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Édition Semaine n° 47 / Novembre 2024

Lexnews était... et a entendu pour vous...

INFOS EXPRESS Mozart « Le Devoir du premier commandement » (drame sacré), solistes : Gwendoline Blondeel, Mathilde Ortscheidt, Julien Behr et Jordan Mouaissia, Ensemble Il Caravaggio, dirigé par Camille Delaforge, Chapelle Royale de Versailles, 16/11/24.
 

©Lexnews

La Chapelle royale de Versailles fut comble en cette soirée du 16 novembre 2024. Il faut dire que l’ensemble Il Caravaggio, dirigé par la claveciniste Camille Delaforge et accompagné de quatre talentueux solistes, honorait en ces lieux la mémoire non seulement de Mozart, mais aussi de la musique sacrée avec Le Devoir du premier commandement , un drame sacré composé par un très jeune Mozart, alors âgé de seulement onze ans.
Si la précocité du compositeur n’est plus à démontrer, le public nombreux ne put qu’admirer – et saluer – sa maturité pour ce drame en musique, dont il ne subsiste malheureusement qu’un seul des trois actes. Le thème, aujourd’hui pour le moins abscons, explore des notions complexes : justice divine, rédemption, querelles théologiques héritées de saint Augustin et du moine Pélage au Ve siècle, sans oublier les débats houleux entre jansénistes et jésuites, sur fond d’absolutisme et de velléités d’indépendance de Port-Royal.
Fort heureusement, pour les non-initiés en théologie, Mozart parvient à transcender cet imbroglio doctrinal avec une virtuosité saisissante, comme en témoigna la prestation enlevée des musiciens sous la direction inspirée de Camille Delaforge. Dès les premières pages de l’œuvre, le charme mozartien opère : des passages orchestraux séduisants laissent entrevoir les promesses du compositeur en devenir.

©Lexnews

L’émerveillement ne tarda pas à gagner les mélomanes, notamment par la maîtrise de l’écriture vocale, alternant moments d’introspection intense et envolées passionnées ; des nuances rendues avec une précision et une vivacité remarquables par les quatre solistes - Gwendoline Blondeel, Mathilde Ortscheidt, Julien Behr et Jordan Mouaissia.
Le génie musical de Mozart s’élève au-delà de la sécheresse du livret d’Ignatz Anton von Weiser, un livret qui condamne toute tiédeur spirituelle pour offrir au jeune compositeur de somptueuses variations empreintes d’une liberté créatrice rendue avec conviction par l’Ensemble Il Caravaggio.
Une prestation vivement saluée par une ovation chaleureuse du public, qui s’est conclue par trois bis, dont un final enjoué : le célèbre duo « Pa-, pa-, pa-, Papageno » de La Flûte enchantée, interprété avec une complicité évidente par nos quatre solistes.

Philippe-Emmanuel Krautter

Concert donné dans le cadre de la nouvelle Saison musicale de l'Opéra Royal de Versailles


A noter la sortie récente en CD

de ce programme  Label CVS

 

 

  King Singers mardi 5 novembre 2024 salle Gaveau
 

Depuis sa fondation en 1968, le sextuor vocal anglais des King’s Singers porte au plus haut l’art lyrique polyphonique a cappella et c’est toujours un régal que de pouvoir assister à une de leurs représentations, tant ils brillent dans chacune de leurs interprétations quel que soit le répertoire abordé. Ce récital du 5 novembre 2024 à la Salle Gaveau, lieu que l’Ensemble affectionne particulièrement, n’a pas dérogé à la règle malgré l’absence forcée pour raisons de santé du contre-ténor Patrick Dunachie et la distribution à cinq voix qui en a résulté, preuve de leur magnifique capacité à s’adapter…
C’est donc à cinq et dans un dispositif inhabituel que s’est déroulé un programme florissant et majestueux en deux parties avec une ouverture délicate et sobre du The Lord’s Prayer des Beach Boys. Les quatre bijoux Renaissance de Weekles, Morlay, Tallis et Byrd furent selon drôles, énergiques, profonds, émouvants, lumineux, captivants. Les deux Schubert Flucht et Die Nacht et la Sérénade d’Hiver de Saint-Saëns réunirent grâce, légèreté et arquelinade. La plongée dans la musique sud-américaine, celle du temps des Conquistadors et celle de Villa Lobos, furent un régal de jeux de couleurs et de modes de jeu totalement époustouflants. La seconde partie « Close Harmony », sélection de titres que chacun pourra retrouver sur leurs albums « Close Harmony » et « When You Wish Upon A Star », fut tout autant un régal et un délice dans l’interprétation pleine de vie de ces arrangements de chansons emblématiques et fortes du cinéma de Walt Disney ou de Miyazaki. Car qui n’a pu s’émerveiller dans ces versions a capella fastes et virtuoses provenant notamment de Mulan, Mary Poppins, The Lion’s King. Enfin, pas de King’s Singers sans au moins une chanson des « Fab Four », ici deux avec Yesterday et Ob-la-Di. La touche finale aura été ce merveilleux « Ave Maria » en clôture et en hommage à la reconstruction et réouverture très prochaine de Notre Dame de Paris.
Si le grand regret et à la fois le grand bonheur et privilège fut aussi d’avoir assisté au dernier concert à la Salle Gaveau de l’extraordinaire, le talentueux et charismatique Jonathan Howard, qui après quatorze ans de contribution, a décidé de mettre un terme à sa participation au sein du groupe vocal, chacun aura pu se régaler de l’immense capacité des King’s Singers à transmettre, partager, inviter, régaler en alliant à la fois théâtralité, allégresse, sincérité et musicalité irréprochable. Bravo à eux, ils sont juste splendides et à leur place dans la lumière de l’excellence musicale !


Jean-Paul Bottemanne

  Concert Matthieu Delage - Mercredi 20 mars 24, Le Zèbre de Belleville.
 


Tout musicien qui se respecte le sait, il n’y a rien de superflu chez Bach. La générosité permanente qui traverse son œuvre est à la hauteur de l’exigence qui lui est due. Celle d’abord de ne pas la trahir, celle ensuite de la révéler, celle enfin de la servir. Ce triptyque immuable est incontournable et ne souffre d’aucune digression ni faiblesse.
C’est donc un pari magnifique et osé que le saxophoniste émérite Matthieu Delage a su relever dans le cadre de ce concert présentant son nouvel album « Bach ». Car qui sinon lui aurait pu imaginer et accomplir pour son instrument avec autant de brio ces transcriptions, notamment de la Suite n°4 pour violoncelle ou ces extraits audacieux du Clavier Bien tempéré et Variations Goldberg, en pleine complicité avec l’altiste Violaine Despeyroux, le percussionniste Baptiste Dolt et le guitariste Benjamin Garson. Car, n’en déplaise aux puristes, le souffle immuable du génie de Bach était là, entier, la fluidité mélodique et le contrepoint s’exprimant avec merveille dans ce saxophone régalien par sa capacité à sublimer sans infidélité, tout comme par la finesse du jeu percussif de Dolt, la pureté de la guitare électrique de Garson, la chaleur de l’alto de Despeyroux.
En solo, duo, trio ou quatuor, chaque transcription, chaque lecture, chaque interprétation sont savamment dosées, précises, maîtrisées et enfin loyales au génie du Kapelmeister de Weimar. L’enchantement opère de bout en bout dans la féerie de cet univers instrumental singulier prouvant ainsi une réalité : n’importe quel instrument, n’importe quel timbre, peut s’adapter à Bach. Et ici, Delage, tout comme ses trois acolytes, en musicien exceptionnel, le démontre avec son instrument. Qui aurait rêvé de goûter Bach au saxophone peut maintenant être sûr que son souhait est exprimé et c’est un pur délice à ce niveau d’accomplissement et d’inspiration. L’album au cœur de ce concert est à retrouver sur le label « Chapeau l’Artiste », un album dont on peut saluer ici la performance totalement aboutie et réussie.


Jean-Paul Bottemanne

  Concert « La Traviata » Opera A Palazzo, Fondation Simone et Cino Del Duca.

Le concept à l’initiative de Musica A Palazzo né en 2005 à Venise tient en deux mots : l’opéra de salon. L’expérience proposée au spectateur est de s’immerger au sein même de l’œuvre et en donnant, pour cela, le drame lyrique dans des salles de réception de demeures fastueuses mettant en rapport direct le spectateur avec les artistes, musiciens et chanteurs, effaçant ainsi la barrière de la scène. L’auditoire, en nombre restreint et intime, participe dès lors pleinement, parfois même de manière interactive, au spectacle. Mais, tout aussi important, l’œuvre elle-même est condensée autour des scènes et airs les plus importants, permettant ainsi une dynamique alerte. Ce concept, repris et proposé à Paris depuis trois ans par Opera A Palazzo a donc de quoi séduire dans sa redéfinition des conditions de représentation de la temporalité théâtrale et lyrique par opposition aux représentations proposées dans les grandes salles traditionnelles.

« La Traviata », présentée en ce soir du 15 mars 2024 à la fondation Simone et Cino Del Duca, s’articulait autour des trois personnages principaux avec Émilie Rose Bry dans le rôle de Violetta, Christophe Poncet de Solages incarnant Alfredo Germont complété de Benoit Gadel pour le rôle de Giorgio Germont, les trois chanteurs accompagnés par Philip Richardson au piano, Estelle Diep au violon et Carlotta Persico au violoncelle. La puissance de cette transposition musicale par Verdi de la Dame aux Camélias est poignante et tient notamment dans ce magnifique Libiam nei lieti Calici de l’acte I, ouvrant le bal de la comédie humaine qui ne peut qu’aller vers le drame, air virevoltant, puissant et entraînant, dont Bry et Solages ont délivré une interprétation plus que convaincante ; deux voix parfaitement adaptées, deux jeux théâtraux à la hauteur du rôle. D’emblée, chacun est comme le témoin direct de cet amour naissant entre ces deux personnages, dans le jeu de la séduction, du coup de foudre et de la passion. Dès lors, la magie opère, car il n’en faut pas finalement plus pour que cet amour vécu, puis contrarié à l’acte II par l’apparition du père, avant le dénouement funeste de l’acte III, imprègne le lieu, l’instant, sans jamais s’effacer. Le plus magique, dans ce déroulement, étant certainement le fait que le spectateur soit et reste avec les personnages. Tout dire sur le déroulé et la mise en scène serait inapproprié, car il n’y aurait de magie sans secret…
En résumé, voilà une expérience pleine de charmes notamment celui de pouvoir goûter à l’expression lyrique de haut vol de si près avec des artistes maîtres de leur art et technique.


Jean-Paul Bottemanne

Prochaine représentation le 29 mars 2024

  Concert The Gesualdo Six 14 mars 2024 Oratoire du Louvre
 

Depuis sa création en 2014, « The Gesualdo Six », ensemble vocal britannique d’exception, a su s’imposer comme une référence incontournable dans le domaine de la polyphonie lyrique. Celui, bien entendu, de la Renaissance et de son répertoire exigeant au cœur du programme en miroir de ce concert, mais également ouvert à des œuvres contemporaines telles que les deux pièces « Watch For Me » de leur compatriote Judith Bingham, en 2016 et le motet « It Is Finished » composé en 2020 par Owain Park, directeur et basse de The Gesualdo Six, venant ici judicieusement compléter le récital.
L’événement, en résonance au temps liturgique de Pâques et de la Semaine Sainte, s’articulait autour de l’expression de la Foi chrétienne et le cadre choisi, le Temple de l’Oratoire du Louvre, n’en est que plus précieux et parfait pour en rendre la quintessence. Ainsi, cette entame avec la première partie des Lamentations of Jeremiah de Tallis dans la force unifiée du plain-chant se transfigurant en polyphonie scintillante de générosité, poursuivie par l’organique Watch For Me de Bingham, contribuèrent pleinement à l’invite d’un temps spirituel et enluminèrent les deux Tenebrae Responsories, ceux de Gesualdo et de Luis de Victoria et le Miserere Mei central de Byrd, trois pièces intenses toutes en profondeur et vigueur, d’où chaque voix, chaque phrase ressortent cristallines et limpides. Trois œuvres à l’équilibre parfait dans l’architecture caractéristique de cet âge d’or de la polyphonie vocale a cappella de la Renaissance, par la fluidité mélodique et harmonique non encore contraintes par la tonalité. Trois œuvres inspirées et inspirantes. « It is finished » de Park, petit bijou d’écriture vocale poursuivit et prolongea le concert avec le même brio, élégance et finesse, avant la conclusion toute en grâce de la seconde partie des Lamentations de Tallis.
Le régal rare et la beauté de ce programme sont enfin à souligner par l’alchimie de l’exceptionnel talent des membres de The Gesualdo Six, leur cohésion, leur souplesse, leur équilibre et capacité perpétuelle à rendre intelligible chaque pupitre. Les contre-ténors, Guy James et Alasdair Austin, furent admirables de pureté, les ténors Joseph Wicks et Josh Cooter remarquables de douceur affirmée. Michael Craddock, baryton, exceptionnel par son ancrage gracile et suave, et enfin Owain Park, basse, s’imposa avec splendeur par son attention, son élégance délicate et sa direction sobre et habile. Sept timbres vocaux chatoyants et sémillants, chauds et voluptueux, sept âmes unies dans l’instant, sept virtuoses remarquables, à l’apogée et service de leur art … Bravo !


Jean-Paul Bottemanne


N. B. La captation du concert est à retrouver présentée par Clément Rochefort le 28 mai sur France Musique

  Jeanne Leleu 22 janvier 2024 BNF Richelieu, Salle Ovale
 


La musique de Jeanne Leleu, talentueuse et inspirée compositrice française du 20e siècle, a subi après son décès en 1979 le même sort d’oubli et d’ignorance que celle de la quasi-totalité de ses alter ego féminins en disparaissant des programmes de concert ; et pourtant, voilà une artiste d’envergure encensée à son époque et qui eut le privilège d’une reconnaissance notoire et justement méritée en tant qu’interprète et compositrice. Jeune fille, Jeanne Leleu donna à onze ans la première de Ma Mère l’Oye de Ravel et remporta le Prix de Rome en 1923, avant de poursuivre tout au long de sa vie une carrière aux plus hauts sommets. Aujourd’hui, il était le temps de faire revivre quelques-uns de ses chefs-d’œuvre exhumés des archives de la BNF à force de patience et de passion par Héloise Luzatti, honorée et élevée pour cet accomplissement au rang de Chevalière des Arts et Des Lettres au terme de la soirée.
Entourée de ses compagnons d’armes de l’Ensemble La Fronde, Alexandre Pascal, Léo Hennino et Célia Oneto Bensaid, ainsi que la soprano Marie-Laure Garnier, Luzzati nous a fait ainsi découvrir plusieurs pépites. Car la puissance de l’œuvre de Leleu est irradiante. Son écriture pianistique, instrumentale, mélodique, se dore d’éclats vivaces, court avec élégance. Sa brillance efface la complexité dans une esthétique moderne où le chromatisme est harmonie. Et clairement, les quatre instrumentistes, Oneto Bensaid, pianiste émérite au toucher divin et cristallin en tête et présente à tous les numéros, ont relevé avec brio et perfection l’audace musicale supérieure.
Entrée en matière par deux extraits de Ma Mère l’Oye rendus avec grâce et émotion dans ce duo Luzatti-Oneto, juste prélude à la délicatesse des Six Sonnets de Michel-Ange, d’un jeu subtil émanant du dialogue entre la prosodie sublimée par la vocalité profonde de Garnier et le clair/obscur du piano venant s'imbriquer, souligner et élever sans que jamais le fil mélodique ne se brise ni ne s'égare. Tout dans l'interprétation est amené avec naturel et passion, perfection et onirisme. Et que dire enfin du Quatuor final, endiablé, polymorphe, traversé de bout en bout de traits de génie à tous les pupitres par l'Ensemble La Fronde. Le violon puissant de Pascal, l'alto effronté de Hennino, le violoncelle galant de Luzzati, le clavier effervescent d'Oneto se parent de mille feux au gré des trois mouvements. Le charme opère, les thèmes et motifs s'envolent avec évidence, l'équilibre des timbres est un régal d’arc-en-ciel duquel chaque couleur miroite avec netteté. Chaque trait, chaque coup d'archet, chaque appui sont précis, dosés, appropriés. La lecture soignée n'en souligne que davantage la beauté intrinsèque de l'œuvre. Plus que séduisant, c'est ici un vrai bijou d'interprétation, avec des musiciens, tous brillants dans leur domaine, non seulement de par leur maîtrise technique, mais aussi et surtout de par leur virtuosité expressive.
Un programme qui, dans sa totalité, justifie l'urgence et la nécessité absolue non seulement de ce concert, mais aussi de l'album monographique prévu ce mois, consacré à Jeanne Leleu par le label La Boite à Pépite, enregistré par Luzatti et ses compagnons. (voir la chronique du cd). Merci et bravo.


Jean-Paul Bottemanne

  Concert salle Gaveau 8 novembre Olivier Cavé et les Ambassadeurs -La grande Ecurie, Alexis Kossenko
 

Haydn et Mozart, deux maîtres du classicisme, furent au cœur du programme interprété avec brio par Olivier Cavé, pianiste au jeu d'une grande finesse et l'ensemble Les Ambassadeurs - La Grande Ecurie dirigé avec finesse par Alexis Kossenko. Mariage musical heureux de ce soliste rare avec ces deux formations unies depuis 2020, tous s'imposant d'emblée avec le Concerto Hob. XVIII en Ré Majeur d'où se dégagent la grâce enlevée à souhait du Vivace, l'émotion « sur le fil » de l'Adagio parfaitement rendue par Olivier Cavé et le superbe Rondo alerte, drolatique et enjoué. Magnifique choix en introduction pour la place laissée ensuite à Mozart et sa Symphonie n.25 traversée par des thèmes forts, lisibles, jouant sur la force des tuttis. Mozart toujours avec l'Andante pour flute et Orchestre KV315, offrant à Kossenko la possibilité de poser un instant sa baguette de chef pour se saisir de sa flute en soliste, prouvant encore une fois non seulement son talent de musicien, mais combien Mozart fut capable de sublimer cet instrument. Mozart, enfin et toujours, en final avec le concerto pour Piano n.9. L'œuvre plus que séduisante, est totalement relevée par Cavé, tout à son affaire, dont l'aisance affirmée au clavier est capable de transfigurer, porter l'émotion intrinsèque de chaque œuvre qu'il aborde et vit.
Un beau moment, une invite réussie à se régaler de ces quelques pages mémorables.


Jean-Paul Bottemanne

2004 : ANNÉE MARC-ANTOINE CHARPENTIER 

JORDI SAVALL ET MARC-ANTOINE CHARPENTIER : une interview exclusive

Notre revue a eu le grand plaisir de demander à Jordi SAVALL quelles étaient ses impressions quant au grand musicien français dont nous fêtons le 300ième anniversaire de sa mort. Avant le concert consacré à CHARPENTIER qu'il donnait cette soirée à Vézelay, il a bien voulu rappeler quelles furent les conditions de sa rencontre avec l'oeuvre du musicien et quels conseils il propose à l'auditeur contemporain pour aborder cette oeuvre délicate...

 

© LEXNEWS 2004

LEXNEWS : « Comment avez-vous découvert CHARPENTIER dans votre parcours musical ? » 

Jordi SAVALL : « J’ai découvert CHARPENTIER dans la première période de mon parcours où j’étudiais la musique française de Marin MARAIS, François COUPERIN, et bien d’autres encore que je découvrais avec passion à la Bibliothèque Nationale et également à la Bibliothèque de Versailles. C’est avec ce travail de recherche que je me préparais à apprendre à jouer de la viole de gambe et à cette occasion je me suis rapidement rendu compte que CHARPENTIER était l’un des plus grands de cette époque. C’est à cette même époque que j’ai réalisé que autant LULLY, et après lui Marin MARAIS et François COUPERIN, avait pris une place très importante dans la musique d’opéra et la musique instrumentale, autant CHARPENTIER avait vraiment développé avec la musique religieuse un art dans lequel il excellait au dessus de tous. J’ai essayé en premier lieu de m’imprégner de son œuvre. Après quelques années de travail, j’ai pu réunir un bon ensemble de chanteurs avec la Capella Reial  et en 1989 nous avons fondé le Concert des Nations avec lequel nous avons pu réaliser le premier enregistrement de CHARPENTIER. J’essayais alors de choisir des pièces qui montraient le parcours de la vie de Marie mis en musique. C’est ainsi que j’ai pu introduire des pièces dans ce disque qui dataient de ces premières années de recherche. Je dois avouer que c’est toujours un souvenir émouvant que d’évoquer cette période où j’avais réussi à réunir toute l’œuvre complète de CHARPENTIER en microfilms : cela tenait en 4 ou 5 grands rouleaux de microfilms ! C’est ainsi que je pouvais aller d’un livre à l’autre et choisir à loisir toutes les œuvres de ce grand musicien. C’est en plus une musique qui est écrite de manière très claire, la plupart des œuvres que nous avons enregistrées pour ce disque ont d’ailleurs été jouées à partir de l’original sans transcriptions. C’est en effet un de mes meilleurs souvenirs quant au travail sur la musique religieuse baroque de cette époque avec MONTEVERDI ! »

LEXNEWS : « Quel conseil Jordi Savall pourrait il donner à un auditeur contemporain pour écouter CHARPENTIER de nos jours ? »

 

Jordi SAVALL : « Je pense que c’est une musique qui comme toutes les musiques est tributaire de son interprétation. Il y a certes des musiques qui s’avèrent être plus tolérantes quant à leur approche. Elles peuvent supporter des interprétations plus souples sans pour autant les dénaturer. A l’inverse, pour la musique de CHARPENTIER, comme celle de Marin MARAIS d’ailleurs, l’interprétation, le jeu de la viole, la manière de chanter ainsi que tous les autres processus contribuent à la dimension spirituelle de cette musique. Les œuvres de CHARPENTIER comme celles de MONTEVERDI ou celles de Tomas Luis de VICTORIA sont beaucoup plus que de belles compositions ou de beaux contrepoints, il y a toujours un message spirituel très fort et il faut le retrouver. Il faut vraiment dépasser le cadre du concert et considérer ces musiques comme de véritables œuvres vivantes spirituelles. Je pense que c’est ce qui fait que ces musiques sont parfois plus difficiles d’accès à un auditeur si l’interprète n’est pas véritablement habité par cette approche. Je pense que c’est le danger de faire du CHARPENTIER comme on pourrait faire du HAENDEL ou du VIVALDI, ce n’est pas la même chose ! Si des œuvres de CHARPENTIER peuvent apparaître de prime abord comme spectaculaires, ce n’est pas cet aspect qui prime chez ce compositeur… Je pense qu’il est possible de lui appliquer cette phrase de COUPERIN qui disait : « J’aime mieux ce qui me touche que ce qui me surprend » ! CHARPENTIER offre toujours une musique pleine de grâce, de finesse, de contrepoint, d’harmonies très recherchées ainsi qu’un travail sur les voix, sur la conception même de l’œuvre.

Les œuvres de CHARPENTIER ont un peu souffert d’autres répertoires plus populaires. A l’époque le prestige qu’avait LULLY grâce à ses privilèges éclipsait les autres musiciens de faire connaître leur art. Il ne faut surtout pas considérer l’œuvre de CHARPENTIER sous cet angle car il n’est pas un musicien de cour. Son œuvre religieuse est d’une grande pureté inspirée notamment par l’Italie avec le travail réalisé avec CARISSIMI. Pour moi, c’est un  peu le PURCELL français avec qui il partage sa dimension créatrice, sa maîtrise du contrepoint et  son goût pour la recherche d’harmonies très hardies.

Il me semble que le meilleur conseil que je puisse donner à un auditeur contemporain c’est de prendre son temps pour découvrir tout cela. Il faut se laisser porter par la musique et essayer d’entrer dans cette dimension spirituelle et esthétique de l’œuvre de CHARPENTIER. »              

© LEXNEWS 2004

 

 

 

 

 

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