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INFOS EXPRESS
Lexnews a vu pour vous : concert
Sheila Arnold 3 mai 2022 Goethe Institut Paris
C'est dans le cadre de la Saison Blüthner - Piano Mon Amour organisée
conjointement par la Fondation Alfred Reinhold, le Goethe-Institut Paris
et l'Agence Music 'N Com que Sheila Arnold, artiste de renom
international a été invitée à donner un récital tout en finesse,
virtuosité et passion.
Connue pour sa capacité à dévoiler et rendre à juste propos l'univers
mozartien, elle a subtilement ouvert cette soirée avec la sonate KV280,
dévoilant tour à tour toutes les facettes ici présentes du génie
autrichien. Œuvre équilibrée, à la fois facétieuse dans l'esprit, grave
et profonde, ou encore virtuose, dont la maîtrise juste dans le jeu par
Arnold sur les trois mouvements de cette œuvre a suscité toute
l'adhésion du public. Préambule au contraste fort avec ces trois
magnifiques pièces de Images 1er cahier de Claude Debussy. Ici, la
résonance s'ouvre, le voyage devient onirique, submerge, le toucher
sublime de la concertiste emmène et guide, plonge dans le délice des
harmonies subtiles, pour n'en ressortir que plus affirmé encore.
Poursuite avec cette page d'intimité de Brahms qu'est l'opus 117.
Univers choral en ouverture qui lentement, mais inexorablement, au fil
des mouvements conduit à une plongée introspective et élégiaque, prière
de l'âme toute en grâce. Trois intermezzi ici envoûtants sous les doigts
de Sheila Arnold. Récital conclu par Chopin et son incontournable
ballade en sol mineur op.23. Interprétation avec un rubato superbe et
une personnalité affirmée, lecture singulière, reflet de la sensibilité
propre de l'artiste, une découverte.
Un concert réjouissant, une pianiste brillante qu'il sera toujours
heureux de retrouver sur scène.
Jean-Paul Bottemanne
Concert Irina Lankova Gaveau vendredi
15 octobre 2021
C'est avec toute la délicatesse de son
jeu à l'élégance rare, limpide et fluide que la virtuose pianiste russe
Irina Lankova nous a subjugués durant ce récital essentiellement
consacré à Rachmaninov et Schubert. Car on ne peut qu’être fasciné par
son toucher aérien et raffiné d'une sensibilité frissonnante à l'image
au service d'un univers musical exceptionnel qu'elle affectionne et
révèle avec majesté et grâce.
Première partie de programme consacrée à quelques-unes des plus belles
pages de Rachmaninov. D'emblée, Lankova est sublime en ouverture durant
l'Élégie op.3 avec une plongée immédiate dans l'émotion pure. Puis,
virevoltante dans le tableau op.39 n.3, envoûtante dans l'opus 33, n.8
touchante et pudique dans les deux romances Op. 43, n.14 et op..21, n.7,
mystique dans le prélude op.23, n.7, papillon éphémère dans celui de
l'op.32, n.12, sarcastique dans le Liebeslied de Fritz Kreisler. Ainsi,
l'artiste dévoile tour à tour une personnalité musicale fascinante qui
ne peut laisser indifférent. Voyage émotionnel poursuivi avec autant de
justesse et de brio, d'abord par deux pièces méditatives et épurées en
première mondiale de Dirk Brosse, en articulation avec Schubert à
travers l'Impromptu D.899 et deux transcriptions de Liszt de deux
Lieder, trois pièces ici délicatement ciselées avec fougue, passion et
onirisme dans leur interprétation. Conclusion évidente et judicieuse du
programme annoncé par l'apaisement supérieur intrinsèque à l'adagio BWV
974 de J.S. Bach.
Un concert à l'interprétation éblouissante, à l'image du dernier album «
Élégie » de la pianiste, d'une qualité exceptionnelle, qui fera sans nul
doute référence et sur lequel aucun mélomane ne peut faire l'impasse.
Irina Lankova allie génie sensoriel et technique virtuose, exprime
l'indicible, illumine, se confie sans ambiguïté, bouleverse par sa
sincérité et survole son sujet ! Bravo
Jean-Paul Bottemanne
Concert Roomful of Teeth, Festival
musique(s) Rive Gauche, mercredi 15 septembre, Salle Colonne
Le second concert du Festival
musique(s) Rive Gauche a proposé un univers musical passionnant. Invité
d’honneur, l’octuor vocal américain Roomful of Teeth créé et dirigé par
la jeune et talentueuse compositrice américaine Caroline Shaw (Prix
Pulitzer 2013 pour la musique à l’âge de trente ans) a immergé le public
dans le spectre innovant de la création vocale contemporaine américaine,
par l’offrande de trois œuvres en première en France. Ensemble qui se
produisait aussi pour la première fois sur scène depuis la pandémie.
Ici, donc trois pièces, The Island, Partita for 8 voices de Caroline
Shaw et Beneath de Caleb Burhans. Des œuvres qui partagent une
esthétique se rapportant en partie au courant de la musique minimaliste,
mais la prolonge et la dépasse ; trois partitions axées autour du timbre
et de la technique vocale sous toutes ses facettes, lyrique, mais aussi
prosodique, ou encore ancestrale comme le katajah inuit.
Avec The Island, la voix plurielle se construit au fur et à mesure,
évolue, se révèle et se tisse au fil du sens de texte de Shakespeare, «
La Tempête », choisi par Shaw dans un jeu perpétuel de nuances,
d’harmonies, de textures, en évitant judicieusement l’obsession du
processus minimaliste.
Beneath, de Burhans, en contraste, est une pièce gommant l’aspect
littéraire par l’absence de texte et appuie des gestes musicaux forts au
travers de trois phases contrastées dans l’exploration des registres et
la construction des polyphonies.
Partita for 8 Voices, enfin, est une cascade en trois mouvements de
vagues successives de climax s’articulant avec intelligence, ou rien
n’est artifice. Ici encore, Shaw a le génie pour dépasser et
s’affranchir du minimalisme avec une partita qui magnifie et amplifie ce
qui est à l’œuvre dans The Island. Chaque idée, chaque geste s’imbrique
l’un dans l’autre, et ce, avec logique et sans superflu. Finalement,
tout est fait pour que chaque voix ait une place à part dans une
mosaïque kaléidoscopique qui dérive, perd, rattrape, saisit, fascine
l’auditeur sans le contraindre.
Trois pièces qui se révèlent avec superbe grâce au talent et à la
virtuosité remarquable et indéniable des huit chanteurs, dont la
compositrice Caroline Shaw, elle-même.
Une belle découverte, un temps fort, l’évidence de la nécessité à offrir
plus d’expositions encore aux compositrices actuelles de la scène
musicale américaine en Europe. Bravo !
Jean-Paul Bottemanne
Les Kapsber’Girls, Festival Musique(s)
Rive Gauche, mercredi 15 septembre 2021, Salle Colonne
C’est en ouverture de la première
édition du Festival Musiques(s) Rive Gauche, un projet initié par
l’association Petite Musique Bleue et porté par cinq femmes passionnées
et convaincues de l’importance d’élargir l’offre musicale parisienne que
les Kapsber’Girls nous ont présenté en avant-première le répertoire de
leur second album à paraître cet octobre à la Salle Colonne, Paris 1 ».
« Vous avez dit Brunettes ? » réunit un ensemble délicieux et baroque de
treize courtes pièces vocales légères, puisées dans ce vaste répertoire
de la musique française du 17e siècle que sont les brunettes, ponctué de
pièces instrumentales. Évoquant tour à tour l’amour pastoral, la Nature
et parfois aussi plus simplement des chansons à boire, le quatuor formé
par Alice Duport-Percier et Axelle Verner au chant, Garance Boizot et
Albane Imbs aux instruments, a défendu avec brio une couleur et un choix
esthétique plein d’allant et de gaîté, un répertoire qui sous ses airs
faussement faciles, est d’une complexité technique supérieure, aspect
qu’elles auront su faire oublier tout du long de leur concert pour
rester dans l’instant d’une spontanéité musicale maitrisée.
En vraies expertes du genre et du style, n’hésitant pas - tout comme
l’éditeur Ballard en son temps à mettre à jour ces airs avec des
arrangements originaux et parfaitement menés, alliant grâce et
complicité pour une excursion tantôt grave, tantôt joyeuse, mais
toujours animée et riche dans l’expression des affects, les deux
chanteuses Duport-Percier et Axelle Verner ont fait vibrer ces mélodies
lumineuses et ornementées avec justesse. En parfaite adéquation,
l’instrumentation sans faute délivrée aux cordes pincées et frottées par
Boizot et Imbs sur des instruments d’époque est venue souligner le
caractère authentique de ces timbres parfois diaphanes et pourtant
consistants et empreints de noblesse.
Un bel instant de partage, de générosité et d’enthousiasme offert au
public, un temps hors du temps, dont la réalisation est à la hauteur des
espérances pour cette promenade musicale batifolante.
Jean-Paul Bottemanne
Opera a Palazzo lundi 7 juin 2021,
Fondation Dosne Thiers
Opera A Palazzo, « La Traviata » à fleur de peau...
C’est dans le décor somptueux et chargé
d’histoire des salons de l’Hotel Dosne-Thiers, Place St-Georges que la
tragique et sublime romance de Verdi se donne à voir et partager avec
une force et une passion exceptionnelle sublimées de façon tout à fait
originale. Car Opera a Palazzo, dans la continuité de Musica A Palazzo
née à Venise en 2005 et dont les créateurs nous transmettent l’âme de
l’expérience de l’opéra immersif, propose ici pour la première fois à
Paris de vivre l’opéra de l’intérieur en gommant les distances avec les
chanteurs, par l’invite d’être avec eux dans le partage le plus immédiat
de l’espace, scène et salle se confondant en un seul lieu, chaque salon
étant le décor réel dont la mise en scène extraordinaire de Patrizia Di
Paola a su tirer pleinement parti. Expérience fusionnelle d’une
intensité sans pareil tant pour les spectateurs que les artistes.
Ici, l’adaptation primée par The Argus
Angel Award de la Traviata est resserrée autour des trois personnages
principaux, Violetta Alfredo et son père Giorgio dans une orchestration
tout autant restreinte mais terriblement efficace. La magie opère dès le
premier instant, l’entrée en scène d’Alfredo, très vite rejoint par
Violetta s’ouvre sur ce premier duo intense et joyeux du célèbre Libiam
nei lieti calici, tourbillon enivrant de cet amour naissant entre ces
deux êtres. Tout ce qui suit va aller plus haut et plus fort encore.
Merveilleuse Violetta, nous rendant témoin intime de son trouble dans un
frisson indicible. Frisson qui sous le portrait d’Adolphe Thiers dans
l’acte 2 se poursuit avec autant de force et continue de nous envahir
nous mettant le cœur à nu dans ces grandes mélopées verdiennes. Tragédie
qui se joue avec l’arrivée du père d’Alfredo, émotion et sincérité juste
remarquables dans leur duo poignant. Acte 3 scellant le drame avec le
trio vocal se mariant à merveille, Violetta attire, émeut, fige
l’instant par sa douleur, son amour, son émotion tandis le père et le
fils tous deux réunis l’accompagnent avec autant de puissance
dramatique. Ode à l’amour et à la tragédie.
Tout provoque le frisson, l’émotion est
intacte et prégnante de bout en bout. Que dire des trois chanteurs
habillés des costumes réalisés par l’Atelier Nicolao de Venise, sinon
qu’ils furent extraordinaires. Armelle Khourdoïan est envoûtante, sa
voix nous emporte avec beauté, sa technique est au service de son
personnage, son jeu théâtral captivant. Christophe Poncet de Solages est
son égal dans le rôle d’Alfredo avec un timbre égal et puissant dans
l’ensemble de sa tessiture. De même enfin pour Laurent Arcaro dans le
rôle de Giorgio avec une profondeur et une rondeur vocale, tous trois
scellant une prestation vocale supérieure bien rare. Prestation
instrumentale enfin assise, attentive et en osmose du jeune Philip
Richardson au piano, Anne Balu au violon et Carlotta Persico au
violoncelle.
Que dire encore ? Cette Traviata par
Opera A Palazzo soutenu par des partenaires convaincus de la démarche
nous ramène au cœur même de l’opéra, du mariage entre musique et théâtre
et ne peut que ravir tout amateur de l’art lyrique. Un pur bonheur en
petit comité qu’il faut s’offrir, un spectacle de très grande qualité
complété par une visite de la Fondation et d’un partage convivial autour
d’une coupe de champagne Leclerc Briant pour chacun.
Concert BERLIN PARADISE, 26/02/20
Quatuor Manfred, Marion Rampal, Le Bal Blomet, Paris 15e
Avec un choix des plus
judicieux issu du répertoire berlinois de l'entre-deux-guerres, le
spectacle musical « Berlin Paradise », conçu par le Quatuor Manfred et
Marion Rampal et en présence du saxophoniste Thomas Savy, a su ravir son
public lui offrant une interprétation exemplaire toute en souplesse et à
la confluence d'univers musicaux assortis dans l'intimité chaleureuse et
emblématique de la scène du Bal Blomet.
De Kurt Weill à Hollaender en passant par Berg, Hindemih, Schulhoff et
Esler, chacun aura su trouver son bonheur dans la maitrise sublime
offerte par nos musiciens entre pièces instrumentales et chansons de
cabaret, modernité savante et couleurs populaires. D'une cohésion
indicible dans leurs complémentarités, voix, cordes et vent, ont su
captiver, s'imposer, caresser, et s'échapper, vibrant au fil des
mélodies et des harmonies dans un équilibre souverain.
Le quatuor Manfred, superbe dès les premières notes, drape et tisse avec
délicatesse une texture sonore riche et flamboyante. La clarté et
précision de leurs échanges ont magnifié la profondeur des partitions,
gommé l'âpreté des dissonances assumées, et subjugué dans les nuances
des timbres, offrant un écrin précieux au velours prenant de la voix de
Marion Rampal, et un socle attentif aux envolées lyriques des parties
solistes de Thomas Savy.
L'interprétation suave et délicieuse du Youkali de Kurt Weill, la
légèreté malicieuse du Nein de Hanns Esler, le persifflage de
l'ouverture du Hollandais Volant de Hindemith, la mélancolie du Lavender
Song de Spoliansky, furent ainsi autant de parenthèses de bonheur et de
plaisir, filigrane tout en broderie, mémoire de l'émancipation
artistique de la République de Weimar, réprimée brutalement par le
régime nazi, et amenant ces compositeurs d'exception à fuir
l'oppression...
Un beau programme audacieux et des plus réussi que chacun pourra goûter
et retrouver au travers du CD Bye -Bye Berlin (Harmonia Mundi).
Jean-Paul Bottemanne
Concert 30 janvier Théâtre
Champs-Élysées
Trio Elisabeth Leonskaja, Lisa Ferschtman, Jakob Koranyi
Pour cette représentation d'ouverture du Cycle Schubert, donnée dans au
Théâtre des Champs-Élysées, le trio formé par la violoniste Lisa
Ferschtman, le violoncelliste Jakob Koranyi et la « dernière grande Dame
de l'École Soviétique », Élisabeth Leonskaja au piano, aura régalé le
public avec les opus 99, D. 898 (Trio n.1 en Mi bémol Majeur) et 100, D
929 (Trio n.2 en Mi bémol Majeur). Deux oeuvres fortes et puissantes,
parmi les dernières composées par ce musicien de génie que fut Franz
Schubert, un an avant sa mort tragique. Toutes deux structurées en
quatre mouvements et empreintes d'une grande expressivité, chacune vibre
d'un charme envoûtant aux caractères bien différents par des thèmes
mélodiques singuliers et forts. Ainsi le lyrisme dominant du premier
contraste avec la dramaturgie exacerbée du second, tout comme la
distribution et l'équilibre entre les trois musiciens.
Trio n.1 séducteur, habilement souligné et mis en lumière par nos trois
virtuoses, commence par un Allegro radieux à la texture riche et
colorée, suivi d'un Andante introspectif et rêveur au travers des
dialogues subtils entre cordes et clavier, avant le Scherzo et le Rondo,
deux mouvements vifs, dynamiques, dansants et rythmés, riches en
variations et modulations subtiles, brodant en beauté un fil musical
élégant. Tout au long de l'œuvre, l'équilibre entre les trois pupitres
propose des pages sublimes empreintes de poésie musicale portées par la
sensibilité des trois interprètes.
Le Trio n.2, écrit la même année que le précédent, propose un tout autre
programme avec une approche plus tourmentée et un rôle plus important
donné au clavier. La passion s'exprime avec ardeur durant l'Allegro au
travers de trois thèmes : L'inquiétude et l'angoisse s'imposent dès les
premières mesures de l'Andante avec une magnifique et saisissante
mélodie inspirée d'un lied d'origine scandinave, d'abord évoquée par le
violoncelle, puis sublimement portée par le piano, et illuminée par les
réponses souples des archets. Scherzando en réponse et rappel de
l'Allegro, duquel continue d'émerger la force dramaturgique ; Allegro
final faisant réentendre le thème funèbre entendu dans l'Andante avec
une opposition entre deux épisodes contrastés.
Trois musiciens d'exception à la sensibilité raffinée. Lisa Ferschtman
donne corps à ses lignes avec enthousiasme et élégance, Jakob Koranyi
interpelle et captive par la transcendance de son jeu, Élisabeth
Leonskaja subjugue en maestria d'un toucher émouvant dans sa prosodie
mélodique, émeut par l'humilité et la sincérité musicale de son
incantation, une performance fusionnelle qui aura offert au public de
plonger tout entier dans l'univers schubertien avec délectation.
Jean-Paul Bottemanne
Concert Maîtrise Notre-Dame orchestre
de Paris Mercredi 20 novembre 2019
La fructueuse collaboration entre
l'Orchestre de Chambre de Paris et la Maîtrise de Notre-Dame a toujours
conduit à la réalisation de soirées musicales brillantes et
exceptionnelles, et ce dernier concert ne fit pas exception ! Celui-ci
sous la baguette de Douglas Boyd en l'Église Saint-Eustache, n'a en
effet pas dérogé à l'accomplissement d'une rencontre pétulante qui aura
tenu toutes ses promesses.
Entrée en matière avec la Fantaisie pour cordes sur un thème de Thomas
Tallis de Ralph Vaughan Williams, pièce en un mouvement, considérée à
juste titre comme l'une des plus belles œuvres du compositeur anglais.
Le jeu permanent de couleurs et d'espaces entre les différents pupitres
fut un délice organique, faisant apparaître, en une myriade de nuances
et de contrastes, le service d'une conduite mélodique envoûtante de
laquelle ont émergé tour à tour des sonorités enchanteresses, lignes
solistes gracieuses, dialogues habiles et mariages réussis ; La conduite
inspirée du chef donnant vie à chaque passage, âme à chaque geste,
jusqu'au point d'orgue final.
Chef d'œuvre incontournable du genre, le Requiem de Mozart en deuxième
partie, pièce légendaire, de par le mystère qui entoure sa composition,
a dégagé une force et un souffle d'une envergure hors du commun que les
quatre chanteurs solistes, Mireille Asselin, Éva Zaïcik, James Way et
David Soar, la Maîtrise et L'Orchestre de Paris, n'auront de cesse de
magnifier durant les huit mouvements con brio. À chaque instant, la
polyphonie se fit lumineuse et pénétrée, l'interprétation incarnée, le
contexte évident, le sens sublimé. Le flux musical baigne d'une énergie
irradiante entre les voix et les instruments. La Maîtrise impressionne
de par son unité vocale et sa justesse d'une intonation luminescente,
alors que les solistes ont, pour leur part, investi leurs parties avec
une musicalité irréprochable, chacun dans la beauté de son registre et
de sa voix ; profondeur pour le basse David Soar, brillance pour le
ténor James Way, pureté exquise pour Éva Zaïcik, clarté chaleureuse,
enfin, pour Mireille Asselin. Une maîtrise à laquelle l’ensemble
instrumental est venu répondre, proposer, soutenir et s'ajuster avec
finesse et élan. Douglas Boyd canalise, guide, insuffle et élève,
amenant l'ensemble des musiciens et chanteurs à un achèvement tant
sensible que solennel et opulent. Une réussite totale dont le mérite
revient également aux chefs de chœur de la Maîtrise, Henry Chalet et
Emile Fleury dans la préparation de ce très bel événement.
Jean-Paul Bottemanne
Concert Maîtrise Notre Dame, mercredi 9 octobre
2019, à Saint-Eustache.
C'est par une prestation d'une rare qualité que la
Maîtrise de Notre Dame a subjugué le public lors de sa première
représentation « Hors les Murs » en l'Église Saint-Eustache. Sous la
direction de Henri Chalet, le chœur d'adultes s'est montré exemplaire
dans sa musicalité, émouvant dans ses interprétations, sincère,
chaleureux et proche dans son partage artistique, invitant notamment par
deux fois le public à une immersion sonore sublime dans l'intimité de sa
disposition spatiale.
Programme délicieusement débuté par Yves Castagnet, avec la Sonate pour
Orgue en ré mineur, op.65, n.6 de Félix Mendelssohn. Son jeu au doigté
souple et posé, mettant tantôt le thème choral en valeur, tantôt la
conduite de la fugue en évidence, a éclairé avec brio et limpidité une
œuvre délicate, et gagnant en force et caractère au fur et à mesure de
la partition jusqu'au final majestueux.
Programme poursuivi avec les trois motets de l''opus 96 du même
compositeur. D'emblée, la mise en œuvre de la vocalité pleine et aboutie
du chœur d'adultes de la Maitrise s’est révélée évidente et ne se
démentira pas jusqu'à la fin du concert. Les polyphonies dansent au gré
de lignes distinctes et totalement perceptibles pour chaque pupitre,
tandis que l'alto Joséphine Geoffroy - pour le premier motet, et la
soprano Thais Rai-Westphal - pour le troisième, nous ont régalés dans
leurs rôles solistes de leur voix aux timbres envoutants et équilibrés ;
Il en sera de même pour le quatuor du second motet formé par Luisa
Trejos Olmos, Orelle Pralus, Gael Martin et Matthieu Walendzik.
Interlude avec le Cantique de Jean Racine, une œuvre de jeunesse de
Gabriel Fauré - alors élève de l'École Niedermeyer, au caractère presque
énigmatique dans sa conduite polyphonique fuguée.
Final enfin avec le Requiem de Fauré, pièce emblématique du répertoire
liturgique récent dont la profondeur et la beauté sont si achevées dans
l'écriture qu'elle n’ont pu qu’inviter sans condition au recueillement
et au questionnement. Les sept parties ont, en effet, offert un régal
sans équivoque, ici mises en exergue par la Maîtrise avec un tel talent
révélant une approche expressive mélodieuse toute de nuances et finesse
- et sans l'exagération emphatique que la puissance dramatique de
plusieurs passages peut parfois susciter. L'unité fut complète et
évidente, et la portée du message liturgique totalement présente.
Félicitations aux deux solistes, la soprano Ana Escudero, tout
simplement époustouflante dans son placement et sa musicalité, ainsi
qu’au baryton Matthieu Walendzik, à la voix puissante et profonde, d'un
timbre d'une gravité marquante et épanouie dans sa personnalité.
Félicitation enfin à Henry Chalet pour sa direction allante, sa vision
musicale et ses choix dans l'élaboration artistique de ce programme de
rentrée, ainsi qu’à Yves Castagnet pour sa relation instrumentale en
osmose parfaite avec le chœur. Une saison « Hors les murs », généreuse
dans sa programmation qui s'annonce sous les meilleurs augures.
Jean-Paul Bottemanne
concert «
privé » Duo Varnerin 22 octobre 2019
À l'occasion d'un concert privé, le
duo Varnerin, tandem complice de la soprano Stéphanie et de son frère
Mathieu à la guitare, a donné la possibilité de découvrir en
avant-première une partie des pièces que chacun pourra retrouver sur
leur premier opus « Renouveau » à paraître à partir du 25 octobre sur le
label Muso.
Leur répertoire, un hommage quasi exclusif à la mélodie française et à
ses plus grands compositeurs, porte autant l'originalité audacieuse de
la transcription pour guitare et voix d'œuvres intimistes et suaves que
l'expression d'une poésie musicale inspirée. Un travail de réécriture
instrumentale judicieux exercé en tout point dans les choix de Mathieu
Varnerin et révélant un équilibre savant des sonorités qu'il a su
trouver ; Des sonorités aptent à éclairer sans exagération dans ces
mélodies la partie vocale ou venant transfigurer notamment cette
Berceuse de Louis Vierne, une œuvre originellement pour orgue. Les
harmonies complexes de Debussy, la modalité revisitée de Déodat de
Séverac, le raffinement galant de Reynaldo Hahn, ou encore la finesse de
Fauré, trouvent ici leur juste place dans l'échange musical entre voix
et guitare, s'exprimant avec profondeur et facilité. L'écrin est propice
à la très belle voix aux couleurs chatoyantes, claires et maîtrisées de
Stéphanie Varnerin. Les phrases s'envolent avec grâce, s'étirent avec
aisance, le maniérisme est évité, la musicalité est évidente et engagée,
et le partage du plaisir immédiat.
Nul doute qu'ils sauront conquérir par leur talent le cœur d'un public
plus large en portant haut les couleurs de ce genre musical qu'ils
affectionnent que ce soit lors des prochaines dates annoncées ou par ce
premier enregistrement « Renouveau ».
Bravo encore à la qualité indéniable de leur entreprise, manifestation
d'une expertise aboutie, ciselée et assurée.
Jean-Paul Bottemanne
Concert 26 mars 2019 Cathédrale Notre
Dame de Paris
Chant grégorien et musique médiévale
Beatus Vir, un programme magistralement bâti autour d'un corpus
de conduits, motets et répons du XIIe et XIIIe majoritairement issus de
l'École de Notre-Dame et judicieusement complétés par trois exemples de
chansons de trouvères. Un beau programme présenté par un ensemble
lumineux de cinq solistes tous issus de de la Maîtrise de Notre Dame
sous la direction du talentueux Sylvain Dieudonné à la vielle et
accompagné de Françoise Johannel à la harpe. Que dire devant tant de
grâce vocale et de talents réunis, entre les sopranos Hélène Richer,
Julia Gaudin et Florence Pouderoux, l'alto Clotilde Cantau et le
contre-ténor Raphaël Mas. Chacun, chacune aura été apprécié en soliste
et en choeur pour le plus grand bonheur de tous dans des combinaisons à
géométrie variable. Chacun, chacune aura généreusement joint l'intensité
spirituelle à l'expression musicale et poétique dans une qualité vocale
remarquable de pureté et d'assurance. Les mélismes coulent avec aisance
et fluidité, les couleurs modales sont mises en évidence, la polyphonie
s'exprime clairement, le souffle est communiqué, le lyrisme présent, le
timbre riche et profond. Le plaisir et la passion enfin qui les habitent
font de ce groupe un ensemble vocal supérieur et virtuose du début à la
fin, de véritables ambassadeurs de la beauté inaltérable de la musique
médiévale; ils méritent d'être applaudis sans retenue pour leur maîtrise
et leur juste expertise dans l'interprétation de ce répertoire délicat
et raffiné. Interprétations soulignées et appuyées avec tact et emphase
discrète par les deux musiciens. Véritablement un vrai bijou de bout en
bout.
Jean-Paul Bottemanne
Concert Invalides Jeudi 21 février
2019 Orchestre Chambre Toulouse et Remi Geniet
L'invitation offerte au prodigieux jeune
pianiste Remi Geniet et à l'Orchestre de Chambre de Toulouse sous la
direction de Gilles Colliard de s'unir dans l'écrin de la Salle Turenne
des Invalides aura été un vrai régal tant l'intensité et la qualité
éblouissante de leur concert furent une réussite.
Entrée en matière avec une version pour cordes de la Symphonie n.36 «
Linz » de Mozart, oeuvre caractéristique de l'époque viennoise du génie
autrichien. L'évidence mélodique coule et se maintient au gré des quatre
mouvements dans une succession de contrastes et de couleurs finement
ciselés par l'orchestre de Chambre, comme dans l'Allegro et l'Andante.
Les propositions et les réponses sont distinctes et posées, la
polyphonie des pupitres clairement perceptible et la direction attentive
et habitée de Gilles Colliard engage pleinement jusqu'aux dernières
notes du Presto plein d'allégresse.
Contraste saisissant avec le Concerto pour piano opus 16 d'Edward Grieg.
Cette oeuvre exigeante au lyrisme romantique exacerbé captive de bout en
bout. Les thèmes imposants et les motifs envoutants impriment un élan et
une grâce superbe. Souffle retenu dès l'introduction fougueuse de Remi
Geniet qui n'a de cesse de faire chanter son instrument dans une
explosion féerique et sensible à chacune de ses interventions. Jeu
magistral du jeune prodige qui emporte avec lui le public dans le déluge
d'une partition pianistique virtuose au plus haut niveau. Son toucher
d'une sensualité délicieuse révèle une essence passionnelle d'une
noblesse supérieure. Expression adroitement habillée et complétée par
l'Orchestre de Chambre de Toulouse aux sonorités justes et égales, avec
un chef toujours aussi attentif. Les dernières notes laissent un public
ivre de tant de générosité, bée devant tant de talent. Véritablement des
artistes à entendre et réentendre dès que possible.
Le trio formé par Olivier Charlier au violon,
Xavier Phillips au violoncelle et Roustem Saîtkoulov au piano est
l'exemple admirable de musiciens émérites arrivés à la maturité de leur
art, conjuguant lyrisme, virtuosité et délicatesse. Leur prestation est
à la hauteur de ce programme audacieux entièrement dédié à trois grands
maîtres de la musique slave.
Introduction toute en finesse avec le trio n.1, opus 8 de Dimitri
Chostakovitch datant de 1923. Cette très belle œuvre de jeunesse
pré-stalinienne en un seul mouvement est le rendez-vous d'une modernité
puisant ses racines dans le romantisme, forte en contrastes et d'une
grande mélodicité chromatique expressive que Chostakovitch partage du
début à la fin dans un équilibre parfait entre les trois protagonistes.
Charlier, Phillips et Saîtkoulov emmènent tour à tour, proposent,
dialoguent, répondent, échangent, enchevêtrent progressivement jusqu'au
tourbillon final.
Deuxième partie de concert avec le Trio n?4 opus 90, « Dumky » d'Anton
Dvorak écrit en 1891. Ici encore une pièce sublime, tout en finesse,
fruit du génie d'un compositeur aguerri au genre de la musique de
chambre, s'articulant avec perfection avec la précédente. Le choix de
Dvorak d'adopter la liberté offerte par l'esprit et la forme de la dumka
pour chacun des six mouvements confère des parties fortes en contrastes
entre les changements de tempi, le caractère populaire et dansant des
passages vifs, la multiplicité des modes de jeu et la texture modulante
émaillant la poursuite et le dialogue sans cesse renouvelé et rehaussé
entre les trois musiciens. Ici, de nouveau, l'équilibre sonore et la
place laissée à chacun confinent à la perfection dans une interprétation
parfaitement maîtrisée, enjouée et éblouissante.
Troisième et dernière partie avec le Trio opus 50, « A la mémoire d'un
grand artiste » de Tchaïkovski de 1881. Ce dernier, plus à l'aise, dans
les œuvres orchestrales, s'attelle à la composition de cette pièce en
hommage à son ami pianiste Rubinstein, encouragé en cela par Mme Von
Meck malgré le peu d'appétence qu'il porte à cette combinaison
instrumentale. Ici encore, une construction qui s'éloigne de la forme
traditionnelle, avec ses deux mouvements tout en contraste. Et si
parfois la texture pianistique, bien plus chargée durant le premier
mouvement que dans les pièces précédentes, laisse certes moins de place
au violoncelle dont les phrases dans le registre grave sont parfois
noyées par le clavier, le pathos du premier thème, la puissance
majestueuse du second et le lyrisme du troisième octroient une grandeur
musicale partagée par les trois instrumentistes. Charlier brille,
Phillips émeut, Saïtkoulov domine. Deuxième mouvement construit sur une
série de onze variations, toutes plus délicieuses les unes que les
autres, offrant des dispositifs sans cesse renouvelés et une exigence
virtuose grandissante. Dernière variation dramatique avec sa marche
funèbre.
Assurément, nos trois virtuoses ont partagé avec envie et bonheur dans
une expressivité qui a fait de ce récital une offrande grisante et
enivrante. L'éclat généreux et éblouissant, mais pourtant intime de leur
complicité sans facéties, de leur virtuosité et de leur approche habile
d'une musicalité poétique, fut un vrai ravissement au service d'un
répertoire pourtant exigeant et admirable de beauté sensible.
Jean-Paul Bottemanne
Concert Notre dame 16 novembre 2018
"Ode à l'Annonciation"
En ouverture du 6e Festival des Heures initié par le Collège des
Bernardins, c'est avec brio que le Jeune Ensemble et le Chœur d'enfants
de la Maîtrise de Notre-Dame sous la direction de Sylvain Dieudonné
(complété par un petit ensemble instrumental) ont offert une prestation
d'une sobriété spectaculaire et lumineuse. Véritable ode à
l'Annonciation avec un choix précieux de 18 pièces mariales des XIIe et
XIIIe siècles, ce concert fut en tout point une invite parfaite à
célébrer les Âges de la Vie, thème de cette édition du Festival.
Construit en sept étapes, le déroulé fluide du programme, s’ouvrant et
se fermant en miroir sur deux Cantigas de Santa Maria (1 et 210), a
alterné des configurations variées, mettant en lumière une unité vocale
révélée tant dans les parties chorales que dans les parties solistes.
Toutes les pièces, telle la très belle « Mainte Chançon », l'Ave Maria
de Certon, furent données avec sincérité et animées d'un souffle
permanent. Que dire de la qualité enchanteresse des interventions des
trois solistes adultes. La fraîcheur et l'aisance de Marthe Davost,
soprano au timbre riche et équilibré idéalement complémentaire de la
noble voix d'alto d'Anaïs Bertrand, ainsi que Raphaël Mas, tour à tour
contre-ténor raffiné et subtil et percussionniste émérite, furent un
régal manifeste. Un même plaisir fut également offert par les
interventions solistes du chœur d'enfants, toujours justes et exquis.
Enfin, un festin relevé avec saveur par l'ensemble instrumental,
attentif, généreux et circonstancié.
On retiendra de cette soirée une joie et un plaisir partagés dans une
musicalité sans faiblesse avec une prestation de très grande qualité
technique, d'un niveau toujours supérieur, tels que la Maîtrise de
Notre-Dame et Sylvain Dieudonné en ont l’habitude. Merci à eux pour ce
très beau cadeau.
Jean-Paul Bottemanne
Bernardins Samedi 17
novembre 18 Bach Oratorio
Second des « six concerts au rythme des Heures monastiques » du Festival
des Heures, le concert des Matines donné en matinée dans la nef du
Collège des Bernardins fut une invitation à la célébration de la
Nativité avec les deux premières cantates de l'Oratorio BWV 248 de J.S.
Bach. Interprétées par l'Ensemble La Fenice sous la direction de Jean
Tubéry, ces deux pièces de caractères bien différents, écrites pour les
fêtes de Noël de 1734 à Leipzig, furent à l'origine créées à un jour
d'intervalle. Les entendre donc réunies ici leur confère un aspect autre
avec un éclairage sur la maîtrise du maître baroque allemand à mettre en
scène la naissance du Christ. Lumière et puissance des cuivres et
timbales dans l'instrumentation de la Naissance, aspect bien plus
concertant et pastoral avec l'apparition du hautbois d'amour dans
l'Annonce aux Bergers, ces deux cantates dégagent une intensité sans
failles, dans lesquels la verve et le talent mélodique de Bach éclatent
avec évidence et grandeur à chaque ligne, en s'inscrivant dans une
polyphonie rayonnante et fabuleuse. Les parties solistes, chorales et
instrumentales sont des purs chefs-d'œuvre, alliant la nécessité d'une
technique irréprochable. Défi relevé par La Fenice, Jean Tubery et les
quatre solistes. Lina Lopez, soprano, régale chorals et récitatif avec
une assurance non contrainte d'un timbre radiant. Cyrille Larouge,
contre-ténor, explore, sculpte et virevolte dans ses deux arias (4 et
19). Romain Bockler, basse, s'impose avec largesse et clarté dans ses
récitatifs et air, ans. Jörg Mammel, ténor, est enfin tout simplement
saisissant et éblouissant à chaque instant dans sa présence et ses
appuis. Un ensemble La Fenice, attentif et soucieux du détail sous la
direction de Jean Tubéry, chef généreux et confortant. Un concert
éclairant et célébrant la Vie, placé sous le signe de la Nativité avec
une interprétation digne de ces pages sublimes. Merci aux musiciens et
au Collège des Bernardins pour cette programmation de si haute qualité.
Jean-Paul Bottemanne
François Dumont, piano, Estampes et
tableaux, concert du 12 octobre 2018, Salle Gaveau, Paris.
Associations visuelles et sonores
furent au cœur du programme conçu avec délicatesse par le talentueux
pianiste François Dumont. La modernité du XIXe siècle a su appréhender
et développer en art un autre rapport à la nature que les siècles
précédents. L’impression, la sensation, l’émotion face au paysage se
sont immiscées à un point tel dans les œuvres des peintres et des
sculpteurs que les musiciens ne pouvaient y rester insensibles. François
Dumont a ainsi souhaité explorer ces rapports ténus entre images et
musique, une association riche et fertile ainsi qu’en témoigne le
programme interprété avec brio à la salle Gaveau lors de ce concert.
Heureuses confrontations en effet nées des réminiscences des Années
de Pèlerinage de Liszt composées lors des voyages du musicien
accompagné de Marie d'Agoult en Italie et en Suisse, des années nourries
de poésie de Schiller, Lamartine ou encore des œuvres de Senancour face
aux paysages grandioses du lac de Côme et de la vallée d’Obermann… Les
cimes et les lacs ont également inspiré une écriture nourrie de
contrastes où la virtuosité trouve le cadre idéal sous les doigts de
François Dumont, sans artifices. Curieusement, la musique se fait à son
tour inspiratrice et donne naissance à de nouveaux paysages, rêvés
ceux-là, pour le plus grand bonheur des mélomanes nombreux en cette
soirée à la salle Gaveau, invitant Debussy.
Ce dernier s’imposait bien entendu en
cette année 2018, et surtout par son rapport à l’art pictural et aux
images musicales, si perceptibles dans le triptyque Estampes ;
triptyque ayant conduit à qualifier le compositeur de musicien
impressionniste, ce qu’il ne goûtait guère. Reste que ces images
conduisent musicalement, elles aussi, à l’évocation de nouveaux
paysages, à une mise en l’espace où des accords venus de
l’Extrême-Orient ajoute au charme poétique de ces notes égrenées avec
délicatesse par le pianiste manifestement inspiré. Le programme de cette
agréable soirée s’est poursuivi par une autre pièce riche en suggestion
visuelle les Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgski. Le
rapport image/musique est bien entendu au centre de cette œuvre
également connue dans son orchestration symphonique réalisée par Maurice
Ravel. C’est, ici, à une visite imaginaire d’une exposition à laquelle
nous convie le pianiste François Dumont, une nouvelle fois très inspiré
et emporté par cette œuvre. Dialoguant au plus près avec ces tableaux
défilant sous ses doigts, la magie a indéniablement opéré en cette
soirée pour une osmose immédiate avec un public médusé. Couleurs et
tonalité ont joué des contrastes nés de l’image, François Dumont s’y
entendant à merveille pour rendre toute la subtilité des nombreuses
ruptures que compte l’œuvre parsemée d’accords dissonants. Cette soirée
fut magique, images et musiques donnant naissance à de nouvelles
suggestions grâce à cette interprétation d’une belle intériorité.
Philippe-Emmanuel
Krautter
Programme
BACH/LISZT : Prélude et fugue en la mineur
DEBUSSY : Estampes : Pagodes, La soirée dans Grenade, Jardins sous la
pluie
LISZT : Années de Pèlerinage : Les jeux d’eau à la Villa d’Este, Vallée
d’Obermann
MOUSSORGSKI : Une larme, Tableaux d’une exposition
BACH / HAENDEL / MENDELSSOHN, carte
blanche aux solistes de la Maîtrise Notre-Dame de Paris
Mardi 11 septembre 2018 à 20h30 à Notre-Dame de Paris
Avec une belle invitation au voyage dans
le baroque et romantisme allemand des grands maîtres, J.S. Bach,
Haendel, Mendelssohn, Telemann, Schutz et Buxtehude, le quatuor de
solistes émérites de la Maitrise de Notre Dame formé par Laurence
Pouderoux, soprano, Anouk Defontenay, mezzo-soprano, Gael Marin, ténor
et Matthieu Walendzik, baryton, a régalé un public attentif sous la
direction et l'accompagnement organique avisé d'un Yves Castagnet au
meilleur de sa forme.
La richesse et le choix judicieux du programme ont suscité des
combinaisons diverses permettant à chaque musicien d'exposer son aisance
technique parfaitement maitrisée au service de l'expression musicale. La
complexité et la qualité mélodique d'écriture furent, en effet, pour
chaque pièce une gageure nécessitant solidité et fluidité, équilibre et
soutien. Ainsi, les deux Schutz à l'écriture raffinée dans un conduit
polyphonique extrême à quatre voix ou encore ces chefs-d'œuvre extraits
de cantates de Bach avec le captivant et chaleureux timbre d'Anouk
Defontenay, soliste dans Vergnugte Ruh (BWV 170), mais aussi le
saisissant Weinen, Klagen, Sorgen (BWV 12) à quatre voix pour ne citer
que ces oeuvres.
La grâce et la limpidité de Laurence Pouderoux à chaque fois plus
évidente dans ses interventions – et plus largement pour tous ses
récitals, fut comme toujours un auguste régal, tant sa voix enchante,
commande avec brio et révèle un talent naturel s'exprimant avec sobriété
et générosité. De même, la rondeur et la profondeur de la belle voix de
Matthieu Walendzik méritent également toutes les louanges, tant il
navigue avec aisance et s'impose avec netteté. Que dire également de
Gael Martin qui jongle et s'immisce, s'entrelace, amène une légèreté
sans contrainte forcée, ou bien encore d’Anouk Defontenay, à la vocalité
distincte et posée à la fois claire et pleine. Yves Castagnet enfin,
tout simplement inspiré de bout en bout, avec une générosité lumineuse
et engageante, en parfaite symbiose avec le quatuor vocal.
Encore une fois, la Maitrise de Notre-Dame aura démontré combien elle
occupe une place de choix dans le paysage musical lyrique parisien et la
haute qualité de l'enseignement musical qu'elle perpétue par un si beau
concert mettant à l'honneur quatre de ses meilleurs membres.
Jean-Paul Bottemanne
Programme
Georg Philipp TELEMANN (1681-1767) • Es segne uns Gott
Dietrich BUXTEHUDE (1637-1707) • In te Domine speravi
Heinrich SCHÜTZ (1585-1672)
Ego dormio, et cor meum vigilat (Prima pars)
Vulnerasti cor meum (Secunda Pars)
Johann Sebastian BACH (1685-1750)
O Jesu Christ, mein Lebens Licht (Cantate BWV 118)
Vergnügte Ruh (Cantate BWV 170)
Weinen, Klagen, Sorgen (Cantate BWV 12)
Lobet den Herrn (Motet BWV 230)
Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759)
Welcome as the dawn of day (Solomon)
O worship the Lord (Chandos Anthem)
The righteous shall be had in everlasting remembrance (Funeral Anthem)
Félix MENDELSSOHN (1806-1847)
It is enough (Elias)
Herr, wir trau'n auf deine Güte (Geistliches Lied op. 96)
La Fenice, nom à lui seul symbole de Venise, et si l'image du phénix
renaissant de ses cendres est facile, tout visiteur ne pourra qu'être
étonné par la splendeur des lieux alors que nous avons tous en mémoire
les terribles images de ce théâtre néoclassique du XVIIIe ravagé par les
flammes pour la troisième fois de son histoire... Cet écrin à musique,
ce boudoir pour voix et instruments dont la magie opère instantanément
bien avant d'en avoir franchi le seuil une soirée de gala, tient à la
fois du rêve et de la passion qu'eurent les Vénitiens pour la musique.
Rossini, Bellini, Donizetti sans oublier le grand Verdi eurent leurs
heures de gloire en ces murs et, de nos jours, la Fondazione Teatro La
Fenice di Venezia tient également à honorer des concerts de chambre avec
des ensembles de dimension internationale tel le Quartetto di Cremona,
fondé il y a presque 20 ans, et réunissant Cristiano Gualco (violon)
Paolo Andreoli (violon) Simone Gramaglia (alto) et Giovanni Scaglione
(violoncelle). C’est dans une salle comble que s’ouvre cette soirée avec
le quatuor n° 1 en sol majeur K. 80 de Mozart alors que le musicien se
trouvait non loin de Venise, à Lodi exactement, en Lombardie, en 1770.
Œuvre de jeunesse, Mozart n’avait que quatorze ans, ce quatuor manifeste
déjà tout le génie du compositeur qui s’exprime alors que le jeune
garçon ne passe qu’une seule nuit à Lodi en allant de Milan à Parme, et
qui donna naissance à trois des quatre mouvements, le dernier ayant été
ajouté ultérieurement. Peut-être inspiré par un quatuor de Giuseppe
Sammartini, le jeune Mozart offre déjà une déconcertante facilité dans
la composition, avec ici ou là quelques chromatismes enjoués pour des
œuvres qui n’étaient destinées qu’à être jouées en privé. Après cette
belle interprétation soulignant la fraîcheur juvénile de Mozart, c’est
avec Debussy et son quatuor à cordes en sol mineur daté de 1893 que le
programme de cette soirée se poursuit, un hommage au centième
anniversaire de la mort du compositeur. L’œuvre puissante et émouvante
fait écho au quatuor de Grieg et annonce la modernité du siècle à venir.
Tumultes et envolées alternent avec des moments de douces
introspections, pizzicati, ostinato, tons graves au violoncelle
bouleversent les codes de la composition de son temps. Le Quartetto di
Cremona s’entend à merveille pour rendre cette tendre fougue avec un
accord implicite pour chacune des transitions, une complicité manifeste
quant à cette œuvre tempétueuse. Applaudissements sans réserve pour
cette belle interprétation, le public nombreux salua longuement les
artistes avant une courte pause permettant de goûter sur la petite place
du Teatro le charme de ce début d’été vénitien. Reprise du concert avec
le quatuor à cordes n° 15 en la mineur op. 132 de Ludwig van Beethoven
composé entre 1823 et 1825. Œuvre tardive du compositeur qui disparaîtra
deux ans plus tard , ce quatuor révèle une profondeur remarquable qui
fut saluée à l’époque. Comprenant inhabituellement cinq mouvements au
lieu des quatre traditionnels d’un quatuor, l’œuvre déploie tout le
génie de son auteur qui émut le poète T.S. Eliot confiant : «
j'aimerais être capable de mettre en vers quelque chose de cela avant de
mourir ». Le troisième mouvement est un véritable chant d’action de
grâce selon l’intitulé du compositeur convalescent, après avoir été
gravement malade. Les premiers accords sombres et lents laissent place à
la lumière divine et à l’espoir, des nuances que surent rendre à
merveille les musiciens sur scène, longuement applaudis une nouvelle
fois au terme de ce concert réussi. Une soirée passée à La Fenice ne
s'oublie jamais et c'est une des nombreuses raisons qui font de cet
espace un lieu unique que rien ne saurait réduire.
Philippe-Emmanuel
Krautter
Concert La Chimera, Eduardo Egüez,
Oratoire du Louvre Mercredi 4 avril 2018
Parenthèse d'un bonheur et d'une beauté
rare, ce concert donné à l'Oratoire du Louvre par le sublime l'Ensemble
La Chiméra sous la conduite de son maître éclairé Eduardo Egüez, fut la
révélation de la grandeur et de la richesse de la polyphonie
Renaissance, fleurie et limpide du compositeur Gaspar Fernadez, maître
de Chapelle de la cathédrale de Puebla de 1606 à 1629.
Dans ses compositions d'une finesse élaborée qui n'a rien à envier à
celles de ses contemporains européens, s'épanouit l'équilibre d'une
écriture harmonique et mélodique d'où émerge une tonalité cependant
encore ancrée dans la modalité. Les couleurs précises et fortes qui
illuminent et parcourent de bout en bout ces villancicos de
Fernandez, témoin conscient de son époque, a de plus le mérite de marier
et intégrer les prémisses de la rencontre musicale de l'Occident et de
l'Afrique au travers de la douloureuse histoire de l'esclavage du
Nouveau Monde. La vocalité est ici toujours à la croisée d'une grande
teneur mélodique en adéquation avec la prosodie sans altérer le sens et
la portée liturgique. Comme le Quien Quiere Pan, véritable bijou
pénétrant d'émotion et de ferveur retenue.
Humilité, joie et sincérité dominèrent de bout en bout avec un désir de
transmission hypnotique dans une prestation et un jeu brillant tant
musical que scénique. Musique battant d'un coeur vivant, La Chiméra et
les quatre chanteurs solistes, Babara Kusa, soprano, Maximilio Banos,
contre-ténor, Jonatan Alvadaro, ténor et Andrés Prunell, basse, rejoints
par intermittence par la voix de la gambiste Lixisiana Frenandez, se
firent les chantres d'un programme lumineux, alternant douceur, gaieté,
vivacité, mais aussi nostalgie, ironie et délicatesse. Qu’il s’agisse
des villancicos negro, comme No Baya Belén Angola, ceux écrits pour la
Fête-Dieu, comme Del Misterio de la Fe et ceux qui se rattachent par
leur texte à la tradition poétique galante du Moyen-âge, comme El
Galanenamorado, toute la musicalité espérée fut au rendez-vous : la
profondeur de Prunell, la clarté de Kusa, le cristal de Banos, la
rondeur de Alvadero, dans des combinaisons toujours différentes, ne
cessèrent de monter en qualité. La Chiméra, ensemble atypique au jeu
sans reproche de cordes frottées et pincées avec ses quatre violes de
gambe, son violon, sa harpe, ses vihuelas, guitares et percussions,
musiciens pour certains à la polyvalence égale, n'était pas en reste
dans ce feu d'artifice avec un soutien à la juste mesure et présence, à
l'allant en symbiose complice, à l'évidence réunie dans une communion
d'esprit et de cœur. Tout ce concert fut un régal pour les yeux, pour
les oreilles, pour les âmes. Un moment extraordinaire que Eguez et tout
son Ensemble surent susciter et invoquer à chacune de leur prestation.
Juste génial...
Jean-Paul Bottemanne
Collège des Bernardins Tenebrae
Consort 21 mars 2018
L'invitation du Collège des Bernardins
à goûter au lyrisme accompli de l'Ensemble Tenebrae Consort, chœur
britannique dirigé d'une main de maître par Nigel Short, dans le partage
du temps pascal était une association évidente, une célébration riche de
sens et de beauté, durant laquelle le programme Renaissance
essentiellement consacré à Tomas Luis de Victoria et Palestrina a
éveillé et élevé l'âme par la communion certaine et aboutie de l'Art
avec la Foi, l'harmonie avec l'expression sacrée. Les différentes pièces
ont permis à chacun d'apprécier le talent et la qualité des onze membres
de cette formation vocale créée par l'ancien contre-ténor des King's
Singers, remarquable par sa disposition à distiller et manier avec
aisance la sophistication polyphonique des œuvres complexes proposées.
Intercalés avec des plains-chants contrastants, les différents extraits
de l'Officium Hebdomadae Sanctae de Victoria ainsi que la Messe
du pape Marcel de Palestrina ont donné à savourer des conduites de voix
et des constructions au raffinement consommé que seules des formations
émérites telles que Tenebrea Consort sont aptes à délivrer dans leur
plénitude. Les jeux d'imitations, les étagements, les entrelacs
constants et épurés gagnent à chaque instant en intensité, sans que
l'essentiel du message sacré ne se dilue. Le Versa Est In luctum
de Lobo chanté en fond de nef en ouverture de concert posant une
invitation à méditer sur le rapport de l'homme face à la Mort et la Vie.
Temps de partage et d'espérance, temps d'une Vérité et de l'expression
de la Foi dans une louange à la sincérité dramatique, réalisation
aboutie conclue par un Haec Dies de Byrd maîtrisé de bout en
bout, Short et son Tenebrae Consort ont su faire vivre et battre le
coeur d'une passion intemporelle.
Merci à eux.
Jean-Paul Bottemanne
Concert 15 mars 2018 Daniel
LOZAKOVITCH, Alexander ROMANOVSKY, salle Gaveau
La rencontre de deux solistes aux
talents exceptionnels est toujours un instant magique. Et, l'union de
Daniel Lozakotich au violon et Alexander Romanovsky au piano pour ce
programme Mozart, Schubert et Beethoven fut effectivement tout
simplement un moment d’excellence. À tout juste seize ans, Daniel
Lozakotich fait sans aucun doute déjà partie des plus grands violonistes
du siècle. Au-delà de son hallucinante maitrise technique dans la
justesse et la tenue irréprochable de l'archet, c'est sa capacité à
éclairer l'expression d'une sensibilité extraordinairement juste qui
frappe, émeut et sidère. Son jeu respire en profondeur une sincérité
éblouissante dans le geste, et affirme une expressivité généreuse et
subtilement étudiée dont la maturité illustre une compréhension
remarquable des pages interprétées. Véritablement, Lozakovitch est un
prodige qui laisse interdit
Alexander Romanovsky, quant à lui, au piano est tout autant merveilleux
et parfait dans son univers musical. Sa complétude sonore délivre un
discours d'une poésie raffinée et délicieuse, qui ne souffre également
d'aucun défaut. L'instrument se transmue sous ses doigts en un
macrocosme majestueux, où chaque ritournelle, chaque accord, chaque
arpège s'égrène avec volupté, chaque élan devant une invitation à un
voyage musical rare. Sa compréhension des trois pièces jouit d'une
superbe dans laquelle l'équilibre entre les deux protagonistes éblouit
et subjugue.
Comment ne pas être ensorcelé par ce que l'on entend ? La sonate K378 de
Mozart ouvre avec trois mouvements grandioses où violon et piano
s'assortissent dans une entente suave et ronde ; la Fantaisie D.934 de
Schubert est tout simplement une œuvre à la richesse et l'inventivité
incandescente ; la Sonate « Kreutzer » Op. 47 de Beethoven s'offre,
enfin, en point d'orgue final et étourdissant : trois œuvres magnifiques
que Lozakovitch et Romanovsky visitent dans une interprétation complice
et fulgurante de bout en bout. Comment imaginer l'avenir de ces deux
musiciens si talentueux autrement que sensationnel ? L'espace d'un
instant, ils ont su réconcilier l'humanité avec ce qu'elle peut porter
de plus beau et de plus pur. Tout simplement fabuleux.
Jean-Paul Bottemanne
Concert The King's Singers, Gaveau, 14
février 2018
La notoriété des King's Singers
Pour leur jubilé, Les King's Singers, formation atypique dont les
membres n'ont cessé de se renouveler depuis leur naissance à Cambridge,
avaient donné rendez-vous Salle Gaveau en ce jour de la Saint-Valentin à
tous les amoureux de l'a cappella à l'état pur.
Distillant joie, humour et bonne humeur, autant à l'aise dans la
polyphonie de la Renaissance que dans la pop anglaise et la musique
contemporaine, le sextuor a régalé la salle comble avec un programme en
deux parties, enlevé et parfois même galant, portrait chatoyant de
l'esprit anticonformiste que ce groupe vocal n'a eu de cesse de cultiver
durant ses 50 ans d'existence avec une carrière couronnée de succès. Nos
six comparses, Patrick Dunache, Timothy Waine-Wright, Julian Gregory,
Christopher Bruerton, Christopher Gabbitas et Jonathan Howard, sont à
l'aise dans tous les registres et ne se privent pas, non seulement de
délivrer une prestation vocale supérieure, mais de faire se côtoyer,
durant la première partie des œuvres prestigieuses et exigeantes telles
la Bataille de Janequin, Abendlied de Rheinberger ou encore Lagrimas de
mi Consuelo de Vasquez, avec des pièces plus légères comme Quand tu dors
près de moi de Georges Auric ou Love's Philosophy de Quilter, le tout
dans des arrangements vocaux où chaque voix trouve sa raison d'être,
apporte à l'équilibre et l'harmonie, complète et répond, se distingue
avec grâce et justesse. Chaque phrase prend sa place, s'épanouit, émerge
avec souplesse. La complicité est certaine et assurée. La légèreté n'a
d'égale que le sérieux avec lequel chacun nourrit l'éclat d'une présence
pleine d'allant. La deuxième partie, tout autant réussie, offert pour sa
part un temps exceptionnel et unique. Débutant par trois chansons du
boyband le plus célèbre de l'histoire de la pop anglaise – The Beatles,
le sextuor se voit rejoint par douze puis seize autres membres
historiques des King's Singers des décennies passées pour un final
magnifique. Là encore, le partage est immense, le plaisir décuplé avec
une partition qui confine à la perfection. De tous se dégage une
intelligence musicale souveraine et admirable. Les performances vocales
se multiplient enfin dans un rappel fourni et jubilatoire offert à un
public grisé et enchanté par tant de générosité. Véritablement un grand
moment remarquable à tout point de vue. Longue vie aux King's Singers !
Jean-Paul Bottemanne
Francois Dumont Salle Gaveau concert
18 janvier 2018
C'est par un programme tout en finesse,
généreux et envoutant que le très talentueux pianiste François Dumont a
donné vie à un instant de grâce dans une expressivité sensuelle à
souhait. Son parcours richement récompensé par plusieurs prix
d'excellence et une discographie déjà remarquée pour sa qualité
supérieure mérite tout simplement plus qu'un simple détour, tant sa
perception musicale des oeuvres abordées et sa dextérité vont de pair et
sont capables de tenir l'auditeur en haleine.
Ici un programme en deux parties. Chopin d'abord, dont le répertoire
déjà tant de fois visité avec brio par les plus grands, peut se révéler
un piège redoutable pour tout soliste. Piège auquel François Dumont
échappe avec bonheur grâce à sa vision aboutie et sa lecture inspirée de
bout en bout. Début avec le fameux nocturne posthume en Do# mineur ici
pensé avec une grande légèreté salvatrice ; Valse op.70 n.3 dans un
toucher aérien qui se détache et se suspend au vol ; les trois Nocturnes
op.9, avec ses clairs-obscurs, et jeux de projecteurs du premier, la
profondeur délicatement ciselée du second et la beauté ineffable du
dernier illuminée avec audace par notre concertiste. Barcarolle op.60,
dans une envolée poétique articulée, déclamée avec fougue et lyrisme et
enfin Scherzo N.3, op.39 à la fois terrifiant, survolté et solennel dans
une harmonie qui ne cesse de prendre de l'ampleur. Et dans ce parcours
totalement romantique, Dumont se montre mesuré, précis, concis et
sincère dans une authenticité qui lui est propre, et au service des
oeuvres pour le plus grand bonheur de tous. Nul doute que chacun aura
plaisir à retrouver et savourer une nouvelle fois notre pianiste sur son
très prochain enregistrement entièrement consacré à l'intégrale de
Nocturnes de Chopin.
Deuxième partie consacrée essentiellement à Ravel avec en premier
l'emblématique Gaspard De La Nuit : frissonnements de l'eau, dialogue et
jeu dans une ampleur aux couleurs résolument impressionnistes de
l'Ondine, glas lugubre et sinistre du Gibet avec son hypnotique ostinato
sur lequel se déploient des harmonies d'une majesté saisissante, et
Scarbo tourbillonnant, clef de voute en puissance et empreinte d'une
charge émotionnelle ici portée à son climax par François Dumont. Bref
interlude avec la Plus que Lente L.121 de Debussy, légèreté et
respiration propre à éveiller un temps de repos. Conclusion enfin avec
la Valse de Ravel : pièce à la fois salvatrice, ironique, libératrice,
jouissive, pastiche grinçant et satirique, dont la virtuosité extrême
fut ici reléguée au second plan tant son exécution ici s'est faite avec
une maitrise parfaite et avec une simplicité tout simplement captivante.
Enfin, nombreux rappels bien mérités et tout autant excellents dans
leurs prestations en coda pour une soirée où l'art musical et le piano
ont trouvé un maestro en la personne de François Dumont. Merci.
Jean-Paul Bottemanne
Mercredi 13 décembre 2017, LE JUIF
ERRANT MUSICIEN – DE JERUSALEM A NEW-YORK, ALLER SIMPLE
Musiques bibliques, séfarades, klezmer, Mantovana diverses
Bach, Bassano, Moulinié, Offenbach, Rossi, Schubert, Smetana
Paris 13ème, Eglise luthérienne de la Trinité
Production La Simphonie du Marais – Hugo Reyne
Hugo Reyne, chef d'orchestre de la Simphonie Du Marais, a invité son
public à partager sa vision du « Le Juif Errant, Musicien, de Jérusalem
à New York – aller simple » par une évocation en sept stations, sept
époques. Voltigeur émérite de la flute et spécialiste incontestable de
la musique baroque, il a livré avec maitrise un programme pluriel dans
un style et un instrumentarium teintés d'une certaine dose d'humour et
de gravité. En fil conducteur, La Mantovana, aujourd'hui hymne national
israélien, fut donnée à entendre à plusieurs reprises, de sa version
originale baroque attribuée à Giuseppe Cenci jusqu'à sa version moderne
de Cohen, en passant par celle de Smetana. Voyage dans le temps et dans
l'espace, chaque partie du récital a permis de faire entendre de belles
pièces telles que la Sinfonia à 3 « Barechu et Adonai » de Salamone
Rossi, une pavane de Bassano, et le très émouvant « Zog nit keynmol »,
hymne des partisans du Ghetto de Vilnius de Dmitri Pokrass. Au travers
d'une mise en scène finement élaborée, ce concert fut aussi un temps de
partage avec la présence aux côtés du maitre de deux musiciens aux
talents multiples. Et si Marco Horvat a su nous régaler des sonorités de
son théorbe et de sa citole et Francisco Maňalich de sa viole, guitare
et bendir, c'est également dans leur présence vocale que ces deux
musiciens ont brillé. D'emblée, Maňalich a, en effet, dévoilé toute son
habileté vocale et son magnifique timbre de ténor avec un air de Bach
extrait de la Passion selon Saint Matthieu, rapidement rejoint par
Horvat et sa belle voix de baryton sur la seconde pièce du programme,
plaisir d'un partage vocal qui se perpétuera tout au long du programme
avec talent et intelligence.
Jean-Paul Bottemanne
Lexnews a écouté pour
vous...Concert Collège des Bernardins, Schubert, double intégrale des
Quatuors à cordes, Glass. Samedi 18 nov. 2017.
Deuxième des six concerts de ce cycle
consacré à l’intégrale des quatuors à cordes de Franz Schubert et Philip
Glass, le programme exigeant a tenu toutes ses promesses avec deux
formations, le Quatuor Manfred et le Quatuor Yako, toutes deux émérites
dans leurs prestations. Le Quatuor Manfred a pour lui l’expérience
virtuose d’un parcours complice de plusieurs décennies : jamais le fil
expressif ne se rompt, chaque articulation, chaque phrase, chaque muance
coule avec souplesse et brio, l’accomplissement musical se manifeste
dans l’équilibre entendu des quatre protagonistes. Le Quatuor Yako, au
printemps de sa carrière, a pour lui la fougue et l’appétit de la
jeunesse, mais cependant est déjà plus que séduisant, assuré et
remarquable dans sa maîtrise à donner sens à son jeu : le travail est
minutieux, l’accord sonore dans une juste balance.
Le genre du quatuor à cordes, né au XVIIIe siècle, a pour lui un
répertoire d’une grande richesse, à la fois intime et ouvert, délicat et
impérissable, défi à tous les compositeurs qui depuis Haydn, Mozart et
Beethoven, ont osé s’y confronter. A sa mort en 1828, Schubert laisse
quatorze chefs-d’œuvre, dont le lumineux n°6 D.74 en Ré Majeur de 1813
et l’extraordinaire n°14 en Ré mineur « La Jeune Fille et la Mort » de
1824 donnés respectivement en ouverture et clôture de concert par le
Quatuor Manfred. Quel chemin parcouru durant les onze années qui
séparent ces deux pièces par Schubert dans sa capacité à tirer profit
des ressources de la formation, dans la maturation de son langage !
Quelle lecture intelligente et tout simplement superbe des interprètes
rendant avec maestria le caractère bien différent de ces deux pièces.
Ainsi le n°6 prodigue tour à tour légèreté badine et délicieuse, envolée
pastorale, grâce et finesse avant son final triomphant et emphatique.
Tout, dans la partition est judicieux et en équilibre, l’entrain
permanent, la mélodicité évidente, comme le magnifique élan en mineur du
thème du Menuetto. Véritablement, le Quatuor Manfred enchante et excelle
dans son adresse à nous transmettre la joie rayonnante qui parcourt
l’œuvre. Que dire du n°14 tout aussi splendide ? Ici, l’écriture
musicale confine à la virtuosité sans pour autant nuire aucunement au
discours. Au fil des quatre mouvements, l’intensité dramatique délivrée
ne cesse de monter en puissance, hypnotique dialogue d’un musicien
questionnant la Vérité de la Mort. Chaque ligne, chaque harmonie se
déploie, progresse inéluctablement jusqu’aux toutes dernières notes dans
une osmose instrumentale admirablement réalisée en tout par nos quatre
musiciens, Marie Béreau, Luigi Vecchioni, Emmanuel Haratyk et Christian
Wolff.
Entre ces deux pièces, le Quatuor Yako s’est attaché avec talent et
réussite au premier quatuor écrit en 1966 par Philip Glass. Ici, le
langage musical bien différent du romantisme de Schubert, basé sur une
fausse simplicité, une volonté de réduire le matériau à son minimum, a
joué sur un processus évident de répétition à outrance qui s’apparente à
un jeu de thème et variations. Chaque micropassage est un pur délice, un
bijou musical où chaque respiration silencieuse, intermédiaire, offre un
rythme structurel. Le relief du paysage apparaît de plus en plus clair
au fur et à mesure que les répétitions en miroir se renvoient dans la
ressouvenance lancinante ; la précision, l’écoute de chacun des quatre
musiciens est rigoureuse dans un continuum cinétique jusqu’à la longue
respiration silencieuse centrale, suspension fugitive du temps avant le
retour d’une conclusion condensée, réminiscence affirmée de la première
partie. Si cette pièce peut sous son aspect répétitif peut-être agacer
dans ses derniers instants, elle n’en demeure pas moins une vraie
réussite dans la magnifique qualité des multiples variations qu’elle
recèle ; et le Quatuor Yako a su avec justesse en saisir la lumière
fluctuante et en projeter le prisme qui se dégage de chacune d’elles.
Cela avec clarté et mouvement pour chacun des multiples motifs
distribués venant s’entremêler dans une polyphonie judicieusement
complémentaire. Ludovic Thilly, Pierre Maestra, Vincent Verhoeven et
Alban Lebrun, définitivement, arrivent à surpasser l’aspect mécanique
pour faire battre un cœur multiple.
Un très beau concert, émouvant et sincère dans sa réalisation, voyage
fascinant dans la vérité du quatuor. Voyage qui se poursuit du 24 au 26
novembre pour une conclusion qui s’annonce d’ores et déjà en apothéose.
Merci et bravo.
Jean-Paul Bottemanne
Lexnews a écouté pour vous...
Concert Notre Dame 17 octobre 2017, Ensemble vocal sous la direction de
Sylvain Dieudonné
La musique médiévale compte dans son
répertoire liturgique un corpus d’une richesse phénoménale. Par le
programme de ce concert en trois parties, prologue et final, les six
solistes de l’Ensemble Vocal complétés du Jeune Ensemble de la Maitrise
de Notre Dame sous la direction fluide de Sylvain Dieudonné nous ont
donné l’opportunité de redécouvrir et d’apprécier quelques-unes des très
belles pages de L’Ecole de Notre Dame du XIIIe siècle et d’autres des XI
et XIIe siècles en provenance de Chartres Gaillac, Nevers,
Saint-Maur-Des-Fossés et de l’Ecole de Saint-Martial de Limoges.
Prologue magnifique avec le graduel-organum chartrain « Timete Dominum »
du 11e à deux voix solistes, donnant d’emblée avec ravissement la teneur
de la soirée par son savant équilibre vocal à la fois brillant et non
superfétatoire. La 1ère partie, « Christ, vainqueur de la Mort », formée
de cinq pièces parisiennes, avec l’Offertatoire, deux impressionnants
motets à quatre et deux voix entourant l’Alleluia-Organum et le rondeau
final, chacun dans une continuité vocale en parfaite symbiose, des
parties solistes captivantes et une vocalité pleine et réussie, a
délicatement poursuivi le mouvement.
Seconde partie, « La Venue de l’Epoux », débutant par le très beau «
Sponsus » du XIIe s. de l’Ecole de Saint-Martial, magnifique drame
liturgique dévoilé dans une théâtralité animée et sans superflu,
équilibré dans son subtil jeu entre parties solistes, chorales et
réponses polyphoniques, suivi de l’introit « Venite Benedicti » et le
graduel « Letatus Sum » de Gaillac tout autant épanouis avant de
conclure par le superbe conduit parisien « beatu Servus » et le répons «
Beati Estis » de Saint-Maur-Des-Fossés, chacun réalisé avec brio et
perfection.
La 3e partie, « La Louange éternelle », mélange savant de cinq œuvres
d’origines différentes, est venue souligner plus encore la virtuosité
vocale de la Maitrise et de l’Ensemble, dans un temps posé et une
intention supérieure par de magnifiques réalisations abouties de bout en
bout pour le plus grand bonheur de tous avant la conclusion de ce
récital par l’organum/motet à trois voix « Benedicamus Domino » en Final
Plaisir évident, musicalité assise et talent supérieur des six solistes,
Helene Richer et Cecile Dalmon, sopranos confirmées aux timbres riches
et clairs, Anais Bertrand, alto gracieuse et virevoltante, Raphael Mas,
haute-contre rayonnant et évident dans sa position de clé de voûte,
Damien Rivière et Emmanuel Bouquey en ténor et basse indispensables dans
le port assuré de leur présence ; Jeune Ensemble de la Maitrise tout
aussi capable et généreux dans le maintien du lyrisme de l’architecture
vocale, chacun venant nourrir ce programme éblouissant avec intention et
sincérité. Sylvain Dieudonné dans une direction aux gestes révélateurs
assurant une fluidité irradiante. Véritablement, une très belle
réussite.
Jean-Paul Bottemanne
Lexnews a écouté
pour vous... Concert à Notre Dame 26 septembre 2017, Salve Regina,
Récital de quatre solistes de la maitrise de Notre-Dame
Ce récital Salve Regina, occasion rêvée de pouvoir apprécier le talent
de quatre solistes au cœur de la formation d’excellence délivrée par la
Maitrise de Paris, fut élégamment offert au travers d’un programme
chatoyant en trois périodes consacré à Marie, Sainte Patronne de la
Cathédrale.
La soprano Laurence Pouderoux au lyrisme fluide et inspiré, la
mezzo-soprano Clotilde Cantau, à la présence affirmée et colorée, le fin
et délicat ténor Gael Martin et le baryton Mathieu Walendzik, au timbre
généreux et profond, soutenus par Yves Castagnet à l’orgue ont ainsi
emmené leur public dans un voyage polymorphe, débutant avec éclat par
une série de pièces médiévales et Renaissance, et concluant avec aisance
dans un baroque révélé, naviguant entre deux avec grâce dans les eaux
parfois tumultueuses d’une modernité assumée et séduisante.
D’entrée, le magnifique conduit Ave Maria extrait du Codex de La
Huelgas, en duo par Pouderoux et Cantau dégage un subtil mélange de
sérénité et de ferveur, et nous captive par le fin dialogue entre la
lumière des volutes mélodiques supérieures et la puissance du Cantus.
Lumière ensuite redirigée sur notre mezzo-soprano tout aussi
convaincante et à l’aise dans son rôle soliste en trio avec Martin et
Walendzik pour l’Ave Regina Caetorum de Dufay et le Mariam matrem du
Livre Vermeil, avant que le quatuor vocal, soutenu par Castagnet ne
finisse cette première partie du récital par l’Ave Maria de Victoria. Un
ensemble de pièces dont la beauté et la qualité intemporelles, justement
appréciées par nos interprètes investis et attentifs, enchante.
Axe pivotant entre modalité et tonalité, la seconde partie poursuit avec
trois œuvres contemporaines au lyrisme certain. Le très beau et récent
Cantique de Jean-Charles Gandille en trio, avec les interventions
solistes inspirées de Pouderoux et Walendzik a invité à l’introspection,
alors que le puissant Salve Régina en quatuor de Guy Ropartz, oscillant
entre iso et polyrythmie, concluant sur une majestueuse cadence plagale,
a su affirmer une mélodicité évidente ; enfin, l’Ave Maria de Peter
Bannister - certainement des trois la pièce, la plus osée
harmoniquement, avec les très belles interventions solistes de notre
baryton, s’est dévoilée au fur et à mesure dans un jeu complexe mais
compréhensible. Ici, un langage moderne qui a su éviter les heurts
injustifiés, des partitions dont la richesse a été sublimée par les
parties instrumentales d’Yves Castagnet et le choix de mariages de jeux
qu’il sut distiller avec envie et évidence.
Troisième partie conclusive avec quatre pièces baroques et l’incursion
classique par un extrait du Stabat Mater de Haydn. L’ambitieux et
italianisant Stabat Mater Dolorosa de Caldara, malgré quelques
faiblesses passagères dans la partition, offre à chacun des chanteurs de
très belles pages tant lors des temps polyphoniques que lors des
passages solistes. Les deux pièces de Bach, Et Misericordia du
Magnificat et Mein Freund ist mein de la Cantate BWV 140, offrent deux
duos touchants à Cantau et Martin, d’abord, Pouderoux et Walendzik
ensuite ; le Sancta Maria de Haydn apporte, quant à lui, respirations et
contraste par le relief de son écriture classique. Le Salve Caeli de
Charpentier vient enfin clore ce concert dans une allégresse
communicative avec intensité, réussite et force.
Récital varié et ambitieux donc, durant lequel nos quatre chanteurs
auront su, chacun avec son talent individuel, se mettre en valeur tant
dans les interventions solistes que dans les constructions en
polyphonies. Mariages vocaux à l’intérieur desquels la complémentarité
des timbres a fonctionné à merveille avec quatre voix parfaitement
distinctes dans leur personnalité et contours, à la hauteur des
ambitions d’une musicalité de haut niveau. Merci donc à Laurence
Pouderoux, Clotilde Cantau, Gael Martin et Martin Walendzik pour ces
offrandes musicales, merci aussi à Yves Castagnet, qui encore une fois,
a apporté tout son talent, sa science et son expérience dans la réussite
de ce concert.
Jean-Paul Bottemanne
Lexnews a écouté
pour vous... Concert Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris Ave Maria 27
juin 2017.
Ave Maria
Monteverdi • Victoria • Gabrieli
Maîtrise Notre-Dame de Paris, Chœur d'adultes
Yves Castagnet, orgue
Henri Chalet, direction
C’est par un programme de huit œuvres du XVIe et du tout début XVII
agrémenté de quatre pièces contemporaines que le Chœur d’Adultes et
l’Ensemble Vocal de Notre Dame de Paris sous la direction d’Henri Chalet
accompagnés par Yves Castagnet à l’orgue ont souhaité partager ce
récital dédié à l’évocation de la Sainte Vierge.
Comme à son habitude, Henri Chalet joue de l’espace que lui offre
l’écrin de la Cathédrale, dispose et distribue son chœur dans des
configurations miroitantes ; désir de donner du mouvement, de moduler et
adapter l’acoustique mais aussi nécessités musicales : pièces faisant
appel au chœur dans sa totalité, pièces pour chœur double, ou encore
pour formation restreinte. La polyphonie évolue ainsi dans une couleur
vocale régénérée au fil du programme. Orgue délicieux distillé par Yves
Castagnet dans un même allant et en parfaite symbiose avec l’Ensemble.
La variété même du programme, la grande qualité et l’investissement des
interprètes avec des voix bien plus que simplement ravissantes invitent
tant au recueillement qu’au plaisir musical.
Les harmonies subtiles de la Renaissance rebondissent et s’enchevêtrent
à perfection dans les deux Ave Maria de Thomas Luis de Victoria ; L’Ave
Maria Stella écrit en 1611 par Monteverdi est un vrai délice avec le jeu
d’écho du chœur central et de deux quatuors éloignés dans le transept ;
sa Cantate Domino un moment d’allégresse ; la Messe de Hassler se
décline avec poésie et inspiration, tout comme le Sancta Maria et le
Beata Es Virgo de Gabrielli, et le Osculetur me de Roland de Lassus.
Perfections polyphoniques également dans l’art du contrepoint ici
rehaussées par l’adjonction de quatre pièces contemporaines, commandes
récentes de La Maitrise à quatre compositeurs. Parenthèses musicales aux
langages orientés vers un chromatisme assumé et les frottements
dissonants, mais toujours sans excès comme le beau et captivant Nigra
Sum (2001) de Caroline Marçot, le très récent Sacre du Royaume (2013) de
Charpy ou encore La Femme Revêtue de Soleil de Reverdy. Quel plaisir
enfin avec O Notre Dame Du Soir pour chœur de femmes et orgue dans
lequel les dissonances s’assemblent discrètement avec pertinence pour
laisser progressivement place à un chromatisme harmonique et mélodique
fluide d’une grande beauté, plaisir éminemment doublé par la présence à
la console de l’instrument du compositeur en personne, à savoir Yves
Castagnet.
En résumé, ce concert, l’un des derniers de la saison 2016-2017, aura
été à la hauteur de cette année fructueuse et riche en instants de
grâce, aboutissement profondément musical d’un travail exigeant, soigné
et constant dans la qualité des réalisations proposées depuis septembre
: Ensemble Vocal qui, dans sa totalité nous a offert un bien beau
parcours et nous aura régalé de voix toujours florissantes et
singulières ; Henri Chalet en chef accompli qui aura délivré une
direction adroite, habile et convaincue ; Yves Castagnet en
instrumentiste supérieur qui aura dispensé le juste essentiel de son art
remarquable. Merci.
Jean-Paul Bottemanne
Lexnews a écouté
pour vous... Concert du 4 mai 2017, Mikhail Rudy, Collège des Bernardins
Pour sa quatrième venue depuis 2009
sous la voûte de la nef du Collège des Bernardins, Mikhail Rudy, classé
à juste titre parmi les vingt plus grands pianistes par le BBC Music
Magazine, s’est fait le chantre sincère et humble de la Liberté avec un
programme de choix et d’excellence. De par son jeu limpide dans une
virtuosité assumée, son adhésion totale à l’art musical s’est propagée
dans les rangs d’une audience captivée au-delà de ses espérances.
Monsieur Rudy nous a offert de la joie, de l’émotion et de
l’authenticité dans la communion de sa sensibilité particulière et
unique. Tour à tour mesuré et délicat, festif et généreux, habité et
recueilli, il a survolé l’ensemble de son récital d’une seule traite
allant de Bach à Pärt avec brio, élevant et entraînant dans son sillage
un public ébahi. Liberté chère à tous ces compositeurs dont il a endossé
l’âme, liberté dans leur parcours artistique, leur art, leur esthétique,
leur capacité et volonté à élargir le champ des possibles, offrant ainsi
un extraordinaire voyage dans bien des univers.
Début baroque avec les deux chorals de Bach BWV 599 et 639, transcrits
par Busoni : la polyphonie s’étire dans une lente et grave procession,
invite au respect et à la dévotion christique. L’apparente simplicité
est un subtil jeu de miroir pourtant complexe d’une écriture tonale où
chaque ligne est harmonieusement conduite à la perfection et se révèle
sous les doigts du maestro. Changement d’éclairage et de posture avec le
classicisme et la Fantaisie en ré min KV 397 de Mozart. Les délicieuses
séquences thématiques s’enchaînent avec la légèreté d’un souffle
chaleureux, élégant et soyeux. Plongée romantique avec Brahms et ses
Trois intermezzi op.118 (1,2 et 6) suivis du Prélude du 3e acte de
Tristan et Isolde de Wagner-Liszt. Pour ces deux pièces, le jeu, la
technique pianistique et l’harmonie se chargent en grondements
tumultueux. L’expression se manifeste dans une intensité soutenue,
l’espace se densifie pour mieux éclairer encore le caractère tantôt
merveilleux, tantôt méditatif, tantôt terrible chez Brahms, ou encore le
sortilège hypnotique, exubérant et incantatoire d’une page d’amour
lyrique transfigurée au clavier. Glissement moderne avec Deux Danses
opus 73 et Vers la flamme opus 72 de Scriabine qui font partie des
dernières pièces écrites par ce compositeur atypique et singulier,
chefs-d’œuvre s’affranchissant du langage de ses contemporains. Ici,
Mikhail Rudy, en spécialiste averti et confirmé, délivre pour chacune
une interprétation subliminale tout en puissance et effervescence,
mettant en exergue l’intense luminosité thématique enveloppée du
tourbillon des vibrations synergiques et emplies d’une dynamique
envoûtante. Contraste immédiat et suspension temporelle avec In A
Landscape de Cage. La modalité et l’usage quasi permanent de la
résonance en pédale ouverte est une invite au rêve, repose, projette le
regard au loin. Rupture nette avec Riccercata 1 et 2 de Ligeti, le
discours musical heurte parfois, se construit dans le rythme et le
timbre, devient presque brutal, oppressant et entêtant, affirmation
d’une musique interrogative qui à la fois se fige, et pourtant va à
l’essentiel et néglige la fioriture. Liberté réjouissante enfin d’un
choix délibéré de l’interprète avec ce final totalement contemporain de
trois pièces réunies en un seul même mouvement : trois pièces dans des
couleurs novatrices et somptueuses. Fur Alina de Pärt, à la fois
méditatif et aérien, d’une beauté extatique, Metamorphosis 1 de Glass,
où chaque partie, dans sa répétition, évolue graduellement avec grâce et
profondeur, Perpetuum Mobile de Kurtag en conclusion, avec une
exploration époustouflante de la totalité du registre, par le jeu de
glissandi en vagues incessantes, dans lesquelles la résonance de
l’instrument s’ouvre et se noie en plein avec délice. Soulignons enfin
ses rappels généreux, offrandes musicales données avec le plus grand des
plaisirs par le maître comme cette Danse Des Chevaliers de Prokofiev.
Mikhail Rudy est un très grand monsieur, exact et vrai dans ce qu’il
propose. Non pas uniquement par sa maitrise technique éprouvée, mais
surtout par sa capacité particulière et son habileté, en hôte pacifique
et attentionné à nous accueillir et nous faire entrer dans son univers
sonore, monde d’une richesse infinie et exaltante. Un immense merci à
lui.
Jean-Paul Bottemanne
Lexnews a écouté pour vous... Jean-Philippe Collard Salle Gaveau
21 février 2017
Ce récital de Jean-Philippe Collard,
pianiste émérite de renommée internationale et à la discographie bien
fournie ne pouvait qu’être la promesse d’un festin musical pour un
public enthousiaste, averti et attentif. Chose fut faite avec ce
programme romantique consacré à Robert Schumann et Frédéric Chopin. Deux
esthétiques si riches et tellement expressives, mais si différentes dont
chaque grand pianiste a sa propre lecture, sa propre perception.
Jean-Philippe Collard fait partie de ces maîtres capables de faire corps
avec ces œuvres d’exception jusqu’à les sublimer.
Mise en bouche avec l’Arabesque opus 18 de Schumann. Cette pièce
relativement courte de forme rondo est facilement abordable : le
contraste immédiat entre la volte du refrain tourbillonnant et les
couplets aux caractères plus chorales rend sa perception simple et sa
lecture aisée. Les chants s’égrènent, s’épanouissent. L’harmonie
s’impose sans rupture ni heurts. Choix judicieux abordé par Collard avec
lyrisme et déjà passion, prélude adapté pour la Fantaisie opus 17 qui
suit. Pièce emblématique du romantisme, magnifique déclaration d’amour
d’une richesse profonde. D’emblée, Collard nous transporte dans la
profusion passionnelle du premier mouvement, en déclame toute la poésie
complexe, révèle et met à nu sentiments et états d'âme. Deuxième
mouvement donné dans un élan choral, grandiose et puissant, à la
rencontre de l'aimé, déclaration énoncée par Collard avec sincérité.
Mouvement final tout en douceur et contraste, expression d'amour
ineffable qui sous les doigts experts de Jean-Philippe Collard se
transmue dans une transparence délicieuse. De cette interprétation se
dégagent une humilité, une pureté et une pudeur qui font vaciller et
vibrer.
La deuxième partie de concert, tout entière consacrée à Chopin, est tout
autant exceptionnelle. Sonate n.2 op. 35 tout simplement sublime et
donnée avec tant de justesse que l'immanence expressive de la pièce
s'impose d'elle-même et ne s'assujettit pas un seul instant à la seule
virtuosité pianistique. Les voix mélodiques s'épanouissent dans un
équilibre certain, la richesse harmonique coule avec naturel, Collard
dirige l'éclairage avec acuité et maitrise sur les trois premiers
mouvements et propose un Final hypnotique dans un tourbillon donné à la
perfection et qui laisse pantois d'émerveillement. Nocturne op. 48 n,1
tout aussi réussi, de même que la ballade n.4 op.. 52. Chopin est avec
Jean-Philippe Collard un ravissement total.
Vraiment, le Romantisme aura trouvé avec Schumann et Chopin, deux
créateurs de génies, et avec Jean-Philippe Collard, un interprète
privilégié et supérieur, généreux et sensationnel.
Jean-Paul Bottemanne
Lexnews a écouté pour vous...22 février 2017, salle Cortot Gracias a la Vida, B. Kusa, M.
Rewerski, La Chimera, Eduardo Eguez.
Assister à la création de Gracias A La Vida, le nouveau spectacle
époustouflant de la Chimera aura été un privilège, un de ces instants
qui marque durablement une vie et un souvenir qui restera cher : sous la
houlette de Eduardo Eguez, La Chimera a déclenché un feu d’artifice
féérique prodigue, fertile et unique, puisant ses racines dans ce que
l’Amérique Latine a à offrir de plus beau au berceau de la rencontre
musicale des mondes européens, africains et américains. Le temps, les
frontières se sont abolis, l’espace de dix-sept pièces, chansons,
modernes, anonymes, folkloriques, toutes plus belles les unes que les
autres. Les musiciens de cet ensemble à géométrie variable fondé à
l’origine en 2001 par Sabina Colonna Petri ont uni et fait vibrer leurs
cordes, théorbe, violon, violes de gambe, harpe, guitares, charango,
contrebasse, mais aussi flûtes andines, percussions, pour des harmonies
subtiles, aériennes, célestes, modernes, jazzy, folkloriques et baroques
à la fois. Mélange incroyable de bonheur savamment dosé et parfaitement
pensé dans des arrangements prodigieux d’Eduardo Eguez, avec comme
cadeau les deux voix exceptionnelles de grâce de la soprano Barbara Kusa
et la mezzo Mariana Rewerski sans oublier l’apport enlevé de Lixsiana
Fernandez et Luis Rigou. Chanteuses et chanteurs qui, a capella, en duo,
trio, quatuor ont communié avec l’esprit de la fête, de la danse, de la
tendresse et de la joie. Partage constant d’un plaisir profond et
sincère. Chants en espagnol, guarani, chants aux accents suaves aux
mélopées émouvantes, à fleur de peau. Douze musiciens qui chantent le
bonheur de la vie par une musique authentique et nouvelle à la fois que
rien ne lui ressemble sinon celle d’être simplement belle. En rien, une
série banale de pièces teintées de folklorisme sud-américain, mais bien
la sève même qui s’épanche de l’arbre de la vie. Ni une esthétique, mais
un pluriel de sensibilités et d’expressions. À tel point qu’il est
impossible de décrire cette beauté orgiaque sans faille, qu’il semble
vain de limiter sous peine de la réduire. Que dire de plus sinon qu’avec
ce programme, La Chimera et Eduardo Eguez ont fait éclore un « folklore
imaginaire » de toute beauté, dans la lignée de leurs spectacles
précédents. Et si d’aventure, vous le pouvez, allez l’écouter de toute
urgence. Si Gracias a La Vida est le cri de leur cœur, je leur réponds
Gracias a La Chimera pour cette offrande musicale, cette parenthèse
intemporelle étourdissante et extraordinaire.
Jean-Paul Bottemanne
Lexnews a écouté pour vous...Lundi 30 janvier 2017, Philharmonie, L. Kavakos (violon), Y. Wang
(piano)
Il est toujours jubilatoire d’être témoin de l’alliance sur scène de
deux musiciens exceptionnels. Et sans nul doute, le violoniste grec
Léonidas Kavakos et la pianiste chinoise Yuja Wang nous ont
généreusement offert ce délice en nous régalant d’une performance
exceptionnelle avec quatre œuvres de choix.
En ouverture, la Sonate pour violon et piano JW.7/7 de Leoš Janáček a
donné le ton avec l’interprétation émérite de cette pièce élégiaque et
tourmentée durant lequel le violon s’immisce par jeu d’échos subtils, se
prête à la pureté d’une respiration sublime dans le suraigu, enflamme,
brode et se rappelle au piano impatient et bondissant. Nos deux
virtuoses respirent en osmose, s’ajustent en symbiose, puis poursuivent
avec le même talent concertant sur la Fantaisie en Ut Majeur op.159 de
Schubert. Cette œuvre, composée en 1828, libère un univers musical ample
et généreux dans une élégance recherchée et étincelante. Redoutable sur
le plan technique à tel point qu’elle fut incomprise à sa création en
1828, elle vibre pourtant au gré des quatre mouvements d’une ferveur qui
jamais ne s’éteint. La cohésion des deux parties est ici complète et la
virtuosité se soumet à la musicalité par l’engagement total de Kavakos
et Wang à en délivrer une interprétation somptueuse. La Sonate n.3 pour
violon et piano de Debussy, avant-dernière pièce du programme, est tout
aussi magnifique. Ici, le violon semble parler en maître tandis que le
piano glisse, enrobe, se dérobe, s’immisce et enlumine tour à tour.
Allegro vivo éthéré, tel un papillon qui se déploie, Intermède en
suspension, Finale dynamique et fluide. Encore une fois, Kavakos et Wang
donnent le ton adéquat, s’expriment en parfaite harmonie, dialoguent,
s’interrogent et révèlent la modalité et la modernité harmonique et
mélodique si caractéristiques et délicates de Debussy. Point d’orgue
final avec la Sonate n.1 Sz. 75 de Bartok. Invite à un discours musical
dans un langage complexe en rupture certaine avec les trois pièces
précédentes où la dissonance n’est pas évitée. Pièce d’une exigence
extrême où Kavakos et Wang répondent à la nécessité d’une agilité
extraordinaire. Ici, violon et piano se côtoient sans partage apparent
du matériau, comme s’ils vivaient dans deux mondes. Tempi inconstants,
rythmes subrepticement teintés de folklorisme hongrois. Pièce à
l’énergie dévorante avec un allegro ou l’agitation alterne avec le
repos, Adagio offrant l’espace à Kavakos d’étirer des lignes mélodiques
gracieuses, Allegro final virevoltant dans un échange tourbillonnant.
Définitivement, tant Léonidas Kavakos, musicien d’exception que Yuja
Wang, nommée artiste de l’Année 2017 par le magazine Musical America, se
sont montrés plus qu’à la hauteur de leur réputation internationale.
Chacun a donné vie à la salle Pierre Boulez avec aisance, dextérité et
éloquence. La sonorité de Kavakos est exemplaire dans tous les
registres, l’équilibre de Wang parfait, l’union des deux éblouissante.
Jean-Paul Bottemanne
Lexnews a écouté pour vous... Lundi 23 janvier Valentina Lisitsa -
Récital de piano Grande salle Pierre Boulez – Philharmonie de Paris.
Avec cette soirée réservée à Valentina
Lisitsa, pianiste ukrainienne de renommée internationale, nous avons pu
goûter au plaisir d’entendre quelques joyaux de la musique pour piano
ainsi qu’apprécier le talent virtuose de cette artiste à la carrière
insolite et tardivement émergente.
Débutant par la Sonate n.62 HobXVI/52 (1795) de Haydn, Lisitsa parcourt
l’ensemble de l’œuvre avec aisance et brio. Premier mouvement énergique
et badin tout en nuances affirmées et nettes. Contrastes d’intensité
ciselés et révélateurs mettant en lumière thèmes et développement.
Adagio intime durant lequel le temps se suspend à la respiration
profonde donnée et soutenue par l’interprète. Finale Presto où les
lignes se jouent, se nouent et se dénouent dans un ballet perpétuel.
Ici, Lisitsa porte une attention extrême et lumineuse aux articulations,
soigne précieusement les cadences dans une affirmation vivace.
Enchaînement avec "l’Appassionata" op.57 (Sonate n.23 en Fa mineur,
1806) de Beethoven. Bâtie autour de thèmes mélodiques qui figurent parmi
les plus beaux et les plus forts de ceux imaginés par le compositeur
viennois, l'œuvre est comme la précédente exigeante et redoutable sur le
plan technique. La fougue et le lyrisme de l’Allegro assai à la verve
tumultueuse nous entraînent dans un torrent passionnel où Lisitsa
navigue sans écueil, passant avec grandeur de l’ombre à la lumière
éclatante. Andante incantatoire, noble, glorieux, palpitant sous les
doigts de la musicienne. Allegro-Presto, terrible et à la limite du
désespoir, dans une envolée finale.
Changement radical de couleur et d’atmosphère avec Gaspard de la Nuit
(1908) de Ravel. Les trois pièces - Ondine, Le Gibet et Scarbo-
inspirées des poèmes d’Aloysius Bertrand sont indéniablement de toute
beauté et Valentina Lisitsa met pleinement en évidence le caractère
expressif de chacune. Ruissellement frémissant et enchanteur, voyage
chimérique et irréel dans Ondine, suspension funèbre, pesante et
sinistre du Gibet, tristesse, malice féerique et frénétique de Scarbo.
Notre virtuose conclut son récital avec superbe sur les Tableaux d’une
Exposition de Moussorgsky, pièce unique en son genre et emblématique -
s’il en est - de la musique russe du XIXe siècle. Promenade tout du
long, chaque tableau se présente dans son cadre, s’impose et se révèle
entre lumières vives et obscurité, mélancolie et joie, agitation et
suspension, ivresse et solennité. Valentina Lisitsa nous emmène ainsi
dans sa déambulation, invite à admirer, apprécier, détailler, observer,
goûter, ressentir.
Très belle soirée récompensée par de vives ovations pour une artiste à
la personnalité affirmée et assurément capable d’aborder parmi les
pièces les plus éblouissantes écrites pour le piano. Valentina Lisitsa
mérite respect et considération pour ce qu’elle donne à la musique.
Jean-Paul Bottemanne
Lexnews a écouté pour vous...Concert5 janvier 2017, Philharmonie de Paris,
Daniel Barenboïm (direction), Staatskapelle Berlin
Cette année 2017 s’est ouverte à la
Philharmonie de Paris sous les meilleurs augures avec une programmation
de choix. C’est en effet à Daniel Barenboïm et à la Staatskapelle Berlin
qu’est revenu l’honneur de poursuivre leur magnifique cycle Mozart –
Bruckner débuté en ouverture de la saison 2016-2017.
C’est en amiral sûr de son cap que notre maestro, maître incontestable à
bord, a mené son équipage dans les eaux harmonieuses, délicieuses et
pourtant délicates et mouvementées des deux œuvres au programme de ce
jeudi 5 janvier, donnant à chaque instant l’exacte direction propre à
capturer pleinement le souffle pour une voilure généreuse.
Entrée en matière avec Mozart et sa Symphonie Concertante pour violon,
alto et orchestre K. 364 et les solistes invités Wolfram Brandl au
violon et Yula Deyneka à l’alto. Cette œuvre « parisienne » propose un
triptyque cher au prodige viennois, de par la succession et la
distribution de virtuosité, mélancolie et légèreté joyeuse déroutante
d’évidence qui la caractérise sur les trois mouvements. Déroulé propre
pour les deux solistes à offrir au public un dialogue subtil, complice
et exacerbé d’envolées lyriques, d’échanges quasiment « amoureux ». Avec
sincérité et justesse, Brandl et Deyneka, qui se produisait pour la
première fois à la Philharmonie, ont su exprimer ici la fougue
maîtresse, la sensibilité lancinante et la grâce fringante de ces pages
élégantes, révélant au détour des suspensions amples, douloureuses ou
sémillantes, leur agilité et leur très grand talent. Et indéniablement,
la longue et prolifique histoire d’amour passionnelle entretenue par
Barenboim et avec Mozart, et avec le genre concertant, fut pour nos deux
solistes un immense atout tant l’attention du maître et de l’orchestre
faisant corps avec lui, a permis de projeter la lumière sur les parties
solistes. Succès mérité et récompensé pour Brandl et Deneyka par de
nombreux et vivaces applaudissements, encouragés par Barenboim montrant
ainsi sa satisfaction et le plaisir qu’il eut à donner cette œuvre en
leur compagnie.
Seconde partie consacrée à Bruckner et sa 1re Symphonie La Staatskapelle
Berlin réunie au complet nous a ici proposé la version viennoise toute
en force, animée et riche en profondeur. La tension graduelle et la
montée en puissance que propose cette œuvre au long des quatre
mouvements sont un régal par le foisonnement prolifique des thèmes et le
jeu instrumental, avec ses alternances de complétude et de dépouillement
du tissu orchestral, ses tutti brillants et dramatiques, son énergie
portée de bout en bout. De nouveau, nous n’avons pu que nous régaler de
la lecture minutieuse et passionnée et de la conduite de cet orchestre
de haut niveau par David Barenboïm, avec sa volonté, sa capacité
inaltérable de ne rien laisser au hasard, de savoir projeter la lumière
sur l’essentiel sans négliger le détail, de susciter et maintenir la
synergie et l’équilibre entre les pupitres et de révéler la force
romantique, la grandeur et la beauté de cette partition, "défi audacieux
et impertinent au monde entier" pour Bruckner.
Il est des hommes et des femmes rares aux talents inestimables dont la
compagnie nous est précieuse. M Barenboïm, la Staatskapelle Berlin,
Wolfram Brandl et Yula Deyneka font partie de ceux-là. Ce sera avec
grand plaisir que nous espérons les revoir à la Philharmonie de Paris.
Jean-Paul Bottemanne
2004 : ANNÉE MARC-ANTOINE CHARPENTIER
JORDI SAVALL ET MARC-ANTOINE CHARPENTIER : une interview
exclusive
Notre revue a eu le grand plaisir de demander à Jordi
SAVALL quelles étaient ses impressions quant au grand musicien français dont
nous fêtons le 300ième anniversaire de sa mort. Avant le concert consacré à
CHARPENTIER qu'il donnait cette soirée à Vézelay, il a bien voulu rappeler
quelles furent les conditions de sa rencontre avec l'oeuvre du musicien et quels
conseils il propose à l'auditeur contemporain pour aborder cette oeuvre
délicate...
Jordi SAVALL :
« J’ai
découvert CHARPENTIER dans la première période de mon parcours où j’étudiais la
musique française de Marin MARAIS, François COUPERIN, et bien d’autres encore
que je découvrais avec passion à la Bibliothèque Nationale et également à la
Bibliothèque de Versailles. C’est avec ce travail de recherche que je me
préparais à apprendre à jouer de la viole de gambe et à cette occasion je me
suis rapidement rendu compte que CHARPENTIER était l’un des plus grands de cette
époque. C’est à cette même époque que j’ai réalisé que autant LULLY, et après
lui Marin MARAIS et François COUPERIN, avait pris une place très importante dans
la musique d’opéra et la musique instrumentale, autant CHARPENTIER avait
vraiment développé avec la musique religieuse un art dans lequel il excellait au
dessus de tous. J’ai essayé en premier lieu de m’imprégner de son œuvre. Après
quelques années de travail, j’ai pu réunir un bon ensemble de chanteurs avec la
Capella Reial et en 1989 nous avons fondé le Concert des Nations avec
lequel nous avons pu réaliser le premier enregistrement de CHARPENTIER.
J’essayais alors de choisir des pièces qui montraient le parcours de la vie de
Marie mis en musique. C’est ainsi que j’ai pu introduire des pièces dans ce
disque qui dataient de ces premières années de recherche. Je dois avouer que
c’est toujours un souvenir émouvant que d’évoquer cette période où j’avais
réussi à réunir toute l’œuvre complète de CHARPENTIER en microfilms : cela
tenait en 4 ou 5 grands rouleaux de microfilms ! C’est ainsi que je pouvais
aller d’un livre à l’autre et choisir à loisir toutes les œuvres de ce grand
musicien. C’est en plus une musique qui est écrite de manière très claire, la
plupart des œuvres que nous avons enregistrées pour ce disque ont d’ailleurs été
jouées à partir de l’original sans transcriptions. C’est en effet un de mes
meilleurs souvenirs quant au travail sur la musique religieuse baroque de cette
époque avec MONTEVERDI ! »
LEXNEWS : « Quel conseil Jordi
Savall pourrait il donner à un auditeur contemporain pour écouter CHARPENTIER de
nos jours ? »
Jordi SAVALL :
« Je pense que c’est une musique qui comme toutes les musiques est tributaire de
son interprétation. Il y a certes des musiques qui s’avèrent être plus
tolérantes quant à leur approche. Elles peuvent supporter des interprétations
plus souples sans pour autant les dénaturer. A l’inverse, pour la musique de
CHARPENTIER, comme celle de Marin MARAIS d’ailleurs, l’interprétation, le jeu de
la viole, la manière de chanter ainsi que tous les autres processus contribuent
à la dimension spirituelle de cette musique. Les œuvres de CHARPENTIER comme
celles de MONTEVERDI ou celles de Tomas Luis de VICTORIA sont beaucoup plus que
de belles compositions ou de beaux contrepoints, il y a toujours un message
spirituel très fort et il faut le retrouver. Il faut vraiment dépasser le cadre
du concert et considérer ces musiques comme de véritables œuvres vivantes
spirituelles. Je pense que c’est ce qui fait que ces musiques sont parfois plus
difficiles d’accès à un auditeur si l’interprète n’est pas véritablement habité
par cette approche. Je pense que c’est le danger de faire du CHARPENTIER comme
on pourrait faire du HAENDEL ou du VIVALDI, ce n’est pas la même chose ! Si des
œuvres de CHARPENTIER peuvent apparaître de prime abord comme spectaculaires, ce
n’est pas cet aspect qui prime chez ce compositeur… Je pense qu’il est possible
de lui appliquer cette phrase de COUPERIN qui disait : « J’aime mieux ce qui me
touche que ce qui me surprend » ! CHARPENTIER offre toujours une musique pleine
de grâce, de finesse, de contrepoint, d’harmonies très recherchées ainsi qu’un
travail sur les voix, sur la conception même de l’œuvre.
Les œuvres de CHARPENTIER ont un peu souffert d’autres
répertoires plus populaires. A l’époque le prestige qu’avait LULLY grâce à ses
privilèges éclipsait les autres musiciens de faire connaître leur art. Il ne
faut surtout pas considérer l’œuvre de CHARPENTIER sous cet angle car il n’est
pas un musicien de cour. Son œuvre religieuse est d’une grande pureté inspirée
notamment par l’Italie avec le travail réalisé avec CARISSIMI. Pour moi, c’est
un peu le PURCELL français avec qui il partage sa dimension créatrice, sa
maîtrise du contrepoint et son goût pour la recherche d’harmonies très
hardies.
Il me semble que le meilleur conseil que je puisse donner à
un auditeur contemporain c’est de prendre son temps pour découvrir tout cela. Il
faut se laisser porter par la musique et essayer d’entrer dans cette dimension
spirituelle et esthétique de l’œuvre de CHARPENTIER. »
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