Exposition
« Une passion chinoise : la collection de Monsieur Thiers »
Musée du Louvre
jusqu’au 25 août 2025 |

Nous connaissions Adolphe Thiers en tant que premier président de la IIIe
République ou encore au titre de journaliste, avocat, historien, mais sa
passion pour la Chine demeurait, en revanche, plus confidentielle jusqu’à
ce que Jean-Baptiste Clais, conservateur en chef au département des Objets
d’Art du musée du Louvre, ait l’heureuse idée de consacrer une exposition
venant éclairer à cette sinophilie méconnue. Autant dire que le parcours
invite plus largement à de multiples découvertes dépassant le caractère
personnel du fameux homme politique dont l’ambition légendaire servit à
Balzac pour l’inspiration du personnage de Rastignac…

Malgré ces critiques acerbes sur cet ambitieux caractère, son intérêt pour
les arts de l’Asie et plus précisément pour ceux de la Chine débute très
tôt, dès l’adolescence. A cet âge précoce, le jeune homme n’hésite pas, en
effet, à rassembler toutes sortes d’œuvres et d’ouvrages qu’il ne cessera
dès lors de collectionner. |
Même s’il ne se rendra pas dans le pays tant admiré, Thiers cherchera par
tous les moyens à reproduire une vision de la Chine au cœur même de son
cabinet de travail place Saint-Georges à Paris, cabinet évoqué dans
l’exposition par le truchement de gravures anciennes et reconstitution.
Alors que la Chine s’était ouverte à l’Europe au XVIIIe siècle, une
véritable réflexion débute sur les arts et les religions parallèlement à
un important commerce des compagnies des Indes. Soieries, porcelaines et
toutes sortes d’objets venus de Chine débarquent alors sur le continent
européen et fascinent un public toujours plus avide d’exotisme.

Mais ces relations ne seront pas toujours aussi sereines, notamment au
temps d’Adolphe Thiers avec les guerres de l’opium et les campagnes
militaires de 1860 entraînant la France et l’Angleterre à piller et
incendier le Palais d’Été dans la banlieue de Pékin…

Le parcours de l’exposition évoquent ces grandes, et plus sombres, heures
des relations franco-chinoises sous le filtre d’une passion sincère et
prenante qui conduit l’homme politique à accumuler une véritable
collection dont notamment une superbe bouteille à décor de fleurs et
d’oiseaux de la Dynastie Qing Période Qianlong ainsi que de rares
manuscrits et rouleaux, collection dont le musée du Louvre héritera en
partie, une autre partie sera malheureusement saccagée lors de la Commune
de Paris. |
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Corps et âmes
Bourse de Commerce
Pinault Collection
jusqu’au 25.08.25 |

La Bourse de Commerce propose en une exposition ambitieuse sous le
commissariat d’Emma Lavigne d’explorer avec les meilleurs artistes
contemporains les rapports toujours complexes entretenus avec le corps et
l’esprit. Depuis l’aube des temps, l’homme a interrogé son rapport au
corps et à son environnement, des fameuses mains négatives de l’art
pariétal jusqu’aux créations de Georg Baselitz, d’Ana Mendieta, Duane
Hanson et bien d’autres artistes réunis dans cet écrin inspirant de
l’ancienne Bourse de Paris.

©
Pinault Collection
Le visiteur pourra, par les différents médias retenus pour ce parcours
(peinture, dessin, sculpture, vidéo, photographie) faire directement
l’expérience dans son propre corps de ces questionnements. Ainsi,
l’autoportrait saisissant de Duane Hanson ne pourra laisser indifférent
tant la détresse de l’artiste induit un désenchantement manifeste du monde
dans lequel il s’inscrit. |
Ces rapports entre corps et esprit – l’exposition ose même le mot âme… -
révèlent toute la complexité de la modernité, ainsi qu’il ressort de ces
œuvres souvent tourmentées, parfois plastiques (Kerry James Marshall), se
faisant toujours l’écho de ces carrefours entre réalité et fiction.

©
Pinault Collection
Qu’il s’agisse du corps exposé avec Diane & Allan Arbus, Richard Avedon,
Niki de Saint Phalle ou du corps fantasmagorique avec Marlene Dumas (Birth),
ces artistes explorent les corps comme une carte géographique parvenue aux
confins de contrées inconnues.

©
Pinault Collection
Évanescences et tombeau floral (Ana Mendieta) ponctuent ce riche parcours
avant de parvenir au point d’orgue de cette exposition avec le monumental
accrochage de huit tableaux de Georg Baselitz (Avignon 2014) en un
polyptyque spectral impressionnant du corps vieillissant de l’artiste…
Commissariat général : Emma Lavigne, directrice générale de la
Collection, conservatrice générale |
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Exposition Mamlouks
1250-1517
Musée du Louvre
jusqu'au 28 juillet 2025
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Qui étaient donc les Mamlouks ? Ce nom, à la fois familier et énigmatique
pour bien des Occidentaux, désigne pourtant l’une des civilisations les
plus fascinantes du monde islamique médiéval. Le musée du Louvre propose
aujourd’hui une exposition remarquable, aussi érudite qu’esthétique, qui
plonge son visiteur dans l’univers de cet empire égypto-syrien dont la
puissance s’étendit du milieu du XIIIe siècle jusqu’au début du XVIe.
Dès les premières salles, le visiteur est saisi par la richesse du
parcours imaginé par Souraya Noujaïm et Carine Juvin, commissaires de
cette exposition qui redonne vie à un empire au raffinement insoupçonné.
Un dispositif immersif transporte d’emblée le visiteur au cœur du complexe
monumental du sultan Qalawun (1279-1290) au Caire.

©Musée du Louvre/Nicolas Bousser
Grâce à cette reconstitution numérique, ce joyau architectural déploie ses
trésors et marbres polychromes, témoins du goût aiguisé de ses
commanditaires. Ce faste artistique demeure indissociable de l’histoire
singulière des Mamlouks : esclaves d’origine turque ou caucasienne,
achetés ou capturés pour servir dans les armées musulmanes, ils accédaient
souvent à la liberté, gravissaient les rangs militaires jusqu’à, parfois,
devenir sultans. |
Cette élite guerrière écrasa Croisés et Mongols, avant de s’effacer face à
l’Empire ottoman en 1517. Leur prestige demeure immense, et Napoléon,
admiratif, intégra même un régiment de Mamlouks dans sa propre armée.
Au-delà de leur force militaire, les Mamlouks ont su bâtir une société
d’une grande richesse culturelle aux multiples échanges.

©Musée du Louvre/Nicolas Bousser
L’exposition, dans une scénographie feutrée des plus réussies, parvient à
mettre en lumière – et en espace - cette mosaïque de peuples, de langues,
de traditions et d’arts qui composaient ce vaste empire. Loin de se
refermer sur eux-mêmes, les Mamlouks favorisèrent, en effet, échanges
artistiques et commerciaux, depuis l’Europe jusqu’à l’Inde et la Chine.
Une ouverture que reflètent notamment les calligraphies majestueuses, les
bois incrustés de nacre, les verres émaillés et pièces d’orfèvrerie
précieuses rivalisant de finesse et présentés tout au long du parcours.

©Musée du Louvre/Nicolas Bousser
Tant pour la beauté des œuvres réunies que pour la richesse du regard
porté sur une civilisation méconnue et pourtant essentielle à la
compréhension du monde méditerranéen, cette exposition fait revivre une
page d’histoire vibrante, traversée par l’éclat des arts et le souffle des
grands empires.
Catalogue d'exposition Mamlouks Skira/Editions
du Louvre, 2025 |
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« Andrea Appiani - Le peintre de
Napoléon en Italie »
Exposition Jusqu’au 28 juillet 2025
Musée National des Châteaux de Malmaison et de Bois-Préau |

C'est la première fois que la France honore la mémoire du peintre Andrea
Appiani qui connut son heure de gloire, non seulement auprès de
l'aristocratie milanaise, mais surtout en devenant Premier Peintre de
l'empereur Napoléon en 1805. Le musée national des châteaux de Malmaison
et Bois-Préau a conçu un riche parcours permettant de (re)découvrir ce
peintre majeur du néoclassicisme du nord de l’Italie, certaines de ses
œuvres étant conservées dans ce lieu même.
Mais, avant l’ascension sociale et artistique d’Appiani résultant de sa
reconnaissance officielle par le régime impérial, le jeune artiste fit ses
armes à Milan à l’académie ambrosienne, puis à celle de Brera, nourri de
références antiques et religieuses dont il retint les thèmes essentiels
avec des commandes d’église et de palais pour la noblesse milanaise.
Bientôt, ses voyages à Rome, Parme et Bologne enrichiront sa palette, tout
en renforçant sa maîtrise du dessin. Chaque époque apportera ses
influences dans l’art d’Appiani qui sut accueillir ces références avec
habileté, qu’il s’agisse de ses commandes d’art sacré ou de ses
décorations profanes.
La rencontre déterminante dans le parcours du peintre sera bien entendu
celle avec l’empereur Napoléon Bonaparte qui sut rapidement se saisir de
l’opportunité des talents du peintre prêt à le servir sur ces terres
fraîchement conquises au-delà des Alpes. Appiani devint alors
portraitiste, non seulement de Napoléon (Portrait de Napoléon du
Kunsthistorisches, museum de Vienne), mais également de ses généraux et du
personnel politique italien le plus en vue. Malgré le caractère formel de
cet art répondant à des codes bien établis, Appiani saura souvent en
infléchir la rigueur, adoucissant certains traits et nuançant délicatement
les couleurs, usant ici ou là du non finito, guère usuel en ce domaine.
Appiani innove et atténue ainsi le néoclassicisme dont il demeure, en ce
début de XIXe siècle italien, l’un des représentants les plus illustres.
L’exposition réserve également des sections à ses nombreux décors qui,
pour un grand nombre d’entre eux, furent détruits lors des bombardements
de la Seconde Guerre mondiale. Cette part non négligeable du catalogue de
l’artiste, souvent méconnue, est ainsi retracée à partir de dessins
préparatoires et de quelques rares cartons nous étant parvenus et
aujourd’hui exposés, permettant ainsi au visiteur de s’immiscer dans
l’atelier de l’artiste. |
De la peinture a fresco, délaissée à l’époque en France, Appiani réussit
ainsi à insuffler un élan plus naturel à ses représentations souvent
formelles. Les thèmes retenus, leur transposition dans les lieux auxquels
ils étaient destinés, sans oublier leur commanditaire sont unis
harmonieusement par l’artiste qui se voulait l’héritier de Léonard de
Vinci et de Bernardino Luini qu’il vénérait plus que tout. L’habileté de
ce peintre ne suffira pourtant pas à éviter un relatif oubli jusque dans
les années 1980 et la redécouverte du néoclassicisme.
Pour aller plus loin…
« Appiani – Le peintre de Napoléon en
Italie » catalogue de l’exposition sous la direction scientifique
d’Elisabeth Caude et Rémi Cariel, Grand Palais Rmn Editions, 2025.

Il était nécessaire de réserver une publication d’ampleur sur ce peintre
méconnu en France et dont l’exposition qui lui est consacrée à Malmaison
révèle les nombreuses facettes. L’ouvrage dévoile ainsi les différents
aspects de l’art d’Appiani, un artiste aussi habile dans des compositions
intimistes que pour le plus grand faste impérial… Le catalogue retrace
tout d’abord la riche carrière de l’artiste de ses débuts à l’avènement de
Napoléon, puis dans le Milan occupé par l’empereur (1796-1813). Mais ce
qui aurait pu déjà nourrir une longue carrière d’artiste sera complété par
de nombreuses facettes plus méconnues, notamment ses activités de
commissaire des Beaux-Arts et, longtemps ignorée, son activité de
collectionneur et conseiller en art… L’ouvrage étudiera enfin la destinée
de l’œuvre d’Appiani entre la dispersion de son corpus de dessins, la
destruction de nombre de ses œuvres lors de la Deuxième Guerre mondiale et
l’oubli relatif dans lequel son héritage sombra jusqu’à sa redécouverte à
partir des années 1980. Un catalogue servi par une riche et abondante
iconographie permettant d’approfondir les connaissances sur cet artiste
majeur du XIXe s. italien. |
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« Eugène Boudin, le père de
l’impressionnisme : une collection particulière »
Musée Marmottan Monet jusqu’au 31 août 2025
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Contrairement à une idée reçue, Eugène Boudin n’a pas peint que les plages
de Normandie. Et si, bien entendu, ce « père de l’impressionnisme » a
rendu ces vues incontournables grâce à son art incomparable à saisir la
lumière et les couleurs de ces rivages sur ses toiles, l’exposition du
musée Marmottan démontre avec brio que le maître avait plus d’un atout sur
sa palette…

Eugène Boudin Le Havre, l’avant-port 1885
Huile sur toile 41,5 x 55,5 cm Collection Yann Guyonvarc’h
© Studio Christian Baraja SLB
Eugène Boudin, de seize ans l’aîné de Claude Monet, eut très tôt cette
intuition appelée à un bel avenir de saisir la nature sur le motif, une
attitude qui influencera grandement par la suite le peintre des nymphéas,
qui règne en maître dans les collections permanentes du musée Marmottan.
Ainsi que le rappelle Érik Desmazières, Membre de l’Académie des
beaux-arts et Directeur du musée Marmottan Monet : « Nous devons cet
ensemble exceptionnel au collectionneur français Yann Guyonvarc’h qui a
réuni avec passion cette collection unique. Nous lui sommes
particulièrement reconnaissants d’avoir choisi notre institution pour la
faire découvrir au public parisien et au-delà ».
Il faut avouer que cette réunion de quatre-vingts œuvres du peintre - né à
Honfleur en 1824 et décédé non loin de là à Deauville en 1898, force
l’admiration. |
Et ce, non seulement en raison de la profusion de peintures rarement
réunies et exposées ensemble, mais surtout par leur diversité, une
diversité de lieux et de thèmes révélant de nombreuses facettes souvent
méconnues du peintre grâce au parcours admirablement conçu par Laurent
Manœuvre, commissaire de l’exposition. Eugène Boudin, célèbre en effet
pour ses vues des plages normandes, a également su saisir variations et
impressions lors de ses nombreux voyages au-delà de la Normandie,
notamment en Bretagne avec des vues marines plus tourmentées et intimes,
dans le sud de la France, à Bordeaux également, mais aussi en Hollande ou
encore Venise…

Eugène Boudin Camaret, la pointe du Toulinguet 1873
Huile sur toile 54,5 x 89,5 cm
Collection Yann Guyonvarc’h © Studio Christian Baraja SLB
Si le peintre privilégie le thème marin qui lui était cher, il n’hésite
pas à poser également sa palette au cœur d’un verger aux environs
d’Honfleur, lors d’une fête religieuse en Bretagne ou aux abords d’un
champ de courses à Deauville. Mais l’artiste qui avait travaillé dans sa
jeunesse comme mousse sur un bateau revient, de manière récurrente, à ses
premières amours, les ondes se confondant avec les nuées jusqu’à ce point
de tension ultime où les couleurs s’entrecroisent. Boudin, toute sa vie
durant, fut épris d’une quête éternelle, celle des liens entretenus par la
lumière et les ombres, et les effets fugitifs suscités par les couleurs,
comme à Venise, qui fut le chant du cygne de ce peintre impressionniste ;
Eugène Boudin parfaitement mit aujourd’hui à l’honneur par cette
exposition du Musée Marmottan Monet. |
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«
Artemisia – Héroïne de l’art "
Musée Jacquemart-André
19 mars – 3 août 2025 |

Il fallait une maison d’une femme peintre, celle de Nélie, épouse d’André
Jacquemart, pour accueillir Artemisia Gentileschi, cette audacieuse
artiste italienne du XVIIe siècle, ainsi que le souligne d’emblée Pierre
Curie, commissaire de l’exposition et conservateur du musée
Jacquemart-André. Une exposition qui permet aujourd’hui au public, de par
les prêts exceptionnels et la qualité des œuvres exposées, de découvrir
toute la valeur et la place de cette artiste quelque peu injustement
oubliée jusqu’au XXe siècle et dont les toiles, recherches et attributions
continuent d’être, et ce, encore très récemment, découvertes ou affinées.
À ce titre, Artemisia Gentileschi (1593- vers 1656) méritait bien un tel
écrin.
Artemisia, née à Rome en 1593, suivra très jeune les enseignements de son
père, Orazio Gentileschi (1563-1639), peintre originaire de Pise,
largement reconnu de son vivant et disciple du Caravage. Pour autant,
Artemisia n’est pas, contrairement à quelques préjugés tenaces, « la fille
de son père ». Pour s’en convaincre, il suffit de regarder son portrait
par Simon Vouet qui ouvre le parcours de cette exposition sous le
commissariat de Patrizia Cavazzini et Maria Cristina Terzaghi et Pierre
Curie, pour voir combien sa personnalité sut s’affirmer.
Il faut avouer qu’Artemisia devint une femme instruite, fréquentant les
meilleurs peintres, mais aussi les cercles littéraires ou encore savants
de son époque ; également bonne musicienne, elle se représentera
d’ailleurs elle-même sur une célèbre toile jouant du luth (La « Joueuse de
luth » 1614-1615 du Wadsworth Atheneum Museum of Art d’Hartford).

Artemisia Gentileschi, Autoportrait en joueuse de luth,
1614-1615,
Huile sur toile, 77,5 x 71,8 cm, Hartford CT.,
Wadsworth Atheneum Museum of Art, Charles H. Schwartz Endowment Fund.
Crédit : Allen Phillips/Wadsworth Atheneum
Artemisia, dont la jeunesse fut marquée par un drame puisqu’elle fut en
effet violée en 1611 par un ami peintre de son père, Agostino Tassi ;
n’ayant pas tenu sa promesse de mariage qui eût été en quelque sorte
réparatrice, l’affaire donna lieu à un procès aussi bouleversant que
traumatisant pour la jeune artiste… Artemisia sut cependant faire preuve
de courage et de résilience et s’imposer en tant qu’artiste femme,
n’hésitant pas à parcourir l’Italie, de Rome à Venise, Pise, Florence
jusqu’à Naples, ou à voyager jusqu’en Angleterre à la cour de Charles Ier
en 1638 pour aider, à sa demande, son père alors âgé à terminer le plafond
dans la Maison des Délices de Greenwich (dont le visiteur retrouvera une
copie multimédia au plafond de la première salle).
Nourrie ainsi des plus grandes influences de son époque, elle conquit une
belle notoriété internationale et reçut elle-même, à l’instar de son père,
de prestigieuses commandes provenant des plus grandes cours princières
européennes ainsi que de riches aristocrates et collectionneurs.
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Influence, en premier lieu, bien sûr, de son père ; une influence que le
visiteur découvrira dès la première salle avec des toiles en regard de
grand format, notamment cette œuvre d’Artemisia de 1615, « Judith et sa
servante » ayant appartenu aux Médicis, aujourd’hui conservée à la Galerie
des Offices de Florence. Orazio était fier de sa fille et n’hésitait pas à
vanter son talent ; un talent précoce que révèle également admirablement «
Suzanne et les vieillards » (Pommersfelden, Schloss Weissenstein),
première œuvre datée et signée d’Artemisia âgée seulement de dix-sept ans
en 1610.

Artemisia Gentileschi, Judith et sa servante avec la tête
d’Holopherne, v.1615,
Huile sur toile, 114 x 93,5 cm, Florence, Gallerie degli
Uffizi,
Galleria Palatina. Crédit : Su concessionne del
Ministera della Cultura
Mais aussi influences caravagesques, influences marquées qu’elle partagera
avec son père et son époque, et qu’elle contribuera elle-même à diffuser
dans toute l’Europe avec de très belles œuvres notamment « Danaé » (1612)
ou « David et Goliath », une œuvre exposée pour la première fois en
France. Des toiles retenant des thèmes bibliques ou historiques, on songe
également à cette toile de grand format « Esther et Assuérus » de 1628 du
Museum of Art de New York, ou encore à « Ulysse reconnaissant Achille
parmi les filles de Lycomède » de 1640.

Artemisia Gentileschi, Suzanne et les Vieillards, 1610,
Huile sur toile, 170 x 119 cm, Pommersfelden,
Kunstsammlungen Graf von Schönborn.
Crédit : akg-images / MPortfolio
À cela s’ajoutera aussi l’atmosphère artistique de Venise inspirée de
Véronèse, mais aussi des influences florentines ou encore napolitaines ;
Naples où elle tissera des liens étroits avec les artistes napolitains
lors de ses deux séjours et où elle mourra probablement en 1656 de la
peste.
Mais, au-delà de ces influences, Artemisia saura marquer son œuvre d’une
réelle signature, notamment par son souci extrême du raffinement ; finesse
des détails que l’on retrouve jusque dans la représentation du pavage sur
sa toile, pourtant de jeunesse, « Judith et sa servante ». Artemisia
excelle aussi dans l’art du portrait avec des portraits en pied prisés de
son vivant, pour certains redécouverts récemment, et où le visiteur
retrouvera au cœur de l’exposition ce souci du raffinement. Mais, la
singularité et l’audace de cette artiste femme du XVIIe siècle résident
probablement dans son extrême sensualité, y compris dans des œuvres à
thème religieux, n’hésitant pas à représenter avec une sensualité
troublante pour l’époque le corps dénudé des femmes, y compris son propre
corps. Sa magnifique « Madeleine pénitente » provenant de la cathédrale de
Séville en témoigne.
Ce sont toutes ces influences, ces facettes et cette incontestable
richesse que met aujourd’hui en valeur le parcours de cette exposition
offrant ainsi à Artemisia Gentileschi une des plus belles mises à
l’honneur qui soit. |
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Galerie Campana - Aile Sully
Musée du Louvre
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©Musée du Louvre
La Galerie Campana du musée du Louvre consacrée à la céramique grecque
antique a récemment rouvert après une vaste campagne de rénovation. Tout
en préservant son esthétique muséographique héritée du XIXe s. sa
lisibilité et présentation ont en revanche bénéficié des dernières
innovations contemporaines, tables multimédias, etc.
Rappelons que cette collection unique au monde est le fruit d’une passion
folle, celle du marquis Giampietro Campana (1809-1880) qui rechercha toute
sa vie les antiquités grecques les plus précieuses alors qu’il était
directeur du Mont de Piété à Rome. Mais l’homme n’était pas infaillible et
fut également accusé de malversations financières causant sa perte et
condamnation. Le sort de sa collection échut alors notamment à Napoléon
III qui s’en porta en partie acquéreur, collection qui vint enrichir le
musée du Louvre avec un nombre de vases et de terres cuites faisant de la
Galerie Campana l’une des plus riches au monde.

©Musée du Louvre
Bien que celle-ci fut - et est encore - avec ses neuf salles aux fenêtres
donnant directement sur la Seine, considérée également comme l’une des
plus belles du Louvre, cette vénérable Galerie depuis 1863, date à
laquelle elle fut inaugurée sous le Second Empire, avait cependant besoin
d’une rénovation afin de préserver cet héritage et cette esthétique à
nulle autre pareille. |
Avec son parquet à chevron et ses vitrines antiques, sans oublier les
somptueux plafonds peints entre 1825 et 1833, eux-mêmes restaurés pour
l’occasion, ce lieu singulier au cœur du musée retrouve ainsi après
rénovation son lustre. Mais la modernité s’invite également avec un
parcours repensé, notamment sur le plan chronologique, des cartels et
dispositifs multimédias, ainsi que des tables de consultation proposées
aux chercheurs souhaitant étudier certaines pièces. Trois espaces
distincts sont aujourd’hui organisés : une salle thématique introductive
par laquelle le visiteur a fort intérêt à débuter afin de se familiariser
avec la chronologie du IXe au Ier s. av. J.-C. et la géographie de ces
antiques artefacts. Trois salles d’études concerneront plus les
spécialistes et chercheurs, alors que le parcours chronologique occupant
les autres salles familiarisera le visiteur avec les différents styles et
techniques de la céramique grecque dont les plus illustres représentants
sont présentés avec une plus grande visibilité.

©Musée du Louvre
Qu’il s’agisse des nombreuses scènes inspirées directement de la
mythologie ou de la vie quotidienne, la Galerie Campana offre des instants
de vie incomparables de la société grecque antique faisant écho de manière
idéale aux sources littéraires classiques.

©Musée du Louvre
Le visiteur de la Galerie Campana découvrira, dans l’atmosphère unique et
intimiste de ces salles préservées du temps, l’une des plus belles
collections de céramiques archaïques et géométriques, à figures noires ou
rouges, pour un voyage immédiat dans cette riche et incomparable
civilisation antique. |
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« Revoir Cimabue – Aux origines de la
peinture italienne »
Musée du Louvre
jusqu’au 12 mai 2025 |

L’exposition du musée du Louvre consacrée au peintre Cimabue est
assurément un évènement en ce début d’année, et ce à plus d’un titre ! En
premier lieu et surtout, celle-ci nous invite à découvrir une figure
déterminante de la peinture italienne du XIIIe siècle, et néanmoins
méconnue du grand public. Pourtant, l’œuvre de Cimabue, bien
qu’aujourd’hui fragmentaire marque une rupture avec les codes quelque peu
figés de l’art byzantin et anticipera une nouvelle ère picturale.
L’exposition réalisée sous le commissariat de Thomas Bohl propose ainsi au
visiteur de s’immerger dans cet univers artistique du XIIIe s. et à
découvrir l’œuvre d’un artiste se révélant majeur par sa modernité dans le
contexte de l’Italie de cette époque.

Peu d’éléments biographiques nous sont parvenus sur Cimabue ; né sous le
nom de Cenni di Pepo vers 1240 à Florence, nous n’en savons guère plus.
Cependant, son œuvre, bien que restreinte aujourd’hui à une quinzaine de
compositions connues, témoigne de sa singularité et de sa modernité. Son
art, loin des schémas hiératiques hérités de Byzance, introduit en effet,
une approche novatrice tant de l’espace que du volume, amorçant ainsi une
transition décisive vers le naturalisme.
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L’actualité a remis Cimabue sous le feu des projecteurs avec la
restauration récente et spectaculaire de la Maestà, ainsi que
l’acquisition de La Dérision du Christ par le Louvre en 2023, un panneau
inédit redécouvert en France en 2019.
Dans cette œuvre exceptionnelle, le peintre donne aux figures une
expressivité saisissante et intègre des éléments propres à son époque,
accentuant l’impact émotionnel de la scène. Son approche, en rupture avec
la rigidité traditionnelle, confère en effet une intensité nouvelle, très
perceptible notamment dans le Crucifix de Santa Croce, où la
douleur et la gravité du Christ se traduisent par un modelé plus subtil et
une gestuelle plus expressive. Cette émouvante évocation se trouve
associée le temps de l'exposition aux deux autres panneaux de ce diptyque
provenant de la National Gallery de Londres et de la Frick Collection de
New York.

Travaillant pour les Franciscains, Cimabue a assimilé leur vision
spirituelle empreinte d’humanité qu’il a su intégrer dans ses œuvres. Ses
compositions épurées, alliées à une vibrante palette colorée, insufflent
une nouvelle vie aux sujets sacrés. Cet élan novateur culminera chez son
élève Giotto, dont le Saint François recevant les stigmates, également
présenté dans le parcours de l’exposition, témoigne de l’héritage direct
de son maître.
Soulignons, enfin, que l’influence de Cimabue s’étendit
bien au-delà de son cercle immédiat. Ainsi, Dante lui rend-il hommage dans
La Divine Comédie, tandis que Vasari souligna très tôt son rôle de
précurseur. L’œuvre de Cimabue témoigne de son génie et de sa volonté de
représenter le monde de manière plus réaliste et vivante, une rupture
préfigurant la Renaissance et en écho aux mutations philosophiques et
scientifiques de son siècle. Avec cette rétrospective d’exception, le
Louvre redonne à Cimabue la place qui lui revient, celle d’un grand
artiste, d’un artiste ayant initié l’un des plus grands tournants de
l’histoire de la peinture occidentale.
Pour prolonger l’exposition :
* Documentaire de Juliette Garcias De Cimabue à Giotto, les premiers
maîtres italiens diffusion ARTE Dimanche 16 mars 17h55
* Catalogue de l’exposition paru aux
éditions Silvana Editoriale
(lire notre
chronique)
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Exposition « Faire parler les pierres
Sculptures médiévales de Notre-Dame »
Musée de Cluny Paris
Jusqu’au 16 mars 2025 |

Le musée de Cluny, parallèlement à l’achèvement de la restauration de
Notre-Dame de Paris, explore le riche patrimoine sculpté de la cathédrale.
Cette exposition unique éclaire grâce à une mise en l’espace judicieuse la
richesse de l’art gothique et de la vie du célèbre édifice avant les
grandes transformations opérées par l’ère moderne.
En partenariat avec l’INRAP et le Centre de recherche et de restauration
des musées de France, l’exposition rassemble environ 120 œuvres issues de
fouilles, de restaurations récentes et de collections historiques.

Mais l’intérêt de cet évènement ne réside pas seulement dans la simple
présence de ces témoins uniques de l’ère médiévale de la cathédrale, mais
aussi et surtout dans leur mise en perspective à la fois didactique et
esthétique avec le contexte de ces siècles qui ont vu naître ce joyau du
gothique, sans oublier l’impressionnant travail réalisé sur l’analyse et
la restauration de ces œuvres souvent parcellaires. |
La première impression qui ressort de ce parcours habilement conçu par
Damien Berné, commissaire et conservateur en chef au musée de Cluny, est
en effet cette beauté ineffable de ces fragments du jubé du XIIIᵉ siècle,
récemment découverts lors des fouilles préventives de 2022 et exposés pour
la première fois.

Le regard et l’intérêt du visiteur s’arrêtera également sur ces célèbres
têtes des rois de la Galerie des Rois, trouvées en 1977 sous un hôtel
particulier, sans oublier cette reconstitution convaincante et éloquente
des éléments polychromes des portails Sainte-Anne et du Jugement dernier,
ainsi que de la statue d’Adam, chef-d’œuvre de la sculpture gothique. Ces
œuvres, associant calcaire brut et traces de polychromie, subliment la
richesse du décor médiéval intérieur et extérieur de Notre-Dame avant les
trop nombreuses destructions apportées par les siècles suivants.

Cette exposition, inscrite dans le cadre du label « Notre-Dame de Paris :
vers la réouverture », permettra au visiteur de redécouvrir ce patrimoine
en renaissance, par le truchement de pièces inspirées par la spiritualité
médiévale avant sa traduction par les artisans les plus virtuoses. Une
visite indispensable avant ou après pour redécouvrir la richesse et beauté
de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Catalogue « Faire parler les Pierres – Sculptures médiévales de
Notre-Dame » Editions Faton, 2024. |
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Exposition « Ribera – Ténèbres et
Lumière »
Petit Palais - Paris
Une rétrospective saisissante
Jusqu'au 23 février 2025 |

Jusqu’au 23 février 2025, le Petit Palais met en lumière l’œuvre intense
et dramatique de Jusepe de Ribera (1591-1652), un peintre espagnol certes
moins reconnu que son maître, Le Caravage, mais dont la puissance
artistique mérite indéniablement d’être redécouverte. À travers cette
exposition, le Petit Palais offre une immersion dans l’univers de
l’artiste, dont le réalisme frappant et les jeux de lumière ont marqué son
époque. Né à Játiva, près de Valence, Ribera s’installe en Italie dès son
adolescence, où il est surnommé Lo Spagnoletto et s’imprègne de
l’art du Caravage. Bien qu’il n’ait peut-être jamais croisé le maître,
l’influence de ce dernier sur son œuvre demeure incontestable.

Le Jugement de Salomon
Jusepe de Ribera 1609-1610.
Huile sur toile, 153 x 201 cm.
Galleria Borghese, Rome.
© Galleria Borghese.
Le clair-obscur et le réalisme – si caractéristiques du Caravage –
marqueront son propre style. Tout au long de sa carrière, Ribera
bouleversera, en effet, les codes artistiques en introduisant une vision
plus crue et plus intime de la réalité, un réalisme captivant qui séduit
les plus grands mécènes de l’époque.
L’exposition, pensée par les commissaires Annick Lemoine et Maïté Metz,
permet de redécouvrir ce génie baroque à travers une scénographie qui
sublime ses chefs-d'œuvre présentés pour la première fois en France. À
l’instar de son modèle caravagesque, Ribera maîtrise l'art du contraste,
qu’il applique aussi bien à ses scènes religieuses qu’à ses
représentations de la vie quotidienne. |
Sa capacité à rendre les émotions humaines fait de lui un maître du
Baroque, et ses portraits, souvent saisissants de vérité, sont marqués par
une approche directe et sans artifice, typique de son époque. Le réalisme
de Ribera ne se limite pas aux simples représentations de figures pieuses
; il va jusqu'à sublimer des scènes de misère et de souffrance, comme dans
le poignant « Portrait d’un mendiant » de la Galleria Borghese. Son regard
acéré et son utilisation de la lumière transforment des sujets simples en
drames visuels, amplifiant l’intensité émotionnelle de chaque œuvre.

Le Reniement de Saint-Pierre Jusepe de Ribera
1615-1616.
Huile sur toile, 163 x 233 cm.
Galerie Corsini, Rome.
© Gallerie Nazionali di Arte Antica, Ministero della Cultura
Dans un contexte religieux marqué par le Concile de Trente, Ribera trouve
sa place en réinterprétant les prescriptions morales de l’Église pour
toucher les âmes. Ses œuvres, imprégnées de mysticisme et de piété, sont
des appels à la dévotion. Son « Saint Jérôme pénitent » ou encore « Saint
Jérôme et l’Ange du Jugement dernier » témoignent de cette quête
spirituelle. La tension entre la vie et la mort, la souffrance et la
rédemption sont au cœur de son œuvre, notamment dans ses scènes de la
Passion du Christ, à la fois poignantes et théâtrales.
Loin de se contenter d’une simple présentation chronologique, cette
exposition invite le visiteur à comprendre l’évolution de l’artiste en
mettant l’accent sur ses thèmes majeurs, et à découvrir à travers l’œuvre
de Ribera, une vision personnelle du monde baroque dans lequel chaque
toile devient un théâtre de la condition humaine. À ne manquer sous aucun
prétexte.

Catalogue « Ribera, Ténèbres et lumière »
sous la direction d'Annick Lemoine, conservatrice générale, directrice du
Petit Palais et Maïté Metz, conservatrice des peintures anciennes au Petit
Palais, 23,5×30,5 cm, 304 pages, relié, 180 illustrations, Editions Paris
Musée, 2024. |
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Naissance et Renaissance du dessin italien
La Collection du Museum Boijmans Van
Beuningen, Rotterdam
Fondation Custodia,
jusqu’au 12 janvier 2025 |

La fondation Custodia propose de découvrir le fonds de dessins réuni par
le grand collectionneur néerlandais Franz Koenigs au siècle passé en une
exposition aussi virtuose qu’inspirante. Virtuose, car les feuilles
présentées proviennent des plus grands artistes du XVe au XVIe siècle, ces
120 dessins étant pour la plupart d’une remarquable qualité non seulement
d’exécution, mais également de conservation. Ces feuilles prestigieuses,
essentiellement d’origine italienne, offrent ainsi en une belle
scénographie épurée dans la cadre intimiste de la Fondation Custodia une
rencontre inspirante avec le visiteur.

Léonard de Vinci (1452-1519), Léda et le
cygne, vers 1505-1507
Pierre noire, plume et encre. – 128 × 109 mm
Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Prêt de la Stichting Museum
Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs), inv. I 466
Dès la première salle, nous nous trouvons face à la délicatesse de cette
Tête d’ange de Giovianni Antonio Boltraffio, actif à Milan dans la
deuxième moitié du XVe s., ou encore face à cette émouvante esquisse du
thème bien connu chez Léonard de Vinci de Léda et le cygne à la pierre
noire, plume et encre… Aucune barrière de sécurité, une affluence toujours
raisonnable permettent de littéralement entretenir un dialogue intime avec
ces œuvres anticipant des réalisations définitives ou fruits de séances de
travail. Pisanello, Spinelli, Gozzoli et bien d’autres artistes laissent
une somptueuse idée de ce que pouvaient être les principaux foyers
artistiques de l’époque au nord de l’Italie entre Florence et Venise.
|
Un grand nombre de dessins réunis de Fra Bartolomeo sont présentés un peu
plus loin, des études délicates de jeune homme ou plus enlevées pour ce
saint Georges terrassant le dragon. Là, une émouvante étude de saint
Jean-Baptiste agenouillé signée Raphaël ou encore ce fastueux Buste
d’homme esquissé à traits vifs par le grand Michelangelo aux côtés de
feuilles tout aussi réussies de Corrège, Parmesan, Primatice, Sebastiano
del Piombo…

Federico Barocci (1535-1612), Étude pour la
Mise au tombeau, vers 1579-1582 Pierre noire, craie blanche, mise au
carreau pour transfert, sur papier bleu. – 259 × 374 mm
Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Prêt de la Stichting Museum
Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs), inv. I 428
En fin de parcours, alors que le vertige d’une telle profusion gagne,
l’exposition annonce la génération des dessinateurs actifs à la fin du
XVIe s. préfigurant le baroque et le classicisme, le visiteur pourra ainsi
encore s’émerveiller des dessins remarquables du Cavalier d’Arpin ou des
Carrache, une expérience des plus intenses et fertile à découvrir et
redécouvrir jusqu’au 12 janvier 2025.

L’exposition pourra être complétée avec profit par le catalogue (en
anglais) édité à cette occasion et proposant l’état le plus abouti des
recherches sur ces dessins et cette période essentielle de l’histoire de
l’art : Italian Renaissance Drawings from Museum Boijmans Van Beuningen,
un catalogue officiel sous la direction de Maud Guichané et Rosie Razzall,
296 p. 200 illustrations couleur, 28 × 22,6 cm, broché, en anglais,
Londres, Paul Holberton Publishing, 2024. |
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Exposition « Chefs d’œuvre de la Galerie
Borghèse »
Musée Jacquemart André
jusqu’au 5 janvier 2025.
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Le musée Jacquemart André fait une rentrée plus qu’en beauté ! Car, outre
la réouverture attendue après rénovation de sa collection permanente,
c’est en effet à une promenade inspirée au cœur du parc de la ville
Borghèse à laquelle le musée convie le visiteur parisien de l’exposition «
Chefs d’œuvre de la Galerie Borghèse ». Impossible pour celles et ceux qui
connaissent l’un des plus beaux musées de la Ville Éternelle de ne pas se
sentir dépaysé en retrouvant tous ces chefs d’œuvre dans l’écrin intimiste
restauré et repensé du musée parisien. Le lieu romain ouvrant ses bras de
verdure à la contemplation romantique de ces heures où Byron, Goethe,
Victor Hugo et tant d’autres louèrent les charmes de ces jardins nés d’une
folie d’un cardinal du XVIIe - le fameux Scipione Borghese - sur ce qui
n’était jusqu’alors que des vignes, se trouve en effet transposé, le temps
d’une exposition, dans la capitale parisienne.

Raphaël, Dame à la licorne, vers 1506,
huile sur toile appliquée sur bois, 67 x 56 cm,
Galleria Borghese, Rome, © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen
Le cardinal Scipione Borghese, prélat tout puissant et neveu du pape Paul
V (1550-1621), eut à cœur de réaliser en ces lieux romains une véritable
ambassade des arts les plus en vogue de son temps, ne ménageant ni sa
fortune immense, ni ses efforts – parfois guère charitables – pour
parvenir à réunir l’une des plus belles collections d’art du XVIIe s.
Magies des siècles et des lieux, aujourd’hui, alors que la Villa Borghèse
est en restauration, c’est une quarantaine de ses trésors qui ont pu de
manière exceptionnelle faire l’objet d’un prêt accordé au musée Jacquemart
André, ainsi que le souligne avec une délectation compréhensible le
commissaire Pierre Curie en collaboration avec Dr Francesca Cappelletti,
Directrice de la Galerie Borghèse. Et quel autre musée, mieux que
Jacquemart André pouvait effectivement de par son esprit accueillir en son
sein pour quelques semaines ces chefs-d’œuvre de la collection Borghèse ?
Anticipant les musées modernes, la Galerie Borghèse dépasse le cadre de la
collection privée tant son commanditaire sut non seulement composer cet
ensemble selon un goût très sûr, mais également en concevant un dialogue
des arts et des œuvres unique en son genre, ce qu’a souhaité rappeler
l’exposition parisienne dès son ouverture avec ces sculptures de Lorenzo
Bernini, dit le Bernin, présentées en prélude inspiré. |
« Entre 1620 et 1625, Scipion Borghèse va donner à cet artiste tous les
moyens afin de réaliser les grandes sculptures monumentales qui demeurent
les chefs-d’œuvre incontournables du musée romain » souligne Pierre Curie.
Des sculptures qui n’ont pas pu, pour des raisons pratiques bien sûr, être
dans leur ensemble transportées, mais dont le musée donne néanmoins la
nostalgie avec la fameuse « Chèvre Amalthée » qui a fait le voyage et est
présente pour l’occasion entourée de deux autres sculptures du Bernin.
Après ce prélude, en réminiscence du faste de Borghèse, la première salle
de l’exposition donne la tonalité de ce goût sûr du cardinal en présentant
le célèbre « Garçon à la corbeille de fruits » de Caravage, éblouissant de
fraîcheur et de virtuosité, probablement le premier autoportrait du
peintre introduisant le naturalisme à Rome à cette époque et chef d’œuvre
incontournable de la collection Borghèse. Quelle merveille de le retrouver
ainsi le temps d’une exposition à Paris !

Sandro Botticelli, Vierge à l’Enfant avec saint Jean Baptiste enfant et
des anges, XVe siècle, tempera sur panneau, diam. 170 cm, Galleria
Borghese, Rome, © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen
Puis, les signatures les plus célèbres se succèdent salle après salle, le
Cavalier d’Arpin et cet admirable tableau « L’Arrestation du Christ » qui
aiguisa la convoitise du cardinal au point d’ourdir une saisie guère
charitable, mais aussi Bernin, Botticelli, Raphaël, Le Dominiquin, Lotto
et bien d’autres prestigieux maîtres en un étourdissant panorama de ce que
la Villa Borghèse et la peinture italienne de la Renaissance comptent de
plus précieux… Venise, Florence, Bologne, Milan, Rome forment les ateliers
les plus actifs et créatifs de cette époque où Scipion Borghèse puisera
les trésors qui enrichiront sa galerie, galerie qui continuera à
s’embellir au fil du temps en un rayonnement non seulement romain, mais
également international, ainsi que le souligne le parcours de
l’exposition.

Titien, Christ flagellé, vers 1568, huile sur toile,
87 x 62,5 cm, Galleria Borghese,
Rome, © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen
Plus étonnant encore, le goût du cardinal pour la beauté et l’esthétisme
s’exprimera de manière contrastée puisque ses choix iront de l’art sacré
le plus dramatique avec « La Flagellation du Christ » du Titien jusqu’aux
plus voluptueuses représentations des Vénus en des connotations plus
érotiques que mythologique ; Six Vénus qui viendront refermer avec bonheur
cette incroyable exposition restituant la magie d’un lieu et d’un goût de
l’un des plus beaux musées, véritable regard transversal au sein de la
collection de la Galerie Borghèse …
Catalogue « Chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse » Fonds Mercator,
2024. |
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Interview Denis
Raisin Dadre
Paris, le 30/05/19. |
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Lexnews
a eu le plaisir de rencontrer Denis Raisin Dadre à l'occasion de la sortie
de son splendide livre-disque consacré à Léonard de Vinci et la musique.
Fondateur de l'ensemble Doulce Mémoire et grand spécialiste de la musique
Renaissance qu'il honore par ses concerts et enregistrements
internationalement renommés, Denis Raisin Dadre nous a livré ses
confidences sur ce grand maître de la renaissance qui était également un musicien
talentueux !

uelle
a été votre première rencontre avec Léonard de Vinci et quel souvenir
avez-vous gardé de ses œuvres ?
Denis Raisin Dadre : "Curieusement, ce n’est pas la Joconde
qui a retenu en premier mon attention ! Mon caractère me portait plutôt
vers des choses moins connues. C’est à Florence que date cette première
rencontre, à une époque où je me rendais très souvent en Italie. C’est son
Annonciation qui, la première, m’a frappé. Je découvrais alors un
Vinci encore très marqué par la peinture flamande de son époque ainsi que
par l’atelier du Verrocchio où il a travaillé dès son plus jeune âge. Si
je connaissais déjà ce style de peinture, surtout celui de ses
contemporains de la fin du XVe siècle avec ce côté extraordinairement
minutieux des arrière-plans, cette première rencontre demeure pour moi
associée aux Offices de Florence, et cette Annonciation m’est
apparue mystérieuse, comme un grand nombre de ses œuvres d’ailleurs".
Quels sont les motifs qui vous
ont poussé à réaliser ce livre-disque sur Léonard alors même que vous
avouez qu’il ne nous reste aucun témoignage direct des musiques qu’il
pouvait jouer en tant que musicien talentueux ?
Denis Raisin Dadre : "Nous n’avons en effet pas de musique de
Léonard lui-même si ce n’est un petit canon, mais c’est également le cas
de tous les autres musiciens de lira da braccio de cette fin du XVe
siècle, car il s’agissait d’un instrument sur lequel on improvisait. Cette
lacune n’est donc pas liée à Léonard, mais à son instrument, cette lyre
sur laquelle les musiciens n’ont pas laissé de traces écrites. Ce qui est
intéressant et surtout frappant chez Vinci, c’est que beaucoup de ses
contemporains parlent de lui et de cette musique qu’il jouait, Vasari bien
entendu mais également d’autres sources. Ce n’était pas du tout un amateur
et il devait avoir une très haute maîtrise pour avoir été invité à Milan
non seulement comme peintre mais également comme joueur de lyre. À Milan,
lorsqu’il organise les fêtes du duc, il jouait lui-même de la lyre et
improvisait des vers en chantant. Cette période concerne essentiellement
ses années de jeunesse jusqu’à sa trentaine. Aussi, me suis-je demandé
avec Vincent Delieuvin, Conservateur en chef - chargé de la peinture
italienne du XVIe siècle chez Musée du Louvre, s’il n’y avait pas
justement une relation dans cette pratique de l’improvisation et cette
façon de peindre très spécifique à Vinci".
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il existait aux XVe et XVIe siècles des
musiques dites expressément « secrètes » qui étaient réservées à des
élites, et qui ne sortaient pas des lieux où elles étaient jouées
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Pouvez-vous revenir sur cette
belle expression « musique secrète » des peintures de Léonard ?
Denis Raisin Dadre : "Deux références doivent être soulignées quant
à cette expression de « musique secrète ». Tout d’abord, une
référence musicale très précise, puisqu’il existait aux XVe et XVIe
siècles des musiques dites expressément « secrètes » qui étaient réservées
à des élites, et qui ne sortaient pas des lieux où elles étaient jouées.
La plus connue, même si cela est plus tardif, est celle recopiée par
Mozart à la Chapelle Sixtine. Cette pratique de musique secrète a lieu
également à la cour de Ferrare où les fameuses dames qui chantaient pour
le duc tous les soirs avaient interdiction de les divulguer, ce qui
explique qu’elles n’ont pas été éditées. L’autre grand exemple sont les
Prophéties des Sibylles de Lassus qui ont été composées dans sa
jeunesse et qui n’ont pas été éditées pendant longtemps parce que son
commanditaire ne souhaitait pas qu’elle soit divulguée tellement cette
musique était exceptionnelle. La seconde référence à cette « musique
secrète » vient d’une citation expresse du critique d’art Marcel
Biron. Ce dernier avouait ne pas regretter la présence des anges musiciens
qui devaient encadrer en un retable de chaque côté la Vierge aux
rochers (qui se trouve actuellement à Londres) parce que la peinture
de Vinci était une peinture dans laquelle on entendait une musique… «Une
musique secrète » ! Cela m’a beaucoup marqué et a constitué le point
de départ de cette idée d’enregistrement".
La musique franco-flamande
prédomine en ce dernier tiers du XVe s. en Italie, peut-on dire que c’est
ce répertoire qu’a pu essentiellement entendre et jouer Léonard ?
Denis Raisin Dadre : "Entendre, c’est certain ! Car, après une
longue période de recherche sur les manuscrits, j’ai pu avoir une idée
assez précise des musiques de son époque lorsqu’il était dans l’atelier de
Verrocchio à Florence. Il est même assez étonnant de constater cette
omniprésence de la musique franco-flamande sans trouver une seule
référence italienne ! Il suffisait que Vinci entre dans une des églises de
Florence pour qu’il entende ce répertoire franco-flamand. Par contre,
lorsque Léonard jouait de la lira da braccio, il s’inscrivait dans
ce grand mouvement d’indépendance de la musique italienne contre cette
mainmise de la culture bourguignonne. Ses improvisations sur la lyre n’avaient rien à voir avec ces classiques établis par les grands maîtres franco-flamands".
Le début du XVIe s. voit la
naissance en Italie du premier livre de frottole et l’apparition de
musiciens italiens, prélude à la grande période du madrigal. En quoi ces
nouveautés seront-elles importantes pour la musique italienne ? Comment un
peintre tel que Léonard pouvait-il juger ces nouveautés ?
Denis Raisin Dadre : "J’ai puisé quelques pièces dans ces livres de
frottole (brève chanson profane italienne, à l’honneur de la fin du XVe
siècle jusqu’au milieu du XVIe s. ndlr) qui constituent des témoignages de
l’art de la lira de Vinci. Il s’agit de morceaux où il est indiqué «
Personetti », c'est-à-dire servant à l’improvisation, des sources
absolument rarissimes du début du XVIe siècle concernant cette pratique
née à la fin du XVe siècle avec une dizaine de grilles dont on se servait
pour réciter -« recitare » - à la lyra, véritable témoignage de
l’art de Léonard. D’autre part, nous savons que Léonard a été très
sollicité par Isabelle d’Este qui était la sœur de Béatrice, elle-même «
grande patronne » de la frottole résidant à Milan". |
Trois femmes puissantes sont ainsi à l’origine de l’émergence d’un art
proprement italien dans les cours : Isabelle, donc, et sa sœur Béatrice
d’Este sans oublier la duchesse d’Urbain. En encourageant les musiciens et
cette pratique de l’art de la frottole au début du XVIe siècle,
nous assistons dans les manuscrits à cette évolution vers des « proto
madrigaux » avant le fleurissement à part entière de l’art du madrigal
dans les années 1530. Léonard de Vinci a vu l’émergence de cet art protégé
par ces femmes exceptionnelles. Il est certain que cet esprit novateur a
puissamment inspiré et correspondu avec l’art de Léonard non seulement
dans la peinture, mais également vis-à-vis de la musique qu’il pratiquait.
La lira est un instrument d’expérimentation par excellence
puisqu’on ne joue pas de musique écrite. De nombreuses recherches
musicologiques ont d’ailleurs lieu actuellement sur cet art et je pense
que cela va permettre d’expliquer comment nous sommes passés de la
première mise en musique de l’Orfeo de Poliziano au XVe siècle à l’Orfeo
de Monteverdi, en 1607. La lira, instrument d’Orphée et de l’aède
grec qui récitait un texte, est sans aucun doute un des très grands
moteurs de l’émergence de l’opéra. Avec la lyra, seul le chant est
accompagné de l’instrument, alors que dans toute la musique du XVIe s., la
polyphonie prédomine avec la superposition de plusieurs voix répondant à
des règles complexes. On a longtemps sous-estimé l’importance de la
lyra et il ne faut pas oublier que, naguère, le public pleurait
littéralement sur les places de Florence où étaient jouées et récitées ces
épopées".
La technique du peintre,
notamment son fameux sfumato, rejoint-elle certains effets et
ornementations posés par la musique notamment avec la lira ?
Denis Raisin Dadre : "Je me suis permis de faire cette comparaison
– et cela n’a évidemment aucun caractère scientifique – car c’est un
ressenti qui m’a beaucoup frappé. Il est très troublant de constater que
la lyre autour de la voix crée un halo sonore qui n’a rien à voir avec la
façon dont on écoute la musique habituellement, d’autant plus que cet
instrument n’a pas de basse. Ordinairement, lorsque vous écoutez de la
musique, vous trouvez toujours une basse et des accords. Or avec la lyre,
il n’en est rien. De plus, cet instrument se place au-dessus de la voix de
l’homme ; en terme d’octave, la lyre est, en effet, plus aiguë que la voix
d’un homme. Ce système qui est à l’inverse de notre écoute habituelle avec
un accompagnement au-dessus et sans basse crée une sorte de « sfumato
sonore » qui estompe les lignes ainsi que notre écoute…"
_____________
C’est une époque d’une extraordinaire
complexité notamment en terme musical avec des citations permanentes, des
thèmes entrecroisés, des jeux contrapuntiques absolument fous
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Une très grande liberté présidait dans la composition et ses
déclinaisons en « jeux intellectuels », est-ce là encore un parallèle avec
les nombreuses variations, corrections et évolutions apportées par le
peintre à ses œuvres toute sa vie durant ?
Denis Raisin Dadre : "C’est une époque d’une extraordinaire
complexité notamment en terme musical avec des citations permanentes, des
thèmes entrecroisés, des jeux contrapuntiques absolument fous. Ce rapport
intellectuel à la musique n’a pu que séduire Léonard de Vinci qui lui-même
était un esprit complexe, érudit et scientifique. À son époque, on parle
véritablement d’une science de la musique, et nous savons combien ce génie
a fréquenté de nombreux mathématiciens qui étaient eux-mêmes des
musiciens. Lorsque vous lisez les traités de musique de cette période,
vous avez souvent l’impression de lire un traité de mathématique…"
Quel regard portez-vous sur la
dimension religieuse de certaines des œuvres de Léonard de Vinci ?
Denis Raisin Dadre : "Je crois que c’est quelque chose de très
original chez Léonard de Vinci, ne serait-ce que par les thèmes traités
comme celui de sainte Anne avec la Vierge, thème assez rare dans la
peinture. La première chose qui me frappe chez Léonard, c’est que nous
sommes vraiment aux antipodes d’une peinture qui exalterait la puissance
de l’Église, à la différence d’un Tintoret ou d’un Véronèse au XVIe siècle
qui se dirigeront, eux, plus vers des choses « baroques » exaltant cette
puissance institutionnelle. L’intimité des tableaux de Léonard semble à
mon avis l’élément marquant de son art sur le plan religieux. Un dialogue
est en quelque sorte instauré entre celui qui regarde et le tableau. Ce
genre relève d’ailleurs plus de la dévotion privée que de l’art officiel.
Il est d’ailleurs troublant de constater cette ambiguïté entre profane et
religieux, sainte Anne et sa fille laissent l’impression d’avoir le même
âge, son saint Jean-Baptiste apparaît sous les traits d’un joli jeune
homme… Léonard de Vinci fait preuve d’une liberté absolue dans la manière
dont il évoque ces personnages sacrés. Je fais d’ailleurs un parallèle
quant à cette liberté avec le Caravage dont les peintures religieuses
apparaîtront souvent scandaleuses car n’obéissant pas aux normes de son
époque. Cette approche religieuse est poussée à son paroxysme avec la
Cène et cette agitation extrême des disciples que personne n’avait osé
représenter ainsi auparavant. Dans la musique de la même époque, cette
intrication sacrée profane est usuelle, et même permanente, avec des
musiques sacrées écrites sur des chansons profanes. Un grand nombre de
musiques sacrées existait avec un double texte : un soprano ayant recours
au latin d’un Requiem pendant que le ténor récitait une chanson. Cette
distinction entre sacrée et profane n’existait pas à cette époque. Ce qui
me frappe surtout pour Léonard de Vinci, c’est cette liberté quant à
l’institution. C’est quelqu’un qui toute sa vie a fait ce qu’il voulait.
Le meilleur exemple étant peut-être Isabelle d’Este qui n’a jamais réussi
à obtenir son tableau alors même qu’elle n’a eu de cesse de relancer
Léonard à ce sujet !"
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Je crois que nous avons retrouvé cette
immense tendresse et douceur dans la musique, à l’image de celle
omniprésente dans les œuvres de Léonard de Vinci.
_____________
Qu’avez-vous ressenti dans la pénombre de l’abbaye de Noirlac lors de
l’interprétation de ce programme composant votre dernier enregistrement ?
Denis Raisin Dadre : "Je dois avouer que ce programme a été
certainement l’un des problèmes les plus compliqués de toute mon existence
! Tout d’abord, ces tableaux sont très intimidants, et ce d’autant plus
que je ne souhaitais pas présenter une version purement intuitive, mais
aussi une proposition scientifique à partir de recherches sur les musiques
de cette époque. Et je dois avouer, comme souvent dans ces situations les
plus compliquées, qu’il peut y avoir des miracles ! Soudainement la
musique « apparaît » avec un lien très fort avec ces tableaux dont les
reproductions étaient devant nous. Je crois que nous avons retrouvé cette
immense tendresse et douceur dans la musique, à l’image de celle | |