A l'occasion de la publication de son dernier livre :
« Contre la peur et cent autres propos » aux éditions Albin Michel, nous
avons eu le plaisir d'interviewer le philosophe André Comte-Sponville. Cet
esprit libre invite son lecteur à penser, à notre quotidien tout comme à
notre vie, avec le recul nécessaire qu'offre la philosophie. Point
d'absolu inatteignable mais une volonté irrépressible à savoir saisir le
réel. Défenseur d'une action à notre portée, "Mieux vaut agir que
trembler", rencontre avec un sage des temps modernes !
ous
avez retenu la forme des « propos » chère au philosophe Alain pour
votre dernier ouvrage, quelle place entendez-vous donner au philosophe
face à cette immédiateté donnée pour impérieuse par l’actualité et vous
sollicitant quotidiennement ?
André Comte-Sponville :
"La même place que toujours :
celle de la réflexion, du recul, si possible de l’intelligence et de la
sérénité. Je ne crois pas que le rôle du philosophe soit d’ajouter de la
colère à la colère, du mépris au mépris, de la haine à la haine. On n’en a
déjà que trop ! Je préfère m’inspirer de la fameuse formule de Spinoza : «
Ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas détester, mais comprendre. »
La peur est souvent au centre de
l’actualité, favorisant l’immédiateté des émotions au détriment de la
profondeur. Est-ce là l’un des rôles du philosophe que de contribuer à
réduire ce hiatus ?
André Comte-Sponville :
"Le réel n’est pas une idée : un
certain hiatus – entre le réel et la pensée – existe donc toujours. Mais
ne confondons pas l’actualité (ce qui advient : l’événement, le devenir,
l’histoire en train de se faire) et le journalisme (qui n’en retient
souvent, en effet, que la part la plus spectaculaire ou la plus
passionnelle). Et le travail du philosophe relève, bien évidemment, de la
raison, pas de l’émotion ! C’est surtout important face au populisme, qui
ne cesse au contraire de privilégier les passions (spécialement ce que
Spinoza appelait « les passions tristes » : la haine, la colère, l’envie,
le mépris, la peur…) plutôt que la raison".
Contre la peur, vous invitez
surtout à penser…
André Comte-Sponville :
"J’invite surtout à agir ! Mais
je suis philosophe : mon travail est de penser, et d’aider les autres à
penser. Mais la pensée n’est efficace qu’à condition de déboucher sur
l’action. C’est vrai spécialement contre la peur. Il ne s’agit pas de
rassurer les gens, de faire preuve d’optimisme, de leur dire que ce n’est
pas si grave, que tout va s’arranger… Au contraire ! Il s’agit d’insister
sur les dangers, et d’y opposer, non pas l’optimisme, mais le courage et
l’action. Mieux vaut penser que se lamenter ! Mieux vaut agir que trembler
!"
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Mieux vaut désirer ce qui dépend de nous :
mieux vaut espérer un peu moins, et vouloir un peu plus !"
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L’action compte beaucoup à vos
yeux, vous y voyez une certaine sagesse. Cette dernière fait-elle défaut à
nos contemporains ?
André Comte-Sponville :
"Elle a toujours fait défaut, à
toutes les époques ! Relisez les stoïciens…. Il est plus facile de désirer
ce qui ne dépend pas de nous (c’est la définition même de l’espoir) que ce
qui en dépend (ce qui n’est plus espoir mais volonté). Et comme « il n’y a
pas d’espoir sans crainte ni de crainte sans espoir », comme disait
Spinoza, tant qu’on désire ce qui ne dépend pas de nous, on craint que
cela n’advienne pas. Et comme le pire est toujours possible, le meilleur
jamais sûr, on finit par être mort de trouille ! Mieux vaut désirer ce qui
dépend de nous : mieux vaut espérer un peu moins, et vouloir un peu plus
!"
Reprenant les leçons des
stoïciens, vous encouragez nos semblables à cette action sur ce qui dépend
de nous : une efficacité dans l’action.
André Comte-Sponville :
"Oui : parce que vouloir, c’est
agir, ou ce n’est pas vouloir ! Je vous mets au défi de vouloir tendre le
bras sans le tendre en effet. Celui qui dit « je veux » et qui n’agit pas
est un menteur : la vérité, c’est qu’il désire, qu’il espère, ou qu’il
voudrait vouloir. La grammaire ici est bien révélatrice : « je voudrais »,
au conditionnel, c’est ce que les grammairiens appellent un irréel du
présent. C’est dire que tu ne veux pas ! Vouloir, c’est faire. Et là, bien
sûr, l’efficacité est le plus important. C’est vrai aussi en politique. La
gauche, en France, n’a jamais réussi à gouverner plus de cinq ans
d’affilée. Ce n’est pas faute d’avoir espéré ou désiré, ni même d’avoir
agi. Mais quand l’action est inefficace, le succès n’est jamais là. C’est
ainsi que la gauche française s’est fait une spécialité de l’espoir, de
l’utopie, du rêve (souvenez-vous de François Hollande : « Réenchanter le
rêve français ! »)… et de l’échec. Tant mieux pour la droite. Tant pis
pour la France".
Cela implique une certaine
lucidité dont témoignent les différents propos de votre livre, n’avez-vous
pas l’impression que celle-ci est bien mise à mal de nos jours ?
André Comte-Sponville :
"Elle l’a toujours été ! Relisez
Spinoza : les humains ne sont que trop portés à « croire facilement ce
qu’ils espèrent, difficilement ce qu’ils redoutent » (Éth., III, 50,
scolie). L’illusion, par définition, est plus confortable que la lucidité.
Mais la lucidité est plus tonique, plus efficace, plus digne. Si vous êtes
atteint d’une maladie grave, mieux vaut la voir en face, pour entreprendre
de vous soigner ou profiter de vos derniers mois, que prétendre que ce
n’est qu’une fatigue passagère ou un mauvais rhume…"
Comment appréhender la notion de
vérité à l’époque où le relativisme mondialisé en a fait une notion
contestable et contestée ?
André Comte-Sponville :
"De la même façon que toujours :
comme adéquation au réel, par l’expérience et la raison.
Tarski, reprenant un exemple traditionnel de l’Antiquité, résume
l’essentiel en une phrase : « La proposition “La neige est blanche” est
vraie si et seulement si la neige est blanche. » Vous me direz que la
couleur dépend de la lumière et de notre appareil perceptif… Vous vous
doutez bien que Tarski ne l’ignore pas ! Mais cela ne change rien à
l’essentiel. Dire la vérité, c’est dire ce qui est comme cela est, ou ce
qui paraît comme cela paraît. Pour ma part, j’ai proposé une autre
définition, mais qui revient à peu près au même : la vérité, c’est ce
que Dieu connaît, s’il existe. La force de cette définition, c’est
qu’elle ne change aucunement – ni en extension, ni en compréhension –
selon que Dieu existe ou non. Vous me direz que nous ne sommes pas Dieu…
En effet. C’est pourquoi aucune connaissance humaine n’est la vérité, mais
seulement son approximation, toujours partielle. La vérité est éternelle,
infinie, absolue. Toute connaissance humaine est historique, limitée,
relative. Mais s’il n’y avait rien de vrai dans nos connaissances, il n’y
aurait pas de connaissance du tout ! Bref, la vérité, on ne la connaît
jamais toute ni absolument. Mais on en connaît assez pour faire une
différence entre une vérité et un mensonge, entre une connaissance et une
illusion, entre un savant et un ignorant, entre un philosophe et un
sophiste".
Le nihilisme s’infiltre partout, dans la
littérature d’un Michel Houellebecq comme dans les épaules voûtées d’un
adolescent sans intérêt à la vie. Avons-nous cessé de croire à quoi que ce
soit ?
André Comte-Sponville :
"Le nihilisme, c’est moins
l’incapacité à croire que l’incapacité à aimer et à agir. Et l’inverse du
nihilisme, ce n’est pas la foi, ni la croyance en je ne sais quoi ! « Je
crois en l’amour », « Je crois en la justice »… La belle affaire ! Eh bien
moi, je n’y crois pas ! Je constate que l’amour existe (ce n’est pas
croyance mais constat, expérience, savoir) et qu’il échoue le plus
souvent. C’est ce que symbolise, pour moi, le Calvaire : l’amour vaincu.
Et alors ? Qu’est-ce que cela retire à sa valeur ? Rien, selon moi : ce
n’est pas la victoire que j’aime, mais l’amour. Le contraire du nihilisme,
ce n’est pas la croyance ; c’est l’amour et le courage. Pareil pour la
justice : elle n’existe pas, et il ne sert à rien d’y croire. Il faut se
battre pour elle, et essayer de s’en approcher au moins un peu. Comme
disait à peu près Alain : « La justice n’existe pas ; c’est pourquoi il
faut la faire. »
Quant au nihiliste, soit il n’aime rien, soit, plus vraisemblablement, il
n’aime que lui-même. La plupart des nihilistes ne sont que des égoïstes
qui se prennent au sérieux. Ils n’aiment que leur petit moi, et leur petit
moi va mourir ! Quelle tristesse ! Quelle détresse ! Eh bien, occupe-toi
donc d’autre chose que de toi-même ! Bel aveu de Michel Houellebecq : « Je
ne m’intéresse qu’à ma bite ou à rien. » Eh bien, continue ! Mais ne
t’étonne pas si tu déprimes, et ne te plains pas si les antidépresseurs
t’empêchent de bander !"
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La peur est le contraire du bonheur, ou
plutôt son obstacle.
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Comment voyez-vous ce couple
bonheur/peur qui ne rime et ne s’affiche que dans les gros titres des
médias et offres commerciales ?
André Comte-Sponville :
"C’est moins un couple qu’une
antithèse. La peur est le contraire du bonheur, ou plutôt son obstacle.
C’est pourquoi le bonheur est lié à une sérénité au moins minimale. Qui
peut être heureux, quand il est mort de trouille ? Quant au bonheur, ce
n’est ni une joie constante (ce que j’appelle la félicité, qui n’existe
pas), ni la satisfaction de tous nos désirs (ce que j’appelle la satiété,
qui est impossible). C’est simplement, le contraire du malheur. On est
malheureux quand toute joie paraît impossible. On est heureux quand la
joie paraît au moins possible. Pas toujours réelle, ne rêvons pas ! Mais
continûment et immédiatement possible : pas demain ou dans dix ans, mais
aujourd’hui, maintenant ou tout à l’heure ! Ce n’est pas un absolu (la
joie est plus ou moins probable ou fréquente), c’est du relatif, mais
qu’est-ce que c’est bon ! Ceux qui disent que le bonheur n’existe pas,
cela prouve simplement qu’ils n’ont jamais été vraiment malheureux. Parce
que les autres, ceux qui ont connu le malheur, savent, au moins par
différence, que le bonheur aussi existe : le bonheur, c’est quand on n’est
pas malheureux ! Cela ne vous suffit pas ? Eh bien, tant pis pour vous :
contentez-vous d’espérer la félicité pour demain ou pour après la mort…"
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Qu’est-ce que la sagesse ? Le maximum de
bonheur, dans le maximum de lucidité
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Enfin, selon vous, avancer dans la vie,
c’est aussi savoir moins prendre au sérieux la philosophie et moins aimer
la sagesse pour elle-même. Le pensez-vous encore aujourd’hui ?
André Comte-Sponville :
"Je ne crois pas plus en la
sagesse qu’en l’amour ou en la justice ! Ce sont des idéaux, et aucun
idéal n’existe. Cela ne m’empêche pas d’aimer, et d’agir parfois avec
justice, ou pour la justice. Pareil pour la sagesse : l’idée d’une sagesse
absolue, qu’on peut voir chez Épicure ou Spinoza, n’est qu’un rêve. Cela
n’empêche pas de vivre le plus intelligemment, le plus librement et le
plus heureusement qu’on peut ! Qu’est-ce que la sagesse ? Le maximum de
bonheur, dans le maximum de lucidité. C’est ce que j’appelle une sagesse
de second rang : une sagesse pour ceux qui ne sont pas des sages, qui
n’envisagent même pas de le devenir, mais qui ont la sagesse au moins de
l’accepter. C’est la sagesse de Montaigne : « Pour moi, donc, j’aime la
vie. » C’est la seule sagesse qui m’intéresse. Ce n’est pas le bonheur
qu’il faut aimer (pas besoin d’être sage pour aimer le bonheur : n’importe
quel imbécile en est capable), ni la sagesse (pas besoin d’être sage pour
aimer la sagesse : n’importe quel philosophe en est capable), mais la vie
telle qu’elle est, heureuse ou non, sage ou pas, et bien sûr aucune vie
n’est heureuse ou sage dans son entier. D’ailleurs, je vais vous dire :
les quelques sages, ou prétendus tels, qu’on m’a présentés, depuis
quarante ans, m’ont tous paru terriblement ennuyeux ! Cessez plutôt de
croire en la sagesse : c’est une manière déjà de vous en approcher ! Et
occupez-vous de ce qui compte vraiment : vos proches, votre métier, la
politique, la justice, la liberté, le monde comme il va ou ne va pas, bref
l’amour, la connaissance et l’action !"
Lucien JERPHAGNON , né en 1921, Docteur ès Lettres (Philosophie), Docteur en
Psychologie, Diplômé de l'École des Hautes Études, Professeur émérite des
Universités, Ancien Conseiller à l'Institut International de Philosophie
(C.N.R.S. - U.N.E.S.C.O.), Spécialiste de la philosophie antique et
médiévale, Membre correspondant de l'Académie d'Athènes. Lucien Jerphagnon
est décédé le 16 septembre 2011.
Bibliographie
LEXNEWS a eu le
grand plaisir d'interviewer le grand historien de la philosophie et grand
spécialiste de saint Augustin. Découvrons une pensée libre et critique,
teintée d'un humour qui n'a d'égal que la rigueur du travail offert à notre
plus grand plaisir !
LEXNEWS : « Vous avez consacré une grande part de vos recherches à la pensée
de Saint Augustin, d’où vient cet intérêt pour le fameux évêque d’Hippone,
né au milieu du IV siècle de l’empire romain ? »
Lucien
JERPHAGNON :
« il est vrai que je suis né dans le premier quart du siècle dernier ! Très
jeune, je fouillais partout, dans tous les livres de la maison. J'avais
entendu parler de ce personnage et comme j'aimais beaucoup depuis ma plus
tendre enfance l'Antiquité, le lien s'est ainsi fait. Être chrétien,
protestant, peu m'importe, plus œcuménique que moi tu meurs ! J'avais
entendu parler très tôt également des « Confessions », la façon dont il
avait raconté sa vie, et tout cela m'a donné envie d'aller plus loin. J'ai
ainsi mis le nez dedans et rapidement j'ai fini par lire l'intégralité de
son oeuvre. Je dois avouer qu'il ne m'a jamais ennuyé, mis à part le « De
musica » qui est quelque chose d'épouvantable à lire étant donné que c'est
un traité de Métrique. Je dois également avouer qu'il n'a pas été mon
philosophe préféré : mon philosophe bien-aimé, c’est Plotin ! Car nous avons
en commun, Augustin et moi, d'avoir été transformés littéralement par la
lecture de Plotin et de Porphyre, ce dernier étant un antichrétien acharné.
Augustin a beaucoup aimé Porphyre malgré tout et a passé sa vie à le
contredire ! Il eut d'ailleurs ce cri à un moment donné de « la Cité de Dieu
» : « Oh, si tu avais connu Jésus-Christ ! ». Il ne se consolait pas en
effet que Porphyre n'ait pas été chrétien. Ce qui me plaît aussi chez
Augustin c'est qu'il a une discrétion dont on ne parle pour ainsi dire
jamais vis-à-vis de Dieu. Lorsqu'il dit de Dieu : « qu’il est mieux connu en
ne le connaissant pas » ou encore quand il ajoute plus loin : « si tu
trouves une bonne formule sur Dieu c’est que ce n'est pas lui ! ». De ce
fait, on réalise qu'il est quand même passé par Plotin et, c'est la réponse
à votre question, il est devenu mon camarade de promotion !
Je suis
un être hybride. J'ai suivi deux directions : à l'Ecole Pratique des Hautes
Etudes, j'ai été l'élève de Jean Orcibal qui avait fait sa thèse sur
Duvergier de Hauranne. J'avais une admiration sans bornes pour Orcibal et
lorsqu’on sortait de ses mains on ne faisait plus d'erreurs de référence. Il
nous insufflait ce plaisir de la précision et de la rigueur. J'ai passé le
doctorat d'État ès lettres coté philosophie avec un autre grand maître
passionnant : Vladimir Jankélévitch ! Un métaphysicien mystique, comme je
suis devenu un agnostique mystique ! Peut-être était-ce pour cela que
j'avais énormément apprécié « Janké » comme nous l'appelions ! Je ne suis
pas philosophe, je ne suis pas historien, je suis un historien de la
philosophie... Je regarde les autres penser, j'essaie de comprendre ce
qu'ils disent ce qui n'est pas toujours chose facile et je réfléchis aux
raisons pour lesquelles ils ont pu développer telle ou telle idée à telle ou
telle époque. On fait souvent des philosophes des héros de bandes dessinées,
et ce n'est pas du tout comme cela ! Si Descartes a soudainement prononcé la
fameuse phrase : « je pense donc je suis », ce n’est pas en mettant ses
braies, mais c'est parce qu'il en avait ras-le-bol de la scolastique. Un des
siècles qui me donne également l'appétit, c'est le XIVe ! Il se passe des
tas de choses. »
LEXNEWS : « Nous avions pourtant l'impression à lire vos ouvrages que vous
aviez été littéralement happé par l'Antiquité ? »
Lucien
JERPHAGNON :
« Oui, absolument. J'ai même choppé deux heures de colle en classe à
Bordeaux. Car comme tout fils et frère de savants, j'étais nul en math. Et
pendant le cours de mathématiques, j'avais été surpris à regarder les ruines
de Timgad sur mon manuel d'histoire en me disant : c'est là que je veux
vivre et mourir ! Ces colonnes, ce monde... Et là j'ai entendu une voix qui
venait du ciel et qui me dit : Jerphagnon, vous me ferez deux heures ! Cela
ne m'a jamais demandé un effort, enfin si ! Un effort pour faire sérieux
parce que moi-même je ne me suis jamais pris au sérieux, danger effroyable,
mais en revanche le travail, je l'ai toujours pris au sérieux. Je suis dans
ce monde-là que j'aime et en même temps j'ai brisé les barreaux de mon
siècle et je m'évade... J'ai l'impression d'avoir pris l'apéritif avec
Marc-Aurèle et bavardé avec Néron qui n'était pas si méchant, comme on
aurait dit à Bordeaux il était bien brave ! En fait il était peureux, et un
couillon peureux avec le pouvoir... »
LEXNEWS : « Vous insistez de manière très pédagogique sur les racines
intellectuelles qui ont présidé à la formation intellectuelle du jeune
Aurelius Augustinus ; Rome à cette époque est déjà loin de la pensée
classique de la République, mais vous montrez combien la philosophie grecque
est présente dans l’éducation supérieure d’un jeune lettré romain »
Lucien
JERPHAGNON :
« Le grec commençait à s'éteindre. Cela n'était plus du tout comme au Ier ou
IIe siècle quand vous lisez Juvénal ou Martial qui rigolent l’un et l'autre
sur la présence du grec. Ils avaient remarqué que les femmes vous emploient
des termes grecs continuellement, vous appelle « mon chéri » en grec, etc. à
croire qu'elles font l'amour en grec ! Cette graecomania s'était un peu
éloignée pour la bonne raison que le monde n'était plus très sûr. Il y avait
un fameux désordre depuis un certain temps déjà. Augustin est né en 354, et
il a connu 410. Rome s'effondrait sous ses yeux. De ce fait, le grec était
toujours enseigné, grâce à lui nous savons que cela figurait toujours au
programme. »
LEXNEWS : « Il semble d'ailleurs n'avoir pas goûté au grec beaucoup
lui-même ! »
Lucien
JERPHAGNON :
« Vous savez, il s’esquinte un peu lui-même et sur tous les plans. Ainsi,
même s'il avoue avoir dragué une fois ou deux dans une église, il n'en
faisait pas plus ni moins que tout le monde ! Avec le recul, c'est l'évêque
qui revient sur sa vie du moyennement croyant. Il ne savait peut-être pas le
grec mais au moins savait du grec. Il en savait assez pour regarder de près
les sources philosophiques. J'ai cité dans une contribution le nombre
d'auteurs, je crois 60 ou 61, dont Augustin parle d'une manière juste. Vous
savez pour apprendre la table des catégories d'Aristote ! C'est d'un drôle !
En dépit de son peu de goût pour le grec, il s'en était quand même tapé pas
mal. La preuve, c'est qu'il se permettait de pinailler sur tel ou tel sens
d'un mot à propos d'une discussion théologique, absconse comme toutes
les discussions théologiques ! En fait, saint Augustin a su user de cela. Il
ne se trompe pas et se permet même de reprendre des gens lorsqu'ils ont des
pensées approximatives.
Les
racines intellectuelles qui ont formé l'esprit de saint Augustin sont ainsi
grecques et romaines, et plus précisément, romaines ayant distillé du grec
grâce notamment à Cicéron. Quant à ce dernier, il se permet même d'évoquer
un certain « Marcus Tullius » pour le prendre de haut ! Et pourtant, nous
savons très bien que c'est lui qui a été à la racine de sa conversio…
»
LEXNEWS : « cette formation ne se fait pourtant pas à Rome ? »
Lucien
JERPHAGNON : « Non
! En effet, il y vient pour courir le cachet. En fait, c'était un ambitieux,
un peu comme un de nos énarques aujourd'hui ! On peut même dire que c'est un
arriviste sans bornes. Plus tard, il s'engueulera lui-même d'ailleurs pour
l'avoir été. Et nous pouvons le croire du fait que cela vient de lui... Par
la suite, il s'est aperçu que l'arrivisme avait ses limites. En fait, c'est
un type qui était l’équivalent d’un professeur au Collège de France à un âge
où un agrégé moyen peut être au lycée de Vierzon ! Et sa maman, la bien
aimée Monique, que j'espère ne pas rencontrer au ciel, lui avait déjà
bricolé un chouette petit mariage avec de l’argent,… »
LEXNEWS : « Peut-on dire que cette jeunesse de saint Augustin est
révélatrice de celle de son époque ? »
Lucien
JERPHAGNON : « Oui,
tout à fait ! Révélatrice de la jeunesse de ce milieu moyen, sans pour
autant faire partie de la Rome d'en bas. Le papa faisait du vin, mais il
n'avait pas suffisamment de sous pour payer ses études. »
LEXNEWS : « L’influence de Cicéron est remarquable chez Augustin, le
philosophe évoluant d’ailleurs dans une période tout aussi troublée même si
c’est pour des raisons différentes que ce IV° siècle débordé par les
invasions barbares. Avons-nous une idée du contenu de son fameux livre, l’Hortensius,
qui a tant joué dans le goût pour la sagesse du jeune Augustin? »
Lucien
JERPHAGNON : « Oui, vous avez tout à fait raison de relever le
parallèle de période troublée, j'ai même qualifié cette époque de guerre
civile de cent ans dans un de mes livres ! Marcus Tullius est en effet celui
qui a tout déclenché chez lui. Alors qu'Augustin était un étudiant moyen, il se met à lire Hortensius,
un ouvrage aujourd'hui perdu, et en lisant l'Hortensius il n'est plus le
même après. On n’en connaît plus aujourd'hui que de tout petits fragments,
non significatifs. Il s'agissait d'un éloge de la philosophia comme
c'était souvent le cas à l'époque. Il y avait un goût de la philosophia
à Rome, une philosophie qui évidemment était grecque. Le superbe ouvrage de
Paul Veyne sur l'empire gréco romain décrit très bien cela. Il y avait deux
cultures : une culture juridique et militaire d'un côté, et de l'autre côté
une culture philosophique. Il y avait toujours un perpétuel débat de savoir
laquelle était la plus grande. Les Grecs étaient sûrs d'être culturellement
les premiers mais modéraient leurs propos face à la grandeur de Rome. »
LEXNEWS : « Comment s’est effectué le passage de cette sagesse initiée par
le contact enflammé de la philosophie grecque et latine à la « vocation »
pour un amour absolu du Christ et de la religion d’Etat de l’Empire ? »
Lucien
JERPHAGNON : « Cela
a pris une dizaine d'années. Le coup de l'Augustin converti à la façon de
Claudel ou du Père de Foucauld ou de Chateaubriand disant : (...)
(...) « j'ai pleuré et
j'ai cru » alors là j'ai très envie de répondre : « et ta soeur ! ». Il
faut regarder tout cela de près, lui-même d'ailleurs le raconte. Cela a
bouleversé complètement sa vie. Il a été tenté par toutes sortes de choses,
le manichéisme, le doute, mais il avait trop la passion de la vérité pour
s'installer à demeure dans le scepticisme. C’est désespéré qu’un beau jour
il tombe sur les libri platonicorum et là, le coup lui tombe dessus.
Ce fut la grande découverte, il s'est rendu compte que tout ce qu'on lui
disait sur Dieu n'allait pas. Lorsqu'il a réalisé que les manichéens
commettaient de graves erreurs quant à la rigueur et que les Grecs étaient
infiniment supérieurs, cela l’a profondément heurté comme l'avait heurté la
Bible avec des généalogies fantaisistes, des histoires salées,… Il avait
abandonné tout cela pour ne retenir que les Évangiles. Seul le Christ
l'animait. Une autre influence importante se trouve être dans la personne
d'Ambroise. C'est d'ailleurs quelqu'un que personnellement je n'aurais pas
aimé fréquenter ! C'est un ancien préfet de région, devenant du jour au
lendemain converti chrétien, élu évêque comme cela se faisait à l'époque...
Il avait pour lui de lire intelligemment la Bible selon l'esprit et non pas
stricto sensu. Il raisonnait par voie allégorique et cette lecture avait été
inventée par Theagène de Rhegium au VIe siècle avant Jésus-Christ.
Saint-Paul lui-même l'utilisera également avec cette idée que la lettre tue,
et que c'est l'esprit qui donne la vie. Il ne s'agissait pas de prendre tous
ces textes au pied de la lettre ni d'imaginer que Jonas avait été becqueté
par la baleine ! J'ai d'ailleurs calculé la longueur qu'il y avait dans la
baleine : il avait alors tout son temps pour chanter des psaumes là-dedans !
En fait si vous lisez tout cela au pied de la lettre vous vous trouvez aux
alentours de 1910 au moment de Pie X ! »
LEXNEWS : « Nous pouvons tous rêver d’un été 386 tel que l’a vécu Augustin.
Pouvez vous nous rappeler ces journées si importantes dans sa découverte
d’une foi donnée et non plus recherchée ? »
Lucien
JERPHAGNON : « C'est
le moment où en étant haut fonctionnaire à Milan il est obligé pour être vu
d'aller à la messe. Et là, il entend Ambroise qui explique la Bible et
réalise que tout cela est loin d’être idiot. C'est à cette période en effet
que tout cela s'est fait. Il revient au christianisme de son enfance aidé en
cela par le cercle de Milan où il y avait des chrétiens, des païens, tous
des platoniciens… Auparavant, tout était en son cœur un combat jusqu'au
moment où il a regardé dans « Les Confessions » ce qui y était et n'y était
pas : au commencement était le Verbe, le Verbe était auprès de Dieu, cela il
pouvait le constater mais en revanche, que le Verbe se fasse chair, cela, ça
n'y est pas ! Et ainsi de suite... Et la scène de ce désespoir dans le
jardin de Milan avec son copain Alypius, il se met sous un arbre avec son
Saint-Paul qui ne le quittait pas et tombe sur une phrase de ce dernier. A
partir de là, il est décidé à tout foutre en l’air. Il y a également ce
passage où il remercie un ami de lui avoir offert de si belles vacances à
Cassiciacum, cela était son meilleur moment. Cela semble en effet une
période idyllique avec des amis qui s'entendent avec leur prof, discutent
sur des problèmes avec une très grande liberté et Licencius qui se met à
chanter un cantique en allant au petit coin, tout cela secoue terriblement
Mme Monique ! On se met à parler de l'ordre du monde parce qu'il y a une
question de gouttières et de tuyauteries qui foirent, autrement dit tout ce
que j'aime : on est dans le concret, on ne traîne pas dans le philosophique
abstrait... ».
LEXNEWS : « Nous avons en fait une mauvaise lecture de saint Augustin ? »
Lucien
JERPHAGNON : « Oh
oui, tout à fait, c’est un saint Augustin de bandes dessinées ! »
LEXNEWS : « certains disent même qu'il abandonne sa charge parce qu’il a des
ennuis de santé »
Lucien
JERPHAGNON : « c'est
ce que l'on dit ! Il fallait bien qu'il donne une excuse, non ? Il avait
certes une santé assez fragile, il avait manqué claquer à Rome. Mais à
partir de là, il souhaitait fonder, non une sorte de cercle comme les
épicuriens autrefois, mais un cénacle de gens qui se seraient consacrés à la
parole de Dieu. Il veut agrandir le local où il allait mettre ces personnes,
il se balade à Hippone et en profite pour aller faire une petite prière à la
cathédrale. Là, l’évêque l'aperçoit, et au cours de son prêche, il dit : «
frères et soeurs nous avons bien besoin d'un prêtre ». Alors, on le pousse
aux pieds de l'évêque, il se met à pleurer lui qui avait dit tant de mal de
la grande église. Ni une, ni deux, l'évêque lui impose les mains.»
LEXNEWS : « on imagine très bien la scène dans un film ! »
Lucien
JERPHAGNON : « Ah
oui ! Cela fait tout à fait péplum. Quelqu’un le voit en larmes, et croit
qu’Augustin est déçu de n’être pas évêque. Et il lui dit : « Ne pleure pas,
ne t’inquiète pas cela viendra... » Cela prouve qu'il était connu pour être
un arriviste puisqu'on lui prêtait de telles pensées ! Et bien non, ce n'est
pas pour cela qu'il pleurait. Tout d'abord, cela mettait à l'eau toute son
idée de copains organisés en cénacle. Mais il va se donner à fond dans
toutes ses charges. Valerius va lui conférer le pouvoir de prêcher, ce qui
n'était pas rien à l’époque. Comme il était très calé, lorsqu'il y avait des
conciles, il était, comme dit Goulven Madec, le théologien de service. Il
était un peu le SAMU de l'époque, le secours théologique d'urgence ! Sa
renommée s'étendait jusqu'à Rome puis jusqu'au Latran où atterrira un jour
son oeuvre grâce à Posidius. C'est grâce à lui en effet que l'on a pu
sauvegarder toutes ses oeuvres jusqu'à nos jours. »
LEXNEWS : « Mais une fois la foi reconnue, le parcours de sagesse ne doit
pas s’arrêter là rappelle Augustin : l’acte de connaître engage l’homme tous
les jours, une connaissance qui ne peut se faire qu’à partir du verbe
divin et dans une dimension intérieure.»
Lucien
JERPHAGNON : « C'est
une idée qui est en effet très inspirée à la fois du christianisme paulinienet qui est en même temps très néoplatonisante. Cette parole intérieure,
le verbe intérieur est la vraie connaissance. Autrement dit quand je fais
cours mes étudiants ne sont pas enseignés par JERPHAGNONUS Lucianus mais ils
sont enseignés par le Seigneur qui leur donne de tirer parti de ce qu'ils
entendent. C'est de cela dont il s'agit, de cette parole intérieure dont
Malebranche se servira avec sa vision de Dieu. C'est ainsi que nous prenons
connaissance puisque tout est du Verbe et que le monde est créé entièrement
par le Logos, ce qui est encore une idée assez platonicienne, seul le Verbe
peut nous dire ce qu'il est en train de faire perpétuellement. Si nous
entrons en nous, c'est à l'intérieur de la trame que nous pouvons comprendre
ce qui se bafouille à l'extérieur et qui ne peut qu’être approximatif. De
même pour la liberté. La vraie liberté ce n'est pas le pouvoir abstrait de
faire n'importe quoi. Mais la vraie liberté c'est de faire ce qui répond à
ce que le Verbe veut, le Verbe vérité absolue, tant sur le plan moral que
sur le plan intellectuel. C'est la réalisation de soi, et donc la liberté
est une liberté vraie et non une liberté contrainte puisqu'elle vous libère
de tout ce que votre libre arbitre aurait pu vous faire trouver
« d’infériorisant. »
LEXNEWS : « On comprend peut-être mieux cet Augustin que l'on présente
parfois comme un polémiqueur un peu aigri ! »
Lucien
JERPHAGNON : « C'est
à cause de certains qui l’ont embarqué dans des querelles en lui reprochant
que son idée de la liberté risquait d'emprisonner. Imaginez des copains
discutant, des soixante-huitards parlant de Lénine ou de Karl Marx, des
gauchistes qui pourraient lui faire le même reproche. C'est la même chose,
il en remet et tout cela a été très mal compris depuis le début. Et il n'est
pas responsable de toutes les sottises qu'on lui a fait dire ! Il a été
passablement trahi par les jansénistes par exemple. Mon bien-aimé maître,
Jean Orcibal, qui nous regarde du haut du ciel avait bien vu tout cela. »
LEXNEWS : « Comment lisez vous le témoignage d’Augustin sur cette fin de IV°
siècle, répétition générale de la très proche fin de l’empire romain
d’occident et y voyez vous des rapprochements, toujours délicats à faire,
avec notre époque troublée ? »
Lucien
JERPHAGNON : « C'est
une idée que j'ai développée dans des articles avant de diriger l'Augustin
dans la collection de la Pléiade. Actuellement, il y a tout ce qu'il faut
pour être tenté de le dire. Et personnellement je succombe à cette
tentation. Et pour les mêmes raisons, je vois peu à peu ce monde s'effondrer
par soi-même, parce qu'il a perdu tout sens des valeurs sans lesquelles
l'empire romain ne tenait plus. La façon dont les Romains ont laissé les
frontières perméables me rappelle un texte de Amien Marcellin qui nous dit :
« Nous avons même été les rechercher au-delà du Danube ainsi il n'en
manquera pas un pour détruire l'empire ! » C'est très triste à dire, mais au
lieu de secourir les gens en les aidant à l'extérieur du limes, on
leur dit : entrez je vous en prie, afin de se donner bonne conscience. Nous
rendons d'ailleurs ces gens-là parfaitement misérables, nous les exploitons,
et ces personnes ne mènent même pas une vie bien drôle dans l'eldorado qui
lui-même est totalement foutu. J'ai très peur pour mes petits-enfants, je
songe aussi au phénomène chrétien qui petit à petit avait pris de l'ampleur
dans la romanité Non pas que je sois contre les religions mais dès lors
qu'elles se tiennent à leur place. Je suis pour un monde très laïc, je ne
veux pas que les religions se mêlent d’autre chose que de Dieu. Notre
civilisation a perdu le sens de ses valeurs. Ce n'est pas uniquement à cause
des grandes invasions qui ont commencé mais aussi pour des raisons
intérieures. J'ai vu s'écrouler tout ce que j'avais aimé. Je suis un élève
de l'école laïque et obligatoire, il y avait de tout, j'étais le fils d'un
ingénieur, il y avait des fils d'ouvrier, nous nous entendions très bien
même s'ils nous arrivaient de nous bagarrer pour d’autres raisons ! Nous ne
jugions pas nos différences et si cela arrivait, le maître était là pour
nous le rappeler très sèchement avec une baffe, sans qu'il passe pour autant
devant le conseil disciplinaire ! Je regrette seulement qu'il n'est pas tapé
un peu plus fort cela m'aurait peut-être permis de finir au Collège de
France ! »
Miguel BENASAYAG, argentin, auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages dont
«L’éloge du confit » (septembre 2007, Editions La Découverte) est
philosophe, psychiatre et psychanalyste. Mais, aucune « étiquette » en fait
ne lui convient parfaitement…
Militant, certes, mais surtout pas militant triste. Ancien résistant
guévariste, torturé et emprisonné quatre ans en Argentine, Miguel BENASAYAG,
dans la mouvance alternative, n’aime ni le pouvoir, ni les hiérarchies, ni
les programmes, ni, ni…mais avant tout et surtout, la politique, la liberté
et la justice…Pour une nouvelle radicalité, à l’origine notamment du
collectif « Malgré tout » et du Manifeste des Indiens sans terre du Brésil,
il est tout simplement un militant passionné !
Psychiatre, mais dans la lignée de la contre psychiatrie bien sûr,
psychanalyste, mais au-delà des paroles, des mots et lapsus, Miguel
BENASAYAG aime les liens, les liens avec le paysage, les autres et soi...
Chercheur de désir d’être, travaillant notamment dans le domaine de
l’intelligence, de la vie artificielle et de la neurophysiologie, il aime
avant toutes autres choses les subtiles perceptions oubliées, enfouies ou
étouffées, les désirs et les singularités, trop souvent également
écrasés…Mais ne lui demandez surtout pas de « Je »…S’il sait à l’évidence l’
entendre, il ne sait en revanche que très difficilement le dire… ça, il ne
sait pas bien faire !
Un « passeur » de désirs et de vie, passionné et passionnant que LEXNEWS a
eu le plaisir pour vous de rencontrer à Paris.
LEXNEWS : "Dans votre dernier ouvrage, « Connaître est agir », vous
continuez votre construction d’une pensée de « l’agir » et d’une philosophe
de l’organisme ; Vous revenez ainsi sur la nécessité pour l’homme
d’aujourd’hui de repenser les mécanismes classiques de la perception (le
vieux schéma : conscience, décision, action), notamment à la lumière des
apports récents des neurosciences, pour une perception plus élargie, et vous
affirmez clairement dans cet ouvrage qu’il faut se fier à nos sens car nos
sens ne nous trompent jamais…cela dit, c’est une perception de nos sens bien
comprise…en termes d’expériences et de connaissances et donc d’agir…"
Miguel BENASAYAG : "L’homme n’a pas
toujours pensé, n’a pas toujours perçu ainsi dans l’histoire et il reste
encore des sociétés aujourd’hui dans lesquelles l’homme ne perçoit pas comme
cela. L’homme en tant qu’organisme ne perçoit pas n’importe comment et ne
construit pas sa perception n’importe comment. Notre problème aujourd’hui
est que nous sommes dans une société qui a construit une perception
organique de nous mêmes en tant qu’ « individu ». C’est un long travail
d’interprétation, de formatage de la perception, d’écrasement de certaines
perceptions par rapport à d’autres, de méfiance envers les sens. C’est un
travail très long, très complexe qui fait que par exemple la priorité donnée
à la vue par rapport au toucher, la priorité donnée aux sens extérieurs par
rapport aux autres sens a fini par nous donner vraiment l’expérience, le
vécu que nous sommes une monade fermée sur elle-même avec un monde
extérieur. Je suis convaincu effectivement qu’il faut donc étudier cela pour
pouvoir penser les liens avec l’écosystème, avec les autres, avec la
société. Nous sommes dans une société qui est en train de mettre en danger
la survie de l’espèce parce que nous sommes dans une société où chacun dit -
comme le montre le système pollueur/payeur - après moi le déluge… D’un point
de vue conscient, on ne peut pas changer cela, on ne peut pas changer les
choses ni consciemment ni moralement. Dès lors, l’idée est de se demander
comment a-t-on construit cette perception selon laquelle chacun sent qu’il
est un individu isolé par rapport au monde, coupé de son environnement ?
Comment a-t-on construit une telle perception, et quelle pratique
permettrait de déployer une dimension perceptive du lien qui nous
permettrait de sortir de cette illusion que nous sommes des individus
isolés."
LEXNEWS : "Votre approche, justement, de la perception, de la
connaissance et dès lors d’un «agir » repensé redonne toute son importance,
sa place à la singularité de la personne (puisque le sujet ne pouvant être
séparé de l’objet de la perception…on a en « perdu le sujet ! ») ;
cependant, il ne s’agit nullement pour vous d’une singularité strictement
individualiste, surmoïque, telle que nous pouvons trop souvent la rencontrer
aujourd’hui, mais ontologique…"
Miguel BENASAYAG : " Être singulier
signifie que quelque chose puisse s’échapper de la surdétermination,
c’est-à-dire s’échapper de tout ce qui est déterminé, inévitable, s’échapper
de ce que sont les fils de la marionnette. Alors, on se demande qu’est-ce
qui s’échappe des fils de la marionnette ? Ainsi, par exemple, lorsque vous
faites quelque chose, qu’est-ce qui dans ce que vous faites s’échappe,
qu’est-ce qui n’est pas entièrement surdéterminé ? La psychanalyse,
l’anthropologie, l’étude de la longue durée en histoire, la neurophysiologie
en générale conduisent, convergent vers l’idée que le phénomène humain est
un phénomène tout à fait surdéterminé. Et lorsque les hommes et les femmes
se sentent les plus originaux, les plus particuliers, les plus singuliers,
c’est justement là où ils sont en fait les plus surdéterminés. Lorsque que
quelqu’un vient vous raconter sa vie personnelle, en analyse par exemple, et
qu’il pense vous raconter la chose la plus singulière, il va vous raconter à
coup sûr la chose la plus banale ! S’il vous dit : « mais vous ne savez pas,
mais moi…, moi…, quand j’ai eu treize ans, j’ai commencé à m’intéresser au
sexe…, ou quand j’étais petit j’avais honte quand mes parents venaient me
chercher à l’école… », plus il va raconter quelque chose de « personnel »,
plus il va en fait raconter quelque chose de surdéterminé. Il va dire par
exemple : « Moi, j’aime l’argent…, ou la réussite…, ou maintenant que j’ai
quarante ans, je fais un bilan de ma vie… » ; On est tout le temps dans des
« trucs » tellement surdéterminés que la question est de savoir si, comme
l’affirment les positivistes réductionnistes, tout est surdéterminé, et
finalement l’idée de la singularité n’est qu’une histoire de narcissisme
idiot. Et effectivement, on peut se demander finalement si tout cela,
l’imaginaire du libre-arbitre, l’imaginaire d’être quelqu’un, ne
correspondrait pas après tout à certains mécanismes que d’autres espèces
pourraient avoir et qui auraient une utilité quelconque qui resterait à
découvrir. En travaillant depuis vingt cinq ans comme moi en psychiatrie, en
psychanalyse, on pourrait effectivement finalement dire qu’après tout la
singularité n’est-ce pas en fait « que » cela ? Parce que, ce que l’on voit,
entend, ce n’est que cela tout le temps… Mais, je pense que la question est
plutôt de savoir, s’il y a une singularité qui s’échappe, s’il y a quelque
chose qui effectivement n’est pas simplement mécanique, si cette singularité
ne doit pas être cherchée ailleurs que chez l’individu. S’il y a quelque
chose qui effectivement fait la différence entre l’artefact et un
organisme, il faut la chercher ailleurs que chez l’individu."
LEXNEWS : "Dans ce dernier ouvrage, vous abordez de
nouveau la question fondamentale de la liberté qui – selon vous – ne peut se
penser qu’en termes de déterminisme, là encore bien compris : un
déterminisme non prédéterminé, non figé. Vous vous opposez ainsi à une
conception volontariste qui a un certain succès dans notre société…"
Miguel BENASAYAG : " La question est de
savoir s’il y a quelque chose qui est de l’ordre d’une dimension de
l’existence, non artefactuelle c'est-à-dire qui ne serait pas que des
mécanismes et, si cela existe, où se trouve-t-elle ?
Si elle
existe, elle ne se trouve pas dans une volonté consciente. Et, en tout état
de cause, pas comme le croyait BOURIDAN avec l’âne de BOURIDAN dans la
différence entre l’homme et l’animal selon laquelle l’homme pourrait, lui,
choisir avec son libre arbitre ; Ce sont des imaginaires narcissiques de
notre époque. S’il existe quelque chose, la question demeure : Où la
trouvons nous ? En quoi réside cette chose qui fait la différence entre un
organisme et l’artefact ? Aujourd’hui, dans le domaine de la vie
artificielle, de l’intelligence artificielle, de la neurophysiologie, tous
ces domaines sur lesquels je travaille, les biologistes n’ont plus de
concept pour faire la différence entre un artefact et la vie. Et ce d’autant
plus que nous sommes dans des dimensions d’hybridations de l’humain qui font
que ces mélanges machines, gènes transformés etc., introduisent aujourd’hui
les organismes dans un après humain, c’est-à-dire qu’on ne sait plus trop où
sont les frontières. Dès lors, la question « est-ce que l’être humain en
tant qu’organisme est autre chose qu’un mécanisme – oui ou non ? » est la
question principale de nos jours. On peut certes améliorer la nature
humaine, on peut hybrider l’humain avec du non humain, mais une question
demeure
: Où est la différence ? Or, la plupart des scientifiques
aujourd’hui ne font pas de différence, ne voient même pas La différence…"
LEXNEWS : " Cela fait peur, ce que vous dites… "
Miguel BENASAYAG : " Oui, bien sûr.
D’autant plus que si cela était arrivé, admettons par exemple il y a deux
siècles, cela aurait pu prêter à rire, parce que même si on ignorait comme
aujourd’hui où pouvait résider la différence, les capacités techniques de
cette époque en revanche ne permettaient pas d’aller plus loin, et dès lors
cela ne mettait nullement en danger la vie. Mais aujourd’hui, par exemple,
nous pouvons faire voir les aveugles, entendre les sourds, faire marcher les
paralysés... Grâce à la thérapie génique et à la manipulation du génome
humain, on pourrait comme pour les plantes, mettre un gène de chien dans une
plante de tabac et empêcher telle maladie… Or, aujourd’hui, au Conseil
national d’Ethique auquel j’ai participé lors de sa création pendant
quelques années, lorsque quelqu’un parle du caractère sacré de la vie, tout
le monde rigole… – c’est même la blague ! – parce qu’au nom de quoi
aujourd’hui, quelqu’un pourrait par exemple dire « je ne veux pas hybrider
génétiquement un être humain pour éviter telle ou telle maladie » ? Qui
aujourd’hui pourrait dire, au nom de quoi, on ne fera pas une hybridation
qui pourtant permettrait par exemple de vaincre la mucoviscidose ?
Mais, le
pacte que nous sommes en train aujourd’hui de faire – nous ne sommes pas à
la veille de le faire, mais nous sommes bien aujourd’hui même entrain de le
faire ! – est une hybridation. Cela n’est plus tout à fait de l’humain tel
qu’on l’a connu depuis le néolithique, voire même bien avant, puisque cela
fait des millions d’années que génétiquement nous sommes très stables. Ce
pacte met en œuvre quelque chose de l’homme que nous ne connaissons pas bien
tout en acceptant pourtant l’idée d’aller plus loin. Il s’agit d’un pacte
dans lequel il y a quelque chose à la frontière entre la vie et l’artefact
que l’on ne connaît pas, que l’on ne trouve plus et pourtant que nous
faisons...
Dès
lors, et ce qui m’intéresse - sachant qu’aujourd’hui pour aujourd’hui tout
montre que les mécanismes zombis, automatiques de l’individu, et notre
société paraît ne pas vouloir le savoir et ne fait que chanter les louanges
de cet individu - est la question « qu’est-ce qui a d’autre ? », quel est
« ce quelque chose » qui fait l’humain et qu’on risque de perdre, qu’on
risque de brader parce que l'on n'avait pas compris… Dés lors ce qui m’intéresse
c’est de rechercher ce qu’il y a d’autre, à savoir quelle est cette part de
l’humain que nous risquons de perdre faute de l’avoir comprise."
LEXNEWS : " Cela dit, votre construction philosophique
ne s’inscrit nullement cependant dans une dimension métaphysique ou d’une
quelconque religion. Vous précisez même clairement que vous ne vous
inscrivez nullement dans une approche Bouddhiste…Vous préférez parler
d’ « immanence concrète » ou « universel concret..."
Miguel BENASAYAG : " Je pense
effectivement que notre culture ne peut pas se placer dans une dimension
bouddhiste. Si je suis un tibétain par exemple, et que tout d’un coup, je
descends de ma montagne, et que je dise : « je ne suis qu’un individu délié
du tout, et je suis auteur de toutes mes pensées …» ; Les gens me
regarderaient et me diraient immédiatement « tu vas mal, retournes dans tes
montagnes méditer ! ». Mais, l’individu en occident, c’est un système, une
économie, un mode de production, il ne suffit donc pas de méditer et de
sentir un lien avec le tout parce que ce « tout » là n’est pas donné dans
l’immédiat c’est-à-dire que ce que nous vivons en occident dans l’immédiat
d’avant même notre naissance jusqu’après notre mort c’est qu’en permanence
on expérimente le fait d’être des individus avec nos intérêts, nos
stratégies… Or, la question du « tout » est la question du lien c’est-à-dire
« à quoi je participe en tant que personne ? ». Or, en occident, ces liens
là, nous ne pouvons pas les trouver par la méditation, nous ne pouvons pas
les trouver par le bouddhisme, parce que ces liens ne sont pas attaqués dans
notre tête par ce qu’ils sont cassés par un mode de production, un mode
d’éducation… Or, de ce point de vue, je pense qu’il faut faire très
attention de ne pas vouloir donner des réponses imaginaires métaphysiques
aux problèmes concrets car le problème de la rupture des liens avec les
autres, avec l’environnement, avec soi même, est un problème beaucoup trop
sérieux pour donner des réponses imaginaires. Il ne faut pas que quelqu’un
puisse simplement se dire « oui, je suis lié au tout », mais dans sa vie de
tous les jours, continue à vivre comme un individu sauf avec un petit
supplément d’âme qui est de faire du yoga ou de la méditation par exemple !"
LEXNEWS : " Oui, il s’agit effectivement, d’une
pratique courante aujourd’hui…."
Miguel BENASAYAG : " Tout à fait. C’est
comme souvent dans les aventures amoureuses, une personne se sent coincée
dans une vie trop aliénée, et à un moment donné, elle sent tout de même
qu’il y a un peu de désir qui déborde de sa norme. Elle va tomber amoureuse
de quelqu’un et ils vont vivre quelques temps une histoire amoureuse où la
musique est possible, la philosophie est possible, la peinture est
possible…et quand l’histoire est finie, l’art, la musique…sont parties
aussi ! C’est-à-dire qu’il y a des méthodes disciplinaires dans notre
société, auto-disciplinaires, pour rabattre les débordements du désir et
l’on croit que la seule chose que l’on peut faire : c’est « cela ». La
psychanalyse n’arrête pas de montrer ces schémas aux hommes, de faire cela
parce qu’on dit « mais non,
ta vie n’est que quelque chose de personnel… ». Par exemple si quelqu’un dit
à son analyste « normal » qu’il est passionné d’Egypte ancienne et que
Marinette lui a justement offert un livre sur ce thème, l’analyste va tout
de suite couper et conclure « vous désirez Marinette ! ». Il y a ainsi des
mécanismes pour rabattre tout excédent du désir vers l’individu…"
LEXNEWS : " Comme le bonheur ? "
Miguel BENASAYAG : " Oui. Effectivement
chercher le bonheur, ce genre de « trucs », sont des mécanismes
disciplinaires très durs pour rabattre le désir, la vie vers des « sales
petites affaires » comme le disait DELEUZE ! Ainsi, tout d’un coup, on peut
être passionné par la philosophie, par la botanique, par la musique…on peut
être fasciné par des choses qui nous tirent par le bout du nez c’est-à-dire
qui nous conduisent – ce n’est pas nous qui décidons – et tout cela va être
rabattu vers des considérations personnelles et cela est très très dur…"
LEXNEWS : " Vous allez même loin puisque vous dites
par exemple que le bonheur conduit au malheur – ce qui est dommage – voire
même que cela est dangereux …"
Miguel BENASAYAG : " Oui, qui cherche le
bonheur – et cela s’appuie sur vingt cinq ans de clinique, de pratique
d’analyse – trouve le malheur ; Car vouloir être heureux, cela signifie
vouloir éviter tout ce qui pourrait nous rendre malheureux…Or, c’est une vie
qui se coupe de tout, petit à petit on se coupe de tout parce qu’on ne veut
pas prendre le risque d’être malheureux : ainsi, on ne veut pas trop
travailler parce qu’on sera fatigué, et ainsi de suite…! Vouloir le bonheur,
cela implique déjà que la vie même devienne sa propre caricature, devienne
l’ombre de la vie…et quand la vie devient l’ombre de la vie, même là, on
n’aura pas éviter le malheur ! Toutes ces idéologies, comme « chercher le
bonheur », qui présentent des couleurs vives, attrayantes, sont en fait des
trucs très très tristes… elles sont des machines à produire de la tristesse.
Quelqu’un qui cherche le bonheur est – malheureusement pour lui – piégé dans
une machine à produire de la tristesse et le danger – il y en a plusieurs –
est notamment qu’une société devienne de plus en plus disciplinaire : « vous
devez éviter le malheur… », « vous devez vouloir le bonheur…», et les gens
sont dès lors très malheureux puisqu’on n’arrête pas de leur dire vous avez
tout pour être heureux ! Or, être heureux ne dépend jamais d’un tout
quelconque ; On peut être heureux à n’importe quel moment et sans aucune
condition. Mais, on culpabilise les gens ; Or, on doit faire ce que l’on
fait et le bonheur, comme le malheur, sont de surcroît. Il m’est arrivé à
des moments parfois incroyables, par exemple en prison, de sentir une
plénitude totale parce que j’étais en train de faire ce que j’étais en train
de faire, et à l’inverse, à des moments où tout allait bien, de sentir un
malheur total…C’est là qu’il faut pouvoir s’excentrer, il y a des moments
lumineux et des moments obscurs dans la vie, des moments de bonheur et des
moments de malheur, et ne pas s’attarder à cela et de pouvoir savoir qu’à un
moment obscur va succéder un moment lumineux et inversement…La seule
question qui demeure est : « mis à par cela, de quoi s’agit-il ? » En fait,
plus on se concentre sur ce qu’on croît être personnel plus on s’en éloigne.
Parfois, ce qui me fait rire, c’est lorsque on me dit « mais, toi, tu ne
parles pas de ta vie personnelle ! » ; Mais, c’est drôle, parce qu’à vrai
dire, je pense fondamentalement, de par mon expérience, que plus on parle
de choses que l’on considère comme personnelles, plus on est dans une sorte
d’impuissance. C’est comme ces gens qui veulent connaître la vie d’EINSTEIN,
qui était vraiment EINSTEIN ? Mais, que veulent ils en fait savoir ? Comment
mangeait-il ? Comment dormait-il ?…c’est ridicule, si EINSTEIN est justement
EINSTEIN pour quelque chose, ce quelque chose justement n’a rien de
personnel. Nous sommes dans cette singularité justement dans les côtés de
nos vies qui débordent le côté personnel. Or, cette inversion est, pour moi
d’un point de vue politique, comme un mécanisme disciplinaire très fort de
rabattement de la vie, du désir sur des « petites affaires."
LEXNEWS : " Oui, on sent très bien cela dans votre
livre biographique « Parcours » !"
Miguel BENASAYAG : " Le coté personnel
ce n’est pas sorcier : si on vous tire dessus, vous avez peur ; si vous
tirez vous êtes un peu un barbare, si on vous torture, cela fait mal ; si
vous êtes en prison, vous voulez sortir…voilà, ce n’est pas sorcier ! La
véritable interrogation est de quoi était-il question à ce moment là, et
cela déborde toujours le côté personnel."
LEXNEWS : " Comment avez-vous perçu ces dernières
élections et la victoire de la droite ? Vous avez soutenu pour cette
campagne présidentielle José BOVE même si cela était du bout des lèvres ! "
Miguel BENASAYAG : " Il me semble que
c’est une remise des pendules à l’heure. Il est tout à fait normal que la
droite libérale, le néo-libéralisme se moque de l’idéologie et montre d’une
certaine façon ostentatoire qu’il peut mettre des ministres de gauche, même
KOUCHNER, par exemple. C’est une sorte de triomphe idéologique
et réel du néo-libéralisme. Et le néo-libéralisme, c’est cela : aucun
caractère sacré à quoi que ce soit. C’est la désacralisation de tout. Ce
qu’ils montrent c’est que nous sommes tous des cochons. Tu peux penser ce
que tu veux, tu penses à gauche, tu penses « en beur », tu es féministe, ce
que tu veux…La seule vérité est que nous sommes tous des « cochons » qui
suivons nos intérêts personnels. C’est le message ! La seule chose qui
compte est que nous sommes dans un monde où nous sommes tous des cochons,
cela est très néo-positiviste, réductionniste c’est-à-dire que eux se
croient au-delà de toute idéologie et en fait c’est justement une idéologie
très forte. Ainsi, un jour, dans un congrès, un DRH nous expliquait que sur
3000 employés, il en avait viré déjà 2000 et que c’était très dur la réalité
! Voilà, la réalité, ici, c’est le plan économique et les 2000 virés une
abstraction. Aujourd’hui, beaucoup de personnes, même celles qui peuvent
apparaître comme les plus empiristes, sont en fait paumées dans une
idéologie très abstraite, mais très efficace. D’un autre côté, le problème
est que la gauche n’est plus à la hauteur historique. La gauche est née à
une époque où l’on pensait qu’un autre modèle de société était possible. La
gauche est née avec les idées d’historicisme théologique autour du concept
de progrès, de la croyance au progrès, etc. La gauche fait semblant d’avoir
toujours un socle, mais elle n’a plus de socle historique car elle est
fondée sur l’idée qu’un monde de justice est possible et la fin des
injustices, de la rareté, sont encore chose possible. Mais toutes ces
hypothèses ne sont pas des hypothèses morales, mais des hypothèses très
objectives fondées sur une philosophie de l’histoire, une philosophie des
sciences et ceci est cassé. La gauche ne s’est pas du tout renouvelée, elle
ne se pose même pas la question. Il s’agit maintenant d’un problème sur le
long terme car la gauche n’a jamais existé simplement comme une droite
démocratique, ce qu’elle est devenue, y compris l’extrême gauche. La gauche
parle au nom du citoyen, des droits de l’homme, mais il y a une lâcheté pour
reconnaître que c’est fini, que historiquement ce qui a fondé la gauche - le
progrès, l’historicisme, que l’homme pouvait vaincre définitivement
l’injustice – est fini. Maintenant,il faut s’interroger sur ce que signifie
aujourd’hui vraiment « être de gauche ». Mais le problème, à mon avis, est
de longue durée parce que la gauche refuse de reconnaître qu’elle a perdu
son socle. Les élections ont été tout de même ridicules, surtout lors des
législatives, lorsque la différence entre la droite et la gauche s’est
réduite au débat sur la TVA sociale. Une simple « mesurette » économique
–qu’elle soit juste ou pas juste – fait la différence ! Cette lâcheté de la
gauche, des militants de gauche montre le niveau d’abstraction de la réalité
pour continuer à affirmer des idées de façon dogmatique, il n’y a qu’en
politique que l’on voit cela ! Or, il faut bien sûr, je pense, reconstruire
un socle de gauche, mais ce socle doit être fondé sur le fait qu’il n’y a
pas une fin de l’histoire, que les injustices ne disparaîtront pas, qu’il y
a un certain « permanentisme. Il y a quelques pistes pour penser une gauche,
mais, il faut avant tout accepter cette attitude. En Argentine, par exemple,
le gouvernement de gauche essaye de faire le « moins pire », mais là-bas, il
n’y a pas d’autre modèle possible pour le moment. Sinon, il y a les amoureux
de l’autoritarisme comme le monde diplomatique qui adorent CHAVEZ, CASTRO,
mais il s’agit là d’un infantilisme total. En Amérique latine, il y a des
choses intéressantes comme EVO MORALES…mais le problème est qu’aujourd’hui
la gauche a perdu son socle, et que le libéralisme est là, il a gagné
mondialement. "
Auteur d’une
trentaine d’ouvrages, créateur de deux Universités Populaires, Michel
ONFRAY est un philosophe qui – enfin ! a-t-on envie de dire – dérange…
En Philosophe
libertaire avant tout, « ultra libertaire », il invite tout à chacun, les
grands et les petits de ce monde, les jeunes et moins jeunes, avec une
énergie et une force toute nietzschéenne à « se créer liberté ».
Évidemment,
la liberté, la liberté des singularités, cela peut encombrer ceux qui
préfèrent les plaines et les creux à l’abri des vents violents…
En Philosophe
hédoniste prônant une vie pleinement vécue avec jubilation et réconciliée
avec le corps, il propose une éthique esthétique solaire et radieuse
immanente pour aujourd’hui et non pour des futurs toujours plus à venir.
Évidemment, là encore, l’obscur, le nocturne siéent mieux aux âmes chagrines
et aux esprits taciturnes engourdis loin des archipels volcaniques du
penseur…
Enfin, en
Philosophe engagé, insoumis et indomptable, il aime les pensées libérées et
rebelles, les sentiers non battus sans compromis et consensus mièvres, loin
des champs aux certitudes incertaines arrosées de précieuses et savantes
imprécisions. Évidemment, le prêt à penser, le philosophiquement correct,
c’est moins cher et souvent soldé…
Bref, on l’aura
compris, le Philosophe Michel ONFRAY ne laisse pas indifférent, et c’est
« pour le coup » fait pour !
LEXNEWS a eu le plaisir de rencontrer le Philosophe Michel ONFRAY dans sa
Normandie natale...
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LEXNEWS : « Votre nom et signature ont été
largement vus et cités, ces derniers jours et semaines, dans la presse et
dans les médias plus généralement, en raison de votre engagement et prises
de positions politiques. Quelle est votre conception quant au rôle du
philosophe aujourd’hui face à la politique ? »
Michel ONFRAY : « J’imagine
mal un philosophe déconnecté du monde, insoucieux du destin de son pays,
insensible aux questions de misère, de pauvreté, de répartition des
richesses et des biens, de chômage, etc. Sinon, chez ceux qui conçoivent la
philosophie comme une discipline de méditation assimilable à la vie
renonçante dans les monastères… Et je ne suis pas de ceux-là : ni
métaphysicien, ni professeur de philosophie en université, ni chercheur au
CNRS, mais citoyen engagé… »
LEXNEWS : « On vous connaît depuis
longtemps de gauche (« viscéralement de gauche »), ce qui vous a depuis
longtemps exposé aux critiques de certains intellectuels de droite ; on vous
connaît également d’une gauche radicale, ce qui vous a également valu des
critiques d’une gauche plus modérée ; aujourd’hui, en appelant à voter et en
soutenant (même de raison) José BOVé, vous vous exposez aux critiques de
certains militants du PCF, voire à certains mouvements anarchistes. Ne
s’est-on pas trompé en vous présentant en Philosophe hédoniste et
libertaire…N’êtes vous pas avant tout un Philosophe libertaire, voire
« ultra libertaire » ? »
Michel ONFRAY : « Pas
mal ce concept nouveau d’ « ultra libertaire » ! Il me va comme un gant, et
il me plait bien, bravo pour la création, et merci pour le cadeau … De fait,
la droite ne m’aime pas parce que je suis de gauche ; la gauche ne m’aime
pas parce que je ne suis pas godillot et que je critique les logiques de
leurs partis. Et, de fait, le PCF ne me ménage pas parce que, radicalement
antitotalitaire, je reste opposé à ce qui reste de stalinien, ou de complice
de ce que fut le socialisme soviétique, dans le parti, et que de vieux
militants n’hésitent pas à recourir à l’insulte et d’autres aux menaces ou
aux voies de fait – récemment sur ma voiture par exemple…- pour éviter le
débat, empêcher la parole libre et discuter mes propositions, mes idées, mes
critiques et les faits que j’avance et qui les gênent. Les socialistes me
trouvent gauchiste ; les communistes, anticommuniste ; les trotskystes, trop
socialiste ; les écologistes, trop mangeur de foie gras, trop défenseur du
nucléaire, trop partisan des OGM ; les féministes, pas assez femme – on m’a
reproché d’être macho parce que figurant sur la couverture du Nouvel
Observateurparmi quatre ou cinq autres hommes… ; les anarchistes, un
petit bourgeois vendu au système parce que je crois que le suffrage
universel, s’il n’est pas le fin mot de la politique, fait aussi partie des
moyens d’agir sur la politique – et que Ségolène ROYAL ou Le PEN au pouvoir
ça n’est pas la même chose ; et les autres, ceux qui restent, jubilent des
passions tristes – envie, jalousie, méchanceté, haine, fiel, bile et autres
qualités des âmes sales…- que la politique refait monter à la surface ; dès
lors, en homme libre, je paie le prix fort… Mais je tiens plus à la
rectitude des idées qu’aux vivats et bravos des castes, coteries, partis,
sectes et autres logiques grégaires qui sentent par trop l’étable… »
LEXNEWS : « Vous avez ouvert fin 2006
l’Université Populaire du Goût à Argentan. Là encore, comme pour
l’Université Populaire de Caen, votre projet est ambitieux et généreux, et
tend à dépasser la seule gastronomie pour offrir un lieu – un jardin – de
réflexion face aux fractures sociales, économiques et sensorielles…Un tel
message, vous semble-t-il après quelques mois d’expérience avoir été bien
réceptionné ? »
Michel ONFRAY : « Plus
que jamais… Et au-delà de nos espérances… L’Up du goût d’Argentan a généré
très vite une dynamique collective avec une équipe d’une dizaine de
personnes qui donnent de leur temps, de leur talent, de leur énergie pour
mener à bien, et très vite, des projets : dessins d’affiche, impression et
distribution des affiches, don de graines et semences pour le jardin,
travail d’un architecte et de ses deux assistantes pour un bâtiment
alternatif, projet d’un restaurant solidaire, etc. Alors que l’Up de Caen
génère des comportements plus consommateurs… En cinq années, il n’y a pas eu
de velléités d’aides et encore moins de réalité d’une dynamique. Dorothée
SCHWARTZ et moi portons cette up seuls, à bout de bras, sans aides. Par
exemple, le 100ième cours de l’up a été il y a une semaine
l’occasion d’un beau moment, certes, avec (amis) musiciens, texte lu (par
un ami), buffet ensuite préparé et tenu secret (par les mêmes amis), le tout
mis en place par mes vieux amis, mais aucunement par tels ou tels venus du
public : personne, en dehors de mes proches, de ma garde rapprochée, n’a
pris l’initiative d’une soirée, d’un repas, d’une fête , d’un cadeau
collectif ou de quoi que ce soit d’autre… Mais, bon, c’est comme ça… »
LEXNEWS : « Vous rappelez régulièrement
que votre construction philosophique, qu’une éthique hédoniste suppose – à
l’opposé d’un nihilisme aujourd’hui trop pesant- des valeurs ou plus
exactement des vertus hédonistes. Pouvez-vous développer cette idée pour nos
lecteurs ? »
Michel ONFRAY : « En
deux mots, ici, non, ça n’est pas possible : j’ai écrit une trentaine de
livres pour préciser tout ça ! Disons pour faire vite tout de même : une
éthique élective et pragmatique, une politique libertaire et micrologique,
une érotique contractuelle et solaire, une bioéthique faustienne, une
esthétique cynique et engagée… Je raconte ça dans La sculpture de soi,
Politique du rebelle, Théorie du corps amoureux, Féeries anatomiques,
Archéologie du présent. On y trouve célébrées des vertus comme :
douceur, prévenance, longanimité, magnanimité, politesse, aristocratie,
élégance, etc. Le tout fait plusieurs milliers de pages ! »
LEXNEWS : « Vous aimez la souveraineté des
singularités ; dans cette optique, tant à l’Université Populaire de Caen que
par vos ouvrages, vous permettez à de nombreuses personnes de trouver ou du
moins de rechercher un épanouissement existentiel, une structure de soi, du
« sur-mesure ». Vous offrez ainsi aujourd’hui un contrepoids intéressant à
un développement personnel trop souvent bas de gamme. Cette proposition
n’est cependant pas toujours bien comprise – du moins des esprits
chagrins… »
Michel ONFRAY : « Je
n’y peux pas grand-chose, car j’écris une langue simple, claire, lisible, je
parle avec un même souci, je me répands beaucoup – trop aux yeux de mes
adversaires ou mes ennemis…, je donne beaucoup d’entretiens, je ne me compte
pas, je fais des conférences très souvent, et ceux qui ne comprennent pas
souffrent souvent, sinon presque tout le temps, d’une prévenance, d’un a
priori défavorable en rapport avec l’image qu’ils ont de moi et qu’ils ont
via les médias. Nombreux sont ceux qui ont des idées préconçues sur moi sans
avoir lu une seule ligne d’un seul de mes livres… Ceux là, souvent, ne
comprennent pas mon message, mais comment pourrait-il en être autrement ? La
visibilité médiatique hystérise, et les réactions sont souvent épidermiques
chez beaucoup qui me crachent dessus et sont incapables de citer
correctement le titre d’un seul de mes livres… Pas grave. La réputation, je
le dis souvent, c’est la somme des malentendus qu’on accumule sur son
compte… »
LEXNEWS : « Face au succès de l’Université
Populaire de Caen et à l’enthousiasme que vous portent beaucoup de vos
lecteurs, vous prenez bien soin de rappeler régulièrement que, de même vous
ne voulez pas suivre, vous ne voulez surtout pas guider…Cependant
parallèlement, vous revenez également souvent sur l’importance que vous
accordez à la relation maître à disciple. N’y a-t-il pas là une frontière
bien délicate… »
Michel ONFRAY : « Non
si l’on prend soin de dire qu’un bon maître est celui qui apprend à ce
qu’on se déprenne de lui… Et qu’on fait tout ce qu’il faut pour réaliser
cette invite… »
LEXNEWS : « Vous écrivez dans un style
travaillé et impeccable. D’où vous vient cette passion pour les mots et le
style ? »
Michel ONFRAY : « Politesse
à l’endroit de mon lecteur ! Le verbiage, l’amphigouri, les néologismes,
tout cela procède du mépris de son lecteur qu’on veut asservir en le
transformant en perroquet qui répète des invocations verbeuses qu’il ne
comprend pas… Je déteste ça : la gouroutisation … »
LEXNEWS : « Face à l’inculture, ou du
moins à la menace qui pèse sur la culture, quel regard portez-vous en tant
que Philosophe ? »
Michel ONFRAY : « Celui
d’un résistant qui croit la tache infinie, désespérée, perdue, mais
nécessaire tout de même. Rien ne changera, évidemment, mais du moins je
n’aurai pas collaboré… »
LEXNEWS : « Merci beaucoup Michel ONFRAY pour cette interview dont la
tonalité sincère n’échappera à personne et qui touchera, à n’en point
douter, les
amoureux d’un sentiment libertaire
épris d’une esthétique
hédoniste…
"La Contre-histoire de la Philosophie de Michel Onfray
s'apparente à un catalogue raisonné de l'histoire de la pensée. Mais un
catalogue dans sa version orale et improvisée qui permet par la verve et
l'authenticité d'une transmission incarnée de démocratiser le savoir de la
Philosophie occidentale." Patrick Frémeaux
Biographie
Philosophe, Ecrivain, épris de
littérature, d’art, de musique…
Auteur d’une trentaine de livres
depuis 1989, dont « Traité d’athéologie »
en 2005 et de « La Puissance
d’exister » en 2006
Il est né le 1er janvier 1959 à Argentan
en Normandie (Orne)
Docteur en philosophie
Il a enseigné la philosophie en
classes terminales dans un lycée technique de Caen de 1983 à 2002.
En 2002, il crée l’Université
Populaire de Caen et en écrit le manifeste, "La Communauté philosophique",
en 2004 et 2006
En 2006, il crée l’Université
Populaire du goût à Argentan
Courants philosophiques
- Hédoniste libertaire
- Matérialiste sensuel
- « Athéiste athée »
- Utilitariste
Influences dominantes
- Nietzsche
- Freud
- Montaigne
- De La Mettrie
- « Présocratiques »
5 ans de succès
pour l’Université Populaire
de Caen !
Cela
fait cinq ans déjà que l’Up de Caen a ouvert ses portes, soit cinq ans d’une
réussite indéniable qui n’a jamais failli… cinq années, en effet, que le
séminaire de contre-histoire de la philosophie donné par le Philosophe
Michel ONFRAY fait toutes les semaines salle plus que comble à Caen. Ouverte à tous, sans
diplômes requis et gratuite selon les souhaits de son créateur (Michel ONFRAY
en a écrit en 2002 et 2004 aux Editions Galilée le manifeste), l’Université
Populaire accueille chaque semaine 600 personnes : des étudiants en philo,
bien sûr, mais également des jeunes gens venant d’autres disciplines parfois
très éloignées, des retraités, des femmes et des hommes d’horizons très
divers ; leur point commun : une passion pour la philo – ou plus exactement
pour cette contre-histoire de la philosophie – et surtout une envie
insatiable de conquérir, en ce lieu, une énergie, une force de pensée et une
réflexion philosophique applicables au quotidien. Une heure de séminaire,
une heure de questions dirigées par cette pensée claire, limpide,
pédagogique alliant culture, érudition, et clins d’œil propres au
Philosophe Michel ONFRAY.
L’Université Populaire de Caen, c’est également douze autres cours gratuits
et ouverts à tous, allant de la bioéthique, de l’histoire des pensées
féministes, à de la psychanalyse, à l’architecture ou encore aux idées
politiques…en passant par le jazz, le cinéma sans oublier l’atelier
philosophique pour enfants.
Si le
philosophe Michel Onfray nous invite à croquer la pomme, c’est pour la bonne
cause ! Les tentations seront celles du goût et même du bon goût. Réunis
dans la ville d’Argentan, les plus beaux produits de la terre, nobles et
plus ordinaires, vont être repensés, revisités et offerts aux sens des
participants à cette réunion ouverte et gratuite à l’image de la fameuse
l’Université Populaire de Caen. Partisan d’une démarche hédoniste, Michel
Onfray est parti du constat suivant : de même que l’esprit est maltraité par
toutes sortes de pollutions sonores et visuelles, le corps est bien malmené
par ce que l’homme peut inventer de pire. Si une fameuse publicité vantait
il y a quelques années un nouveau produit alimentaire (de l’asperge !) en
tube de dentifrice de manière fictive afin de nous faire croire que nous
pouvions tout gober, force est de constater que la réalité est encore pire.
Qui ne connaît pas l’expression redoutable de « malbouffe » et qui ne
saurait avoir mauvaise conscience devant son caddy empli de victuailles
difficilement indentifiables ?
Le
philosophe a décidé, une fois de plus, de mener bataille, certains diront
contre des moulins, nous aimons quant à nous croire qu’il s’agira plutôt
d’un combat pour ces moulins qui savaient, eux, produire une farine digne de
ce nom !
Réhabiliter le goût pour redécouvrir le corps, offrir à tous, même aux plus
démunis, une alimentation décente, voici une quête digne de figurer au
sommet des urgences de notre début du XXI° siècle. Les produits frais,
d’origine biologique ou d’agriculture raisonnée, sont de plus en plus des
produits de luxe, hors d’atteinte du panier des foyers modestes. Quels sont
les enfants qui réclament des fruits frais ou des légumes appétissants au
lieu des plats cuisinés surgelés ?
La tendance
est-elle inéluctable ? Michel Onfray, on le sait, est partisan des micros
résistances que certains préféreraient appeler à sa place des causes
perdues. Il n’en est rien, la preuve ! Les débuts de cette Université du
Goût qui fonctionne exclusivement du bénévolat s’avèrent être un véritable
succès. Jeunes et moins jeunes parviennent à croire encore en ces valeurs
dans cet îlot de Normandie !
Il est possible
d’apprendre à redécouvrir ce que la terre peut offrir de plus noble, et de
savoir cuisiner simplement et sans artifices. Sait-on encore qu’une simple
purée de pommes de terres prend souvent moins de temps à préparer qu’un plat
surgelé à décongeler, et est-il excessivement plus long de peler quelques
carottes fraîches et les préparer à la vapeur quelques minutes plutôt que de
les acheter lyophilisées ?
Nous
sommes prisonniers de la modernité, c’est un fait mais pas une condamnation
à perpétuité. Apprenons à retrouver notre liberté sans pour autant jeter
toutes nos conserves par la fenêtre (cela polluerait et pourrait être
dangereux en appartement…).
Allons
plutôt découvrir à Argentan la ronde des topinambours, des scorsonères, des
pâtissons, des panais, ou encore du « haricot du Saint Sacrement » – une
création argentanaise ancestrale… Les plus grands chefs de la cuisine sont
présents, mois après mois, grâce au concours de Marc de Champérard, l’homme
du guide éponyme.
Sur le
modèle de l’Université Populaire de Caen, l’accès est libre, les cours sont
gratuits et sans inscriptions.
Il est
ainsi grand temps de redécouvrir les fameuses pommes d’or du jardin des
Hespérides, nul doute que la tâche sera moins difficile que pour Hercule, et
ce grâce à Michel Onfray et à toute son équipe !
Les Editions FREMEAUX
en coédition avec
France Culture et les Editions Grasset
restituent
l’intégralité des leçons
de contre-philosophie
de Michel Onfray
à
l’Université Populaire de Caen !
Vaste entreprise
éditoriale de longue haleine, cette collection de cours de philosophie de
Michel Onfray n’a pas son équivalent jusqu’alors en support Cd audio. Servi
par une présentation irréprochable, ce corpus monumental recense à ce jour 6
coffrets de la fameuse Contre-Histoire de la Philosophie, enseignée à Caen
dans le cadre de l’Université Populaire fondée par Michel Onfray depuis
2002. Ce sont ainsi 73 CD vendus à près de 300 000 exemplaires qui se
trouvent réunis à ce jour dans ces 6 coffrets ! A raison de quatre années
universitaires et d’une moyenne d’un cours par CD, il est facile d’imaginer
l’ampleur de la tâche déjà accomplie…
Cette Contre-Histoire
de la philosophie est présentée de manière chronologique, même si la pensée
de l’auteur dépasse largement ce cadre. Puisant ses sources chez les
philosophes « présocratiques » (Michel Onfray redéfinit lui-même l’étendue
de ces courants dans ses enseignements) où il trouve la quintessence d’un
hédonisme qui sera définitivement étouffé par les influences platonicienne,
chrétienne et de l’idéalisme allemand pendant de longs siècles.
Le phénomène de
l’Université Populaire fondée par le philosophe à Caen a fait du bruit, et
c’est un des intérêts de ces enregistrements, que de nous apporter un
témoignage passionnant sur cette indéniable réussite. Tout ceux qui ont eu
la chance de pouvoir écouter le philosophe dans l’amphithéâtre Tocqueville
de l’Université de Caen pourront témoigner de la richesse et de
l’intelligence du philosophe. Dépassant la notion même de vulgarisation,
inadaptée en l’espèce, ces enseignements amènent littéralement vers le haut
un grand nombre de personnes n’ayant pas (ou depuis longtemps) reçu
d’enseignement supérieur. Il faut voir avec quelle passion, sur des sujets
pourtant parfois arides, ses auditeurs libres apportent avec un plaisir
manifeste leur plan de cours imprimés par leurs soins à partir du site de
Michel Onfray, prennent des notes et arborent avec une joie certaine leurs
derniers livres cités dans les bibliographies élaborées chaque séance par le
philosophe.
Nous retrouvons cette
formidable aventure dans ces CD auxquels ils ne manquent que l’image, mais
la voix du pédagogue est tellement porteuse d’enseignements qu’elle se
suffit à elle-même.
Avec déjà quatre
années de cours enregistrés, nous partons de « l’archipel préchrétien »
comme le nomme joliment Onfray avec des philosophes souvent tombés dans la
trappe de l’histoire de la philosophie en raison de l’omniprésence de Platon
dans les sources parvenues jusqu’à nous. Nous découvrons les diverses faces
de l’hédonisme, invitant à notre intelligence des penseurs comme Diogène,
Epicure, Lucrèce… Michel Onfray laboure avec ardeur les terres sacrées du
christianisme en osant des analyses acidulées sur l’invention de Jésus
(intégristes s’abstenir…). Nous volons d’Erasme à Michel de Montaigne pour y
découvrir la naissance du corps moderne. Ceux qui ne connaîtraient pas
Pierre Charron ou Gassendi, personnages passionnants auxquels le philosophe
consacre de longs développements, seront rassurés avec des analyses
captivantes de Cyrano de Bergerac, invité inattendu mais ô combien justifié
à cette grande table d’hédonistes.
Le résultat est là,
une véritable réussite d’intelligence, de pédagogie sans démagogie, et
l’aventure n’est par près de prendre fin : L’auteur espère, en effet,
poursuivre cette édition avec un projet de parution de CD représentant à peu
près l’équivalent de ce qui est déjà paru... parce que Michel ONFRAY est un
infatigable philosophe !
Aux sceptiques, il en
est toujours, Il ne reste qu’une seule chose : prendre ces 6 coffrets avec
eux, écouter patiemment et réaliser qu’il est possible de parler de
philosophie de manière claire, limpide et savante à la fois.
LEXNEWS A ECOUTE POUR VOUS : La
Conférence
Michel ONFRAY : "Sur la musique de Friedrich Nietzsche"
Samedi 25 août à 20h30- Argentan.
Associer philosophie et musique classique
pour une conférence-concert à Argentan (Orne) – qui plus est un 25 août
– est un pari risqué…mais proposer d’associer philosophie et musique de
Friedrich NIETZSCHE, cela ne relevait plus du pari mais d’un véritable
défi !
Or,
ce fût une fois de plus un beau défi relevé avec virtuosité par le
philosophe Michel ONFRAY et le pianiste Patrick COHEN. A 20 heures 30
sous le chapiteau du site des Jardins dans la ville d’Argentan par une
soirée (enfin !) quasi-estivale, ce n’était pas 250 personnes qui
étaient au rendez-vous mais plus de 400 ! Curieux, mélomanes, passionnés
de philosophie, de Michel ONFRAY ou de Patrick COHEN, la soirée pouvait
commencer…Ce fût l’occasion pour certain de découvrir ce que pouvait
être philosophiquement parlant la musique, pour d’autres, de découvrir
la philosophie et Friedrich NIETZSCHE, et pour beaucoup de découvrir un
NIETZSCHE musicien et compositeur peu connu, mal connu et pourtant tout
aussi nietzschéen dans ce domaine !
Pour
ce faire, le Philosophe Michel ONFRAY offrît en première partie une
heure de conférence comme toujours claire et pédagogique avec un long
détour par Schopenhauer ; Inévitable détour pour appréhender la
transvaluation et les hauteurs de Friedrich NIETZSCHE et de sa musique
en ce 25 août, anniversaire de sa mort…un bel hommage !
Patrick COHEN prît la suite avec un même souci pédagogique et fît
découvrir à un public captivé les œuvres du philosophe : des lieder –
très joliment interprétés par une jeune voix – une mazurka, une
rhapsodie aux accents très lisztiens, un clair de lune sur la putza,
peut-être en hommage à celui qu’on surnommait à l’époque « putzi ».
Fallait-il entendre dans ces compositions tout ce qui caractérise
Friedrich NIETZSCHE ? Un romantisme prégnant, une fougue toute
lisztienne maîtrisée et qui insufflera la toute puissance wagnérienne,
tous ces mystères les plus étranges de ce phénomène nietzschéen qu’il
nommait lui-même « dionysiaque » ! A l’évidence beaucoup de Maestro
avaient été conviés à cette soirée anniversaire : Wagner bien sûr, mais
également Liszt, Chopin et même Schumann avec une délicate
interprétation de « L’enfant dort ». NIETZSCHE, philosophe et
musicien compositeur, finira la soirée avec un clin d’œil amusé en
voyant sa musique chantée et dansée avec respect par un jeune trio de
rappeurs ! Ce fûrent des applaudissements et des bravos…
Un
pari incontestablement réussi qui sied si bien au philosophe Michel
ONFRAY et qui ne peut que donner la tonalité pour une peut-être
prochaine Université Populaire de la musique !
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