Soit je revenais et j’étais un des meilleurs ou le meilleur, soit je ne
revenais pas et c’était le destin ! Je m’en remettais à la volonté de Dieu."
LEXNEWS :
"Et vous passez là-bas trois années."
Pierre Schoendoerffer : "Si vous voulez, ma position là-bas était
exceptionnelle. Parce que j’ai partagé avec la troupe : la cigarette, les
rations, la pluie, et les combats. J’ai même été blessé. Et en même temps,
bien que je n’étais que caporal, puis caporal-chef, en tant que caméraman,
j’ai rencontré tous les généraux en chefs qui voulaient être filmés en
certaines occasions, une poignée de ministres qui venaient prendre le pouls
de cette guerre d’Indochine, un empereur et deux rois. (Srisavang Vong,
roi du Laos - Sihanouk, roi du Cambodge - Bao Daï, empereur d’Annam)
Sihanouk et Bao Daï avaient une certaine affection pour moi. Ils aimaient
le cinéma, et je ne les ai d’ailleurs jamais tout à fait perdus de vue. Par
la suite, Sihanouk m’a permis de faire la 317è section, il a presque été un
coproducteur…
Donc j’ai été avec le top, avant de
toucher le fond de la misère humaine. "
LEXNEWS :
"Donc à l’issue de la bataille de Dien Bien Phu, vous êtes fait
prisonnier. Au même titre que vos camarades combattants ?"
Pierre Schoendoerffer :
"Bien sûr, j’étais soldat ! La captivité a duré quatre
mois, mais il y avait une longue route à faire pour arriver aux camps !
Entre 700 et 800 Kms dans la jungle, par les pistes, on n’avait presque rien
à manger. Vraiment on crevait de faim ! Il y avait le paludisme, la
dysenterie, le béribéri… J’ai tout eu, mais j’ai survécu, moi. Les trois
quarts de mes camarades n’en sont pas revenus."
LEXNEWS :
"À votre avis, pourquoi vous, vous avez survécu ?"
Pierre Schoendoerffer :
"Je ne sais pas. Ma constitution, ma nature ? Je ne
voulais pas mourir, j’avais une espèce de soif de vie. Ma mère a eu une
formule quand j’étais prisonnier, et qu’on lui disait tous les dangers que
ça impliquait. Elle a dit : « il a trop de joie en lui pour mourir. » Je
pense que c’était assez juste."
LEXNEWS :
"À l’issue de cette captivité, vous ne rentrez pas tout de suite."
Pierre Schoendoerffer : "Non, je venais de vivre quelque chose
d’extraordinaire, une aventure exceptionnelle, et je me demandais ce que
j’allais retrouver en France : des portes fermées ?! Et puis j’avais besoin
de me remettre, physiquement et moralement. Quand on survit à ses camarades,
on ne prend pas ça facilement, il faut retrouver son rythme. Comme j’aimais
le Vietnam, je suis resté pendant cinq mois. Il restait encore des Français,
ils ne sont partis définitivement qu’en 56. Je me suis fait démobiliser sur
place, et j’ai gagné ma vie en faisant des photos…
Je suis allé dans le Sud, et j’ai
travaillé pour Match, Life, Time Magazine, Look…
J’ai fait des reportages qui m’étaient
commandés, ou qui m’étaient achetés : Sur les premiers boat people qui
quittaient le Tonkin, et qu’on ramassait sur les côtes du nord Vietnam. Sur
leur implantation dans le Sud, sur les plateaux montagnards. Sur Ngô Dinh
Diêm, le nouveau président de la république du sud Vietnam…
À un moment donné, j’ai réalisé que ce
n’était pas au Vietnam que ma carrière de cinéaste se ferait, et qu’il
fallait que je rentre en France. J’avais mon ticket de retour de l’armée par
la voie directe, mais comme mes photos m’avaient permis d’amasser un petit
pécule, que j’avais fait un peu plus de la moitié du tour du monde, j’ai
décidé de l’achever. Je me suis lancé dans une série de sauts de puces,
Hongkong, Taipei, le Japon, les îles Hawaï, les États-Unis que j’ai
traversés en passant par San Francisco…"
LEXNEWS :
"Vous n’êtes pas allé faire un tour à Hollywood ?"
Pierre Schoendoerffer :
"Si ! J’avais des petites clés qui m’ouvraient des
portes. J’ai même été stagiaire pendant 10 jours sur un film, parce que les
gens de Life, qui m’aimaient bien, m’avaient introduit. Mais comme je
n’avais pas de Carte Verte, je n’ai pas pu rester. J’ai même été tenté de
quitter l’Amérique et d’y retourner pour l’obtenir, et puis…
Mais la première escale que j’ai faite,
était Hongkong. Il se trouve que Kessel était là. On me l’a présenté, parce
que j’allais toujours voir les journalistes. Quand vous arrivez dans un pays
que vous ne connaissez pas, c’est une bonne clé d’aller voir les gens de
l’AFP. Ils vous expliquent comment ça se passe. Et j’ai donc passé une nuit
Kesselienne, une nuit de prince ! On a fait tout ce que Kessel pouvait
imaginer de faire, c’est-à-dire boire beaucoup, le cas échéant fumer de
l’opium. Je lui ai déversé tout le trop-plein de cette aventure que j’avais
vécue pendant trois ans en Indochine, et ça l’a fasciné. Il m’a dit : « Il
faudra qu’on se revoie », et on s’est quitté…
À peine arrivé en France, Pathé Journal,
qui connaissait mon travail, m’a demandé de partir pour le Maroc (avec un
très gros contrat – pour une fois je gagnais de l’argent) où régnait une
énorme effervescence. Le Sultan Mohammed V avait été déposé par la France au
profit de Ben Arafat. Les marocains n’étaient pas d’accord et il y avait des
émeutes partout.
15 jours après mon arrivée à Paris, je
suis donc reparti pour Pathé Journal, comme correspondant au Maroc, où j’ai
vécu tous les combats, qui n’étaient pas des vrais combats, mais c’était
comme les préludes de la guerre d’Algérie…
Guerre d’Algérie qui avait déjà commencé
fin 54 !
Et puis j’en ai eu marre, alors j’ai
annoncé à Pathé Journal que je les quittais, et ils m’ont répondu : « Vous
nous quittez ? Et bien vous ne ferez plus jamais de cinéma, parce que nous
sommes très forts ! » Je me rappelle très bien cette phrase, et j’en étais
un peu ébranlé ! Là j’ai sauté sans parachute !
J’ai raconté à Pat (Patricia, son
épouse), que j’avais rencontrée au Maroc et qui travaillait à France
Soir, ma rencontre avec Kessel. Elle me dit : « appelle-le ! » Moi je
n’osais pas. Pour moi, Kessel, c’était un monument historique ! J’ai
finalement cédé et il me répond : « je suis content que tu appelles. Je te
cherche partout parce que je veux faire un film en Afghanistan, et je veux
que ce soit toi qui le fasses ! » C’est donc lui qui m’a mis le pied à
l’étrier, en me faisait faire : La Passe du Diable…
Kessel m’a ressuscité, et Pathé Journal ne
pouvait rien contre ça. "
LEXNEWS :
"c’est en quelle année ?"
Pierre Schoendoerffer : "C’était au moment du Canal de Suez (1956). Du
coup, on nous a demandé poliment de quitter l’Afghanistan, parce que les
relations entre les pays musulmans et la France s’étaient détériorées. Bien
que le roi nous était très favorable, Kessel le connaissant. En attendant
avec Coutard (Raoul Coutard, son chef opérateur dont c’était le premier
film, qui deviendra également celui de Jean-Luc Godard), on est allé
faire un moyen-métrage documentaire au Vietnam : Than le Pêcheur, et
puis on est rentré finir le film. Il y a eu des problèmes de raccords, parce
qu’on ne retrouvait plus les mêmes personnes, et ça, ça a été le talent de
Kessel que de trouver la solution pour faire un film qui est un beau film,
qui a eu le prix Pellman en 58, et l’Ours de la ville de Berlin au Festival
de Berlin."
LEXNEWS :
"Et qui avait été critiqué par Godard !"
Pierre Schoendoerffer : "Sans doute, mais Godard critiquait tout le monde. La
nouvelle vague tirait sur tout ce qui était différent d’eux. Ils avaient
leur petite bande et tiraient sur tout : Carné, Autant-Lara…"
|
LEXNEWS :
"À cette époque-là, on est en pleine guerre d’Algérie. Vous y avez situé
l’action de plusieurs de vos oeuvres, mais vous n’y participez pas, d’une
façon ou d’une autre."
Pierre Schoendoerffer :
"Non, parce que je menais à bien ma propre ambition,
ma carrière de cinéaste. En même temps ce n’est pas tout à fait vrai. J’ai
fait un reportage en 59, pour « Cinq colonnes à la une ». C’est Pierre
Lazareff qui me l’avait demandé…"
LEXNEWS :
"Justement, dans les rencontres qui ont compté pour vous ?
Il y a en premier Joseph Kessel."
Pierre Schoendoerffer : "Ça c’est sûr !"
LEXNEWS :
"Pierre Lazareff."
LEXNEWS :
"Exactement ! C’est une très grande rencontre qui m’a permis de faire ce
reportage sur l’Algérie, et par la suite La Section Anderson."
LEXNEWS :
"Il y a aussi Georges de Beauregard ?"
Pierre Schoendoerffer : "Georges de Beauregard était le producteur de : La
Passe du Diable. Il s’est intéressé à moi, à ce que j’étais, et m’a fait
faire mes films par la suite. La porte c’est donc Kessel, on en revient à
Fortune carrée."
LEXNEWS :
"Ce n’est pas anodin pour un cinéaste de rencontrer un producteur qui
soit capable de produire : Schoendoerffer, et la nouvelle vague en même
temps ?"
Pierre Schoendoerffer : "Non, ce n’est pas anodin. C’était un homme très
cultivé, c’était un aventurier du cinéma ! Il avait une haute opinion de ce
qu’était le cinéma, et de ce qu’il voulait essayer de promouvoir et
d’inspirer. Mais c’était aussi un type qui ne payait pas ! J’ai moins gagné
avec mes films qui ont pourtant très bien marché, qu’avec mes romans. Mais
j’ai fait mes films, c’est important !"
LEXNEWS :
"Il y a quelqu’un qu’on rencontre également à plusieurs reprises dans
votre parcours, c’est Jacques Perrin. C’est juste un comédien, ou c’est un
compagnon de parcours ?"
Pierre Schoendoerffer :
"C’est Beauregard qui me l’a présenté. Il rentrait
d’Italie où il faisait une belle carrière, et il voulait revenir en France.
Il venait de faire un très beau film qui s’appelait : La fille à la
valise. Il souhaitait faire le rôle du Lieutenant Torrens dans la 317ème
section. Quand je l’ai vu, il était un peu poupon, alors je lui ai dit :
« vous savez les soldats c’étaient des loups maigres ». Il m’a demandé :
« vous êtes très très pressé de faire votre choix ? » J’ai répondu : « j’ai
15 jours, 3 semaines devant moi, après ça je pars au Cambodge. Je ne
reviendrai pas, il faudra que les personnages que j’ai choisis viennent me
rejoindre là-bas ». Il m’a juste dit : « laissez-moi deux semaines ». Je
pense que pendant ces 15 jours, il n’a pas mangé. Il n’était pas encore un
loup maigre, mais cet acte de foi, de vouloir au point de revenir amaigri 15
jours plus tard, m’a convaincu. Je me suis dit qu’avec quelqu’un qui a cette
volonté, on pouvait aller au bout du monde ! Et l’on est parti.
Après ça, j’ai fait : Objectif 500
millions. Il n’était pas dans le coup. Puis pendant 11 ans, je n’ai pas
fait de films. J’ai écrit des livres, j’ai fait des documentaires : La
Section Anderson - La Sentinelle du Matin, sur les avions de
chasse – un autre sur le 25e anniversaire de l’ONU… Mais je n’ai
pas fait de films. Parce que mes sujets n’intéressaient personne, et ceux
qu’on me proposait ne m’emballaient pas. Et petit à petit, on m’en a proposé
de moins en moins. 11 ans, c’est une longue période. Je me suis dit que je
ne ferais plus jamais de cinéma, et j’ai écrit : Le Crabe-Tambour. Je
l’ai envoyé à Georges de Beauregard, avec qui j’avais des différents
financiers d’ailleurs. On avait échangé des avocats ! Mais je lui avais
envoyé le livre, parce que je l’aimais bien. C’était un type qui savait
lire, et je voulais lui montrer que je ne mourrais pas de faim, et que je
continuais à faire des choses. Il m’a téléphoné le lendemain en me disant :
« On en fait un film ! »
À ce moment-là, je ne voulais pas Jacques
Perrin, mais quelqu’un d’autre qui m’a claqué dans les doigts. Le tournage
avait déjà commencé sur l’escorteur d’escadre le Jaureguiberry de la Marine
Nationale. En rentrant Beauregard me dit que Perrin veut faire le film."
LEXNEWS :
"Donc c’est plus un désir de sa part, qu’un vrai choix de la vôtre."
Pierre Schoendoerffer :
"Là, oui ! Mais je n’ai pas été du tout mécontent du
choix. Ce n’était pas le personnage tel que je me l’imaginais, mais Perrin
avait le don de l’éternelle jeunesse, et ça c’est quelque chose qui me
touchait beaucoup. "
LEXNEWS :
"Et pour L’Honneur d’un Capitaine ?"
Pierre Schoendoerffer :
"Ça faisait une sorte petite de trilogie, et je
voulais retrouver des images de lui très jeune dans de la 317ème
section. Pour les mêmes raisons, j’avais besoin de lui, et de Cremer,
pour : Là-haut. S’ils m’avaient dit non, je ne faisais pas le film !"
LEXNEWS :
"Pierre Guillaume, vous l’avez rencontré ?"
(Né
en 1925, Pierre Guillaume est un officier de marine très indépendant. Il
fait trois séjours en Indochine qu’il marque de son empreinte. Après la
guerre, il rejoint la France à bord d’une jonque et se fait dépouiller par
une tribu somalienne dont il devient l’hôte. Il s’engage en Algérie pour
remplacer son frère tombé au combat, et est fait officier de la légion
d’honneur à trente-cinq ans. Ses convictions le poussent à participer au
putsch des généraux avec lesquels il sera emprisonné durant six ans… Il
meurt en 2002.) (Pour les curieux, il fait une petite apparition dans le
film « Le Crabe Tambour ». Il joue le rôle de l’avocat de Jacques Perrin
lors de son procès)
Pierre Schoendoerffer :
"Je l’ai rencontré quand il est sorti de prison, parce
que j’étais resté en contact avec Salan. Salan avait été mon patron en
Indochine, et j’avais de l’estime pour lui. Pas pour ses choix politiques.
Je ne suis pas un homme de politique, je suis un homme d’émotions, c’est mon
métier. Je lui avais envoyé mon livre : La 317ème section,
en 1964, avec la photo du premier poste qu’il avait occupé comme lieutenant
sur le Mékong quand il avait 20 ans, et que j’avais retrouvé. Quand ils ont
été amnistiés et libérés, sous Pompidou, je leur ai proposé de leur montrer
mes films."
LEXNEWS :
"Quand vous dites, que vous leur avez proposé…, de qui vous parlez
exactement ?"
Pierre Schoendoerffer : "De tous ceux qui étaient incarcérés à Tulle avec
Salan. C’est-à-dire : Jouhaud, Challe…"
LEXNEWS :
"Zeller ?"
(Le
21 avril 1961, les généraux : Jouhaud, Zeller, Challe, puis Salan, fomentent
un coup d’état à Alger, parce qu’ils s’opposent aux négociations
d’indépendance menées par de Gaulle. Le Putsch échoue rapidement…)
Pierre Schoendoerffer :
"Oui je crois ! Pierre guillaume et quelques autres…"
LEXNEWS :
"Denoix de St Marc ?"
(Commandant Hèlie Denoix de Saint-Marc, commandant par intérim du 1er
Régiment Étranger de Parachutistes, fer de lance du putsch.)
Pierre Schoendoerffer :
"Oui aussi ! Et je leur ai fait une projection. Ils
avaient amené leur femme, ils étaient une vingtaine. J’ai fait ça par
amitié, et c’est là que j’ai rencontré pour la première fois Pierre
Guillaume. Je connaissais le personnage de réputation. C’était un de ces
capitaines légendaires ! Donc on a fait connaissance, et l’on s’est pris de
sympathie. Quand j’ai commencé à écrire mon livre : Le Crabe-Tambour,
je me suis dit qu’il y avait dans son histoire quelque chose qui
m’intéressait. Ce n’est pas sa biographie, c’est mon histoire telle que je
l’ai rêvée, c’est ma Fortune Carrée !"
LEXNEWS :
"D’où vient le titre ?"
Pierre Schoendoerffer :
"J’avais dédié mon deuxième roman : L’Adieu au roi,
à mon fils aîné Frédéric que j’appelais le Petit Prince. J’ai donc dédié
celui-ci à mon fils cadet, Ludovic, parce qu’enfant, il avait un petit
ventre rond sur lequel il tambourinait, et comme il marchait à quatre pattes
et de travers, je l’appelais le crabe. D’où le Crabe-Tambour ! Vous
voyez, c’est quelque chose de tout à fait personnel. Ce n’est pas sa vie, ce
n’est pas la mienne. C’est autre chose. C’est le mystère de la création !
Les personnages de Fortune Carrée n’ont jamais existé, même s’ils ont
été inspirés par les gens que Kessel a croisés. C’est pareil pour moi. C’est
le mélange de tous ceux que j’ai rencontré, qui m’ont impressionné, qui
m’ont inspiré. Vous puisez dans ce qui existe en vous, c’est comme ça qu’on
écrit un roman !"
LEXNEWS :
"Justement vous dites : les personnes qui vous ont impressionné ? Qui
d’autre par exemple ?"
Pierre Schoendoerffer : "Un certain nombre de capitaines et lieutenants que
j’ai connus sur le terrain… Un type comme Bigeard par exemple ! Ou
Bréchignac, qui était le patron du 2e bataillon du 1er
RCP. (Régiment de Chasseurs Parachutistes) C’était un personnage
formidable ! Et d’autres beaucoup moins galonnés, des petits sergents qui
m’ont impressionné par leur manière d’être, d’affronter les dangers de la
vie, et la mort à l’occasion ! En Indochine, j’en ai rencontré
quelques-uns…"
LEXNEWS :
"Le contraire aussi ?"
Pierre Schoendoerffer :
"Beaucoup moins, ou alors j’étais aveugle et je ne les
ai pas vus. Il y avait bien sûr des médiocres, mais ils étaient rares dans
les unités qui allaient au combat, là où on m’envoyait parce que c’est ce
que voulaient les informations. C’était la Légion, les Paras, la Coloniale,
les Tirailleurs Algériens, les Goumiers Marocains…"
LEXNEWS :
"Dans La 317ème Section, Willsdorf est alsacien comme vous, et
c’est un : Malgré-nous…"
Pierre Schoendoerffer : "J’ai connu
des alsaciens qui ont été enrôlés dans la Wehrmacht. C’est un sujet qui
m’intéresse, parce qu’il y a une espèce de schizophrénie chez eux ! Ils
souhaitaient fondamentalement la défaite de l’Allemagne, parce que sans ça
l’Alsace devenait allemande… Mais il faisait tout pour le succès de la
petite unité à laquelle ils appartenaient. D’abord parce que c’était leur
survie, et ensuite parce qu’ils partageaient le sort de leurs compagnons qui
étaient Allemands. Ils faisaient le contraire de ce qu’ils espéraient, et
ça, ça les troublait. On les envoyait surtout sur le front de l’Est, parce
que là-bas, ils ne pouvaient pas déserter, c’était trop dangereux…"
LEXNEWS :
"Toujours dans La 317ème Section, il y a un parti pris dans la
réalisation."
Pierre Schoendoerffer :
"Absolument ! Mon principe était que la caméra soit un
soldat invisible et anonyme, qui ne peut voir que ce qu’un soldat peut
voir ! C’est pour ça que lorsque Cremer s’en va, on ne le voit que de loin
si on le voit, on est pas avec lui, on reste tout le temps dans le groupe. À
un moment donné, je voulais une vue aérienne du dakota qui leur parachute
des vivres, mais là je me suis dit : « Je sors de la section, ce n’est plus
le point de vue subjectif. » Je ne l’ai pas tourné !"
LEXNEWS :
"La tenue du Lieutenant : les gants en cuir, l’usm1, c’était comme ça
là-bas ?"
(US
M1 :Petite carabine légère et compacte, en dotation dans l’armée américaine
pendant la deuxième guerre mondiale, et dont les officiers français auraient
été friands en Indochine)
Pierre Schoendoerffer :
"ça dépend ! Lui c’était un St Cyrien tout neuf ! Il
n’avait pas les gants blancs, parce que c’était fini, mais il sortait de
l’école et c’est une école qui marque. Alors que Willsdorf était un
sous-officier qui en avait vu des vertes et des pas mûres, et qui savait que
la survie impliquait un certain nombre de sacrifices."
|
LEXNEWS :
"Est-ce que Bruno Cremer sait combien il est devenu emblématique du
sous-officier dans l’Armée Française ?"
Pierre Schoendoerffer :
"Oui, et ça l’a agacé ! À juste titre, parce qu’après
le film, on ne lui a plus proposé que des rôles de baroudeurs. Il a dit :
« Non ! Moi je suis un acteur, je ne suis pas que ça ! » Je voulais l’avoir
dans Le Crabe-Tambour, mais il a refusé!"
LEXNEWS :
"Dans quel rôle vous le vouliez ?"
Pierre Schoendoerffer :
Non, je ne vais pas vous le dire parce que c’est une
cuisine interne… Mais par contre, il a tout de suite marché pour Là-haut.
Il avait digéré tout ça, il était devenu Maigret… Il a beaucoup aimé
le film, et pour moi ça a été un grand plaisir de le retrouver. J’ai fait
trois films avec Cremer : La 317ème ;
Objectif 500 millions, où il joue un type qui a fait l’OAS et qui sort
de prison, et évidemment Là-haut. Et avec Perrin, j’en ai fait
quatre.
LEXNEWS :
"Puisque vous parlez de Jacques Perrin, qu’est-ce qui vous a donné envie
d’écrire : L’Honneur d’un Capitaine ?"
Pierre Schoendoerffer : "Je voulais faire un film sur la guerre d’Algérie,
parce qu’on disait un tas de choses que je trouvais simplistes, et en même
temps personne ne voulait se mouiller. C’était encore trop chaud. D’ailleurs
j’ai posé ma main sur des cendres, et il y avait des braises juste en
dessus. Je me suis brûlé ! Je voulais essayer de montrer la complexité de
l’affaire. Je ne voulais pas avoir la fin parce que c’était quelque chose
que je ne savais pas très bien régler au fond de moi-même. Donc j’ai choisi
une année neutre : 1958, en soulevant un certain nombre des questions qui
restent encore sur l’estomac des Français.
Ce n’était pas facile à faire, parce que
je touchais à quelque chose que je n’avais pas vécue. Puisque à cette
époque, j’étais préoccupé par ma propre ambition, ma carrière. En même
temps, c’étaient mes camarades de combat d’Indochine, qui servaient en tant
qu’officiers ou sous-officiers en Algérie, et j’avais un lien très profond
avec eux, avec leurs tourments, leurs inquiétudes, leurs choix difficiles …"
LEXNEWS :
"Votre conseiller militaire sur le film était : Alain Bastien-Thiry.
C’est le fils ?"
(Jean
Bastien-Thiry : Polytechnicien et brillant scientifique de stature
internationale, dont la conscience a été bouleversée par le drame algérien.
Interprétant les revirements du général de Gaulle sur la question algérienne
comme une trahison à l’égard de la nation, il organise contre lui l’attentat
du petit Clamart le 22 août 1962. Le lieutenant-colonel Bastien-Thiry est
condamné à mort, et passé par les armes le 11 mars 1963. C’est la dernière
exécution politique en France.)
Pierre Schoendoerffer :
"Non,
c’est le neveu. Comme je ne voulais pas avoir à expliquer sur le tournage
comment on tient un fusil, j’avais besoin d’un petit Lieutenant qui sortait
de son service militaire. Bastien-Thiry s’est proposé. Il avait une bonne
gueule, j’ai dit ok ! Il a formé une vingtaine de jeunes locaux de
l’Ardèche, et 7 ou 8 comédiens parisiens. On le voit un peu, il joue le
jeune Caron, le fils de Nicole Garcia."
LEXNEWS :
"Pourquoi ne pas avoir pris de vrais soldats ?"
Pierre Schoendoerffer : "L’armée a refusé son concours. Il n’y a pas eu un
soldat ! Au départ ils avaient dit oui, et après ils ont changé d’avis. Le
général qui commandait à ce moment-là l’armée de terre, m’avait fait venir
en me disant : « Tu ne me fais pas ça, c’est une mauvaise action ! » Il me
tutoyait parce qu’on se connaissait depuis l’Indochine. Évidemment j’ai
passé outre, mais le film était presque lancé, on a dû donc former notre
propre petite armée avec Beauregard. Même quand je suis allé à St Cyr, ils
ne voulaient pas que je tourne. Il se trouve qu’à l’entrée de l’école, il y
a le musée qui est ouvert au public et qui n’appartient pas uniquement à
l’armée. C’est donc là que j’ai tourné ! Les St Cyriens étaient furieux de
cette interdiction, alors ils m’ont facilité l’accès au stand de tir. Il y a
un adjudant-chef qui a dit : « je le prends sur moi, même si ça me coûte ma
carrière ! »
LEXNEWS :
"Certainement un fan de Willsdorf ?"
Pierre Schoendoerffer :
"Certainement !"
LEXNEWS :
"Georges Wilson qui joue le Bâtonnier, ça a été une belle rencontre ?"
Pierre Schoendoerffer : "Ah oui ! C’est un homme que j’aime beaucoup. Grand
acteur ! Il y a lui, et puis Charles Denner qui est formidable !"
LEXNEWS :
"Justement, Charles Denner, dans le rôle de l’avocat de la défense,
mentionne L’école de guerre psychologique d’Arzew. Elle a vraiment existé ?"
Pierre Schoendoerffer :
"Oui."
LEXNEWS :
"Et le mémento aussi ? Le livre que Georges Marchal, dans le rôle du
général commandant St Cyr, a dans la poche au procès ?"
Pierre Schoendoerffer :
"Je ne me rappelle plus, mais je n’ai rien inventé.
C’était une école de formation des cadres sur la guerre psychologique. Ces
militaires revenaient pour la plupart d’Indochine. Beaucoup avaient été fait
prisonniers, et subit le travail psychologique des commissaires politiques.
Ils se sont dit qu’il y avait quelque chose à prendre là-dedans…"
LEXNEWS :
"Vous avez tournez où ?"
Pierre Schoendoerffer :
"En Ardèche pour la part algérienne avec des Harkis."
LEXNEWS :
"Le film Dien Bien Phu, c’est un désir de toujours ?"
Pierre Schoendoerffer :
"Non, on me l’a demandé. C’est Kirshner, le
producteur, qui en a eu l’idée. C’est quelque chose qui m’excitait, et en
même temps me faisait très peur. Pour moi, c’était énorme ! On envisageait
de le tourner en Thaïlande ou aux Philippines, et ce sont les Vietnamiens
qui ont demandé que l’on tourne le film au Tonkin. Je pensais évidemment que
ce serait formidable, mais je me méfiais des cocos. Je les connaissais !
On est parti à Hanoï. On a vu des
personnages importants, beaucoup de commissaires politiques, et le général
qui commandait le Tonkin. Je lui ai dit voilà, on va avoir besoin de votre
armée, mais pas uniquement pour jouer le vietminh, aussi pour interpréter
les Vietnamiens qui étaient avec nous, nos camarades de combats. Ceux que
vous appeliez les fantoches. Il m’a répondu : « C’est un mot que nous
n’utilisons plus. » J’ai pris ça comme un début de poignée de main…
Je leur ai également dit que je ne
passerai pas de l’autre côté, je ne passerai pas la frontière de la ligne de
feu. C’est l’histoire vue par un Français. Je ne voulais pas non plus de
personnages historiques, pour ne pas avoir à leur faire dire des choses
qu’ils n’auraient pas dites, parce que je ne suis pas biographe. On ne voit
pas Bigeard par exemple !"
LEXNEWS :
"On en parle pourtant !"
Pierre Schoendoerffer :
"On en parle, mais je ne l’ai pas montré. Je ne
voulais pas qu’on voie de Castres, ni même Cogny. On voit sa voiture,
et l’on entrevoit un képi, mais on ne le voit pas. (Général Cogny,
adjoint du général Navarre, commandant en chef en Indochine. Colonel, puis
général de Castres : Chef du camp retranché de Dien Bien Phu.) Je ne
voulais pas de personnages historiques, je voulais ma liberté. J’ai un
capitaine, qui m’est inspiré d’un capitaine que j’ai connu, et qui a fait à
peu près ce qu’il a fait. J’ai aussi un artilleur qui m’a inspiré."
LEXNEWS :
"Il y a Geneviève de Galard !"
(Geneviève de Galard : Convoyeuse de l’air, engagée en Indochine. Elle sera
la seule femme au milieu de 15 000 soldats pendant la bataille de Dien Bien
Phu, et restera pour eux : « l’Ange de Dien Bien Phu ».)
Pierre Schoendoerffer :
"Oui, et c’est ma fille qui joue le rôle. Quelqu’un
dit juste : « Qui c’est celle-là ! » Et un autre répond : « C’est
Geneviève. »"
LEXNEWS :
"Et votre fils joue votre propre rôle."
Pierre Schoendoerffer :
"Oui."
LEXNEWS :
"Le personnage dans Là-haut, votre dernier film, c’est un peu vous ?"
Pierre Schoendoerffer : "Pas du tout, c’est tiré de mon roman. C’est le
romancier qui écrit, qui s’inspire de ce qu’il connaît un peu, comme chez
Proust, mais ce n’est pas moi. Je mets ma teinte !"
LEXNEWS :
"Je ne crois pas que ce soit désobligeant de dire que vous êtes un
cinéaste et un romancier conradien ? D’ailleurs vous le revendiquez
vous-même ?"
Pierre Schoendoerffer :
"Je me mets à l’ombre de Conrad, qui pour moi est un
des plus grands écrivains de la charnière entre l’avant-dernier et le
dernier siècle."
LEXNEWS :
"Vous avez essayé d’adapter Typhon au cinéma ?"
Pierre Schoendoerffer : "Oui, j’ai fait une adaptation. Le film ne s’est pas
fait."
LEXNEWS :
"Qu’est-ce que vous pensez d’Apocalypse Now ?"
Pierre Schoendoerffer :
"C’est du grand spectacle américain. Beaucoup de
caricatures en poussant le bouchon très loin. Il y a quand même une part de
vérité, mais ce n’est pas le film qui m’a le plus touché sur ce que les
Américains ont fait sur la guerre du Vietnam. Celui qui m’a vraiment
troublé, et même ému profondément, c’est : Deer Hunter - Voyage au
bout de l’enfer ! Un film tout à fait remarquable. C’est-à-dire : On
prend des jeunes gens ; Ils sont broyés par la guerre ; On ouvre la main, et
qu’est-ce qui reste : un invalide physique, un invalide moral qui se
suicide, et un homme qui en sort grandi. ça m’a semblé très juste. En dehors
du fait que le film est très bien fait, c’est vraiment du très beau
travail…"
LEXNEWS :
"Pour conclure. Quel regard portez-vous sur les évènements que vous avez
traversés, et qu’est-ce que vous inspire le monde d’aujourd’hui ?"
Pierre Schoendoerffer : "On a gagné la guerre contre le nazisme. Quelque soit
la part qu’ait pris la France, on en a pris une part ! Les abominations du
communisme se sont effondrées, mais elles ont été remplacées par d’autres,
d’une certaine façon. Donc il y a tout une part de moi, la part raisonnable
qui est très pessimiste, et tout une part de moi, qui est la part
émotionnelle, parce que j’ai des enfants et des petits-enfants, qui veut
être optimiste. Qui pense que la vie de l’homme ne peut pas se terminer par
un abominable gâchis sur cette terre. C’est comme la foi dont parlait St
Augustin, parfois on l’a et parfois on la perd. Il y a des moments où j’ai
peu d’espoir, et d’autres ou je me dis : « Non. Il faut y croire ! »
LEXNEWS :
"De ces valeurs qui sont les vôtres, qu’est-ce que vous avez essayé de
transmettre à vos enfants ?"
Pierre Schoendoerffer :
"Je n’ai fait que transmettre ce que j’avais reçu. Je
n’ai rien inventé, elles appartiennent à la nature humaine. On me reproche
toujours de parler d’honneur. Qu’est-ce que ça veut dire : l’honneur ? On ne
sait peut-être pas ce que c’est, mais le déshonneur, tout le monde connaît,
même le voyou sait quand il s’est déshonoré. On parle de justice. Qu’est-ce
que la justice ? Une quête. On la cherche, on ne la trouve peut-être pas,
mais on sait très bien ce qu’est l’injustice, en tout cas on la ressent. Le
courage ? Ce n’est pas d’être soldat, de tirer sur quelqu’un et de se faire
tirer dessus. Là aussi c’est quelque chose de…, mais la lâcheté, on sait
très bien ce que c’est ! On sait toujours très bien ce qu’est la valeur, par
son contraire ! "
LEXNEWS :
"Merci pour cette interview."
Pierre Schoendoerffer :
"C’est moi qui vous remercie."
Interview
réalisée par Christophe Barbier
© Interview exclusive Lexnews
Tous droits réservés
reproduction interdite
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Interview de
Jean-François LEPETIT
Paris,
11 décembre 2006
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Jean-François Lepetit est un producteur indépendant depuis 1983. Il a
produit des metteurs en scène aussi prestigieux et différents que : Serreau,
Pialat, Schoendoerffer, Polanski, Breillat, mais également des premiers
films. Il a su préserver au sein de sa société, Flach Film, un côté
artisanal, garant selon lui de qualité et d’indépendance. Il s’est essayé à
tout : du film intimiste Franco-Français, à la grosse production
internationale. Auréolé de succès qui comptent parmi les plus spectaculaires
du cinéma Français, comme « Trois Hommes et un Couffin » (12 millions de
spectateurs), il a également essuyé de cuisants revers de médailles. Homme
de conviction, il est à l’origine du documentaire très corrosif « Le Monde
selon Bush ». Il est aujourd’hui, alors que la culture donne lieu à des
enjeux économiques et politiques importants, Président de la chambre
syndicale des producteurs.
LEXNEWS : "Vous
êtes originaire de Bordeaux. Vous y avez fait vos études, et à l’âge de 15
ans vous y avez fondé un ciné-club, c’est vrai ?"
Jean-François Lepetit :
Oui. Au lycée, en 4ème ou 3ème, j’ai découvert assez
tôt le cinéma grâce à des profs, et j’ai été assez actif dans l’animation du
ciné-club : La sélection des films, l’organisation des débats… Je
fréquentais les « U.F.O.L.E.I.S » (Union Française des Oeuvres
Laïques d’Education par l’Image et le Son), j’allais aux journées
cinématographiques de Poitiers qui n’existent plus, mais c’était un truc
très important où l’on découvrait un pays à travers sa cinématographie. On
voyait des films du Québec, des Pays de l’Est, d’Italie… Donc j’ai toujours
été très actif, mais du côté culturel !
LEXNEWS :
"Vous dites
que ce sont vos profs qui vous ont donné le goût du cinéma. Çela ne vient-il
pas de vos parents ?"
Jean-François Lepetit :
Non, je suis d’un milieu très modeste. Mon père était assez ouvert, mais
autodidacte. Il lisait beaucoup, mais ce sont surtout les profs et les
copains. J’ai eu des profs très sympas, qui m’ont initié à plein de choses :
Comment éditer un journal, m’occuper du ciné-club, du caméra-club… Tout ça a été
très important pour moi, parce que je n’aurais pas supporté le milieu
scolaire autrement !
LEXNEWS :
"Vous faites
un bac littéraire et des études de sociologie. Pourquoi pas des études de
cinéma ?"
Jean-François Lepetit :
Je savais très bien ce que je ne voulais pas faire, mais pour le reste, ce
n’était pas très clair ! Probablement que socio était un moyen de reculer
l’échéance, parce c’était un truc qui ne préparait à rien … ou à tout ! Et
puis comme j’étais assez engagé politiquement, la socio me passionnait.
LEXNEWS :
"Quel genre
d’engagement politique ?"
Jean-François Lepetit :
C’était juste après 68…
LEXNEWS :
"Vous aviez
des revendications ?"
Jean-François Lepetit :
Socio : on étudie la vie… Nous, on voulait la changer !
LEXNEWS : "Après
vos études, vous êtes monté à Paris et vous avez travaillé dans la
distribution, notamment pour la Twenty Century Fox. Comment passe-t-on de
l’animation d’un ciné-club au lycée à la distribution dans une major ?"
Jean-François Lepetit :
En fait, j’ai d’abord été salarié de la ligue française de l’enseignement,
où j’étais responsable de la cinémathèque régionale d’Aquitaine. Je
m’occupais de tous les contacts avec les établissements scolaires et les
associations dans les villages, parce que j’animais les ciné-clubs.
J’organisais pas mal de manifestations, y compris en milieu rural pour que
les salles ne ferment pas, ce qui m’a permis de mettre en avant la fonction
sociale de la salle de cinéma dans les villages… En faisant ce boulot, j’ai
fait venir de Paris des metteurs en scène, des acteurs. Je me souviens avoir
présenté les premiers films de Laurent Heynemann (1979 : La Mort au Dents
– 1981 : Il faut tuer Birgit Haas), de Colin Serreau (1977 : Pourquoi
pas ? (Prix Georges Sadoul) - 1978 : Mais qu’est-ce qu’elles veulent ?)… Donc, j’étais devenu assez copain
avec les gens de la S.R.F. (Société des Réalisateurs de Films), et
même si je n’étais qu’un petit animateur dans le sud-ouest, je me suis fait
quelques relations, y compris dans les circuits commerciaux. J’ai participé
par exemple à la promotion du film : « L’Histoire d’Adrien » de
Jean-Pierre Denis distribué par la Gaumont (1980), parce qu’ils
voulaient mobiliser les réseaux de cinéphiles… C’est donc grâce à tous ces
contacts que j’ai finalement débarqué à Paris. Si vous voulez, je suis un
amateur de cinéma qui est venu à la production, à l’aspect commercial, un
peu comme quelqu’un qui aime la bonne bouffe, et qui un jour va voir dans
les cuisines comment on la prépare !
LEXNEWS :
"Finalement
en 1983 vous créez Flach Film. D’où vient le nom ?"
Jean-François Lepetit :
On était trois copains : Pascal Hommais, Henri Deleuse dont le deuxième
prénom était Adrien, et moi-même. François, Lepetit, Adrien. Le « c »,
c’était : cinéma, et « h », d’Hommais.
LEXNEWS :
"Comment
cela a-t-il commencé ?"
Jean-François Lepetit :
D’abord, moi j’ai eu envie de faire les films que j’ai eu envie de voir ! Je
suis devenu producteur, alors que je n’avais pas d’argent. Le tout premier
film que j’ai monté : « la vie de famille » de Doillon, était un
téléfilm détourné, parce qu’il y avait un vide juridique dont j’ai profité.
Je n’étais pas certain d’y arriver, mais je l’ai proposé à la Fox pour qui
j’avais travaillé, et ils l’ont pris en distribution pour m’aider, et ça a
marché.
Du coup la même année, j’ai fait
« Dust » de Marion Hansel, une amie belge qui avait adapté un roman
de Coetzee, avec Jane Birkin et Trevor Howard. Je suis rentré en co-pro à
l’esbroufe, en disant à FR3 que j’étais encore distribué par la Twenty
Century Fox. Ça faisait chic, et j’ai réussi à monter ces deux petits trucs…
LEXNEWS :
"À cette
époque-là, le cinéma français ne se porte pas très bien. La plupart des
productions se font sur le même schéma, on prend des vedettes…"
Jean-François Lepetit :
Oui, on est plutôt dans le star-system !
LEXNEWS :
"Vous, vous
montez un film avec peu d’argent, avec des acteurs connus, mais aucun n’est
au box-office. Qu’est-ce qui vous passe par la tête ?"
Jean-François Lepetit :
Coline est venue me voir en me disant : « J’ai un téléfilm à faire avec
la 2. J’ai appelé ça : « 3 hommes et un couffin », mais c’est un titre
provisoire. » Elle n’avait écrit que trois pages, et ça racontait
l’histoire de trois mecs qui se retrouvaient avec un bébé sur les bras. Elle
espérait que je fasse comme pour Doillon, parce qu’elle voulait tourner en
35mm ou en Super 16 de façon à pouvoir présenter le film dans les festivals,
pour qu’il existe en tant que film. On a donc commencé à travailler. Elle
est partie écrire le scénario, et la chance que j’ai eue, c’est qu’au moment
où on allait signer un contrat de téléfilm avec la 2, le patron de la chaîne
se fasse virer ! C’était Pierre Desgraupe. Son remplaçant a fait ce qu’ils
font tous dans ce cas-là, il a abandonné tous les projets initiés par le
prédécesseur. Du coup je me suis retrouvé le bec dans l’eau, et j’ai décidé
de le produire pour le cinéma, c’est-à-dire monter un casting, trouver un
distributeur, demander l’avance sur recette etc, mais Coline me dit : « On
n’aura jamais l’avance sur recette ! ». Je lui demande pourquoi, et elle
m’explique que l’avance était présidée par un producteur qui s’appelait
Adolphe Viedzi, et la S.R.F (Société des Réalisateurs de Films) dont
Coline était la présidente, attaquait le C.N.C (Centre National du
Cinéma, dont dépend la commission d’avance sur recette) et le ministère
de la culture, parce qu’ils trouvaient scandaleux que la commission soit
présidée par un producteur. Ils pensaient que l’avance était attribuée à des
films commerciaux et pas à des films d’auteurs. Je ne me suis pas démonté,
je suis allé voir Viedzi, et je lui ai dit que je développais un projet avec
Coline Serreau, mais qu’elle était persuadée que c’était peine perdue. Il me
répond : « Vous êtes malade, si vous me soumettez un projet de Coline
Serreau, je ferai tout pour qu’elle obtienne l’avance, parce que j’en ai ras
le bol qu’on m’accuse à tort de ne donner l’avance qu’à des films
commerciaux ! »
Ce qui est très curieux, c’est
que croyant soutenir un film d’auteur, ils ont soutenu le film le plus
commercial de l’histoire de l’avance, puisqu’il a fait 12 ou 13 millions
d’entrées.
Quand j’ai raconté l’histoire à
Bonnel qui prenait la direction du cinéma à Canal + qui venait de se monter,
il m’a suivi. Et à TF1, chaîne publique à l’époque, je connaissais un peu
Larrieu qui m’a dit ok;
Voilà, ça a démarré comme ça !
LEXNEWS :
"Le casting
a été facile ?"
Jean-François Lepetit :
Oh non ! Il a été très très dur à monter ! Quand Coline m’a fait lire les
trois pages, elle m’a dit : « J’ai Boujenah, il faut trouver les deux
autres ! » Elle avait aussi Bedos qui était intéressé, mais comme le
montage financier ne s’est pas fait si facilement et que je galèrais un peu,
il a commencé à hésiter. Finalement il nous a quitté. Il avait d’autres
propositions, notamment Les Tréteaux de France. Moi, je n’avais pas
de dates, je ne pouvais pas le bloquer indéfiniment. On en a reparlé des
années après avec Guy…
Coline avait également très envie
d’Auteuil. Il n’était pas contre, mais il commençait à grimper. Il faisait
partie des valeurs sûres chez Artmédia…
LEXNEWS : "Pourtant
la carrière de Daniel Auteuil a fait un bon avec Jean de Florette. Avant il
était encore accessible !"
Jean-François Lepetit :
Oui, mais justement, Berry préparait Jean de Florette, et Auteuil faisait
partie des candidats possibles ! Donc, entre un film produit par un inconnu,
écrit par Coline Serreau qui avait la réputation d’être une militante
féministe et dont les films précédents n’avaient pas fait beaucoup
d’entrées… Quand Berry a proposé le rôle à Daniel, chez Artmédia, ils n’ont
pas hésité une seconde…
LEXNEWS :
"Vous avez
donc continué à chercher ?"
Jean-François Lepetit :
Oui, tous les comédiens en âge de tourner l’ont refusé : Richard Berry,
Christophe Malavoy, Richard Anconina… Ils ont tous eu le scénario à un
moment et n’ont pas voulu le faire pour plein de raisons. Certains parce
qu’ils estimaient qu’ils étaient trop connus, et qu’il leur fallait un rôle
plus important, d’autres n’ont pas accroché… Ce qui est vrai, c’est que
personne n’a vu venir le film !
LEXNEWS :
"Un petit
film avec un gros succès !"
Jean-François Lepetit :
Contrairement à ce qu’on dit, ce n’était pas tout à fait un petit budget. On
l’avait budgété à 8 millions de francs, et le budget moyen il y a 20 ans
tournait autour de 9 ou 10. Finalement, on l’a bouclé à 9,4 parce qu’il y a
eu des dépassements, mais ce n’était pas un budget marginal.
LEXNEWS : "Le
succès est inespéré ! Vous obtenez deux Césars (Scénario & film), le
Grand Prix de l’Académie du Cinéma, et les 12 millions d’entrées
émoustillent Disney qui fait un remake, dont vous serez le producteur
exécutif. Comment cela s’est-il passé ? Qu’est-ce qu'un producteur
exécutif ?"
Jean-François Lepetit :
Je ne voulais pas céder les droits « flat », je voulais rester « involved »
(Anglais - Flat : sans autres contreparties ; Involved : impliqué).
LEXNEWS :
"Avoir un
regard artistique ?"
Jean-François Lepetit :
Oui, en même temps j’avais bien conscience qu’ils faisaient un film pour le
marché domestique, et qu’ils étaient probablement mieux placés que moi pour
savoir ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. L’autre raison est qu’en
étant producteur du film, on pouvait espérer avoir des revenus liés à un
pourcentage sur l’exploitation plutôt que de se contenter même d’un très
gros chèque, et après plus rien. Le remake s’appelait « Three men and a
baby » (1987, réalisé par Léonard Nimoy, avec Tom Selleck, Steve
Guttenberg, Ted Danson). On a même fait la suite qu’on a tourné à
Londres, et qui était très mauvaise (1990 : « Three men and the little
lady »). J’ai retravaillé avec Disney en 1991 puisqu’ils ont fait un
remake « Du grand chemin » (« Paradise » avec Mélanie Griffith et
Don Johnson).
LEXNEWS : "En
1986, vous produisez : « L’Été en pente en douce », de Gérard
Krawzcyk."
Jean-François Lepetit :
J’étais assez déçu parce qu’on n’avait pas passé la barre du million, 900
000 entrées France, alors que pour moi c’était un film très fort, avec un
casting remarquable. On avait curieusement été totalement ignoré aux Césars,
et le film a été redécouvert à la télé sur Canal et après plusieurs passages
hertziens. Je pense que c’est un des meilleurs films de Gérard Krawzcyk !
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LEXNEWS : "L’année
suivante vous produisez : « Le grand chemin » de Jean Loup Hubert."
Jean-François Lepetit :
C’était la même année !
LEXNEWS :
"Si c’était
la même année, c’était également la même année aux Césars, où « Le grand
chemin » en a raflé 3 ! (Meilleur film - Meilleur acteur :
R.Bohringer - Meilleure actrice : Anémone) C’est peut-être pour ça que
« L’Été en pente douce » a été oublié ?"
Jean-François Lepetit :
Non, parce que « L’Été » n’avait même pas été parmi les nominés. Il y
avait eu un barrage dès le départ.
LEXNEWS : "La
même année, vous co-produisez : « Sous le soleil de Satan », de
Maurice Pialat (Palme d’or à cannes en 1987). Pialat avait la
réputation d’être la bête noire des producteurs à cause de son mode de
fonctionnement, son non-respect du plan de travail, ses retards sur le
plateau… Comment cela s’est-il passé ?"
Jean-François Lepetit :
En réalité, je n’ai eu des contacts avec Pialat que bien après le film.
C’est Toscan qui était venu me voir. (Daniel Toscan du Plantier
1941-2003. Figure emblématique du cinéma français : Producteur, Président de
l’Académie des Césars, Président d’Unifrance pour la promotion et la
distribution des films français à l’étranger). Il venait de se faire
virer de la Gaumont dont il avait été le patron, et moi je roulais sur
l’or. Je l’aimais vraiment beaucoup, même s’il avait un côté courtisan et
cire-pompes du pouvoir qui m’énervait un peu…
LEXNEWS :
"Ce n’est
pas nécessaire dans votre métier ?"
Jean-François Lepetit :
Si, peut-être, mais je considère que ce n’est pas indispensable !
Quoi qu’il en soit, bien que la
Gaumont le suive, il n’arrivait pas à monter le film. Moi j’avais beaucoup
de fonds de soutien, et puis j’aimais beaucoup Pialat. J’avais adoré « À
nos amours » (Comédie dramatique de 1983, avec Sandrine Bonnaire).
J’ai dit oui à Daniel, alors qu’en réalité je n’aimais pas le scénario.
J’ai produit à hauteur de 40%, la Gaumont en a fait autant, et Daniel a mis
le reste en faisant le travail de producteur.
Je n’ai jamais été sur le
plateau, et je n’ai rencontré Pialat que plus tard. On a sympathisé, et il
m’aimait bien, non pas parce que je l’avais produit, mais parce qu’il avait
trouvé très courageux que je produise : « Le Brasier », et il aimait
beaucoup ce film.
LEXNEWS : "Donc
justement, tous ces succès vous assoient dans votre fauteuil de producteur,
et vous vous lancez en 1991 dans la production du film : « Le brasier »,
d’Eric Barbier. C’est un 1er film, et à l’époque c’est une des
plus grosse production française."
Jean-François Lepetit :
Oui, ça faisait partie des productions les plus chères, mais surtout la plus
grosse jamais faite pour un premier film.
LEXNEWS :
"Qu’est-ce
qui vous a emballé dans ce projet, parce que vous vous êtes un peu
emballé !"
Jean-François Lepetit :
Mmouai ! D’abord, le budget pour moi c’est secondaire ! Au
départ il y a l’envie de faire exister un film, sur le scénario ou même
juste une idée ! Après, ce qu’il faut pour le faire, c’est important, mais
ce n’est pas mon critère de choix ! Ensuite, j’essaie de voir avec le
metteur en scène, le plancher sous lequel on n’aura pas les moyens de nos
ambitions. Alors évidemment, il arrive qu’après on se rende compte que ça
coûte très très cher, et on se laisse embarquer parce qu’on y croit, parce
que le désir est là, et aussi parce qu’on vient de faire plein de succès et
qu’on se dit que tout va bien… Et puis voilà !
J’ai perdu beaucoup. La société a
perdu presque 26 millions de francs à l’époque, et l’on a mis des années à
s’en remettre, mais franchement je ne regrette pas ce film. Peut-être
qu’avec le recul, je me dis que Barbier est un metteur en scène génial, mais
pas forcément un bon scénariste. On a dû faire des erreurs… Quand on fait un
film si cher, il faut savoir s’adapter. C’est un peu comme un éditeur. Je ne
peux pas faire un Breillat à 90 millions de francs, c’est comme une édition
réduite, parce que ça s’adresse à un public restreint, et donc en termes
d’économie et de production, il faut que ce soit cohérent. Mais bon, « Le
brasier » reste une expérience fabuleuse !
C’est comme un boxeur qui
démarre. Il monte sur le ring et il gagne tous ses combats par chaos au
deuxième round. Là c’est l’inverse ! Après ça été dur, parce que je m’étais
beaucoup impliqué dans ce projet, et je n’avais rien développé d’autre. ça a
été un peu compliqué à gérer…
Qu’est-ce que le courage ou la
témérité ? Si vous réussissez quelque chose de très difficile, on va vous
dire que vous êtes très courageux ! Si vous vous plantez, on va vous dire
que vous êtes inconscient ! C’est la relativité des choses !
LEXNEWS :
"Toscan du
Plantier a dit de vous après cet échec : « Désormais c’est un vrai
producteur ! »"
Jean-François Lepetit :
Il n’a pas tort. C’est dans la difficulté qu’on se réalise ! Si vous
traversez l’Atlantique à la voile, que la mer est calme et que les vents
vous sont favorables, vous ne savez pas si vous êtes un bon skippeur. Si
vous essuyez plusieurs grosses tempêtes et que vous arrivez à bon port, vous
pouvez vous dire : « Bon ok, là je me démerde ! ».
LEXNEWS : "En
1992 vous avez co-produit : « Dien Bien Phu ».
C’est encore
un service, ou c’est pour l’univers de Pierre Schoendoerffer ?"
Jean-François Lepetit :
J’aimais bien Schoendoerffer que je connaissais. Il a une image pour moi
totalement fausse de facho, parce qu’il a fait des films de guerre, et qu’il
s’est engagé dans l’armée… Pierre, c’est un humaniste. C’est quelqu’un qui a
des principes. J’aimais beaucoup le personnage !
La raison pour laquelle je suis
rentré sur « Dien Bien Phu » est un peu complexe, c’est de la cuisine
interne, mais en gros, les banquiers ne voulaient pas suivre Kirshner (Producteur
du film), sauf si un autre professionnel du secteur cautionnait le
projet. Et c’est mon banquier qui était aussi celui de Kirshner, qui me l’a
demandé.
LEXNEWS :
"Ça fait ça
un banquier ?"
Jean-François Lepetit :
Bah oui, ils étaient mal, et du coup ça a coupé l’herbe sous le pied des
autres.
LEXNEWS :
"En 1995,
vous vous lancez dans une production d’envergure internationale : « La
jeune fille et la mort » de Roman Polanski avec Sigourney Weaver &Ben
Kingsley. C’est le désir d’aller au-delà du cinéma français ?"
Jean-François Lepetit :
J’ai toujours été assez éclectique, et même si j’ai produit des films que
l’on peut considérer franco-français, je me suis toujours intéressé aux
co-pros européennes. Je n’ai jamais eu envie de faire des co-pros pudding,
dans lesquelles on met tout et n’importe quoi et qui finalement n’ont pas de
couleur et sont vides de sens. Là c’était différent ! Quand on m’a proposé
le projet, il y avait déjà des Anglais, des Italiens… Roman voulait tourner
ici à paris. On a construit tous les décors aux studios de Boulogne qui
n’existent plus. Roman m’intéressait, le thème m’intéressait, c’était
l’adaptation d’un bouquin de Dorfmann, une pièce de théâtre (Ariel
Dorfman). Il m’est arrivé de faire beaucoup de co-pro par la suite…
LEXNEWS : "Souvent
avec l’Allemagne, l’Italie…"
Jean-François Lepetit :
Oui, parce que je les ai souvent trouvés à mes côtés pour m’aider sur des
films français, et du coup j’ai renvoyé plusieurs fois l’ascenseur…
LEXNEWS : "Vous
avez aussi produit des films réalisés par des acteurs :
(1996 :
Marie et le Magicien de Klaus Maria Brandauer)
(1996 : Les
caprices d’un fleuve de Bernard Giraudeau)
(1997 : Tonka de Jean-Hugues
Anglade)
Vous l’avez
fait par amitié ? Ce sont les sujets qui vous ont emballé ? Il y a un regard
particulier qui vous intéresse chez un comédien qui a envie de passer
derrière la caméra ? "
Jean-François Lepetit :
C’est tout ça ! Bien que ce soit différent pour Anglade et Giraudeau avec
qui j’avais une certaine proximité, alors que je ne connaissais pas
personnellement Klaus Maria Brandauer. Les Allemands m’avaient aidé sur « Les
Caprices d’un fleuve », ils m’ont proposé différents projets, et j’ai
choisi celui-là.
Les comédiens passent beaucoup de
temps sur les plateaux, alors quand ils veulent passer derrière la caméra,
en principe c’est plus rassurant qu’un premier film de quelqu’un qui n’a
jamais rien fait. Et puis, ils ont souvent un point de vue qui me semble
intéressant…
LEXNEWS : "Il
y a des mauvaises langues qui disent, que depuis quelque temps vous ne
produisez plus que Catherine Breillat."
(1999 - Romance)
(2001 - A ma
soeur)
(2002 - Sex is
comedy)
(2004 - Anatomie de l’enfer)
(2007 – La vieille maîtresse)
Jean-François Lepetit :
Ce n’est pas tout à fait vrai, j’ai aussi produit le premier film d’Abdel
Kechiche ! (2000 – « La faute à Voltaire » d’Abdellatif Kechiche). Je
trouvais le cinéma de Breillat vraiment intéressant, et une amie commune,
Victor Laslo, m’a donné le scénario de « Romance » en me disant : « tu
devrais la rencontrer ». J’ai lu le scénario qui m’est tombé des mains.
Je ne comprenais absolument pas ce qu’elle voulait raconter. En revanche, je
savais qu’elle voulait adapter : « une vieille maîtresse » (Roman
de Barbey d’Aurevilly, publié en 1851). Je suis donc allé voir Catherine
en lui parlant du livre, et elle ne m’a parlé que de « Romance ». Je
lui ai annoncé que je ne voyais pas du tout le film, et au bout de trois
heures de discussions, d’explications, elle me décrivait visuellement des
scènes, elle m’a convaincu. Je lui ai alors dit que je produisais « Romance »,
mais qu’après on faisait « une vieille maîtresse », elle m’a
répondu : « D’accord ! » Et en réalité, il fallait qu’elle aille au
fond de ses obsessions, ce que j’ai compris en la fréquentant, et il lui a
fallu tous ces films avant d’être prête. Le summum, si je puis dire, est « Anatomie
de l’enfer », où elle m’a dit : « là, je touche le fond ! »
Toutefois, ce qu’elle raconte me semble intéressant et passionnant, même
s’il y a une certaine dichotomie entre son cinéma et elle. Elle a beaucoup
d’humour, qu’il n’y en a pas dans ses films. Je ne partage pas à 100% tous ses
points de vue sur la vie, j’ai même quelques fois beaucoup de mal à me
retrouver dans ses films, mais c’est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup de
respect. Trop de personnes parlent de son cinéma, sans l’avoir vu.
LEXNEWS :
"Ça se passe
comment entre le producteur que vous êtes, et les auteurs ou réalisateurs
avec qui vous travaillez ? Vous intervenez dans l’écriture ?"
Jean-François Lepetit :
Les attentes ne sont pas les mêmes suivant les personnes. Mon rôle consiste
à réunir les conditions pour qu’un projet existe. Je ne parle pas uniquement
d’argent. C’est aussi mobiliser des énergies, et parfois pousser un auteur,
un metteur en scène dans ses retranchements, ne pas en rester à l’apparence.
L’amener à s’expliquer, être une sorte de miroir pour lui renvoyer des
choses pour bien comprendre l’univers du scénario et du film qu’il veut
faire. C’est donc un travail assez long, et ça dépend dans quel état arrive
un projet.
Bernard (Giraudeau) est
venu me voir avec une idée, il voulait raconter l’exode du Marquis de Flers
(« Les Caprices d’un fleuve »), il n’avait rien écrit. Il m’a dit :
« Tu crois qu’on peut le faire en français ? Je pense que ça va coûter
assez cher ! Il va falloir le faire en anglais avec des acteurs anglais ! »
En réalité, plus je le faisais parler, plus il m’expliquait qu’il se
taillait un rôle sur mesure. « Tu veux le jouer ou le mettre en scène ? »
-
« Je veux le réaliser, parce que le jouer ce ne sera pas possible, parce
que tu comprends… » En fait, il attendait que je lui dise, que c’est lui
qui l’interpréterait et qui le mettrait en scène.
La relation avec les auteurs est
toujours de nature différente. On prépare actuellement « Des poupées et
des anges » de Nora Hamdi. C’est l’adaptation de son roman, qu’elle a
écrit alors qu’elle voulait faire un film, et elle s’était rendue compte que
ce n’était pas possible. Aujourd’hui, elle a donc fait l’inverse, elle est
partie de son livre et elle a écrit le scénario.
LEXNEWS :
"Flach, c’est
aussi de la télévision."
Jean-François Lepetit :
On est venu à la télé parce que je me suis toujours préoccupé de questions
de société. La première production en 86 ou 87 n’était pas une fiction.
C’était un documentaire, « L’amour en France » de Karlin et Lainé;
Lainé était un psychanalyste, et Karlin un metteur en scène de
l’époque des Buttes Chaumont. Ils voulaient faire un état des lieux de la
sexualité des Français sous forme de dix fois une heure. Des épisodes
thématiques en suivant des individus. Ils abordaient absolument tous les
sujets, y compris l’homosexualité, etc. Je m’en souviendrai toujours, parce
que ça a beaucoup marqué ma relation avec la télévision. J’avais envoyé le
projet à Antenne 2 au service des documentaires. J’étais un peu sceptique
parce que dix fois une heure, c’est rare ! Surtout en télévision
hertzienne ! (...)
|
(...) Et puis le
président de la chaîne nous appelle. C’était Jean Drucker, le frère de
Michel. J’étais étonné que ce soit lui qui nous contacte directement, mais
bon… Au bout d’un moment on le remercie, et il nous dit : « Je vais être
franc avec vous, ne me remerciez pas, ça ne se sait pas encore mais je suis
viré, et ce sera annoncé demain. » Et il ajoute : « J’en ai
jusque-là ! Votre sujet est passionnant, je le signe. Mais pour être très
honnête, si je n’étais pas viré, je ne sais pas si j’aurais le courage de le
faire. » C’est absolument incroyable, mais ça c’est passé comme ça ! ça
a été ma première relation avec la télé. Après j’ai fait aussi de la
fiction, mais j’ai toujours adoré les documentaires, parce que je pense
qu’on peut avoir les meilleurs scénaristes du monde, la réalité dépasse
souvent la fiction !
LEXNEWS : "Il
y a un documentaire dont vous êtes vraiment à l’origine, dans lequel vous
vous êtes pleinement investi, et qui a fait beaucoup parlé de lui : « Le
monde selon Bush » de William Karel, d’après le livre d’Éric Laurent."
Jean-François Lepetit :
C’est vrai ! J’étais assez révolté à la lecture du livre, et je me disais
que même si beaucoup de monde le lisait, le meilleur moyen de le faire
connaître était d’en faire un documentaire. Même si l’audience est limitée,
la télévision c’est malgré tout 1 million de personnes qui le voient un
soir.
LEXNEWS : "Le
fait que le film n’ait pas été sélectionné à Cannes, alors que celui de
Michael Moore l’ait été, vous en pensez quoi ? (« Farenheit 9/11 » de M.
Moore, Palme d’or en 2004)"
Jean-François Lepetit :
Frémaux (Thierry Frémaux : Directeur artistique du Festival de Cannes)
m’avait dit qu’il n’y a rien dans le règlement qui lui interdise de prendre
des téléfilms. Les Bergman étaient des téléfilms ! Je lui montre le
documentaire, il est très emballé, et il me dit que si Michael Moore n’a pas
terminé à temps, il prend le mien. Je savais que Moore avait des difficultés
à finir. Il avait trois équipes qui se relayaient 24h/24 pour boucler le
montage, et Frémaux me l’a avoué plus tard, en réalité il n’avait jamais vu
le film terminé quand il l’a sélectionné. Il l’a découvert à Cannes.
LEXNEWS : "Il
ne pouvait pas prendre les deux ?"
Jean-François Lepetit :
Il craignait qu’on accuse le festival d’être anti-Bush, s’il prenait les
deux.
LEXNEWS : "Que
pensez vous de « Farenheit 9/11 » ?"
Jean-François Lepetit :
Peut-être qu’il est efficace pour le marché domestique américain ?
LEXNEWS : "C’est
un pamphlet plus qu’une analyse !"
Jean-François Lepetit :
Oui ! Le nôtre est plus construit, plus rigoureux. Je le préfère, mais
peut-être que pour l’audience américaine, il fonctionne mieux. Je trouve que
par moments il a des procédés limites. Il y a par exemple la mère d’un
soldat qui a été tué. C’est émouvant, mais c’est du pathos facile, je trouve
que la démonstration manque de rigueur.
LEXNEWS :
"Depuis
quelques années, vous êtes le président du Syndicat des Producteurs."
(C.S.P.F. : Chambre Syndicale
des producteurs de Films)
Jean-François Lepetit :
J’ai toujours pensé qu’on faisait un métier d’artisans et d’individualistes.
En même temps, une des forces du système français est qu’il y a des règles
collectives. Particulièrement aujourd’hui, où il y a des enjeux importants
liés à l’évolution des diffuseurs, la privatisation des chaînes, la
situation de Canal, les règlements européens… Il me semble difficile d’être
déconnecté du contexte, et le contexte pour chacun d’entre nous producteur
est vital !
LEXNEWS : "Au
sein du C.S.P.F., vous avez un projet de réécriture de la convention
collective des ouvriers et techniciens du cinéma pour essayer de fédérer le
plus possible de producteurs parce que pour l’instant ce n’est pas le cas.
Dans ce projet, il y a des intentions qui sont dénoncées par les syndicats
d’intermittents, puisqu’il est prévu une baisse des minima syndicaux ?"
Jean-François Lepetit :
Ce n’est pas tout à fait ça, même si Stephan Posderec que je connais bien,
présente les choses de cette façon. (Stephan Posderec : Délégué général
du S.N.T.P.C.T. : Syndicat des Techniciens et Travailleurs de la Production
Cinématographique et de la Télévision) Historiquement, il y a plusieurs
syndicats de producteurs, mais il n’y a que la chambre syndicale qui a signé
cette convention collective, il y a un peu plus de cinquante ans. Nous
réactualisons régulièrement les salaires. Certains des producteurs qui n’ont
pas signé la convention appliquent les barèmes et d’autres comme le S.P.I. (Syndicat
des Producteurs Indépendants) ne les appliquent pas. Le problème est que
depuis les trente-cinq heures et les directives européennes, cette
convention est complètement obsolète. On est dans l’inégalité la plus
totale !
LEXNEWS :
"Est-ce
qu’on ne peut pas faire une exception, comme dans certaines corporations
professionnelles ?"
Jean-François Lepetit :
Non, puisque l’accord de branche qui a été signé, a été cassé par le Conseil
d’Etat ! Aujourd’hui il faut revoir cette convention, y compris sur la
définition des postes.
LEXNEWS :
"Quel est le
problème des intermittents ?"
(Intermittent du spectacle : Statut
administratif donné à une personne qui travaille par intermittence
(alternance de périodes d’emploi et de chômage) pour des entreprises du
spectacle : cinéma, théâtre, télévision, spectacle vivant, etc.)
Jean-François Lepetit :
Il faut qu’il y ait une définition plus nette de ce qui est de
l’intermittence, et de ce qui n’en est pas ! Il y a des dérives depuis
quelques années. Dans le cinéma et à la télé, beaucoup de boîtes passent
sous statut d’intermittents des gens qui n’en sont pas !
LEXNEWS :
"Dans le
service public par exemple ?"
Jean-François Lepetit :
Oui, mais même dans le privé ! Si je prends une fille à l’accueil, que je ne
la déclare que deux semaines par mois et que le reste du temps, elle
continue de travailler en étant payée par les Assedic, je truande ! On est
en train de creuser le trou d’un régime particulier qui pour moi doit être
réservé à de vrais intermittents. On a le même problème sur les tournages.
Je considère par exemple que ceux qui font la bouffe à la cantine, ne sont
pas des intermittents. On s’adresse à une boîte qui nous facture ses
services de location de matériel etc., et qui nous demande en plus de
déclarer leurs employés comme régisseurs. Ce n’est absolument pas notre
intérêt de branche si l’on veut préserver ce régime particulier !
L’autre domaine sur lequel on est
dans l’illégalité, c’est le temps de travail. On travaille plus de
trente-cinq heures sur un tournage. Au-delà de trente-neuf heures, on est
censé demandé une autorisation…
Je souhaite que l’on puisse
travailler jusqu’à 54 h. Que l’on déclare vraiment le nombre d’heures
travaillées. Mais ça veut dire qu’il faut afficher un salaire pour
trente-cinq. Évidemment pour trente-cinq heures, c’est moins que pour les
trente-neuf actuellement déclarées sur les fiches de paye, puisqu’on ne veut
pas augmenter les salaires. C’est le côté patronal…
LEXNEWS :
"Ce n’est pas contradictoire avec vos aspirations d’étudiant ?"
Jean-François Lepetit :
Non ! Je préside un syndicat, et il faut assumer notre fonction d’employeur.
Et contrairement à certains, comme le S.P.I., on ne refuse pas de négocier
avec des syndicats d’ouvriers et de techniciens. Refuser d’élaborer une
convention collective, c’est se conduire comme le pire patronat du textile
des années trente ! La seule proposition du S.P.I est de baisser les
salaires !
LEXNEWS : "Les
salaires et surtout les paliers des heures supplémentaires de façon à les
intégrer dans le salaire actuel. Du coup cela génère une baisse
importante !"
Jean-François Lepetit :
Si on discute dans le détail, et ça c’est impossible à cause de la pesanteur
aussi bien des syndicats de techniciens, que du côté patronal. Si on prend
les grilles de salaires aujourd’hui, on va dire qu’il y a des gens
sous-payés. Je considère personnellement que c’est le cas en régie, parce
que ce sont les premiers levés et les derniers couchés. Mais on a aussi le
contraire : en maquillage coiffure par exemple. Si vous prenez le salaire
d’un mixeur, c’est quasiment scandaleux ! Alors tout le monde veut bien
parler des trop petits salaires, mais personne ne veut toucher aux autres.
ça ce n’est pas possible !
LEXNEWS :
"Ces
différences viennent souvent d’une représentation syndicale qui n’est pas la
même selon les corporations. Les ouvriers, les assistants opérateurs sont
très bien défendus. Les régisseurs, les assistants réalisateurs ne le sont
pas du tout !"
Jean-François Lepetit :
C’est très compliqué !
LEXNEWS :
"Alors
pourquoi avoir accepté la présidence du syndicat ?"
Jean-François Lepetit :
C’est beaucoup plus pour jouer un rôle dans nos rapports avec les pouvoirs
publics : le C.N.C. (Centre National du Cinéma), le ministère de la
culture, avec les diffuseurs… En tout cas, plus que pour discuter de la
convention collective, même si on doit le faire et que ça ne fait pas
plaisir.
LEXNEWS :
"Cela
signifie quoi pour vous l’exception culturelle française ?"
Jean-François Lepetit :
ça signifie que ce qu’on produit n’est pas un bien comme les autres. Je ne
crois pas que l’on puisse traiter la culture, même si elle donne lieu à des
enjeux économiques importants, comme n’importe quelle marchandise.
LEXNEWS : "Donc
elle ne se réduit pas à l’hexagone, elle s’applique partout ?"
Jean-François Lepetit :
Absolument ! Ce n’est pas l’exception culturelle qui est française, c’est la
conception du cinéma par les professionnels, qui nous est propre ! Il faut à
tout prix que l’on échappe à certaines règles du commerce international,
notamment de l’O.M.C (Organisation Mondiale du Commerce). Le marché
ne doit pas réguler la culture ! Je n’envisage pas pour autant un système
uniquement basé sur la subvention. Le marché doit jouer son rôle, mais tous
les mécanismes d’aide et de soutien doivent jouer le leur, qui est
correcteur. C’est ce qui nous permet de garder notre capacité à produire
dans la diversité. En ce sens, l’avance sur recette est pour moi
fondamentale. À contrario, je trouve absurde et aberrant d’aller présenter
et surtout obtenir l’avance pour des films qui disposent de toutes les
caractéristiques pour se monter sur le marché. Mais obtenir ou pas l’avance
ne doit pas être lié au budget du film. La différence n’est pas entre les
gros et les petits, mais entre les faciles à monter et les autres. Ce sont
ceux-là qui doivent être soutenus !
LEXNEWS :
"La
présidence de la commission de l’avance sur recette ne vous intéresse pas ?"
Jean-François Lepetit :
Non ! J’ai été vice-président du deuxième collège pendant un an, à la fin du
mandat de Frédéric Mitterrand, et c’est un travail considérable. Il faut se
taper une cinquantaine de scénarios, or moi j’en reçois trois à quatre cents
par an, ici, que je n’arrive pas à lire. Tout ça se fait en plus de mon
activité, ce n’est donc pas possible. Je pense que ça doit exister. Il faut
qu’il y ait des gens qui s’en occupe, mais je ne veux pas me mettre en
première ligne là dessus, je ne peux pas être sur tous les fronts à la fois.
Il y a aussi le fait que je crois qu’on ne devrait pas appliquer de critères
littéraires à l’avance, et même si les gens s’en défendent, c’est forcément
le cas puisqu’on lit. Je sais d’expérience qu’un film ce n’est pas de
l’écrit. Juger un projet uniquement à la lecture du scénario n’est pas
suffisant. Il faut passer du temps avec l’auteur pour voir ce qu’il y a
derrière les mots, et l’avance ne permet pas ça !
LEXNEWS : "Quels
sont vos projets aujourd’hui ?"
Jean-François Lepetit :
J’ai déjà annoncé que je ne me représenterais pas à la présidence de la
chambre syndicale, parce que je ne veux pas monopoliser le poste. Ça doit
tourner, d’autres doivent s’investir. Ça ne veut pas dire que je ne m’y
impliquerai pas, mais j’existe aussi autrement, et j’ai très envie de
prendre du plaisir ici avec mon équipe, en faisant des films de cinéma ou de
télévision. Et puis j’ai ma vie à côté…
LEXNEWS :
"Merci
beaucoup pour cette interview."
Jean-François Lepetit :
C’est moi qui vous remercie.
Réalisée par Ch.B. pour
LEXNEWS.
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