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Édition Semaine n° 6 / Février 2025

Exposition « Faire parler les pierres

Sculptures médiévales de Notre-Dame »

Musée de Cluny Paris

Jusqu’au 16 mars 2025

 

Le musée de Cluny, parallèlement à l’achèvement de la restauration de Notre-Dame de Paris, explore le riche patrimoine sculpté de la cathédrale. Cette exposition unique éclaire grâce à une mise en l’espace judicieuse la richesse de l’art gothique et de la vie du célèbre édifice avant les grandes transformations opérées par l’ère moderne.
En partenariat avec l’INRAP et le Centre de recherche et de restauration des musées de France, l’exposition rassemble environ 120 œuvres issues de fouilles, de restaurations récentes et de collections historiques.

 

 

Mais l’intérêt de cet évènement ne réside pas seulement dans la simple présence de ces témoins uniques de l’ère médiévale de la cathédrale, mais aussi et surtout dans leur mise en perspective à la fois didactique et esthétique avec le contexte de ces siècles qui ont vu naître ce joyau du gothique, sans oublier l’impressionnant travail réalisé sur l’analyse et la restauration de ces œuvres souvent parcellaires.

La première impression qui ressort de ce parcours habilement conçu par Damien Berné, commissaire et conservateur en chef au musée de Cluny, est en effet cette beauté ineffable de ces fragments du jubé du XIIIᵉ siècle, récemment découverts lors des fouilles préventives de 2022 et exposés pour la première fois.

 

 

Le regard et l’intérêt du visiteur s’arrêtera également sur ces célèbres têtes des rois de la Galerie des Rois, trouvées en 1977 sous un hôtel particulier, sans oublier cette reconstitution convaincante et éloquente des éléments polychromes des portails Sainte-Anne et du Jugement dernier, ainsi que de la statue d’Adam, chef-d’œuvre de la sculpture gothique. Ces œuvres, associant calcaire brut et traces de polychromie, subliment la richesse du décor médiéval intérieur et extérieur de Notre-Dame avant les trop nombreuses destructions apportées par les siècles suivants.

 


Cette exposition, inscrite dans le cadre du label « Notre-Dame de Paris : vers la réouverture », permettra au visiteur de redécouvrir ce patrimoine en renaissance, par le truchement de pièces inspirées par la spiritualité médiévale avant sa traduction par les artisans les plus virtuoses. Une visite indispensable avant ou après pour redécouvrir la richesse et beauté de la cathédrale Notre-Dame de Paris.


Catalogue « Faire parler les Pierres – Sculptures médiévales de Notre-Dame » Editions Faton, 2024.

 

 

Exposition « Ribera – Ténèbres et Lumière »

 Petit Palais - Paris

Une rétrospective saisissante

Jusqu'au 23 février 2025

 

Jusqu’au 23 février 2025, le Petit Palais met en lumière l’œuvre intense et dramatique de Jusepe de Ribera (1591-1652), un peintre espagnol certes moins reconnu que son maître, Le Caravage, mais dont la puissance artistique mérite indéniablement d’être redécouverte. À travers cette exposition, le Petit Palais offre une immersion dans l’univers de l’artiste, dont le réalisme frappant et les jeux de lumière ont marqué son époque. Né à Játiva, près de Valence, Ribera s’installe en Italie dès son adolescence, où il est surnommé Lo Spagnoletto et s’imprègne de l’art du Caravage. Bien qu’il n’ait peut-être jamais croisé le maître, l’influence de ce dernier sur son œuvre demeure incontestable.

 

Le Jugement de Salomon
Jusepe de Ribera 1609-1610.
Huile sur toile, 153 x 201 cm.
Galleria Borghese, Rome.
© Galleria Borghese.

 

Le clair-obscur et le réalisme – si caractéristiques du Caravage – marqueront son propre style. Tout au long de sa carrière, Ribera bouleversera, en effet, les codes artistiques en introduisant une vision plus crue et plus intime de la réalité, un réalisme captivant qui séduit les plus grands mécènes de l’époque.
L’exposition, pensée par les commissaires Annick Lemoine et Maïté Metz, permet de redécouvrir ce génie baroque à travers une scénographie qui sublime ses chefs-d'œuvre présentés pour la première fois en France. À l’instar de son modèle caravagesque, Ribera maîtrise l'art du contraste, qu’il applique aussi bien à ses scènes religieuses qu’à ses représentations de la vie quotidienne.

Sa capacité à rendre les émotions humaines fait de lui un maître du Baroque, et ses portraits, souvent saisissants de vérité, sont marqués par une approche directe et sans artifice, typique de son époque. Le réalisme de Ribera ne se limite pas aux simples représentations de figures pieuses ; il va jusqu'à sublimer des scènes de misère et de souffrance, comme dans le poignant « Portrait d’un mendiant » de la Galleria Borghese. Son regard acéré et son utilisation de la lumière transforment des sujets simples en drames visuels, amplifiant l’intensité émotionnelle de chaque œuvre.

 

Le Reniement de Saint-Pierre Jusepe de Ribera
1615-1616.
Huile sur toile, 163 x 233 cm.
Galerie Corsini, Rome.
© Gallerie Nazionali di Arte Antica, Ministero della Cultura
 

Dans un contexte religieux marqué par le Concile de Trente, Ribera trouve sa place en réinterprétant les prescriptions morales de l’Église pour toucher les âmes. Ses œuvres, imprégnées de mysticisme et de piété, sont des appels à la dévotion. Son « Saint Jérôme pénitent » ou encore « Saint Jérôme et l’Ange du Jugement dernier » témoignent de cette quête spirituelle. La tension entre la vie et la mort, la souffrance et la rédemption sont au cœur de son œuvre, notamment dans ses scènes de la Passion du Christ, à la fois poignantes et théâtrales.
Loin de se contenter d’une simple présentation chronologique, cette exposition invite le visiteur à comprendre l’évolution de l’artiste en mettant l’accent sur ses thèmes majeurs, et à découvrir à travers l’œuvre de Ribera, une vision personnelle du monde baroque dans lequel chaque toile devient un théâtre de la condition humaine. À ne manquer sous aucun prétexte.

 

Catalogue « Ribera, Ténèbres et lumière » sous la direction d'Annick Lemoine, conservatrice générale, directrice du Petit Palais et Maïté Metz, conservatrice des peintures anciennes au Petit Palais, 23,5×30,5 cm, 304 pages, relié, 180 illustrations, Editions Paris Musée, 2024.

 

 

Naissance et Renaissance du dessin italien

La Collection du Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

Fondation Custodia,

jusqu’au 12 janvier 2025

 

La fondation Custodia propose de découvrir le fonds de dessins réuni par le grand collectionneur néerlandais Franz Koenigs au siècle passé en une exposition aussi virtuose qu’inspirante. Virtuose, car les feuilles présentées proviennent des plus grands artistes du XVe au XVIe siècle, ces 120 dessins étant pour la plupart d’une remarquable qualité non seulement d’exécution, mais également de conservation. Ces feuilles prestigieuses, essentiellement d’origine italienne, offrent ainsi en une belle scénographie épurée dans la cadre intimiste de la Fondation Custodia une rencontre inspirante avec le visiteur.
 

Léonard de Vinci (1452-1519), Léda et le cygne, vers 1505-1507
Pierre noire, plume et encre. – 128 × 109 mm
Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Prêt de la Stichting Museum Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs), inv. I 466
 

Dès la première salle, nous nous trouvons face à la délicatesse de cette Tête d’ange de Giovianni Antonio Boltraffio, actif à Milan dans la deuxième moitié du XVe s., ou encore face à cette émouvante esquisse du thème bien connu chez Léonard de Vinci de Léda et le cygne à la pierre noire, plume et encre… Aucune barrière de sécurité, une affluence toujours raisonnable permettent de littéralement entretenir un dialogue intime avec ces œuvres anticipant des réalisations définitives ou fruits de séances de travail. Pisanello, Spinelli, Gozzoli et bien d’autres artistes laissent une somptueuse idée de ce que pouvaient être les principaux foyers artistiques de l’époque au nord de l’Italie entre Florence et Venise.

Un grand nombre de dessins réunis de Fra Bartolomeo sont présentés un peu plus loin, des études délicates de jeune homme ou plus enlevées pour ce saint Georges terrassant le dragon. Là, une émouvante étude de saint Jean-Baptiste agenouillé signée Raphaël ou encore ce fastueux Buste d’homme esquissé à traits vifs par le grand Michelangelo aux côtés de feuilles tout aussi réussies de Corrège, Parmesan, Primatice, Sebastiano del Piombo…

 

Federico Barocci (1535-1612), Étude pour la Mise au tombeau, vers 1579-1582 Pierre noire, craie blanche, mise au carreau pour transfert, sur papier bleu. – 259 × 374 mm
Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Prêt de la Stichting Museum Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs), inv. I 428

 

En fin de parcours, alors que le vertige d’une telle profusion gagne, l’exposition annonce la génération des dessinateurs actifs à la fin du XVIe s. préfigurant le baroque et le classicisme, le visiteur pourra ainsi encore s’émerveiller des dessins remarquables du Cavalier d’Arpin ou des Carrache, une expérience des plus intenses et fertile à découvrir et redécouvrir jusqu’au 12 janvier 2025.

 


L’exposition pourra être complétée avec profit par le catalogue (en anglais) édité à cette occasion et proposant l’état le plus abouti des recherches sur ces dessins et cette période essentielle de l’histoire de l’art : Italian Renaissance Drawings from Museum Boijmans Van Beuningen, un catalogue officiel sous la direction de Maud Guichané et Rosie Razzall, 296 p. 200 illustrations couleur, 28 × 22,6 cm, broché, en anglais, Londres, Paul Holberton Publishing, 2024.

 

 

Exposition « Chefs d’œuvre de la Galerie Borghèse »

Musée Jacquemart André

jusqu’au 5 janvier 2025.

 

 

Le musée Jacquemart André fait une rentrée plus qu’en beauté ! Car, outre la réouverture attendue après rénovation de sa collection permanente, c’est en effet à une promenade inspirée au cœur du parc de la ville Borghèse à laquelle le musée convie le visiteur parisien de l’exposition « Chefs d’œuvre de la Galerie Borghèse ». Impossible pour celles et ceux qui connaissent l’un des plus beaux musées de la Ville Éternelle de ne pas se sentir dépaysé en retrouvant tous ces chefs d’œuvre dans l’écrin intimiste restauré et repensé du musée parisien. Le lieu romain ouvrant ses bras de verdure à la contemplation romantique de ces heures où Byron, Goethe, Victor Hugo et tant d’autres louèrent les charmes de ces jardins nés d’une folie d’un cardinal du XVIIe - le fameux Scipione Borghese - sur ce qui n’était jusqu’alors que des vignes, se trouve en effet transposé, le temps d’une exposition, dans la capitale parisienne.

 

Raphaël, Dame à la licorne, vers 1506,

huile sur toile appliquée sur bois, 67 x 56 cm,

Galleria Borghese, Rome, © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen
 

 

Le cardinal Scipione Borghese, prélat tout puissant et neveu du pape Paul V (1550-1621), eut à cœur de réaliser en ces lieux romains une véritable ambassade des arts les plus en vogue de son temps, ne ménageant ni sa fortune immense, ni ses efforts – parfois guère charitables – pour parvenir à réunir l’une des plus belles collections d’art du XVIIe s. Magies des siècles et des lieux, aujourd’hui, alors que la Villa Borghèse est en restauration, c’est une quarantaine de ses trésors qui ont pu de manière exceptionnelle faire l’objet d’un prêt accordé au musée Jacquemart André, ainsi que le souligne avec une délectation compréhensible le commissaire Pierre Curie en collaboration avec Dr Francesca Cappelletti, Directrice de la Galerie Borghèse. Et quel autre musée, mieux que Jacquemart André pouvait effectivement de par son esprit accueillir en son sein pour quelques semaines ces chefs-d’œuvre de la collection Borghèse ?
Anticipant les musées modernes, la Galerie Borghèse dépasse le cadre de la collection privée tant son commanditaire sut non seulement composer cet ensemble selon un goût très sûr, mais également en concevant un dialogue des arts et des œuvres unique en son genre, ce qu’a souhaité rappeler l’exposition parisienne dès son ouverture avec ces sculptures de Lorenzo Bernini, dit le Bernin, présentées en prélude inspiré.

« Entre 1620 et 1625, Scipion Borghèse va donner à cet artiste tous les moyens afin de réaliser les grandes sculptures monumentales qui demeurent les chefs-d’œuvre incontournables du musée romain » souligne Pierre Curie. Des sculptures qui n’ont pas pu, pour des raisons pratiques bien sûr, être dans leur ensemble transportées, mais dont le musée donne néanmoins la nostalgie avec la fameuse « Chèvre Amalthée » qui a fait le voyage et est présente pour l’occasion entourée de deux autres sculptures du Bernin. Après ce prélude, en réminiscence du faste de Borghèse, la première salle de l’exposition donne la tonalité de ce goût sûr du cardinal en présentant le célèbre « Garçon à la corbeille de fruits » de Caravage, éblouissant de fraîcheur et de virtuosité, probablement le premier autoportrait du peintre introduisant le naturalisme à Rome à cette époque et chef d’œuvre incontournable de la collection Borghèse. Quelle merveille de le retrouver ainsi le temps d’une exposition à Paris !
 

Sandro Botticelli, Vierge à l’Enfant avec saint Jean Baptiste enfant et des anges, XVe siècle, tempera sur panneau, diam. 170 cm, Galleria Borghese, Rome, © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen

 

Puis, les signatures les plus célèbres se succèdent salle après salle, le Cavalier d’Arpin et cet admirable tableau « L’Arrestation du Christ » qui aiguisa la convoitise du cardinal au point d’ourdir une saisie guère charitable, mais aussi Bernin, Botticelli, Raphaël, Le Dominiquin, Lotto et bien d’autres prestigieux maîtres en un étourdissant panorama de ce que la Villa Borghèse et la peinture italienne de la Renaissance comptent de plus précieux… Venise, Florence, Bologne, Milan, Rome forment les ateliers les plus actifs et créatifs de cette époque où Scipion Borghèse puisera les trésors qui enrichiront sa galerie, galerie qui continuera à s’embellir au fil du temps en un rayonnement non seulement romain, mais également international, ainsi que le souligne le parcours de l’exposition.

 

Titien, Christ flagellé, vers 1568, huile sur toile,

87 x 62,5 cm, Galleria Borghese,

Rome, © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen


Plus étonnant encore, le goût du cardinal pour la beauté et l’esthétisme s’exprimera de manière contrastée puisque ses choix iront de l’art sacré le plus dramatique avec « La Flagellation du Christ » du Titien jusqu’aux plus voluptueuses représentations des Vénus en des connotations plus érotiques que mythologique ; Six Vénus qui viendront refermer avec bonheur cette incroyable exposition restituant la magie d’un lieu et d’un goût de l’un des plus beaux musées, véritable regard transversal au sein de la collection de la Galerie Borghèse …


Catalogue « Chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse » Fonds Mercator, 2024.

 

 

Nouveau Musée National de Monaco – Villa Sauber
Pasolini en clair-obscur exposition

jusqu’au 29 septembre 2024

 

 

Guillaume de Sardes consacre une exposition originale sur les liens unissant le grand poète et cinéaste italien, Pier Paolo Pasolini, aux arts et plus précisément à l’art des grands maîtres dont il se servira directement comme source d’inspiration pour ses films. Vient, bien entendu, à l’esprit l’influence de Caravage qui donne le sous-titre de cette exposition, tant la figure même du célèbre écrivain peut se rapprocher sur bien des points du peintre baroque italien. L’art comme source d’inspiration du cinéma – et de bien d’autres domaines – de Pasolini, tel est le fil directeur de cette passionnante exposition du Nouveau Musée National de Monaco qui trouve son prolongement dans le très complet catalogue-livre paru aux éditions Flammarion.

 

Extraits de films, peintures, dessins, installations et photographies allant du XVIe siècle à nos jours sont non seulement la preuve de la justesse d’un tel angle d’analyse mais également de la fertilité de cette approche artistique totalisante réalisée par Pasolini.
Quel autre personnage que l’intellectuel italien pouvait en effet conjuguer avec tant de réussite des tableaux aussi vivants inspirés de « La Déposition de Pontormo à son film « La Riccotta » ou encore des œuvres contemporaines de Francis Bacon évoquées dans cet autre film culte « Théorème » ?

Contrairement à bien d’autres « créations » du 7e art, Pasolini n’a point recours à l’héritage de la peinture comme décor mais bien en tant que partie intégrante même de son langage artistique ou politique.
L’exposition et le catalogue retracent également ses années de formation, des années essentielles pour Pasolini, étudiant brillant à Bologne qui suivra les cours du grand historien de l’art Roberto Longhi si essentiels pour ses nombreuses références ultérieures aux artistes du Moyen Âge et de la Renaissance italienne sans oublier le Caravage.
Chaque salle met en évidence ce réseau riche et fertile de liens entre 7e art et peinture, qu’il s’agisse de la dénonciation récurrente de la fin d’une époque traditionnelle broyée par le libéralisme ou encore d’une sensibilité exacerbée à partir de plans sublimes rejoignant la poésie du réalisateur. L’exposition prolonge, enfin, cette étude avec une trentaine d’artistes contemporains ayant rendu hommage au travail de Pier Paolo Pasolini, démontrant ainsi la pertinence de cette démarche du grand intellectuel italien.
 


Catalogue « Pasolini en clair-obscur » de Guillaume de Sardes, Editions Flammarion, 2024.

 

 

Exposition Pline l'Ancien -Côme / Italie

“Il catalogo del mondo: Plinio il Vecchio e la Storia della Natura”
Como, Ex Chiesa di San Pietro in Atrio e Palazzo del Broletto

3 maggio – 31 agosto 2024

 

C’est dans la ville de Côme en Lombardie, région où vécut Pline l’Ancien (23-79 av. J.-C.) qu’est consacrée actuellement une exposition à l’illustre hôte pour fêter le bimillénaire de sa naissance dans cette même ville. Cette évocation de l’un des plus importants auteurs d’études sur la nature et les sciences de son époque explore non seulement l’originalité de cette source antique en son temps, mais également son influence déterminante au fil des siècles jusqu’à notre époque. Gianfranco Adornato, professeur d’archéologie à la Scuola Normale Superiore de Pise, signe ce beau parcours qui met en avant les rapports de l’homme avec la nature selon le regard de l’auteur antique.

 


L’exposition se répartit sur différents sites de la ville de Côme, notamment dans l’ancienne église San Pietro in Atrio et le Palazzo del Broletto, ainsi que différentes étapes scénographiées par l’architecte Paolo Brambilla en plein air au coeur même de la ville et incluant notamment le nouvel espace multimédia Vis Commensis qui ouvre pour la première fois ses portes au public cette année.

Pas moins de 40 oeuvres ont été réunies pour cet événement, des oeuvres provenant des plus grands musées italiens ainsi que des créations d’artistes contemporains internationaux tels Luigi Spina, Fabio Viale, Giulio Paolini, Andy Warhol e Cy Twombly, tous inspirés par le personnage de Pline l’Ancien. Ainsi que le relève le commissaire de l’exposition Gianfranco Adornato : “À travers une galerie de portraits impériaux et des reconstitutions de certains lieux emblématiques de la Rome de l'époque flavienne, le visiteur est invité à comprendre le rôle de Pline dans la société de son temps, sa carrière politique et militaire, son rapport avec le pouvoir, ses nombreux voyages en Europe”.

 

 

 

 

Et surtout, sa célèbre “Histoire naturelle”, une oeuvre de Pline l’Ancien qui a rayonné au fil du temps et des siècles dans la culture européenne, ainsi que l’attestent les nombreuses pièces réunies pour cette exposition, ces gemmes magnifiques provenant des Offices de Florence témoignant des merveilles de la nature soulignées par Pline dans son ouvrage. L’exposition met ainsi en rapport les oeuvres présentées et les propos de l’auteur antique afin d’en souligner toute la modernité, mais aussi sa place privilégiée dans l’imaginaire contemporain, une place encore bien présente si l’on songe à l’art conceptuel de Cy Twombly ou aux sculptures de Fabio Viale également exposées.

 

Pour aller plus loin...


- Le site de l’exposition : https://plinio23.it/
 

- Le catalogue (en italien) : “Il catalogo del mondo: Plinio il Vecchio e la Storia della Natura” a cura di Gianfranco Ardornato, ORE Cultura Milano, 2024.
 

 

 


Chefs-d’œuvre de la collection Torlonia

Musée du Louvre

Jusqu’au 11 novembre 2024

 

 

Le Louvre accueille cette année les chefs d’œuvres de l’une des plus prestigieuses collections de marbres antiques, celle de la Collection italienne Torlonia exceptionnellement à Paris et dialoguant avec les propres collections du musée parisien. En un cadre somptueux venant d’être restauré – les appartements d’été d’Anne d’Autriche commandés aux plus grands artistes de l’époque par son fils Louis XIV – les trésors de la Collection romaine Torlonia se dévoilent ainsi pour la première fois à Paris. Les commissaires de l’exposition ont souhaité pour cet évènement à la fois familiariser le plus grand nombre de visiteurs à l’art romain fortement influencé par l’art grec antique, mais également mettre en évidence l’origine des grandes collections privées, puis publiques à l’origine de nos musées modernes.

 

 

La scénographie particulièrement réussie de cette exposition accompagne le visiteur dans sa découverte des plus belles œuvres gravées dans le marbre, comme si cette matière pourtant résistante fondait sous le ciseau de l’artiste ainsi qu’en témoigne l’éblouissant Il Caprone du début du IIe siècle après J.-C. restauré par le grand Bernin au XVIIe s. Ne semble-t-t-il pas d’ailleurs que le fameux sculpteur baroque pourrait être également l’auteur de cet étonnant Buste de Satyre ivre plus moderne encore dans cette pause marquant son abandon?
La plus grande collection privée de sculpture antique romaine recèle bien des trésors fort heureusement partagés grâce à ces initiatives d’expositions en Europe, rendant ainsi justice à ce goût pour l’antique si prisé naguère et quelque peu délaissé depuis. En parcourant les salles successives de cette exposition-écrin, nous réaliserons combien ces œuvres glorifiant la culture antique reposant à la fois sur le legs grec – classique et hellénistique - mais aussi sur une spécificité romaine affinée au fil du temps ont pu être déterminantes pour notre propre culture. Alors même que le musée aménagé par Alessandro Torlania en 1876 a fermé ses portes au milieu du XXe s., cette passion perdure tout de même grâce à des expositions évènements qui permettent d’en apprécier la richesse.

Archéologie et esthétique entament ainsi un dialogue fructueux, chaque œuvre révélant en effet non seulement le goût antique, mais également la culture et de l’histoire de ces époques reculées.

 

 

Mythologie, passions, valeurs morales, art funéraire suscitent ainsi autant de questionnements que de rapprochements, une découverte de « notre » histoire qui s’invite cet été dans l’un des plus beaux musées du monde !

 

 

Pour aller plus loin...

 

Catalogue officiel de l’exposition « Chefs-d’œuvre de la collection Torlonia » ; Sous la direction de Martin Szewczyk, Carlo Gasparri et Salvatore Settis ; 190 ill. ; 340 p., 24 x 28 cm, Coédition Louvre éditions/ Le Seuil, 2024.
 


A exposition d’envergure, catalogue d’importance, avec ces 340 pages signées des meilleurs spécialistes de l’art romain antique sous la direction de Martin Szewczyk, Carlo Gasparri et Salvatore Settis aux éditions du Louvre et Le Seuil. Le caractère unique de la collection italienne Torlonia réunie au début du XIXe s. méritait en effet qu’une étude détaillée lui soit consacrée à l’occasion de l’exposition-évènement qui vient d’ouvrir au musée du Louvre avec le prêt d’une soixantaine de chefs-d’œuvre de l’art romain. Le lecteur de ce superbe catalogue – ainsi que le visiteur de l’exposition - pourra constater le degré d’excellence atteint par ces œuvres patiemment acquises par le prince Alessandro Torlonia et sa famille. Égalant en effet les plus grandes collections mondiales

 

 

Exposition Grands décors restaurés de Notre-Dame

Mobilier National

jusqu'au 21 juillet 2024

 

 

Le terrible incendie d’avril 2019 a fort heureusement épargné un certain nombre d’œuvres d’art. C’est notamment le cas des superbes Mays de Notre-Dame de Paris sauvées du désastre et objet aujourd’hui d’une exposition au Mobilier National avec d’autres décors précieux de la cathédrale. Ainsi que le souligne Laurent Roturier, directeur de la DRAC d’Île de France : « La restauration de Notre-Dame constitue une aventure collective. Les tableaux ont bénéficié d’une restauration minutieuse et exemplaire qui permettra de les redécouvrir comme aux premiers jours de leur installation ».

 

 

C’est en effet selon une scénographie très bien conçue, qu’il sera possible aux visiteurs de (re)découvrir ces œuvres quelque peu ignorées alors qu’elles témoignent d’un art et d’une époque pourtant essentielle de la foi et de l’art français. Cet ensemble composé de treize Mays – au XVIIe s., la cathédrale en comptait 76 – trouve son origine avec la Confrérie des orfèvres parisiens qui offrit tout au long du XVIIe s. le 1er mai de chaque année (mois marial par excellence) un tableau de grand format honorant la Vierge Marie, d’où leur nom de May.
Ces peintures du Grand Siècle viennent, ainsi qu’il vient d’être souligné, de faire l’objet d’une impressionnante restauration, une restauration présentée lors du parcours de l’exposition grâce à des dispositifs multimédias, et qui a révélé des détails et couleurs jusqu’alors occultés par la patine laissée par les siècles passés. L’habile scénographie replace ces œuvres comme si elles étaient accrochées dans la cathédrale et même si nous les découvrons bien entendu au même niveau, alors qu’elles avaient été conçues pour être admirées en hauteur, cette véritable Bible en images déploie ses pages de manière éclairante.

Les scènes évoquées – pour la plupart d’entre elles tirées des Actes des Apôtres et des Évangiles – témoignent, en effet, de cet art de la Contre-Réforme conçu afin de mobiliser la foi des fidèles catholiques face à la vague réformée ayant déferlé alors sur l’Europe.

 

 

Il s’agissait dès lors de présenter les Écritures dans toute leur magnificence, par opposition au retrait relatif des images dans le protestantisme, cet élan spirituel ayant été confié aux plus grands artistes du XVIIe s. tels Charles Le Brun, Eustache Le Sueur, Laurent de la Hyre, Aubin Vouet, etc.

 


C’est ce renouvellement de l’iconographie servi par ces grands maîtres de la peinture que le visiteur découvrira grâce à cette mise en valeur proposée par cette exposition aussi didactique qu’esthétique. À noter, enfin, la présentation en deuxième partie de l’exposition – à l’étage – de la magnifique restauration du tapis de chœur de Notre-Dame de Paris déployé sur toute sa longueur en compagnie des 14 autres tapisseries tissées de 1638 à 1657.


Pour approfondir encore la visite de l’exposition, on se reportera au catalogue « Grands décors restaurés de Notre-Dame de Paris » paru aux éditions Silvana Éditoriale sous la direction de Caroline Piel et d’Emmanuel Pénicaut, commissaires de l’exposition.
 

 

 

« Les Tiepolo, invention et virtuosité à Venise »

Beaux-Arts de Paris jusqu’au 30 juin 2024

 

 

C’est au pluriel qu’il faut décliner dans l’art le patronyme Tiepolo, ce dont fait la brillante démonstration une passionnante exposition dans le cadre toujours aussi intimiste et inspirant du Cabinet des dessins et des estampes Jean Bonna aux Beaux-Arts de Paris. Quel autre lieu en effet dans la capitale offre une aussi grande intimité entre le visiteur et de prestigieuses œuvres d’art ? Pour ce printemps, les commissaires Hélène Gasnault et Giulia Longo ont souhaité présenter cette famille si prolifique non seulement à Venise mais également bien au-delà de la lagune. Point de départ : le « patriarche », Giambattista Tiepolo né en 1696 et mort en 1770. Si ce maître exceptionnel signera les plus grandes fresques virtuoses ornant palais et églises avec son style inimitable, son art du dessin forcera également l’admiration ainsi qu’en témoignent les feuilles remarquables réunies pour l’exposition à partir du fonds des Beaux-Arts, deuxième collection publique de dessins de l’artiste.

 


Non présentés depuis plus de trente ans, ces dessins mis en regard avec ceux de ses deux fils, Giandomenico (1727-1804) et Lorenzo (1736-1776), ainsi que d’artistes aussi renommés que Rembrandt, Piazzetta, Canaletto Guardi ou encore Novelli dressent un panorama unique de l’art des Tiepolo pour appréhender des scènes du quotidien avec la même virtuosité que celles de l’art sacré…

L’attention se portera par exemple sur ces esquisses si spontanées de pied, tête et flacons témoignant de l’art déjà abouti du jeune Giambattista à se saisir avec sagacité du quotidien. L’art de l’estampe également présenté dans le parcours permettra également de constater combien l’artiste témoigne de cette même habileté pour des scènes plus officielles telle cette Apparition de la Vierge du Carmel à saint Simon Stock dans laquelle l’artiste met en œuvre un véritable tourbillon de personnages renforcé par le chaos des pierres à l’antique au premier plan. Variantes et variations serviront d’essais et d’études à cette virtuosité qui se déploie dans le mouvement et les positions les plus improbables, comme si les Tiepolo avaient découvert l’art de s’abstraire de la gravitation…

Les deux fils de l’artiste Giandomenico et Lorenzo recueillent et prolongeront encore cet héritage avec des œuvres de qualité tel cet admirable pastel de Lorenzo représentant avec force les traits d’un vieil homme barbu ou encore cet inattendu effroi de la Vierge lors de l’Annonciation évoqué par Giandomenico.
 


Pour aller plus loin… Le catalogue...

Catherine Loisel, Hélène Gasnault et Giulia Longo signent un remarquable catalogue venant complèter idéalement la visite de l’exposition et qui permettra d’en prolonger les développements. Ce 58e Carnet d’études édité par les Beaux-Arts de Paris témoigne, en effet, de l’importance de la présente exposition ainsi que le souligne en préface Alexia Fabre, directrice des Beaux-Arts de Paris : « C’est aussi la force du dessin qui s’exprime dans cette exposition et cette publication, avec des feuilles décorrélées d’autres projets, assumées dans leur réalité, non assignées au statut d’œuvres préparatoires : le dessin par lui-même et pour lui-même est au cœur de ce voyage dans la Venise rococo… ».
La présente publication approfondit effectivement l’étude de cet art du dessin appréhendé par cette famille unique des Tiepolo, qu’il s’agisse de l’art de l’estampe en vogue à cette époque ou du pur exercice de style. Si cette créativité débridée préludera aux plus grandes œuvres peintes, le dessin en tant que tel concourt à cette apothéose graphique qui sera le trait distinctif des Tiepolo en ce XVIIIe siècle vénitien.

 

catalogue avec des textes de Catherine Loisel, conservatrice honoraire du musée du Louvre et spécialiste du dessin italien ancien, Hélène Gasnault, conservatrice des dessins et Giulia Longo, conservatrice des estampes et photographies aux Beaux-Arts de Paris. Carnet d’études n°58, 112 pages.
 

 

 

« Paris 1874 – Inventer l’impressionnisme »

Musée d’Orsay

jusqu’au 14.07.24

 

 

Comment considérer le mouvement de l’impressionnisme au titre d’avant-garde alors que de nos jours les œuvres de ces artistes nous semblent devenues des classiques ? C’est la question centrale d’une belle exposition au musée d’Orsay qui nous invite à redécouvrir l’originalité et la modernité de ces peintres en marge du XIXe siècle académique qui en 1874 marquèrent leurs différences par rapport à leurs confrères. Le musée d’Orsay et la National Gallery of Art de Washington ont osé bousculé nos habitudes en rappelant combien des artistes comme Monet, Degas, Renoir, Morisot, Pissaro, Sisley, et Cézanne firent irruption dans de ce dernier tiers du siècle de la Révolution industrielle. 1874 fait en effet figure de date charnière ainsi que le rappellent Sylvie Patry et Anne Robins, commissaires de l’exposition, et la réunion d’une trentaine d’artistes qui eut lieu en cette année entre le 15 avril et le 15 mai dans les anciens ateliers de Nadar marqua un point d’ancrage à la fois mythique et méconnu.

 

Claude Monet (1840-1926) Coquelicots 1873 Huile sur toile
50 x 65,3 cm Paris, Musée d'Orsay

© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé
Lewandowski

 

La présente exposition invite justement le visiteur à redécouvrir période et pose un regard neuf sur cet évènement essentiel pour la destinée du mouvement impressionniste. Dans ce laboratoire en marge des Salons officiels se croisent toutes les influences et les peintres que l’on affublera du qualificatif Impressionnistes s’avèrent bien minoritaires ainsi que le soulignent les premières salles du parcours du Grand espace d’exposition du musée d’Orsay. Il faut souligner la richesse – parfois quelque peu déconcertante – des œuvres réunies en un accrochage vertigineux mais souhaité et des plus fructueux afin de rappeler le contexte de l’évènement de 1874. Ce parcours rappelle en effet combien cette période de mutation s’inscrivit dans un climat d’après-guerre et à la veille de l’instauration de la IIIe République. Parmi ces trente artistes, seuls sept d’entre eux seront considérés par la suite comme « impressionnistes ». L’originalité de la présente exposition du musée d’Orsay est justement de nous convier à revoir le regard, notre regard porté sur ce mouvement, ce qui en marqua l’originalité mais aussi les liens avec la société de son époque, des rapports plus complexes qu’il n’y paraît de prime abord et que le parcours éclaire avec brio.

« Paris 1874– Inventer l’Impressionnisme » ; Catalogue officiel de l’exposition éponyme au Musée d’Orsay – RMN, Paris.

 


C’est un beau et riche catalogue qui accompagne l’exposition éponyme « Paris 1874 – Inventer l’impressionnisme » au musée d’Orsay. Avec son format allongé et ses 289 pages, il comblera autant ceux qui ont eu la chance de découvrir cet événement que ceux n’ayant pu à regret s’y rendre. Sous la direction de Sylvie Patry et d’Anne Robbins, toutes deux commissaires de l’exposition, l’ouvrage offre une succession de contributions qui sont autant de tableaux, de repères et d’analyses pour appréhender au mieux cette période qui a vu naître l’un des mouvements majeurs – et probablement le plus connu – de l’histoire de l’art : l’impressionnisme.

 

Camille Pissarro (1830-1903) Matinée de juin, Pontoise
1873 Huile sur toile 55 x 91 cm inv. 2539
Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle Karlsruhe
Photo Staatliche Kunsthalle

 

Mais si son apogée a donné lieu aux plus grandes expositions et ouvrages de référence, sa naissance entre Salons officiels et volonté d’indépendance des artistes dans ce Paris du dernier quart du XIXe siècle marqué par la guerre de 1870 et la Commune demeure paradoxalement plus ignorée, ainsi que le soulignent d’emblée les commissaires en leur préface : « La manifestation de 1874 est en effet à la fois mythique et inconnue ».

 

Et si cette date a été effectivement et classiquement donnée comme l’acte fondateur de l’impressionnisme, bien des malentendus ou du moins flottements demandent aujourd’hui à être levés. C’est en ce sens que ce catalogue entend parallèlement à l’exposition au Musée d’Orsay « revisiter » par une féconde analyse s’articulant autour de quatre chapitres majeurs ce « Paris de 1874 » dans lequel s’inscrivit l’invention de l’impressionnisme. Un catalogue incontournable et idéalement complémentaire de la visite de l’exposition.

 

 

Exposition « Théodore Rousseau – La voix de la forêt »

Petit Palais

jusqu’au juillet 2024

 

 

Le Petit Palais de Paris accueille actuellement une exposition consacrée au peintre Théodore Rousseau (1812-1867), l’un des porte-paroles de cette nature tant questionnée par les artistes au XIXe siècle, anticipant sur les Impressionnistes et s’immergeant littéralement dans l’élément naturel. C’est la « voix de la forêt » que tente de transmettre le peintre en des œuvres non point démonstratives sur le plan académique – même si la technique irréprochable force l’admiration – mais puissamment inspirées par cette osmose avec la nature, une osmose atteinte après de longues études, immergé dans cette dernière.

 


En une scénographie particulièrement réussie évoquant sous-bois et autres futaies, le parcours nous invite à découvrir toutes les facettes de l’art de Théodore Rousseau, un art alliant vivacité du trait puisé à la chlorophylle des arbres chéris et couleurs traduisant cette vie protéiforme parfois bouleversée malheureusement par l’irruption de l’homme.

 

 

Cette école du paysage plus tard admirée par les jeunes impressionnistes et autres photographes ne recueillit pourtant pas l’assentiment général de ses contemporains choqués de ce refus par l’artiste de suivre la voie académique imposée. Il ressort cependant du choix artistique retenu pat Théodore Rousseau une vision, non plus dominatrice de la nature telle qu’elle prévalait jusqu’alors, mais une vision plus intimiste, témoignant, de l’intérieur, des multitudes organiques qui s’offraient à son regard.

 

Rousseau ne cherche pas en effet à embellir la nature – elle n’en a guère besoin – mais bien à en percevoir les dialogues intimes y compris avec l’homme et le peintre qu’il fut.

Les forêts de Fontainebleau, les paysages de Normandie, d’Auvergne, des Landes ou du Bery sont alors prétexte à cette ode d’amour avec la vie intrinsèque du végétal, ainsi que sut également l’exprimer en son temps le poète Charles Baudelaire: « C’est un naturaliste entraîné sans cesse vers l’idéal ». Une liberté marquée notamment tant sur le plan formel – avec de nombreuses esquisses hybrides avec le tableau – que sur le fond, et qui nous permet au XXIe siècle d’apprécier l’approche novatrice d’une âme éprise d’absolu ouvrant bien des portes à ses successeurs.

 

Pour aller plus loin… Le catalogue
 


« Théodore Rousseau – La voix de la forêt » catalogue sous la direction de Servane Dargnies-de-Vitry, Éditions Paris Musées, 2024.


Servane Dargnies-de-Vitry, commissaire de l’exposition, ouvre le catalogue en rappelant cette confession de Théodore Rousseau : « J’entendais aussi les voix des arbres ; les surprises de leurs mouvements, leurs variétés de formes et jusqu’à leur singularité d’attraction vers la lumière m’avaient tout d’un coup révélé le langage des forêts ». C’est cette grammaire de la nature que tente de saisir l’artiste qui souhaitait « surprendre la nature chez elle ». Servane Dargnies-de-Vitry rappelle combien la grande préoccupation de Rousseau fut de peindre au-delà des arbres et de la forêt « la manifestation de la vie », une attitude de tous les instants qui s’observe dans le réalisme extrême de ses œuvres, sans exclure pour autant un idéal à rapprocher d’un panthéisme certain.

 


Cet angle complexe et novateur à l’époque fait en ces pages l’objet de riches études articulées autour des quatre pôles de l’exposition : « révolutionner la peinture du paysage » ; « Le grand refusé » ; « Fontainebleau et Barbizon » ; « La voix des arbres ». L’ouvrage abondamment illustré par les œuvres de l’artiste ainsi que de nombreux documents permettra de mieux se plonger encore dans la création du peintre et de son œuvre, un atelier à l’air libre d’une modernité qui étonne encore de nos jours où notre rapport à la nature est plus que jamais questionné.

 

 

Exposition Revoir van Eyck

rencontre avec un chef d’œuvre – La vierge du chancelier Rolin

Musée du Louvre

du 20 mars au 17 juin 2024.

 

 

C’est un bijou d’exposition que nous propose actuellement le musée du Louvre, une exposition tournant autour d’une magnifique œuvre, une toile de Jan van Eyck – la Vierge du chancelier Rolin - seul tableau de l’artiste conservé en France au Louvre et qui vient de faire l’objet d’une restauration. A l’occasion de cette dernière ayant révélé un revers peint en trompe-l’œil d’un faux marbre vert probablement de la main de l’artiste ont été réunies autour de cette Vierge afin de mieux la mettre en perspective d’autres œuvres d’artistes tout aussi prestigieux : Roger van der Weyden, Robert Campin ou encore de Jérôme Bosch, des prêts exceptionnels de musées internationaux, mais aussi cinq autres œuvres de Jan van Eyck dont La Vierge et L’Enfant dite Vierge de Lucques prêtée pour la première fois par le Museum de Francfort.
L’exposition sous le commissariat de Sophie Caron, conservatrice au département des peintures du musée du Louvre, a été conçue pour offrir au public l’occasion unique de mieux connaître et appréhender cette œuvre exceptionnelle ( initialement tableau de dévotion mobile), destinée à Nicolas Rolin, chancelier du duché de Bourgogne. Personnage aussi sévère qu’énigmatique que le visiteur découvrira ou plutôt rencontrera sous différents angles et portraits dans le parcours de l’exposition. Visage du chancelier par van Eyck dans La Vierge de Rolin, bien sûr, mais aussi des visages signés van der Weyden sur ce panneau du polyptyque du Jugement dernier des hospices de Beaune ou encore dans cette enluminure du manuscrit des Chroniques de Hainaut de la Bibliothèque royale de Belgique.

L’attention sera également happée par la splendeur et richesse du paysage d’arrière-plan de la Vierge du chancelier Rolin, un paysage d’une profondeur et ampleur inouïes presque uniques dans l’œuvre de Jan van Eyck, et révélant, ainsi que le souligne Sophie Caron, avec notamment son jardin et ses petits personnages tout le talent de miniaturiste de l’artiste. « Il ne s’agit pas, en effet, d’un lieu réel mais seulement vraisemblable, qui permet une immersion presque hypnotique, favorable à la prière. » Comment ne pas imaginer devant la richesse et splendeur de cette Vierge, le chevalier Rolin en prière ? Le visiteur pourra d’ailleurs grâce à une installation haute-résolution s’immerger littéralement dans ce paysage unique. S’imposera également au regard du visiteur la splendeur des architectures retenues et imaginées par Jan van Eyck avec ces colonnes pour la Vierge du chevalier Rolin ou encore avec cet intérieur d’église pour cette splendide toile – L’Annonciation – provenant du Courtesy National Gallery of art de Washington.

 

© Musée du Louvre / Michel Urtado - Nicolas Bousser


Tournant autour de cette Vierge du chancelier Rolin, six sections sont ainsi proposées soulignant l’usage privé de ce tableau de dévotion mais aussi peut-être sa vocation d’épitaphe, décomposant le paysage d’arrière-plan avec ses personnages ou analysant encore les liens entre cette Vierge et l’art de l’enluminure ou de certains bas-reliefs. Plus qu’une rencontre, c’est véritablement un dialogue entre la Vierge du chancelier Rolin, l’art de ce premier tiers du XVe siècle et le visiteur pleinement immergé qu’instaure cette exposition tel un écrin de choix.

 

 

« D’un monde à l’autre »

Autun, de l'antiquité au Moyen Âge

Musée d’Archéologie nationale à Saint-Germain-en-Laye

jusqu’au 17 juin 2024.

 

 

Le Musée d’Archéologie nationale à Saint-Germain-en-Laye propose de redécouvrir le passé prestigieux de l’une de nos communes de France, Autun, qui fut à l’origine une importante cité antique romaine en plein cœur de l’actuelle Bourgogne. Avant d’être nommée Autun, c’est en effet sous le nom d’Augustodunum, fondée par Auguste, qu’est connue cette grande cité où réside le peuple des Éduens alliés des Romains.
Dès la première salle de l’exposition, le visiteur pourra découvrir la maquette de l’antique rempart qui protégeait la cité, rempart emblématique de l’importance de la cité à l’époque.

 

 

C’est cette place déterminante en Gaule de la cité d’Augustodunum que soulignent les premières salles avec notamment ces structures d’enseignement supérieur ou Écoles méniennes qui avaient pour mission de former les futures élites de l’Empire. Ainsi, il ne sera pas rare de retrouver de jeunes éduens dans des fonctions importantes de l’administration voire même au sein du pouvoir central à Rome. C’est dès lors tout le processus de diffusion de la culture « gréco-romaine » qui se déploie sous nos yeux par ces structures éducatives au cœur de la Gaule dont de nombreux restes archéologiques ont été dévoilés à Autun lors de fouilles. Le visiteur sera surpris des pièces - parfois exceptionnelles – présentées notamment ce vase diatrète du IVe siècle révélant toute la virtuosité des maîtres verriers romains.

 

Mais cet essor n’aura qu’un temps, avec les IIIe et IV° s. la cité se rétractera au point de perdre près de 50 % de sa surface occupée, une tendance que l’on retrouvera d’ailleurs dans de nombreuses autres cités. À partir du IVe s. l’exposition montre combien l’apparence de la ville se transforme avec le démantèlement de certains monuments antiques réemployés, la distinction d’une ville haute siège de l’évêque et d’une ville basse. Les fouilles de la nécropole de Saint-Pierre-l’Estrier installée en périphérie livreront de précieuses informations sur les différents procédés d’inhumation selon les différentes religions qui cohabitaient. C’est notamment dans cette nécropole que les premiers témoignages du christianisme naissant en Gaule feront jour. Les siècles suivants également retracés dans cette exposition didactique seront marqués par des évolutions architecturales qui progressivement abandonnent l’antique pour annoncer le roman.

 

 

 


C’est à ce voyage dans le temps à partir de la ville d’Autun que convie l’exposition « D’un monde à l’autre » au Musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.
 

Commissariat général
Rose-Marie Mousseaux, conservatrice générale du patrimoine, directrice du musée d’Archéologie nationale et du Domaine national de Saint-Germain-en-Laye.
Daniel Roger, conservateur général du patrimoine, adjoint à la directrice, responsable du pôle scientifique du musée d’Archéologie nationale


Commissariat scientifique :
Carole Fossurier, archéo-anthropologue, responsable scientifique de la fouille de la nécropole Saint-Pierre-l’Estrier, Inrap
Agathe Mathiaut-Legros, conservatrice en chef, directrice des musées et du patrimoine, ville d'Autun
Nicolas Tisserand, directeur adjoint scientifique et technique, Inrap

 


A lire : « Autun antique » sous la direction de Yannick Labaune, Editions du Patrimoine.

 

 

« Maurice Denis – Les chemins de la Nature »
jusqu'au 31 mars 2024
Maurice Denis Musée départemental

Saint Germain en Laye

 

L’exposition « Les Chemins de la nature » au Musée départemental de Saint-Germain-en-Laye explore l’œuvre de Maurice Denis à travers le prisme de la nature dont il fut l’un des grands chantres de la fin du XIXe et première moitié du XXe. C’est au Prieuré de Saint-Germain-en-Laye, lieu où vécut l’artiste avec sa famille de 1914 à sa mort que cette exposition dévoile ces liens intimes qui unissaient Maurice Denis à la nature, une nature polymorphe mais toujours reliée à un symbolisme fort reposant sur une transcendance récurrente.
Ce qui fut un ancien Hôpital général royal érigé sous Louis XIV, avant de devenir propriété du peintre, puis depuis 1980 un musée-jardin Maurice Denis du Département des Yvelines, est avant tout un cadre exceptionnel et inchangé malgré les siècles passés…

 

Denis-Poissy©CRMD-Olivier Goulet
Vue du pont de Poissy, vers 1896
Huile sur bois
H. 26 x l. 39,5 cm
Collection particulière
©Catalogue raisonné de Maurice

 

Ayant fait l’objet d’importants travaux de restauration, les arbres majestueux, les jardins en déclivité, offrent encore aujourd’hui ce dialogue permanent entre nature et culture légué par l’artiste, un charme et une poésie demeurant perceptibles dès l’entrée de la propriété.
C’est cet atelier vivant qui permit à Maurice Denis d’explorer couleurs et formes ainsi que le révèle le parcours inspirant de cette exposition sous le commissariat de Nolwenn Herry et Fabienne Stahl. Avec cinq parties et de nombreuses œuvres jamais montrées, l’exposition « Chemins de la nature » dévoile ainsi au visiteur ce dialogue permanent qu’entretint Maurice Denis avec la nature, une nature habitée par la foi intense de l’artiste mais aussi sublimée par tout un réseau subtil de références symboliques, mythologiques et profanes.

 

Le Dessert au jardin (Portrait de Marthe et de Maurice Denis au crépuscule)

, 1897 Huile sur toile H. 99,5 x l. 120 cm
Saint-Germain-en-Laye,
musée départemental Maurice Denis,
inv. PMD. 976.1.127
copyright:Réunion des musées nationaux - Grand Palais / Benoît Touchard
 

 

La famille demeure l’un des pivots de cette création, et même lorsque le peintre s’inspire d’un portrait de son épouse ou des jeux de ses enfants, ces sujets se métamorphosent rapidement en scènes bibliques suggérées ou explicites. Qu’il s’agisse des jardins de sa vie en Bretagne ou à Saint-Germain-en-Laye, des natures mortes ou de scènes mythologiques, le « Nabis aux belles couleurs » ainsi qu’il fut surnommé par ses pairs, attache toujours une importance déterminante à ce rayonnement de la lumière par un entrelacs subtil de couleurs. Empruntons ainsi avec Maurice Denis ces enchanteurs « Chemins de la nature » au musée départemental Maurice Denis jusqu’au 31 mars 2024 !

Pour aller plus loin…

Les éditions toujours soignées de Fata Morgana dans la collection A Fontfroide, Bibliothèque artistique & Littéraire viennent de faire paraître deux ouvrages de Maurice Denis : « La leçon des maîtres » tout d’abord livre un ensemble de portraits rédigés entre 1902 et 1939 par Maurice Denis, ce peintre emblématique du mouvement des Nabis. En ces pages inspirées, Maurice Denis confie au lecteur les grands artistes qui marquèrent son propre art, des anciens tels Fra Angelico, Raphaël ou encore Poussin aux modernes avec Delacroix, Corot, Manet, Renoir… Ce bel ouvrage réalisé par Juliette Solvès présente le grand intérêt d’entrer au cœur de l’analyse de chacun de ces pairs par le prisme du grand artiste que fut lui-même Maurice Denis.

 



Dans la même collection, Maurice Denis signe des « Écrits sur les Nabis » ; une belle introduction à un mouvement aussi éphémère que marquant et dont l’un de ses membres éminents nous livre les lignes de forces majeures revenant sur ces jeunes peintres enthousiastes se réunissant dans un bistrot du passage Brady et jetant les bases de ce mouvement postimpressionniste qui allait marquer l’histoire de l’art au terme du XIXe siècle. Bases théoriques structurées du mouvement (notamment à partir de ce credo du peintre : « “Se rappeler qu’un tableau est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées”) et portraits de ses membres composent ces « Écrits » essentiels pour mieux comprendre la pensée et l’œuvre de ces artistes devenus des « classiques »…
 

 

Pour approfondir encore la place et le rôle de Maurice Denis dans le renouveau des arts sacrés au XXe s. il faudra impérativement aborder la lecture de cette somme incontournable qui vient de paraître aux éditions Hermann : « Les Ateliers d’art sacré 1919-1947 – Rêves et réalités d’une ambition collective » sous la direction d’Isabelle Saint-Martin et Fabienne Stahl. Après les ravages causés par la Première Guerre mondiale dans l’opinion publique, Maurice Denis et Georges Desvallières fondèrent les Ateliers d’art sacré. Souhaitant une autre voie que celle jusqu’alors imposée par l’art saint-sulpicien, ces artistes suggérèrent et mirent en œuvre des pistes originales que cet ouvrage explore avec finesse.

 


Enfin, le lecteur se reportera avec profit au catalogue de l’exposition publié aux Éditions Ouest-France, un ouvrage prolongeant agréablement et de manière fructueuse par ses nombreuses contributions la visite de l’exposition « Maurice Denis - Les Chemins de la nature » au musée départemental Maurice Denis de Saint-Germain-en-Laye jusqu’au 31 mars 2024.

 

 

À la cour du Prince Genji
Musée Guimet
1000 ans d’imaginaire japonais jusqu'en 25 mars 2024

 

 

L’an mille japonais est un siècle déterminant pour la prose au pays du soleil levant, et l’œuvre phare « Le Dit du Genji » de la dame de la Cour Murasaki Shikibu (c. 973 –c. 1014-1025) s’impose en premier lieu tant ce récit délicat sur l’aristocratie tranchait sur les mœurs encore brutales de cette époque. C’est ce contraste saisissant qui inspire la très belle exposition conçue par Aurélie Samuel, commissaire, installée actuellement au cœur du musée Guimet en une scénographie esthétique seyant à la perfection d’écrin à ces récits raffinés.
L’ouvrage du « Dit du Genji » sert bien entendu de fil directeur à ce parcours où se côtoient œuvres d’art précieuses, manuscrits, estampes, jusqu’à l’étonnante création du grand maître tisserand Itaro Yamaguchi (1901-2007) qui a fait don au musée d’une splendide réinterprétation du Dit du Genji en quatre éblouissants rouleaux…

 

Murasaki Shikibu, Cent poètes célèbres du Japon, manuscrit illustré, milieu du 19e siècle (détail) Paris, Musée Guimet, BG3566 © RMN-Grand Palais (Musée Guimet, Paris) / Thierry Ollivier

 

Pour l’écrivain Yukio Mishima, le Dit du Genji pouvait être comparé au miroir de la vie humaine, reflet de la beauté éphémère et de la tristesse de l’existence. Cette infime tension entre l’impermanence chère à la pensée bouddhiste et cette harmonie intemporelle que relevait également un autre grand écrivain japonais en la personne de Yasunari Kawabata rythme ainsi tout le parcours de l’exposition avec ses objets d’apparat et du quotidien, tels ces paravents d’une beauté bravant les siècles et les vicissitudes des hommes.
Le Dit du Genji (Genji monogatari) en un long récit alterne récits du faste de la Cour et intrigues amoureuses qui en allègent quelque peu le formalisme. La langue japonaise révèle ainsi toute les introspections de son auteur et de cette époque par toute une série de nuances esquissées par le fil du pinceau et de la calligraphie. En témoignent les nombreuses créations ultérieures réunies dans l’exposition, ainsi que le souligne Yannick Lintz, présidente du musée Guimet : « En évoquant les raffinements de la cour impériale à travers la vie et les intrigues amoureuses du prince Hikaru Genji, le roman suscite depuis mille ans une iconographie extrêmement riche. Cette exceptionnelle créativité à laquelle le Dit du Genji a ouvert la voie est illustrée dans l’exposition par un ensemble d’objets précieux, laques, sculptures, peintures et estampes issus des collections du Musée Guimet et de plusieurs collections françaises et japonaises ».
L’exposition prolonge encore l’actualité de cette source littéraire et culturelle incomparable, trésor national du Japon, avec la culture manga qui lui offre des développements inattendus en la personne de Waki Yamato (né en 1948) avec Asaki yume mishi, sans oublier la section finale impressionnante quant à la grande œuvre en quatre rouleaux du maître Itarô Yamaguchi déployée sur des dizaines de mètres, signe soyeux et précieux que le Dit du Genji n’a pas fini d’éblouir les sens…

« Le Dit du Genji » de Murasaki-shikibu ilustré par la peinture traditionnelle japonaise, 3 volumes sous coffret, La petite collection, Diane de Selliers Éditeur, 2008.
 


La petite collection des Éditions Diane de Selliers accueille l’un des textes les plus illustres de la littérature japonaise traditionnelle. Le lecteur retrouvera, en effet, dans ce très bel ouvrage l'intégralité du roman mis en valeur par 520 peintures allant du XII siècle jusqu'au XVII°, véritable éventail du raffinement et de la délicatesse de l’art japonais. L'entreprise est à la hauteur de la dimension du texte dans cette très belle traduction de René Sieffert. Ces trois volumes offrent ainsi 1256 pages d'excellence et constituent un écrin de choix pour ce texte appartenant aux trésors culturels du Japon. Le Dit du Genji fut en effet écrit au XI° siècle par la préceptrice d'une jeune impératrice.

 

 

Observés au quotidien par cette jeune impératrice, les personnages de la cour ont ainsi retrouvé une deuxième vie dans ces pages éternelles où l’amour et intrigues rythment de leurs passions le récit délicat de la prosatrice. Borges estimait que "Ce n'est pas que l'oeuvre monumentale de Murasaki soit meilleure ou plus mémorable ou encore plus intense que le roman de Cervantès, mais elle est plus complète et la civilisation qu'elle décrit est plus délicate." N'oublions pas qu'à la même époque, en 1008, l'univers des chansons de geste règne en Occident. Nous sommes loin du récit épique vantant la bravoure des chevaliers.

 


L'analyse particulièrement fine des caractères est développée dans le cadre d'une société de cour où les arts jouent un rôle clé dans les relations sociales. Ainsi, poésie, calligraphie, musique, peintures, vêtements... vibrent dans ces pages où le raffinement surprend toujours le lecteur occidental habitué à des références plus rudes à la même époque.
Il faut encore saluer l’impressionnant travail iconographique qui non seulement sert d’écrin à ce texte immémorial mais le sublime encore par d’infinis réseaux de références. L'oeuvre mérite toute l’attention du lecteur occidental afin de parvenir à démêler les nombreux personnages qui évoluent en fonction de leur promotion dans la hiérarchie de la cour. Ce dernier sera aidé en cela grâce à cette très belle édition dont le livret introductif permet de se reporter à tout moment de la lecture aux différentes branches des familles en présence.
Il fallait une édition digne de rappeler la beauté de ces temps anciens du Japon, les Éditions Diane de Selliers y parviennent avec ce travail remarquable et remarqué. Une publication, en effet, plus que saluée puisque cette dernière a reçu, en 2008, la distinction du Ministère de la Culture du Japon pour son rayonnement international de la littérature et de l’art japonais, mais également le Grand Prix du Jury de La Nuit du Livre en 2009 et le Prix d'honneur du Ministre des Affaires du Japon en 2018.

 

 

Nicolas de Staël

Musée d’Art Moderne de Paris

jusqu’au 21 janvier 2024

 

 

Nicolas de Staël, trop jeune exilé de Russie, trop tôt orphelin, poursuivra incessamment une quête sans frontières ni limites, pas même celles de la vie qu’il interrompra volontairement un 16 mars 1955 en se jetant du toit de son atelier d’Antibes… C’est ce parcours singulier que retrace avec précision, l’exposition du Musée d’Art Moderne de Paris en un cheminement didactique permettant d’approcher cette personnalité et artiste à nul autre pareil. Littéralement habité par la peinture, son art répond rapidement à un élan irrépressible et urgent de saisir le monde et le temps.

 

 

Cette recherche effrénée ne cherchait pas à emprunter les modes de son époque, même si des influences peuvent bien entendu être perçues, ici ou là, au fil des salles de l’exposition.

La lente élaboration de son œuvre tient à la fois de cette instantanéité du monde qu’il tentait de saisir, et cette conscience toujours lucide du chercheur de papillon sans filet. Le parcours élaboré par les commissaires de l’exposition - Charlotte Barat-Mabille et Pierre Wat, conseillère scientifique Marie du Bouchet évoque bien cette mémoire de l’œuvre, bâtie patiemment par Nicolas de Staël, une manière de se confier au monde, discrète et pourtant irradiante. Le peintre œuvre sans cesse dans son « laboratoire-atelier », brisant les codes et aspirant à un absolu de la lumière et de la couleur toujours plus insaisissable. L’exposition rappelle ainsi de manière chronologique ce parcours unique à partir de 200 tableaux, dessins et gravures.

 

 

Depuis la figuration initiale à l’abstraction croissante, des toiles sombres comme son âme aux couleurs éclatantes de son aspiration à l’absolu de l’art, Nicolas de Staël tente ainsi de fuir les gouffres existentiels par cette quête picturale incessante jusqu’à l’année 1955 où l’artiste décidera de passer de l’autre côté de la toile…

 

 

"Staël - Du trait à la couleur" Anne de Staël, Hazan, 2023.

"Nicolas de Staël - Le voyage au Maroc" Arléa, 2023

 

 

Louis Janmot - « Le Poème de l’âme »

Musée d’Orsay jusqu’au 7 janvier 2024

 

 

Le peintre Louis Janmot (1814-1892) n’est guère connu que des cercles de spécialistes et des amateurs de la peinture du XIXe s… Et pourtant, l’exposition qui vient d’ouvrir au musée d’Orsay laisse découvrir un artiste des plus intéressants lançant des passerelles entre romantisme et symbolisme. En collaboration avec le musée des Beaux-Arts de Lyon, Janmot étant originaire de cette ville, les commissaires de l’exposition, Servane Dargnies de Vitry et Stéphane Paccoud, ont souhaité évoquer l’œuvre phare du peintre « Le Poème de l’âme » à laquelle il consacra près d’un demi-siècle.

 

 Louis Janmot (1814-1892) Le Poème de l'âme. Rayons de soleil, vers 1854
Lyon, musée des Beaux-Arts, don des héritiers de l’artiste, 1968
© Image © Lyon MBA / Photo Alain Basset

 

Cette fresque monumentale s’étire sur deux cycles de 18 peintures, 16 dessins et 34 poèmes, une véritable tapisserie picturale et poétique explorant les tréfonds de l’âme au tournant du romantisme. Janmot fut élève d’Ingres dont il héritera la sûreté du trait et admirateur de Delacroix qui nourrira également sa palette. Le parcours initiatique qu’il a patiemment constitué au fil des ans impressionna même l’exigeant Charles Baudelaire ainsi que l’historien de l’art Henri Focillon.

Le long poème de 2 814 vers tisse, en effet, un dialogue étroit avec les œuvres en un troublant voyage héritier de Dante mais aussi de la pensée catholique de son époque.

 

La modernité s’immisce, cependant, également avec les visions cauchemardesques proches de Blake et de Goya, l’âme tour à tour tentée et torturée en d’obscures pensées préfigurant l’étude de l’inconscient à venir…

 

Louis Janmot Le Supplice de Mézence, en 1865
Musée d'Orsay Achat, 2014 © Musée d’Orsay,
Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

 

Ponctuant ce long périple, des scènes bucoliques s’invitent par intermittence, révélant la qualité picturale de Janmot quant au paysage dont il se saisit avec inspiration dans des évocations du Bugey et de montagnes. Peintures et dessins alternent en une scénographie remarquable ponctuée d’extraits de poèmes.
Un voyage spirituel et artistique rare à découvrir au musée d’Orsay avant le 7 juin 2024 !
 

 

A noter en complément de l'exposition le très complet catalogue coédité par le Musée d'Orsay et les éditions InFine sous la direction de Stéphane Paccoud et Servane Dargnies-de Vitry, 192 pages, 150 ill., 24 x 28 cm, 2023.

 

 

Fondation Louis Vuitton MARK ROTHKO

Exposition jusqu’au 02.04.2024

 

 

Le visiteur de cette importante rétrospective consacrée au peintre américain Mark Rothko (1903-1970), figure majeure de l’art du XXe siècle, aura le rare plaisir non seulement de (re)découvrir non seulement des œuvres qu’il pensait connaître – une part importante du début du parcours est réservée aux œuvres de jeunesse figuratives – mais aura également le plaisir d’apprécier son art de l’abstraction dans le cadre idéal de la Fondation Louis Vuitton. Ce vaste édifice baigné de lumière et aux salles très diversifiées forme, il faut l’avouer, l’écrin de choix pour cet accrochage savamment étudié par les commissaires de l’exposition, Suzanne Pagé et Christopher Rothko, et parfaitement en harmonie avec la pensée exigeante du peintre. L’artiste avait en effet des vues élevées quant à son art et avait confié : « Je suis devenu peintre car je voulais élever la peinture au même degré d'intensité que la musique et la poésie. » Cette ambition apparaîtra sans équivoque au fil des 115 œuvres exceptionnelles provenant des plus grands musées internationaux et collections privées, dont celle de la famille de l’artiste.

 

©Lexnews


Mark Rothko éleva effectivement son art au-delà des seuls critères formels de la couleur et de la géométrie. Contrairement aux vues réductrices limitant trop souvent sa peinture aux rectangles donnés pour répétitifs de sa deuxième partie de carrière, l’exposition fait la démonstration que toute sa vie durant Rothko n’a eu de cesse de livrer un véritable combat pour capter la lumière et la restituer au fil de ces variations géométriques. Tour à tour lumineuses ou introspectives, ces multiples créations exercent une fascination telle que le visiteur se surprend à chuchoter en leur présence, signe révélateur de la forte charge émotionnelle qui les anime, ainsi que le souligne Suzanne Pagé : « Comment introduire par les mots à une œuvre qui a porté à son incandescence la picturalité, langage irréductible à tout autre ? » Cette incandescence manifeste irradie de manière hypnotique les différentes salles tout au long des différents étages de la Fondation Louis Vuitton, reproduisant ainsi le parcours d’une vie et d’une œuvre en autant de stations méditatives. De la Galerie 1 à la Galerie 10, que de recherches parcourues, que d’essais nourris à de nombreux questionnements artistiques, philosophiques, mathématiques et autres champs de la pensée. Hanté par la déflagration provoquée par Shoah et de manière plus générale encore par la nature humaine et sa part sombre, Rothko recherche l’insaisissable et questionne l’inavouable.
Exigeante et fascinante, l’œuvre de Rothko convoque intuitivement une succession de questionnements et d’introspection, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites ainsi que l’atteste cette remarquable exposition, évènement de cette rentrée à la Fondation Louis Vuitton.

« Mark Rothko » sous la direction de Suzanne Pagé et Christopher Rothko, catalogue de l'exposition « Mark Rothko » présentée à la Fondation Louis Vuitton du 18 octobre 2023 au 2 avril 2024, 29 x 31 cm, 303 p. Fondation Louis Vuitton / Citadelles & Mazenod éditions, 2023.
 


À l’événement de la rentrée, la rétrospective Mark Rothko à la Fondation Louis Vuitton, il fallait assurément un catalogue d’envergure, ce qu’ont réalisé les éditions Citadelles & Mazenod sous la direction de Suzanne Pagé, directrice de la Fondation Louis Vuitton, et Christopher Rothko, fils de l’artiste. Nourri d’importantes contributions signées par de nombreux spécialistes de Rothko, cette somme fait non seulement office de catalogue, mais également et surtout de monographie de référence en français. La première impression avant même de découvrir les articles consacrés au peintre tient à la qualité de l’iconographie avec 115 œuvres reproduites la plupart en pleine page, voire triple page, et respectant le chromatisme toujours délicat de l’artiste. En feuilletant ces pages une à une, un étourdissement saisira sans aucun doute le lecteur étonné de tant de variations à la lumière et à la couleur… C’est ce saisissement qu’introduit également Suzanne Pagé, co-commissaire de l’exposition, à ce fort volume : « Comment introduire par les mots à une œuvre qui a porté à son incandescence la picturalité, langage irréductible à tout autre ? Que cherche le visiteur captif de ce qui parle si fort à ses yeux, à son cœur, à tout son être ? ».

Au-delà du seul ressenti intuitif – important et néanmoins insuffisant – l’œuvre de Rothko convoque l’âme de toute personne en quête de son humanité, en en suggérant les contours mais aussi les tréfonds. Cette géographie des émotions humaines fondamentales selon l’artiste, sans être un programme contraignant, accompagne la découverte de ses œuvres au fil des pages. À partir d’un questionnement métaphysique parfois exigeant, la création se déploie en ses miroitements lumineux comme dans ses profondeurs ténébreuses. Il suffit pour s’en convaincre de contempler de longs instants chaque œuvre – surtout celles de l’abstraction au tournant des années 1940-1950 qui immortaliseront Rothko - pour entrer en un état hypnotique semblable à celui de l’écoute d’un prélude de Messiaen, des Vexations de Satie ou encore des Metamorphosis de Philip Glass.

 

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Christopher Rothko, fils de l’artiste et psychologue, avertit le lecteur découvrant un tableau de son père : « si vous n’y voyez qu’un vide, il faut le regarder à nouveau » ! Minimalistes et réductionnistes en seront pour leur frais ainsi qu’en témoignent les riches études réunies pour ce volumineux catalogue qui pour chacune propose un cheminement dans ce foisonnement créatif, des clés pour appréhender le nouveau langage pictural introduit par Rothko. Chacune de ces études permettra ainsi de mieux percevoir ces vibrations qui animèrent l’artiste jusqu’à son suicide en 1970.

« Mark Rothko – L’intériorité à l’œuvre » par Christopher Rothko, Éditions Hazan, 2023.
 


Parmi les ouvrages accompagnant idéalement l’exposition Mark Rothko à la Fondation Louis Vuitton, il faut assurément retenir ce livre dense, d’une rare sensibilité et plus qu’informé, signé de la main même de son fils, Christopher Rothko. Et, qui mieux que son fils, qui plus est psychologue, pouvait, en effet, nous traduire en mots l’évolution et l’œuvre de l’une des plus grandes figures de l’abstraction ?

C’est effectivement toute la puissance émotionnelle de ce grand artiste du XXe siècle que le lecteur retrouvera au travers de ces quelque trois cents pages d’intimité réunissant une vingtaine d’écrits de Christopher Rothko. Véritable exploration et compréhension de l’œuvre de son père, ces pages livrent aux admirateurs de Rothko non seulement des clefs de compréhension intellectuelle, explicitant les différentes techniques, couleurs et périodes du peintre, mais également une connaissance intime et sensible tant de l’œuvre que du peintre. Ainsi, le lecteur pourra-t-il s’arrêter notamment sur cet essai consacré à « Mark Rothko et la musique » ou même y découvrir un essai sur « L’humour des Rothko » ! Mais, surtout, l’auteur a souhaité plus particulièrement par cet ouvrage transmettre pourquoi et en quoi l’œuvre de Rothko, toute tendue vers « l’expérience intime de la condition humaine », concerne le spectateur, vient à sa rencontre, l’interroge et lui révèle sa psychologie… « Des invitations non à sortir, mais à entrer en nous-mêmes. En un sens, ce sont des fenêtres qui s’ouvrent sur l’âme, Des endroits où mieux qu’ailleurs nous pouvons voir au-dedans », écrit-il. Au-delà, Christopher Rothko a également eu à cœur en ces pages de revenir sur les malentendus et interprétations erronées ayant pu être donnés, de faux aiguillages ne permettant pas une pleine et parfaite compréhension de la cohérence de l’œuvre immense de Mark Rothko ; de « ces perspectives ouvertes vers l’intangible, intimidantes parce qu’elles semblent contenir si peu »… C’est par ces mots que s’ouvre le prologue de l’auteur à cet ouvrage incontournable.
 

 

Van Gogh à Auvers-sur-Oise
Les derniers mois
Du 03 octobre 2023 au 04 février 2024

 

Derrière la profusion des couleurs et formes mouvementées qui happent d’emblée le visiteur de l’incontournable exposition de la rentrée, « Van Gogh à Auvers-sur-Oise », se masque une impression diffuse d’apothéose et de témoin laissé à la postérité du peintre. Sans parvenir à saisir dans sa totalité cette prodigieuse créativité - comment cela serait-il possible ? – nous prenons acte de ce phénomène à la manière de celles et ceux qui découvrent l’énergie à peine canalisée d’un Raphaël ou d’un Mozart disparus trop prématurément. Tel un phalène porté par l’éphémère durée du temps, Van Gogh expérimente dans les deux derniers mois de sa vie une tension telle que son art s’en trouvera métamorphosé en une apothéose que laisse découvrir le très beau parcours conçu par les commissaires Emmanuel Coquery, conservateur général, directeur du développement culturel et du musée de la Bibliothèque nationale de France, et Nienke Bakker, responsable de collection et conservatrice au musée Van Gogh en collaboration avec Louis van Tilborgh et Teio Meedendorp, directeurs de recherche au musée Van Gogh.

 

Vincent Van Gogh
Champ de blé aux corbeaux, juillet 1890
Van Gogh Museum, Amsterdam
© Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation)


C’est à Auvers-sur-Oise près de Paris que le peintre se rend, en effet, le 20 mai 1890, deux mois plus tard, le 29 juillet, son suicide « manqué » provoquera sa mort. Entre ces deux dates, Van Gogh se jette sur sa palette comme un naufragé sur un radeau. Après les graves crises vécues à Arles, son séjour dans l’asile de Saint-Rémy, le peintre en pleine tension psychique se tourne vers son frère Théo et trouvera refuge à Auvers où le Dr Gachet spécialiste des affections mentales et amoureux de la peinture impressionnante accueillera avec bienveillance cette âme tourmentée. C’est alors à l’auberge Ravoux où Van Gogh s’installe qu’un atelier original conduira l’artiste à repousser les limites de son art avec 74 tableaux et 33 dessins.
Spontanément, en découvrant cet éblouissant parcours, le regard s’arrêtera tout spécialement sur les œuvres iconiques, « Le Docteur Paul Gachet », « L’église d’Auvers-sur-Oise » sans oublier le « Champ de blé aux corbeaux ». Au côté de ces chefs-d’œuvre indéniables, d’autres tableaux ne pourront laisser indifférent tel ce « Champ de blé sous des nuages d’orage » dont le bleu nuit intense laisse présager la fin ultime, la peinture ayant été réalisée le 9 juillet quelques jours avant sa mort… Tout n’est pas que funestes pressentiments dans ces œuvres réalisées en un élan virtuose où le pittoresque retient encore l’artiste dans ces « Bords de l’Oise à Auvers-sur-Oise » ou encore ces vases dont le « Vase aux fleurs » distillant le vert et le mauve en autant d’espérances bucoliques. Au-delà, ses traits « explosifs », les vibrations exacerbées des lignes trahissent parfois déjà les ruptures inquiétantes et annonciatrices de la modernité à venir du siècle suivant. Quelles que soient les raisons de sa visite, le visiteur ne ressortira pas de cette remarquable exposition, évènement de la rentrée, indemne d’une telle profusion d’affects et d’art conjugués.

Cette exposition est organisée par l’Établissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie de Paris et le musée Van Gogh d’Amsterdam qui la présentera du 12 mai au 3 septembre 2023, pour marquer son 50e anniversaire.

« Van Gogh à Auvers-sur-Oise - Les derniers mois » ; Catalogue officiel de l'exposition, Collectif, coédition Musée d’Orsay / Éditions Hazan, 2023.
 

 


C’est un fort beau catalogue publié aux éditions Hazan, à la vaste iconographie et aux riches contributions, qui accompagne l’exposition « Van Gogh à Auvers-sur-Oise – Les derniers mois » ayant lieu au musée d’Orsay à Paris. Réalisé grâce à une étroite collaboration entre le Van Goh Museum et le Musée d’Orsay, l’ouvrage de plus de 250 pages revient sur les derniers mois du peintre, un peu plus de deux mois de vie psychiquement difficile, mais d’une extrême et incroyable productivité artistique. Après Arles et Saint Rémy de Provence, Van Gogh arrive, en effet, à Auvers-sur-Oise, précisément le 20 mai 1890, accueilli par le Dr Gachet. Là, dans le Vexin français, il découvre une campagne apaisée, oubliée quelque peu de cette modernité galopante marquant le XIXe siècle ; des paysages qui inspireront jusqu’à ses derniers jours nombre de ses œuvres. Woutter Van Der Veen s’arrête avec précision dans son écrit sur ce village et cette « Campagne d’Auvers-sur-Oise, lieux et rencontres », alors que Teio Meedendorp revient, pour sa part, sur les « multiples visages » de ce village ayant tant marqué la créativité du peintre.


Mais, la présence et prévenance du Dr Gachet, le calme apparent des champs de blé et de coquelicots ou encore « Le charme des fleurs » sur lequel s’arrête dans sa contribution Nienke Bakker, ne suffiront malheureusement pas à apaiser ses maux et Van Gogh tentera de mettre fin à ses jours le 27 juillet 1890.

 

Vincent Van Gogh
L'église d'Auvers-sur-Oise, vue du chevet, 1890
Musée d'Orsay
Achat avec le concours de Paul Gachet, fils du docteur Paul Gachet, et la participation d'une donation anonyme canadienne, 1952
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
 

Entre ces deux dates, il ne réalisera pas moins de 74 toiles et plus de 50 dessins, objet de ce superbe catalogue. Des toiles représentant outre la campagne et le village d’Auvers-sur-Oise avec son église, mais aussi de nombreux portraits ou encore des natures mortes, des tableaux où éclatent ces traits plus extravagants que ronds et ces verts côtoyant ou se diluant dans les bleus du ciel ou d’orages si caractéristiques de Van Gogh. Une « signature » propre au peintre que le lecteur retrouvera comme condensée dans ces derniers tableaux au format double carré, des tableaux réalisés quelques jours seulement avant sa tragique fin et annonciateurs d’une « nouvelle peinture » ainsi que le développe Emmanuel Coquery dans sa riche contribution.


Deux mois d’une intense activité artistique qui révèlent quasiment à eux seuls la rapide et incroyable évolution de l’œuvre de Van Gogh, un « art plein de promesses », ainsi que le souligne en son introduction Louis van Tilborg, avant de conclure en ces termes : « La fin qu’il s’est donnée, hélas, n’a pas permis qu’il s’accomplisse ». En ce 29 juillet 1890, Van Gogh avait 37 ans.

 

 

Exposition « Noël Coypel, peintre de grands décors » -

Grand Trianon et Château de Versailles

du 26 septembre 2023 au 28 janvier 2024.

 

 

 

C’est à une belle exposition en deux temps consacrée au peintre Noël Coypel à laquelle nous convie jusqu’au 28 janvier 2024 le Château de Versailles en cette année marquant son 400e anniversaire. Noël Coypel (1628-1707), peintre trop souvent et injustement négligé, est d’abord connu pour ses grands formats, des ensembles qui ornèrent, outre le Parlement de Bretagne à Rennes, les grandes demeures royales dont Versailles, bien sûr, mais aussi le Louvre, le Palais Royal ou encore Fontainebleau et les Invalides au soir de sa vie, d’où le titre de cette splendide exposition : « Noël Coypel, peintre de grands décors ». Soulignons également que ce grand peintre du Roi, à la nombreuse descendance d’artistes de père en fils et de fils en petits-fils, eut plus d’une couleur sur sa palette ! C’est ainsi, que seront signés de son nom non seulement de magnifiques plafonds, mais également des tableaux d’autel, des peintures de chevalet, des dessins ou encore des cartons de tapisserie…


Ce ne sont pas moins de 90 de ses œuvres réunies par les soins de Béatrice Sarrazin, conservateur général du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles, qui sont ainsi aujourd’hui présentées au grand public à Versailles : D’abord (ou ensuite, selon chacun) au Grand Trianon où l’artiste fait l’objet d’une très belle mise en perspective aux deux sens du terme avec une scénographie signée Véronique Dollfus en parfait accord avec le blanc du Grand Trianon.

En ces lieux, en une multitude et succession de pièces et thèmes, le visiteur aura le loisir de découvrir tout le talent, la carrière et l’étonnante palette de couleurs de cet artiste, remarqué par Charles Errard avant qu’il ne se rapproche de Charles Le Brun et de Colbert.

Nombreuses seront alors les commandes royales faites à celui qui fut reçu, puis devint professeur de l’Académie royale de peinture et de sculpture, avant d’être nommé en 1672 directeur de l’Académie de France à Rome.
Mais, au-delà de l’académisme de ce peintre majeur du XVIIe siècle, le visiteur sera surtout conquis par la liberté de tons que nous offrent encore aujourd’hui ses chefs-d’œuvre ; on songe aux peintures qui ornaient le petit appartement du roi aux Tuileries et aujourd’hui réunies à l’occasion de cette exposition, mais aussi aux tableaux de Trianon que Coypel se vit confiés par Louis XIV.

 

Apollon vainqueur du serpent Python, 1700-1704
© RMN-GP (Château de Versailles) / © Christophe Fouin
 

Les couleurs, la gestuelle, les compositions, tout semble retenir le regard… Suivra une audacieuse vidéo consacrée au Dôme royal des Invalides ; Dôme si souvent vu et dont on oublie qu’il fut réalisé par ce grand artiste alors qu’il avait déjà plus de 70 ans. Cette première partie de l’exposition au Grand Trianon se conclura, enfin, par une dernière une salle non dénuée d’intérêts dédiée aux cartons de tapisserie exécutés par Coypel.
Mais, cette belle découverte d’un artiste trop peu connu ne s’arrêtera pas là ! Le visiteur pourra, en effet, également, après avoir éventuellement traversé les jardins du Château sous les couleurs d’automne, se rendre au Château même, dans la salle des gardes de la Reine plus précisément, pour y admirer plafond et tableaux réalisés par l’artiste ; des œuvres ayant fait l’objet d’une exceptionnelle restauration en 2015 et 2017.
Pour une découverte complète de ce grand peintre, enfin mis à l’honneur, le visiteur pourra aussi se rendre au musée des Beaux-arts de Rennes où une exposition lui sera également consacrée au printemps prochain.

 

 

Exposition Séduction et pouvoir

l’art de paraître à la cour aux XVIIe et XVIIIe siècles

Musée du Domaine royal de Marly jusqu’au 27/08/23

 

C’est dans le cadre enchanteur et intimiste du musée récemment rénové du Domaine royal de Marly que se tient actuellement, et jusqu’au 27 août, une exposition consacrée à l’art de s’apprêter à la cour aux XVII et XVIIIe s. Contrairement à ce qui pourrait paraître, ce thème, loin d’être futile, fut l’objet dès cette époque d’une véritable codification avec ses us et coutumes au risque d’être définitivement écarté de la cour… Séduction et pouvoir font en cette époque, en effet, bon usage ainsi qu’en témoigne le parcours captivant de cette expo à la scénographie sobre et raffinée.

 

Flacons à parfums, 3e quart du XVIIIe siècle, cristal taillé et gravé,

 décor à l'or fin, Versailles, collection particulère
© Thierry Malty - Anne Camilli & Cie
 

Précédé par la collection permanente qui replace l’exposition dans le contexte plus général des domaines royaux de Versailles et de Marly, cette dernière réunit pas moins d’une centaine d’accessoires de mode et de beauté témoignant que la coquetterie en ces temps d’Ancien Régime répondait à des règles strictes que le visiteur découvrira grâce aux nombreux cartels accompagnant les vitrines. Sur le lieu même où le Roi Soleil aimait à se retirer en privé, sont ainsi réunis les accessoires essentiels à l’art de paraître, perruques à l’ordonnancement savant, souliers, parfums, bijoux, éventails et autres petits objets précieux que l’on découvrira, parfois avec étonnement, tels ces délicats pomanders protégeant des parfums solides…

Par-delà la codification stricte qui ressort de l’usage de tous ces apparats, c’est surtout le raffinement et l’art de la galanterie qui forceront l’admiration si l’on compare avec l’aridité de leur équivalent en notre époque contemporaine. Telle boucle de soulier convient pour tel usage, telle perruque correspond à une situation bien précise, ce monde évanescent pour qui le nombre de boutons sur un habit comptait tout autant que l’art de la conversation en dit long sur le niveau de raffinement atteint par cette société de cour…

 

Nécessaire à parfum 4e quart du XVIIIe siècle,

coque de noix, cristal, vermeil, laiton Versailles, collection particulière
© Thierry Malty - Anne Camilli & Cie


La visite sera agréablement complétée d’une promenade dans le parc même du Domaine Royal de Marly dont les vestiges d’une époque à jamais révolue témoignent encore du faste atteint par l’art de la cour aux XVII et XVIIIe s.
 


Le visiteur poursuivra également cette découverte par la riche et fructueuse lecture du catalogue accompagnant idéalement cette exposition paru aux éditions inFine sous la direction de Karen Chastagnol, co-commissaire de l’exposition et directrice du musée du Domaine royal de Marly. Cet ouvrage abondamment illustré familiarisera en effet le lecteur avec l’art des boucles, dentelles et bonnets, les bijoux et montres, les souliers et parures, l’art du parfum, sans oublier les vêtements au savant ordonnancement. Un émerveillement et une découverte à partager entre grands et petits.

 

 

Naples à Paris

Le Louvre invite le musée de Capodimonte

jusqu’au 8 janvier 2024

 

 

Naples s’invite au musée du Louvre en un dialogue inspiré conçu par les commissaires Sébastien Allard et Sylvain Bellenger entre collections du musée parisien et du musée de Capodimonte en restauration. Cet évènement insuffle littéralement un nouveau dynamisme à la Grande Galerie qui, pendant six mois, profitera de l’accrochage de 33 chefs d’œuvres de la peinture italienne du XVe au XVIIe s. côtoyant ceux du Louvre. Quel bonheur que de contempler cette Crucifixion de Masaccio d’une rare intensité avec Madeleine épleurée de dos dont le manteau rouge flamboyant irradie la scène. Splendide Bellini, également, avec cette Transfiguration qui révèle la perfection de l’artiste dans cet équilibre absolu des couleurs et des perspectives avec ce ciel inoubliable ourlé de nuages. Caravage, Carrache, Guido Reni, Lorenzo Lotto, Sebastiano del Piombo, Rosso Fiorentino sans oublier Titien et sa délicate Danaé combleront les amateurs de chefs d’œuvre. Le regard se surprend à de nouvelles associations, des comparaisons jusqu’alors mentales et désormais physiquement possibles entre les tableaux du Louvre et ceux de Capodimonte. L’expérience notamment fertile qui consistera à comparer La Flagellation du Caravage de Capodimonte réalisée en 1607 aux trois oeuvres de l’artiste que le Louvre possède La Diseuse de bonne aventure, oeuvre de jeunesse, le portrait d’Alof de Wignancourt, et la célèbre Mort de la Vierge datant de 1605. La maîtrise du clair-obscur atteinte avec La Flagellation n’a d’égal que l’intensité dramatique des bourreaux tordant littéralement le corps du Christ. Autre dialogue inspirant que celui de la célèbre Antéa de Parmigianino avec les Corège du Louvre. Ce parcours se poursuivra avec bonheur dans les deux autres espaces consacrés à la collection de Capodimonte. La Salle de La Chapelle de l’aile Sully tout d’abord rappellera la richesse de l’histoire de ce lieu qui sut profiter des apports et contributions déterminants des Farnèse, Bourbons et Bonaparte-Murat. Chacune de ces dynasties apporta en effet sa pierre à l’édifice ainsi qu’en témoignent le remarquable Titien (portrait du pape Paul III Farnèse avec ses neveux) tout autant que l’exceptionnelle et raffinée Cassette Farnèse en argent doré réalisée par Manno di Bastiano Sbarri et Giovanni Bernardi.

 

Jusepe de Ribera. Apollon et Marsyas. Museo e Real Bosco di Capodimonte © Luciano Romano

 

Point d’orgue intimiste à l’écart de la foule, la Salle de l’Horloge réservera de précieux instants de contemplation avec ce véritable laboratoire de la conception des chefs-d’œuvre. La richesse du cabinet des Dessins et des Estampes de Capodimonte n’est plus à rappeler et le petit aperçu qu’en livre l’actuel accrochage de cartons exceptionnels de Michel-Ange (Groupe de soldats) et de Raphaël (L’Annonciation) pourrait à lui seul valoir la visite ! Délicatesse du trait, perfection des drapés rivalisant de dextérité avec le tracé des architectures, sans oublier l’intensité des émotions telle cette impétueuse Tête de jeune homme de Raphaël. Nombreuses seront les découvertes lors de cette exposition qui fort heureusement se prolongera jusqu’au 8 janvier 2024 (à l’exception de la Salle de l’Horloge jusqu’au 25 septembre 2023 en raison de la fragilité des dessins).

 

Naples à Paris. Le Louvre invite le musée de Capodimonte Édition publiée sous la direction de Sébastien Allard, Sylvain Bellenger et Charlotte Chastel-Rousseau, Musée du Louvre/Gallimard, 2023

 

A cet évènement exceptionnel, il fallait un catalogue inspiré, chose faite avec « Naples à Paris » des éditions Gallimard qui permet en quelques 320 pages de retracer la richesse de cette collection dialoguant avec celle du musée du Louvre. Erri De Luca a parfaitement saisi l’enjeu d’une telle mise en rapport en évoquant ses propres réminiscences de sa ville natale et de sa jeunesse difficile.

 

Sa sensibilité sociale fait écho à cette vitalité qui se dégage de nombre des tableaux réunis pour l’exposition. Sylvain Beranger, quant à lui, parvient à rendre l’âme de Capodimonte et de ce XVIIIe siècle des Bourbon à Naples, indissociable des enjeux politiques de cette période cruciale.

 

Giovanni Bellini, "La Transfiguration" (Per gentile concessione del MIC -Ministero della Cultura, Museo e Real Bosco di Capodimonte)

 

L’essai n’occulte pas, enfin, ni les temps présents ni même futurs en évoquant le grand Capodimonte 2025 plus en phase avec son prestigieux passé royal.

 

Avec 200 illustrations et 320 pages, cette somme réunissant spécialistes, écrivains et conservateurs des deux musées permettra au lecteur non seulement de mieux saisir la richesse et la diversité de cet ensemble unique mais également d’apprécier les nouveaux rapports proposés entre les deux musées.

 

Masaccio. La Crucifixion. Museo e Real Bosco di Capodimonte

© Luciano Romano

 

 

Exposition Manet - Degas

musée d'Orsay

jusqu'au 23 juillet 2023

« Manet – Degas » sous la direction de Laurence Des Cars, Stéphane Guégan et Isolde Pludermacher et catalogue de l’exposition éponyme du Musée d’Orsay ; Relié, 24 x 28.8 cm, 288 p., 200 illus., Musée d’Orsay / Gallimard, 2023.
 

 

 


C’est un captivant ouvrage collectif sous la direction de Laurence Des Cars, Stéphane Guégan et Isolde Pludermacher qui accompagne au titre de catalogue officiel l’exposition « Degas/Manet » du Musée d’Orsay. L’ouvrage a fait choix de revenir sur les multiples liens qui ont pu réunir ces deux géants de la peinture française, figures majeures de la nouvelle peinture des années 1860-1880. « L’énigme d’une relation » que souligne d’entrée de jeu Isolde Pludermacher, conservatrice générale peinture au musée d’Orsay.

 

Relevant points communs, mais également oppositions, l’ouvrage nous livre une belle mise en perspective tant de leur univers, de leur époque et cercles respectifs… Car, et ainsi que le souligne en sa préface, l’historien de l’art Christophe Leribault, « Ce qui lia les deux peintres, amis distants, souvent brouillés, n’épuise pas leurs génies propres ». Aussi, au-delà de leurs « sensibilités politiques », de leurs « réseaux croisés », des cercles et salons, des cafés et champs de courses, c’est à un perpétuel dialogue de leur art auquel nous convie ce riche catalogue. L’art du portrait, bien sûr, et de l’autoportrait sous la plume de nouveau d’I. Pludermacher ou encore « Du nu » sous celle de S. Guégan, conseiller scientifique pour les musées d’Orsay et de l’Orangerie, mais aussi marines et paysages avec à l’arrière-fond ce point de jonction toujours délicat des liens qu’entretenaient les deux peintres avec le mouvement impressionniste…


Soulignons, enfin, que ce ne sont pas moins de quatre passionnants essais qui viennent clore ce déjà riche ouvrage – dont « Degas, Manet, Valéry » de S. Guégan ou encore « Manet, Degas et le demi-monde d’Alexandre Dumas fils » de Denise Murrell avant que le catalogue ne se referme sur une chronologie largement illustrée.

 

« Œil pour œil – Manet / Degas » de Stéphane Guégan et Isolde Pludermacher, Musée d’Orsay / Editions Gallimard, 2023.
 


Sur ces photos, l’un est robuste, les deux mains dans les poches avec un regard droit et une barbe bien fournie, le second de deux ans son cadet est, en revanche, à peine assis sur le bord d’un bureau, maigre presque chétif avec une barbe bien taillée… Ces deux clichés, ce sont Manet et Degas, et ils ouvrent l’ouvrage « Œil pour œil ; Manet – Degas » signé Stéphane Guégan, conseiller scientifique pour les musées d’Orsay et de l’Orangerie, et Isolde Pludermacher, conservatrice générale peinture au musée d’Orsay. Pour aborder cette « Nouvelle peinture » des années 1860-1880 dont nos deux comparses seront les figures majeures, les auteurs n’ont pas hésité à teinter leur texte de tous ces mots : œil, vision, regard, yeux, percevoir, voir… Il est vrai, souligne S. Guégan que « Manet et Degas nous rappellent que le monde ne saurait être indépendant de la façon dont il est perçu et que leurs tableaux sont le produit d’une vision qui leur est propre. » Ainsi que nous l’annonçait déjà le titre de l’ouvrage, le ton est donné et c’est bien de regards croisés – ceux de Manet, de Degas, ceux également de l’auteur mais aussi ceux du spectateur – dont il s’agit en ces pages. Plus encore même, car « si la peinture parvient désormais à rendre compte d’une perception rafraîchie du réel, elle modifie aussi sa relation au spectateur; et, troisième nouveauté, il lui arrive de faire du regard, ou des regards échangés, le sujet même du tableau » souligne encore S. Guégan.
« Regards croisés », donc, mais aussi « Droit de regard » auquel est convié le lecteur de cette riche et des plus agréables analyses, mais également, le spectateur privilégié de ces quarante œuvres. Un texte dynamique et rafraîchissant appuyé par une vaste iconographie et de judicieux vis à vis pour cet « Œil pour œil » : Regards perdus avec la célèbre « Absinthe » de Degas de 1875-1876 ou la non moins célèbre « La prune » de 1877 de Manet, regards en mouvements également, mais aussi regards intimistes, indiscrets, voire clandestins ; on songe, bien sûr, à « L’Olympia » de Manet ou à la fameuse toile « Intérieur » de Degas…
Avec cet « œil pour œil de Manet – Degas » publié à l’occasion de l’exposition « Manet/Degas » au Musée d’Orsay et accompagnant idéalement le catalogue, Stéphane Gégan et Isolde Pludermacher nous offrent un plaisir certain et renouvelé.

 

 

Interview Denis Raisin Dadre

Paris, le 30/05/19.

Lexnews a eu le plaisir de rencontrer Denis Raisin Dadre à l'occasion de la sortie de son splendide livre-disque consacré à Léonard de Vinci et la musique. Fondateur de l'ensemble Doulce Mémoire et grand spécialiste de la musique Renaissance qu'il honore par ses concerts et enregistrements internationalement renommés, Denis Raisin Dadre nous a livré ses confidences sur ce grand maître de la renaissance qui était également un musicien talentueux !

 

 

 

 

uelle a été votre première rencontre avec Léonard de Vinci et quel souvenir avez-vous gardé de ses œuvres ?

Denis Raisin Dadre : "Curieusement, ce n’est pas la Joconde qui a retenu en premier mon attention ! Mon caractère me portait plutôt vers des choses moins connues. C’est à Florence que date cette première rencontre, à une époque où je me rendais très souvent en Italie. C’est son Annonciation qui, la première, m’a frappé. Je découvrais alors un Vinci encore très marqué par la peinture flamande de son époque ainsi que par l’atelier du Verrocchio où il a travaillé dès son plus jeune âge. Si je connaissais déjà ce style de peinture, surtout celui de ses contemporains de la fin du XVe siècle avec ce côté extraordinairement minutieux des arrière-plans, cette première rencontre demeure pour moi associée aux Offices de Florence, et cette Annonciation m’est apparue mystérieuse, comme un grand nombre de ses œuvres d’ailleurs".

Quels sont les motifs qui vous ont poussé à réaliser ce livre-disque sur Léonard alors même que vous avouez qu’il ne nous reste aucun témoignage direct des musiques qu’il pouvait jouer en tant que musicien talentueux ?

Denis Raisin Dadre : "Nous n’avons en effet pas de musique de Léonard lui-même si ce n’est un petit canon, mais c’est également le cas de tous les autres musiciens de lira da braccio de cette fin du XVe siècle, car il s’agissait d’un instrument sur lequel on improvisait. Cette lacune n’est donc pas liée à Léonard, mais à son instrument, cette lyre sur laquelle les musiciens n’ont pas laissé de traces écrites. Ce qui est intéressant et surtout frappant chez Vinci, c’est que beaucoup de ses contemporains parlent de lui et de cette musique qu’il jouait, Vasari bien entendu mais également d’autres sources. Ce n’était pas du tout un amateur et il devait avoir une très haute maîtrise pour avoir été invité à Milan non seulement comme peintre mais également comme joueur de lyre. À Milan, lorsqu’il organise les fêtes du duc, il jouait lui-même de la lyre et improvisait des vers en chantant. Cette période concerne essentiellement ses années de jeunesse jusqu’à sa trentaine. Aussi, me suis-je demandé avec Vincent Delieuvin, Conservateur en chef - chargé de la peinture italienne du XVIe siècle chez Musée du Louvre, s’il n’y avait pas justement une relation dans cette pratique de l’improvisation et cette façon de peindre très spécifique à Vinci".
 

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il existait aux XVe et XVIe siècles des musiques dites expressément « secrètes » qui étaient réservées à des élites, et qui ne sortaient pas des lieux où elles étaient jouées

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Pouvez-vous revenir sur cette belle expression « musique secrète » des peintures de Léonard ?

Denis Raisin Dadre : "Deux références doivent être soulignées quant à cette expression de « musique secrète ». Tout d’abord, une référence musicale très précise, puisqu’il existait aux XVe et XVIe siècles des musiques dites expressément « secrètes » qui étaient réservées à des élites, et qui ne sortaient pas des lieux où elles étaient jouées. La plus connue, même si cela est plus tardif, est celle recopiée par Mozart à la Chapelle Sixtine. Cette pratique de musique secrète a lieu également à la cour de Ferrare où les fameuses dames qui chantaient pour le duc tous les soirs avaient interdiction de les divulguer, ce qui explique qu’elles n’ont pas été éditées. L’autre grand exemple sont les Prophéties des Sibylles de Lassus qui ont été composées dans sa jeunesse et qui n’ont pas été éditées pendant longtemps parce que son commanditaire ne souhaitait pas qu’elle soit divulguée tellement cette musique était exceptionnelle. La seconde référence à cette « musique secrète » vient d’une citation expresse du critique d’art Marcel Biron. Ce dernier avouait ne pas regretter la présence des anges musiciens qui devaient encadrer en un retable de chaque côté la Vierge aux rochers (qui se trouve actuellement à Londres) parce que la peinture de Vinci était une peinture dans laquelle on entendait une musique… «Une musique secrète » ! Cela m’a beaucoup marqué et a constitué le point de départ de cette idée d’enregistrement".

La musique franco-flamande prédomine en ce dernier tiers du XVe s. en Italie, peut-on dire que c’est ce répertoire qu’a pu essentiellement entendre et jouer Léonard ?

Denis Raisin Dadre : "Entendre, c’est certain ! Car, après une longue période de recherche sur les manuscrits, j’ai pu avoir une idée assez précise des musiques de son époque lorsqu’il était dans l’atelier de Verrocchio à Florence. Il est même assez étonnant de constater cette omniprésence de la musique franco-flamande sans trouver une seule référence italienne ! Il suffisait que Vinci entre dans une des églises de Florence pour qu’il entende ce répertoire franco-flamand. Par contre, lorsque Léonard jouait de la lira da braccio, il s’inscrivait dans ce grand mouvement d’indépendance de la musique italienne contre cette mainmise de la culture bourguignonne. Ses improvisations sur la lyre n’avaient rien à voir avec ces classiques établis par les grands maîtres franco-flamands".


Le début du XVIe s. voit la naissance en Italie du premier livre de frottole et l’apparition de musiciens italiens, prélude à la grande période du madrigal. En quoi ces nouveautés seront-elles importantes pour la musique italienne ? Comment un peintre tel que Léonard pouvait-il juger ces nouveautés ?


Denis Raisin Dadre : "J’ai puisé quelques pièces dans ces livres de frottole (brève chanson profane italienne, à l’honneur de la fin du XVe siècle jusqu’au milieu du XVIe s. ndlr) qui constituent des témoignages de l’art de la lira de Vinci. Il s’agit de morceaux où il est indiqué « Personetti », c'est-à-dire servant à l’improvisation, des sources absolument rarissimes du début du XVIe siècle concernant cette pratique née à la fin du XVe siècle avec une dizaine de grilles dont on se servait pour réciter -« recitare » - à la lyra, véritable témoignage de l’art de Léonard. D’autre part, nous savons que Léonard a été très sollicité par Isabelle d’Este qui était la sœur de Béatrice, elle-même « grande patronne » de la frottole résidant à Milan".

Trois femmes puissantes sont ainsi à l’origine de l’émergence d’un art proprement italien dans les cours : Isabelle, donc, et sa sœur Béatrice d’Este sans oublier la duchesse d’Urbain. En encourageant les musiciens et cette pratique de l’art de la frottole au début du XVIe siècle, nous assistons dans les manuscrits à cette évolution vers des « proto madrigaux » avant le fleurissement à part entière de l’art du madrigal dans les années 1530. Léonard de Vinci a vu l’émergence de cet art protégé par ces femmes exceptionnelles. Il est certain que cet esprit novateur a puissamment inspiré et correspondu avec l’art de Léonard non seulement dans la peinture, mais également vis-à-vis de la musique qu’il pratiquait. La lira est un instrument d’expérimentation par excellence puisqu’on ne joue pas de musique écrite. De nombreuses recherches musicologiques ont d’ailleurs lieu actuellement sur cet art et je pense que cela va permettre d’expliquer comment nous sommes passés de la première mise en musique de l’Orfeo de Poliziano au XVe siècle à l’Orfeo de Monteverdi, en 1607. La lira, instrument d’Orphée et de l’aède grec qui récitait un texte, est sans aucun doute un des très grands moteurs de l’émergence de l’opéra. Avec la lyra, seul le chant est accompagné de l’instrument, alors que dans toute la musique du XVIe s., la polyphonie prédomine avec la superposition de plusieurs voix répondant à des règles complexes. On a longtemps sous-estimé l’importance de la lyra et il ne faut pas oublier que, naguère, le public pleurait littéralement sur les places de Florence où étaient jouées et récitées ces épopées".


La technique du peintre, notamment son fameux sfumato, rejoint-elle certains effets et ornementations posés par la musique notamment avec la lira ?

Denis Raisin Dadre : "Je me suis permis de faire cette comparaison – et cela n’a évidemment aucun caractère scientifique – car c’est un ressenti qui m’a beaucoup frappé. Il est très troublant de constater que la lyre autour de la voix crée un halo sonore qui n’a rien à voir avec la façon dont on écoute la musique habituellement, d’autant plus que cet instrument n’a pas de basse. Ordinairement, lorsque vous écoutez de la musique, vous trouvez toujours une basse et des accords. Or avec la lyre, il n’en est rien. De plus, cet instrument se place au-dessus de la voix de l’homme ; en terme d’octave, la lyre est, en effet, plus aiguë que la voix d’un homme. Ce système qui est à l’inverse de notre écoute habituelle avec un accompagnement au-dessus et sans basse crée une sorte de « sfumato sonore » qui estompe les lignes ainsi que notre écoute…"
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C’est une époque d’une extraordinaire complexité notamment en terme musical avec des citations permanentes, des thèmes entrecroisés, des jeux contrapuntiques absolument fous

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Une très grande liberté présidait dans la composition et ses déclinaisons en « jeux intellectuels », est-ce là encore un parallèle avec les nombreuses variations, corrections et évolutions apportées par le peintre à ses œuvres toute sa vie durant ?

Denis Raisin Dadre : "C’est une époque d’une extraordinaire complexité notamment en terme musical avec des citations permanentes, des thèmes entrecroisés, des jeux contrapuntiques absolument fous. Ce rapport intellectuel à la musique n’a pu que séduire Léonard de Vinci qui lui-même était un esprit complexe, érudit et scientifique. À son époque, on parle véritablement d’une science de la musique, et nous savons combien ce génie a fréquenté de nombreux mathématiciens qui étaient eux-mêmes des musiciens. Lorsque vous lisez les traités de musique de cette période, vous avez souvent l’impression de lire un traité de mathématique…"


Quel regard portez-vous sur la dimension religieuse de certaines des œuvres de Léonard de Vinci ?


Denis Raisin Dadre : "Je crois que c’est quelque chose de très original chez Léonard de Vinci, ne serait-ce que par les thèmes traités comme celui de sainte Anne avec la Vierge, thème assez rare dans la peinture. La première chose qui me frappe chez Léonard, c’est que nous sommes vraiment aux antipodes d’une peinture qui exalterait la puissance de l’Église, à la différence d’un Tintoret ou d’un Véronèse au XVIe siècle qui se dirigeront, eux, plus vers des choses « baroques » exaltant cette puissance institutionnelle. L’intimité des tableaux de Léonard semble à mon avis l’élément marquant de son art sur le plan religieux. Un dialogue est en quelque sorte instauré entre celui qui regarde et le tableau. Ce genre relève d’ailleurs plus de la dévotion privée que de l’art officiel. Il est d’ailleurs troublant de constater cette ambiguïté entre profane et religieux, sainte Anne et sa fille laissent l’impression d’avoir le même âge, son saint Jean-Baptiste apparaît sous les traits d’un joli jeune homme… Léonard de Vinci fait preuve d’une liberté absolue dans la manière dont il évoque ces personnages sacrés. Je fais d’ailleurs un parallèle quant à cette liberté avec le Caravage dont les peintures religieuses apparaîtront souvent scandaleuses car n’obéissant pas aux normes de son époque. Cette approche religieuse est poussée à son paroxysme avec la Cène et cette agitation extrême des disciples que personne n’avait osé représenter ainsi auparavant. Dans la musique de la même époque, cette intrication sacrée profane est usuelle, et même permanente, avec des musiques sacrées écrites sur des chansons profanes. Un grand nombre de musiques sacrées existait avec un double texte : un soprano ayant recours au latin d’un Requiem pendant que le ténor récitait une chanson. Cette distinction entre sacrée et profane n’existait pas à cette époque. Ce qui me frappe surtout pour Léonard de Vinci, c’est cette liberté quant à l’institution. C’est quelqu’un qui toute sa vie a fait ce qu’il voulait. Le meilleur exemple étant peut-être Isabelle d’Este qui n’a jamais réussi à obtenir son tableau alors même qu’elle n’a eu de cesse de relancer Léonard à ce sujet !"

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Je crois que nous avons retrouvé cette immense tendresse et douceur dans la musique, à l’image de celle omniprésente dans les œuvres de Léonard de Vinci.

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Qu’avez-vous ressenti dans la pénombre de l’abbaye de Noirlac lors de l’interprétation de ce programme composant votre dernier enregistrement ?

Denis Raisin Dadre : "Je dois avouer que ce programme a été certainement l’un des problèmes les plus compliqués de toute mon existence ! Tout d’abord, ces tableaux sont très intimidants, et ce d’autant plus que je ne souhaitais pas présenter une version purement intuitive, mais aussi une proposition scientifique à partir de recherches sur les musiques de cette époque. Et je dois avouer, comme souvent dans ces situations les plus compliquées, qu’il peut y avoir des miracles ! Soudainement la musique « apparaît » avec un lien très fort avec ces tableaux dont les reproductions étaient devant nous. Je crois que nous avons retrouvé cette immense tendresse et douceur dans la musique, à l’image de celle omniprésente dans les œuvres de Léonard de Vinci. Cela a été rendu possible par certaines couleurs musicales qui ont surgi et qui correspondent bien à cette idée de tendresse, d’intimité et complexité du peintre".

 

 

Propos recueillis par Philippe-Emmanuel Krautter

© Interview exclusive Lexnews

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www.doulcememoire.com

 

 

Présence de la peinture en France, 1974 - 2016
du 28 septembre au 30 octobre 2017

Mairie du Ve - Paris

 

Interview Marc Fumaroli

Lexnews : "Comment est née l’idée de cette exposition ?"

Marc Fumaroli : "La peinture, un des arts les plus importants, a connu une crise grave à la fin du XIXe siècle au moment où la photographie s’est répandue largement. De nos jours, elle traverse une autre crise grave avec cette obsession et conquête des esprits par les images technologiques. Or, la peinture ne se sert pas de machine, mais de la main, de belles matières, de toiles, et elle nous apprend en quelque sorte - et pour cela elle devrait tous les jours être enseignée dans les écoles - à avoir un rapport délicat, sensible, avec les autres, mais aussi avec la nature et le monde. C’est pour cela qu’il m’a semblé que le moment était favorable pour monter une telle exposition, il y a une sorte de prise de conscience de l’exagération de notre confiance à l’égard des technologies. À la lecture de certains livres, films et attitudes, les choses évoluent et le progrès a beau nous donner des merveilles, il semble urgent de ne pas perdre ce que nos ancêtres nous ont légué. Notre action a été à contre-courant, tout d’abord en nous dirigeant vers les arts traditionnels, la peinture, la gravure, la sculpture, loin de la puissance destructrice de l’industrie gigantesque des images de série".

 

 

Marc Fumaroli :Nous avons travaillé pour l’honneur, pour l’amour de la cause, et ce d’une manière totalement désintéressée financièrement. Par ailleurs, nous sommes également à contre-courant en ne recherchant pas des plasticiens qui font souvent du bruit pour quelque chose qui redouble le malheur des temps. Malgré tout, bien que cela soit dans l’ombre et dans une certaine marginalité, il y a une peinture qui n’est pas une avant-garde, qui ne croit pas à la religion du progrès, tout en n’étant pas hostile à la science. Le rôle de l’artiste n’est pas d’exagérer ces valeurs, de les représenter d’une façon désespérante et désolante, mais de donner le sentiment dans ce monde que tout n’est certes pas fête, mais qu’il y a cependant des dispositions de la fête, ce que j’appellerai sans entrer dans des considérations esthétiques : la beauté. Tel est l’axe de cette exposition, avec l’espérance qu’elle aura un modeste, mais vrai succès".
 

 Lexnews : "La beauté a-t-elle justement encore une place dans notre monde et l’art ?"

Marc Fumaroli : "Un des arguments en faveur de l’art contemporain, et qui est d’ailleurs un argument assez hypocrite, est qu’il dispense le plasticien contemporain de véritables compétences, de véritables secrets de fabrication. Dans ces conditions, si j’ose m’exprimer ainsi, la justification que l’on donne à ces choses qui ne nous intéressent pas et qui ne nous attirent pas, est qu’elles sont à l’image du monde dans lequel nous sommes. Nous assistons ainsi à une compétition de la laideur et de la brutalité qui déstabilise le public.
Nous devrions plutôt rechercher ce qui pourrait nous rassurer, nous reconstruire et nous permettre de mieux traverser ce monde difficile et terrifiant, comme toutes les générations l’ont fait avant nous. J’estime qu’il ne revient pas à l’art de prendre comme maître unique un artiste, par ailleurs talentueux contrairement à un grand nombre de plasticiens, comme Francis Bacon, fasciné par la laideur. Les peintres ou graveurs présentés dans cette exposition n’ont pas pour obsession cette laideur.
Boileau disait que le grand art est capable de rendre l’horreur supportable. Avec l’art contemporain, on veut nous faire croire que l’on a affaire à des gens qui pensent et qui ont des concepts de la situation dans laquelle le monde se trouve… C’est peut-être beaucoup demander aux plasticiens, et ce n’est certainement pas une raison pour abandonner les artistes à leur sort ! J’ai eu l’occasion pour préparer cette exposition de rencontrer un grand nombre d’artistes dans leur atelier, ce sont des artistes pour qui l’art n’est pas une question de spéculation boursière, ni publicitaire ou de bureaucratie culturelle, mais bien un véritable art de vivre dirigé vers la beauté et un apprentissage de notre capacité au bonheur. La quête de la beauté guérit, elle est salvatrice et salutaire ; ce n’est qu’à ce titre que l’art mérite son nom".

 

 


J’ai bien conscience que nous ne sommes pas une puissance et qu’il n’est pas en notre pouvoir de modifier le spectacle de notre monde, mais nous sommes peut-être capables à plusieurs de faire comprendre que ces arts, qui sont aussi des artisanats transmis par des traditions remontant aux origines, aux grottes préhistoriques, font de nous des êtres de la nature, et non pas de la technologie. J’espère, tout en ne me faisant pas trop d’illusions, que ce mouvement pourra peut-être un peu modifier les choses ! Espérons…".

 

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A l'initiative de Marc Fumaroli, avec le parrainage de Jean Clair, Florence Berthout, Maire du 5e arrondissement, est heureuse d’accueillir, du 28 septembre au 30 octobre, l’exposition avec pour commissaire Vincent Pietryka présente dix artistes mettant à l’honneur la peinture, la gravure, le dessin et la sculpture : André Boubounelle, Érik Desmazières, Gérard Diaz, Philippe Garel, Denis Prieur, Gilles Seguela, Sam Szafran, Ivan Theimer, Jean-Pierre Velly, Pascal Vinardel.

L’exposition « Présence de la peinture en France, 1974 - 2016 » est née d’un amour vrai pour l’art et de la joie que l’on trouve à fréquenter les œuvres d’artistes féconds. La France en a vu apparaître dans les dernières décennies, mais dans une relative discrétion. Si quelques galeristes parisiens au regard aiguisé, des critiques et des collectionneurs attentifs ne les ont pas ignorés, le grand public n’a pas eu cette chance. Le souhait de Marc Fumaroli a été de réunir quelques-unes des plus belles de leurs œuvres en un lieu unique, afin de les rendre enfin accessibles au public, invité à cette occasion à les contempler, à entendre leurs commentateurs et à rencontrer les artistes eux-mêmes. C’est dans ce cadre que plusieurs entretiens se dérouleront lors de l’exposition, entre un peintre et un écrivain, un musicien ou encore un critique d’art…

La sélection des 30 œuvres présentées a été constituée avec le désir de montrer des pièces majeures qui rayonnent par leur beauté. Elles prennent place dans l’histoire de l’art, dans la suite des meilleures œuvres du passé et dans l’attente de celles du futur. Elles sauront toucher les yeux amateurs comme ceux des avertis, inviter le spectateur à s’arrêter et à entrer dans l’univers de la Colline à Volterra de Boubounelle, de Luigi de Velly, des Portes du fleuve de Vinardel, des Deux coings de Seguela, de la Tête de Méduse de Theimer…

Exposition du lundi au samedi de 10h à 18h

 

(catalogue disponible sur le lieu de l'exposition

avec des textes de Marc Fumaroli, Jean Claire et Lydia Harembourg)

 

 

 

Un chef-d’œuvre déstructuré
  

© Musée Unterlinden  © Th. Verdon

par Mgr. Timothy Verdon*

"Je n’écris pas au titre de prêtre, mais en tant qu’historien d’art et directeur d’un musée, celui de l’Œuvre de la Cathédrale de Florence, récemment renouvelé sous ma responsabilité. Et j’écris avec un certain embarras, puisque inévitablement ce que je vais dire ressemblera à un « J’accuse ! ».

 

© Musée Unterlinden


Dans un récent voyage à Strasbourg, j’ai fait un pèlerinage à Colmar au Musée Unterlinden, pour revoir un des grands chefs-d’œuvre de la Renaissance au nord des Alpes, le retable peint par Mathis Gothart Nithart - connu comme de Grünewald – pour le couvent des Antonins à Issenheim entre 1412-1516, avec les sculptures en bois polychrome de Nikolaus Hagenauer. Il s’agit d’une énorme construction ouvrable qui permettait aux fidèles de voir trois différentes séquences d’images : à l’extérieur, quand les deux volets du retable étaient fermés, La Crucifixion ; puis, après une première ouverture, quatre scènes : L’Annonciation, Le Concert des Anges, Marie avec l’Enfant Jésus, et La Résurrection ; puis, après une seconde ouverture, au niveau intermédiaire (au centre) : trois statues parmi lesquelles celle de Saint Antoine d’Alexandrie, patron céleste du couvent, qui était aussi un hôpital pour des malades du « feu de Saint Antoine ».

 

Le Retable d’Issenheim fermé - La Crucifixion
© Musée Unterlinden

 

La nouvelle installation du retable, achevée en 2015, a complètement déstructuré ce système visuel complexe, séparant les images du mécanisme originel pour les présenter individuellement. Par conséquent, le visiteur est privé de l’émotion de trouver, derrière la célèbre Crucifixion avec son corps de Christ sombre et torturé (à l’extérieur au premier plan, volets fermés), le corps lumineux et sain du Sauveur retourné à la vie. De même, il sera privé de cette émotion de trouver derrière la Vierge effondrée au pied de la croix de son fils (volets fermés), la jeune femme de L’Annonciation. Les deux scènes du second niveau – L’Annonciation et La Résurrection – étaient les revers des deux volets de La Crucifixion ; ouvertes, elles encadraient et étaient visibles à gauche et à droite de la composition du niveau intermédiaire Le Concert des Anges et Marie avec L’Enfant.

Maintenant complètement séparées d’elle, la composition de l’artiste est rendue indéchiffrable : L’Annonciation et La Résurrection, que Grünewald a pensées à gauche et à droite de la double scène du Concert des Anges et de Marie avec l’Enfant, se trouvent aujourd’hui l’une à côté de l’autre, et qui plus est en ordre inversé. On retrouve la même option pour la seconde ouverture, où les scènes de la vie de Saint Antoine se trouvent jointes et interverties, tandis qu’elles étaient initialement séparées par les statues de Hagenauer.

 

Le Retable d’Issenheim 1ère ouverture -

L’accomplissement de la nouvelle Loi © Musée Unterlinden

 


Le musée a prévu de petites reconstructions du retable originel qui permettent d’ouvrir, l’une après l’autre, les différentes strates, mais presque personne ne le fait, à défaut d’explications. Je comprends bien qu’il s’agisse d’impératifs de temps et d’espace : alors que le vieux système - le retable qui s’ouvrait - imposait à chacun d’attendre les ouvertures successives de chaque niveau, dorénavant tout le monde est libre de se promener en se plaçant ad libidem devant l’une ou l’autre scène. Mais on perd ainsi la logique de l’ensemble, et le musée n’offre aucune assistance pour en saisir le sens. Qui plus est, en inversant le rapport droite/gauche de certaines images, il transmet des impressions fausses. Il conviendrait au minimum d’installer une vidéo qui reconstruirait l’ordre et la succession des images.

 

Le Retable d’Issenheim 2e ouverture

- le cœur du retable consacré à saint Antoine © Musée Unterlinden

 

Il est également dommageable que l’on n’explique nulle part la fonction plus essentielle attribuée à un retable d’autel, qui consiste à accompagner visuellement la messe. Le sang qui coule des pieds du Crucifié et son corps étendu dans la prédelle devaient être vus en étant placés juste au-dessus de l’autel, quand les religieux et les malades participaient à l’Eucharistie, dont le pain et le vin rendent « présents » le corps et le sang du Christ. Ne pas communiquer ces informations au grand public revient à cacher une clé de lecture fondamentale ; il n’est pas question de catéchiser mais de communiquer ! À vrai dire, dans l’espace du musée, on aurait pu monter le retable sur une base en forme d’autel, rendant immédiatement intelligible le rapport entre image et rite, fondement même son histoire."


* Chanoine, Cathédrale de Florence et Directeur, Museo dell’Opera del Duomo.

 

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