Musée de l’Homme - «
Art et préhistoire »
exposition jusqu’au 22 mai 2023
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LEXNEWS |
31.01.23
par
Philippe-Emmanuel Krautter

Lorsque l’art rencontre la préhistoire, cela donne naissance à une
exposition au Musée de l’Homme de Paris didactique pour les plus grands et
ludique pour les plus petits. Le Museum national d’Histoire naturelle a,
en effet, choisi pour cette exposition un thème à la fois porteur et
toujours délicat tant les sources dont nous disposons ne nous permettent
pas encore de connaître la véritable intention des auteurs de ces premiers
artefacts que l’on range sous le vocable d’art.

Plaquette de La Marche - © MNHN - J.-C. Domenech
Qu’il s’agisse de ces
admirables statuettes qualifiées de Vénus par les premiers préhistoriens
aux formes souvent généreuses et explicites ou encore ces bois gravés de
toute sorte d’animaux formant l’environnement de ces femmes et hommes du
paléolithique, sans oublier les multiples représentations sur parois (art parétial) ou rocher (art rupestre), tout fait signe sans que nous soyons
les premiers destinataires de ces messages. |
C’est justement l’intérêt et la richesse d’un tel questionnement que de
nous forcer à imaginer les raisons pour lesquelles ces premiers artistes
ont souhaité léguer ces témoignages du passé. S’agit-il de fonctions
sacrées ?
Des premières émotions face à une conscience de la beauté ? Ou encore de
procédés pour communiquer entre individus et nature ? Si des réponses
certaines ne pourront, certes, être apportées par cette exposition, la
mise en confrontation de ces œuvres permettra de mieux se familiariser
avec elles et d’enrichir ainsi notre propre questionnement.

Squame du mammouth de la Madeleine © MNHN - J.-C. Domenech
Pour ce faire la première partie de l’exposition a été consacrée à l’art
mobilier en réunissant ce que l’homo sapiens a su façonner de plus beau
depuis 40 000 ans avec notamment l’emblématique Vénus de Lespugue rarement
exposée. La deuxième partie quant à elle s’attache à exposer les
fondamentaux de l’art pariétal et rupestre avec ces admirables œuvres
peintes ou sculptées en parfaite osmose avec leur environnement et que les
multiples dispositifs multimédias parviennent à restituer le temps d’une
projection, éphémère quant à elle…
Enfin, le parcours se conclut par un hommage à la fameuse Vénus qui a su
inspirer au fil des décennies nos contemporains sous la forme de
réinterprétations d’artistes stimulés par cette icône préhistorique.
À noter qu’à partir du 8 février, une quatrième partie sera ouverte avec
l’exposition d’œuvres de Pablo Picasso associées à la préhistoire dans le
cadre de la « Célébration Picasso 1973-2023 » pour le cinquantenaire de sa
disparition. |
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Guido Reni, « Le Divin » exposition au
Städel Museum
Francfort sur le Main
jusqu’au 5 mars 2023
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LEXNEWS |
19.01.23
par
Philippe-Emmanuel Krautter

Une ambitieuse exposition monographique consacrée au grand peintre du
baroque italien Guido Reni (1575-1642) vient d’ouvrir au Städel Museum de
Francfort, un peintre quelque peu injustement relégué à l’arrière-scène au
profit d’un certain…
Caravage, son contemporain. Pourtant, la fin du XVIe et la première moitié
du XVIe siècle italien allaient consacrer cet artiste célèbre dans
l’Europe entière ainsi qu’en témoigne cette belle exposition réalisée sous
le commissariat du Dr Bastian Eclercy (Head Italian, French, and Spanish
Paintings before 1800, Städel Museum) et d’Aleksandra Rentzsch (Assistant
Curator of Italian, French and Spanish paintings before 1800).

Guido Reni (1575–1642) Hippomenes and Atalanta, ca. 1615–18 Oil on canvas,
193 × 272 cm (later extended state 206 × 279 cm) Madrid, Museo Nacional
del Prado
Photo: Archivo Fotográfico Museo Nacional del Prado (José Baztán y Alberto
Otero)
Les plus grands mécènes tels le pape Paul V ou encore le duc de Mantoue se
sont, en effet, empressés de solliciter des commandes auprès de Guido Reni
avant qu’il ne tombe les siècles suivants quelque peu dans l’oubli. Pour
réparer cette infortune, le parcours de l’exposition a retenu pas moins de
130 œuvres du maître italien né et mort à Bologne. |
La part réservée à ses œuvres d’inspiration
religieuse retient particulièrement l’attention avec notamment son
émouvant Christ à la colonne dont le clair-obscur souligne avec une rare
intériorité le contraste entre le corps physique supplicié et la dimension
divine endurant l’épreuve ultime pour le rachat de l’humanité.

Guido Reni (1575–1642)
Assumption of the Virgin, ca. 1598/99
Oil on copper, 58 x 44,4 cm
Frankfurt, Städel Museum
Photo: Städel Museum
Guido Reni émeut et fascine par sa manière de rendre la dimension divine
dans chacun de ses traits, influençant ainsi de manière déterminante les
arts sacrés de son époque ainsi que l’exprime encore ce visage du Christ
couronné d’épines tournant son regard douloureux vers son Père… Mais,
Guido Reni se veut également peintre de la mythologie, ce qu’il réussit à
merveille comme le démontre également les somptueuses représentations de
Bacchus et d’Ariane en une déclinaison de couleurs audacieuses, saumon,
vert d’eau, jaune or sur fond bleu.
L’exposition du Städel Museum, à seulement quelques heures de Paris,
offrira au visiteur encore bien d’autres et belles découvertes !

Catalogue (en allemand ou en anglais) Guido Reni The Divine Ed. Bastian
Eclercy, text(s) by Maria Aresin, Babette Bohn, Aoife Brady, Sybille
Ebert-Schifferer, Bastian Eclercy 2022. 320 pp., 285 ills. Hardcover,
23.00 x 28.00 cm, Hatje Cantz éditions. |
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KIMONO
Exposition Musée du quai Branly-Jacques Chirac
jusqu'au 28 mai 2023
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LEXNEWS |
13.11.22
par Sylvie Génot Molinaro

Le kimono est le vêtement japonais le plus connu sur la planète et
certainement le plus décliné dans le monde de la mode. Il traverse les
cultures en s’adaptant à chaque fois sous les doigts des plus grands
créateurs depuis l’ère Edo (apogée de ces déclinaisons) jusqu’à
aujourd’hui. Ce vêtement traditionnel et raffiné de la culture japonaise
se laisse contempler avec une approche esthétique et historique nouvelle,
au musée du quai Branly Jacques Chirac. Découvrir l’histoire fascinante de
ce vêtement iconique, c’est se laisser happer par le froissement des
tissus, des soies de qualité, des broderies sublimes, des accessoires qui
lui sont attribués, des codes sociaux dont il est le reflet du plus simple
(paysans, pêcheurs) au plus somptueux (militaires, geishas, prostituées,
courtisanes, acteurs de Kabuki, riches marchands jusqu’aux plus hautes
marches du pouvoir). Les yeux sont ravis par tant de beauté, de détails,
de délicatesse, du mystère de son assemblage (animation 3D du montage d’un
kimono) aux mystères cachés sous les différentes couches des sur-kimonos.
Apparu pour la première fois au XIIIe siècle, le mot kimono le terme
d’origine « kosode » qui désignait dans l’ancien Japon un vêtement aux
manches tubulaires et aux emmanchures étroites, par opposition au « osode
» un vêtement aux manches larges.
C’est sa forme épurée et géométrique en T qui sied tant aux femmes qu’aux
hommes ne soulignant rien de l’anatomie des genres comme en Occident où le
vêtement doit souligner les formes des corps, qui séduit les esprits.
C’est certainement à l’ère Edo que la créativité autour du kimono a été la
plus remarquable, grâce au développement extraordinaire de l’art du
textile qui a permis la création de motifs remarquables et complexes sous
l’influence d’acteurs et courtisanes célèbres, créateurs de tendances. |
Émerge alors une classe de marchands de plus en plus aisés qui réclament
des modèles symboles de leur richesse et de celle de leur clientèle et du
raffinement pour cette haute classe sociale avide de briller aux yeux de
tous. Couleurs, motifs, nombre de kimono et sur-kimono portés évoluent à
travers les siècles constituant ainsi un code visuel très fort sur son
propriétaire, la saison (différentes déclinaisons de motifs de végétaux ou
fleurs) et autres scènes d’épopées guerrières ou de la vie quotidienne, de
rituels et festivités ( mariage, deuil, premier kimono…)
À l’ère Meiji, la tendance privilégie une élégance plus discrète, alors
qu’après la Seconde guerre mondiale, le port du kimono laisse la place au
costume plus occidental et codifié jusqu’à ce que de jeunes créateurs
contemporains se réapproprient ce vêtement et redonnent, comme à l’ère
Edo, l’influence cette fois-ci planétaire, du kimono. L’ouverture du Japon
à l’Occident sous l’époque Meiji (1868/1912) va favoriser l’éclosion d’un
courant artistique dans toute l’Europe. À cette époque de nombreux
collectionneurs font l’acquisition d’estampes d’Hokusai et d’Hiroshige, à
l’image de Monet, et l’on notera alors leur influence sur le mouvement
impressionniste.

©Outer-kimono
for a woman (uchikake), probably Kyoto, 1860-80 (© Victoria and Albert
Museum, London)
Si dans son histoire le kimono incarne toujours aux yeux de tous une
certaine forme de tradition immuable, et une forme d’érotisme à peine
dévoilé, le kimono, explique Bérénice Geoffroy-Schneider, historienne
d’art, n’a jamais cessé de refléter les mutations sociologiques et
économiques de son pays d’origine. Au point de devenir, dès l’aube du XXe
siècle, un habit résolument moderne. On en veut pour preuve la dernière
partie de l’exposition consacrée aux créateurs et couturiers contemporains
qui déclinent et actualisent ce vêtement et ses codes en créant des
passerelles entre les différentes cultures tout autour de la planète et
inscrivant ainsi le kimono dans l’histoire depuis le XIIIe siècle jusqu’à
aujourd’hui. |
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« Dessins bolonais
du XVIe siècle dans les collections du Louvre »
jusqu’au 16 janvier 2023
Musée du Louvre
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LEXNEWS |
12.01.23
par
Philippe-Emmanuel Krautter

Exposition intimiste que celle consacrée aux « dessins bolonais du XVIe
siècle dans les collections du Louvre » conçue par Roberta Serra,
commissaire et ingénieur d’études au département des Arts graphiques du
musée du Louvre ; une collection riche et de qualité dont une belle
sélection se trouve ainsi accrochée le temps d’une exposition, ces œuvres
fragiles et délicates ne pouvant être exposées en permanence. Aussi
faudra-t-il profiter de cet exceptionnel accrochage pour apprécier et
admirer leur beauté et de leurs infimes détails témoignant de l’art et
dextérité de ces artistes du XVIe siècle à Bologne.

Orazio Samacchini, La Présentation au Temple
©Musée du Louvre dist. RMN Grand Palais_Laurent Chastel |
En une présentation concentrée mais néanmoins complète de quarante-quatre
feuilles, l’exposition parvient en effet à retracer l’évolution de l’art
du dessin bolonais au XVIe siècle, une période riche en artistes et en
œuvres de qualité.
Parallèlement à la parution du tome XII de l’Inventaire général des
dessins italiens consacré à ce siècle, le parcours distingue trois
périodes caractérisant les œuvres présentées. Des dessins qui raviront non
seulement les spécialistes et autres amateurs de cette période cruciale
pour le dessin, mais de manière générale pour les amoureux des beaux-arts
qui devraient goûter au bonheur de ces feuilles esquissées sous les doigts
d’artistes prestigieux du Cinquecento tels Francesco Francia,
Peregrino, da Cesena, Marcantonio Raimondi ou Amico Aspertini.
Miniatures enchantées, ombres et lumières saisies à l’envol, chaque œuvre
constitue un univers en soi qu’il appartiendra à chaque visiteur de
s’approprier le temps de la visite. Raffinements et élégance conduiront
certains artistes à de véritables décors que l’on retrouvera parallèlement
dans des chefs-d’œuvre d’orfèvrerie, les deux arts entretenant quelques
proches affinités.

Amico Aspertini, Hommes et chevaux embarqués sur le Danube, copie d'après
la colonne Trajane ©RMN Grand Palais Musée du Louvre_Thierry Le Mage
D’autres artistes moins connus, Innocenzo da Imola, Bagnacavallo, Biagio
Pupini ou encore Girolamo da Treviso, jettent les fondements d’un style
nouveau empreint de culture classique et largement influencé par le grand
Raphaël.
Le parcours réservera encore de belles découvertes avec ces feuilles
remarquables de Pellegrino Tibaldi, Prospero Fontana, Lorenzo Sabatini ou
encore Orazio Sammachini, des artistes qui chacun à leur manière
contribueront à la force et au prestige du dessin bolonais au XVIe siècle
ainsi qu’en témoigne cette très belle et intimiste exposition.
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Ca'd'Oro, chefs-d'oeuvre de la Renaissance
à Venise
Hôtel de la Marine, Paris
jusqu’au 26 mars 2023
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LEXNEWS |
08.01.23
par
Philippe-Emmanuel Krautter

La lagune vénitienne scintille au cœur de l’Hôtel de la Marine, place de
la Concorde, avec l’exposition Ca d’Oro organisée par la Collection Al
Thani. Les ors de la Sérénissime se sont
en effet invités le temps d’une exposition dans la capitale parisienne
alors que le magnifique Palazzo doit faire l’objet d’une restauration. En
un écho commun de l’élément marin, une sélection des plus beaux trésors de
la Renaissance a ainsi fait tout spécialement le voyage dans cet écrin
unique qu’offre aujourd’hui l’Hôtel de la Marine récemment restauré. Il
n’est en effet un secret pour personne que Venise a bâti sa notoriété et
sa richesse grâce à sa position stratégique et sa maîtrise des voies
commerciales. Cette prééminence lui a ainsi permis d’avoir très tôt accès
aux routes majeures maritimes et devenir un carrefour commercial
incontournable dès le XIVe siècle. Cette mainmise s’accompagnera de
richesses innombrables dont la cité regorgera dans ses palais rivalisant
tous de splendeur.

L’exemple du Palazzo Ca d’Oro illustre parfaitement cette hégémonie
marchande, et la présente exposition accueillie par la Collection Al
Thaini à l’Hôtel de la Marine en témoigne de la plus belle manière. Grâce
à un prêt exceptionnel de la Galleria Giorgio Franchetti alla Ca’ D’Oro en
cours de restauration, le public parisien peut aujourd’hui découvrir une
sélection représentative de ces splendeurs. On doit en effet au baron
Giorgio Franchetti (1865-1922), généreux mécène, d’avoir sauvé de la
perdition la Maison d’Or (Ca’ signifiant en vénitien Maison)… L’un des
plus prestigieux palais était en effet au XIXe siècle en ruines et
menaçait de disparaître à jamais sans l’intervention du collectionneur.
Éclatants témoins de la richesse de sa collection, les pièces rassemblées
pour l’exposition rivalisent de virtuosité au cœur même d’une scénographie
des plus réussies. Les chefs d’œuvre retenus offrent en effet un éventail
représentatif déployant l’étendue des arts de la Renaissance italienne –
et plus spécifiquement vénitienne. Gentile Bellini, Paris Bordon, Andrea
Mantegna, Andrea Riccio sont quelques un des artistes prestigieux dont les
œuvres éclairent le parcours de cette exposition invitant fort à propos
les arts de la sculpture, de la monnaie, sans oublier d’admirables
peintures du Tintoret, Titien et Paris Bordon… |
« Ca' d'Oro - Chefs-d'œuvre de la
Renaissance à Venise » de Claudia Cremonini, Philippe Malgouyres ;
Catalogue d'exposition, Éditions du Patrimoine, 2022.

A l’occasion de l’exposition Ca d’Oro à l’Hôtel de la Marine à Paris, les
éditions du Patrimoine ont eu l’heureuse initiative de faire paraître un
catalogue remarquable servant d’écrin à l’une des plus prestigieuses
collections de Venise. Nous faisant entrer de plain-pied au cœur du
Palazzo et de ses richesses innombrables, ce livre d’art accompagne non
seulement l’exposition installée jusqu’en mars 2023 au cœur de Paris, mais
en prolonge idéalement la visite en proposant au lecteur des analyses et
regards croisés sur cette Renaissance italienne centrée sur la
Sérénissime.

Décoré en page de garde d’une inspirante reproduction dorée de l’Apollon
du Belvédère du sculpteur Pier Jacopo Alari dit l’Antico, cet ouvrage à la
riche iconographie rend témoignage de cette beauté omniprésente de cette
collection unique livrée dans un cadre qui ne l’est pas moins…

Ces reflets d’une grandeur passée qui dura près d’une dizaine de siècles
avant de sombrer dans la crise économique au XIXe siècle et la dispersion
de ses précieux trésors éclairent chacune des pages de l’ouvrage dont la
première partie retrace l’histoire du Palazzo Ca d’Oro depuis le XVe
siècle. La seconde partie présente quant à elle les œuvres des plus grands
artistes vénitiens. Avec ce catalogue et ouvrage d’art, Claudia Cremonini
et Philippe Malgouyres parviennent à entretenir la magie et la splendeur
de Venise, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites.
Commissaire de l'exposition Philippe Malgouyres, conservateur en chef du
patrimoine du département des Arts décoratifs du musée du Louvre. |
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« Femme(s) ! »
exposition Maurice Denis
jusqu’au 2 juil. 2023.
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LEXNEWS |
04.12.22
par
Philippe-Emmanuel Krautter

En découvrant la dernière exposition organisée par le musée Maurice Denis
à Saint-Germain-en-Laye, le visiteur découvrira un univers feutré où la
dimension féminine s’avère omniprésente, non seulement dans le quotidien
de l’artiste mais y compris au cœur de sa création artistique dont son
épouse Marthe sera l’épicentre.
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Fort de ce constat, le musée a conçu un accrochage à la fois intimiste et
ouvert aux muses du peintre, que ces dernières appartiennent au cercle
direct de sa famille ou de son atelier. considéraient la présence
des femmes et la manière de rendre leur beauté, leurs émotions et traits
de caractère.
À partir d’œuvres appartenant aux collections du musée, pour certaines
bien connues comme le fameux portrait de « Madame Ranson au chat » réalisé
vers 1882 par Maurice Denis associant étroitement influences japonaises et
symbolisme, ou d’autres rarement exposées, le musée Maurice Denis convie
le visiteur à découvrir la manière dont l’artiste et ses contemporains
La foi n’est jamais éloignée d’une certaine part d’hédonisme chez le «
Nabi aux belles icônes » ainsi que l’avaient surnommé ses compagnons,
faisant tour à tour alterner influences extrêmes orientales, renaissances
ou encore mythologiques.

Artistes femmes élèves de Maurice Denis telles Madeleine Dines ou Raymonde
Heudebert et modèles alternent ainsi dans les œuvres retenues pour ce
parcours intimiste qui dévoile une partie de l’univers de Maurice Denis
dans le cadre toujours aussi inspirant du Prieuré récemment restauré et
qui a vu naître une grande part de sa création. |
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Monet – Mitchell
Fondation Louis Vuitton Paris
jusqu’au 27.02.23
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LEXNEWS |
04.12.22
par
Philippe-Emmanuel Krautter

C’est à un véritable et splendide dialogue auquel nous convie
l’incontournable exposition de la Fondation Louis Vuitton - Paris cet
automne-hiver en proposant une mise en rapport des œuvres de Claude Monet
et de l’artiste américaine Joan Mitchell. Si Monet n’est plus à présenter,
l’œuvre de Mitchell, bien connue des spécialistes, commence à être mieux
appréciée ces dernières années et l’exposition à la Fondation Louis
Vuitton réalisée sous le commissariat de Suzanne Pagé, Marianne Mathieu,
et Angeline Scherf devrait asseoir définitivement une réputation
justifiée.
Loin des parcours souvent artificiels confrontant des oeuvres en une même
exposition, le choix opéré ici relève d’un véritable entrelacs de
significations entre deux artistes mus par une même émotion à la lumière
et à la matière dans leur laboratoire respectif de l’ouest de l’Ile de
France. Si les regards divergent et se distinguent, Monet se fondant
littéralement avec le végétal et l’aquatique sublimés par des compositions
monumentales dont ses célèbres nymphéas, Mitchell entretient quant à elle
un lien plus combatif et émotionnel correspondant à sa personnalité en
quête de sens et d’introspection. Cette femme, artiste, ayant à combattre
pour faire reconnaître la place authentique de son art, n’eut en effet pas
un parcours toujours facile et les nombreuses blessures qu’elle eut à
connaître se laissent percevoir dans ses monumentales toiles réunies pour
l’exposition. Mais les deux artistes se rejoignent sur cette attraction
fatale de la lumière diffractée au gré des œuvres, cette irréparable perte
du réalisme conventionnel au profit d’une autre perception – certes
subjective – mais non moins présente du rapport à la nature et aux choses
par les multiples filtres de la couleur et de la lumière.

Joan Mitchell. South, 1989
© The Estate of Joan Mitchell
Le dialogue se trouve plus fertile encore entre les deux artistes grâce à
la très heureuse scénographie pensée et épurée réalisée par l’agence Bodin
& Associés, notamment cette deuxième salle du parcours avec ce jeu de
paravent à deux tableaux de Monet ouvrant par une trouée sur une œuvre en
miroir de Mitchell en contre-fond. Mémoires des sentiments pour Mitchell
projetés au sens propre et psychanalytique du terme, hypnotisme extatique
des éléments pour Monet repensés sur la toile, telles sont les émotions à
fleur de toiles qui sont proposées aux bienheureux visiteurs de cette
incontournable exposition Monet Mitchell de la Fondation Louis Vuitton
marquant cet automne – hiver 2022… |
« Monet Mitchell », Catalogue de l’exposition Fondation Louis Vuitton –
Paris ; 27 x 30 mm, 240 pages, Editions Hazan, 2022.

À l’évènement exceptionnel que représente l’exposition Monet Mitchell à la
fondation Louis Vuitton, il fallait assurément un catalogue à la hauteur
des deux artistes réunis ; Aussi, les éditions Hazan ont-ils décidé
d’inonder le lecteur de lumières et de matières avec cette publication
incontournable. Son format généreux (27 x 30 cm) parvient en effet dès les
premières pages – sans oublier sa couverture inspirée – à immerger le
lecteur dans cet univers unique restitué le temps d’une exposition et
donné à voir dans ces quelques 240 pages.
Ce sont deux expériences de la vie et de la nature qui se dessinent en
effet immédiatement avec ces photographies inspirantes de Monet à Giverny,
et de Mitchell à Vétheuil à quelques vols d’oiseaux de là. À la frontière
des Yvelines et de la Normandie, les cieux se reflètent sur les ondes
irisées des reflets des plantes aquatiques plantées par le maître et dont
les nymphéas sont les plus célèbres ambassadeurs. Joan Mitchell quant à
elle est en quête de ses racines en ces terres européennes.

Le catalogue réalisé sous la direction de Suzanne Pagé, Marianne Mathieu
et Angeline Scherf, convie le lecteur à cette expérience unique du prisme
de la lumière par la couleur en deux expériences à la fois distinctes et
se rejoignant dans leur traitement sublimé de l’abstraction.
Les différents essais réunis approfondissent avec justesse ces multiples
rapports évoluant au fil de la chronologie des deux artistes entre ces
matières, lumière et couleurs, jetant au gré des œuvres de nouveaux
paradigmes acquis de ce XXe siècle décidément fondateur. Servi par une
iconographie remarquable faisant entrer littéralement le lecteur dans
l’atelier de ces deux peintres et appuyé par des textes de qualité
permettant de mieux saisir l’originalité de leur démarche respective, ce
catalogue accompagnera idéalement le visiteur avant ou après la visite de
cette exposition qui se tient jusqu’en février 2023 à la Fondation Louis
Vuitton. |
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BLACK INDIANS de la
Nouvelle-Orléans
Musée du quai Branly Jacques Chirac
Exposition jusqu’au 15 janvier 2023
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LEXNEWS |
13.11.22
par Sylvie Génot Molinaro

C’est dans une ambiance de fête et de musiques de fanfares que défilent
les groupes des Black Indians de la Nouvelle-Orléans, dans leur incroyable
costume tout de plumes et de perles mais d’autres aussi forment les
cortèges, les institutions caritatives appelées Social Aid and Pleasure
Clubs et les fanfares des Second Lines comme les Baby Doll et les Skull
and Bone Gang…
Attention, ne pas se tromper car cette exposition haute en couleur relate
toute l’histoire moins joyeuse et festive qu’ont subie les Africains et
les communautés amérindiennes autochtones de La Nouvelle-Orléans et de la
Louisiane, réduites elles aussi à l’esclavage, vivant dans les plantations
et sous le joug de la même servitude que leurs frères de souffrances venus
d’Afrique. Ce pan de l’histoire esclavagiste et ségrégationniste de cette
région a duré des siècles depuis l’arrivée des colons en 1642 (René-Robert
Cavelier de La Salle sous couvert et pour le compte de Louis XIV), des
Français, des Espagnols, des Canadiens…
Cette histoire commune a laissé des traces pour ces deux peuples ayant
partagé le même sort. Le parcours de l’exposition évoque ainsi à travers
les différentes sections ce qui s’est joué sur ces terres de Louisiane et
de la Nouvelle-Orléans depuis l’arrivée des premiers colons jusqu’à
aujourd’hui (l’ouragan Katrina et après son passage.) Les visiteurs sont
témoins de cette histoire violente illustrée par différents objets,
maquettes de bateaux négriers, cartes, livres de commerce, archives,
costumes traditionnels amérindiens, armes, coiffes, graphiques de dates et
d’expéditions de colonisation des territoires et de déportations des
populations et autres documents audio qui ne laissent pas insensibles
quant aux conditions de vie et de travaux forcés des esclaves africains et
amérindiens jusqu’au « Code noir » (recueil de lois et de règles
auxquelles étaient soumis les esclaves noirs des colonies françaises ainsi
que leurs maîtres par ordonnance royale de 1685 mis en place en Louisiane
en 1724) dont un exemplaire est exposé. |
Triste capacité du genre humain à détruire son semblable… Mais tous ne se
laisseront pas faire comme les indiens Natchez qui lutteront jusqu’en 1731
avant la déportation vers Saint-Domingue des derniers représentants. Les
siècles suivants entraîneront les Noirs à subir tous les revers et les
terribles dérives du destin de la Louisiane (de l’esclavagisme aux lois
ségrégationnistes, la fin de l’esclavage, la guerre de Sécession en 1865,
la création du KKK et encore aujourd’hui les crises économiques et
sociales). Puis viendront les temps de la lutte pour les droits civiques
et l’organisation des communautés noires et amérindiennes dans de nombreux
quartiers de groupes d’entraide, leurs rassemblements étant l’occasion
d’évènements festifs autour de la musique et de la danse jusqu’aux «
funérailles jazz » accompagnant les défunts en musique jusqu’au cimetière.
La solidarité devient une façon de vivre en Louisiane. C’est en 1916 que
le premier groupe Africain-Américain « le Zulu » défilera en fanfare au
sein du carnaval dont les migrants européens avaient en 1872 codifié le
Mardi gras de La Nouvelle-Orléans.

Entre défi et mélanges culturels et, par-delà, la résilience de ces
peuples, les symboles historiques vont révéler à travers ces éblouissants
costumes un hommage aux Amérindiens et aux esclaves africains. Le Mardi
gras Indians est une explosion de couleurs ! Chaque tenue correspond à une
place dans la hiérarchie des tribus de Black Maskins Indians (celle des
Chiefs). Plumes aux couleurs éclatantes, véritables œuvres d’art réalisées
avec les milliers de perles de verre, de rubans, sequins qui composent ces
costumes renouvelés chaque année et donnant lieu parfois à des
compétitions. Ceux exposés dans la dernière partie de l’exposition datent
de 2006 car la plupart ont été détruits lors du passage de l’ouragan
Katrina. Il faut alors se pencher sur toutes les scènes historiques
emperlées sur les plastrons recto et verso des costumes et ressentir à
quel point les destins africains et amérindiens sont mêlés dans l’histoire
de la Louisiane. Symboles des couleurs, des thèmes, des formes, des
attitudes, des pas de danse et des mélodies jazzy inventées en 1900 par un
cornettiste Buddy Bolden, figure légendaire et mal connue, disparu en 1907
qui révolutionnera les rythmes en mêlant ceux de l’Afrique et de la
Caraïbe, musique devenue universelle dans toutes ses déclinaisons.
Une exposition didactique sur une région longtemps convoitée et partagée. |
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Exposition Louis XV, Passions d’un roi
Château de Versailles
jusqu'au 19 février 2023
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LEXNEWS |
13.11.22
par
Philippe-Emmanuel Krautter

Il fallait le tricentenaire d’un sacre pour rendre cet hommage mérité à
l’une des grandes figures royales emblématiques du château de Versailles.
C’est chose faite avec cette exposition didactique consacrée aux passions
du monarque Louis XV dévoilant les multiples facettes d’un homme souvent
méconnu derrière des clichés convenus. C’est en effet autour de la
personne même du roi que se concentre le riche parcours conçu par les
commissaires de cette exposition explorant les différents visages de ces «
deux corps du roi » théorisé par l’historien Ernst Kantorowicz. Sa
dimension humaine, tout d’abord, transparaît de manière éclatante, lui qui
tout jeune enfant vit sa jeunesse entourée de deuils et funérailles de sa
royale famille. L’arrière-petit-fils de Louis XIV souhaitait, en effet,
oublier le violet qui obsédait son quotidien marqué par ces trop
nombreuses disparitions, d’où son goût pour la lumière, la profusion des
couleurs éclatantes et de l’art rocaille.

L’homme est réservé, préférant la compagnie d’un nombre restreint de
personnes retenues pour leur bonne compagnie et discrétion. Louis XV a la
réputation de compter parmi les plus beaux hommes du royaume et les
courtisanes ne manqueront pas dans son entourage. Mais au-delà des clichés
trop souvent réducteurs laissés par la Révolution et les siècles suivants,
Louis XV ne compte pas parmi ces libertins frivoles mus uniquement par le
jeu et les plaisirs, même si le monarque goûtait plus que quiconque les
divertissements de la chasse. Il fait preuve d’un goût immodéré pour les
sciences, les lettres et les arts ainsi qu’en témoignent également les
nombreuses pièces exceptionnelles réunies pour cette exposition telle
l’exceptionnelle pendule astronomique Passemant tout spécialement
restaurée pour l’évènement, une complication unique prévoyant le
calendrier jusqu’en 9999…

Le corps mystique du monarque – parallèlement à son corps physique – est
également évoqué au cours de cette exposition avec la dimension sacrée de
Louis XV qui à l’image de son auguste aïeul vouait un profond respect pour
les questions religieuses.
Au terme de cette riche déambulation dans l’intimité de ce monarque du
XVIIIe siècle, avant dernier roi de l’Ancien Régime, le visiteur aura le
sentiment de mieux connaître cette personnalité complexe, à la fois
mélancolique et rayonnante, réservée et dont les arts flamboyants
inonderont d’éclats un siècle de lumières… |
« Louis XV – Passions d’un roi » sous la
direction de Yves Carlier et Hélène Delalex, Editions inFine, 2022.

Véritable somme accompagnant l’exposition éponyme se
déroulant actuellement au château de Versailles, le catalogue « Louis XV –
Passions d’un roi » paru aux éditions InFine ouvre littéralement les
portes de l’intimité de ce monarque appelé « Le bien aimé » et petit fils
de Louis XIV. Près de 500 pages et 458 illustrations parviennent en effet
pour la première fois à rendre cet univers longtemps resté secret et que
cet ouvrage partage sous la direction de Yves Carlier, Conservateur
général du patrimoine, musée national des Châteaux de Versailles et de
Trianon, et Hélène Delalex, également Conservatrice du patrimoine, musée
national des Châteaux de Versailles et de Trianon.

À l’image de l’exposition qu’il accompagne, ce fort volume embrasse –
ainsi que le suggère son titre, les multiples passions d’un roi né et mort
à Versailles qui fut souvent présenté de manière superficielle, se
rangeant derrière des généralités et idées préconçues que ces pages
écartent définitivement.
Louis XV apparaît certes comme un personnage mélancolique, préférant la
compagnie restreinte de fidèles aux fastes de la Cour. Épris des arts
comme de la chasse, Louis XV est cependant curieux de tout ainsi qu’en
témoignent les magnifiques pièces d’horlogeries présentées et autres
objets scientifiques précieux.

L’homme « privé » dans toutes ses dimensions fait
ainsi l’objet, dans la première partie, d’études détaillées qui
permettront au lecteur attentif de mieux connaître non seulement
l’entourage du roi mais également son intériorité notamment en matière
religieuse. Les deux chapitres suivants consacrés aux goûts et passions du
roi ainsi qu’aux arts offrent certainement les développements les plus
fastueux puisque ces pages abondamment illustrées ouvrent au lecteur les
portes des bibliothèques royales, des cabinets, mais aussi les créations
de style rocaille commandées tout spécialement pour lui, Louis XV.
Au terme de catalogue, la personnalité de ce grand monarque que fut Louis
XV semblera moins hiératique et distante, ce qui ne sera pas le moindre
mérite de cet ouvrage passionnant !
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La Flottille
Château de Versailles
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C’est un air d’été indien qui règne sur Versailles en cette journée
d’automne, un été qui tarde agréablement à s’estomper et dont les nombreux
visiteurs du domaine royal goûtent les bienfaits tout au long du Grand
Canal. Ce dernier, majestueux, mène en effet à l’une des institutions des
lieux, le restaurant La Flottille, véritable étendard de la générosité et
du bon goût versaillais. Entre maison tout droit héritée de l’époque de
Marcel Proust qui aimait à arpenter les jardins avoisinants et brasserie
aux multiples facettes, La Flottille enchante depuis des générations
Versaillais et touristes internationaux.

Que l’on goûte aux plaisirs des jeux de miroirs sur l’onde à partir de
l’agréable terrasse bordant le canal, que l’on s’abrite à l’ombre des
tilleuls servant d’écrin à l’ancienne bâtisse ou encore que l’on leur
préfère les salles éclatantes de lumière filtrée par les vastes verrières
des salons intérieurs, chaque expérience passée à La Flottille sera
synonyme d’heures gourmandes et précieuses. Précieuses car toujours sous
le signe de cette générosité qui préside à l’accueil dès le seuil franchi
avec Frédéric, son aimable directeur, et toute son équipe qui n’aura qu’un
seul objectif : faire de chaque instant passé en ce lieu idyllique une
invitation au rêve et à l’évasion. |
Chaque détail soigné des assiettes de La Flottille convie l’hôte du
restaurant au plaisir d’une cuisine franche et généreuse, telle cette
sélection de saumon fumé avec sa crème et toasts grillés accompagnée d’un
fin Chablis Dampt-Frères vieilles vignes 2020. Service prévenant,
assiettes copieuses, La Flottille cultive l’art de la gastronomie
traditionnelle française avec des plats du jour choisis comme ces
brochettes de rougets et Saint-Jacques, riz sauvage et crème. Le fish &
chips affiche des pommes frites maison redoutablement croustillantes et un
poisson parfaitement pané pour une dégustation informelle, mais également
très gourmande. Sans oublier, les généreux Burgers maison, végétarien ou
non, très demandés et appréciés !

Alors que le soleil invite à déambuler dans les multiples labyrinthes du
jardin royal, nous resterons encore quelques instants à la Flottille pour
y déguster l’une de ses spécialités, la fameuse tarte Tatin et sa crème
fraîche, une recette fondante et parfaite, couronnant ces instants
plaisirs passés à l’une des belles et agréables adresses de la ville
royale !
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Parc du Château de Versailles, 78000 Versailles,
France
Tel : + 33 (0)1 39 51 41 58
https://laflottille.fr
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«
L’arc et le sabre. Imaginaire guerrier du
Japon »
Musée Guimet jusqu’au 29 août 2022.
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LEXNEWS |
01.07.22
par
Philippe-Emmanuel Krautter

L’image archétypale du samouraï en occident se réduit très souvent à des
approximations réductrices du guerrier sans peur, souvent associé à tort
aux non moins fameux kamikazes, se faisant « hara-kiri » au lieu et place
du terme approprié « seppuku »… L’actuelle exposition qui se tient au
musée Guimet fait la démonstration que l’imaginaire du guerrier médiéval
japonais s’avère beaucoup plus complexe et structuré qu’il n’y paraît.

En effet, à l’image de nombreux arts japonais, la guerre est considérée
comme un art martial et fait l’objet d’un code, le fameux Bushido pour
lequel ces guerriers redoutables que l’on nommait samouraï étaient prêts à
laisser leur vie.
C’est cet univers complexe et toujours difficile à saisir pour
l’occidental que les commissaires Sophie Makariou, présidente du MNAAG, et
Vincent Lefèvre, directeur de la conservation et des collections du MNAAG,
ont exploré en une exposition à la fois accessible et bénéficiant d’un
nombre important d’estampes remarquables dont le fameux cycle des 47
rônins. |
Armes antiques présentées avec le fameux katana, ou sabre japonais,
composé de tsubas, ces derniers éléments constituant la garde de la
poignée du sabre faisant l’objet des décorations les plus raffinées, sans
oublier les poignards courts ou tanto…

Avec cette exposition, « L’arc et le sabre », le musée Guimet parvient à
exposer cet « Imaginaire guerrier » de la société japonaise souvent mal
connu et pourtant présent jusqu’à l’ouverture Meiji.

Clin d’œil en guise de conclusion humoristique, le parcours réserve en
effet quelques vitrines au legs de la culture samouraï avec le manga et le
cinéma s’emparant de ce phénomène et ayant donné lieu à des films passés à
la postérité ainsi qu’à des personnages tel Goldorak, très lointain parent
de l’austère samouraï…
L’arc et le sabre. Imaginaire guerrier du Japon, coédition MNAAG /
RMN-GP 120 pages, 65 illustrations. |
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Musée de
Cluny
Musée national du Moyen Âge - Paris
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LEXNEWS |
08.06.22
par
Philippe-Emmanuel Krautter
Après onze année de travaux et rénovations, le musée de Cluny a enfin
ré-ouvert ses portes le 12 mai dernier. Outre le nettoyage de la chapelle,
le musée offre aujourd’hui à ses visiteurs une nouvelle muséographie
entièrement revue et repensée.

Plus accessible aux personnes à mobilité réduite avec une mise à niveau
unifiée, le parcours se veut également bien plus lisible avec une
présentation avant tout chronologique de près de 1 600 œuvres
sélectionnées et présentées selon une rotation inévitable pour les plus
fragiles.

Surtout, ce chantier d’envergure a été l’occasion de nombreuses
restaurations (près de 500 œuvres) accompagnées de passionnantes
découvertes révélant tout l’attrait et le formidable savoir-faire du Moyen
Âge. |

Abandonnant un cheminement conçu il y a plus d’un demi-siècle à partir des
techniques et métiers du Moyen Âge au profit d’une évolution chronologique
au fil des siècles qui ont marqué la riche histoire du royaume, le musée
de Cluny offre ainsi un autre regard sur ses collections médiévales, plus
« parlantes » et surtout plus enchantées que naguère.

L’esthète comme le féru d’art, sans oublier l’amoureux des arts sacrés
trouveront leur bonheur dans ce musée répondant à l’esprit contemporain
avec une plus grande visibilité et lisibilité des œuvres. Qu’il s’agisse
des fameuses statues des Apôtres commandées par saint Louis pour les
croisades ou de la non moins célèbre tenture de chœur de la cathédrale
Notre-Dame d’Auxerre, aujourd’hui entièrement déployée dans une même
salle, les plus beaux trésors du musée de Cluny ont désormais trouvé un
écrin de choix pour un voyage passionnant dans le temps aux origines de
notre société. |
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Giorgio
Vasari - Le Livre des dessins.
Destinées d’une collection mythique
Exposition musée du Louvre jusqu’au 18
juillet 2022
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LEXNEWS |
21.05.22
par
Philippe-Emmanuel Krautter

Dans le cadre intimiste de la Rotonde Sully, les commissaires Louis Frank,
musée du Louvre, et Carina Fryklund, Nationalmuseum de Stockholm, ont
conçu une exposition captivante consacrée à la fabuleuse collection de
dessins réunis par le célèbre et incontournable artiste et écrivain
italien Giorgio Vasari au XVIe siècle dans le non moins célèbre Livre des
dessins. Véritable icône de ce que l’art de la Renaissance pouvait réunir
de mieux en terme de dessin, ce Libro de’ disegni est paradoxalement
devenu légendaire au fil de son dispersement. Aussi est-ce à rebours que
les commissaires de cette exposition ont fait choix de partir sur cette «
piste » Vasari, une enquête bien plus complexe qu’il n’y paraît et qui
témoigne s’il en était besoin de la richesse de cette époque.

Marco del Moro, Diane et Endymion
Si nous avons gardé trace de l’ouvrage jusqu’au 29 juin 1574, soit deux
jours après la mort de Vasari, lorsqu’il fut remis par ses héritiers au
grand-duc de Toscane, le Libro disparaît cependant par la suite… Dès lors,
chaque siècle suivant connaîtra ces collectionneurs devenus plus ou moins
célèbres persuadés d’avoir retrouvé ces dessins légendaires, et la manière
dont ils avaient pu être montés, créant ainsi un archétype Vasari, plus
trompeur qu’il n’y paraît. |
Par-delà ces subtilités qui occupent les historiens de l’art, la présente
exposition offre une enquête détaillée sur le fondateur de l’histoire de
l’art moderne et artiste lui-même.
La recherche actuelle semble ainsi se diriger vers une position beaucoup
plus nuancée quant à ces encadrements somptueux et recherchés faits à la
plume et à l’encre brune où ornements, allégories et architectures
entourent le dessin ainsi mis en valeur. Longtemps considérés comme une
signature pour ou par Vasari, l’enquête démontre que ces certitudes ne
sont pas aussi assurées qu’il n’y paraît. Le visiteur pourra ainsi passer
d’un dessin à l’autre en opérant cette double lecture passionnante entre
dessins signés par les plus grands artistes de l’époque et ces profusions
architecturées où volutes et coquilles se disputent la prééminence,
véritable basse continue pour chaque œuvre.

Attribué à Léonard de Vinci,
Sept études de têtes saint Jean Baptiste enfant
Cette collection mythique convoquée le temps d’une exposition permettra
ainsi de s’immerger avec un rare plaisir dans ces miniatures
extraordinaires signées Léonard de Vinci, Uccello, Lippi, Mantegna,
Raphaël, Parmigianino et bien d’autres maîtres de la Renaissance que l’on
pourra retrouver et admirer tout à loisir dans le très complet catalogue
accompagnant l’exposition : « Giorgio
Vasari - le Livre des dessins » sous la direction de L. Frank et de C.
Fryklund, 240 p., 130 ill. coédition musée du Louvre éditions / Lienart,
2022.
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« Boldini, les plaisirs et les jours »
jusqu’au 24 juillet 2022. Petit Palais,
Paris.
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LEXNEWS |
15.04.22
par
Philippe-Emmanuel Krautter

Le Petit Palais rend hommage au peintre italien Giovanni Boldini
(1842-1931) avec cette rétrospective complète consacrée à l’un des plus
fins observateurs de la société au tournant des XIXe s. et XXe s. Souvent
réduit à ses portraits mondains, Boldini démontre avec ce parcours des
plus esthétiques conçu par Servane Dargnies de Vitry et Barbara Guidi
qu’il sut imprimer à son art plus qu’une simple évocation des « Plaisirs
et des jours », titre de cette exposition.
Artiste à part entière, son destin aurait pu être tout autre s’il avait
suivi le mouvement des Macchiaioli, ces « tachistes » qui avaient jeté
leur dévolu sur les peintures d’extérieur et de paysage. Mais Boldini leur
préfère les intérieurs feutrés où sa palette peut à loisir saisir cette
fluidité des mouvements et ce bruissement des soieries qui lui vaudront
rapidement une notoriété incontestée dans la capitale parisienne où il
s’installe en 1871. Dans cette ville qui se pare de lumières, il saura en
effet rapidement s’inspirer de l’esprit qui anime la vie moderne avec ses
omnibus, ses multiples terrasses de café, sans oublier les concerts que ce
mélomane averti se plait à évoquer également sur ses toiles.

Boldini, Scène de fête au Moulin-Rouge, vers 1889, huile sur toile, Paris,
musée d’Orsay, accepté par l’État à titre de dation, 2010 © Musée d’Orsay,
Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Ses portraits intimes et officiels constitueront l’apothéose de son style,
à la fois réussite éclatante et peut-être également limite de son art.
Boldini n’hésitera pas en effet à reproduire à l’envi une recette qui lui
réussit manifestement, cet homme sachant comme aucun autre exalter ses
modèles à la mode. Qu’il s’agisse de l’incontournable Comtesse de
Greffulhe ayant inspiré à Marcel Proust la non moins célèbre duchesse de
Germantes dans la Recherche, ou encore du truculent comte Robert de
Montesquiou, personnage phare de la société parisienne de son temps, sans
oublier la sulfureuse marquise Luisa Casati, exquise dans ses tenues les
plus extravagantes, Boldini magnifie tout cet univers tendu vers
l’élégance et le raffinement.

La marchesa Luisa Casati con penne di pavone
La mondanité de ce tournant de siècle a ainsi trouvé son peintre et
Boldini, ambassadeur du bon goût de son temps, déclinera avec une frénésie
surprenante toutes les facettes de cette société feutrée qui s’abîme de
fête en fête jusqu’à en perdre le sens. C’est cette nostalgie, un brin
désillusionnée, qui transparaît parfois au terme de ce riche parcours,
l’art de Boldini pouvant laisser poindre en ses tableaux intimes la vanité
de cet univers. Modernité et lucidité peuvent alors surgir de sa toile en
d’étonnants élans qui pourront faire regretter que Boldini n’ait pas
consacré plus de temps à en explorer les pans suggérés…
Une exposition soyeuse et raffinée à découvrir absolument dans le cadre
plus qu’approprié du Petit Palais ! |
« Boldini. Les plaisirs et les jours » -
Catalogue d'exposition, 256 pages / 240 illustrations, Éditions Paris
Musées, 2022.

Il fallait à l’exposition du Petit Palais consacrée
au peintre Giovanni Boldini un catalogue à la hauteur et aux couleurs de
l’artiste italien. C’est chose faite avec la présente publication dirigée
par Barbara Guidi et Servane Dargnies de Vitry. Dès les premières pages,
de superbes illustrations des œuvres emblématiques du peintre de la
mondanité de la Belle Époque égayent cette monographie sur ce peintre à la
fois célèbre et méconnu.

Giovanni Boldini, Conversation au café, 1879, huile sur bois © Francesca
Dini Archive, Florence
Et justement, tout l’intérêt de cette publication – et de l’exposition qui
l’accompagne – est de nous faire entrer dans l’intimité de cet artiste
plus secret qu’il n’y paraît et cultivant un monde intérieur complexe que
ne le livrent ses toiles les plus radieuses.

Giovanni Boldini, Feu d'artifice, 1892-1895
©
Ferrare, Museo Giovanni Boldini
Francesca Dini rappelle que c’est à la source de la peinture italienne et
du courant des macchiaioli que ce jeune artiste a forgé ses pinceaux, une
voie importante dont il se démarquera cependant en découvrant Paris, la
Ville lumière. Philippe Thiébaut et Robert Jensen évoquent dans leur
contribution ses débuts puis sa consécration dans la capitale française où
tout ce qui compte de notoriétés cherchera à être portraituré par cet
artiste des élégances. Mais nous découvrons également dans cet ouvrage,
l’homme privé, plus secret et qui n’hésitera pas à livrer des vues
d’intérieur moins connues de l’artiste et qu’analyse Maria Luisa Pacelli.
Benedetta Craveri et Marion Lagrange explorent enfin dans le détail ce que
Boldini a pu laisser comme témoignage de ces temps de l’élégance et de la
mondanité, à la manière d’un autre génie, son contemporain, Marcel Proust,
avec sa plume. |
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À LA RENCONTRE DU
PETIT PRINCE
Exposition au MAD (Musée des Arts Décoratifs)
jusqu’au 26 juin 2022
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LEXNEWS |
10.04.22
par
Sylvie Génot Molinaro

« Le Petit Prince »…, presque toute la planète a lu à un moment ou un
autre ce livre écrit par Antoine de Saint-Exupéry. Presque tous les
adultes ont offert ce livre si délicatement illustré à un enfant, croyant
à un conte écrit pour eux. Traduit dans plus de 500 langues ou dialectes,
ce phénomène mondial de l’édition se vend à cinq millions d’exemplaires
chaque année, quel auteur ne rêverait pas d’un tel succès…

Le petit prince dans la roseraie (© Editions Gallimard)
Et pourtant du haut de sa planète, le Petit Prince est-il vraiment une
histoire pour enfant ? Cette interrogation ne sera sans doute jamais
tranchée, enfants comme adultes se retrouveront dans la force de son
propos, sa beauté poétique et les dessins ou images qu’il incarne
réveillant en chacun la part d’éternité des premières années de l’enfance
comme l’illustre Antoine de Saint-Exupéry en dessinant la frontière entre
l’enfance et l’âge adulte via le dialogue entre le Petit Prince et le
pilote. Ce texte, commandé par les éditeurs américains d’Antoine de
Saint-Exupéry est écrit entre 1941 et 1943 à New York, en plein conflit
mondial, n’est pas un conte de fées. C’est pourquoi le MAD propose aux
visiteurs nostalgiques de leur lecture d’enfant de se plonger dans la
genèse de l’écriture du texte même, montrant à quel point il est imprégné
de la vie de son auteur.
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Au fil d’un parcours de huit séquences, le fil de l’histoire d’Antoine de
Saint-Exupéry laisse voir tout ce qui a pu nourrir son dernier texte,
comme-ci ce Petit Prince annonçait le testament littéraire de son auteur.
« Il ne faut pas écrire de conte de fées, j’écrirai un conte sur l’avion.
» Après le succès de son premier roman « Courrier Sud » et des suivants, «
Vol de nuit », « Terre des Hommes », « Pilote de Guerre », ou « Citadelle
», Antoine de Saint-Exupéry, en exil et en mauvaise santé, ne se sent plus
assez actif et il est à noter comme cet homme sans cesse en mouvement
contraste avec le calme apparent du Petit Prince. Il n’y a pas que le
manuscrit du Petit Prince que donne à voir la scénographie de ce parcours,
mais également les multiples lettres écrites par Antoine à sa mère, sa
femme, ses amis, elles sont toutes accompagnées de dessins incroyables où
on perçoit une recherche graphique pour inventer des personnages et créer
un mode plus fantasque, plus imaginaire.

Antoine de Saint-Exupéry chez Silvia Hamilton, 1942.
(© Coll. Succession Saint-Exupéry-d’Agay )
C’est, intrigués par tous ces dessins, que les éditeurs demandant à
Antoine de Saint-Exupéry de réfléchir à l’écriture de ce « conte ». Les
feuillets du manuscrit du Petit Prince, qui sont conservés à la Morgan
Library & Museum de New York, sont présentés pour la première fois en
France, enrichis d’esquisses inédites, de dessins préparatoires et
d’aquarelles originales, comme de nombreux indices qui mènent à une autre
lecture de notre livre d’enfance qui depuis la mort d’Antoine de
Saint-Exupéry, quelques semaines après la parution de son livre aux
États-Unis en 1943, laisse ce Petit Prince orphelin et unique ambassadeur
de ce dernier message humaniste qu’Antoine de Saint-Exupéry laisse à
l’humanité. |
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Exposition Les trois
Pietà de Michel-Ange
Florence - Museo dell' Opera del Duomo
jusqu'au 1er août 2022
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Interview Mgr Timothy Verdon 08/03/22

Le Museo dell’ Opera del Duomo de Florence confronte pour la première
fois l’original de la Pietà Bandini récemment restaurée aux deux moulages
de la Pietà Vaticana de Saint-Pierre et de la Pietà Rondanini dont les
originaux sont restés respectivement à Rome et à Milan. Ces œuvres
ont-elles été déjà réunies du vivant de Michel-Ange ? Et de quand datent
ces moulages ?
Mgr Timothy Verdon : "Les trois Pietà de Michel-Ange n’ont jamais
été vues ensemble du vivant de l’artiste. Celle de Saint-Pierre, la Pietà
Vaticana, était déjà à sa place avant la fin du XVe siècle, alors que
Michel-Ange n’avait encore que vingt-cinq ans. Les deux autres Pietà - la
Pietà Bandini de Florence et la Pietà Rondanini de Milan, appartiennent à
la vieillesse du maître, c’est à dire aux années 1550-60.
Mais, les moulages que le Vatican nous a prêtés datent, quant à eux, des
XIXe et XXe siècles ; celui de la Pietà Rondanini de Milan remonte aux
alentours de 1875 et celui de la Pietà Vaticana, a été réalisé un siècle
plus tard, en 1975, après l’acte de vandalisme perpétué en 1972. Le
moulage de 1975 a été, par ailleurs, fait non à partir de l’oeuvre
originale, mais d’un précédent moulage remontant à la Seconde Guerre
mondiale".
Une évolution caractérise ces Pietà dans l’œuvre du célèbre sculpteur
florentin, quels traits essentiels ressortent de l’art du maître pour ces
sculptures ? Et quelles évolutions quant à la spiritualité de l’artiste
peuvent être perçues dans ces trois œuvres au regard de la spiritualité de
son temps ?
Mgr Timothy Verdon : "L’évolution stylistique que l’on perçoit en
confrontant les trois versions du thème de la Pietà débute par l’art du
jeune artiste encore marqué par l’esprit du XVe siècle - avec cette
attention portée aux détails de Ghirlandaio, la douceur botticellienne, la
complexité dans les drapés de Verrocchio.

Moulage de la Pietà Vaticana
Avec les années, une tendance à l’épuration et à la simplification se
manifeste, alors même que le maniérisme s’imposait en cette moitié du XVIe
s. Il est possible de noter toutes ces différences entre une surface
parfaitement polie de la sculpture et l’infini quasi impressionniste du
dernier Michel-Ange, ce que l’on note d’ailleurs également chez Le Titien
âgé.
L’évolution interprétative quant à elle est également importante. D’une
lecture sentimentale mais conventionnelle du thème de la Pietà dans sa
jeunesse, l’artiste est passé à une recherche profondément personnelle
avec les dernières versions - la Pietà Bandini de Florence et la Pietà
Rondanini de Milan, qui s’inscrivent presque dans l’esprit ignatien de la
Contre Réforme romaine". |
Comment expliquer les différents
personnages tenant le corps du Christ ?
Mgr Timothy Verdon : "Le sujet de la Pietà est classiquement
composé de deux personnages: Marie et Jésus, la mère et son fils. C’est
une sorte de revisitation de la Vierge à l’Enfant, mais au moment de la
mort, et non de la Nativité, de la douleur et non de la joie. C’est
pleinement le sens de la Pietà Vaticana de Saint-Pierre.

Pietà Bandini - Florence
Pour la Pietà de Florence, la Pietà Bandini, la première des deux versions
de ce thème réalisées par un Michel-Ange déjà âgé, l’artiste se substitue
à la Vierge avec le personnage de Nicodème supportant le corps du
Crucifié. En fait, le visage même de Nicodème se trouve être
l’autoportrait de Michel-Ange… Marie est à notre droite, Marie Madeleine à
gauche, mais les deux principaux personnages sont représentés par le
Seigneur et l’artiste. Michel-Ange, croyant et déjà âgé, fait « naitre »
de son corps de vieillard le corps jeune mais mort de ce Jésus auquel il
s’adressait dans ses sonnets composés durant les mêmes années. Cette Pietà
de Florence est vraiment une Déposition, dans laquelle le drame de
l’événement est concentré à partir de Michel-Ange.

Moulage Pietà Rondanini - Milan
Avec, enfin, la Pietà Rondanini de Milan - dernière oeuvre de sa vie, à
laquelle il a continué à travailler quasiment jusqu’à son dernier jour –
Michel-Ange opère un retour au schéma traditionnel de la mère avec son
fils, mais en une composition renouvelée. Marie n’est plus assise avec
Jésus sur ses genoux, mais tous deux sont debout, la mère soutenant le
corps sans vie de son fils devant son ventre, comme si elle lui donnait
vie une dernière fois".

La notion de non finito semble importante dans le travail des
sculptures de Michel-Ange. Loin d’être un arrêt ou un inachèvement
involontaire, cette interruption voulue de la réalisation de l’œuvre ne
conduit-elle pas à la notion d’infini, ainsi que vous le soulignez pour
l’art de la renaissance ?
Mgr Timothy Verdon : "Dans ses dernières Pietà, la Pietà Bandini de
Florence et la Pietà Rondanini de Milan, Michel-Ange abandonne la
conception conventionnelle de la Pietà Vaticana de Saint-Pierre au profit
d’une recherche d’un sens tout aussi bien personnel qu’universel du sujet.
C’est cette recherche intérieure, il me semble, qui le fait abandonner
aussi ce goût renaissance pour la perfection de la surface et de la
définition des formes au profit d’un langage plus libre, « en devenir »,
ouvert à plusieurs solutions possibles. Le « non finito », ici,
devient en effet « infinito », infini dans ses multiples
implications. Michel-Ange délaisse cette prétention à tenter de « définir
» le rapport central de l’histoire du monde, entre Dieu qui s’est fait
homme et l’être humain qui, par la mort du Christ, connaît l’Amour divin". |
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Guido Reni a Roma - Il Sacro e la Natura
Galleria Borghese
jusqu’au 22 mai 2022 |

La Galleria Borghese réserve au grand maître italien du XVIIe siècle,
Guido Reni, une exposition à l’occasion de la redécouverte d’un tableau
Danza campestre (daté vers 1605) entré dans les collections du musée
depuis un an. Ce tableau qui appartenait naguère au grand collectionneur,
le cardinal Scipione Borghese, avait été dispersé avec d’autres œuvres au
XIXe siècle, pour finalement réapparaître en 2008 comme un tableau d’un
Bolognais anonyme. Racheté en 2020, cette toile représente avec un charme
bucolique certain une danse champêtre sur un ciel nuageux d’une rare
délicatesse. Cette actualité a ainsi inspiré aux commissaires de
l’exposition un parcours évoquant la place du peintre à Rome au XVIIe
siècle à partir de plus de 30 œuvres réunies et retraçant notamment sa
relation au sujet champêtre et à la peinture de paysage, une dimension
jusqu’alors négligée.

Les premières années de Guido Reni à Rome seront pour lui l’occasion
d’affermir son art auprès des antiques et des maîtres incontournables de
la Renaissance. |
Son
profond respect et admiration pour Le Caravage qu’il connut marquera
également de manière sensible l’art de Guido Reni. Mais avant de souligner
cette dimension plus méconnue de l’artiste, le parcours s’ouvre dans le
grand hall d’entrée sur 4 retables majestueux de Guido Reni, des œuvres
témoignant de la force expressive de l’artiste dans ces représentations de
thèmes classiques tels cette Crucifixion de saint Pierre, le Martyre de
Sainte Catherine, une Trinité avec la Madone de Loreto ou encore le
Martyre de Sainte Cécile.

Les salles suivantes retracent la place occupée par les peintures romaines
de Reni avec des œuvres d’une rare intensité telle cette évocation du
Massacre des Innocents dont certains traits ne seront pas sans évoquer
l’influence du Caravage. La présence de couleurs contrastant avec la
pénombre, les mouvements suggérés et à peine stoppés par le pinceau
saisissent le spectateur pour leur force narrative.
C’est à l’étage, enfin, que le paysage s’immisce progressivement dans les
toiles de Guido Reni et révèle la place occupée par la nature à Rome avec
cette première décennie du XVIIe siècle. Ce sera l’occasion d’admirer la
toute dernière acquisition du maître, mais aussi des œuvres de Niccolò
dell'Abate, Agostino Carraci, Paul Bril, Carlo Saraceni, sans oublier des
peintres bolonais tel Francesco Albani et ces paysages peints pour
Scipione Borghese dans lesquels abondent avec luxuriance déesses et
nymphes en un décor où la nature se fait complice des passions…
Cette remarquable exposition se trouve complétée par un catalogue
publié aux éditions Marsilio avec des études passionnantes de Daniele
Benati, Raffaella Morselli et Maria Cristina Terzaghi sur l’œuvre de Guido
Reni et la réinterprétation de son travail notamment quant au paysage et à
la nature. |
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« Louis Chéron -
L'ambition du dessin parfait »
Musée des Beaux-Arts de Caen du 4 décembre
2021 au 6 mars 2022.
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Le musée des Beaux-Arts de Caen lève enfin le voile sur un artiste méconnu
Louis Chéron (1655-1725), un peintre et surtout un dessinateur hors pair
dont la destinée biographique a quelque peu occulté l’aura. C’est la
première fois qu’une rétrospective entière lui est consacrée, à ce titre
nous devons saluer cette initiative que nous devons à l’historien de l’art
François Marandet, Commissariat scientifique et à Emmanuelle Delapierre,
directrice du musée. Cette redécouverte sous la forme d’une belle
exposition retrace selon un parcours chronologique le destin bouleversé de
l’artiste entre la France, l’Italie et l’Angleterre où il passera le reste
de sa vie, exilé.
À partir d’une sélection d’une soixantaine (à vérifier) d’œuvres faisant
alterner dessins et rares peintures conservées de lui, le parcours
souligne, dès les premières œuvres, la qualité exceptionnelle du dessin de
Louis Chéron qui quitta la France en 1683 étant inquiété pour ses
convictions religieuses protestantes à l’époque même de la Révocation de
l’Édit de Nantes.

Les premiers espaces de l’exposition font ainsi la démonstration de la
sûreté du trait de Louis Chéron dans le plus pur style classique français.
Celui que l’on avait qualifié de « suiveur de Charles Le Brun » ne put
malheureusement voir son talent reconnu par le Royaume. |
Et c’est en Angleterre qu’il développera, pendant le reste de sa vie,
toutes les facettes de son art sous la forme d’études académiques, dessins
d’invention et vastes projets de décors peints pour lesquels il offrira
des études d’une rare précision. Son goût pour le trait, la finesse de ses
détails forcent l’admiration et l’on se prête à rêver d’un tel talent au
service de la cour de Versailles… Toujours est-il que c’est à Londres
qu’il occupera une place essentielle dans la scène artistique, ce qui
explique notamment sa méconnaissance, l’artiste ayant réalisé très peu de
tableaux de chevet au profit de décors peints de grande ampleur. Ainsi que
le soulignent les commissaires de l’exposition, à la fois prolifique et
précurseur Chéron vécut entre deux pays et deux siècles, raisons probables
de son relatif oubli. Nous réalisons cependant en déambulant dans
l’agréable parcours combien cet artiste annonce les décennies à venir,
ayant notamment créé dans son pays d’adoption, à Londres, une école d’art
introduisant notamment le nu féminin d’après modèle vivant qui influencera
des artistes majeurs tel William Hogarth.

À noter à l’occasion de l’exposition la publication du remarquable
catalogue réalisé par François Marandet consacré à Louis Chéron et dont le
titre « L’ambition du dessin parfait » souligne le trait majeur qui
caractérisera tout le parcours haut en couleur de l’artiste. Le catalogue
rappelle l’importance de sa formation en Italie, une formation éclairée
par l’exemple de Raphaël et le contact avec les plus grands maîtres lors
de ses séjours à Rome et à Venise. Après un retour à Paris, ce sera l’exil
définitif pour Londres et le temps des grands décors peints, dont beaucoup
ont malheureusement disparu mais rendant les rares témoignages restant de
ses grands décors précieux. L’ouvrage met surtout en évidence le legs
laissé par Chéron quant à cette quête éternelle du trait qui l’anima toute
sa vie, une énergie et une force qui étonnèrent ses contemporains et
raviront à n’en pas douter nos contemporains. |
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Exposition Inferno - Jean
Clair
Scuderie del Quirinale Roma
jusqu'au 23 janvier 2022 |

2021 a célébré le 700e anniversaire de la mort du poète Dante, une date
anniversaire marquée par une exposition exceptionnelle prolongée jusqu’au
23 janvier 2022 et installée dans les anciennes écuries du palais du
Quirinal à Rome sous la direction de l’académicien et historien de l’art
Jean Clair (lire
notre interview) et de son épouse Laura Bossi, historienne et
neurologue.
C’est sous l’angle de l’enfer et de notre fascination pour le mal qu’a été
conçue cette exposition fleuve réunissant des chefs-d’œuvre des plus
grands musées du monde ainsi que de collections privées. Mais, comment
représenter ? Pas moins de 235 œuvres et documents se chargent de répondre
à cette question essentielle en plein cœur de la Ville Éternelle et à
quelques pas seulement de la cité du Vatican…

Pieter Huys Inferno, 1570, olio su tavola
Madrid, Museo Nacional del Prado, Inv. P002095
© Photographic Archive. Museo Nacional del Prado. Madrid
La fascination pour le mal s’est exercée depuis l’aube des temps,
association paradoxale de répulsion et d’attraction, plus ou moins
accentuée selon les époques et les individus. Cet effroi/attirance absente
d’autres notions voisines tel le paradis ou le purgatoire trouve son acmé
bien entendu avec l’enfer, ainsi que l’a démontré avec virtuosité le poète
Dante. Les artistes de manière générale ont eux aussi largement exploré
cette thématique comme en témoigne cette exposition bénéficiant d’une
scénographie sous la forme d’un itinéraire en dix sections.

Sandro Botticelli (Firenze, 1444/45-1510)
La Divina Commedia: la voragine infernale 1481-1488
Punta d'argento e inchiostro su pergamena
Città del Vaticano, Biblioteca
Apostolica Vaticana, inv. Reginense
Lat. 1896, pt. A, f. 101r
© Biblioteca Apostolica Vaticana, Città del Vaticano
À la manière du poète dans sa Divine Comédie, ces dix cercles se chargent
d’accompagner le visiteur dans les tréfonds du mal et de notre rapport à
lui.
Jean Clair fort de sa riche expérience en tant qu’ancien directeur du
musée Picasso à Paris et cofondateur du Centre Pompidou sans oublier les
nombreuses expositions qu’il a créées sur le thème de la mélancolie et du
mal déploie ainsi un éventail impressionnant de l'Inferno.
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A travers les multiples représentations des enfers livrées par le Moyen
Âge jusqu’aux récentes œuvres d’art décrivant nos enfers plus
contemporains, ce sombre parcours offrira cependant un brin d’espoir à
l’issue dont on réservera la surprise aux visiteurs !

Cette histoire des représentations du mal par des peintres illustres tels
Bosch et Brueghel, se poursuit chez les romantiques ou encore les peintres
pompiers du XIXe siècle. L’exposition s’écarte souvent du plan établi par
le poète toscan pour explorer nos enfers terrestres, posant ainsi la
question des frontières entre l’enfer considéré sous l’angle de la foi et
de la transcendance et nos enfers quotidiens.

William Adolphe Bouguereau
Dante e Virgilio 1850 olio su tela
Parigi, Musée d'Orsay, acuis par
dation en 2010, Inv. 153692
© 2021.RMN-Grand Palais
L’exposition romaine ose ainsi reparler de notions souvent oubliées du
diable et de ses manifestations sous la forme des multiples holocaustes,
guerres et autres dévastations sur les deux niveaux de la Scuderie. Le
visiteur pourra déambuler dans ces multiples cercles allant du plâtre
complet des Portes de l’Enfer de Rodin tout spécialement dépêché à Rome
pour l’exposition aux œuvres d’Anselm Kieffer en passant par Gustave Doré,
William Bougereau, Goya, Otto Dix, Paul Richer… Ce riche parcours
accompagnera longtemps le visiteur après avoir franchi le seuil de
l’exposition en un contraste saisissant entre profondeurs de la noirceur
et beautés de la Ville Éternelle l’attendant à la sortie !

À l’occasion de l’exposition, les éditions Electa publient un
impressionnant catalogue à la mesure de la thématique retenue avec ses 480
pages reprenant le thème de l’Inferno et le développant par de nombreuses
contributions passionnantes sous la direction de Jean Clair et de Laura
Bossi. Suivant le fil directeur suggéré par le chant le plus connu du
grand poète Dante, ce catalogue richement illustré d’une iconographie
soignée relate le destin fécond de ces œuvres d’art du Moyen Âge à nos
jours. Métaphore de la souffrance humaine, l’enfer est ainsi entendu en un
sens plus large s’étendant à tous les maux connus sur terre. Terreurs,
effrois, beauté sinistre, tourments et déraisons se laissent ainsi
observés dans ce catalogue remarquable, faisant écho à l’exposition qu’il
complètera de manière idéale.
Emanuele Gozzi |
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LES ANIMAUX DU ROI
Château de Versailles jusqu’au 13 février 2022 |

« Peut-on imaginer aujourd’hui le château de Versailles et ses jardins
regorgeant de vie animale ? Et pourtant les animaux de compagnie se
comptaient par dizaines dans le château où chiens, chats, oiseaux…
vivaient dans les appartements et les antichambres. La Ménagerie,
aujourd’hui disparue, abritait les animaux les plus rares, du coati au
couagga, du casoar à la grue couronnée. Dans le parc, le gibier était
abondant, 2000 chevaux étaient rattachés aux écuries royales et 300 chiens
de chasse logeaient dans le grand chenil. Les animaux apparaissaient aussi
partout dans les décors du château et des jardins, où ils sont représentés
pour leur symbolique mythologique ou politique. »

Difficile effectivement d’imaginer de nos jours un tel Versailles avec
toute cette faune en quasi liberté ! Et pourtant cette exposition révèle
la place importante occupée par les animaux à la cour du Roi Soleil.
Peintures, sculptures, fontaines, tapisseries, objets d’orfèvrerie,
meubles, porcelaines, vélins, près de 300 œuvres scénographiées par
Guicciardini & Magni Architetti. Un défilé d’ambiances et de thèmes variés
conçus par les deux commissaires de cet événement, Alexandre Maral,
conservateur général au château en charge notamment des sculptures, et
Nicolas Milovanovic, conservateur en chef du musée du Louvre département
des peintures françaises du XVIIe siècle. Tout commence par un jeu, un
labyrinthe, l’un des bosquets le plus fascinant du parc, avec ses 39
fontaines de plomb polychromes illustrant les Fables d’Ésope. |
Sur les 35 animaux actuellement conservés, une vingtaine apparait entre
treillages et recoins reconstitués, le tout dédié aux belles lettres et à
l’esprit. On regrette presque que ce bosquet ait disparu sous Louis XVI. À
la ménagerie édifiée entre 1662 et 1664 sur le domaine du château, au
milieu d’une grande réserve de chasse, le Roi accueillait des animaux
rares et pacifiques venus de pays lointains et favorisa un nouveau rapport
au monde animal s’opposant à la théorie cartésienne des animaux-machines.
C’est à cette époque, grâce aux observations et publications de Claude
Perrault, de la princesse Palatine ou encore de Claude-Adrien Helvétius et
Charles Georges Leroy, garde des chasses de Versailles, et auteur des
Lettres sur les animaux, que les précurseurs de l’éthologie développèrent,
en effet, un autre rapport à l’animal.

S’ils surprenaient les visiteurs tout en marquant le prestige du Roi
lui-même comme le lion animal devenu animal royal à cette époque,
détrônant l’ours, tous ces animaux ont été sujets d’études et de peintures
pour les artistes de la cour tels Pieter Boel ou Jean-Baptiste Oudry, des
artistes ayant favorisé l’émergence d’une école française de peinture
animalière au XVIIe siècle. Outre les animaux de prestige comme ces deux
éléphants qui ont vécu quelques années à Versailles (l’un deux originaire
du Congo fut offert par le futur roi du Portugal en 1668 et fut disséqué à
sa mort en présence du Roi, une large place était accordée aux animaux de
compagnie, chats, chiens et oiseaux de toutes sortes. Le chien fidèle
compagnon des rois et indispensable à la pratique de la chasse comme les
centaines de chevaux présents à Versailles ou à Marly, apparaissent, bien
sûr, prédominants dans les peintures et tapisseries présentées. Mais
au-dessus de tous, le cheval demeure l’animal qui symbolisa toute la
grandeur et la puissance du roi, et toutes ses représentations mettent en
scène cette magnificence.
C’est tout un pan de l’histoire du château et de ses habitants que l’on
découvre ainsi dans les salles pour le plus grand plaisir des visiteurs,
petits et grands, en déambulant dans les espaces consacrés aux joies
d’être entourés d’animaux.
Animations, conférences, visites guidées, catalogue en coédition Château
de Versailles/Liénart et livres permettront d’approfondir les
connaissances sur cette exposition.
Sylvie Génot Molinaro |
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ALGUES MARINES
Palais de la Porte Doré
exposition jusqu’au 4 septembre 2022 |

Méconnues ou mal perçues, les algues marines sont pourtant déjà très
présentes dans notre vie quotidienne. C’est ce que confirme l’introduction
de l’espace consacré à cette nouvelle exposition du Palais de la Porte
Dorée, mettant en avant , dans une cuisine type, tous les produits que
nous pouvons consommer dans lesquels des algues font partie des
ingrédients de fabrication. Agar-agar, pâtes alimentaires, algues pour
maki, compléments alimentaires riches en iode en gélules, produits
biologiques, thé ou bière parfumée aux algues… dans nos produits
cosmétiques et de soins et jusque dans les mangeoires de notre bétail. Les
algues sont donc partout.
Au 6e siècle av. J.-C. les hommes utilisaient déjà les algues en Asie. Au
cours de l’histoire, les usages de ces végétaux ont été très différents
selon les lieux. Les algues comme aliment quasi divin au Japon, dernier
recours en cas de disette en Europe du Nord ou encore ingrédient essentiel
pour la fabrication du verre dès le 16e siècle. Mais connait-on vraiment
ces grandes algues marines ? Les vertes, les brunes et les rouges ? Quel
rôle jouent-elles dans la chaîne biologique ?
Comme les plantes terrestres, elles participent par la photosynthèse à la
production d’oxygène, elles sont un indicateur fiable de l’état écologique
de nos milieux et bien que cachées, elles protègent nos côtes des tempêtes
en formant de véritables forêts et nurseries sous-marines où peuvent se
développer faune et flore locales. Il est donc important de découvrir et
de comprendre le rôle essentiel que les algues jouent, depuis des millions
d’années, pour l’équilibre de la vie sur notre planète, à commencer par le
maintien de la biodiversité dans les mers et océans en captant le gaz
carbonique de l’atmosphère. |
Mais, comme de nombreux écosystèmes, elles sont aujourd’hui menacées par
l’activité humaine. Leur poids économique est grand puisque les algues se
retrouvent dans de nombreux produits de notre quotidien. Aussi, les
chercheurs étudient-ils toutes les possibilités d’utiliser ces végétaux
qui regorgent de possibilités infinies tant sur le plan alimentaire que
médical ou en alguoculture raisonnée. Pour cela, il faut inventorier
partout sur la planète toutes les espèces d’algues et leur rôle de
protection géographique des côtes ; les algues bretonnes, par exemple, ne
vont pas se développer autour de l’île de la Réunion. Elles ont un rôle de
stabilisateur dans les écosystèmes locaux comme sur l’équilibre du climat.

Il est donc urgent de les protéger car même si depuis 1683 des
scientifiques ou botanistes de renom tels René Antoine Ferchault de
Réaumur,Jean Vincent Félix Lamouroux, Anna Atkins ou encore Kathleen Mary
Drew-Baker y ont consacré leurs études, les moyens technologiques actuels
performants permettent de mieux mettre en valeur les qualités et bénéfices
de ces plantes et de les utiliser dans la pharmacopée, l’agriculture,
l’élevage ou en médecine préventive.
L’industrie s’intéresse aujourd’hui fortement au pouvoir des algues
jusqu’aux dernières expérimentations de biocarburants à partir des laisses
de mer, détritus naturels rejetés par les marées. Il faut une réelle
volonté politique environnementale, estiment les chercheurs pour que soit
exploitée cette ressource naturelle sans la surexploiter. Alors les algues
sauveront-elles l’humanité ? Elles suscitent en tous cas bien des espoirs.
Tout en apprenant, tout en s’amusant, cette exposition aussi didactique
que plaisante est à voir en famille jusqu’au 4 septembre 2022.
Sylvie Génot Molinaro |
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Maurice Denis - Bonheur rêvé
jusqu'au 29 mai 2022
Musée Départemental Maurice Denis |

L’œuvre du peintre Maurice Denis (1870-1943) ne saurait pleinement
s’apprécier sans la découverte du cadre de vie dans lequel l’artiste
déploya son art une grande partie de sa vie. C’est désormais possible
depuis la réouverture du musée Maurice Denis au Prieuré de
Saint-Germain-en-Laye où Maurice Denis vécut de 1914 jusqu’à sa mort.
C’est en 1980 que cet ancien Hôpital général royal érigé sous Louis XIV
devint le musée Maurice Denis grâce au Département des Yvelines, un havre
de paix et de beauté qui vient de faire l’objet d’importants travaux de
restauration. « Le Nabi aux belles icônes », ainsi qu’il fut surnommé, sut
en ces murs pousser jusqu’aux limites son art d’associer couleurs et
formes en une sublimation initiée par les Impressionnistes. L’amour de la
vie irradie ses œuvres, des œuvres qui viennent de faire l’objet d’un
nouvel accrochage et qui bénéficie pour l’occasion de prêts remarquables
de tableaux rarement exposés.

Des œuvres qui traduisent une contemplation toujours renouvelée de la vie
prenant chez Maurice Denis une dimension spirituelle qui trouve son
apothéose dans la fameuse chapelle éclairée par ses fresques et vitraux.
Le visiteur pourra découvrir cette belle exposition rappelant les deux
dimensions croisées de la vie de l’artiste, entre ascèse créatrice et vie
bucolique avec sa famille au Prieuré, vie que l’on peut sans peine encore
imaginer en se promenant dans ces murs vibrants de cette atmosphère
inspirée, ainsi que dans les jardins attenants.
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Maurice Denis, amoureux de la vie, sait être un théoricien rigoureux
revisitant tous les codes traditionnels de la peinture sans pour autant
les renier.
Mais au classicisme, Maurice Denis ajoute cette modernité séduisante
sertie de couleurs éclatantes dont l’amour et la religion sont les fils
directeurs. L’harmonie des formes et des couleurs est dès lors rapidement
au cœur de la création de l’artiste à un point tel que le symbolisme perce
comme pour ce petit tableau « L’Autel jaune » habité d’une force sacrée
rayonnante.
Le Mystère se trouve ainsi explicitement visité par l’artiste dans ses
peintures aux lectures multiples. Amour profane et amour sacré n’ont plus
guère de sens pour le peintre qui les conjugue avec un rare bonheur
notamment dans les représentations de son épouse Marthe, omniprésente, et
des enfants qu’elle lui donna.

Ce sont toutes ces différentes facettes de la création artistique qui sont
ainsi rappelées dans ce beau parcours, de la période Nabi et des œuvres
symbolistes jusqu’à un retour à un certain classicisme dans les dernières
années.

Maurice Denis sut, en effet, aussi être un homme de son temps lorsque des
commandes lui font s’inscrire dans la mouvance de l’Art nouveau et des
arts décoratifs, notamment avec cet impressionnant ensemble décoratif «
L’Éternel Printemps » pour la salle à manger de Gabriel Thomas.
Décidément, le musée départemental Maurice Denis réserve bien des
surprises à seulement quelques kilomètres de la capitale, un lieu où se
trouve chaque jour entretenu avec inspiration et délicatesse l’esprit d’un
artiste majeur du XXe siècle.
Catalogue « Maurice Denis, Bonheur rêvé » sous la direction de Fabienne
Stahl, RMN, 2021. |
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Botticelli Artiste et designer
Musée Jacquemart-André
jusqu’au 24 janvier 2022 |
LEXNEWS |
11.09.21
Philippe-Emmanuel Krautter

Alessandro di Mariano Filipepi, plus connu sous le nom de Sandro
Botticelli (1444/1445-1510), nous est familier par ces fameuses évocations
primesautières où de jeunes filles aux sourires mutins entament quelques
pas de danse, à moins que leur nudité n’émerge d’une coquille… Mais
derrière ces icônes passées à la postérité se cache le génie d’un artiste
au diapason de son temps, celui du fertile Quattrocento à Florence. Le
musée Jacquemart-André honore ce génie et ouvre les portes de son atelier
au public parisien en une rétrospective réunissant une quarantaine
d’œuvres de l’artiste sous le commissariat de Ana Debenedetti, directrice
expositions et culture, Culturespaces et Pierre Curie, conservateur en
chef du patrimoine.

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445 – 1510), Portrait de Julien
de Médicis, vers 1478–1480, tempera et huile sur bois, 59,5 × 39,3 cm,
Bergame, Accademia Carrara © Fondazione Accademia Carrara, Bergamo
Sous l’influence politique de la famille des Médicis, Botticelli, à
l’image des autres artistes de son temps, profite de conditions
exceptionnelles afin de déployer son art. Si sa vie reste quelque peu
mystérieuse, l’exposition a fait choix de mieux nous faire connaître son
atelier, le peintre, à l’image de ses contemporains, travaillant à l’aide
d’un grand nombre d’assistants. Contrairement à l’idée reçue, une œuvre de
cette époque masque souvent un grand nombre de « petites mains » qui,
parfois, à leur tour deviendront de futurs maîtres, tel Botticelli
lui-même qui fut formé par Filippo Lippi avant de devenir l’un des grands
maîtres du XVe siècle.

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445 – 1510), Vierge à l’Enfant
dite Madone Campana, vers 1467-1470, 72 x 51 cm, Avignon, Musée du Petit
Palais, dépôt du Musée du Louvre, 1976 Photo © RMN-Grand Palais /
René-Gabriel Ojéda |
Mais, avant d’acquérir son style personnel, le jeune artiste se doit
d’imiter les anciens, répéter à l’envie des chefs-d’œuvre reconnus du
maître d’atelier pour peut-être un jour mieux s’en détacher…
L’exposition suit alors le jeune homme au cœur de la mutation humaniste
qui gagne son siècle et les arts. Formé très jeune à l’art de
l’orfèvrerie, Sandro y acquiert cette attention de tous les instants qui
restera gravée au cœur de ses œuvres et de ses dessins. Le trait assuré
gagné à cette pratique cisèlera ses peintures avec cette poésie et cette
légèreté si sensibles qui le caractériseront.
Après les années d’apprentissage évoquées dans les deux premières sections
où les sujets religieux abondent ("Vierge à l’Enfant dite Madone Campana"
ou encore "Vierge à l’Enfant dite Madone au livre"), viendra le temps de
son propre atelier et des assistants se pressant autour du jeune maître.
Il faut imaginer cette Florence en pleine effervescence où les ateliers
des plus grands maîtres se jouxtent parfois de quelques dizaines de mètres
et où les échanges étaient incessants. Cette profusion d’idées et
d’initiatives donnera naissance aux plus grandes œuvres, et pour
Botticelli, ce sera bien sûr la fameuse « Naissance de Vénus » ou encore «
Le Printemps » quelques années auparavant.

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445 – 1510), Venus pudica, vers
1485-1490, huile sur toile, 158,1 x 68,5 cm, Berlin, Staatliche Museen zu
Berlin, Gemäldegalerie, Photo © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / Jörg
P. Anders
L’artiste sait faire évoluer son art au gré des commandes des puissants de
son temps, sans pour autant renier son propre style qui fera souvent écho
à la beauté sous les traits de sa « Figure allégorique dite La Belle
Simonetta » tout comme le thème récurrent de Vénus héritée de l’Antiquité,
sans oublier de superbes évocations religieuses tel le remarquable «
Couronnement de la Vierge ».

Botticelli et atelier, Le Couronnement de la Vierge avec saint Juste de
Volterra, le bienheureux Jacopo Guidi de Certaldo, saint Romuald, saint
Clément et un moine camaldule, vers 1492, Miami Beach, Collection of The
Bass © Photo by Zaire ArtLab
Ce subtil équilibre rythme ses œuvres où la part de l’atelier deviendra
après la maturité sans cesse croissante.
Après ces riches années qui firent sa célébrité, viendra cependant le
temps de l’oubli pendant quatre siècles avant que des esthètes eurent au
XIXe siècle l’heureuse initiative de redécouvrir ce grand maître
florentin. |
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Un livre, un artiste
Maurice Denis |
« Maurice Denis – Amour » ;
Catalogue d’exposition sous la direction de Catherine Lepdor et Isabelle
Cahn, 227 x 286 mm, 192 p., Éditions Hazan, 2021.

Le présent catalogue propose de plonger dans l’œuvre peint du grand
artiste Maurice Denis à l’occasion d’une exposition qui au musée cantonal
des Beaux-Arts de Lausanne et avant la réouverture du Musée Maurice Denis
à Saint-Germain-en-Laye. L’univers subtilement esquissé dans chacune des
toiles du peintre invite le lecteur à une contemplation à la fois mystique
et amoureuse de la vie sous toutes ses facettes et qui rayonne de ses
œuvres. Bien que saisissant au fil de ses pinceaux une vie bucolique qui
se présentait devant lui, avec sa famille au Prieuré comme dans ses lieux
de villégiature en Bretagne, Maurice Denis fut cependant loin d’être un
peintre béat. C’est, en effet, à une certaine abstraction et à la théorie
de l’art auxquelles s’est consacré ce peintre insatiable des techniques et
des moyens de rendre la réalité, son fameux jugement sur l’art étant resté
célèbre et répété à l’envi : « Se rappeler qu’un tableau – avant d’être un
cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote – est
essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain
ordre assemblées ».
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Ce sont l’amour et la religion qui viennent scander les
toiles réunies à l’occasion de l’exposition de Lausanne, une belle
invitation à entrer au cœur de la création du célèbre Nabi, et l’ouvrage
propose dans sa première partie, à travers ces œuvres, de mieux
appréhender cette part théorique du peintre qui attachait la plus grande
importance à l’harmonie des formes et des couleurs au point d’atteindre
une dimension symbolique qui force encore l’admiration un siècle après son
expression. Les nombreuses références explicites ou implicites à la foi de
l’artiste transparaissent et confèrent toute leur profondeur à ces œuvres
aux lectures multiples.

Mais Maurice Denis s’avère être aussi un artiste de son temps. Aussi le
catalogue souligne-t-il également les variations de son art en fonction du
milieu artistique dans lequel il évoluait, entre la période Nabi et les
œuvres symbolistes, sans oublier son retour à un certain classicisme.
Couvrant une période allant de 1888 à la veille de la Première Guerre
mondiale, ce catalogue réunit dans la deuxième partie d’admirables œuvres
telles la fameuse « Tache de soleil sur la terrasse » datant de 1890, les
« Arabesques poétiques pour la décoration d’un plafond » dont l’univers
semble si proche des plus belles compositions de Claude Debussy, mais
aussi « La Dormeuse au jour tombant », la touchante « Procession sous les
arbres » et tant d’autres compositions puisées à l’inspiration la plus
profonde.
Un très joli et riche catalogue des plus inspirants.
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« L’école du
regard - Caravage
et les peintres caravagesques dans la
collection Roberto Longhi »
Musée des Beaux-Arts Caen jusqu'au 17/10/21 |

Michelangelo Merisi, dit Caravage, Jeune
Garçon mordu par un lézard, vers 1596-1597, huile sur toile © Florence,
Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi
C’est à une remarquable confrontation à laquelle est convié le visiteur de
l’exposition « L’école du regard » au Musée des Beaux-Arts de Caen, celle
de l’art du Caravage soumis au regard critique du grand historien de l’art
italien Roberto Longhi (1890-1970). Cet éminent spécialiste a consacré au
peintre lombard quasiment la plus grande partie de son énergie et de ses
études contribuant ainsi à livrer non seulement les facettes de son art
mais aussi le rayonnement de son style sur ses contemporains et
successeurs.
Maria Cristina Bandera, directrice scientifique de la Fondation Roberto
Longhi, et Caroline Joubert, conservatrice en chef au Musée des Beaux-Arts
de Caen, ont conçu pour cette découverte, cette« École du regard », un
parcours à la fois inspirant et éclairant sur cette période clé de l’art
italien à la fin du XVIe et début XVIIe s. Grâce à un habile parallèle
établi entre le regard de l’un des meilleurs historiens de l’art du XXe en
Italie et celui du Caravage, le parcours superbement scénographié,
sollicite le propre regard du visiteur en un jeu de renvois à la fois
exigeants et inspirants. Nous regardons Longhi étudier Caravage, lui-même
observant l’âme de ses contemporains et l’essence de choses. Pier Paolo
Pasolini ne s’était pas trompé alors qu’il était étudiant en histoire de
l’art à Bologne et suivait avec assiduité les cours de Longhi : « Longhi
était nu comme une épée hors du fourreau. Il parlait comme personne ne
parlait. […] Pour un jeune garçon opprimé, humilié par la culture
académique, par le conformisme de la société fasciste, c’était la
révolution. La culture que le maître révélait et symbolisait proposait une
voie nouvelle par rapport à l’entière réalité connue à ce jour ».

Matthias Stomer, Annonce de la naissance de Samson , vers 1630- 1632,
huile sur toile © Florence, Fondazione di Studi di Storia dell’Arte
Roberto Longhi
Cet anticonformisme de Longhi qui avait tant séduit et influencé le
cinéaste et poète se manifestera à de nombreuses reprises dans les études
de l’historien de l’art, notamment sa magistrale monographie sur Caravage.
Ainsi, sera-t-il le premier à souligner le style direct et naturaliste du
maître lombard, mettant en évidence son regard poétique et analysant la
place primordiale de la lumière dans cet ordonnancement novateur, ce dont
rend parfaitement compte l’exposition. Cet atelier singulier de Caravage
se trouve étudié, décomposé en autant de facettes dans les nombreux
croquis et études que Longhi s’appliqua lui-même à reproduire et qui
accompagnent les œuvres réunies. Il ne s’agit pas là d’une quelconque
volonté de faire œuvre égale avec le maître – Longhi était bien trop
clairvoyant pour cela – mais plutôt d’entrer dans l’intimité du peintre en
reproduisant les traits qui virent naître ses plus grands chefs-d’œuvre,
alors même que Le Caravage ne laissa que très peu d’études, leur préférant
une exécution directe de ses peintures.
La collection Roberto Longhi est à l’honneur dans ce riche parcours avec
la pièce maîtresse « Jeune Garçon mordu par un lézard », superbe tableau
exécuté par Caravage au début de son séjour romain (vers 1596-1597) et
acquis vers 1928 par Longhi ; une œuvre qui fascine à la fois par sa
spontanéité recherchée et sa fraîcheur quelque peu innocente, tout au
moins en apparence… L’exposition sera également l’occasion d’admirer le
rayonnement du peintre auprès de ses contemporains et générations
suivantes, ces peintres caravagesques qui sans avoir été directement à
l’école du maître verront leur art profondément influencé par lui tels
Carlo Saraceni, Battistello Caracciolo, Orazio Borgianni, Matthias Stomer,
Giovanni Lanfranco ou Mattia Preti, Jusepe de Ribera, Valentin de
Boulogne… |
Catalogue : « L’École du regard. Caravage
et les peintres caravagesques dans la collection Roberto Longhi » ; Textes
de Maria Cristina, Bandera et Mina Gregori ; Venise, Marsilio Editori,
2021.

Tout spécialement conçu pour l’exposition « L’École du regard »
actuellement au musée des Beaux-Arts de Caen, le catalogue publié par les
éditions italiennes Marsilia complètera idéalement la visite du parcours.
Réalisé sous la direction de Maria Cristina Bandera, l’ouvrage offre en
effet deux contributions essentielles des deux meilleures spécialistes sur
la question afin de mieux comprendre la part occupée par Caravage, non
seulement pour ses contemporains, mais aussi dans l’histoire de l’art du
XXe siècle, et plus particulièrement sous le regard de Roberto Longhi. Ce
dernier fut à la fois un des historiens de l’art italien les plus réputés
de son époque, mais aussi un éminent collectionneur dans sa maison
florentine – siège de la Fondation Longhi aujourd’hui - ainsi que le
rappelle Maria Cristina Bandera.

Valentin de Boulogne, Le Reniement de Pierre, vers 1615-1617, huile sur
toile
© Florence, Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi
Le lecteur restera rêveur lorsqu’il lira le témoignage de Roberto Longhi
évoquant cette époque bénie où il put trouver sur les marchés des tableaux
à Milan, comme à Rome, ces œuvres sublimes « qui coûtaient trois fois rien
»… Fort de ce regard éclairé et novateur, il sut alors se porter acquéreur
d’une importante collection dont certaines œuvres majeures ont été réunies
pour l’exposition. L’historien de l’art peut à juste titre être présenté
comme le premier spécialiste non seulement de Caravage mais aussi du
caravagisme qui le suivit. Mina Gregori revient justement dans sa
passionnante contribution sur la place de Caravage dans le parcours
critique de Roberto Longhi. C’est avec le « Garçon mordu par un lézard »
du peintre que remonte cette passion qui ne l’empêcha pas parallèlement de
s’intéresser quelque temps au futurisme.
À une époque où seules les peintures toscanes et vénitiennes
prédominaient, quelle place pouvait encore occuper un artiste venu de
Lombardie ? Ce fut le génie de Longhi de démontrer justement l’intérêt
révolutionnaire du maître lombard, non seulement en tant que tel, mais
également pour ses successeurs et la suite de l’histoire de l’art. Le
lecteur retrouvera en deuxième partie le catalogue complet des œuvres
exposées avec de généreuses notices et une iconographie soignée.

Roberto Longhi |
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Un livre, un artiste
Albrecht Dürer |
« Dürer – Le Burin du graveur » d’Alain Borer, Coll. Studiolo, Editions
L’Atelier Contemporain, 2021.

Il faut lorsque l’été nous en laisse le temps découvrir ou redécouvrir ces
merveilleux ouvrages édités dans la collection Studiolo aux éditions de
l’Atelier Contemporain et consacrés à l’art : « Géricault » de Jérôme
Thélot, « Hokusai » de Kenneth White, « Magritte » de Louis Scutenaire… «
Dürer – Le Burin du graveur » d’Alain Borer mérite à ce titre d’être
particulièrement souligné.
L’auteur y emprunte le burin de Dürer pour approcher par fines touches le
graveur. N’ignorant pas les nombreuses études qui ont pu lui être
consacrées, Alain Borer s’attache aux interstices, au rapport œuvre –
temps de Dürer. Plus de cinq cents ans après, le lecteur surprend ainsi de
nouveau, plus vivant que jamais, le peintre, le graveur, l’orfèvre à sa
tâche. Méticuleux, passionné et concentré. Accompagné de nombreuses
reproductions, l’auteur fait entrer son lecteur dans le monde des
perceptions de l’artiste. Le toucher, la vue, bien sûr, mais aussi ce
monde de découvertes, de sciences, d’astrologie et de croyances que l’on
retrouve dans chacune de ses œuvres, alchimie de détails, d’occultisme,
d’héraldisme… Les humeurs et la mélancolie si chère à l’historien des
idées Jean Starobinski y trouvent leurs plus belles représentations (« La
Mélancolie » 1514). |
L’auteur s’immisce, que ce soit par les lettres de l’artiste ou par ses
œuvres, dans l’intimité la plus secrète de l’artiste. Rien du symbolisme
du Dürer n’est laissé au hasard. Le lecteur sera surpris de l’audace
grivoise des lettres écrites à la hâte que Dürer adresse de Venise à son
ami Pickheimer. Alain Borer s’aventure à souligner les écarts qu’a pu
imposer le portrait et la légende de l’artiste, de l’homme de la
Renaissance, « humaniste, pieux et luthérien » pour mieux « mesurer le
grand écart qui sépare les instantanés de la grivoiserie dans l’écriture,
et le très long temps nécessaire à la réalisation concrète d’un tableau
toujours édifiant (…) »

Une inspiration que Dürer puisera dans ses nombreux voyages et
l’observation de la « Natur » ou plutôt de toute la puissance et
beauté de la création, telles « La Grande Touffe d’Herbe « (1503) ou «
L’Ancolie » (1526). Portraits, autoportraits, gestes, bestiaire, les
œuvres et pérégrinations de l’artiste s’égrènent ainsi au fil des pages,
laissant Dürer s’affirmer, s’imposer dans ce perpétuel mouvement de la
Renaissance. « Dürer n’est pas unique, il est inimitable », écrit A. Borer
poursuivant toujours plus loin son analyse de la fabuleuse galaxie Dürer.
Et, il fallait la finesse de plume d’Alain Borer, poète, critique d’art,
essayiste et romancier, pour rendre toute la profondeur mais aussi
l’étendue de l’univers d’Albrecht Dürer.
L.B.K. |
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Villa du Temps retrouvé
Cabourg |

Au centre de Cabourg, à quelques pas seulement du Grand Hôtel où Marcel
Proust avait coutume de séjourner sur la côte normande, vient d’ouvrir un
espace muséal au cœur d’une villa Belle Époque. Non point un musée sur
Marcel Proust, mais une plaisante visite en sa compagnie, ce lieu ayant
avant tout souhaité accueillir le visiteur en le transportant dans
l’atmosphère contemporaine de la genèse de « A la recherche du temps perdu
», œuvre maîtresse de l’un des plus grands écrivains du siècle précédent.

Jérôme Neutres, président du comité scientifique et culturel, entend bien
que cet endroit tout récemment ouvert en mai 2021 soit « une machine à
remonter le temps, où le visiteur pénétrera dans le décor et l’atmosphère
d’une grande maison de Cabourg en 1900 ». Ce nouveau musée s’est en effet
installé dans l’une des belles demeures de la ville, la villa Bon Abri,
conçue par l’architecte Parent, ami de Marcel Proust, et qui a fait
l’objet d’une impressionnante restauration pour l’occasion.

L’objectif est réussi avec un bel effort quant aux moyens multimédias
réunis accueillant les visiteurs dès leur arrivée. Différents dispositifs,
certains classiques avec des vidéos projetées au mur, d’autres
particulièrement novateurs dont nous réservons la surprise aux visiteurs,
se chargent en effet d’évoquer les différentes facettes de cette période
contemporaine de celle de l’écrivain. Révolutions techniques et
artistiques sont en ce début de siècle le fruit d’une révolution
industrielle qui bat son plein et profite à une élite souhaitant se
divertir à l’aune du premier conflit mondial. C’est dans ce climat bien
particulier hésitant entre valeurs traditionnelles encore omniprésentes et
innovations vertigineuses que Marcel Proust puisera son inspiration. Plus
de 350 œuvres et objet de toute nature ont été réunis en une scénographie
remarquable dans laquelle le visiteur est spontanément convié à prendre
part, qu’il s’agisse de s’asseoir sur l’un des confortables fauteuils
disposés, feuilleter les livres de la bibliothèque, voire même, sans
façon, plaquer quelques accords sur le Pleyel d’époque trônant au beau
milieu !

Petits et grands trouveront ainsi leur bonheur, qu’il s’agisse de la
découverte des nombreuses peintures réunies dont certaines sont
prestigieuses telles cette « Vue générale de Rouen » de Claude Monet, le
fameux portrait de Proust réalisé par Jacques-Emile Blanche du musée
d’Orsay ou encore de nombreuses huiles de Paul-César Helleu, le peintre
ayant inspiré l’écrivain pour le personnage d’Elstir.
Parallèlement, la Villa du Temps retrouvé réserve un espace pour des
expositions temporaires, la première étant consacrée à une autre figure
emblématique et contemporaine de Marcel Proust, Fantomas, et dont le
succès éclipsa en son temps quelque peu celui de La Recherche…
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« La Villa du Temps retrouvé », catalogue, 176 pages / 150
illustrations, 17,3 x 23,8 x 1,8 cm, Éditions Rmn-Grand Palais, 2021.

Le catalogue de « La Villa du Temps retrouvé » convie à mieux découvrir la
période contemporaine de l’écrivain Marcel Proust en plongeant
littéralement dans l’atmosphère Belle Époque de la Côte fleurie, Belle
Époque analysée notamment dans leur contribution par Dominique Kalifa et
Jérôme Neutres. Explorant tour à tour La villa, bien sûr, mais aussi cette
fin de siècle annonçant une ère nouvelle grâce aux progrès de la science
et des techniques, ce beau livre bénéficie d’une mise en page soignée et
d’une abondante iconographie. Ces pages nous font en effet entrer au cœur
d’un des aspects de cette période inspiratrice de « La Recherche », l’une
des œuvres maîtresses du début du XXe siècle.

Tous les lecteurs de cette œuvre foisonnante savent que des éléments du
patrimoine et de la culture de l’écrivain cohabitent avec l’inspiration
souvent débordante de l’auteur. Ici ou là, une réelle église se trouve
métamorphosée et déplacée à des lieux, un nom de village bien réel se
trouve utilisé afin de dénommer une des protagonistes du roman… Proust se
sert de son environnement comme un peintre de ses impressions sur la
toile.

Aussi cet ouvrage a-t-il fait le choix judicieux d’explorer cette
inspiration de l’écrivain dans la région de la Côte fleurie grâce à un
remarquable dossier alternant les intérieurs de la Villa du Temps retrouvé
qui vient d’ouvrir et les nombreuses peintures et objets évoquant Marcel
Proust et son temps. Les vacances normandes du jeune Proust analysées par
Évelyne Bloch-Dano tout comme l’architecture de ces stations balnéaires si
essentielles au cadre de « La Recherche » présentée par Françoise Dutour
permettent de mieux comprendre les arcanes de l’œuvre in situ.

Enfin, les nombreuses notices consacrées aux peintures et objets d’art
présentés dans cet espace muséal interactif faciliteront elles aussi une
meilleure intimité avec les protagonistes et contexte du roman. Un ouvrage
sous la forme d’un délicieux voyage dans l’espace… et le temps !
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L’Âge d’or de la
peinture danoise (1801-1864) – exposition virtuelle
Petit Palais – Paris |
A défaut de pouvoir découvrir sur site un pan pour beaucoup méconnu de la
peinture du Nord de l’Europe au XIXe siècle avec l’âge d’or de la peinture
danoise au Petit Palais, une évocation « virtuelle » de cette belle
exposition permettra de s’en faire une petite idée. Cela fait depuis près
de trente-cinq ans, en effet, que les artistes phares de cette période
n’avaient pas été réunis dans la capitale ; ils le sont aujourd’hui avec
200 œuvres de maîtres tels Christoffer Eckersberg, Christen Købke,
Martinus Rørbye ou encore Constantin Hansen. Cet évènement est
l’aboutissement de recherches récentes sur cette période souvent occultée
alors même qu’elle offre de nouveaux courants et approches de l’art en
cette contrée du Nord de l’Europe.
Organisée en collaboration avec le Statens Museum for Kunst (SMK) de
Copenhague et le Nationalmuseum de Stockholm, l’exposition rend compte du
foisonnement culturel danois qui émergea dans ce pays en plein essor et qui
voit la puissance de la bourgeoisie aller grandissante. Cette première
moitié du XIXe siècle se caractérisa, en effet, par cet élan d’une nation
qui se sait forte et affiche une assurance à l’égard des autres États
voisins. Cette dimension transparaît spontanément dans les représentations
diverses et variées des familles bourgeoises, opulentes dans les portraits
de famille derrière une apparente rigueur où la bonne éducation des
enfants est un des traits essentiels.

Vue depuis la fenêtre du peintre
Martinus Rørbye, SMK Photo/Jakob Skou-Hansen
Mais, la beauté des paysages est certainement ce qui ressort de manière la
plus flagrante encore dans cette scénographie toujours réussie du Petit
Palais. La pureté des éléments, le calme apparent d’une nature bucolique,
tout concourt à cet épanouissement d’une société « sans problème »…
C’est à un véritable voyage au Danemark du XIXe siècle par le regard de
ses artistes auquel convie ainsi l’exposition du Petit Palais, un voyage
qui transporte le visiteur dans la ville de Copenhague avec sa vie
quotidienne, ses petits métiers si bien saisis par les peintres soucieux
de ces infimes détails. Cette riche vie culturelle conduit progressivement
à la constitution de collections et une professionnalisation des artistes
sous l’égide de l’Académie royale. C’est aussi l’époque des voyages, des
regards tournés notamment vers le sud avec l‘éternelle Italie qui transmet
des lumières plus chaudes aux tableaux des peintres tels ceux de Martinus
Robye avec son admirable « Loggia à Procida »…
À la suite du grand et incontournable peintre Eckersberg, les regards des
artistes évoluent avec des cadrages et des panoramas novateurs notamment
ceux de Christen Købke en réaction avec l’industrialisation croissante de
leur pays qui connaîtra dans la deuxième partie du siècle des tensions
croissantes. La peinture au Danemark au XIXe siècle, un Âge d’or à
découvrir.
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Catalogue d’exposition « L’Âge d’or de la
peinture danoise (1801-1864) » de Peter Nørgaard Larsen, Karina Lykke
Grand, Magnus Olausson et Carl-Johan Olsson, 33 x 23 cm, 310
illustrations, 344 p., Éditions Paris Musées, 2020.

La couverture du riche catalogue consacré à l’Âge d’or de la peinture
danoise (1801-1864) traduit les nuances de ce courant pictural en Europe
au XIXe siècle. L’œuvre du peintre Christen Købke intitulée « Vue du lac
Sortedam » présente, en effet, une nature apaisée, sans accidents et
baignée d’une lumière translucide. Si un léger flou estompe les contours
au loin, les personnages au premier plan y sont représentés avec
précision, tendus vers la barque qui s’approche et cette attente suggérée
de la rencontre imminente sous l’égide du drapeau national qu’aucun vent
ne vient troubler. Cette sérénité caractéristique de l’âge d’or danois qui
demeure au cœur de ce catalogue exhaustif qui pour la première fois en
France offre de si nombreuses études sur ce thème jusqu’à présent guère
abordé.

Château de Frederiksborg vu de Jaegerbakken. Le soir
Christen Købke Collection Hirschsprung
L’ouvrage offre, en effet, au travers des analyses de ses riches
contributions, la synthèse des nombreuses recherches qui ont porté sur ce
domaine ces dernières années en partant du vecteur essentiel à cette
époque de l’essor de la bourgeoise avec le développement de la Révolution
industrielle au Danemark. Cet élan offre un nouveau public pour l’art et
notamment cet art du portrait qui fleurira avec ses vies de famille si
souvent représentées sur les toiles des artistes. Ce mouvement se traduit
aussi par une professionnalisation du statut des artistes avec l’Académie
royale et la constitution de nombreux ateliers. Les thèmes abordés par les
peintres danois sont nombreux, allant de la peinture d’histoire à celle
exprimant le sentiment religieux, en passant par l’omniprésente nature qui
occupe de si belle manière ces peintres découvrant la peinture en plein
air. L’influence des voyages à l’étranger se fait également ressentir dans
leurs œuvres avec ces ruines romaines captées par les peintres danois.
Mais le politique surgit parfois, surtout au terme de cet âge d’or lorsque
la politique du Danemark se fera intransigeante face à la toute-puissante
Prusse, une inquiétude également captée bien entendu par les artistes et
sonnant quelque peu le glas de cet âge d’or bientôt révolu. |
« D’Alésia à
Rome, l’aventure archéologique de Napoléon III »
Musée d’Archéologie nationale –
Saint-Germain-en-Laye
jusqu’au 1er février 2021 |

L’exposition « D’Alésia à Rome, l’aventure archéologique de Napoléon III »
retrace la formidable aventure à la fois archéologique et politique
initiée par ce dernier au cœur du XIXe siècle. Le neveu de l’empereur
voua, en effet, la même admiration pour l’antiquité, et notamment l’Empire
romain, que son oncle. Avec l’aide de l’archéologue Pietro Rosa, il fera
ainsi réaliser d’importantes fouilles au Palatin à Rome, dans une ville
partagée entre le pouvoir du pape et l’unification italienne.
C’est cette riche aventure que vient aujourd’hui retracer l’exposition «
D’Alésia à Rome ». Une entreprise menée sous l’impulsion de Napoléon III
qui sera déterminante pour l’archéologie française. Appuyée par de
nombreuses cartes et plans inédits, ainsi que des objets issus des
fouilles décidées par Napoléon III, l’exposition offre une belle mise en
lumière de ces fouilles et recherches archéologiques souvent ignorées du
grand public.

Si le titre peut paraître de prime abord un peu surprenant, le visiteur
comprendra cependant rapidement que l’archéologie de ce milieu du XIXe
siècle se trouve, en fait, au cœur des nombreux enjeux marquant cette
époque, des enjeux dépassant le plus souvent les frontières. De multiples
États européens chercheront, en effet, à asseoir leur pouvoir et leur
identité après le vent révolutionnaire de la fin du XVIIIe siècle et le
début de l’essor de l’industrialisation en Europe. Il s’agit alors pour
ces pouvoirs d’user d’images rhétoriques et de références, notamment à
l’antique et au modèle impérial romain, des ancrages précieux en ces temps
incertains où les régimes politiques font preuve d’instabilité, et plus
particulièrement en France. Napoléon III, premier président de la
République en 1848, puis empereur des Français en 1852, aura dès lors à
cœur de mener des fouilles pour asseoir son pouvoir même, et ce d’autant
plus que son réel intérêt personnel l’y portait. Soulignons qu’il
entreprit, à l’instar de son oncle Napoléon, la rédaction d’une
monumentale histoire de Jules César.
Le parcours de l’exposition fait ainsi revivre cette exceptionnelle
aventure archéologique aux nombreux chantiers impliquant également de
nouvelles méthodes d’investigation et outils spécifiques. C’est une
science archéologique nouvelle, celle qui n’aura de cesse de s’affirmer
tout au long de ce XIXe siècle, qui s’élabore ainsi sous les yeux du
visiteur et que vient retracer appuyée par de nombreuses cartes, documents
et objets cette passionnante exposition d’Alésia à Rome ! |
« D'Alésia à Rome. L'aventure archéologique de Napoléon III » -
Catalogue d'exposition, RMN, 2020.

Ainsi que le souligne d’emblée Hilaire Multon, le directeur du Musée
d’Archéologique nationale de Saint-Germain-en-Laye, « la mémoire de la
guerre des Gaules se réinvite au musée d’Archéologie nationale » avec
cette exposition entièrement consacrée à « L’aventure archéologique de
Napoléon III ». Les fouilles archéologiques décidées par Napoléon III au
XIXe siècle furent, en effet, fort nombreuses et visaient avant tout à se
réapproprier d’une certaine manière le modèle impérial antique afin de
mieux asseoir un pouvoir encore à la recherche de ses repères après la
Révolution française et l’empire de Napoléon 1er.
Cela dit, rappelons que Napoléon III, tout comme son oncle, Napoléon, fut
aussi un réel passionné de l’antiquité…
Parallèlement, cette entreprise d’envergure par laquelle Napoléon III
entendit marcher sur les traces de Jules César permit aussi l’émergence
d’une discipline scientifique, l’archéologie.
C’est cet extraordinaire essor de l’archéologie et entreprise d’envergure
menée par Napoléon III que retrace le catalogue de cette exposition
publiée par la RMN. La fabrique d’une nation et les rapports avec l’Italie
vont conduire, en effet, à la mise en œuvre d’un véritable plan concerté
de fouilles documentées sur la colline du Palatin à Rome.

Le catalogue en dresse un état des lieux particulièrement détaillé,
soulignant ainsi l’importance croissante de la cartographie, des relevés
et photographies, et l’immense somme de rapports et d’estampages mis en
œuvre lors de ces missions archéologiques.
À la différence des « antiquaires » du siècle précédent, les archéologues
missionnés par la France en Italie feront œuvre scientifique, et une
grande part des techniques inventées à cette occasion donneront les bases
mêmes de l’archéologie moderne, ainsi qu’il ressort des études rassemblées
dans ce captivant catalogue. |
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Exposition virtuelle
« Le Corps et l’Âme de Donatello à
Michel-Ange. Sculptures italiennes de la Renaissance »
Musée du Louvre
(suspendue pour cause de confinement) |

La Renaissance italienne trouve son apogée dans la deuxième moitié du XVe
et début du XVIe s. C’est cette période que le musée du Louvre a retenue
pour présenter le thème porteur du corps et de l’âme en une exposition
réunissant de superbes chefs-d’œuvre venus notamment des prestigieux
musées italiens. Suite d’une précédente exposition organisée au Louvre en
2013 sur la culture florentine de la première moitié du XVe siècle, cet
évènement vise à montrer les formes variées qu’a pu prendre la sculpture
non seulement à Florence mais également dans toute l’Italie de cette
deuxième moitié de ce siècle.
C’est une période où le pays est divisé en un certain nombre d’États et
principautés, mais qui va connaître à partir de 1454 avec la paix de Lodi,
une longue période de tranquillité favorisant l’épanouissement des arts.
Les artistes vont parcourir alors les innombrables cours princières et
seigneuries en quête de prestige et de légitimation. Si Florence conserve
à ce moment-là un rôle majeur, le nouveau style – vers plus de douceur -
va cependant à cette époque également se diffuser dans toute la péninsule
pour prendre des formes variées.

Le thème de la représentation du corps humain est le fil conducteur de
cette exposition, à une époque où l’homme redevient centre du monde avec
la Renaissance. L’exposition s’attache ainsi à montrer combien ces
artistes italiens, et notamment les sculpteurs, se sont particulièrement
intéressés à cette représentation du corps dans des dimensions tour à tour
profanes et sacrées.
Le riche parcours bénéficiant d’une scénographie des plus esthétiques
analyse ainsi ces caractères et variations non seulement dans les thèmes
sacrés essentiels pour cette période exclusivement chrétienne, mais aussi
pour ce nouvel intérêt pour l’Antiquité et ses thèmes profanes.
Le musée du Castello Sforzesco de Milan, partenaire de cette exposition, a
permis cette ouverture vers le nord de l’Italie et la riche production
lombarde avec ses artistes, certes moins connus du grand public, comme
Giacomo et Giovanni Angelo del Maino… tout en réunissant également des
œuvres essentielles d’artistes majeurs tels Donatello, Verrocchio,
Michel-Ange. |
Catalogue « Le Corps et l'âme. De Donatello à Michel-Ange - Sculptures
italiennes de la Renaissance » sous la direction de Marc Bormand, Beatrice
Paolozzi Strozzi, Francesca Tasso ; Relié, 24 x 29 cm, 350 illustrations,
512 p., Coédition Officina Libraria / Louvre éditions, 2020.

Véritable somme de plus de 500 pages, le catalogue édité par le Louvre et
Officina Libraria à l’occasion de l’exposition « Le corps et l’âme »
présentée au musée du Louvre dresse un état des lieux complet sur cette
période clé de la Renaissance italienne.
C’est par l’angle de la sculpture que la seconde moitié du Quattrocento et
le début du Cinquecento sont analysés en ces pages par les meilleurs
historiens de l’art. Un vaste et large panorama couvrant toutes les cités
italiennes est ainsi proposé par cette somme allant de Venise à Rome en
passant par Sienne, Bologne, Padoue, Mantoue, Milan, Florence… Le milieu
humaniste qui règne jusqu’alors à Florence auprès de Laurent le Magnifique
encourage les artistes à de nouveaux regards sur la représentation de
l’homme. La réflexion du penseur Marsile Ficin sur les rapports de l’homme
à son corps et à son âme vient encore enrichir encore leur inspiration.
Le catalogue explore ces influences à partir de quatre articulations :
l’influence de l’antique, l’art sacré et sa force rhétorique, de Dionysos
à Apollon et Rome, centre du monde. Par ses pages abondamment illustrées
par les plus beaux chefs-d’œuvre de la sculpture renaissance italienne,
l’ouvrage révèle ainsi cette approche où la beauté de l’âme transparaît à
partir des corps sculptés par les plus grands artistes, de Bertoldo di
Giovanni jusqu’aux fameux « Esclaves » de Michel-Ange.

À la lecture du catalogue « Le corps et l’âme », le lecteur réalisera
combien les artistes, à partir de Florence qui reste un pôle majeur, vont
également voyager et faire rayonner leurs œuvres dans de nombreuses
régions d’Italie, tel Donatello restant pendant 10 ans à Padoue et qui
aura une grande influence sur tout le nord de l’Italie. L’inspiration
puisée à l’Antiquité classique fera aussi l’objet de nombreuses
réinterprétations de la part de ces artistes selon chaque tradition
locale. Venise avec un style épuré et un classicisme sévère, l’Émilie-Romagne
avec un style rocailleux et une mise en forme des volumes extrêmement
accentués et bien d’autres régions encore, offriront autant de facettes
différentes de cette même évolution d’un style puissant et rayonnant,
celui de la Renaissance italienne dans cette seconde partie du XVe siècle
et au début du XVIe. |
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Exposition virtuelle
"Pierres
précieuses"
Jardin des Plantes - Grande Galerie de
l’Évolution
(suspendue pour cause de confinement) |

C’est à la magie des minéraux et pierres précieuses à laquelle invite
l’envoûtante exposition « Pierres précieuses » au Muséum national
d’Histoire naturelle de Paris. Dans la pénombre, et grâce à une
scénographie remarquable, non seulement sur un plan esthétique mais
également didactique, cette exposition appréhende un domaine toujours
fascinant puisqu’il concerne l’une des facettes les plus anciennes de
l’univers. Les minéraux sont en effet constitutifs des étoiles et planètes
qu’ils ont contribué à créer. Un rapport de plus en plus étroit unira ces
pierres précieuses à l’homme ainsi que le témoignent les nombreuses
vitrines présentant ces minéraux dans leur état brut, puis ciselés et
sertis par les meilleurs créateurs, en l’espèce le célèbre joailler Van
Cleef & Arpels.
Science, histoire, arts et luxe se trouvent dès lors intrinsèquement
associés dans ce passionnant parcours jalonné de bornes multimédias
approfondissant nos connaissances sur les gemmes, bijoux et minéraux.
Grâce à un cheminement à la fois chronologique et thématique, le visiteur
se familiarisera tout d’abord avec l’histoire de la Terre, la
transformation des minéraux en bijoux, avant d’aborder la dimension
historique et scientifique de Paris dans sa contribution à la connaissance
des minéraux.

Ce sont de véritables écrins qui sont proposés au regard fasciné dans la
pénombre de l’exposition où diamants, topazes, saphirs, rubis scintillent
de tous leurs feux… Les commissaires de l’exposition François Farges,
Professeur au Muséum National d'Histoire Naturelle, spécialisé en
minéralogie environnementale et patrimoniale, et Lise Macdonald,
Directrice du patrimoine et des expositions, Van Cleef & Arpels, ont à
juste titre souhaité étendre la présentation de ces minéraux à d’autres
pierres dites « semi-précieuses », mais dont la beauté n’en est pas pour
autant moindre.
Cette exposition offrira également au visiteur la possibilité d’entrer au
cœur de la création de la haute joaillerie, un univers habituellement
discret et secret et que cet évènement contribue à mieux faire connaître. |
« Pierres précieuses », catalogue Styles et
Design, 198 x 253 mm, 304 p., Couleur, Relié sous jaquette, coédition
Muséum national d’Histoire naturelle / Éditions Flammarion, 2020.

À l’image de l’exposition qu’il accompagne, le catalogue « Pierres
précieuses » réalisé sous la direction scientifique de François Farges
offre une immersion unique dans l’univers fascinant des pierres
précieuses. Unique parce que rare. Le monde extraordinaire des pierres
précieuses fait lui-même partie d’un ensemble encore plus vaste, celui des
minéraux. Avant d’être transformées par les mains les plus habiles, ces
pierres appartiennent ainsi à l’histoire de la Terre dont elles sont les
composantes les plus anciennes. Qu’il s’agisse des cas les plus extrêmes
avec les météorites jusqu’au plus petit cristal de quartz que l’on peut
encore trouver dans certaines régions de France, chaque minéral est un
marqueur de la formation et la composition de notre planète, ainsi que
l’explique très clairement la première partie de l’ouvrage.

Très tôt, l’histoire de l’humanité s’est intéressée à ces témoins les plus
anciens, cherchant à les « apprivoiser », les faire parler, les vénérer
,et surtout se les approprier. Un véritable savoir-faire va dès lors se
constituer au fil des millénaires, avec une accélération vertigineuse ces
derniers siècles. La deuxième partie de cet ouvrage à l’iconographie
éblouissante constitue à elle seule un véritable traité de minéralogie
accessible au néophyte. Les pressions, températures, fluides, couleur,
dureté des pierres précieuses n’auront plus de secrets pour le lecteur.
Chaque pierre précieuse y dévoile en effet son intimité sous la plume des
meilleurs spécialistes avec, en regard, de magnifiques photographies.
La dernière partie fait, enfin, entrer le lecteur dans les savoirs
parisiens, qu’il s’agisse des pierres ornementales, de l’esthétique chère
à l’académicien Roger Caillois qui lui a réservé de si belles pages ou
encore des pionniers de la joaillerie contemporaine comme Jean Vendome.
Ce riche et bel ouvrage s’avère être une somme incontournable pour entrer
dans cet univers scintillant des plus belles pierres précieuses serties
par les plus talentueux maîtres joailliers. |
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Dossier
Les Celtes sont de retour !
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Mais ont-ils véritablement disparu de nos
cultures si l’on compte le nombre d’ouvrages, et d’expositions s’en
revendiquant plus ou moins directement ?
Pour l’éditeur breton Yoran Embanner, qui a créé en 2003 sa maison
d’édition à Fouesnant, la question ne se pose pas. Cet éditeur un brin
provocateur revendique cette filiation en publiant, année après année, des
ouvrages sur les Celtes, et de manière générale, sur le patrimoine de la
Bretagne qu’il défend farouchement.

Parmi les nombreux titres de qualité écrits par les meilleurs
spécialistes, « Aux sources de la mythologie celtique » de Philippe
Jouët est certainement l’une des sources les plus précieuses
permettant de se familiariser avec ce domaine souvent méconnu et obscur.
Cet historien y explore les grands récits mythologiques ou épiques de
l’Irlande et du monde brittonique (les Brittons étant les peuples celtes
de la protohistoire vivant dans l’actuelle Angleterre) afin d’en démêler
les grandes lignes. Sont également convoqués pour cette tâche ardue les
auteurs classiques, mais aussi les sources archéologiques. Littératures
celtiques et sagas scandinaves convergent dès lors afin de livrer les
structures communes de cet univers indo-européen selon l’approche
comparatiste bien connue de Georges Dumézil. Émergent ainsi des flots
apparemment incohérents de ces récits fabuleux des conceptions
fondamentales que l’auteur met en idéalement évidence et caractérise.

Venceslas Kruta est, quant à lui, l’archéologue et historien le plus
réputé dans le domaine et l’histoire des Celtes. |
Aussi n’est-il pas étonnant qu’un volume complet de Mélanges, portant
comme titre « Les Chevauchées des Celtes », lui ait été entièrement
consacré. Celui qui s’est spécialisé dans la protohistoire de l’Europe a
exploré la culture et l’histoire des Celtes tout au long de son riche
parcours académique. Aux souvenirs de ses anciens étudiants devenus depuis
des professeurs et chercheurs eux-mêmes émérites, s’ajoutent de nombreuses
études relatives aux thèmes de prédilection du grand historien, de la
Grèce à l’Est des Celtes jusqu’à l’Hispania Celtica.
Le cheval et les innombrables chevauchées évoquées dans les récits anciens
font l’objet d’analyses passionnantes révélant un pan de la mythologie
celtique et ses conséquences dans l’organisation de cette société qui nous
livre peu à peu ses secrets. Au terme de ce fort volume, le lecteur aura
grand plaisir à découvrir l’entretien sur l’art celtique mené par
Jean-Jacques Charpy avec Venceslas Kruta, un entretien qui une fois de
plus manifeste l’humilité de ce grand chercheur qui a tant fait pour sa
discipline.

Voici avec « Le génie singulier des Celtes » de Anie et Michel Politzer
un petit ouvrage par lequel le lecteur néophyte en matière de Celtes
aurait tout à intérêt à commencer ! Ce livre destiné à la jeunesse – et
que les adultes auraient tort de négliger – offre en une centaine de pages
une véritable immersion dans l’univers celtique grâce à un texte clair et
incisif que complètent des illustrations bien pensées sur ces peuples
fascinants.
S’appuyant sur des sources sûres historiques et archéologiques, ce récit
romancé aborde la plupart des aspects essentiels de l’univers celtique
qu’il s’agisse de l’économie, du pouvoir, de la famille, de la vie
quotidienne, des fêtes et des rites, de la religion… De nombreuses cartes
familiarisent le jeune lecteur à la diversité des nombreuses peuplades de
ces époques reculées en les resituant géographiquement. Au terme de cette
belle épopée, le jeune lecteur pourra légitimement et sans sourciller
reprendre la fameuse boutade druidique dans Astérix et les Goths : «
Passe-moi le Celte ! ».
Les éditions Yoran :
www.yoran-embanner.com |
Les Celtes en Suisse
Exposition « Celtes,
un millénaire d’images »
au Laténium, Hauterive Neuchâtel |

Le vaste espace
territorial sur lequel la civilisation celtique a régné a livré depuis des
années de nombreux objets d’art aussi somptueux que précieux permettant de
mieux comprendre cette société restée longtemps dans les brumes de
l’Histoire et de la mythologie. C’est justement en étudiant cette dernière
que ces artefacts retrouvent petit à petit leurs significations. Cet
univers mental des Celtes a fait l’objet de nombreuses recherches ces
derniers temps et cette exposition en dévoile un certain nombre riche
d’enseignements.

L’intrication du
surnaturel et du quotidien n’a rien d’exceptionnel chez les Celtes, ce qui
explique que le merveilleux s’invite dans les nombreuses représentations
qu’ont laissées les orfèvres celtes. L’idée de métamorphose et de
transformation rythmait, en effet, le quotidien des Celtes et de leurs
objets. L’exposition démontre ainsi avec clarté cette propension des
Celtes, et notamment de ses artisans, à jouer de ces formes et de ces
mutations permanentes d’un animal en de multiples motifs devenant
abstraits. |
C’est dans le
site de la Tène, aujourd’hui région de Neufchâtel près du lac, que cet art
trouve son expression la plus aboutie après la période dite de Hallstatt.
Nous sommes avec cette époque de La Tène au Ve siècle avant notre ère. Cet
univers de sociétés orales marquées par la théâtralité est structuré par
de nombreux récits entre mythes, légendes et histoires, ces frontières
floues trouvant leur parallèle dans les bijoux, armes, figurines,
instruments rituels, monnaies et vaisselles rassemblés dans cette
passionnante exposition.

Le monde celte a
toujours tenté de communiquer avec le monde souterrain que ces
métamorphoses rapprochent en défiant les lois de la nature. Ainsi que le
relève Marc-Antoine Kaeser, le directeur du Laténium, « l’art celtique
manifeste en somme un enchantement du quotidien ». Enchanté aussi sera le
visiteur d’une si belle exposition, une manière de transcender le
quotidien et de l’élever à d’autres sphères que celles de notre difficile
réel…

https://latenium.ch
A découvrir également les nombreuses vitrines consacrées à la Gaule
celtique dans les collections permanentes du Musée d’archéologie nationale
de Saint-Germain-en-Laye
https://musee-archeologienationale.fr
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Exposition virtuelle
Albrecht Altdorfer. Maître de la
Renaissance allemande
(suspendue pour cause de confinement)
Musée du Louvre |
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A l’image de ses contemporains, Albrecht Altdorfer (vers 1480-1538) offre
le portrait d’un artiste complet, excellant non seulement dans le domaine
de la peinture, mais également dans le dessin et la gravure, ainsi qu’il
ressort de la très belle exposition organisée par les commissaires Hélène
Grollemund et Olivia Savatier Sjöholm, musée du Louvre, et Séverine Lepape,
musée de Cluny.
C’est avec l’art de l’estampe, un art qui contribua fortement à la
formation de l’artiste, que le visiteur entre dans ce parcours
chronologique. Celui qui fut contemporain de Dürer et de Cranach, dont
leurs œuvres viennent également jalonner la progression de l’exposition,
est actif à Ratisbonne et compte parmi les artistes majeurs de la
Renaissance allemande, même si son nom est moins passé à la postérité.
Dans le contexte de l’humanisme, Altdorfer s’ouvre à toutes les facettes
de l’art et de la science de son temps, un regard qui n’est pas sans
inclure des novations surprenantes puisées notamment à des sources
italiennes avec lesquelles il nourrit son inspiration tel Mantegna pour
son Allégorie de muses.

Albrecht Altdorfer, Crucifixion © Svepmveszeti Muzeum
Museum of Fine Arts Budapest
Le style d’Altdorfer s’affermit et se singularise dès les années 1510,
notamment avec l’admirable série de la Chute et de la Rédemption présentée
dans le parcours, véritable miniature de l’art du clair-obscur et cette
manière remarquable de condenser une action en un si petit espace
expressif. Toute la foi de l’artiste rayonne dans cette série de 40 bois
gravés de taille de taille réduite (7 x 5 cm), notamment une admiration
mariale sensible dans la représentation de la jeune et belle Vierge
magnifiée dans l’Annonciation. La liberté du trait, l’annonce de larges
perspectives, le souci du détail en un contexte pourtant contraignant
démontrent que l’artiste déploie son art, ce qui lui vaudra dès lors
d’importantes commandes impériales, tel le livre de prières de Maximilien,
les bois gravés de l’Arc de Triomphe et autre Cortège triomphal qui font
l’objet d’une salle à part entière en fin de l’exposition.
Riches et variées seront les découvertes offertes par ce très beau
parcours qui rend hommage à un artiste dont le nom mérite d’être plus
reconnu. |
Catalogue « Albrecht Altdorfer. Maître de la Renaissance allemande » ;
Ouvrage collectif sous la direction d’Hélène Grollemund, chargée de
collections, Séverine Lepape, conservatrice, et Olivia Savatier,
conservatrice au département des Arts graphiques du musée du Louvre ; 24,6
x 28 cm, 352 p., 275 illustrations, cartonné contrecollé, Éditions
Liénart, 2020.

La couverture et les premières pages du catalogue consacré à l’artiste de
la renaissance allemande, Albrecht Altdorfer, donnent immédiatement la
tonalité de cette personnalité ouverte à tous les courants humanistes de
son temps. La splendide « Adoration des Mages » fait preuve d’un art
consommé pour la richesse des détails, sans pour autant oublier cette
tension sensible des protagonistes de la scène. L’Enfant Jésus tendant les
mains vers les symboles de sa royauté, la richesse des drapés et des
passementeries, le chatoiement des couleurs, tout fait signe dans cette
œuvre. Contrastant avec cette scène à la fois intimiste et riche, le
fracas de batailles surgit aussi dans ces rangées de soldats s’affrontant
lors de ces évocations guerrières. Là réside peut-être l’art d’Altdorfer,
cette facilité de l’artiste à déployer un art du mouvement et de la
tension sensible dans des contextes pourtant si différents.
Julia Zaubauer rappelle tout d’abord le destin d’Altdorfer, souvent
relégué à une injuste place de second rang, alors que Séverine Lepape
souligne, pour sa part, que son art s’est forgé au medium de l’estampe
dans lequel il excellera rapidement. Les débuts d’Altdorfer comme peintre
sont abordés par Guido Messling soulignant cet amour spontané de la forêt
que l’on retrouvera souvent dans ses œuvres par la suite, cette « sainte
nature sauvage » qui le fascine manifestement, et qui confèrera à ses
tableaux ce souci du détail et de vitalité dans ses paysages qui ne sont
en rien un decorum. C’est aux œuvres de la maturité d’Altdorfer qu’Hélène
Grollemund s’attache également avec ses fameux bois gravés qui vaudront à
l’artiste sa renommée.
Une fois encore, par ce medium, Altdorfer fait preuve rapidement d’une
grande expressivité qui n’a rien à envier à celle de ses contemporains,
telle cette étonnante « Décollation de saint Jean Baptiste » dont certains
détails fascinent le regard dans ce contexte architectural chaotique… Un
art qui trouve son apothéose avec la célèbre série de bois gravés « Chute
et Rédemption de l’humanité » reproduite dans le détail dans le catalogue,
une narration foisonnante dans la minutie qui ne cesse de surprendre et de
séduire.
La deuxième partie de l’ouvrage donne enfin à voir les autres facettes de
cet artiste décidément inspiré, notamment les commandes officielles de
Maximilien, les eaux-fortes de vases d’apparat, l’architecture…
Un beau voyage dans la Renaissance allemande auprès de l’un de ses maîtres
à découvrir !
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Giorgio de Chirico. La peinture
métaphysique
Musée de l'Orangerie - Paris
jusqu'au 14 décembre 2020 |

Le musée de l’Orangerie propose une belle rétrospective consacrée à
l’œuvre du peintre de Chirico à partir du thème porteur de la dimension
métaphysique de son œuvre. L’un des peintres du XXe siècle le plus célèbre
d’Italie, et bien au-delà de ces frontières, se trouve ainsi aujourd’hui
mis à l’honneur grâce à un parcours conçu par le commissaire Paolo
Baldaquin plongeant le visiteur dans cet univers si singulier de
l’artiste. Chorizo sut s’affranchir très tôt de l’académisme pour plonger
dans un monde à la fois onirique et mythologique, mais aussi caustique et
provocant, toujours empreint de cette intériorité exceptionnelle qui le
caractérise.
Fondant et dépassant les bases du surréalisme, mouvement qui le rejettera
aussi radicalement qui l’adopta spontanément, de Chirico a également donné
naissance à ce que l’on a nommé la Pittura metafisica ou Peinture
métaphysique, un mouvement artistique italien qui regroupera, outre De
Chirico lui-même, Carlo Carrà et Alberto Savinio. Tout en conservant le
figuratif sur la toile, l’artiste la traverse et la transcende pour mieux
accéder à des univers inaccessibles habituellement aux sens physiques.

Giorgio De Chirico (1888-1978), Il Ritornante, hiver 1917-1918
Huile sur toile, 94 x 77,9 cm. © Georges Meguerditchian
Centre Pompidou, MNAM-CCI / Dist. RMN-GP © Adagp, Paris
C’est en effet un sentiment parfois de familiarité auquel est confronté le
visiteur lorsqu’au détour de cette belle exposition, il se retrouve face à
une situation qui lui rappelle l’un de ses rêves les plus intimes…
Métaphysique que ces images transcendant les codes de la rationalité et
touchant l’intériorité même de l’âme.
Des mondes intérieurs suggérés par le peintre en autant de paysages d’une
autre réalité à partir de réactions visuelles encouragées par l’artiste
lui-même, qui n’hésitait pas à souligner en 1918 qu’il chassait le démon
en tout, parce que nous sommes des explorateurs prêts pour d’autres
départs… Les lieux et pays sont ainsi omniprésents, la Grèce, son pays
natal, bien sûr, mais aussi les voyages à Munich, Paris, et enfin Ferrare,
nourrissent l’art de Chirico. Des départs dont le visiteur ne ressort pas
nécessairement indemne… C’est un ensemble représentatif d’une soixantaine
d’œuvres provenant des plus grands musées internationaux reconstitue ce
parcours de l’artiste à la fois sinueux et cohérent.
Une exposition qui donne assurément toute sa profondeur à cet artiste
talentueux trop souvent réduit à quelques œuvres emblématiques. |
« Giorgio de Chirico et la peinture métaphysique » de Paolo Baldacci,
203 x 292 mm, 232 p., Éditions Hazan, 2020.

Le catalogue élaboré par Paolo Baldaquin à
l’occasion de l’exposition du musée de l'Orangerie consacrée à Giorgio de
Chirico fait entrer de plain-pied dans l’univers singulier de l’œuvre du
peintre. Rares sont, en effet, les artistes à avoir comme lui tissé une
toile architecturale aussi dense, jouant paradoxalement des contrastes du
vide en une dimension onirique et métaphysique. Statues marmoréennes,
trains à vapeur défilant à toute vitesse, arcades désertées, les paradoxes
sont puissants et saisissants en abordant l’œuvre du peintre se
nourrissant de chacun de ses nombreux voyages de sa Grèce natale à Turin,
puis Paris et Ferrare.
Chirico s’inspira des différents mouvements des avant-gardes, tout en
bâtissant, progressivement, son propre style. Les pensées de Nietzsche et
de Schopenhauer vont fortement colorer sa création, celle-ci ouvrant les
tréfonds de la pensée à la représentation graphique.

Huile sur toile H. 135,6 ; L. 180 cm Ancienne collection : Paul Guillaume
Philadelphie, Philadelphia Museum of Art. The Louise and Walter
Arensberg Collection, 1950. © Adagp, Paris, 2020
Ainsi que le souligne Cécile Debray en ouverture de ce riche catalogue,
l’œuvre de Chirico réunit deux aspects a priori paradoxaux, à savoir une
très grande séduction et lisibilité et, parallèlement, une complexité
hermétique. Paolo Baldaquin insiste également sur cette dimension, entre
apparence et réalité. L’œuvre de Chirico sera, il est vrai, marquée par
une importante dimension métaphysique à l’intérieur même de la matière. La
relativité du concept de vérité sous l’influence de Nietzsche, une
ouverture remarquable aux langues et civilisations anciennes, les signes
et symboles sont autant de sources venant nourrir cet art métaphysique
qu’élabore patiemment l’artiste au fil de son œuvre jusqu’à cette « école
métaphysique » née de la période ferraraise au contact de Carlo Carrà et
Géorgien Morandi. Une ultime période qui vient clore ce passionnant
catalogue présentant l’ensemble des œuvres exposées. |
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"Les villes
ardentes - Art, travail, révolte 1870-1914"
Musée des Beaux-Arts de Caen
jusqu'au 22 novembre 2020. |

En d’opportuns échos à certains mouvements sociaux qu’a pu connaître le
pays ces dernières années, le musée des Beaux-Arts de Caen consacre
actuellement une série d’expositions ayant pour fil directeur les
modernités urbaines et leur poids sur les hommes, femmes et enfants.
L’exposition « Les villes ardentes » offre une réflexion prolongeant après
Gramsci et Henri Lefebvre (« La Révolution urbaine ») la question de la
place du travail dans le contexte urbain de l’ère industrielle.
Contrairement à une certaine idée reçue, les impressionnistes n’ont pas
porté leur regard que sur la seule nature revisitée par leur palette.
Entre la Commune et la Première Guerre mondiale, les près de cent
cinquante œuvres réunies par les commissaires Emmanuelle Delapierre,
directrice du musée, et Betrand Tillier, professeur à la Sorbonne, font en
effet l’ardente démonstration que ces artistes sont loin d’être
déconnectés du réel social.

Peirre Combet-Descombes, Les Hauts fourneaux de
Chasse (triptyque) , 1911, huile sur toile © Villefranche sur Saône, musée
municipal paul Dini
En un jeu de mots faisant écho aux effets sur les villes et les hommes des
feux de la révolution posée par l’industrie, l’effervescence ne se limite
pas aux techniques aussi imposantes soient-elles. Les hauts-fourneaux, les
forges, les chantiers pharaoniques transforment non seulement le paysage
urbain mais façonnent également celles et ceux qui y participent. De
noires fumées envahissent subrepticement les toiles des artistes comme
celles de Stanislas Lépine à la fin du XIXe siècle, alors qu’au même
moment le peintre Edgar Degas, pourtant plus connu pour la grâce de ses
danseuses, surprend un bâillement d’une repasseuse, signe de la pénibilité
du changement imprimé dans les conditions de travail.
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Après les vues pittoresques des faubourgs industriels offrant de nouvelles
perspectives et des couleurs inhabituelles dans le paysage, ce sont les
couleurs sociales qui se déploient au cœur de la palette des artistes.
Le premier capitalisme dévoile alors certains de ses replis moins
reluisants comme ces contrastes provocants saisis par Ernst-Georges Bergès
dans cette « Visite à l’usine après une soirée chez le Directeur » en
1901.

Ernest-George Bergès, Visite à l'usine après une soirée chez le directeur,
1901, huile sur toile, © Saint Etienne, musée d'art et d'industrie, photo
Bresson
L’opposition indécente entre les bourgeois repus visitant insolemment
l’usine du directeur en fin de soirée et la forge au feu incandescent au
sein duquel se démènent de pauvres « diables » d’ouvriers laissent
présager tous les conflits qui pourront en découler.

Camille Pissarro, L'Anse des Pilotes, Le Havre, matin, soleil, marée
montante, 1903, huile sur toile, Le Havre, Musée d'art moderne André
Malraux.
L’artiste peut dès lors s’immiscer dans ce monologue social, soit en
dépeignant avec force expressive le désarroi insondable du travailleur
sans emploi dans « Le Chômage » de Louis Adolphe Tessier ou encore en
représentant ces grondements qui se multiplient sous forme de grèves et de
manifestations comme dans cette « Grève à Saint-Ouen » de Paul Louis
Delance. Les peintres impriment leur propre analyse en dépeignant souvent
puissamment ces nouveaux martyrs de la révolution industrielle, un regard
qui nous conduit fort intelligemment à de nombreux questionnements et
analogies avec la situation que notre époque connaît actuellement.
A noter le remarquable catalogue édité à cette occasion sous la
direction d’Emmanuelle Delapierre, et Betrand Tillier "Les villes ardentes
- Art, travail, révolte 1870-1914" Éditions Snoeck, 2020.
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Le musée des Beaux-Arts de Caen consacre également en ce moment jusqu’au
21 janvier 2021 une importante exposition à l’artiste Gérard Fromanger. Le
cinéaste et critique d’art Claude Guibert a souhaité en effet en écho à
l’exposition voisine « Les villes ardentes » présenter le travail de cet
artiste engagé notamment dans les évènements de mai 68 auxquels il
participa activement. La couleur reposant sur la quadrichromie s’invite en
d’incessants dialogues avec la photographie, interactions ténues et
subtiles de la rue et du paysage social. Réunissant une soixantaine
d’œuvres de l’artiste allant de 1966 à 2018, l’exposition livre un
témoignage puissant sur un travail libre de tout formalisme et attaché à
ces vibrations que ses œuvres parviennent à saisir en d’étonnants jeux de
couleurs et de formes. |
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Exposition : « La
Force du dessin – Chefs d’œuvre de la Collection Prat »
jusqu’au 4 octobre 2020, Petit Palais,
Paris |

La Collection
Prat compte parmi les plus prestigieux ensembles privés de dessins
français au monde. L’exposition qui vient d’ouvrir au Petit Palais se
charge brillamment d’en faire la démonstration grâce à Pierre Rosenberg,
président-directeur honoraire du musée du Louvre (lire
notre interview) et Christophe Leribault, directeur du Petit Palais.
Dans les salles aux lumières tamisées du musée, trois siècles d’art
français se trouvent ainsi accrochés en un parcours aussi attractif que
passionnant. Le visiteur pourra en ces périodes postpandémiques profiter
d’une visite dans des conditions idéales avec un nombre limité de
personnes. Libre à chacun d’accomplir ce parcours selon ses préférences,
soit en suivant l’ordre chronologique de Callot à Seurat ou alors en
déambulant parmi les différents espaces conçus comme autant de cabinets
d’art. Les précieuses feuilles de Callot et de Poussin sont là pour
rappeler combien les maîtres anciens ont su poser les bases du dessin à
partir desquelles les artistes des siècles suivants proposeront leurs
propres lectures.

Le XVIIe siècle sera également celui du regard tourné vers l’Italie, et
notamment Rome, où l’antique irradie de ses lignes architecturales et de
ses ruines nombre de dessins d’artistes français manifestement séduits. Le
siècle du roi Soleil sera, bien entendu, celui des arts et notamment des
peintres focalisant leurs créations sur le souverain et les manifestations
de son absolutisme ; les magnifiques feuilles de Charles Le Brun, Pierre
Mignard ou encore de Noël Coypel (Femme projetée en arrière), y sont
réunies pour en témoigner.
Suivant la chronologie, à la mort de Louis XIV, la majesté cède à l’art
galant et aux années d’insouciance ouvrant ainsi les portes royales à des
artistes passés à la postérité pour leurs évocations légères empruntées à
la mythologie. Watteau, Boucher comptent , bien sûr, parmi eux alors que
des œuvres moins connues d’artistes comme Jean Restout, Pierre Charles
Trémolières et Michel-François Dandré-Bardon permettent de nuancer cette
évolution en rapportant leur propre singularité.
Ce qui aurait pu suffire à qualifier de remarquable une telle collection
se trouve, qui plus est, complété d’un nombre incroyable d’artistes non
moins prestigieux aux siècles suivants : Jacques-Louis David, Girodet,
Gros, Géricault, Ingres, Delacroix… La profusion de feuilles de toute
première qualité donne le vertige jusqu’à son terme avec cette ouverture
vers la modernité suggérée par les dessins réunis de Manet, Seurat, Degas,
Rodin, Cézanne…

Ce splendide et incroyable voyage évoquant « La Force du dessin » offre
une réflexion infinie sur l’école française avant 1900, un voyage dans
l’histoire de l’art avec des œuvres qui seront souvent à l’origine des
plus belles créations de la peinture française ou livrant le témoignage
flamboyant de l’inspiration infinie de ces grands artistes français.
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« La force du dessin ; Chefs-d’œuvre de la
Collection Prat » ; Catalogue de l’exposition du même nom au Petit Palais
de paris ; Sous la direction de Pierre Rosenberg avec la collaboration de
Laurence Lhinares, Côme Rombout et Conrad Valmont ; Relié, 24 x 30 cm ;
Éditions Paris Musées, 2020.

C’est un fort et splendide catalogue « La force du dessin ; Chefs-d’œuvre
de la Collection Prat » qui accompagne l’exposition éponyme actuellement
ouverte au Petit Palais de Paris jusqu’en octobre 2020. Sous la direction
de Pierre Rosenberg et publié aux éditions Paris Musées, l’ouvrage offre
une vue d’ensemble particulièrement précise et remarquable de cette
extraordinaire collection représentative de pas moins de trois siècles
d’art français du dessin. Un catalogue exceptionnel, donc, pour une
collection elle-même d’exception. La collection Prat réunit à elle seule,
en effet, un des ensembles les plus remarquables et enviés, non seulement
en France, mais également dans le monde entier, de l’art du dessin
français puisque cette collection, s’échelonnant du XVIIe siècle au début
du XXe siècle, comprend des dessins de Jacques Callot jusqu’à des œuvres
expérimentales de Seurat ou encore de Cézanne. Unique et exceptionnelle au
même titre que la collection Prat à laquelle il est consacré ou que
l’exposition du Petit Palais de Paris, l’ouvrage s’ouvre par un riche et
long entretien entre Louis-Antoine Prat, Pierre Rosenberg, tous deux
collectionneurs, et Christophe Leribault, co-commissaire de l’exposition
avec le grand historien d’art. Avec la collaboration de Laurence Lhinares,
Côme Rombout et Conrad Valmont, ce sont ainsi de riches études et analyses
transversales, bien que reposant et gardant une approche chronologique,
que livrent les pages de ce catalogue appuyées par une large et belle
iconographie. Les dessins du XVIIe siècle de la Collection Prat relèvent
la forte influence qu’eut, bien sûr, à cette époque l’Italie et la Ville
éternelle sur l’art du dessin français, François Stella, Nicolas Poussin,
bien sûr, lui qui réalisera toute sa carrière à Rome, mais aussi Le
Lorrain ou encore Vouet … Aussi n’est- ce pas surprenant que l’ouvrage
s’ouvre par une longue étude des « Dessinateurs français entre Paris, Rome
et la Province ». Une première étude qui ne pouvait qu’être suivie d’une
tout aussi incontournable analyse de « La couleur face au dessin :
rubéniste et poussinistes », offrant une place privilégiée notamment à
Charles Le Brun, premier peintre du roi, ou Jean-Baptiste de Champaigne
avant que ne s’imposent Pierre Mignard, Antoine Coypel ou Charles de La
Fosse. Deux belles analyses sont consacrées aux dessins de la collection
Prat du XVIIIe : Un chapitre consacré à « Watteau et la rocaille » suivi
d’une analyse de « la seconde moitié du XVIIIe siècle », avant que s’ouvre
au lecteur l’art du dessin au XIXe siècle.
La Collection comprend notamment un très bel ensemble de dessins de
Ingres, Delacroix ou Chassériau. Mais, elle offre également de
remarquables pièces représentatives de l’ « Académisme et des réalismes »
qui suivirent les années 1850 avec des dessins de Corot, Courbet, Millet,
Daumier... Des œuvres symbolistes de Redon et Gustave Moreau d’inspiration
littéraire trouvent, bien entendu, également leur place tant dans la
collection Prat que dans ce catalogue qui lui est consacré. Des ensembles
fabuleux que viennent encore enrichir des dessins, lavis ou encre de
Victor Hugo, et même de Charles Baudelaire, avant que des œuvres de Manet,
Degas, Rodin… ouvrant « Vers la modernité » - dernier chapitre du
catalogue - n’entraine le lecteur dans une rêverie infinie. Ce sont
Louis-Antoine et Véronique Prat qui furent dans les années 70 à l’origine
de cet ensemble unique. Leur collection ne saurait cependant en rien être
une collection privée figée, puisque cette dernière s’est encore enrichie
ces dernières années de pièces jugées majeures. Rarement présentée au
public, la collection n’est sortie que très exceptionnellement de son
espace privé, en 1995 pour être présentée au Louvre, et aujourd’hui, en
cette année 2020, présentée au Petit Palais de Paris. A ce titre, cet
exceptionnel catalogue exclusivement consacré à l’art du dessin français
et à la Collection Prat révélant toute « la force du dessin » ne pourra
que retenir l’attention et l’admiration non seulement des professionnels,
mais aussi de tout amateur ou amoureux d’art. Aussi incontournable que
l’exposition !
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Expo virtuelle
« Van Eyck. Une révolution optique »
Musée des Beaux-Arts de Gand (MSK)
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"Van Eyck par le détail" par Annick Born et Maximiliaan P.J. Martens,
édition compacte, Hazan, 2020.

Le peintre Van Eyck (vers 1390-1441) s’avère être l’artiste par excellence
du détail ; Aussi, la collection « Par le détail » se justifie-t-elle
pleinement pour ce maître hollandais. Alors qu’avec Van Eyck, nous
célébrons en cette année 2020 l’un des peintres les plus fascinants du XVe
siècle, les œuvres qu’il a laissées à la postérité imposaient, en effet,
un examen en ses plus infimes détails.
Parmi ses nombreuses créations vient immédiatement à l’esprit « L’Agneau
mystique », une œuvre commencée par son frère aîné Hubert et terminée par
Jan après sa mort. La section intitulée « Le divin » de ce passionnant
livre réalisé par Annick Born et Maximiliaan démontre cet incroyable souci
de précision et minutie que le peintre apporta à cette œuvre phare.
Flambeau de l’art primitif flamand conservé dans l’ancien baptistère de la
cathédrale Saint-Bavon de Gand, ayant fait l’objet d’une récente
restauration, « L’Agneau mystique » ne cesse de fasciner depuis sa
création tant pour la virtuosité de sa réalisation que pour les lectures
symboliques qu’il réunit sur ses différents panneaux. Traduisant de
manière unique le texte de l’Apocalypse de Jean, le retable évoque non
seulement le mysticisme de son époque mais livre également un témoignage
jamais réalisé jusqu’alors de l’art sacré à partir de la figure centrale
christique, non plus représentée en Croix mais sous la forme d’un agneau
sur l’autel et d’où l’eau et le sang s’écoulent dans un calice d’or.
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Chaque détail
prend alors sens et l’ouvrage permet d’entrer littéralement dans l’atelier
de la création Van Eyck ; Une présentation accompagnée des commentaires
essentiels des auteurs pour cette œuvre complexe dont il peut être parfois
difficile d’en saisir toutes les nuances.

Mais Van Eyck n’est pas le peintre d’une seule œuvre, et c’est avec la
même pertinence que cet ouvrage présente les autres œuvres du maître dont
la célèbre toile conservée au Louvre la « Vierge du chancelier Rolin »
dont les sublimes effets d’architecture rivalisent avec la richesse des
protagonistes au premier plan : les drapés luxuriants de la Vierge et du
chancelier contrastant avec la nudité du jeune Jésus bénissant.

L’art du
portrait chez Van Eyck atteint également des sommets si l’on songe à la
profondeur de ce regard du « Portrait de Jan de Leew », peint en 1436, et
témoignant de l’étonnante sagacité du peintre à saisir l’âme de son sujet
sur la toile.
Chaque détail souligné et commenté se voit consacré une pleine page
révélant toute la saisissante complexité de l’atelier Van Eyck. Un art où
la nature dévoile une partie de ses secrets alors que l’humanité de ses
personnages démontre qu’une révolution des mentalités est déjà en cours en
cette période où l’individu fait l’objet d’un éclairage inédit
jusqu’alors.
Richement illustré, l’ouvrage avec son format carré offre une belle mise
en lumière de l’œuvre de l’un des plus grands maîtres flamands du XVe
siècle.
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Expo virtuelle
" René Burri –
Explosions of Sight "
Exposition musée de l’Élysée Lausanne -
Suisse |
« René Burri – Explosions of Sight », Sous la direction de Mélanie
Bétrisey et de Marc Donnadieu ; Catalogue de l’exposition éponyme au musée
de l’Élysée de Lausanne ; Relié, Couv cartonnée, 21 x 27 cm, 240 p. ;
Coédition Musée de l’Élysée de Lausanne / Editions Scheidegger & Spiess,
2020.

Les éditions Scheiddeger & Spiess ont eu l’heureuse initiative de
consacrer un ouvrage entièrement dédié au travail du célèbre photographe
suisse René Burri à l’occasion de l’exposition « René Burri – Explosion du
regard» qui devait se tenir au Musée de l’Élysée de Lausanne jusqu’en juin
2020. René Burri avait avant sa disparition à Zurich en 2014 confié son
fonds et archives au Musée même de Lausanne. Exceptionnel photographe de
terrain, né en 1933, René Burri a su capter, peut-être mieux que nul
autre, le monde du XXe siècle qui fut le sien. C’est cette immense œuvre
que le lecteur pourra retrouver rassemblé dans sa totalité dans cette
unique, et donc précieuse, monographie réalisée sous la direction de
Mélanie Bétrisey, conservatrice adjointe et responsable de la collection
René Burri au Musée de l’Élysée à Lausanne, et de Marc Donnadieu,
conservateur en chef du département des expositions du Musée de l’Élysée à
Lausanne. Mais au-delà de cette belle rétrospective, ce sont aussi
d’émouvantes et passionnantes surprises qui attendent le lecteur, les
auteurs ayant, en effet, fait choix de retenir, ici, un autre regard,
tourné non seulement vers le photographe mais aussi vers l’homme qu’il
fut, un René Burri, moins connu, plus intime et secret.
Son œuvre photographique demeure aujourd’hui indissociable de l’Histoire,
celle avec un grand « H »de la fin du siècle dernier. |
Globe-trotter infatigable, il a parcouru les quatre coins du monde, de
l’Europe aux États-Unis, de l’Orient à l’Extrême Orient ; Toujours à
l’avant-poste, peu d’évènements marquant ce siècle avançant inexorablement
vers un autre millénaire ne lui ont, à vrai dire, échappé.
Il rejoindra le célèbre Magnum Photo en 1955 pour en devenir membre en
1959.
Son œil exercé a aussi su capturer ces portraits inoubliables ayant fait
pour beaucoup le tour du monde et demeurant gravés à jamais dans la
mémoire collective. On lui doit notamment le si célèbre portrait de Che
Guevara daté de 1963, l’un des clichés les plus reproduits au monde. Des
portraits également d’artistes, tel celui de Pablo Picasso, d’Alberto
Giacometti, Le Corbusier ou encore Jean Tinguely. C’est le talent de ce
photographe qui se révèle, ici, avec cette recherche non dénuée de
tendresse et d’humour de la personnalité et du caractère de son sujet,
telle cette expression candide capturée de Le Corbusier.

Mais au-delà de cet immense travail photographique, c’est aussi et surtout
un René Burri intime que nous propose cette monographie. Un regard nouveau
et émouvant. Ainsi, le lecteur pourra-t-il découvrir à côté de son travail
et œuvre également des archives inédites, mais aussi des souvenirs
personnels ayant appartenu au photographe, journaux de voyage, objets,
collages ou aquarelles... sans oublier les nombreux projets de l’artiste,
projets d’exposition ou réalisation d’ouvrages. C’est avec un René Burri
aux multiples facettes, souvent tenues secrètes, avec lequel le lecteur à
en ces pages, grâce aux nombreuses contributions appuyées par une vaste
iconographie, rendez-vous.
Un ouvrage offrant, à l’instar de l’exposition du Musée de Lausanne qu’il
accompagne, une unique et magnifique rétrospective tant de l’œuvre que de
la vie de ce photographe d’exception que fut, durant sa longue carrière de
plus de 60 ans, René Burri. |
Expo virtuelle
« Cézanne et les Maîtres – rêve d’Italie »
musée Marmottan - Paris
(actuellement fermée pour cause d'épidémie) |
« Cézanne et les Maîtres – rêve d’Italie », Collectif, Co-édition Musée
Marmottan Monet / éditions Hazan, 2020.

Cézanne a incontestablement marqué l’histoire de l’art. Après lui, rien ne
sera plus comme avant, et nombre de peintres jusqu’à nos jours se
réclameront de lui. Mais quels étaient les maîtres, cependant, de Paul
Cézanne lui-même ? C’est à cette interrogation et thème les plus porteurs
que vient répondre avec bonheur l’ouvrage « Cézanne et les Maîtres » paru
aux éditions Hazan. Avec une iconographie remarquable qui s’offre au
regard dès les premières pages, ce riche collectif accompagnant
l’exposition éponyme du Musée Marmottan (qui aurait dû se tenir jusqu’au 5
juillet 2020), a retenu pour angle d’étude l’Italie, bien que le peintre,
devenu le « Maître d’Aix-en-Provence », ainsi que le nomme Patrick de
Carolis en sa préface, ne se soit jamais pourtant rendu dans la Péninsule.
D’où ce sous-titre source des plus belles promesses, « Rêve d’Italie »,
car allant à la rencontre des Maîtres de ce Maître, c’est bien de rêves
d’Italie, et des plus beaux, dont il s’agit !
En effet, c’est dans un vis-à-vis des plus féconds avec les grands maitres
italiens du XVIe et XVIIe siècle que sont livrés au regard et à l’étude
les plus grands chefs-d'œuvre de Cézanne. Une mise en lumière éblouissante
et ô combien riche d’enseignements.
Tintoret, Bassano, Jusepe de Ribera,
Giordano, Preti, et d’en d’autres encore viennent ainsi dialoguer avec cet
autre grand maître de la peinture que fut Cézanne et qui « fit de la
conquête des espaces provençaux une autre Italie… », ainsi que l’écrit
Alain Tapié, commissaire de l’exposition et conservateur honoraire en chef
des musées de France, en son introduction « De la nature de l’art vers
l’art de la nature ». Un passage marquant, pour l’auteur, deux grands
moments dans la peinture de Cézanne. C’est avec une Italie rêvée que le
peintre aixois semble avoir tissé des affinités d’artistes, mais aussi de
lieux, Rome, Venise, voire Naples… |
Et,
il serait excessif de vouloir y chercher « un cloisonnement stylistique »
ou une absolue influence. Plus que des influences directes, c’est une mise
en perspective dont il s’agit, notamment concernant la peinture
vénitienne, ainsi que le développe Claudio Strinati, historien d’art, dans
« Les tableaux rêvés de Cézanne dans la peinture vénitienne ». De même,
Denis Coutagne, conservateur honoraire du patrimoine et président de la
Société Paul Cézanne, souligne dans son texte « Quand Cézanne rêve de
Naples » que « Vouloir que le rêve italien de Cézanne s’appelle Rome ou
Venise, il y là une évidence. Soupçonner que ce rêve italien nous conduise
à Naples, voilà qui surprend… Et pourtant ! Trois tableaux (voire quatre)
le font explicitement sous le titre « L’Après-midi à Naples » (…) Naples
demeure le seul toponyme italien attaché à quelques toiles, et ce depuis
pratiquement l’origine ! »

Jacopo Robusti, dit le Tintoret La Déploration du Christ
vers 1580 Huile sur toile 104 x 137 cm Paris, musée du Louvre, déposé au
musée des beaux-arts de Nancy © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
C’est cet apparent paradoxe, entre une Italie non visitée et une Italie
rêvée par Cézanne auquel s’attache ce riche ouvrage. Une étude féconde
amenant Denis Coutagne à écrire encore dans sa seconde contribution « Rome
n’est plus dans Rome » que « le rapport de Cézanne avec Rome s’établit
mystérieusement, par l’unique voie qu’est la peinture ». Et, c’est bien
cette « italianité », ainsi que le souligne encore Patrick de Carolis, qui
a nourri Cézanne, et que les nombreuses contributions de ce catalogue
explorent et analysent.
L’ouvrage se clos, enfin, tel en un juste retour des choses en quelque
sorte, par l’influence qu’a eu ou pu avoir Cézanne sur les peintres
italiens qui lui seront postérieurs, Carlos Carrà, Morandi, mais aussi
Ottone Rosai, Ardengo Soffici, Mario Sironi ou encore Umberto Boccioni,
Fausto Pirandello... Une belle analyse menée par Maria Teresa Benedetti,
professeur émérite et historienne de l’art, dans sa contribution « Cézanne
et le Novecento ».
Ce catalogue « Cézanne et les Maîtres » offre assurément une riche et
passionnante étude, et peut-être plus encore un très beau « Rêve d’Italie
»… |
Expo virtuelle
« Paris 1900 et le
postimpressionnisme - Signac et les Indépendants »
musée des Beaux-Arts de Montréal
(actuellement fermée pour cause d'épidémie) |
"Signac et les Indépendants" ; Sous la direction de Nathalie Bondil,
Gilles Genty, Mary-Dailey Desmarais ; Catalogue d'exposition, 247 x 287
mm, 384 p., Éditions Hazan, 2020.

Au seul nom de Paul Signac surgit immédiatement à l’esprit le «
pointillisme », cette technique picturale inexorablement associée à cet
artiste qui, avec Georges Seurat, fit connaître cette nouvelle manière de
peindre et de concevoir l’art qu’ils nommèrent « divisionnisme ». Nous
sommes au tournant du siècle, Paris avec l’année 1900 connaît
l’émancipation d’un certain nombre d’artistes qui sous le nom
d’Indépendants vont clamer haut et fort « L’art pour tous ! ». Loin des
académies et de leurs cooptations, c’est une volonté nouvelle d’un art
sans frontières ni barrières qui s’ouvre au temps de la Belle Époque. Paul
Signac sera justement l’un des cofondateurs du Salon des Indépendants et
le théoricien des « impressionnistes dits scientifiques ».
C’est à ce mouvement, qui dépasse la seule technique du pointillisme,
qu’est consacré ce riche catalogue à l’occasion de l’exposition « Paris
1900 et le postimpressionnisme - Signac et les Indépendants » au musée des
Beaux-Arts de Montréal, provisoirement suspendue en raison de l’actuelle
épidémie. Plus qu’une émancipation des cadres rigides du siècle précédent,
ce mouvement appelle à une véritable révolution, celle de l’indépendance
de l’artiste, sa liberté étant source de nouvelles approches et
d’attitudes échappant aux conventions jugées trop rigides. |
Nathalie Bondil, directrice de l’exposition, tient justement à souligner
que « cette exposition célèbre l’esprit d’indépendance : la liberté de
création des artistes, l’expérimentation des techniques, l’insolence des
caricatures, le désir d’émancipation des femmes, la révolte des peuples au
temps d’anarchie, l’art qui s’affiche dans la rue partout et pour tous,
les horizons ensoleillés des bords de mer, les infinis de l’imagination »…

Paul Signac (1863-1935), Juan-les-Pins. Soir, 1914, huile sur toile, 73 x
92 cm. Collection particulière. Photo Maurice Aeschiman, Genève
Aussi, avec Signac et au-delà de Signac, ce catalogue fait la
démonstration de ces barrières brisées par ce mouvement ouvrant le siècle
nouveau pour un art nouveau. Les couleurs se trouvent divisées en taches
pures, juxtaposées en une proximité si infime que seule la distance permet
de les confondre et de faire naître d’infimes nuances. Vision à la fois
onirique et positive, modernité et impression font bon ménage pour
défendre un art engagé, aussi si bien sur le plan technique que dans
toutes les dimensions sociales et politiques. Nous retrouvons ainsi dans
ces pages richement illustrées les œuvres de Signac en compagnie d’œuvres
de bien d’autres avant-gardes partageant cet élan, tels les
impressionnistes (Monet et Morisot), mais aussi les fauvistes (Dufy,
Friesz, Marquet), les symbolistes (Gauguin, Mucha, Redon), nabis (Bonnard,
Denis, Lacombe, Sérusier, Ranson, Vallotton), néo-impressionnistes (Cross,
Guillaumin, Luce, Pissarro, Seurat, Van Rysselberghe) ou encore ces autres
témoins de la vie parisienne (Anquetin, Degas, Lautrec, Picasso,
Steinlen). Plus qu’un catalogue, ce riche et bel ouvrage propose au
lecteur de comprendre cette période essentielle de transition, ce tournant
artistique avec lequel rien ne sera plus comme auparavant en art, comme
pour la société. |
Expo virtuelle
Jean-Philippe Charbonnier
Pavillon Populaire de Montpellier
(actuellement fermée pour cause d'épidémie) |
« Jean-Philippe Charbonnier – Raconter l’autre et l’ailleurs
(1944-1983) » par Emmanuelle de L’Ecotais, 144 illustrations, 27x 24 cm,
144 p., Éditions Hazan, 2020.

A découvrir le catalogue consacré au photographe Jean-Philippe Charbonnier
- « Raconter l’autre et l’ailleurs » - publié par les éditions Hazan à
l’occasion de l’exposition « Jean-Philippe Charbonnier ; Photographe de la
famille des hommes » qui aurait dû se tenir au Pavillon Populaire de
Montpellier du 5 février au 19 avril 2020.
Photographe de renommée internationale et globetrotteur infatigable,
Jean-Philippe Charbonnier (1921 – 2004) n’a eu de cesse de capturer avec
son objectif « Le monde humain », des femmes et des hommes de tous
horizons et continents. Intégrant l’ «école humaniste » dans les années
1950, il a arpenté les plus grandes mégapoles et parcouru des lieux
lointains ou insolites. Ce sont des photographies allant de 1944 à 1983,
et réalisées notamment entre les années 1959 – 1974 pour le célèbre
magazine « Réalités », qui ont été réunies par Emmanuelle de l’Ecotais,
historienne de l’art et de la photographie, et que le lecteur pourra en
ces pleines pages découvrir.
Des déserts aux supermarchés, des mines du Nord de la France aux défilés
de haute couture, les photographies de Jean-Philippe Charbonnier ont
toujours su captiver et interpeller. Des clichés, essentiellement en noir
et blanc, à forte valeur documentaire et puisant leur force dans une
dimension sociale non dénuée de critiques ou d’un brin d’humour.
|
Ce sont de véritables rencontres, rencontres avec l’humanité, que livre au
regard ce catalogue consacré à ce grand photographe du XXe siècle.
Emmanuelle de L’Ecotais, également commissaire de l’exposition, rappelle
en introduction combien être photographe était, pour lui, un état d’esprit
à part entière : « On l’est de manière permanente, de l’intérieur »,
aimait-il à dire.
Un état d’esprit et un regard tourné vers l’autre, vers le monde, pour
mieux convoquer la rencontre avec l’humanité, c’est cela l’œuvre
photographique de Jean-Philippe Charbonnier. « Raconter l’autre et
l’ailleurs », le titre même de cet album l’annonce mieux que tout autre.
Un regard humain qui se dégage d’une foule, un battement de cils saisi
dans notre propre rue, quartier ou pays, mais aussi ces visages
saisissants à l’autre bout du monde et qui seraient demeurés ignorés sans
ces exceptionnels clichés. Car ce sont bien des photographies d’exception
que nous donne à voir ce catalogue format à l’italienne.

Plongeoir de la piscine d'Arles, 1975 Jean-Philippe CHARBONNIER/RAPHO
Des prises de vue inouïes, en noir et blanc, pour certaines rarement
montrées, voire écartées par le photographe telles ces rares photographies
couleur jusqu'à présent jamais retenues. Ce sont les battements de vie de
l’humanité, pris sur le vif, les rues de Pékin, les marchés de Birmanie,
l’American life, Paris avec les mannequins de Dior ou encore ces clichés
pris dans un hôpital psychiatrique ; Photographies tissées de liens avec
l’autre, les autres, milieux et conditions sociales, dans lesquelles se
glisse parfois l’humour du photographe. Ce sont tous ces visages, ces
sourires d’enfants, d’anonymes capturés aux quatre coins de la planète,
Mali, Sud saharien, Tokyo… qui s’offrent ainsi au regard. L’humanité dans
ce qu’elle a de plus vivant. |

|

La machine à coudre, Koweit, 1955 |

Grimaces. Kotzebue, Alaska 1955 |

Comme au Moyen-Âge, Paris, 1976 |
Expo virtuelle
Unica Zürn
Musée d’Art et d’Histoire de l’Hôpital
Sainte-Anne de Paris
(actuellement fermée pour cause d'épidémie) |
« Unica Zürn » ; Catalogue de l’exposition
éponyme au Musée d’Art et d’Histoire de l’Hôpital Sainte-Anne de Paris (MAHHSA)
; Collectif sous la direction de Anne-Marie Dubois ; 145 illustrations, 19
x 26.5 cm, 176 p., Co-édition MAHHSA / Editions In Fine, 2020.

C’est un très complet et passionnant catalogue qui accompagne l’exposition
« Unica Zürn » au Musée d’Art et d’Histoire de l’Hôpital Sainte-Anne de
Paris qui devait se tenir en ce premier semestre 2020.
Unica Zürn, Allemande, née en 1916, sera notamment connue pour sa vie
mouvementée faite de ruptures, pour sa rencontre en 1953 avec Hans
Bellimer, ses créations et nombreux séjours en hôpital psychiatrique et
ses écrits dont « L’homme-Jasmin », « Sombre printemps » ou encore «
Vacances à Maison-Blanche » ; Unica Zürn se donnera la mort le 19 octobre
1970 à Paris. De son vivant, ses œuvres plastiques seront exposées à
plusieurs reprises notamment à la galerie « Le point Cardinal » dans les
années 1960, exposition dont Max Ernst préfacera le catalogue.
Présentant l’ensemble des créations exposées d’Unac Zürn, soit près de
soixante-dix œuvres plastiques, l’ouvrage suivant en cela la démarche de
l’exposition du MAHHSA entend plus particulièrement faire connaître et
mettre en relief le travail plastique et la femme que fut Unica Zûrn. La
vie dramatique, psychiatrique ou encore ses écrits ayant ces dernières
décennies plus largement - avec plus ou moins de bonheur - inspiré et
fasciné nombres d’analyses, ouvrages ou documentaires. C’est aux créations
mêmes d’Unica Zürn et aux liens qui les unissaient avec le langage ou ses
écrits qu’est consacré ce catalogue.
En ses pages, le lecteur découvrira des œuvres d’Unica Zürn réalisées
notamment lors de son séjour à l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne de
Paris, un ensemble unique puisque ses créations sont aujourd’hui
dispersées aux quatre coins du monde dans des collections publiques,
privées ou galeries. |
Aux cinq œuvres appartenant au MAHHSA et réalisées par Unica Zürn lors de
son hospitalisation, sont venues s’ajouter également des œuvres
appartenant à la Galerie Ubu de New York, de la Galerie Hus ou encore de
la Galerie 1900-2000. C’est donc un ensemble unique qui se voit réuni à
l’occasion de cette exposition au MAHHSA.
Des dessins singuliers, des gravures, aux formes souvent fantastiques, aux
étranges créatures ou visages avec une prédominance des créatures marines
pour la première période. Une diversité ayant pour caractéristique une
finesse d’exécution marquée et particulière. Des dessins polymorphes
réalisés à l’encre ordinaire ou de Chine, à la gouache ou à l’huile… Des
créations qui interpellent et questionnent tant sur le plan psychiatrique
qu’artistique.

À ces œuvres ont été joints de nombreux autres documents, photographies,
écrits, lettres, etc. permettant de mettre en lien l’œuvre et la femme que
fut Unica Zûrn. Le lecteur sera notamment frappé par ces deux
photo-portraits de 1951 prises par Man Ray et placées en tout début
d’ouvrage.
L’ouvrage invitant à l’imaginaire est introduit par deux contributions
essentielles pour appréhender ces œuvres. Le premier, signé d’Anne-Marie
Dubois, commissaire de l’exposition, a fait choix de revenir sur
l’ensemble de la vie, écrits et œuvres d’Unica Zürn pour mieux marquer
cette mise en relief souhaitée de la force créatrice d’Unica Zürn. Margaux
Pisteur, chargée de collection au MAHHSA, revient, pour sa part, plus
largement sur l’aspect plastique retenu. Suivent des non moins riches
contributions notamment celle consacrée au « Langage poétique d’Unica Zürn
» par Jean-François Rabain, psychiatre et psychanalyste. Barbara Safarova,
historienne de l’art, souligne dans « Je ne voulais pas faire un roman… »
les liens étroits qu’entretenait Unica Zürn entre l’écrit et ses créations
plastiques. Le catalogue reprend, enfin, le riche texte que Victoria
Appelbe avait consacré en 2006 à « L’anagramme dans l’œuvre d’Unica Zürn
».
Un très beau catalogue venant souligner l’extraordinaire travail et
initiatives entrepris par le MAHHSA ces dernières années, préfigurant les
salles et collections permanentes que devrait accueillir le musée dans
l’ancienne chapelle de l’hôpital Sainte-Anne de Paris. |
Expo virtuelle
Otto Freundlich
Musée de Montmartre
(actuellement fermée pour cause d'épidémie) |
« Otto Freundlich ; La révélation de
l’abstraction », Catalogue de l’exposition éponyme du musée de Montmartre,
jardins Renoir, Édition bilingue : anglais, français ; Editions Hazan,
2020.

La naissance de l’abstrait est plus volontiers en
France associée à Braque et Pablo Picasso, oubliant ainsi celui qui fut
pourtant tant pas ses audaces, ses œuvres que sa pensée, probablement,
l’un des plus aventureux pionniers de l’abstraction, Otto Freundlich
(1878-1943).
C’est à cet exceptionnel peintre et sculpteur, théoricien et humaniste que
les Éditions Hazan ont eu l’heureuse initiative de publier un ouvrage
riche d’enseignement entièrement consacré à Otto Freundlich, redonnant
ainsi toute son importance et la place méritée à cet artiste précurseur.
Catalogue de l’exposition du Musée de Montmartre, Jardins Renoir, celui-ci
revient sur les périodes clefs de la vie de l’artiste, sur l’importance de
ses œuvres et sur cette pensée incroyablement puissante et visionnaire. «
La destinée d’Otto Freundlich est bouleversante parce qu’elle révèle avec
éclat une force intérieure qui le caractérise plus que tout : ne jamais
renoncer ni trahir ce qu’il est au plus profond de lui-même, un homme
fidèle à ses origines juives et à ses convictions artistiques, politiques
et humanistes. » ; Ce sont en ces termes forts que Geneviève Rossillon,
présidente du musée de Montmartre, et Fanny de Lépineau, directrice du
musée de Montmartre commencent, en effet, leur introduction à ce
catalogue. Marie-Bénédicte Vincent, historienne, a fait choix, pour sa
part, de mettre en perspective les grandes périodes de la vie du peintre :
Paris, avant la Première Guerre, sa politisation dans l’orbite
révolutionnaire, enfin, sa déportation sous l’occupation.
Lorsqu’Otto Freundlich arrive en France en 1908, c’est au « Bateau-Lavoir
» - presque naturellement a-t-on envie d’écrire - que celui-ci débarque.
Quel autre lieu plus emblématique, dès lors, que le musée de Montmartre
pouvait mieux accueillir aujourd’hui cette rétrospective après des années
de silence depuis la dernière exposition qui lui fut consacrée en France ?
C’est là, à Montmartre, en effet, que commencèrent la fabuleuse aventure
de l’abstraction et la carrière d’Otto Freundlich entouré de Paplo
Picasso, Braque, Delaunay… |
Il a 39 ans. Une période sur lesquelles reviennent nombre de contributions
de ce catalogue, offrant ainsi un approfondissement et une belle mise en
relief de ces années majeures : Saskia Ooms, responsable de la
conservation du musée de Montmartre, s’attache plus particulièrement aux «
Premiers séjours parisiens d’Otto Freundlich », Fabrice Hergott, directeur
du musée d’Art moderne de Paris, offre pour sa part un riche focus
intitulé « Compositions, 1911, et « le miracle de l’art » » avant que
Stéphanie Molins, historienne de l’art, n’explore les liens unissant Otto
Freundlich à Pablo Picasso.
Mais, Otto Freundlich ne fut pas seulement
un pionnier, il fut surtout un artiste engagé porteur d’un humaniste total
; Un engagement que Mario Chouery explore dans une belle analyse intitulée
« De quoi l’universalisme d’Otto Freundlich est-il le nom ? ». M. Chouery
souligne combien « Dans le contexte intellectuel et moral au début du XXe
siècle, Freundlich partage avec ces artistes pionniers des visées
utopistes : faire advenir un monde meilleur et créer un langage artistique
universel dans une tentative qui, chez lui, doit moins à la théosophie
qu’à un engagement humaniste et socialiste total, visant l’unité de
l’humanité à distance de la religion ou de la mythologie ».
Prenant cependant ses distances avec de nombreux mouvements
avant-gardistes, et après son échec à entrer au Bauhaus, Otto Freundlich
reviendra à Paris en 1924. Là, il intensifiera ses recherches et son
travail notamment sur les couleurs. Une « rupture » sur laquelle revient
amplement Christophe Duvivier, directeur des musées de Pontoise, dans «
Une syntaxe organique, principe de construction de l’œuvre d’Otto
Freundlich dans les années 30 », suivi de « Hommage aux peuples de
couleur, 1935 ».

Otto Freundlich, Composition, huile sur toile montée sur contreplaqué,
1930, 147 x 113 cm, Musée Tavet-Delacour, ©Archives Donation Freundlich,
Musée de Pontoise
C’est donc à plus d’un titre qu’Otto Freundlich sut s’imposer, aux côtés
notamment de Kandinsky, Paul Klee, Kupka ou encore Mondrian, en tant que
précurseur mais aussi de théoricien de l’abstraction, justifiant ainsi
pleinement le titre de l’ouvrage « La révélation de l’abstraction ».
Ce riche catalogue offre, enfin, en seconde partie, de nombreuses
reproductions couleur – pour nombre d’entre elles pleines pages – des
œuvres d’Otto Freundlich, auxquelles viennent s’ajouter photographies,
lettres ou manuscrits de l’artiste. Un panorama précieux lorsqu’on sait
qu’une large partie de ses œuvres qualifiées « d’art dégénéré » fut
malheureusement détruites par les nazis ; Otto Freundlich fut interné en
1939, déporté et assassiné en 1943. |
Expo virtuelle
Voyage, Voyages Mucem
(actuellement fermée pour cause d'épidémie) |
« Voyage Voyages », Catalogue de l’exposition « Voyage Voyages » du
Mucem, sous la direction de Christine Poullain et de Pierre-Nicolas
Bounakoff ; Cartonné, Relié cousu, 19.5 x 25.5 cm, 240 p. ; Coédition
Mucem / Édition Hazan, 2020.

Le catalogue sous la direction de Christine Poullain et de Pierre-Nicolas
Bounakoff qui accompagne l’exposition « Voyage Voyages » au musée des
civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) de Marseille est à
lui seul, avec sa couverture rouge tentation, un fort joli voyage dans le
monde des arts.
Le voyage ou plus exactement les voyages, ainsi que le sous-entend le
titre de cet ouvrage reprenant celui de l’exposition, ont toujours en
effet été une source inépuisable d’inspiration pour les artistes d’hier et
d’aujourd’hui.
Sylvain Venayre, invite dès les premières pages à découvrir cet ouvrage
tel un voyage dans le temps et l’espace avec « Le XIXe siècle comme bagage
» pose-t-il en titre, et Jean François Chougnet, Président du Mucem, ouvre
celui-ci en citant l’inclassable voyageur que fut Nicolas Bouvier : «
C’est le voyage qui nous fait et nous défait »…
Et effectivement, dans les domaines de la peinture, du dessin, de la
sculpture, de la photographie, installations ou encore vidéos, nombreux
sont effectivement les artistes ayant un jour entendu et répondu à cet
appel de l’ailleurs. Qu’ils aient été - ou soient - évasion, découvertes,
errance, fuite ou encore exil, chacun des artistes présenté y a puisé
inspiration et influences. Christine Poulain en une audacieuse
contribution annonce les repères ayant dicté les chapitres de ce dépaysant
ouvrage ; De « En valise » en appartenance pour « L’autre rive » ou « La
Planète affolée », par les chemins, « Sur la route » ou par mer, au gré
des « Cartes et traces », « Sea and Sun », à moins que ne soit l’exil qui
sonne la nécessité… ce ne sont pas moins de 80 artistes, de la fin du XIXe
siècle à nos jours, que l’ouvrage propose de suivre dans leurs voyages,
pérégrinations ou exil. |
De Paul Gauguin s’embarquant en 1891 pour Tahiti à Andreas Gursky en
passant par Matisse , Klee, Kandinsky, Marquet, Marcel Duchamp ou encore
Camille Henrot, ce catalogue offre un intéressant et riche itinéraire sur
les pas de ces artistes ayant élu le Voyage pour vent dominant. Prenant
pour prétexte la valise, cet accessoire indispensable à tout voyageur,
Guillaume Theulière jette sa longue vue sur Marcel Duchamp et par un clin
d’œil parcourt « L’art en valise ».

Henri Matisse, Polynésie, la mer, 1959. Woolen tapestry, 196 × 314 cm.
Mobilier national, Paris © Succession Henri Matisse; image © Mobilier
national, Paris / I. Bideau
Matisse, enfin, retiendra l’attention de Dominique Dupuis-Labbé, lui qui
traversa le Pacifique et n’aura de cesse, quinze années plus tard, de se
souvenir de la Polynésie. Un attrait pour les terres lointaines, pour un
ailleurs, si partagé par les artistes et ouvrant, modifiant ou
bouleversant leur vision et processus artistiques. Avec deux cents
illustrations et reproductions couleurs, lumière, couleur, impressions et
lignes s’affirment au gré des départs vers les horizons de l’abstraction
et de la modernité… Une source créative infinie joliment transmise par ce
catalogue dans lequel résonne entre les lignes, bien sûr, une fameuse
chanson ayant elle-même inspiré le titre de l’exposition et de ce
catalogue.
 |
Expo virtuelle
William Kentridge
(actuellement fermée pour cause d'épidémie) |
« William Kentridge » ; Catalogue officiel de l’exposition éponyme au
LaM (Lille Métropole Musée d’Art moderne, d’Art contemporain et d’Art
brut) ; Collectif sous la direction de Marie-Laure Bernadac, Sébastien
Delot et Josef Helfenstein, Relié PPP, 224 x 280 mm, Éditions Flammarion,
2020.

C’est un très beau catalogue entièrement dédié à l’œuvre de William
Kentridge qui vient de paraître aux éditions Flammarion, un ouvrage de
référence indéniablement qui ne pourra que réjouir tant, il est vrai, que
les monographies consacrées à ce grand artiste sont demeurées jusqu’à
présent trop peu nombreuses.
Sous la direction de Marie-Laure Bernadac, Sébastien Delot, commissaires
de l’exposition, et Josef Helfenstein, directeur du Kunstmuseum de Bâle,
l’ouvrage offre une belle et complète vision d’ensemble de l’immense
travail et recherches de William Kentridge. Partant de 1989 avec la
célèbre série de dix-huit dessins, gouache sur papier kraft, réalisée pour
les décors de la production théâtrale « Sophiatown » avec ce thème majeur,
cher à l’artiste, de la ségrégation jusqu’au fameux opéra virtuel et
sonore, « The Head & the Load », soulignant les liens entre la Grande
Guerre et le colonialisme, et créé avec le compositeur Philip Miller en
2018, l’ouvrage livre une réelle mise en relief des œuvres de l’artiste.
Dessins, collages, gravures, sculptures, tapisseries ou encore films
d’animation, installations vidéo avec en ces pages des captures d’écran
indispensables pour rendre compte de l’ensemble de son l’œuvre. Immense !
L’œuvre de cet artiste iconoclaste, né en Afrique du Sud, est de par son
immense créativité effectivement époustouflante. Une créativité
ininterrompue, toujours en mouvement, mais gardant une cohérence et une
rigoureuse ligne directrice, celles d’une vision du monde à la fois
implacable et poétique – Apartheid, décolonisation, conflits politiques…
Une vision sans concession « sauvée » par une irrésistible force poétique
– que partageait Pier Paolo Pasolini – exprimée, en ces pages, avec toute
la sensibilité et singularité de William Kentridge, et qu’annonce le
sous-titre de l’ouvrage « A Poem That Is not Our Own ». |
Une vaste et complète frise de grand format en quelque sorte, telles que
les affectionne l’artiste, introduite en première partie par de riches et
précieux textes offrant un bel éclairage quant aux influences ayant nourri
cette œuvre foisonnante, notamment « William Kentridge et le spectre de
Dada » par Judith Delfiner ou encore « La musique comme « Tummelplatz »
par Stéphane Ghislain Roussel.
Cette première partie livre surtout trois écrits exceptionnels signés de
la main de William Kentridge. L’artiste y confie notamment son rapport et
les liens ténus qu’il entretient avec son atelier ; Cet « espace fermé,
physiquement mais aussi psychiquement, comme un cerveau en plus grand »
souligne-t-il. Un atelier que le lecteur pourra à loisir retrouver en
photographie dans la seconde partie, laissant ainsi ses pensées voguer,
imaginant l’artiste marcher de long en large ; une déambulation nécessaire
et vitale pour William Kentridge pour qui « la déambulation dans l’atelier
est l’équivalent des idées qui tournent dans la tête ».

Le lecteur retrouvera ou découvrira également les dessins des années
1980-1990 lorsque l’artiste revint au dessin, des diptyques entre autres
de grands formats réalisés au fusain. Ses films, aussi, les premiers – «
Fêtes galantes de 85 ; Exhibition de 1987 ; Memo de 1995 -, mais aussi les
nombreux autres réalisés de 1989 à 2001 dont « Drawing for projection »
utilisant la fameuse et aujourd’hui si célèbre technique d’animation mise
au point par William Kentridge ou encore « Ubu Telles the Truth, film
inspiré d’Alfred Jarry avec pour sujet premier l’Apartheid, les Droits de
l’Homme… Une histoire et l’Histoire sur laquelle reviennent dans leur
contribution Ute Holl et Leora Maltz-Leca. Sans oublier, bien sûr, la
célèbre frise « Triumphs and Laments » de plus de 550 mètres réalisée en
2016 sur les berges du Tibre, œuvre éphémère représentant une procession
inspirée de l’ancienne Rome, silhouettes d’ombre se succédant et portant
leur destin...
Mise en scène, mise en mouvement, avec à chaque fois pour le lecteur
l’étonnement de cette richesse de création et de talent, on ne compte plus
les passerelles que William Kentridge a su tisser entre les arts, arts
plastiques, théâtre, cinéma…
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Expo virtuelle
500e anniversaire
de la disparition du peintre Raphaël |
"Raphaël par le détail" de Stefano Zuffi, Coll.
Par le détail, 263 x 328 mm, 224 p., Hazan, 2020.

En ce 500e anniversaire de la mort de Raphaël (1483-1520), l’historien de
l’art italien Stefano Zuffi nous invite à entrer dans l’intimité de celui
qui fut surnommé le « Prince des peintres » par Giorgio Vasari. Cette
approche par le détail s’imposait d’autant plus que l’artiste était réputé
pour la précision et le raffinement de son trait. Dans ses jeunes années
de formation, Raphaël subit l’influence de deux maîtres que furent Le
Pérugin et Pinturicchio, sans oublier le rôle essentiel de son père
Giovanni Santi, lui-même artiste. Sa trop brève existence n’empêchera pas
l’artiste de participer activement à la transformation de l’art de la
Renaissance, ainsi que le souligne en introduction Stefano Zuffi.

Raphaël - La Vierge aux œillets, 1506-1507
National Gallery, Londres.
Très rapidement, Raphaël saura, en effet,
se distinguer de ses sources d’inspiration notamment de son maître Le
Pérugin, mais aussi de Léonard de Vinci et de Pinturicchio, pour être la
source première de lignes harmonieuses d’inoubliables Vierge à l’enfant,
et ce dès son séjour florentin ; Des représentations qui contribueront à
bâtir sa réputation.

Léonard de Vinci - Vierge à l’enfant, 1490-1491
Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg. |

La Crucifixion Mond 1502-1503, National Gallery, Londres Fidèle à
l’esprit de la collection, ce magnifique ouvrage d’art opère un
agrandissement des œuvres maîtresses du peintre. Des détails surgissent,
apparaissent aux yeux du lecteur accompagnés et soulignés par l’analyse de
l’historien de l’art. Une approche fine et analytique permettant de mieux
comprendre le génie Raphaël.

Autoportrait de l'artiste vers l'âge de 23 ans
(musée des Offices de Florence) Une analyse indispensable lorsqu’on sait que le peintre - par ailleurs
dessinateur soigné et talentueux n’a eu de cesse de mener une quête de la
perfection toute sa courte vie durant, qu’il s’agisse du tout petit
tableau intimiste « Les Trois Grâces » (17 x 17 cm) du musée Condé de
Chantilly ou pour ses immenses décors romains pour le pape Jules II puis
Léon X des chambres du Vatican réalisées à la fin de sa vie. En témoignent
également ses multiples dessins préparatoires ainsi que les analyses
infrarouges de nombreux de ses tableaux, Raphaël élabore progressivement,
par de multiples essais, sa composition future. Il est le peintre du
détail par excellence, ainsi que le démontre à juste titre Stefano Zuffi
en analysant ses œuvres majeures à l’aide d’agrandissements
impressionnants.
Un tel rapport étroit aux œuvres permet de mieux apprécier ce qui
contribuera au génie de Raphaël, cette harmonie irréprochable née de cette
combinaison du trait, de la géométrie, de l’espace et de la lumière. Cet
équilibre caractérise cette grâce inimitable et ce style Raphaël
identifiable immédiatement, et qui devait à jamais marquer l’histoire de
l’art.
Stefano Zuffi, dans ces pages abondamment illustrées, guide le lecteur
grâce à une analyse à la fois accessible et argumentée, démontrant par le
texte et l’image cette recherche incessante de la perfection menée par
Raphaël et cette éloquence du geste magnifiant une « beauté, fragile et
précieuse ». Le lecteur ne peut que sortir subjugué d’une telle lecture,
les œuvres de Raphaël révélant toute leur complexité sous une belle
apparente limpidité. |
Aventures
minérales en plein cœur de Paris
Le musée de minéralogie
présenté par Didier Nectoux
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Le musée de minéralogie est installé depuis 1815 à l’Hôtel Vendôme, en
plein cœur du Quartier Latin, accolé au jardin du Luxembourg et longeant
le boulevard Saint-Michel. Cette vénérable institution datant du milieu du
XIX° siècle, et d’une prise de conscience précoce de la Révolution
industrielle alors en cours, se veut depuis un lieu de conservation d’une
collection minéralogique unique au monde, mais également un pôle dynamique
permettant au plus grand nombre de réfléchir aux implications
industrielles, politiques, économiques et environnementales de
l’exploitation des minéraux.

Grâce à l’action de Didier Nectoux, conservateur dans ces lieux depuis
trois ans, une image modernisée de ces collections a été mise en œuvre.
Ces collections sont encore présentées dans leur mobilier d’origine
préservé, fait quasi unique au monde, alors qu’un grand nombre
d’institutions ont cédé depuis longtemps aux sirènes du modernisme en
abandonnant ce qui faisait leur charme pour des mobiliers contemporains.
Le visiteur aura ainsi le rare bonheur d’aborder ce haut lieu des sciences
minérales par un escalier élégant et un pavement géométrique en marbre
noir et blanc.

Tout autour, des fresques murales réalisées par Claude Hugard de la Tour
datant de 1855 et qui offrent la meilleure introduction qui soit aux lieux
: dix compositions évoquent la nature en ce qu’elle a de plus
significative pour le géologue, le Mont Blanc, l’Etna, les geysers
d’Islande, alors que le plafond dresse un panthéon des gloires
scientifiques de l’époque : Cuvier, Haüy, Buffon, Dolomieu, Vauquelin,
Brongniart et bien d’autres encore, sans qui ces collections n’auraient pu
voir le jour. |
On sonne à une porte boisée, on vous ouvre avec le sourire et l’accueil
d’une institution à l’allure austère et qui ne l’est pourtant pas. Partout
en effet, une équipe jeune et dynamique a à cœur, là, de faire visiter les
collections à des classes d’école plus turbulente qu’un volcan, ici, de
permettre la découverte des fameux joyaux de la Couronne habituellement
enfermés dans un coffre-fort et pour l’occasion exposés dans des vitrines
blindées. Le musée, sous l’impulsion de son sympathique et dynamique
conservateur Didier Nectoux, a réussi ce pari osé d’ouvrir cette
institution pour le plus grand nombre en n’en dénaturant pas l’esprit.
Quel meilleur outil en effet que ces belles vitrines au sein desquelles
sont disposés les minéraux les plus beaux comme les plus simples, mais qui
tous ont leur place dans l’architecture géologique de la nature. C’est à
une vision d’ensemble à laquelle invite le musée, mais qui n’exclut pas
les recherches les plus pointues et la pédagogie la plus large. Une de ces
priorités est notamment de sensibiliser le public aux implications sur
l’écosystème et sur le plan géostratégique des exploitations modernes.

« C’est le cas, par exemple, de la tantalite, une pierre rare et
indispensable à la fabrication des condensateurs miniaturisés des
téléphones et ordinateurs portables et dont les gisements sont
essentiellement au Rwanda et dans la République démocratique du Congo.
Cette exploitation est souvent une des causes inavouées des conflits de
l’Afrique centrale », souligne Didier Nectoux qui encourage à se poser la
question : « notre consommation immodérée de la téléphonie portable doit
elle obligatoirement se faire à ce prix ? », une interrogation qui est
d’ailleurs également relayée aux États-Unis où un label « conflict free »
a été institué pour garantir une autre origine du minerai. Voici l’un des
multiples questionnements qui pourront naître au cours de la visite du
musée, visite qui peut être faite avec profit avec l’un des membres de
l’équipe du musée et qui démontrera la richesse insoupçonnée de ces
minéraux, non seulement sur un plan scientifique et esthétique, mais
également sociétal.
Le musée de minéralogie va sans cesse de l’avant avec des initiatives
dynamiques telles une page Facebook particulièrement active où des
minéraux sont régulièrement présentés avec une explication détaillée, une
émission de timbres d’une sélection de beaux minéraux en collaboration
avec la Poste ou encore de remarquables expositions à découvrir absolument
en plein cœur de la capitale.
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60 Boulevard St Michel 75006 PARIS -
Tel. 01 40 51 92 90
www.musee.mines-paristech.fr
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L’Atelier la
Trouvaille
matériel et conseils pour la géologie et
minéraux |

L’histoire de l’Atelier La Trouvaille a plus de 40 années, réunissant à
Valleraugue, puis à Remoulins de nombreux passionnés de géologie, taille
de pierre, gemmologie… Grâce à la révolution Internet, c’est un site Web
de qualité qui a étendu et prolongé cette belle aventure en proposant une
large gamme d’outils et d’articles de qualité liés à la pierre. En
recherchant en permanence les meilleures sources et les dernières
technologiques, l’Atelier La Trouvaille porte bien son nom et fait figure
d’adresse incontournable pour les professionnels comme les amateurs. Que
peut-on trouver dans cette caverne d’Ali Baba des temps modernes ? Tous
les outils nécessaires et imaginables pour la pratique de la géologie
comme pour la gemmologie. Tous sont proposés sur le site de l’Atelier La
Trouvaille. De précieux microscopes et autres machines perfectionnées sont
également proposés, et l’amateur de minéraux et fossiles trouvera
assurément son bonheur pour s’équiper dans les meilleures conditions et
avec un matériel adéquat de qualité et performant.

Un marteau solide et approprié est la base même de l’équipement pour la
recherche de minéraux ou de fossiles. La célèbre marque Estwing n’a plus
rien à prouver quant au sérieux et à la solidité de ses marteaux de
géologue. Forgé d’une seule pièce, le manche en vinyle a été moulé autour
de l’acier ce qui lui garantit une adhérence sans faille sur le long terme
et une résistance aux nombreux chocs occasionnés sur le terrain.
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Sa tête face lisse permet de briser les roches ou de frapper sur un burin
alors que sa pointe facilite le déblaiement de pierres et des couches de
terre (le port de lunettes de protection est vivement recommandé afin de
se protéger des éclats). Un grand burin plat complète cet équipement de
base indispensable et assure le dégagement des minéraux et fossiles de
leur gangue et impuretés ou encore de diviser en deux une géode. Les
burins de haute qualité proposés par l’Atelier la Trouvaille sont forgés
dans des aciers de première qualité pour résister également à leur usage
intensif.

Dernier équipement indispensable du géologue à la recherche de minéraux et
fossiles, l’incontournable loupe de poche, permettant d’observer le détail
des échantillons prélevés. La loupe aplanitique de terrain, avec son
grossissement x10, assurera toutes les observations de détail sur les
minéraux et fossiles. Le terme aplanétique signifiant que les lentilles de
la loupe ont été corrigées quant aux défauts géométriques. Avec une
lentille de diamètre 20mm et un champ de vision également de 20mm, cette
petite loupe en métal protégée par un étui en cuir s’avérera le compagnon
idéal et indispensable de l’amateur comme du professionnel.

Enfin, et épatant, l’Atelier la Trouvaille offre plus qu’un site de
matériel en ligne, les passionnés qui animent cette aventure proposent, en
effet, également tout au long de l’année de partager leurs compétences et
connaissances sous forme de stages. Des stages tous niveaux proposant des
thèmes variés autour de la taille de pierres précieuses, du facettage,
cabochonnage, initiations à la gemmologie, mais aussi de précieux conseils
en ligne avec de nombreux articles sur la géologie, les minéraux, les
microscopes, sans oublier la vente de minéraux…permettant une recherche
efficace, et des achats en ligne pertinents, de qualité et en toute
confiance. |
Atelier la trouvaille 4,rue LT. Colonel
Broche BP 48 30210 Remoulins
Tél. 04 66 37 07 65
www.atelierlatrouvaille.com
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Le dessin à Bologne :
Carrache, Le Guerchin, Dominiquin…
Chefs-d’œuvre des Beaux-Arts de Paris
jusqu’au 10 avril 2020. |
LEXNEWS |
12.02.20
par Philippe-Emmanuel Krautter

Tout visiteur de la ville de Bologne et de ses musées ne pourra qu’être
ébloui par les nombreuses fresques et peintures ayant été commandées aux
plus grands artistes de cette célèbre cité italienne, dès le XVIe siècle.
L’exposition qui vient d’ouvrir au musée des Beaux-Arts de Paris témoigne
avec élégance de ce raffinement et de cette qualité artistique de l’école
bolonaise, rapidement appréciée des cours étrangères notamment en France
au siècle suivant.
Les frères Carrache, bien sûr, viennent tout de suite à l’esprit, et si
les toiles monumentales de la Pinacoteca de Bologne n’ont bien entendu pas
pu s’adapter aux étroites cimaises de l’intimiste et charmant Cabinet des
dessins Jean Bonna, l’esprit qui les anime est cependant bien présent avec
ces dessins réunis avec soin par le commissaire de l’exposition,
Emmanuelle Brugerolles. Avant d’être Bologne « la rouge » en raison de sa
proximité avec le parti communiste au XXe siècle, la ville émilienne était
surnommée « Bologna la dotta », la Bologne des savants du fait de son
rayonnement intellectuel. Cet esprit a perduré aux siècles suivants,
rejoint ainsi par de prestigieux artistes qui graveront en lettres d’or
l’importance culturelle de la ville italienne jusqu’au XXe siècle qui a vu
naître Pier Paolo Pasolini.
Mais en ces XVIe et XVIIe siècles, les frères Carrache opéreront dans la
cité une véritable révolution artistique avec cette attention portée aux
scènes populaires et une peinture antimanièriste. Revenant ainsi aux
sources initiales mêmes de la peinture de l’Italie du Nord du XVIe siècle,
les frères Carrache illuminèrent leurs toiles de couleurs éclatantes et de
lumière. |
Les dessins préparatoires exposés témoignent de ce désir du dessin d’après
le modèle. Le visiteur de cette agréable exposition aura ainsi le loisir
de découvrir au plus près ces œuvres, tels ces dessins fragiles et
délicats de Ludovico Carraci dont le mouvement subreptice d’une main d’un
ange laisse l’impression de ressentir un fugace courant d’air… On reste
surpris par la qualité et le soin des détails de ces évocations d’un saint
Jérôme assis sous une colonnade alors que l’œil cherche à percevoir où
peut bien se cacher son célèbre félin et compagnon. On resterait des
heures à contempler chaque détail de ce « Paysage avec la fuite en Égypte
» où la nature enveloppe l’architecture et les sujets, aussi illustres
soient-ils.

L’exposition a également convoqué Domenico Zampieri dit Domenico avec
cette émouvante « Tête de jeune homme » saisie sur le vif et qui semble
avoir laissé à l’instant échapper un cri d’effroi. Le Guerchin est
également présent avec ses châteaux en ruines et une admirable « Étude de
femme en buste couronnée » dont la noblesse des traits n’a d’égal que la
délicatesse de ses traits. Aux côtés de ces noms laissés à la postérité,
le visiteur pourra également découvrir des dessins de qualité de Simone
Cantarini et Elisabetta Sirani ou encore du fresquiste Domenico Maria
Canutti et du caricaturiste Giovanni Antonio Burrini.
Ce beau voyage à Bologne réservera encore bien des surprises au visiteur
des Beaux-Arts de Paris, une expérience toujours singulière dans l’écrin
bien particulier de la célèbre École parisienne, fondée il y a plus de
deux siècles.
Commissariat d'exposition : Emmanuelle Brugerolles
Catalogue par Emmanuelle Brugerolles, avec la collaboration de Gabriel
Batalla-Lageyre, Pierre Marot, Anne-Cécile Moheng et Nicolas Schwed,
Beaux-Arts de Paris éditions, 2020. |
MARCHE ET
DÉMARCHE, une histoire de la chaussure
Exposition au musée des Arts Décoratifs – Paris - jusqu'au 23 mars 2020 |
LEXNEWS |
09.01.20
Sylvie Génot Molinaro

« La meilleure
façon de marcher, c'est encore la nôtre, c'est de mettre un pied devant
l'autre et de recommencer... » ; Oui, sans doute depuis que l'homo sapiens
est passé erectus et qu'il marche sur ses deux pieds n’a-t-il eu de cesse
de protéger ses meilleurs compagnons de fortune : ses pieds en les
enveloppant de chaussures ! Même les archéologues se sont penchés sur cet
accessoire indispensable, véritable marqueur de civilisations, de genre,
de sociétés... C'est bien pour faire connaître au plus grand nombre ce que
l'on considère comme quelque chose de banal dans l'habillement que le
musée des Arts Décoratifs de Paris ouvre, après « La Mécanique des dessous
» en 2013 et « Tenue correcte exigée » en 2017, un troisième volet
exclusivement réservé à l'usage de la chaussure à travers les temps de
l'antiquité à nos jours en Occident comme dans les cultures non
européennes. Car, oui !, tous les humains ont deux pieds à protéger des
intempéries, des modes de vies, des labeurs, des codes sociaux, de la
mode, de l'apparence...
Près de 500 œuvres, chaussures, gravures, peintures, photographies, objets
d'art, extraits de films et de publicités, issues de collections publiques
ou privées, retracent le rapport que chaque culture et société a eu ou a
encore avec la chaussure, accessoire de déplacement universel.
Historiquement la chaussure tient une place à part, certes que l'on aurait
pu parfois laisser au profit du vêtement, du costume d'apparat,... mais
cela serait sans compter sur ce marqueur d'histoire laissé depuis
l'antiquité par cette fameuse paire de sandales de centurion dont le cuir
fossilisé semble s'être transformé en pierre. Aujourd’hui, les créations
contemporaines relèvent plus de l'ordre des arts plastiques ou de la
sculpture que du fait de se chausser pour se déplacer, ainsi que
l’illustre cette paire de chaussures rouge symbolisant un couple qui
jamais ne se rencontre et donc ne marche pas dans la même direction...
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Tout dans
l'histoire de la chaussure devient fascinant à travers ce parcours de
vitrines scénographiées par Eric Benqué révélant combien c'est le
mouvement même des corps dans ses déplacements que les chaussures
accompagnent ou qu'elles contraignent ; Un accessoire privilégié devenant
alors un document d'exploration des rapports sociaux et du statut de
l'image du corps dans la sphère publique comme privée.
Du sabot au socque, de la botte à la sandale, de la basket au chausson de
danse, de semelle de bois à la pantoufle de vair, des petits pieds
atrophiés des Chinoises impériales aux chaussures excentriques des clowns,
des talons rouges du roi de France à la mode des escarpins, des poulaines
du moyen-âge détestés du clergé aux créations de Christian Dior ou de
Christian Louboutin, du godillot militaire à la chaussure la plus
érotique, des bottes de 7 lieux à celles des cosmonautes...

Raf Simons pour Christian Dior, paire d’escarpins pour femme, Paris,
collection haute couture automne-hiver 2014-2015
Paris, Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / Photo : Christophe Dellière
Toutes sont là
et racontent l’évolution des matériaux utilisés pour les concevoir, selon
l'époque, l'économie (entre les deux guerres par exemple ou pendant la
résistance), la culture avec les chaussures d'Orient, d'Afrique, selon
leur utilité dans le monde du travail, aux champs ou à la ville. Infini
est l'utilité de la chaussure et ce qu'elle dit de son propriétaire, de
son rang social, de sa richesse, de son apparence et des métiers
d'artisans et créateurs qui lui sont dédiés. Ainsi, Marie-Antoinette
portait-elle en 1792 un soulier qui ne mesurait que 21 cm sur 5 cm de
large... Passionnantes aussi les anecdotes que l'on glane à Venise autour
des courtisanes perchées sur des socques si hautes qu'il leur fallait des
cannes pour marcher ou le bras d'un amant... De même celles des Japonaises
de hauts rangs ou des Geishas à la démarche si particulière qui demandait
des heures d'apprentissage et d'équilibre instable sans omettre les
atroces souffrances des petites Chinoises vouées à cette beauté bien
curieuse des « boutons de lotus ». Plus jamais une paire de chaussures ne
sera vue comme quelque chose de banal, même celles que l'on enfile tous
les jours et que l'on croyait si bien connaître...
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« Officier et
gentleman au XIXe siècle - La collection Horace His de la Salle »
Musée du Louvre jusqu'au 10 février 2020 |
LEXNEWS |
09.01.20
par Philippe-Emmanuel Krautter

La place reconnue aux collectionneurs est fort
heureusement de plus en plus considérée ces dernières années notamment
dans les programmations d’exposition qui leur sont consacrés. Sans eux,
bien des ensembles d’œuvres précieuses par leur qualité et leur cohérence
auraient été dispersés au gré des propriétés privées. Ces ensembles ayant
fait l’objet de patientes constitutions et conservations aboutissent grâce
à eux, dans la plupart des cas, à des donations ou des constitutions de
fondations et musées qui leur sont consacrés. Il est un collectionneur
dont le nom n’est connu que des spécialistes, Horace His de la Salle
(1795-1878), sujet de la présente exposition réalisée par Laurence
Lhinares et Louis-Antoine Prat au musée du Louvre. La très belle sélection
d’œuvres lui ayant appartenu et retenu pour cette exposition témoigne du
goût certain de cet esthète, dont la collection sera dans une grande
partie confiée et léguée au musée du Louvre. Le dessin a toujours retenu
l’attention de His de la Salle avec une prédilection certaine pour les
plus belles feuilles de la Renaissance italienne et les paysages italiens
du XVIIe s., sans oublier les nombreux thèmes militaires qu’il
affectionnait également particulièrement. Cet esprit raffiné nourrissait
une gourmandise pour tout ce qui avait trait à l’art, ainsi que le
rapportent nombre de ses contemporains. Il ne nous reste qu’un seul
portrait de lui, mais son regard chaleureux et son sourire bienveillant
confirment la bonne impression et estime qu’il a laissée, une générosité
indéniable se traduisant notamment par les nombreux dons qu’il fit, sans
qu’il soit question d’argent…

Théodore Géricault (1791-1824), Mameluck retenant un cheval, département
des Arts graphiques, musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre)
/ Daniel Arnaudet.
Le regard qu’il portait sur les œuvres était d’un
goût sans failles, l’homme ayant cette qualité des grands collectionneurs
de distinguer le bon grain de l’ivraie. Les œuvres présentées allant de
Fra Angelico et Lorenzo Monaco jusqu’à Géricault, en passant par Poussin,
Le Lorrain et tant d’autres… Toute sa vie durant, le collectionneur
témoignera de cette qualité associée à celle de partage et d’enseignement
par et pour l’art. Il saura également aider les créateurs de son temps.
L’exposition du musée du Louvre rend ainsi un hommage bien mérité à une
personnalité attachante qui sut rester dans l’ombre des grands maîtres
dont il chérissait les œuvres acquises patiemment et dont nous pouvons
découvrir la beauté et l’excellence dans les sélections retenues pour
cette belle et intime exposition !
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Catalogue de l’exposition : « Officier et
gentleman au XIXe siècle – la Collection Horace His de La Salle », Sous la
direction de Laurence Lhinares et Louis-Antoine Prat ; Éditions Lienart,
2019.

C’est un bel et enrichissant catalogue qui accompagne l’exposition «
Officier et Gentleman au XIXe siècle » actuellement présentée au musée du
Louvre. Dirigé par Laurence Lhinares et Louis-Antoine Prat, commissaire de
l’exposition au Louvre, cet ouvrage fort complet livre une étude
approfondie et mise en relief particulièrement riche de la collection
Horace His de La Salle. Ce dernier, né en au lendemain de la Révolution en
1795, fut un exceptionnel collectionneur s’intéressant non seulement aux
œuvres du passé mais aussi aux œuvres et artistes de son siècle, celui du
XIXe. D’une acuité remarquable et d’une grande ouverture d’esprit, cet
homme éclairé qui rassembla une des plus belles collections, fut aussi un
collectionneur d’une non moins grande générosité ; Injustement méconnu, il
méritait assurément d’être aujourd’hui, notamment en ces pages, reconnu à
sa juste valeur. Sa collection comporte non seulement des dessins
inestimables, mais aussi des toiles, sculptures ou encore objets d’art
allant de la Renaissance jusqu’aux temps modernes. Ce collectionneur d’un
bon goût avisé, apprécié de ses amis et contemporains, et réputé pour son
extrême élégance tant d’esprit que vestimentaire, était effectivement
aussi un homme de son temps, ainsi que l’exposent et développent, dans la
dernière partie de ce catalogue, Laurence Lhinares et Louis-Antoine Prat
avec des contributions consacrées tant à Horace His de La Salle dans son
époque, mais aussi à Madame de White, qui fut sa maîtresse.
Après avoir dressé, pour commencer, un « Portrait en creux » - de ce
collectionneur quelque peu négligé, les auteurs de cet ouvrage ont
souhaité retenir un choix d’œuvres ou domaines permettant de donner à
découvrir au lecteur toute la diversité et la valeur de la collection
d’Horace His de La Salle. C’est une place privilégiée toute particulière
qui est accordée par les auteurs de ce catalogue aux dessins, des dessins
que le collectionneur appréciait plus que tout et qu’il n’eut cesse de
rechercher, d’acquérir, mais aussi de donner ou léguer toute sa vie
durant. Joyaux de sa collection, nombre de dessins sont l’œuvre de grands
noms, notamment Boucher, Poussin, ou encore Géricault ; Géricault dont il
possédait également de fort belles toiles et qu’il avait rencontré au
combat, d’où le titre quelque peu en clin d’œil avec cet « Officier de
cavalerie entraînant ses troupes » retenu pour ce catalogue.
Chaque étude de ce riche catalogue vient donner son propre éclairage sur
les goûts, choix et domaines de prédilection de Horace His de La Salle :
l’enthousiasme du collectionneur en particulier pour Prud’hon ; Son
penchant pour la Renaissance tant française qu’italienne, une Italie
artistique avec des œuvres de Fra Angelico ou Lorenzo Monaco, et sur
laquelle reviennent plus précisément Laurence Lhinares et Louis-Antoine
Prat, mais aussi son goût des bronzes sous la plume de Marc Bornand. Homme
de son temps, il soutient et acheta, enfin, de très belles œuvres
également d’artistes de son époque, outre Géricault, soulignons également
Horace Vernet, Alexandre Bidat… Horace His de La Salle fut aussi, ainsi
que le suggère implicitement ces dernières œuvres, un fier soldat, « Un
Officier gentleman au XIXe siècle ».
Un bel et justifié hommage rendu à Horace His de La Salle, cet élégant et
grand collectionneur qui fut également un généreux donateur tant envers
ses amis, qu’en faveur de nombre de musées ou institutions françaises dont
le Louvre. |
FRAPPER LE FER –
L'Art des forgerons africains.
Musée du quai Branly Jacques Chirac
jusqu'au 29 mars 2020 |
LEXNEWS | 10.10.19
par Sylvie Génot-Molinaro

« Battre le fer quand il est chaud... », le frapper,
le dompter jusqu'à ce qu'il se plie à la créativité du forgeron... « C'est
un art millénaire que le travail du fer et en Afrique, il compte parmi les
plus prestigieux et les plus raffinés, parmi les plus organiques et les
plus physiologiques, tant y battent le pouls des sociétés, le rythme des
échanges » souligne Stéphane Martin, Président du musée du quai Branly
Jacques Chirac lors de l’ouverture de cette nouvelle exposition du musée
du quai Branly Jacques Chirac. Une exposition consacrée à l'art des
forgerons en tant que maîtres du feu et virtuoses de la transformation de
cet élément « terre ». Le fer, fondu, forgé, martelé et métamorphosé en
objets, en liens sociaux, monnaie, représentation de pouvoirs spirituels
ou encore en objet d'art sans en avoir la prétention. Un exposition mise
en espace et orchestrée par Tom Joyce, artiste américain et forgeron
lui-même, lauréat du prix MacArthur, entouré pour l’occasion d'Allen F.
Roberts, Marla C. Berns, William J. Dewey et Henri John Drewal pour le
comité scientifique. Avec pas moins de 230 pièces réalisées entre le XVIIe
siècle et l'époque contemporaine, certaines pour la première fois, le
parcours de l’exposition donne à voir un vaste panorama de créations,
créations souvent inédites et étonnantes provenant de différentes régions
de l'Afrique subsaharienne. Du Mali à la République du Congo, du Bénin au
Nigeria, une quinzaine de pays sont ici représentés, des collections
particulières notamment celle du musée du quai Branly Jacques Chirac.

Un parcours didactique pour comprendre cet art de
frapper des forgerons africains travaillant l’une des matières les plus
abondantes sur les territoires de ce continent. Frapper, mais aussi
extraire, purifier, fondre et modeler selon des techniques de métallurgie
mises au point il y a… 2500 ans ! Étonnants sont ces soufflets, ces outils
de la forge, enclumes, lampe et tout objet ayant un principe actif
traversant les époques. Chaque chef de communauté a, lui-même, reçu la
formation de forgeron, car n'est pas forgeron qui veut ! Choisi, élu, cet
art du métal et du feu ritualisé se transmet entre hommes. Comprendre
l'importance du fer est indispensable pour en apprécier les différents
usages, ainsi que les différentes formes qui lui sont données par ces
maîtres forgerons.
Ainsi peut-on découvrir la construction du four en terre, la fonte du
minerai et la création des gueuses suivie du travail de mise en forme
selon la destination donnée ; magnifiques houes, bâtons de pluie
figuratifs ou abstraits, lames d'éloquence à manche sculpté dans du bois,
couteaux de jet, instruments de musique ou objets sonores lamellophones,
armes de guerre, ou objets de haute valeur, les artistes qui les ont
forgés sont dans leur grande majorité inconnus. Ces gestes sont des actes
merveilleux qui garantissent protection et prospérité, sauvent ou prennent
des vies. Il y a tout autour du fer et des objets forgés de nombreux
mythes, comme autour de la personne même du forgeron qui lui, possède les
connaissances techniques et communique avec le monde surnaturel, une
dimension sociale et spirituelle.
Ce sont sept espaces au total qui sont ainsi dédiés à cette belle
déambulation entre la mine, le minerai et l'art : « La transformation
matérielle du fer », « Les origines du fer africain », « De l'enclume
vient la subsistance », « Les pouvoirs du fer », « Les lames de pouvoir et
de prestige », « Des lames de valeur » et « Les formes sonores ». Des
documents audiovisuels et sonores autour de ces thèmes viennent également
témoigner du travail des artisans forgerons.
La beauté de ces objets forme un ensemble diversifié et sophistiqué ; Une
mémoire ancestrale et collective que ces objets et leur histoire
maintiennent vivante au travers de gestes et savoirs millénaires.
Une belle exposition donnant à découvrir toute la magnificence et la
créativité illimitée des artisans forgerons d'Afrique subsaharienne. |
FRAPPER LE FER l'art des forgerons africains.
Coédition Musée du quai Branly Jacques Chirac/Actes Sud - 2019

240 pages et toute l'exposition, initialement
organisée par le Fowler Museum de Los Angeles et actuellement au musée du
quai Branly Jacques Chirac, en images... Ce catalogue unique qui réunit
l'ensemble des œuvres réalisées par les maîtres forgerons d’Afrique couvre
la période du XVe siècle avant J.-C. à nos jours, plus de deux mille ans !
Somme de connaissances sur ces artisans/artistes illustrée par de très
belles photos, cet ouvrage de référence sous la direction de Tom Joyce
nous immerge dans cet univers particulier de cette magie sortie de la
terre, du feu. Une force de frappe que ces forgerons pratiquent depuis
près de 2500 ans. Quatre grands chapitres « Le travail du fer – origines
et essence », « Les débuts du travail du fer et l'archéologie », « Études
régionales » et « La ferronnerie africaine et le changement » forment le
corpus de ce livre, approfondissant les origines de l'art des forgerons en
Afrique subsaharienne depuis la nuit des temps, les rites et croyances.
Des objets forgés marquent ces rites de passage dans le nord du Cameroun
ou le nord-est du Nigeria, les méthodes et techniques, les outils, les
gestes et les chants accompagnent les étapes de ce dur travail qu’est
l'extraction du minerai, jusqu'aux coups de frappe des marteaux au sons
souvent mélodieux qui indiquent que la création est en marche, dans la
chaleur étouffante de la forge et au prix d'efforts intenses. Y sont
également développées les relations entre le fer et les différents
pouvoirs qui lui sont attribués : « Le fer sous forme d'offrande devait
garantir les pluies saisonnières et apporter des récoltes abondantes...
Les suppliques rituelles des faiseurs de pluie nécessitent un rameau de
fer forgé en zigzag, utilisé seul ou en bouquet ondulant s'élançant vers
le ciel … Les faiseurs de pluie fixent les rameaux dans le sol là où,
telles des suppliques visuelles, ils canalisent la force de vie de la
terre ». Quelles sont ces puissances convoquées dans chaque coup de
marteau ? D'où remontent-elles ? Quelle cosmologie et quel mythe ? « Le
premier fils du monde est un forgeron…. ».
Les découvertes archéologiques nous apprennent que dès 1800 avant J.C,
l'Anatolie fut le premier endroit où le minerai de fer fut
intentionnellement fondu dans des fours à atmosphère contrôlée. Des lames
de hache ou des broches de fer ont été retrouvées dans des tombes comme
l'illustre « la tombe 7» de Kamilamba, ou encore ces bracelets sur le site
d'Akonétye au Cameroun. L’ouvrage souligne combien « Les riches tombes du
début de l'âge de fer au sud du Cameroun et des régions environnantes ont
d'ailleurs livré des objets en fer (ou autres), probablement associés à la
richesse et aux statuts, et non à des outils ordinaires ».

Le fer a donc, depuis toujours, eu une valeur tant
spirituelle que monétaire ou d'échange commercial. Qui était, cependant,
autorisé à travailler le fer ? « Mon mari est un artisan du fer, un
véritable sorcier de la fabrication des houes » ; Cette phrase souligne
toute la charge sociale et la responsabilité du forgeron dans chacune des
sociétés étudiées, celle des forgerons du monde Mandé, celles des mondes
Yorùbá, Edo ou encore Fon. N'est pas forgeron qui veut. Il y a des rites
de passation des savoir-faire. « La variété des témoignages historiques
est presque infinie. Tout ce qui est dit, tout ce qui est créé, tout ce
qui est touché, peut et doit nous apprendre sur l'humanité ». Forger le
fer c'est également forger la mémoire de l'humanité. Admirer et comprendre
ce que l'homme transmet à travers cet art ancestral, c'est ce qu'offre ce
très beau catalogue. « Le langage entre le fer et les forgerons qui le
travaillent est universel », écrit encore Tom Joyce dans son avant-propos.
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À l'école de
l'antique : POUSSIN, GÉRICAULT, INGRES
Cabinet de dessins Jean Bonna Beaux-Arts de Paris
jusqu'au 12 janvier 2020 |
LEXNEWS |
08.12.19
par Philippe-Emmanuel Krautter

S’inspirer de l’antique a toujours été une démarche classique et
systématique de générations d’artistes à partir de la Renaissance jusqu’au
début du siècle dernier. Considérée parfois de nos jours plus comme une
contrainte qu’une démarche artistique, cette interprétation des sources
grecques et romaines offrait pourtant non seulement au jeune artiste qui
s’y livrait une sûreté du geste et du trait, mais également une
bibliothèque iconographique et thématique incomparable dans laquelle
puiser. Les plus audacieux, bien sûr, savaient se départir de cette base
première et incontournable, pour la dépasser, la réinterpréter voire la
sublimer par de nouvelles créations comme le firent en leur temps Jean
Boucher ou Géricault.

Ce sont ces métamorphoses de l’antique chez les plus grands artistes tels
Poussin, Géricault, Ingres, et bien d’autres encore qui sont proposées
actuellement en une belle et intimiste exposition au sein du Cabinet de
dessins Jean Bonna aux Beaux-Arts de Paris. Une trentaine de dessins ont
ainsi été réunis par Emmanuelle Brugerolles, commissaire de l’exposition,
en des rapprochements parfois surprenants, mais toujours saisissants.
|
La statuaire antique n’a cessé de constituer un étalon auprès duquel
chaque génération d’artistes tentera de rapprocher son art.
L’exposition révèle cette attitude de l’artiste face au modèle, entre
dévotion, variations ou transgression. Jean Boucher par exemple dans ce
dessin Satyre et Bacchante prend des libertés avec sa source d’inspiration
– un groupe sculpté du Museo Torlonia – pour évoquer une jeune et fraîche
bacchante au lieu et place… d’un jeune homme, certes, aux traits féminins
!
La copie d’antique peut, certes, s’avérer nettement plus fastidieuse dans
les mesures détaillées qu’elle suscite chez l’artiste qui en reporte tous
les détails sur son dessin comme le fit Charles II Errard dont la démarche
relève plus de la science que de l’art.

Entre ces extrêmes, le visiteur appréciera également des études délicates,
préludes à de grandes œuvres comme ces Soldats romains d’après des
bas-reliefs de la colonne Trajane, quelques traits, un art de la
composition dans son ensemble plus qu’en ses détails, une architecture
humaine annonciatrice de tableaux à part entière. Nombreux seront les
rapprochements, grands écarts ou au contraire entrecroisements entre les
modèles et leurs « copies » par les Modernes, une belle et heureuse
manière de dépasser l’éternel débat les opposant !

Catalogue par Emmanuelle Brugerolles, Anne-Cécile Moheng et Pierre
Marot
Préface de Jean de Loisy, Texte d'Olivier Bonfait, Introduction
d'Emmanuelle Brugerolles
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Luca Giordano
(1634-1705) Le triomphe de la peinture napolitaine
Petit Palais Paris
jusqu'au 23 février 2020 |
LEXNEWS |
13.12.19
L.B.K.

C’est une belle rétrospective consacrée à Luca Giordano, ce grand maître
de la peinture napolitaine du XVIIe s. que nous propose actuellement le
Petit Palais de Paris. Une première en France ! Réalisée grâce aux
splendides et monumentales toiles exceptionnellement prêtées pour
l’occasion par le musée national de Capodimonte de Naples.
Bien que Luca Giordano fût jusqu’à présent peu connu du grand public
français, ce peintre majeur de la peinture italienne baroque du XVIIe
siècle, supplanta pourtant à son époque Caravage, et sa renommée fut-elle
que son siècle fut désigné comme celui de Giordano. Considéré de son
vivant comme le plus grand peintre napolitain, Luca Giordano méritait
bien, dès lors, assurément une telle rétrospective…
Le parcours de celle-ci, servi par une belle scénographie, a retenu une
approche chronologique mettant en relief tant l’œuvre que la vie du
peintre napolitain. Les premières salles s’attachent au jeune Lucas, né à
Naples en 1634. Ce dernier fit ses premières armes auprès de son père,
puis dans l’atelier de Jusepe de Ribera, un maître qui saura repérer très
tôt toute la virtuosité et le talent du jeune garçon. Dans son atelier,
Giordano copiera et recopiera les grands maîtres, Raphaël, Titien… des
toiles de jeunesses accompagnées d’autoportraits que le visiteur
découvrira dès la première salle.

Formé, Lucas Giordano volera de ses propres ailes et pinceaux, et
s’envolera pour Rome, Venise et Florence où il affirmera son propre style
et excellera dans la peinture religieuse. Peintre de grands formats et
surtout de fresques, Giordano préférera loin de tout réalisme, un sacré
aux effets spéciaux magnifiquement baroques, telle cette Sainte Famille et
ses symboles de la passion. Des toiles aux thèmes religieux qui
s’inscrivent dans le courant de la Contre-Réforme et qui par leurs effets
et couleurs dépassent le réel comme pour mieux atteindre et réinventer
celle de la peinture. « Le Christ à la colonne », « La mise au tombeau du
Christ » et surtout « Saint Janvier intercédant pour la cessation de la
peste » présentées en sont de belles illustrations. Des toiles de
maturité, qui se démarquent du sacré de Caravage, avec de grandes scènes
théâtrales que le visiteur pourra découvrir majestueusement présentées au
centre même de l’exposition. Une mise en lumière en un vis-à-vis
instructif avec des toiles de Jusepe de Ribera, un maître qui eut sur
Giordano notamment pour ses fresques une influence essentielle, mais aussi
de Mattia Preti, peintre maltais réputé. Une salle offrant notamment un
dialogue exceptionnel entre les « Martyre de saint pierre », ces « Apollon
et Marsyas » ou encore ces « Saint Sébastien ligoté » de Giordano, de
Ribera et de Preti.
Fort d’une belle notoriété, le célèbre peintre napolitain sera appelé par
Charles II d’Espagne à la cour de Madrid. Il y demeurera dix années avant
de revenir dans sa ville natale et d’y mourir en 1705. Naples
conserve de nos jours une grande partie des œuvres du peintre ; Des toiles
exceptionnellement présentées aujourd’hui à Paris et offrant au regard
toute la beauté et les couleurs de Giordano ; Ses représentations de «
L’Assomption de la Vierge », « Ariane abandonnée » ou encore « Vénus
dormant avec Cupidon » exposées viennent magnifiquement en témoigner.
Soulignons, enfin, que le peintre napolitain fut connu pour son extrême
rapidité d’exécution, son père l’avait d’ailleurs surnommé « Luca
Fà-presto », Luca fait vite ! Un trait de caractère qu’on ne peut que
recommander à ceux qui hésiteraient à courir découvrir cette belle
exposition consacrée à ce peintre napolitain majeur qui marqua son siècle,
le XVIIe s, par une œuvre essentielle s’inscrivant dans l’histoire du
baroque et de la peinture plus généralement. |
« Luca Giordano, le triomphe de la peinture
napolitaine » sous la direction de Stefano Causa, format : Broché, 232 p.,
nombre d'illustrations : 237, dimensions : 24 x 30 cm, Paris Musées, 2019.

Sylvain Bellenger, directeur du Museo e Real Bosco di Capodimonte de
Naples et Christophe Leribault, directeur du Petit Palais de Paris
soulignent en introduction au catalogue consacré au peintre Luca Giordano
(1634-1705) combien l’artiste fut certainement l’un des plus grands sinon
le plus grand peintre du XVIIe s.
Après Rubens, il compte en effet parmi les maîtres incontestés du baroque
européen. Rapide et prolifique, son œuvre immense ne saurait être
circonscrite en une seule exposition si belle soit elle, Luca Giordano a,
en effet, peint nombre de grandes fresques ornant encore aujourd’hui les
églises de Naples et qui, bien sûr, non pu être déplacées pour cette
rétrospective au Petit Palais. Aussi, tout en insistant sur la valeur de
cette brillante proposition, les auteurs ont-ils souhaité l’élargir et la
compléter, invitant ainsi le public à découvrir l’ensemble de l’œuvre du
peintre napolitain.

L’ouvrage revient sur cette époque où de nombreuses œuvres de Giordano
passèrent de certaines églises de Naples pour entrer dans les collections
du musée de Capodimonte. Tout en soulignant les limites de salles de musée
impropres à reproduire « l’ambiance » sacrée d’une église, il demeure
cependant que l’ouverture de ces salles fut une étape essentielle qui
contribua à faire connaître plus largement les œuvres de Giordano. Stefano
Causa, commissaire de l’exposition, résume les grandes lignes de la vie de
Luca Giordano, « un cannibale du baroque tardif »,un portrait qui invite à
le rapprocher d’un autre grand artiste, cette fois ci du XXe siècle,
Picasso, semblable en bien des points.
Ce beau catalogue est également l’occasion – incomparable mais riche
d’enseignements - de mettre en vis-à-vis Giordano et son ainé Caravage.
Car, tout ou presque semble bien les opposer : un réalisme sublimé pour
Caravage, un dépassement théâtral de la nature, en revanche, pour une
apothéose de la peinture en tant que telle pour Giordano. Une mise en
relief des plus fructueuses proposées par de riches analyses appuyées de
manière éloquente par des détails des œuvres des deux peintres. Giordano
s’inspira des grands maîtres dont il sut restituer le génie en de
brillantes réinterprétations notamment de Raphaël, Véronèse, Titien,
Lanfranco, ou encore son maître Jusepe de Ribera…
Mais, Giordano sut également créer son propre style
nourri aux évolutions de son siècle, celle de la Contre-Réforme, des
grands évènements tragiques (la peste de 1656) ou plus heureux qui
irradient ses tableaux monumentaux en une théâtralité baroque jamais
atteinte jusqu’alors. Luca Giordano fut certainement l’un des artistes de
son temps qui voyagea le plus et l’ouvrage relate ses différents séjours
en Italie, mais aussi en France, sans oublier les dix années qu’il passa
en Espagne appelé à la cour de Madrid, des années qui furent décisives
pour son œuvre de maturité.
Avec plus de cinq mille œuvres, fresques ou
tableaux, la production artistique de Luca Giordano ne cesse d’étonner, et
ce catalogue en rend un brillant témoignage !
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L’Inde, au miroir
des photographes
Musée Guimet Paris
Jusqu’au 17 février 2020 |
LEXNEWS |
08.12.19
par Philippe-Emmanuel Krautter

Quels songes peuvent bien animer ces hommes patientant sur les rives du
lac Pichhola à Udaipur alors que le palais de Jag Mandir s’épuise à
réfléchir son image sur l’onde plus lisse qu’un miroir ? Instants
d’éternité d’où nulle vibration ne vient troubler cette étrange
immobilité. C’est la minute pendant laquelle Bourne & Sherped surent
saisir en 1873 cette magnifique prise de vue dont l’épreuve sur papier
albuminé est actuellement exposée parmi une centaine d’autres trésors des
collections du musée Guimet. Magie de cette Inde au pied nu comme
aimait à la décrire le poète Pierre Lartigue (Éd. La Bibliothèque),
contraste saisissant de ces danseuses aux déhanchements antiques alors que
des arches monumentales esseulées semblent signifier les limites de nos
savoirs… La beauté de ces photographies anciennes invite bien sûr à de
séduisants voyages dans le temps, cette seconde moitié du XIXe siècle qui,
sous le regard de l’occident, a l’audace de prétendre saisir la richesse
de cette civilisation vieille de 30 000 ans. Si, bien entendu, ces
photographes professionnels sont loin d’imaginer tout ce que leurs
objectifs ne sauront capter par le prisme de leur objectif, la poésie et
la beauté dont ils se sont laissé séduire nous suffisent à en apprécier
toute la valeur. |
C’est bien entendu la grandeur de la civilisation indienne qui se dégage
en premier de ces clichés provenant des colons, manière de grandir, s’il
en était besoin, ce qui a été dominé. Le nord du pays est ainsi tout
d’abord saisi sur ces photographies au milieu du XIXe siècle, époque
contemporaine de l’essor de la photographie, les autres régions de l’Inde
seront bientôt également décrites. Linnaeus Tripe, William Baker, John
Burke concourent à cet essor alors qu’un peu plus tard, de 1863 à 1870,
Samuel Bourne offrira à l’histoire de la photographie ces prises de vues
éblouissantes témoignant d’une plus grande sensibilité à l’histoire de
l’Inde.

©Musée Guimet
Le visiteur voyagera ainsi dans le temps et l’espace de cette Inde encore
préservée pour peu de temps des ravages de la modernité, temples et
paysages se répondant à l’envi, arabesques des stucs et blancheurs
marmoréennes du Taj Mal n’étant pas encore devenues des icônes à selfie.
L’amateur comme le néophyte ne pourront que rester étonnés par la richesse
des détails et les subtilités que révèlent ces vues, un clin d’œil
savoureux que réserve cette exposition à celles et ceux persuadés que la
modernité des techniques – notamment photographiques – rime « depuis
aujourd’hui » avec esthétique…
Afin de prolonger le charme de cette exposition, à découvrir le catalogue
« L’Inde au miroir des photographes », coédition MNAAG / RMN-GP, 96 pages,
50 ill. |
Mondrian figuratif musée Marmottan
Monet
jusqu'au 26 janvier 2020 |
LEXNEWS |
01.12.19
par Philippe-Emmanuel Krautter

C’est à une facette méconnue de l’art de Piet
Mondrian qu’invite le musée Marmottan de Paris. L’artiste est bien connu
pour ses œuvres abstraites alors qu’il était membre du groupe De Stijl,
avec ses œuvres si caractéristiques aux formes cubiques à damiers rouges,
jaunes et bleus. Or, on n’oublie trop souvent qu’avant cette période,
Mondrian a livré des œuvres figuratives qu’affectionnait le plus important
collectionneur de l’artiste, Salomon Slijper, et à qui l’on doit les
achats d’un nombre important de tableaux aujourd’hui présentés. Cette
collection riche de 180 peintures couvre une période allant de 1891 à
1920. La présence au musée Marmottan de cette exposition rend ainsi
hommage à la passion et à la sagacité de ce collectionneur dont le fonds
est depuis conservé au Kunstmuseum de La Haye, une passion qui justifie
pleinement ce partenariat entre les deux musées et cette belle exposition.

Piet Mondrian, Ferme près de Duivendrecht, v. 1916,
huile
sur toile, 86 x 109 cm, Kunstmuseum Den Haag
Près de 70 œuvres de Mondrian ont ainsi fait le voyage - certaines pour la
première fois - vers Paris au musée Marmottan. Nombreuses sont ainsi les
découvertes et surprises qu’offrent ces tableaux et dessins aujourd’hui
exposés et dévoilant un aspect méconnu de l’art de Mondrian. La peinture
de paysages de la région d’Amsterdam s’inscrit directement dans la lignée
classique de l’école de La Haye, même si certaines lignes de cette
Ferme à Duiventdrecht s’infléchissent déjà de la rigueur naturaliste.
Les ruptures s’accentueront, bien sûr, plus encore avec les œuvres à venir
notamment cet admirable Moulin dans le crépuscule qui ouvre la
palette du peintre aux couleurs vives et aux formes qui s’estompent. C’est
également l’époque où l’artiste rejoint le mouvement théosophique fondé
par Helena Blavatsky, ce qui le conduira à d’étonnants autoportraits et à
une quête de sens existentielle qui dépassera les frontières du sensible.
La lumière fait partie de cette recherche et sa diffraction ne cessera
d’intéresser le peintre avec ce que l’on nommera le luminisme et ce
rayonnement perceptible dans les œuvres présentées. Par des détours,
enfin, dans le monde du cubisme, ses toiles simplifient les formes,
figuration et abstraction commencent à s’entrecroiser avec déjà des
successions de lignes horizontales et verticales barrées par des
diagonales. Le néoplasticisme ne retenant plus que cette géométrie pour
rendre compte du sensible sera l’aboutissement de cette démarche
progressive de l’artiste ; Une évolution entre influences et naissance
d’un grand artiste dont rend parfaitement compte le parcours de cette
belle exposition riche d’enseignements sur l’œuvre de ce grand peintre
néerlandais que fût Mondrian mort à New York en 1944. |
"Mondrian figuratif" de Marianne
Mathieu, catalogue d'exposition, 223 x 286 mm, 168 pages, Hazan, 2019.

C’est l’œuvre intitulée « Dévotion » qui
illustre la couverture du catalogue réalisée sous la direction de Marianne
Mathieu qui paraît aux éditions Hazan à l’occasion de l’exposition
consacrée au peintre Piet Mondrian, « Piet Mondrian figuratif » au
musée Marmottan. Cette première œuvre choisie révèle à elle seule, en
effet, ces multiples facettes présentes dans l’ensemble de l’œuvre de ce
grand peintre néerlandais et qui sont au cœur même de l’exposition : la
figuration avec le visage de cette jeune fille, la couleur, la lumière et
son rayonnement, les interrogations mystiques avec cette attitude
d’orante, et enfin l’abstraction si caractéristique aujourd’hui de son
œuvre et qui dans cette toile gagne déjà avec ces aplats de peinture en
lignes géométriques…

Piet Mondrian (1872-1944). Arbre, 1908. Huile sur toile. Kunstmuseum Den
Haag, legs Salomon B. Slijper, 1971.
Ce catalogue à la riche iconographie et mise en page soignée sera pour un
grand nombre de lecteurs une belle découverte sur l’évolution et parcours
de ce peintre emblématique de l’art moderne du XXe siècle. Si les œuvres
abstraites de Mondrian sont, en effet, bien connues, figurant dans les
plus grands musées d’art moderne, ses peintures figuratives sont, elles,
en revanche, nettement plus confidentielles et bien moins connues du grand
public. Et pourtant, ces œuvres qui ont et feront « Mondrian » méritent
assurément d’être découvertes pour mieux appréhender l’œuvre de l’artiste.
Hans Janssen insiste tout d’abord sur cette évolution du jeune artiste à
partir de cet étonnant Lièvre mort que l’on aurait du mal à
attribuer à l’auteur des formes néoplastiques à damiers colorés qu’on lui
connaît habituellement. Ce parcours aurait sans doute était impossible
sans l’aide du mécène et collectionneur Salomon Slijper, une amitié
indéfectible qu’analyse Wietse Coppes et Leo Jansen dans leur
contribution, et qui sera d’ailleurs à l’origine de cette unique
collection Slijper ayant donné naissance au musée à La Haye. Ce catalogue
offre une belle occasion d’admirer et de comprendre la progression et
métamorphoses d’un artiste qui, de ses fondations classiques, tendra
progressivement vers l’abstraction, instillant ici des formes géométriques
notoires, là des couleurs insolites pour parvenir à l’apothéose que l’on
sait. Un catalogue riche de ses contributions et illustrations venant
compléter idéalement l’exposition consacrée à Piet Mondrian actuellement
au musée Marmottan.
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Exposition Léonard de Vinci – musée du
Louvre
jusqu'au 24 février 2020 |
LEXNEWS |
21.11.19
par Philippe-Emmanuel Krautter

Le musée du Louvre célèbre le cinq centième anniversaire de la mort de
Léonard de Vinci avec une exposition ambitieuse, riche d’un nombre
important d’œuvres rarement déplacées. Comment cet artiste né d’une union
illégitime dans la province de Toscane est-il devenu l’un des symboles de
la Renaissance ? C’est à cette interrogation à laquelle répond le parcours
conçu par Vincent Delieuvin, conservateur en chef au département des
Peintures du musée du Louvre et co-commissaire avec Louis Frank de
l’exposition. En découvrant les salles successives, le visiteur pourra
découvrir les différentes étapes de la carrière de Léonard, un
foisonnement extraordinaire ponctué par un fil directeur, celui de sa
peinture qui opère la synthèse de toutes les quêtes de l’artiste. Le
parcours débute bien entendu par les années de formation dans l’atelier de
son maître Verrocchio.

©
Musée du Louvre - Antoine Mongodin
Andrea del Verrocchio, L’Incrédulité de saint Thomas, 1467-1483
C’est dès ses débuts que le jeune Léonard va littéralement être happé par
le génie de la peinture, une attraction qu’il dirigera cependant
rapidement en une science pour laquelle il mettra toute sa curiosité en
œuvre : architecture, botanique, optique, anatomie, astrologie…
Les premières années sont fertiles avec cette découverte majeure auprès de
son maître, un ancien orfèvre converti à la sculpture mais aussi à la
peinture, des questions majeures d’ombre et de lumière. Cette approche
sculpturale de la peinture est particulièrement manifeste dans ces
différentes études rarement exposées et qui résultent des modèles de
tissus mouillés que l’artiste plaçait avec minutie sur des modèles en
terre afin de reproduire à l’infini les effets de drapés. À l’observation
de ces études de draperie sur tela di lino réalisées dans les
années 1470 et conservées en partie au musée du Louvre, on ne peut que
rester sidéré par la vie qui anime ces plissés et ces ombres qui ouvrent
la première partie de l’exposition ; Une expérience que Vasari avait déjà
relatée soulignant le soin que le peintre apportait à ses modèles en terre
sur lesquels il plaçait des étoffes mouillées avant de les peindre. La
peinture flamande omniprésente à son époque imprègne également ses jeunes
années, rien n’est omis par cet esprit avide de tout ce qui l’entoure. La
fin des années 1470, enfin, voit l’émancipation de l’artiste qui délaisse
quelque peu la retranscription fidèle de la nature environnante pour lui
préférer des formes suggestives, des traits discontinus, des formes plus
fluides qui conduiront à ce fameux effet que l’on désignera par le terme «
sfumato ». |
Ainsi que le souligne Vincent Delieuvin, cette nouvelle approche permettra
au peintre de restituer toute la vibration et le souffle même de la vie,
une recherche qui l’habitera jusqu’au terme de sa vie et que
L’Adoration des mages, notamment, illustre merveilleusement.

©
Domaine public L'adoration des mages, Léonard de Vinci.
Le riche parcours invite également à découvrir les années milanaises si
importantes puisqu’on leur doit notamment cette œuvre incomparable, la
fameuse Cène, mais aussi de nombreuses études scientifiques dont de
magnifiques exemplaires sont exposés exceptionnellement venant des
collections royales d’Angleterre sans oublier le non moins fameux «
Homme de Vitruve» prêté par L’Accademia de Venise…

Michel Urtado / RMN-GP | Michel Urtado / RMN-GP
Léonard de Vinci, Vierge à l’Enfant avec saint Jean-Baptiste et un ange,
dite La Vierge aux rochers, vers 1483-1494.
La transcendance rayonnante de Léonard fait signe même si l’artiste est
resté relativement discret sur ses convictions religieuses si ce n’est
cette étrange confession rapportée par Vasari de Léonard sur son lit de
mort. Dans ses derniers instants, le peintre expirant se serait, en effet,
accusé d’avoir offensé Dieu et les hommes, pour n’avoir pas accompli sa
mission dans les arts comme il eut souhaité. Tout à tour candide comme un
enfant, lucide comme un adulte, Léonard semble avouer sa faillite devant
un Dieu qui aurait été absent, sinon de ses œuvres, tout au moins de sa
vie ; Véridique ou non, cet aveu pose assurément la question de la
dimension religieuse de son œuvre. Une dimension que n’écartent d’ailleurs
pas les commissaires de l’exposition ; Vincent Delieuvin souligne combien
« il est temps d’atténuer cette image d’un Léonard très critique à
l’égard de la religion, chose que l’on ignore », Vincent Delieuvin
ajoutant qu’il importe avant tout de replacer sa peinture dans le contexte
politique, mais aussi religieux du XVIe siècle. Et sous cet angle, comment
ne pas voir dans sa fameuse Vierge aux rochers, son Saint
Jean-Baptiste ou encore La Vierge au fuseau exposés (lesquels
sont exposés ?) le vibrant témoignage d’une certaine transcendance, voire
d’une transcendance certaine ? |
Léonard de Vinci
publications récentes |
À l’occasion du 500e anniversaire de la
mort de Léonard de Vinci, un nombre important de publications sont
disponibles pour accompagner la découverte de l’exposition consacrée au
peintre le plus connu au monde actuellement au musée du Louvre.
Parmi les différents titres, les deux
publications des éditions Hazan doivent retenir l’attention puisque liées
directement à l’exposition : Il s’agit, en premier lieu, du catalogue de
l’exposition même, Léonard de Vinci, ainsi que de la « Vie de Léonard de
Vinci » par Vasari éditée, traduite et commentée par Louis Frank et
Stefania Tullio Cataldo.

Le catalogue publié par les éditions
Hazan retrace l’ensemble de la carrière de Léonard de Vinci en montrant
bien combien l’idée même de dispersion que l’on peut avoir de l’artiste
est réductrice, voire erronée, une cohérence certaine se révélant
manifestement lors qu’on étudie l’ensemble de son œuvre. Afin de révéler
au mieux cette cohérence, l’ouvrage richement illustré sous la direction
de Vincent Delieuvin et Louis Frank débute son étude sur cette
interrogation, précoce chez le jeune artiste, des jeux de l’ombre, la
lumière et le relief. Ce que Léonard désignera rapidement par le terme de
« science de la peinture » donnera lieu chez Léonard à de véritables
recherches dont témoignent les premières études du peintre réunies par les
deux commissaires. Puis, l’ouvrage montre combien Léonard sut se départir
rapidement de l’influence de l’atelier de Verrocchio qui vit naître son
génie. L’artiste gagne alors, en effet, en liberté, sans pour autant
renier les héritages du passé. Léonard fait preuve de « licence dans la
règle », ainsi que le souligne cet audacieux mais judicieux oxymore des
auteurs. Cela se traduit par une nouvelle manière de dessiner, avec des
formes discontinues, les prémisses du fameux « sfumato » et cette volonté
de s’abstraire d’une reproduction fidèle de la nature en un élan qui
influencera les artistes jusqu’à nos époques contemporaines. Une étude
passionnante suivie par une autre section toute aussi essentielle pour
appréhender l’œuvre de Vinci consacrée à la science, domaine si vaste et
que Léonard aborda avec une curiosité déconcertante, chaque découverte
provoquant chez lui de nouvelles idées, de nouvelles recherches suivies le
plus souvent de retranscriptions dans son œuvre picturale. La dernière
partie de ce riche catalogue s’attache, enfin, à certains aspects clés de
la vie de Léonard, les thèmes qui ont fait sens dans son œuvre, les
notions d’antique, de mélancolie, et de joie, avant de proposer sous forme
de conclusion quelques études de laboratoire sur le travail dans un
atelier florentin à la fin du XVe siècle, l’art de la matière, l’art et la
manière, sans oublier l’art du dessin chez le grand maître italien. Rien
ne manque pour préparer ou compléter l’exposition « Léonard de Vinci »
actuellement au Louvre qu’accompagne idéalement ce catalogue.

Les éditions Hazan ont également eu
l’heureuse initiative de publier le remarquable travail scientifique
consacré aux « Vies de Vasari » réalisé par Louis Frank et Stefania Tullio
Cataldo en amont de l’exposition du Louvre, une recherche qui remonte à
dix ans. Louis Franck qui travaille au département des arts graphiques,
fort de sa formation d’archiviste-paléographe, a en effet réalisé avec
Stefania Tullio Cataldo un véritable travail novateur – un travail depuis
longtemps attendu, sur les fameuses Vies de Vasari pour cette nouvelle
édition présentant le texte original italien accompagné d’une nouvelle
traduction française et d’un appareil critique remarquable reprenant tous
les documents d’archives d’une façon très précise. Cette recherche
renouvelle assurément en profondeur ce que nous savions jusqu’alors de
cette source incontournable, en corrigeant certaines dates et
connaissances que nous avions. Quelques exemples : ce fameux voyage à
Bologne que Léonard de Vinci aurait effectué, et qui en fait, se révèle
nullement avéré ; Un faux historique prenant source dans un document créé
ou plutôt fabriqué par un peu scrupuleux collectionneur au XVIIIe siècle ;
Même chose pour la date de l’achèvement de la Cène. Alors que tout le
monde estimait qu’un document permettait de dater très précisément cet
achèvement, une fois de plus cette source s’avère après recherches et
travail des auteurs totalement erronée. A l’évidence, et à juste titre,
cette parution aux éditions Hazan vient consacrer un travail
extraordinaire, celui réalisé et mené sur plus de dix ans par Louis Franck
et Stefania Tullio Cataldo à partir de documents d’archives et des plus
anciens témoignages sur Léonard de Vinci, notamment le Libro di Antonio
Billi et l’Anonimo Gaddiano ou encore Magliabechiano , des manuscrits
précieux ayant constitué les sources mêmes de Vasari.

Les éditions Gallimard publient dans la
collection Quarto un fort volume de 1656 pages et 168 documents
entièrement consacré aux célèbres Carnets de Léonard de Vinci. En un seul
volume, cette masse impressionnante d’informations, recherches, études,
témoignent de l’incroyable curiosité de leur auteur ; Une curiosité
insatiable qui révèle un esprit ouvert à l’universel osant aborder en
autodidacte autant de domaines différents que ceux de la médecine,
mécanique, architecture… Cette édition présentée et annotée par Pascal
Brioist avec un texte établi par Edward MacCurdy et traduit de l’italien
par Louise Servicen condense en plus de 1600 pages l’exemple d’un savoir
encyclopédique à l’époque de la Renaissance. Pascal Brioist souligne dans
sa préface combien le personnage pourtant célèbre de Léonard reste en fin
de compte méconnu et insaisissable. Ce fut d’ailleurs un souhait personnel
de l’artiste que de ne pas se livrer entièrement, faisant coexister un
personnage d’artiste de cour avec celui d’un alchimiste de l’art et des
sciences retiré dans son cabinet… Insaisissable alors Léonard ?
Peut-être... Reste que cette source aujourd’hui des plus importantes, dont
les péripéties sont relatées dans le détail en introduction, une
introduction « Léonard à la lettre » tout aussi essentielle, permettra au
lecteur d’entrer progressivement dans cette intimité d’un esprit sans
frontières. La présente édition repose sur le travail incontournable
réalisé précédemment par Edward MacCurdy en 1938 avec quelques amendements
apportés en notes de bas de page. Avec une telle source, le lecteur n’aura
plus qu’à laisser sa propre curiosité découvrir au fil des pages et des
nombreuses illustrations des dessins les plus connus, la complexe et
fertile pensée de Léonard de Vinci, une pensée qui lui deviendra alors
plus familière, si ce n’est entièrement dévoilée.
Frank Zöllner, Johannes Nathan « Léonard de
Vinci, tout l’œuvre peint et graphique », relié, 21 x 26 cm, 704 pages,
Taschen, 2019.

Avec le 500e anniversaire en cette année 2019 de la mort de Léonard de
Vinci, nul doute que cette édition d’exception spécialement mise à jour de
l’ouvrage en version XXL « Léonard de Vinci », devenu un classique,
et signé Frank Zöllner et Johannes Nathan ne peut que connaître qu’un
franc succès non seulement en raison de sa riche iconographie, mais
également pour la qualité des textes réunis. Les deux auteurs sont en
effet connus pour leurs travaux sur le peintre, Frank Zöllner ayant écrit
sa thèse de doctorat sur les études de mouvement de Léonard de Vinci et
est titulaire d’une chaire d’histoire de l’art médiéval et moderne à
l’université de Leipzig. Johannes Nathan est, quant à lui, l’auteur d’une
thèse portant sur les méthodes de travail de Léonard de Vinci et enseigne
l’histoire de l’art à l’Université technique de Berlin ; L’œuvre du grand
artiste de la Renaissance était donc en très bonnes mains et plumes ! En
un fort volume de plus de 700 pages, l’ouvrage réunit l’intégralité de
l’œuvre peint et graphique de Léonard, incluant également les œuvres
disparues.

L’iconographie
remarquable, notamment pour ses agrandissements et détail, permet d’entrer
au cœur même de la création du génie de la Renaissance comme pour le
détail de ces mèches de la chevelure du fameux saint Jean Baptiste du
Louvre. L’ouvrage permet également de saisir derrière l’immense
variété des savoirs de l’artiste combien cette curiosité inlassable n’a eu
pour le savant artiste qu’un seul et même objectif : maîtriser et
repousser aux limites les frontières de la peinture érigée en science.
Grâce à une connaissance intime de la nature, Léonard a recours à toutes
les recherches et inventions possibles comme le montre cette multitude de
dessins et croquis présentés dans le livre. Rappelons que Léonard consacra
les dernières années de sa vie non à la peinture qu’il abandonna, mais à
ses recherches scientifiques. Un ouvrage complet et d’ensemble sur l’œuvre
non seulement peint de l’artiste, mais aussi graphique s’imposait donc
plus encore…
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Après avoir été formé dans l’atelier de Verrocchio à Florence, le génie de
Léonard émerge rapidement et surprend jusqu’à son maître. Sa maîtrise
précoce de l’ombre et de la lumière, les reliefs de sa peinture démontrent
chez l’artiste cette quête de la perfection qui sera toujours sienne,
toute sa vie durant. Léonard se libère des contraintes de son temps, va
même jusqu’à abandonner les contours classiques du dessin pour adopter des
formes discontinues jusqu’au fameux recours au sfumato pour cette
vibration unique de la peinture. Grâce à cet ouvrage, le lecteur
accompagnera l’artiste jusqu’en ses recherches ultimes, avec ses études
scientifiques multiples en anatomie, optique, mécanique…

Chacun de ces domaines, loin de conduire Léonard de Vinci à la dispersion
le rapprochera de sa mission principale, celle d’être le peintre de la vie
et de ses mystères dont l’homme reste l’élément central en phase avec la
nature et la transcendance. Seule une édition d’exception aussi complète,
mise à jour, embrassant l’ensemble de son œuvre peint et graphique et de
cette qualité pouvait rendre compte de tout l’art et génie de Léonard de
Vinci, ce peintre de tous les temps.

Les éditions Flammarion consacrent un
beau livre signé Maurice Clayton sur le rapport de Léonard de Vinci au
dessin, un thème porteur tant l’artiste n’eut cesse de développer son
génie à partir d’une multitude d’esquisses, croquis et dessins.
Responsable des dessins et gravures de la Royal Collection Trust et
spécialiste de l’artiste, l’auteur dresse dans ce bel ouvrage à la riche
iconographie le portrait en dessins d’un des plus grands génies de la
Renaissance, plus connu pour ses chefs-d’œuvre picturaux telles la
Joconde et la Cène que pour ses dessins, exception faite de son
célèbre Homme de Vitruve… C’est le Prince Charles lui-même qui en
signe la préface ; Rien d’étonnant à cela puisque nombres de dessins et
carnets de Léonard de Vinci sont aujourd’hui présents et conservés dans
les collections royales. Dans sa préface, le Prince Charles souligne
combien tout est signifié de l’art de Léonard dans ces multiples dessins,
de son approche humaniste jusqu’à ses inventions les plus folles, sans
oublier les innombrables beautés de la nature. Progressant à partir des
lieux où séjourna Léonard, l’ouvrage suit une ligne chronologique avec les
études préparant L’Adoration des bergers et l’Adoration des
mages à Florence jusque vers 1481 ; Puis Milan et ses premiers dessins
artistiques d’études de portraits, de saint Jean Baptiste, de
mains, des dessins préludant à la fameuse Dame à l’hermine, sans
oublier ses inoubliables études de drapé… Florence, Milan, Rome sont
autant de lieux où Léonard étend ses recherches à des domaines aussi
variés que la cartographie, la botanique, les paysages, l’anatomie, ses
traités de peinture et de l’eau. La dernière partie venant conclure cet
admirable voyage dans les dessins de Léonard, est consacrée au Val de
Loire, étape finale de la vie de l’artiste. Un artiste vieillissant mais
qui ne relâcha pas pour autant sa quête éternelle en livrant encore de
magnifiques études de costumes et même un projet de monument équestre pour
lesquels il réalisa des études exceptionnelles sur le cheval d’un réalisme
et d’une force telle que quelques traits seulement suffisent à animer ces
planches d’une remarquable beauté. L’ouvrage se referme sur l’étonnante
Tête d’un vieil homme barbu, une étude sans concession sur les effets
de l’âge et sur l’anatomie humaine, un autoportrait possible de l’artiste,
conscient jusqu’en son terme ultime du sens de la vie.

L’ouvrage « La Cène de Léonard de Vinci pour François 1er » aux éditions
Skira offre une belle étude de cette œuvre incroyable qu’est la copie en
tapisserie de la célèbre Cène de Léonard souhaitée par la mère de
François 1er , Louise de Savoie, et réalisée après 1516. Faisant partie
des collections des musées du Vatican, exceptionnellement prêtée lors
d’une exposition au Château de Clos Lucé cet été, puis à Milan au Palazzo
Reale, cet automne, avec une étonnante confrontation de cette tapisserie
du XVIe siècle avec une œuvre contemporaine, une « cène » du XXIe siècle
animée.
Probablement tissée en Flandre à partir d’un dessin d’un artiste lombard,
cette tapisserie a joué un rôle essentiel dans la diffusion de l’art de
Léonard de Vinci en France. L’œuvre, plus grande que la « Cène »
originale, avec ses 5,13 m sur 9,10 m, déploie sans la dénaturer la
magnificence du grand artiste de la Renaissance. La couleur ne provient
plus des pigments mais des fils d’or et d’argent qui ont patiemment tissé
cette évocation puissante initialement souhaitée par Léonard pour le
réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan.
Force est de constater que les épreuves du temps ont été plus clémentes
pour cette tapisserie, certes restaurée à de nombreuses reprises, et dont
la toute dernière vient de s’achever en avril 2019. Alors que la fresque
de Léonard de Vinci utilisant la technique a tempera ne permit pas
de préserver l’œuvre de l’humidité si importante dans la capitale lombarde
pendant l’hiver.
L’ouvrage retrace également les liens étroits qui uniront à la fin de sa
vie Léonard et le Clos Lucé où il s’éteindra dans les bras de François 1er
selon la légende, bien que ce dernier fût plus vraisemblablement à cette
date au château de Saint-Germain-en-Laye…
Un ouvrage qui a le grand mérite de faire connaître une œuvre moins
connue, mais ayant pourtant largement contribué à la reconnaissance et
diffusion de l’œuvre de l’artiste de la Renaissance, aujourd'hui, le plus
connu au monde.

Les éditions In Fine reviennent sur une enquête passionnante, celle de la
Joconde nue qui a fait l’objet récemment d’une exposition au musée
Condé de Chantilly.
En 1862, Henri d’Orléans, duc d’Aumale, grand collectionneur d’œuvres
d’art, se porte acquéreur d’un carton intitulé la Joconde nue.
Depuis cette attribution mystérieuse, l’œuvre n’a cessé de faire l’objet
d’études, de controverses, spéculations et autres opinions
contradictoires. C’est le récit de ces débats animés qui est au cœur de ce
passionnant ouvrage. Une étude permettant de mieux comprendre ce qui
caractérise l’art de Léonard et ce qui le distingue de ceux qui se sont
inspirés de son génie. Réalisé sous la direction de Mathieu Deldicque, cet
ouvrage collectif part à la recherche des sources sur cette Joconde nue,
en étudiant les différentes représentations de la femme dénudée entre
Florence et Venise au XVe et début du XVIe siècle. C’est à une véritable
étude scientifique à laquelle se livrent les conservateurs et spécialistes
de Léonard en soumettant l’œuvre aux examens de laboratoire, des examens
conduisant à faire de ce carton probablement une étude préalable de
Léonard pour un tableau qu’il n’a peut-être jamais été réalisé.
Postérieure à la fameuse Joconde du Louvre, ce dessin ne reproduit
pas, en revanche, le modèle de Monna Lisa, même si l’artiste a recours à
un portrait similaire, certainement idéalisé par les valeurs sensuelles
qu’il dégage et inspiré de l’antique pour la coiffure. Ce modèle de la
nudité féminine rayonnera également en France ainsi qu’en témoigne la
collection de François 1er, les œuvres notamment de François Clouet étant
représentatives de cette influence.
Il ressort de cette incroyable enquête que de nombreux critères
contribueraient à accepter une attribution à Léonard de cette fameuse
Joconde nue : le dessin est celui d’un gaucher, le recours fréquent au
sfumato, de nombreux repentirs témoignent d’une œuvre de création et non
d’une copie… Mais, de la main même de Léonard ou de son atelier ? Quelques
hésitations et questionnements demeurent encore, rendant cette œuvre
décidément bien énigmatique et cette étude passionnante.

Arte Editions propose à l’occasion du 500e anniversaire de la disparition
de Léonard de Vinci deux films retraçant cette science de la peinture que
le maître de la Renaissance érigea en quête absolue tout au long de sa
vie.
En premier lieu, Léonard de Vinci, la manière moderne, un remarquable film
de Sandra Paugam écrit par Flore Kosinetz évoque cette incroyable aventure
de cet artiste qui deviendra un des plus grands peintres de la
Renaissance. Partant de ses œuvres et de ses dessins, le film détaille
l’ensemble son processus créatif ; Un processus infaillible de curiosité
insatiable et de recherches qui fera du jeune Léonard, le peintre le plus
connu au monde, Léonard de Vinci.
Léonard de Vinci, le chef-d’œuvre redécouvert, film écrit et réalisé par
Frédéric Wilner convie, quant à lui, le spectateur à une formidable
enquête, celle de La Vierge au fuseau. Une enquête menée à
l’occasion de sa restauration récente à Paris. Avec cette brillante
réalisation, nous entrons littéralement dans l’atelier de la création
léonardesque ; Minute par minute, se révèlent et se dévoilent aux yeux du
spectateur les couches picturales d’origine jusqu’aux recherches les plus
récentes de restauration appuyées notamment par de nouvelles techniques et
technologies, ouvrant ainsi de nouvelles comparaisons. |
Interview Denis
Raisin Dadre
Paris, le 30/05/19. |
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Lexnews
a eu le plaisir de rencontrer Denis Raisin Dadre à l'occasion de la sortie
de son splendide livre-disque consacré à Léonard de Vinci et la musique.
Fondateur de l'ensemble Doulce Mémoire et grand spécialiste de la musique
Renaissance qu'il honore par ses concerts et enregistrements
internationalement renommés, Denis Raisin Dadre nous a livré ses
confidences sur ce grand maître de la renaissance qui était également un musicien
talentueux !

uelle
a été votre première rencontre avec Léonard de Vinci et quel souvenir
avez-vous gardé de ses œuvres ?
Denis Raisin Dadre : "Curieusement, ce n’est pas la Joconde
qui a retenu en premier mon attention ! Mon caractère me portait plutôt
vers des choses moins connues. C’est à Florence que date cette première
rencontre, à une époque où je me rendais très souvent en Italie. C’est son
Annonciation qui, la première, m’a frappé. Je découvrais alors un
Vinci encore très marqué par la peinture flamande de son époque ainsi que
par l’atelier du Verrocchio où il a travaillé dès son plus jeune âge. Si
je connaissais déjà ce style de peinture, surtout celui de ses
contemporains de la fin du XVe siècle avec ce côté extraordinairement
minutieux des arrière-plans, cette première rencontre demeure pour moi
associée aux Offices de Florence, et cette Annonciation m’est
apparue mystérieuse, comme un grand nombre de ses œuvres d’ailleurs".
Quels sont les motifs qui vous
ont poussé à réaliser ce livre-disque sur Léonard alors même que vous
avouez qu’il ne nous reste aucun témoignage direct des musiques qu’il
pouvait jouer en tant que musicien talentueux ?
Denis Raisin Dadre : "Nous n’avons en effet pas de musique de
Léonard lui-même si ce n’est un petit canon, mais c’est également le cas
de tous les autres musiciens de lira da braccio de cette fin du XVe
siècle, car il s’agissait d’un instrument sur lequel on improvisait. Cette
lacune n’est donc pas liée à Léonard, mais à son instrument, cette lyre
sur laquelle les musiciens n’ont pas laissé de traces écrites. Ce qui est
intéressant et surtout frappant chez Vinci, c’est que beaucoup de ses
contemporains parlent de lui et de cette musique qu’il jouait, Vasari bien
entendu mais également d’autres sources. Ce n’était pas du tout un amateur
et il devait avoir une très haute maîtrise pour avoir été invité à Milan
non seulement comme peintre mais également comme joueur de lyre. À Milan,
lorsqu’il organise les fêtes du duc, il jouait lui-même de la lyre et
improvisait des vers en chantant. Cette période concerne essentiellement
ses années de jeunesse jusqu’à sa trentaine. Aussi, me suis-je demandé
avec Vincent Delieuvin, Conservateur en chef - chargé de la peinture
italienne du XVIe siècle chez Musée du Louvre, s’il n’y avait pas
justement une relation dans cette pratique de l’improvisation et cette
façon de peindre très spécifique à Vinci".
_____________
il existait aux XVe et XVIe siècles des
musiques dites expressément « secrètes » qui étaient réservées à des
élites, et qui ne sortaient pas des lieux où elles étaient jouées
_____________
Pouvez-vous revenir sur cette
belle expression « musique secrète » des peintures de Léonard ?
Denis Raisin Dadre : "Deux références doivent être soulignées quant
à cette expression de « musique secrète ». Tout d’abord, une
référence musicale très précise, puisqu’il existait aux XVe et XVIe
siècles des musiques dites expressément « secrètes » qui étaient réservées
à des élites, et qui ne sortaient pas des lieux où elles étaient jouées.
La plus connue, même si cela est plus tardif, est celle recopiée par
Mozart à la Chapelle Sixtine. Cette pratique de musique secrète a lieu
également à la cour de Ferrare où les fameuses dames qui chantaient pour
le duc tous les soirs avaient interdiction de les divulguer, ce qui
explique qu’elles n’ont pas été éditées. L’autre grand exemple sont les
Prophéties des Sibylles de Lassus qui ont été composées dans sa
jeunesse et qui n’ont pas été éditées pendant longtemps parce que son
commanditaire ne souhaitait pas qu’elle soit divulguée tellement cette
musique était exceptionnelle. La seconde référence à cette « musique
secrète » vient d’une citation expresse du critique d’art Marcel
Biron. Ce dernier avouait ne pas regretter la présence des anges musiciens
qui devaient encadrer en un retable de chaque côté la Vierge aux
rochers (qui se trouve actuellement à Londres) parce que la peinture
de Vinci était une peinture dans laquelle on entendait une musique… «Une
musique secrète » ! Cela m’a beaucoup marqué et a constitué le point
de départ de cette idée d’enregistrement".
La musique franco-flamande
prédomine en ce dernier tiers du XVe s. en Italie, peut-on dire que c’est
ce répertoire qu’a pu essentiellement entendre et jouer Léonard ?
Denis Raisin Dadre : "Entendre, c’est certain ! Car, après une
longue période de recherche sur les manuscrits, j’ai pu avoir une idée
assez précise des musiques de son époque lorsqu’il était dans l’atelier de
Verrocchio à Florence. Il est même assez étonnant de constater cette
omniprésence de la musique franco-flamande sans trouver une seule
référence italienne ! Il suffisait que Vinci entre dans une des églises de
Florence pour qu’il entende ce répertoire franco-flamand. Par contre,
lorsque Léonard jouait de la lira da braccio, il s’inscrivait dans
ce grand mouvement d’indépendance de la musique italienne contre cette
mainmise de la culture bourguignonne. Ses improvisations sur la lyre n’avaient rien à voir avec ces classiques établis par les grands maîtres franco-flamands".
Le début du XVIe s. voit la
naissance en Italie du premier livre de frottole et l’apparition de
musiciens italiens, prélude à la grande période du madrigal. En quoi ces
nouveautés seront-elles importantes pour la musique italienne ? Comment un
peintre tel que Léonard pouvait-il juger ces nouveautés ?
Denis Raisin Dadre : "J’ai puisé quelques pièces dans ces livres de
frottole (brève chanson profane italienne, à l’honneur de la fin du XVe
siècle jusqu’au milieu du XVIe s. ndlr) qui constituent des témoignages de
l’art de la lira de Vinci. Il s’agit de morceaux où il est indiqué «
Personetti », c'est-à-dire servant à l’improvisation, des sources
absolument rarissimes du début du XVIe siècle concernant cette pratique
née à la fin du XVe siècle avec une dizaine de grilles dont on se servait
pour réciter -« recitare » - à la lyra, véritable témoignage de
l’art de Léonard. D’autre part, nous savons que Léonard a été très
sollicité par Isabelle d’Este qui était la sœur de Béatrice, elle-même «
grande patronne » de la frottole résidant à Milan". |
Trois femmes puissantes sont ainsi à l’origine de l’émergence d’un art
proprement italien dans les cours : Isabelle, donc, et sa sœur Béatrice
d’Este sans oublier la duchesse d’Urbain. En encourageant les musiciens et
cette pratique de l’art de la frottole au début du XVIe siècle,
nous assistons dans les manuscrits à cette évolution vers des « proto
madrigaux » avant le fleurissement à part entière de l’art du madrigal
dans les années 1530. Léonard de Vinci a vu l’émergence de cet art protégé
par ces femmes exceptionnelles. Il est certain que cet esprit novateur a
puissamment inspiré et correspondu avec l’art de Léonard non seulement
dans la peinture, mais également vis-à-vis de la musique qu’il pratiquait.
La lira est un instrument d’expérimentation par excellence
puisqu’on ne joue pas de musique écrite. De nombreuses recherches
musicologiques ont d’ailleurs lieu actuellement sur cet art et je pense
que cela va permettre d’expliquer comment nous sommes passés de la
première mise en musique de l’Orfeo de Poliziano au XVe siècle à l’Orfeo
de Monteverdi, en 1607. La lira, instrument d’Orphée et de l’aède
grec qui récitait un texte, est sans aucun doute un des très grands
moteurs de l’émergence de l’opéra. Avec la lyra, seul le chant est
accompagné de l’instrument, alors que dans toute la musique du XVIe s., la
polyphonie prédomine avec la superposition de plusieurs voix répondant à
des règles complexes. On a longtemps sous-estimé l’importance de la
lyra et il ne faut pas oublier que, naguère, le public pleurait
littéralement sur les places de Florence où étaient jouées et récitées ces
épopées".
La technique du peintre,
notamment son fameux sfumato, rejoint-elle certains effets et
ornementations posés par la musique notamment avec la lira ?
Denis Raisin Dadre : "Je me suis permis de faire cette comparaison
– et cela n’a évidemment aucun caractère scientifique – car c’est un
ressenti qui m’a beaucoup frappé. Il est très troublant de constater que
la lyre autour de la voix crée un halo sonore qui n’a rien à voir avec la
façon dont on écoute la musique habituellement, d’autant plus que cet
instrument n’a pas de basse. Ordinairement, lorsque vous écoutez de la
musique, vous trouvez toujours une basse et des accords. Or avec la lyre,
il n’en est rien. De plus, cet instrument se place au-dessus de la voix de
l’homme ; en terme d’octave, la lyre est, en effet, plus aiguë que la voix
d’un homme. Ce système qui est à l’inverse de notre écoute habituelle avec
un accompagnement au-dessus et sans basse crée une sorte de « sfumato
sonore » qui estompe les lignes ainsi que notre écoute…"
_____________
C’est une époque d’une extraordinaire
complexité notamment en terme musical avec des citations permanentes, des
thèmes entrecroisés, des jeux contrapuntiques absolument fous
_____________
Une très grande liberté présidait dans la composition et ses
déclinaisons en « jeux intellectuels », est-ce là encore un parallèle avec
les nombreuses variations, corrections et évolutions apportées par le
peintre à ses œuvres toute sa vie durant ?
Denis Raisin Dadre : "C’est une époque d’une extraordinaire
complexité notamment en terme musical avec des citations permanentes, des
thèmes entrecroisés, des jeux contrapuntiques absolument fous. Ce rapport
intellectuel à la musique n’a pu que séduire Léonard de Vinci qui lui-même
était un esprit complexe, érudit et scientifique. À son époque, on parle
véritablement d’une science de la musique, et nous savons combien ce génie
a fréquenté de nombreux mathématiciens qui étaient eux-mêmes des
musiciens. Lorsque vous lisez les traités de musique de cette période,
vous avez souvent l’impression de lire un traité de mathématique…"
Quel regard portez-vous sur la
dimension religieuse de certaines des œuvres de Léonard de Vinci ?
Denis Raisin Dadre : "Je crois que c’est quelque chose de très
original chez Léonard de Vinci, ne serait-ce que par les thèmes traités
comme celui de sainte Anne avec la Vierge, thème assez rare dans la
peinture. La première chose qui me frappe chez Léonard, c’est que nous
sommes vraiment aux antipodes d’une peinture qui exalterait la puissance
de l’Église, à la différence d’un Tintoret ou d’un Véronèse au XVIe siècle
qui se dirigeront, eux, plus vers des choses « baroques » exaltant cette
puissance institutionnelle. L’intimité des tableaux de Léonard semble à
mon avis l’élément marquant de son art sur le plan religieux. Un dialogue
est en quelque sorte instauré entre celui qui regarde et le tableau. Ce
genre relève d’ailleurs plus de la dévotion privée que de l’art officiel.
Il est d’ailleurs troublant de constater cette ambiguïté entre profane et
religieux, sainte Anne et sa fille laissent l’impression d’avoir le même
âge, son saint Jean-Baptiste apparaît sous les traits d’un joli jeune
homme… Léonard de Vinci fait preuve d’une liberté absolue dans la manière
dont il évoque ces personnages sacrés. Je fais d’ailleurs un parallèle
quant à cette liberté avec le Caravage dont les peintures religieuses
apparaîtront souvent scandaleuses car n’obéissant pas aux normes de son
époque. Cette approche religieuse est poussée à son paroxysme avec la
Cène et cette agitation extrême des disciples que personne n’avait osé
représenter ainsi auparavant. Dans la musique de la même époque, cette
intrication sacrée profane est usuelle, et même permanente, avec des
musiques sacrées écrites sur des chansons profanes. Un grand nombre de
musiques sacrées existait avec un double texte : un soprano ayant recours
au latin d’un Requiem pendant que le ténor récitait une chanson. Cette
distinction entre sacrée et profane n’existait pas à cette époque. Ce qui
me frappe surtout pour Léonard de Vinci, c’est cette liberté quant à
l’institution. C’est quelqu’un qui toute sa vie a fait ce qu’il voulait.
Le meilleur exemple étant peut-être Isabelle d’Este qui n’a jamais réussi
à obtenir son tableau alors même qu’elle n’a eu de cesse de relancer
Léonard à ce sujet !"
_____________
Je crois que nous avons retrouvé cette
immense tendresse et douceur dans la musique, à l’image de celle
omniprésente dans les œuvres de Léonard de Vinci.
_____________
Qu’avez-vous ressenti dans la pénombre de l’abbaye de Noirlac lors de
l’interprétation de ce programme composant votre dernier enregistrement ?
Denis Raisin Dadre : "Je dois avouer que ce programme a été
certainement l’un des problèmes les plus compliqués de toute mon existence
! Tout d’abord, ces tableaux sont très intimidants, et ce d’autant plus
que je ne souhaitais pas présenter une version purement intuitive, mais
aussi une proposition scientifique à partir de recherches sur les musiques
de cette époque. Et je dois avouer, comme souvent dans ces situations les
plus compliquées, qu’il peut y avoir des miracles ! Soudainement la
musique « apparaît » avec un lien très fort avec ces tableaux dont les
reproductions étaient devant nous. Je crois que nous avons retrouvé cette
immense tendresse et douceur dans la musique, à l’image de celle
omniprésente dans les œuvres de Léonard de Vinci. Cela a été rendu
possible par certaines couleurs musicales qui ont surgi et qui
correspondent bien à cette idée de tendresse, d’intimité et complexité du
peintre".
Propos recueillis par Philippe-Emmanuel Krautter
© Interview exclusive Lexnews
Tous droits réservés
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www.doulcememoire.com
|
Exposition Le
Greco, Grand Palais
Paris jusqu’au 10 février 2020 |
LEXNEWS |
16.11.19
par Philippe-Emmanuel Krautter

Le Grand Palais à Paris consacre actuellement une
exposition d’envergure au peintre de la Renaissance Le Greco, une première
en France organisée par le commissaire Guillaume Kientz associé à
Charlotte Chastel-Rousseau du musée du Louvre. Celui, qui fit figure d’une
météorite isolée durant le XVIe siècle, est né en Crète en 1541 sous le
nom de Doménikos Theotokópoulos, aussi fut-il appelé Le Greco. C’est dans
son pays natal qu’il se forme à l’art rigoureux et exigeant de l’icône, un
art sacré dont il n’oubliera jamais les leçons jusqu’à son départ pour
Venise.

©
Benaki Museum, Athens, Greece Gift of Dimitrios Sicilianos / Bridgeman
Images
L'Apôtre Luc peignant la Vierge, c.1564, Le Greco, 41 x 33 cm , Musée
Benaki, Athènes, Grèce.
Ce sont ces œuvres de jeunesse marquées par la peinture d’icônes qui
accueillent le visiteur avec son Saint Luc peignant la Vierge
provenant du musée Benaki d’Athènes ; Une œuvre qui suggère déjà, au-delà
de ces figures hiératiques et des traditions encore respectées par
l’artiste de l’art post-byzantin, de nouvelles perspectives avec ces deux
plans distincts entre tradition et modernité, alors même que saint Luc est
représenté peignant une icône traditionnelle de la Vierge. Venise marquera
bien entendu un saut pour le jeune artiste à la fois fier de ses origines
et de son art, et parallèlement prêt à s’imprégner de toutes les
nouveautés qui fourmillent dans la Sérénissime. Greco forge ses armes sur
l’autel de la Renaissance italienne. Mais, quelque peu arrogant, ne pliant
pas l’échine, celui-ci se voit fermer bien des portes italiennes… Peu lui
en coûte, il sait capter tout ce qui mérite importance à Venise et à Rome
dans ces œuvres de petits formats présentés dans le parcours chronologique
de l’exposition. L’art sacré irradie déjà ses œuvres telle cette Piéta
rendant hommage en quelque sorte à Michel-Ange, et qui offre, tout en
déployant une vision très personnelle avec ce cadrage serré sur les
protagonistes, une scène puissante et dramatique.

©
The National Gallery, Londres, Dist. RMN- Grand Palais / National Gallery
Photographic Department L’adoration du nom de Jésus, National Gallery,
Londres.
Tout est prêt pour l’apothéose de son art, et c’est l’Espagne qui lui
ouvrira les portes de la renommée ; Tout d’abord, avec une commande du roi
Philippe II pour cette impressionnante Adoration du nom de Jésus,
suivie de multiples commandes de la noblesse espagnole dont l’artiste sait
gagner la confiance et flatter les commanditaires avec des portraits, il
est vrai, d’une grande force expressive. L’art du Greco s’affirme, se
distingue de ses contemporains par des audaces jamais vues, cette
vibration du trait et ces lignes anguleuses qui marquent ses œuvres. La
couleur rapportée de Venise et de Rome jette des fulgurances sur ses
toiles parmi les masses sombres qui prédominent. L’artiste témoigne d’une
sensibilité extrême, notamment dans ses œuvres religieuses, tel ce thème
récurrent du Christ chassant les marchands du Temple qui hantera
l’artiste une grande partie de sa vie. Nombreuses sont les facettes
dévoilées de Greco dans cette incontournable exposition qui rencontre
déjà, à juste titre, un franc succès. |
« Le Siècle d'or espagnol » de Guillaume
Kientz, Citadelles & Mazenod, 2019.
Le Siècle d’or espagnol est un ouvrage qui s’avère incontournable pour
deux raisons. La qualité de son auteur, tout d’abord, qui fait de ce beau
livre une précieuse synthèse sur cette période clé de l’histoire de l’art.
Guillaume Kientz est, en effet, bien connu de nos lecteurs, cet historien
de l’art ayant été pendant près de dix ans chargé des collections
espagnoles au musée du Louvre ; Il dirige maintenant, depuis février 2019,
les collections européennes au Kimbell Art Museum au Texas et signe la
toute première exposition consacrée au peintre Le Greco au Grand Palais en
France. Alors qu’il n’y avait guère d’ouvrages de ce genre sur cette
période, l’auteur propose d’aborder un Siècle d’or espagnol en lien avec
la construction de l’Escorial ; Un édifice qui abritera bientôt les œuvres
des plus grands génies de la peinture. C’est cette belle aventure unique
que Guillaume Kientz retrace dans ce riche ouvrage convoquant plus de 150
artistes avec des noms inoubliables tels Le Greco, Vélasquez, Murillo,
Zurbaran, Ribera… Rappelant l’héritage de la Renaissance et l’originalité
de ce nouveau Siècle d’or (1570-1610), l’auteur présente les
manifestations du naturalisme en Espagne au début du XVIIe siècle. Un
naturalisme tributaire d’une large demande de commanditaires fortunés,
ordres, églises… La nouveauté apporté par les Ribalta, Castello, Mingot,
Espinosa éclate aux yeux de leurs contemporains et s’accompagne du
développement de la nature morte avec des artistes talentueux comme
Zurbaran, Barrera et Ponce. Les échanges sont alors nombreux entre
l’Italie et l’Espagne, notamment pour l’artiste Jusepe de Ribera. Des
influences également réciproques sont soulignées avec le caravagisme qui
s’introduit dans les toiles des artistes espagnols. Une section entière
est, bien entendu, consacrée au peintre du roi Velasquez, avant que ne
soit abordé le baroque espagnol de la deuxième moitié du XVIIe siècle avec
la seconde « école de Madrid » et la peinture andalouse marquée notamment
par Zurbaran et Murillo. La seconde raison, et non encore dite, de
l’excellence de cet ouvrage tient à sa riche et superbe iconographie
présentée idéalement en une mise en page soignée qui fait de ce livre un
recueil indispensable à la compréhension de la peinture espagnole. Une
belle et riche porte d’entrée au Siècle d'or espagnol.
« El Greco » de Hayley Edwards-Dujardin Chêne éditions, 2019.

La petite collection Ça c’est de l’art des éditions du Chêne consacre leur
dernière parution au peintre Le Greco à l’occasion de la grande
rétrospective lui étant consacré au Grand Palais à Paris. En une centaine
de pages, c’est une synthèse didactique qui est ainsi proposée par
l’auteur, historienne de l’art et manifestement éprise de pédagogie. 40
notices très graphiques se proposent de marquer les esprits en ne retenant
que l’essentiel, tout en ayant toujours grand soin de le replacer dans le
contexte des XVIe et XVIIe siècles. À partir d’œuvres représentatives, de
courts textes caractérisent l’art singulier de ce grand peintre Le Greco,
né en Crète, mais rattaché au Siècle d’or espagnol, l’ouvrage insiste sur
ce qui le distingue de ses contemporains. L’auteur y ose judicieusement
également des rapprochements avec l’art moderne, des parallèles que ce
peintre impose, il est vrai, notamment avec Pablo Picasso ou encore
Jackson Pollock. Hayley Edwards-Dujardin n’hésite d’ailleurs pas à revenir
sur les nombreuses idées reçues, et souvent préconçues et injustifiées,
qui ont pesé sur le peintre, tel le fait qu’il aurait été astigmate, ce
qui aurait expliqué les formes allongées de ses personnages sur ses
toiles, ce que les ophtalmos nient… Ainsi que le souligne bien cet ouvrage
concis et instructif, Le Greco est inclassable, et par l’absurde dit tout
du réel. |
Jarracharra,
la saison des vents secs.
Exposition à l'ambassade d'Australie – Paris
jusqu'au 10 janvier 2020 |
LEXNEWS | 10.10.19
par Sylvie Génot-Molinaro

À l'occasion de l'année internationale des langues autochtones des Nations
Unies, l'ambassade d'Australie œuvre à faire découvrir les richesses
culturelles – et elles sont nombreuses !, des terres lointaines de ce
continent. En entrant au sein de l'exposition « Jarracharra, la saison des
vents secs », on ne peut imaginer le merveilleux voyage qui nous est
proposé à travers ce labyrinthe que constitue la remarquable collection de
textiles réalisés par les artistes du Bábbarra Women's Centre de
Maningrida. Un centre artistique des plus isolés au monde, au cœur même de
la Terre d'Arnhem au nord du continent australien, balayée par les vents
de la saison sèche, et qui depuis 35 ans rassemble des femmes autour de
projets de créations de la même manière que les vents Jarracharra
indiquent le début des rassemblements des peuples aborigènes pour les
cérémonies, rituels et danses traditionnelles depuis des milliers
d'années.
La mission du centre est de permettre aux femmes de différentes langues de
créer ensemble selon les traditions de leur clan, d'échanger et de faire
perdurer des savoirs en les enseignants à de plus jeunes femmes, de mère à
fille ou de grand-mère à petite fille. La complexité des traditions, les
gestes et symboles qui les accompagnent sont ainsi mis en avant avec les
créations de 17 artistes. Ce sont toutes les créations de la région de
Maningrida, appartenant à 9 groupes linguistiques différents, qui sont
présentées, l'exposition « Jarracharra » célébrant ainsi toute la
diversité culturelle et la richesse exceptionnelle de cette région. En
premier plan, le travail de création des femmes peintres aborigènes qui
participent largement à l'évolution de l'art du tissage, des techniques
manuelles de sérigraphie (méthode xylographie – motif gravé dans du bois
et imprimé manuellement) ou encore de leurs créations graphiques dans le
monde de l'art contemporain. |
Leur collaboration avec des designers de mode ou de mobilier contemporain,
ces derniers faisant appel à leurs univers graphiques pour revisiter leur
domaine respectif, contribuent ainsi à faire connaître ces dessins
traditionnels. Les dessins imprimés à la main sur des tissus de 2 à 4
mètres de long, aux motifs noirs ou colorés, et les estampes allient avec
merveille et inventivité le passé, le présent et le futur de cette
pratique artistique de femmes inscrite dans l'histoire même de la culture
aborigène ; Mais, fort heureusement, les secrets de ces cultures
aborigènes restent cependant bien gardés !
On est emporté par l'esprit de ces tissus installés en suspensions,
devenus revêtements de fauteuils restaurés par un artisan français,
luminaires ou robes portées par les artistes dont chaque thème, créé pour
cette grande occasion, reflète autant leur sensibilité que leur force et
ténacité. Il faut être fort pour vivre dans le bush ! Toutes ces artistes
ont reçu la bienveillance des esprits des ancêtres pour présenter ces
dessins adaptés à l'époque contemporaine. Ce sont des visions du temps du
rêve (Dream Time), les différentes légendes fondatrices, des
interprétations de la faune ou encore de la flore du bush qui sont là sur
ces tissus et dont on voudrait s'envelopper, juste le temps d'un rêve, le
nôtre... tout en écoutant les chants en langue de Maningrida qui retracent
l'histoire et le contexte des œuvres.

À noter que les artistes Deborah Wurrkidj, Janet Marawarr, Jacinta Lami
Lami, Jennifer Wurrkidg et Elisabeth Kala Kala, accompagnées de la
directrice du centre Bábbarra, Indgrid Johanson, et de son adjointe,
Jessica Phillips, ont animé un atelier de sérigraphie à l'école Boulle et
ont participé à différents événements autour du design textile, ainsi qu'à
une table-ronde au musée du quai Branly-Jacques Chirac.
Un catalogue, en anglais et illustré de photos des textiles, présente
enfin le Bábbarra Center, la biographie et le parcours artistique de
chacune des artistes. |
Bacon en toutes lettres
jusqu'au 20 janv. 2020 Centre Pompidou,
Paris. |
LEXNEWS |
10.10.19
par Philippe-Emmanuel Krautter

Francis Bacon fait l’objet d’une magnifique exposition monographie
particulièrement inspirée intitulée « Bacon en toutes lettres » au Centre
Pompidou à Paris sous l’angle fertile de son œuvre et de la littérature.
Si Bacon a pu inspirer nombre d’écrivains, l’artiste s’est nourri en
premier des lettres ainsi qu’en témoignent ces textes allant d’Eschyle à
Eliot en passant par Nietzsche, Bataille, Conrad ou encore Leiris, et qui,
pour chacune des six salles d’exposition, sont lus par de grandes voix.
Bacon en toutes lettres est donc le fil directeur retenu par Didier
Ottinger, conservateur au musée national d'Art moderne et commissaire de
l'exposition, un choix pensé offrant une perspective idéale à l’œuvre de
Bacon. Réalisme cru, morale reléguée à l’arrière-plan, formes libérées,
c’est à une rencontre volontairement plus désinhibée que provocante à
laquelle nous convie le Centre Pompidou, celle d’une âme mise à nu qui
expose, s’expose et dévoile les tréfonds de notre humanité. Distorsions et
diffractions de ce qui constitue l’humain couvrent la toile en autant
d’innervations artistiques.

Francis Bacon, Female nude standing in doorway (1972)
Bacon avait avoué avoir recherché toute sa vie à produire une œuvre «
immaculée », quête singulière qui devait retenir toute son énergie pendant
plus de quarante ans. « On travaille sur soi-même pour se forcer à
écorcher les choses de façon de plus en plus aiguë » avouait encore
Bacon à Marguerite Duras qui l’interviewait, et c’est ce sentiment qui
prédomine en découvrant cette remarquable exposition qui vient d’ouvrir au
Centre Pompidou. Le compagnon de Bacon, George Dyer, venait de mourir
alors que l’exposition au Grand Palais devait consacrer l’artiste allait
ouvrir en 1971. Libération et culpabilité occupent les toiles réalisées
alors, notamment ces trois triptyques qui traduisent ces doutes relevant
de la tragédie antique, Dyer s’étant donné la mort en ingérant des
barbituriques dans une chambre d’hôtel…
Le parcours de l’exposition est ponctué par bien d’autres liens
inextricables avec la littérature. Eschyle et l’Orestie transposée par
T.S. Eliot, inspirant l’un de ses triptyques, et l’œuvre du grand
tragédien grec ne cessera d’avoir des échos après la mort de Dyer. De la
tragédie antique à Nietzsche, la transition s’imposait avec ce culte de la
beauté inspiré par Apollon et en contrepoint les forces noires et
destructrices associées à Dionysos. Le dialogue de la vie et de la mort,
les liens intimes et consubstantiels qui les unissent rythmeront toutes
les œuvres de Francis Bacon, ce dont rend admirablement le parcours conçu
pour cette exposition incontournable. |
« Bacon en toutes lettres », catalogue sous la
direction de Didier Ottinger, Centre Pompidou éditions, 2019.

La couverture du catalogue consacré à Francis Bacon
accompagnant l’exposition du Centre Pompidou reproduit un détail du
Triptyque datant de 1970 où le modèle représenté se trouve suspendu à une
balançoire, fils tenus retenant, en des équilibres toujours précaires, la
vie. C’est cette tension qui animera l’artiste, puisant dans les forces
vitales et celles antagonistes de la mort, la puissance de son
inspiration. Didier Ottinger, le commissaire de l’exposition, souligne en
introduction combien Bacon s’est nourri de la littérature « source
fabuleuse, un puits pour l’imaginaire » selon les mots de l’artiste.
Même s’il rejettera parfois tout lien direct, la littérature demeure
source d’ouverture et renforce l’artiste dans sa quête de pureté, se
libérant de la gravitation. Le catalogue approfondit ces liens ténus entre
l’œuvre de Bacon et la littérature en sortant, feuilletant et lisant pour
le lecteur les livres de la propre bibliothèque du peintre, un éclairage
fort offrant un regard singulier et pénétrant sur de son œuvre.

Francis Bacon, Oedipus and the Sphinx after Ingres (1983)
Les volumes de L’Orestie d’Eschyle, La
Naissance de la tragédie de Nietzsche, Georges Bataille et
L’expérience intérieure, Joseph Conrad et Au cœur des ténèbres
et bien d’autres œuvres encore ont côtoyé et nourri la vie et l’œuvre de
Bacon. Après avoir reproduit les œuvres exposées dont certaines
bénéficient de pages dépliantes, notamment pour ses admirables triptyques,
le catalogue propose plusieurs études permettant d’approfondir la
connaissance de l’artiste, notamment celle de Chris Stephens se penchant
sur le thème de la mort à l’œuvre dans l’iconographie tardive de Bacon,
une thématique riche et dont l’auteur explore les nombreuses facettes afin
d’éviter les poncifs trop souvent plaqués sur son œuvre. Miguel Egana
analyse, pour sa part, les rapports de Deleuze et de Bacon, non point ceux
nés d’une seule rencontre apparemment guère fertile entre les deux hommes,
mais de leurs œuvres et pensées respectives. Michael Peppiatt explore,
quant à lui, les liens entre Bacon et Shakespeare, source d’inspiration
première dans sa jeunesse et qui a nourri et poursuivi le peintre pour la
force de sa concision. Catherine Howe analyse, enfin, l’héritage français
de Francis Bacon avec Michel Leiris, Georges Bataille, le poète Jacques
Dupin, Marguerite Duras, Philippe Sollers… Ce riche catalogue se termine
par l’inventaire des livres et revues possédés par Francis Bacon dans ses
différentes bibliothèques ainsi qu’une chronologie. Un catalogue tout
aussi incontournable que l’exposition qu’il accompagne et complète pour
comprendre et appréhender l’œuvre de Francis Bacon.
|
20 ANS – Les
acquisitions du musée du quai Branly-Jacques Chirac
Exposition au Musée du quai Branly-Jacques Chirac
jusqu'au 26 janvier 2020 |
LEXNEWS | 10.10.19
par Sylvie Génot-Molinaro

Un musée est un iceberg, on ne voit que sa partie émergée... Il en est
ainsi du musée du quai Branly Jacques Chirac, grand navire orné de
végétaux et « temple » d'arts des civilisations non occidentales. À
l'occasion des 20 ans d'acquisitions du musée, une exposition propose à
tous de mieux comprendre les enjeux de ces institutions muséales que
beaucoup fréquentent sans en connaître nécessairement les codes. C'est
donc ce fonctionnement plus méconnu qui est exposé permettant à chacun de
découvrir à travers un parcours didactique (frise historique des grandes
dates d'acquisitions, l'histoire du projet de la réunion de différents
musées en un seul, œuvres et objets, interviews des conservateurs,
documents audiovisuels et multimédias...), et défini selon 3 espaces
présentant les coulisses d'une politique d'acquisition, les enjeux de
cette politique et les œuvres iconiques constituant aujourd’hui la
collection du musée. Comment ces quelques 500 œuvres les plus
représentatives du musée ont-elles été acquises ? Il faut imaginer
plusieurs départements (sculptures, textiles, instruments de musique,
écrits, photographies, etc.) travaillant au quotidien à préserver et
enrichir ces collections inestimables de l'histoire des civilisations et
des arts non occidentaux.

"Sculpture anthropomorphe", vers 200-550, pierre verte sculptée, 76 x 23 x
15 cm.
Mexique, Teotihuacan. Photo Claude Germain/musée du quai Branly - Jacques
Chirac.
|
Les pièces se comptent par dizaines de milliers toutes catégories
confondues (382 538 œuvres précisément inscrites à l'inventaire) ont été
acquises par collectes dès les premiers voyages d'explorations à travers
le monde, et ce de la fin du XVIe siècle jusqu'à nos jours par achats sur
les marchés de l'art, salles de vente ou galeries, par commande pour les
artistes contemporains ou encore par donations et autres legs... Le
musée possède par exemple la bibliothèque entière de Claude Lévi-Strauss,
qui avec Jacques Kerchache, ont été des soutiens déterminants dans
l'histoire et la constitution de ces collections du musée.
Le visiteur découvrira que derrière chaque acquisition, il y a en fait des
histoires d'hommes et de femmes spécialistes et passionnés ayant pour
mission tout particulièrement de chercher, collecter, enquêter sur la
traçabilité de chacune des œuvres proposées ; des œuvres qui
éventuellement entreront alors dans un long processus réglementé depuis la
ratification en 1997 de la Convention de l'UNESCO de 1970, avant d'être
éligibles au rang des collections.

Yves Le Fur et Emmanuel Kasarhérou, commissaires, soulignent combien
l'enrichissement des collections d'un musée se doit de s'inscrire dans
l'histoire globale de l'art, c’est-à-dire à la fois protéger, restaurer,
éduquer et enfin être une mémoire du vivant apte à faire connaître les
arts et traditions. Le patrimoine d’un musée doit ainsi se renouveler, se
métisser et se réinventer.

Masque cérémoniel « kegginaquq », Bois, poils, fibres végétales, pigments,
50 x 36 x 34 cm © musée du quai Branly - Jacques Chirac,
photo Thierry Ollivier, Michel Urtado
L'exposition 20 ans – les acquisitions du musée du quai Branly Jacques
Chirac présente ainsi non seulement les collections nationales, mais
surtout un ensemble vivant, un héritage en mouvement, posant en fin de
compte la question de ce que - ou devra - être son rôle au cours de ce
XXIe siècle. |
DU DOUANIER ROUSSEAU
à SÉRAPHINE -
Les grands maîtres naïfs.
Exposition au musée Maillol jusqu'au 19 janvier 2020 |
LEXNEWS | 11.05.19
par Sylvie Génot-Molinaro

C'est au musée Maillol que sont réunis pour la première fois à Paris les
grands maîtres de la peinture naïve : Le Douanier Rousseau, bien sûr, mais
aussi André Bauchant, Jean Ève, Dominique Peyronnet… Des artistes bien
souvent négligés ou moqués par les historiens d'art de l'entre-deux
guerres qui voyait en eux une pure expression enfantine, une réalité
déformée, voire fantasmée ou détournée. Aujourd’hui encore
connaissons-nous ces peintres qui par leurs œuvres colorées défiaient
l'académisme en vigueur, se jouant quelque peu de la perspective ? Ils
ont, pourtant, attiré des personnalités, sensibles à leurs univers, tel
Picasso qui adorait Le Douanier Rousseau ou Wilhelm Uhde, critique d'art,
marchand d'art et collectionneur (1874-1947) qui les désignait sous le
vocable de « primitifs modernes ».

Murielle Neveux les définit, pour sa part, aujourd’hui en ces termes : «
Empreints de fraîcheur, de simplicité et d’innocence, leurs tableaux
traduisent une vision idéalisée et enchantée du monde. Le travail sur les
couleurs, généralement vives, prime sur la technicité et sur le travail de
la lumière. Les thèmes privilégiés sont la nature et la vie des gens
simples ».
Ces artistes qui ne se connaissaient pas, il est vrai, toujours, formaient
effectivement d’une certaine manière une constellation renouvelant la
peinture, bien à l'écart des autres courants reconnus ou même des
avant-gardes à venir. |
Le parcours proposé par le musée Maillol réunit une centaine d’œuvres.
Appuyées par une belle scénographie, les toiles se répondent, parfois
s'entrechoquent, s'interrogent ou encore se croisent ; couleurs
éclatantes, scènes réjouissantes, portraits inquiétants, paysages
inattendus, visions fantasques témoignent d'une dimension subversive de
l'art. Bien que rejetés ou boudés lors des Salons académiques, ils furent
néanmoins – et heureusement, soutenus par de nombreux amateurs influents
dont André Breton, Vassily Kandinsky, Le Corbusier, Henri-Pierre Roché,
Maximilien Gauthier, Jeanne Bucher, Anatole Jakovsky,et surtout Dina
Vierny, fondatrice du Musée Maillol. Avec cette belle exposition le musée
Maillol renoue donc avec ses origines premières, un bel hommage, donc,
également !

Sur les traces de ces artistes en marge des grands courants de peinture du
début du XXe siècle, le parcours thématique de l'exposition met en lumière
toute la singularité et force picturales de ces artistes. Avec une
sélection d’œuvres judicieusement choisies, et volontairement parfois à
contre-courant, issues de collections publiques ou privées françaises et
internationales, cette exposition du musée Maillol réjouira ses visiteurs
par la grande inventivité formelle de chaque artiste et les influences
ayant nourri leurs explorations réelles et imaginaires.

Commissariat : Jeanne-Bathilde Lacourt, conservatrice en charge de
l’art moderne au LaM, Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art
brut de Lille Métropole. Àlex Susanna, écrivain, critique d’art et
commissaire d’expositions. |
BALEINOPOLIS –
Les sociétés secrètes des cétacés.
Exposition à l'aquarium tropical de la Porte Dorée Paris - jusqu'au 7 juin
2020 |
LEXNEWS | 11.05.19
par Sylvie Génot-Molinaro

Au moment où le réchauffement climatique et les activités humaines
bouleversent, entre autres, les mers du globe, il est grand temps
d'apporter certaines réponses aux différentes questions que nous nous
posons sur les grands cétacés qui y vivent et font partie intégrante de
l'équilibre des océans. Bien malgré eux, ils sont devenus les ambassadeurs
des mers et les observations des scientifiques révèlent toute la
complexité de leur organisation sociale. L'exposition scénographiée par
Studio Gang, à l'aquarium tropical de la Porte Dorée, sera un
incontournable lieu de visite, en famille ou en solo. Olivier Adam,
professeur à la Sorbonne Université et spécialiste en bioacoustique en est
le commissaire. Son enthousiasme à partager ses connaissances, comme
celles de tous les scientifiques qui travaillent sur les grands cétacés,
ne peut laisser indifférent. Comment passer des baleines, cachalots,
dauphins ou orques qui ont été les « stars » plus ou moins imaginées des
textes bibliques avec Jonas ou littéraires notamment le célèbre cachalot «
Moby Dick » de Melville ou celles non moins célèbres du cinéma avec
notamment « Le grand bleu » , « Sauvez Willy » ou encore « Flipper le
dauphin », à la réalité très concrète de leur mode de vie, organisation
sociale, adaptation (ou pas) au changement climatique mondial.

Cachalots. Photo Francois Sarano
Avec Baleinopolis, le visiteur plonge directement dans les profondeurs
océaniques pour découvrir ou mieux comprendre la nature et le
fonctionnement de ces sociétés singulières qui ne cessent d'étonner les
chercheurs. Conçue autour de 4 grands chapitres – Quels sont les modèles
des sociétés des cétacés ? - Pourquoi les cétacés vivent-ils ensemble ? -
Comment les cétacés structurent-ils leurs sociétés ? - Comment les
activités humaines impactent-elles les sociétés des cétacés ? Et bien
d’autres, encore, sous-jacentes mais non moins essentielles - comment ces
grands animaux s'organisent-ils pour vivre ou survivre dans les immensités
des océans ? - Leur survie est-elle menacée ? l’intérêt et les
connaissances du visiteur s’aiguisent. |
C'est autour des baleines à bosse, des orques, des cachalots et des
dauphins que s'articule ce parcours à la fois scientifique et ludique. De
grands écrans, des films courts et des explications claires abordent
directement toutes ces questions et proposent des réponses fondées sur de
longues années d'observations scientifiques, obtenues pour certaines en
collaboration avec les associations de sauvegarde des animaux.
La première étape de l’exposition traite la notion délicate de société,
définir ce que revêt l’idée de « créer une société ou faire société » ; «
C'est s'organiser pour assurer l'alimentation, la reproduction, le repos
ou encore la protection contre les prédateurs » explique Olivier Adam,
sans appliquer pour autant nos propres conceptions humaines, souligne-t-il
encore.

Exposition Baleinopolis. Photo : Philippe Ruault © Studio Gang
Il existe 89 espèces de cétacés, et chaque grand groupe et sous-groupe
vont s'organiser de façon à vivre, se nourrir, se reproduire et se
protéger avec pour chacun leurs particularités ; Ainsi, par exemple, les
baleines à bosse organisent du « baby baleineau sitting » en surface pour
permettre aux petits de respirer et d'être encadrés en toute sécurité par
d'autres mères pendant que la leur plonge profondément pour trouver leur
nourriture ; Sont, également, étudiées et expliquées au cours de ce
parcours didactique l'importance de leurs échanges tactiles, de leurs
chants spécifiques, de l'apprentissage par le jeu ou par l'imitation, la
solidarité du groupe...

L’exposition aborde également des questions moins plaisantes mais toutes
aussi essentielles telles les nouvelles techniques de chasse, et surtout
alerte sur les dangers qui menacent les grands cétacés (collisions, pêche
accidentelle ou programmée, non-respect des lieux de reproduction,
pollution...). Au terme de ce passionnant parcours, la nécessité de
stopper au plus vite la destruction des mers et océans avec pour
conséquence inévitable la diminution, puis la disparition, et
malheureusement l’extinction totale des plus grands mammifères marins.
Rappelons que la beauté et la grandeur de ces magnifiques cétacés
demeurent extrêmement liées à leur environnement, et sont donc aujourd’hui
plus que jamais fragiles et menacés.
Baleinopolis est une belle immersion dans un monde fabuleux, celui des
grands cétacés que l’on ne peut que souhaiter voir sauvés et survivre.
|
La collection
Alana Chefs-d'oeuvre de la peinture italienne
musée Jacquemart-André Paris
jusqu'au 20 janvier 2020. |
LEXNEWS |
29.09.19
par Philippe-Emmanuel Krautter

Lorsque l’on entre dans la première des salles de l’exposition entièrement
consacrée à la Collection Alana qui vient d’ouvrir au musée
Jacquemart-André et retenant une sélection des plus belles œuvres d’art
que compte cette collection privée aux États-Unis, le sentiment de se
trouver aux Offices de Florence ou à l’Accademia de Venise gagne
immédiatement le visiteur. Ce sont, en effet, pas moins de 75
chefs-d'œuvre, des œuvres uniques et rarement montrées, qui ont été
retenus par Carlo Falciani et Pierre Curie commissaires pour cette
remarquable exposition.

Un qualificatif pleinement justifié, tout d’abord, par la qualité des
œuvres présentées ; Nombre d’entre elles sont, en effet, des chefs-d’œuvre
signés de grands maîtres passés à la postérité tels Lorenzo Monaco, Fra
Angelico, et la liste est fort longue, soulignons encore : Uccello, Lippi,
Bellini, Carpaccio, Le Tintoret, Véronèse, Bronzino ou Gentileschi ;
D’autres peut-être moins connues du grand public présentent, cependant,
pour la plupart d’entre elles un goût certain, emblématique des grandes
heures de la peinture italienne. Cette collection - qui n’est pas sans
faire écho à celle patiemment réunie par le couple Édouard André et Nélie
Jacquemart - témoigne de cette passion et ténacité similaire d’Alvaro
Saieh et Ana Guzmán dont les deux prénoms associés ont donné leur nom à la
collection « Alana ». Une sélection dense allant du XIIIe au XVII°
italiens est ainsi à l’honneur dans les petites salles du musée
Jacquemart-André selon les souhaits des collectionneurs qui ont toujours
retenu pour leurs espaces un accrochage très fourni à la manière des
Salons des XVIIIe et XIXe siècles. |
Remarquable cette exposition l’est également par son parcours didactique
qui offre une véritable porte d’entrée à l’art italien grâce à des cartels
et panneaux clairs. La Renaissance italienne prend ainsi vie sous nos
yeux, transitions subtiles des mutismes hiératiques héritées de Byzance et
du gothique vers un élan humaniste où quelques détails s’introduisent
subrepticement au détour d’une œuvre.

Physionomies et postures s’assouplissent avec Lorenzo Monaco et cette
admirable Annonciation présentée. Uccello ou encore Filippo Lippi
irradient leurs œuvres de lumière et leurs représentations d’humanité. La
spiritualité tient, bien entendu, une place essentielle dans ces œuvres,
comme dans la vie de cette époque, même si l’humanisme introduit déjà une
brèche à l’égard de la transcendance. La riche iconographie de la
Vierge à l’Enfant ou du Christ en homme de douleurs inspire des
artistes comme Cosimo Rosselli et l’entourage d’Andrea del Verrochio.

La dimension humaine et corporelle du Christ s’enrichit, des détails qui
n’en sont pas suggèrent ici des larmes émouvantes, là un fond d’œil rougi
par la souffrance… La Passion n’est plus une question relevant de la seule
théologie, elle est donnée à méditer sur ces œuvres puissantes et
accessibles à la dévotion privée. Le parcours se poursuit toujours en
beauté avec la grande peinture vénitienne, Titien, Tintoret, Véronèse,
Jacopo Bassano, chacun livrant leur approche bien personnelle des
intrications de la lumière et de la matière. Les salles suivantes
prolongeront encore cette riche expérience avec les splendeurs de la Cour
des Médicis avec Pontormo, Bronzino, Vasari avant de se conclure avec
Annibal Carrache et Orazio Gentileschi… Une belle histoire qui ne s’achève
que temporairement tant elle se poursuivra longtemps après la visite dans
ses souvenirs… |
L'âge d'or de la
peinture anglaise de Reynolds à Turner
Musée du Luxembourg Paris jusqu’au 16
février 2020. |
LEXNEWS |
17.09.19
par Philippe-Emmanuel Krautter

Un air de Tamise flotte sur le Palais du Luxembourg
avec cette exposition de rentrée. C’est en effet à partir des
chefs-d’œuvre tout droit venus de la Tate Britain que cette belle
exposition a été conçue par Marin Myrone, conservateur en chef de la Tate
Britain et Cécile Maisonneuve. La scénographie de Jean-Paul Camargo fait
entrer dès les premières salles dans l’intimité de la peinture anglaise de
cette période allant de la fin du XVIIIe aux premières décennies du siècle
suivant, en un éventail représentatif couvrant une période riche et
fertile d’artistes au nom prestigieux tel Reynolds, Gainsborough, Turner,
mais aussi moins connus, John Hopper, William Beechey ou encore Thomas
Lawrence. C’est bien entendu l’art du portrait qui rayonne tout d’abord de
toute sa splendeur avec ses deux maîtres incontestés que sont Reynolds et
Gainsborough. Deux artistes dont la rivalité contribua à nourrir la
notoriété et que l’exposition présente en un pertinent face à face élégant
au gré des commandes royales. Si Reynolds alimente ce prestige par des
commandes auprès de l’élite anglaise, Gainsborough s’attache quant à lui à
rendre des portraits de personnages moins influents, mais dont il aime à
saisir la tension vitale sur ses toiles où la peinture prend une touche
fluide à la différence du style plus contrasté de Reynolds, tous deux
nourrissant une admiration sans bornes à l’art de Van Dyck.

Thomas Gainsborough- Gainsborough Dupont
1775 Tate , London 2019
Mais
l’exposition ne s’arrête pas à l’art officiel de la cour et embrasse
également le portrait de la société de cette époque en rendant sur des
toiles de plus petit format les ambiances de ces familles prospères qui
profitèrent de l’essor de la Révolution industrielle. Puis, la nature
s’impose avec la peinture de paysage, l’introduction de l’aquarelle et les
nuances de l’extérieur avec l’incomparable Turner ou Constable ; autant de
facettes qui égaient ce beau parcours qui inclut même les frontières de
l’Empire britannique avec des peintures surprenantes des confins du monde
en Inde, sans oublier la face sombre de l’esclavagisme… Le drame et le
fantastique concluent ce beau parcours avec des œuvres puissantes et
inspirées d’Henry Fuseli Le Rêve du berger, de Blake, de Turner et
son incroyable Destruction de Sodome, sans oublier la dramatique
Destruction de Pompéi de John Martin qui démontrent que la peinture
anglaise n’a pas toujours été un fleuve tranquille contrairement à ce que
pourrait laisser croire les premières salles et les portraits officiels
des grands maîtres ! |
L'âge d'or de la peinture anglaise de
Reynolds à Turner catalogue d’exposition, 224 Pages / 150 Illustrations,
RMN, 2019.

La période couverte par ce catalogue de la peinture
anglaise, ce que l’on nommera l’âge d’or de la peinture anglaise,
correspond aux règnes de deux monarques anglais ayant chacun marqué cette
riche période historique, celui du roi Georges III et de Georges IV ; le
premier a connu une succession de conflits avec l’indépendance des
États-Unis et d’innombrables guerres contre la France révolutionnaire et
napoléonienne. Mais ce dernier tiers du XVIIIe siècle connut également sur
le plan culturel l’ascension deux peintres majeurs en la personne de
Joshua Reynolds (1723-1792) et de Thomas Gainsborough (1727-1788). Deux
peintres qui marquèrent définitivement l’art britannique de leurs œuvres
passées à la postérité et dont certaines sont réunies dans ce catalogue à
l’occasion de l’exposition au musée du Luxembourg à Paris. La rivalité qui
opposa les deux artistes fut l’occasion d’une confrontation de deux arts,
deux facettes dans la manière de rendre le portrait de leurs
contemporains, illustres ou moins connus, selon les choix opérés par les
deux peintres. Ainsi que le souligne Martin Myrone, c’est l’âge d’or de la
peinture anglaise, celui des révolutions aux Amériques comme quelques
années plus tard en France. Sentiment que les choses changent par la
révolution industrielle qui s’annonce et l’esprit des Lumières qui
influencent la pensée philosophique, politique et économique de l’époque.

Joshua Reynolds - Le Colonel Acland and Lord Sydney : Les Archers
1769 - Tate , London
L’ouvrage met bien en évidence dans ce contexte
historique l’importance de ce face à face entre les deux peintres Reynolds
et Gainsborough qui rivalisèrent afin d’inscrire leur art dans cette
société anglaise. Grâce à de petits encadrés insérés entre les
reproductions des œuvres en pleine page, le lecteur peut ainsi mieux
saisir les différences et singularités de ces artistes qui marquèrent leur
époque et cet âge d’or artistique. Mais le catalogue embrasse également
d’autres facettes que celles de cet art officiel du portrait avec
l’intimité des familles anglaises dans des poses convenues ou plus
spontanées, révélatrices également des temps mouvants de cette époque. La
peinture de paysage connaît, pour sa part, elle aussi, une vitalité
nouvelle, ce dont l’aquarelle viendra encore renforcer le caractère avec
cette spontanéité saisie sur le vif par William Turner et John Constable
notamment. Des paysages de rêve avant que ne s’exposent en ces pages la
splendeur des œuvres de Blake, Fuseli, Tuner ou encore John Martin.
Très agréable à parcourir grâce à cette mise en page originale, le
catalogue consacré à L’Âge d'or de la peinture anglaise sera le complément
indispensable à la découverte de l’exposition au musée du Luxembourg avant
que ces œuvres ne repartent de l’autre côté de la Manche !
|
L'Allemagne
romantique Dessins des musées de Weimar
Petit Palais - Paris
jusqu'au 01 septembre 2019 |
LEXNEWS |
04.08.19
par Philippe-Emmanuel Krautter

Le Petit Palais a eu l’heureuse idée de proposer une belle et délicate
exposition consacrée à une sélection de pas moins de140 dessins provenant
de la riche collection des musées de Weimar en Allemagne. Lorsque le
visiteur apprendra que ces œuvres furent elles-mêmes choisies par le grand
Goethe pour le Grand-Duc de Saxe-Weimar-Eisenach, il comprendra pour
quelles raisons celles-ci offrent encore aujourd’hui une telle fraîcheur
et qualité.

Les commissaires de l’exposition Hermann Mildenberger, professeur et
conservateur au Klassik Stiftung Weimar, Gaëlle Rio, directrice du musée
de la Vie romantique et Christophe Leribault, directeur du Petit Palais,
ont souhaité présenter au public un large éventail inspiré de l’âge d’or
du dessin germanique sur une période allant de 1780 à 1850 environ. Un
choix d’œuvres présentées et mises en valeur par une scénographie pensée
et très réussie.
Souvenons-nous, afin de mieux appréhender la richesse de cette collection
allemande, que Goethe dont l’influence a été (...) |
(...) soulignée fut outre un grand poète, romancier et dramaturge,
également un homme politique accompli et qu’il excellait lui-même dans le
dessin… Ces qualités variées expliquent combien cette personnalité
sensible a su ainsi rayonner à la cour de Weimar et influencer le choix
des plus belles feuilles du dessin allemand. Période de transition entre
classicisme et romantisme émergeant, les passions et affects s’invitent
subrepticement dans ces œuvres tel cet effet lunaire sur ce paysage de
grotte et tombeaux de Franz Kobell.

La subjectivité gagne sur ces feuilles avec Johann Füssli et Caspar David
Friedrich, telles ces inoubliables scènes de sorcières et solitudes
alpestres… Ce sont en effet de nouveaux regards qui sont posés sur la
nature, ce qu’expriment très nettement les travaux de Carl Fohr et de
Franz Horny où l’abstraction gagne progressivement. L’exposition réserve
également de beaux espaces aux Nazaréens, ces jeunes artistes portés par
un christianisme romantique moins connus en France, mais dont l’approche
mérite d’être redécouverte tant les arts du Moyen Âge et de la Renaissance
se trouvent éclairés par eux d’une manière singulière.

Si l’art romantique allemand est bien connu en France pour sa poésie et
ses romans, ses manifestations dans l’art du dessin demeurent plus
confidentielles, et cette très belle exposition comble indéniablement
cette trop grande discrétion. |
Portraits de famille
Frans Hals
Fondation Custodia
Jusqu’au 25 août 2019 |
LEXNEWS |
04.08.19
par Philippe-Emmanuel Krautter

C’est avec bonhomie et des sourires radieux affichés par ces personnages
du Siècle d’or hollandais que sont accueillis les visiteurs de
l’exposition Frans Hals à la Fondation Custodia. En une évocation
remarquable, le parcours invite en effet à découvrir des œuvres rarement
présentées en France, et dont certaines se retrouvent accrochées côte à
côte et pour la première fois ainsi rapprochées, tel que ce tableau
inoubliable de La Famille Van Campen ; une œuvre, en effet,
éclatée, divisée en plusieurs toiles distinctes et éparpillées depuis sa
création par le peintre Frans Hals (1582/1583-1666), l’un des peintres
majeurs du Siècle d’or hollandais avec Rembrandt.

C’est en effet après un curieux concours de circonstances à l’occasion
d’une restauration qu’un détail d’un fragment de jeune fille et de divers
vêtements jusqu’alors invisibles sont réapparus et ont permis des
rapprochements avec les deux autres parties de la même œuvre. Présentées
côte à côte pour la première fois depuis le démembrement de l’œuvre, c’est
un portrait de famille monumental qui est ainsi accroché aux cimaises de
la Fondation pour un effet saisissant tant la vitalité et la fraîcheur des
représentations forcent l’admiration. Si les portraits de famille sont
moins connus que ses autres compositions, elles n’en demeurent pas moins
également le reflet des qualités artistiques du peintre qui par-delà le
caractère joyeux et opulent de ces réunions de famille parviennent à
saisir ces instants éphémères, même lorsqu’ils résultent d’une situation
pour le moins formelle. |
C’est ce curieux paradoxe qui étonne et fascine le regard allant d’un
visage à l’autre, scrutant et se sentant tout autant observé. Le visiteur
retrouvera cet élan vital qui permit au peintre de capter l’action de ce
Jeune homme en train de chanter ou encore cette expressivité du
regard de L’homme à la canne que l’on retrouve également dans
d’autres œuvres présentées, tels ce Portrait d’une famille néerlandaise
ou encore cet autre Portrait de famille dans un paysage.

Frans Hals se révèle être en ces tableaux en avance sur son temps avec
cette intrication de réalisme et de profondeur psychologique des
personnages, loin de tout hiératisme. Le parcours se poursuit avec les
Enfants du Siècle d’or, une thématique féconde si l’on en juge la
qualité des œuvres et dessins réunis. La Fondation Custodia a souhaité en
effet révéler à son public cet angle original fort prisé des peintres
hollandais et flamands du XVIIe siècle, dressant en des représentations
très variées les caractères déjà perceptibles chez de jeunes enfants.
Ainsi, Nicolae Maes, Harmen ter Broch, Hendrik Goltzius sans oublier, bien
sûr, le grand Rembrandt dont la Femme avec un enfant sur ses genoux
et Le Trotteur démontrent qu’au-delà de l’anecdote sur les âges de
la vie, rien de ce qui relevait du monde sensible n’était étranger à ces
artistes.
Pour finir, le visiteur pourra également découvrira au sous-sol de la
Fondation une exposition consacrée à l’artiste néerlandais Marian Plug
avec un choix d’aquarelles, estampes et peintures à l’huile ; Exposées
selon un ordre chronologique, la sensibilité de l’artiste s’y dévoile avec
ces œuvres en autant d’évocations de la nature.
L’exposition
s’accompagne d’un catalogue exhaustif par Lawrence W. Nichols, Liesbeth De
Belie et Pieter Biesboer. Les Portraits de Frans Hals. Une réunion de
famille, 112 pp., 25,7 × 21,7 cm, relié Fonds Mercator, 2018. |
Exposition – Bouddha,
la légende dorée
jusqu'au 04 novembre 2019 Musée Guimet Paris. |
LEXNEWS |
24.07.19
par Philippe-Emmanuel Krautter

Le bouddhisme est la quatrième religion au monde, aussi aucune autre
institution que le musée Guimet ne pouvait s’attaquer à une telle
thématique sans bénéficier d’une expertise suffisante en la matière. Fort
d’une conscience précoce de cette importance dès 1889, Émile Guimet a très
tôt réuni une impressionnante collection d’art bouddhique à partir de
laquelle Thierry Zéphir, commissaire de l’exposition, a pu aujourd’hui
concevoir un parcours aussi brillant que didactique. C’est curieusement la
première fois en France qu’une telle exposition a lieu, s’attachant tout
autant à la vie de Bouddha qu’à la diffusion de sa pensée, fondements
d’une des religions les plus suivies en Asie. Bien entendu, pour le
visiteur occidental, ce sera la dimension esthétique qui primera avec
cette richesse d’arts aux multiples facettes, aussi différents que celui
du Gandhara (Ier- IIIe s.) comparé à celui de l’artiste japonais Kano
Kazunobu (1816-1863). Mais ce même visiteur réalisera rapidement que ce
seul regard artistique ne pourra lui permettre d’entrer au cœur de ces
trésors réunis de manière transversale selon les aires géographiques de
l’Asie et les temps historiques. Le visiteur sera donc invité à entrer
intimement dans la connaissance de celui qui naquit dans le parc de
Lumbini au sud du Népal jusqu’à sa mort à à Kushinagara dans l’État indien
de l’Uttar Pradesh. Les épisodes de la vie du Bouddha importent en effet
pour mieux « lire » les œuvres présentées, de la même manière qu’une
connaissance approfondie de la Bible permet de mieux apprécier la plupart
des œuvres de l’art chrétien, une approche de plus en plus oubliée de nos
jours.

Bouddha assis faisant le geste de la
prédication Corée, époque Koryo, 11e – 12 e siècle Bois doré H. 62 ; L. 48
; P. 33 cm Mission Charles Varat (1888), MG 15281 © MNAAG, Paris, Dist.
RMN-Grand Palais / Jean-Yves et Nicolas Dubois
Les miracles de la vie du Bienheureux sont assis rappelés de manière
suffisamment claire pour retrouver leurs évocations dans les 159 œuvres
exposées en une belle scénographie toute de pénombre. Sa naissance, son
éveil et son premier sermon, l’accès au nirvana sont autant de repères
essentiels pour comprendre en effet ces œuvres d’art qui, chacune, à leur
manière, reprennent ces traits généraux, instillant des caractères
originaux selon les pays et les époques. Ce sont ces maillages qui
constituent l’une des nombreuses richesses de l’art bouddhique et dont
rend parfaitement compte l’exposition en rappelant tant les traits communs
qu’en en suggérant les singularités. Nous parcourons ainsi au fil des
siècles, de l’Afghanistan au Japon et de la Chine à l’Indonésie, le cœur
de la pensée bouddhique avec la « Bonne Loi » et les principales
évolutions doctrinales, le bouddhisme ancien (theravada), le bouddhisme du
grand véhicule (mahayana) et le bouddhisme du véhicule de diamant (vajrayana).
Émile Guimet avait qualifié son musée « d’usine philosophique » dans
lequel il n’avait pas hésité à la fin du XIXe siècle à organiser les
premières cérémonies bouddhiques jamais tenues en France comme le rappelle
la présidente du musée Guimet Sophie Makariou ; Nul doute qu’il aurait
apprécié une telle initiative ! |
Bouddha, la légende dorée, ouvrage collectif sous
la direction de Thierry Zéphir, préface de Sophie Makariou, présidente du
musée national des Arts asiatiques – Guimet, 24 x 28 cm, 240 pages, 230
illustrations, cartonné, embossage, Liénart, 2019.

Après avoir été attiré par le regard hypnotique de
cette Tête de Bouddha ornant la couverture de ce catalogue, le
lecteur pourra se reporter avec profit à la remarquable carte qui se
développe sur une double page à la fin de l’ouvrage. En quelques flèches
et légendes succinctes, le lecteur comprendra rapidement l’incroyable
diffusion de la pensée de celui qui naquit en Inde cinq siècles avant
notre ère. Véronique Combré souligne en ouverture ce développement et
expansion d’une religion panasiatique à partir de l’éveil d’un homme et
non d’un dieu, un être d’exception, un bouddha, la racine budh en
sanscrit signifiant « s’éveiller ». La diffusion de cette pensée
dans le temps et dans l’espace est ainsi pertinemment analysée dans ces
pages abondamment illustrées par des œuvres ayant contribué à cette
reconnaissance dans toute l’Asie. Cette richesse iconographique est
étudiée tant pour ce que ces œuvres apportent à la connaissance de ce
personnage historique que pour ce qu’elles révèlent également des
multiples sociétés qui ont adhéré à ces croyances, des civilisations
allant de l’Afghanistan au Japon, de la Chine à l’Indonésie.

Shakyamuni, le futur Bouddha, entrant dans
le nirvana. Oeuvre japonaise en bois laqué et doré du XIXe siècle.
Crédits: Musée Guimet
Progressivement, le regard néophyte parviendra à distinguer les traits
communs qui rappellent les différentes étapes de la vie de celui que l’on
nomme tout aussi bien l’Éveillé (Bouddha), le Bienheureux (Bhagavant) ou
encore le Sage du clan des Shâkya (Shâkyamuni). Mais ce même regard est
également encouragé au terme de la lecture de ce riche catalogue à
distinguer les caractères propres et singuliers de l’art bouddhique en
sachant que trente-deux marques (lakshana) et quatre-vingts signes
secondaires (anuvyanjana) contribuent à cette richesse iconographique,
ainsi que le souligne Pierre Baptiste dans son introduction à l’esthétique
de l’image du Bouddha en Asie.
Avec des contributions de Pierre Baptiste, Hélène Bayou, Nathalie
Bazin, Pierre Cambon, Lucie Chopard, Cristina Cramerotti, Véronique Crombé,
Claire Déléry, Hélène Gascuel, Michel Maucuer, Keiko Omoto, Amina Okada,
Huei-Chung Tsao et Valérie Zaleski
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Berthe Morisot
Musée d'Orsay Paris
jusqu'au 22 septembre 2019 |
LEXNEWS |
16.07.19
par Philippe-Emmanuel Krautter

Si le nom de Berthe Morisot (1841-1895) est, certes,
connu des amoureux de l’impressionnisme auquel cette artiste de talent a
largement contribué, c’est le plus souvent en tant que belle-sœur
d’Édouard Manet ou amie proche de Stéphane Mallarmé que l’on rencontre son
nom. Et pourtant, la remarquable exposition tout spécialement consacrée
pour la première fois au peintre par le musée d’Orsay démontrera que son
œuvre n’a rien à envier aux plus brillants représentants de ce mouvement
de la fin du XIXe siècle. Berthe Morisot va devenir rapidement l’une des
figures marquantes des avant-gardes parisiennes à la fin des années 1860,
une époque où le fait d’être femme n’était pas un avantage pour devenir
artiste. Si la famille bourgeoise dans laquelle naît la jeune Berthe
Morisot était favorable aux arts, devenir peintre de métier était loin
d’être acquis par ses proches.

Et pourtant cette jeune femme de caractère sait
combien il lui importait d’imposer son choix de vie si elle ne souhaitait
pas suivre la cohorte de femmes de son temps qui se résignaient à être
l’épouse de leur mari et mère de leurs enfants : « Je n’obtiendrai [mon
indépendance] qu’à force de persévérance et en manifestant très
ouvertement l’intention de m’émanciper ». Très tôt, Berthe Morisot
explorera dès lors toutes les facettes de la figure dans ses premières
œuvres, en la resituant dans le contexte de la vie moderne, loin de toute
idéalisation formelle de l’art du portrait. Cette fraîcheur et spontanéité
qui ressortent de ces œuvres lui vaudront la reconnaissance de ses amis
qui ont pour nom Manet, Renoir, Degas, Monet, Puvis de Chavannes… Avec
plus de 400 tableaux, c’est une œuvre déjà plus qu’aboutie que livre cette
femme morte prématurément en 1895 à l’âge de 54 ans. Sous son pinceau
naissent des évocations aussi délicates qu’intimes telles que ces scènes
de la vie bourgeoise d’une Jeune femme à sa fenêtre, songeuse avec
son éventail, ou encore le dévoilement pudique d’une Femme à sa
Toilette en un camaïeu de mauves soyeux. Berthe Morisot devient
rapidement le peintre de l’intimité, la sienne ou celle de ses proches, un
art de l’ineffable abouti, sans artifices. C’est le regard de la femme
également qui sait percer le trésor des toilettes comme aucun homme
n’aurait su le faire. Saisir l’instantané tout en suggérant le déroulement
de la vie, tel est l’impossible paradoxe que lève la peinture de Berthe
Morisot, ainsi qu’il ressort de ce parcours particulièrement complet
consacré à son œuvre au musée d’Orsay ; Présenté en petites salles
successives, préservant l’intimité de son art, c’est tout simplement une
réussite. |
Berthe Morisot catalogue sous la direction de
Sylvie Patry, Hors collection – Art, 312 pages - 231 x 304 mm, Coédition
Flammarion / Musée d'Orsay et de l'Orangerie, 2019.

Avec une splendide reproduction de l’œuvre En
Angleterre [Eugène Manet à l’île de Wight] ornant le premier et
quatrième de couverture, le présent catalogue consacré au peintre
impressionniste Berthe Morisot jette le décor : celui du jeu des
intérieurs / extérieurs, des regards inversés, des translations infinies
auxquelles renvoie l’artiste complice du spectateur… Avec une mise en page
aérée et champêtre, des typographies empruntant au vert impressionniste,
cet ouvrage plonge littéralement le lecteur dans l’univers si particulier
de l’artiste. Particulier, car il est le fait tout d’abord d’une femme de
son temps, et en avance sur celui-ci.

Anticipant ces paradoxes, Berthe Morisot a conscience de la difficulté
qu’elle s’impose : « [Mon ambition] se bornerait à vouloir fixer
quelque chose de ce qui se passe. Oh, quelque chose ! La moindre des
choses. Hé bien ! cette ambition-là est encore démesurée ! Une attitude de
Julie, un sourire, une fleur, un fruit, une branche d’arbre, une seule de
ces choses me suffirait. » Elle est le peintre de la vie moderne,
comme le rappelle Sylvie Patry, qu’il s’agisse de l’art de peindre en
extérieur ou dans l’intimité d’un cabinet de toilette, la vie captée sur
la toile, la lumière suggérée par les couleurs ; Un défi impossible que
l’artiste décidera tout au long de sa carrière de poursuivre, un pinceau à
la main à la place d’un filet à papillons…

De nombreux détails permettront au lecteur d’approfondir l’incroyable
travail sur cette matière réalisée par Berthe Morisot, des figurations
d’une abstraction naissante bien avant l’heure. Berthe Morisot n’est
assurément pas qu’une belle brune, au regard énigmatique, au cou ceint
d’un ruban noir qu’avait su si bien représenter Édouard Manet, elle est
aussi et surtout une artiste à part entière, aux talents multiples et à
laquelle ce beau catalogue rend enfin un hommage mérité.
Sous le commissariat de Sylvie Patry, directrice de la conservation et
des collections du musée d'Orsay et de Nicole R. Myers, conservatrice
Lillian et James H. Clark de la peinture et de la sculpture européennes au
Dallas Museum of Art |
Henri II. Renaissance à
Saint-Germain-en-Laye
jusqu'au 14 juillet 2019 Musée d’Archéologie nationale |
LEXNEWS |
28.06.19
par Philippe-Emmanuel Krautter

Le Musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye propose
actuellement une exposition dont le thème s’éloigne quelque peu de sa
spécialité habituelle, l’archéologie, pour se rapprocher de sa propre
histoire, celle de la Renaissance ; Renaissance qui vit naître,
rappelons-le, le château même de Saint-Germain-en-Laye hébergeant
aujourd’hui le célèbre Musée d’Archéologie nationale. . C’est, en effet, à
Henri II (1519-1559), un monarque plus discret que son illustre père
François 1er qu’est consacré ce riche parcours retraçant la personnalité
de ce roi dont Madame de La Fayette dans La Princesse de Clèves prêtait
les qualités suivantes : « La magnificence et la galanterie n’ont
jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du
règne de Henri second ».

À l'occasion du 500e anniversaire de sa naissance, le 31 mars 1519, à
Saint-Germain-en-Laye, cet évènement prend place dans le cadre d’un cycle
« Renaissance » pour cette année 2019 célébrant également un autre
anniversaire prestigieux, celui de la mort de Léonard de Vinci, le 2 mai
de la même année à Amboise, sans oublier celui de l’ouverture du chantier
du château de Chambord, le 6 septembre 1519.
Le successeur de François, Henri II, a longtemps pâti d’une image effacée,
relégué à l’arrière-plan de l’histoire royale en raison de la notoriété de
ses proches, son père le grand roi François 1er , mais aussi son épouse
Catherine de Médicis, voire même de l’une de ses filles, Marguerite, la
fameuse « reine Margot ». Organisée à l’intérieur du château où le
monarque résida une grande partie de son règne, l’exposition retrace sa
vie à partir d’une centaine d’œuvres présentées, aussi inédites
qu’exceptionnelles. Qu’il s’agisse de l’exercice même de son pouvoir et du
gouvernement de la France avec d’impressionnantes armes lui ayant
appartenu ou de sa vie privée, ce riche parcours conçu par Hilaire Multon
et Thierry Crépin-Leblond, commissaires de l’exposition, permettra au
visiteur non seulement de mieux connaître ce monarque plus important qu’il
n’y paraît dans les manuels d’Histoire, mais également son entourage et
l’époque dans lesquels son règne s’est inscrit. |
Henri II à Saint-Germain-en-Laye - Une cour royale à la Renaissance -
Catalogue d'exposition, RMN, 2019.

C’est la superbe armure du Dauphin, futur Henri II, appartenant au musée
de l’Armée et présentée à l’occasion de l’exposition se tenant au Musée de
Saint-Germain-en-Laye, qui orne la couverture de ce catalogue consacré à
ce monarque quelque peu injustement méconnu, fils de François 1eret de la
reine Claude, qui régna sur la France de 1547 à 1559. La magnificence de
cette parure guerrière réalisée à Milan au milieu du XVIe siècle est
évocatrice de la puissance de la monarchie française et de son rayonnement
sur toute l’ Europe de cette époque. Si Henri II hérite d’un royaume fort,
curieusement celui qui épousa la fameuse Catherine de Médicis et aima
Diane de Poitiers n’a pas laissé son nom à la postérité. Ce voile
injustement jeté sur le règne d’Henri II est aujourd’hui levé avec ce
catalogue qui entend, à l'occasion de la commémoration nationale des cinq
cents ans de sa naissance, redonner sa juste place au monarque. Une partie
importante des contributions s’attache à resituer son règne à partir du
domaine royal de Saint-Germain-en-Laye et du château qui le vit naître.

Grâce à une iconographie abondante, ces pages d’Histoire revivent sous nos
yeux, qu’il s’agisse de ses grandes heures comme celles plus discrètes
appartenant à la vie quotidienne. Après avoir dressé un panorama complet
de l’entourage du souverain, de la cour et de ses favoris, c’est le
château même de Saint-Germain-en-Laye qui est au cœur de ce catalogue, un
château qu’Henri II paracheva à la suite de son père. Jardins, forêt,
plaisirs du roi, tous les aspects de la cour du monarque sont étudiés
montrant combien Henri II sut tenir la place qui fut la sienne, celle d’un
monarque plus fort et agissant bien plus que ce qu’on a voulu le laisser
croire jusqu’à maintenant. Rappelons que c’est également à partir de ce
haut lieu de souveraineté que se sont organisées les grandes campagnes
militaires, indissociables du prestige du royaume de France qui se devait
de garder son autorité à l’égard des autres puissances voisines. C’est
toute cette richesse que donne à découvrir ce catalogue, celle d’un
royaume, celui de France et d’un monarque nommé Henri II. |
Paris romantique, 1815-1848
Petit Palais et musée de la Vie romantique
jusqu’au 15 septembre 2019 |
LEXNEWS | 18.06.19
par Philippe-Emmanuel Krautter

Paris
romantique, 1815-1848
Petit Palais jusqu’au 15 septembre 2019
C’est à un véritable pari romantique auquel invitent
le Petit Palais et le musée de la Vie romantique de Paris par ces deux
expositions réunies sous le thème de « Paris romantique, 1815-1948 » ;
Deux cadres distincts pour deux expositions reliées par quelques stations
de métro tout autant remarquables par leur scénographie que par le large
éventail des œuvres et témoignages réunis. Romantisme français, romantisme
parisien, sensiblement différent de celui de ses aînés, allemand -
également présent au Petit Palais, ou anglais. Pour rendre toute la
richesse de ce mouvement, il fallait assurément des lieux tels que les
offrent le Petit Palais et le musée de la Vie romantique, et une
scénographie admirable qu’a su proposer Véronique Dollfus.

Accompagner toute cette richesse, c’est également ce qu’ont réussi à
merveille les commissaires de l’exposition en restituant le temps d’une
exposition l’atmosphère d’une journée parisienne en des lieux symboliques
de la ville, et ce, tout au long de ses heures toutes parisiennes
égrainées du petit matin jusqu’à la nuit tombée. Loin d’avoir cédé à la
facilité d’une « promenade » multimédia, l’exposition propose différents
angles permettant une évocation la plus proche de la réalité non seulement
historique, mais également sensible. Variations des couleurs, nuances des
éclairages, subtils fonds sonores, choix des heures renforçant les affects
ou soulignant les périodes de profonds changements, c’est en un véritable
livre ouvert du XIXe parisien qui est ainsi offert aux visiteurs, qu’il
s’agisse des intérieurs comme des extérieurs savamment restitués. Dans le
prolongement de la précédente exposition « Paris 1900, la Ville spectacle
», « Paris romantique » remonte pour nous les horloges du temps à rebours…
Plus de 600 œuvres ont été convoquées pour mener à bien cette évocation.

Et alors même que le visiteur parisien pourrait – à tort – croire bien
connaître ces dates et évènements, il réalisera combien ce bouillonnement
unique fait de réminiscences d’un passé combattu par les romantiques et
d’aspirations plus modernes ont su tisser un maillage culturel unique dont
la grande majorité du patrimoine de cette époque s’est nourri. Élan
impérial aussi grandiose que fugace, soubresauts révolutionnaires de
milieu de siècle démontrant que l’Ancien Régime est dorénavant bien
conjugué au passé, société consciente de ses inégalités avec Victor Hugo,
bruissements de crinolines sur les Grands Boulevards, que de tableaux
parisiens changeants et divers… Le visiteur pourra vivre cette expérience
réunissant de fort belles œuvres d’art résultant de prêts exceptionnels,
et non des reconstitutions virtuelles, ce qui n’est pas le moindre des
exploits réussis par cette exposition. Cette balade séduira petits et
grands, Français comme étrangers, une expérience esthétique, culturelle et
historique à saluer. |
Le musée de
la Vie romantique « Paris romantique 1815 – 1848, Les salons littéraires »

Les salons littéraires ont joué un rôle
essentiel pour la diffusion du romantisme, prolongeant ainsi la tradition
de leurs aînés du siècle précédent. Le musée de la Vie romantique et le
Petit Palais de Paris se sont associés pour restituer cette expérience
unique grâce à plus d’une centaine d’œuvres présentées dans le cadre
enchanteur du musée de la Vie romantique ; Un cadre idéal pour cette
évocation si l’on songe qu’il s’agit de la demeure du peintre d’origine
hollandaise Ary Scheffer (1795-1858) qui s’installa en ces murs en juillet
1830. Ce représentant de l’école romantique, ainsi que le souligne la
directrice du musée Gaëlle Rio, accueillera en sa demeure le Tout-Paris
artistique et intellectuel : Delacroix, Georges Sand, Chopin, Liszt et
Marie d’Agoult, Rossini, Tourgueniev, Dickens ou Pauline Viardot... De nos
jours encore en ces lieux planent ces âmes illustres qui surent marquer de
leurs créations ces pages romantiques passées à la postérité.

C’est cette effervescence de salons qui est restituée avec un bonheur rare
dans l’intimité de l’atelier de travail entre rosiers et seringuas. Honoré
de Balzac, Victor Hugo, Alfred de Musset, Théophile Gautier et bien
d’autres encore revivent le temps de cette exposition grâce à la
scénographie inspirée de Véronique Dollfus qui a su restituer cet écrin
culturel et transporter le visiteur deux siècles en arrière. L’impression
immédiate est celle du dialogue des arts entre ces personnalités pourtant
si contrastées, mais qui n’hésitent pas à confronter leurs idées en un
bouillonnement intellectuel qui donne le vertige. Lectures, conversations,
poésie, musique, œuvres présentées, nous entrons ainsi dans ces « salons
de la mélancolie » où la poésie d’un Byron nourrit l’œuvre d’un peintre
comme Delacroix, tout autant que l’inspiration d’un musicien comme Franz
Liszt avec la fameuse légende de Mazeppa…

L’acte de création solitaire ne trouve sa pleine expression que confronté
au regard de ses contemporains réunis en cénacle, ce qui n’empêche pas,
tant s'en faut, de s’étendre aux questions de société qui s’imposent. Dans
ce cadre idyllique, ainsi pouvons-nous fréquenter par l’imagination le
salon de l’Abbaye aux bois de Madame Récamier accompagnée du grand
Chateaubriand, celui de Madame de Girardin, ou encore le célèbre salon de
l’Arsenal de Charles Nodier réunissant un parterre impressionnant : Alfred
de Vigny, Victor Hugo, Alexandre Dumas, Gérard de Nerval, Sainte-Beuve…
comme l’évoque cette rare représentation d’une Soirée d’artiste datant de
1831.

Certains sont plus occultes, voire moins recommandables, tel ce club des
Haschischins qui autour des « paradis artificiels » attire avec le docteur
Jacques-Joseph Moreau, Charles Baudelaire qui y puisera une large part de
la sombre beauté de sa poésie. |
« Paris romantique 1815-1848 » catalogue
sous la direction de Jean-Marie Bruson, Paris Musées, 2019.

Il fallait bien plus de 500 pages pour
évoquer ce Paris de la première moitié du XIXe siècle sous l’angle du
romantisme, et ce volumineux catalogue richement illustré parvient à
remémorer la richesse artistique et intellectuelle de cette période
féconde suivant les tremblements opérés par la Révolution de 1789. Après
bien des soubresauts, dont elle ne sera d’ailleurs pas exempte par la
suite au regard du nombre de régimes politiques qu’elle connut, la France
se met à espérer avec la Révolution industrielle qui touche tout d’abord
l’Angleterre, puis le reste de l’Europe.
Sortant progressivement de la ruralité
héritée de l’Ancien Régime, l’heure est au commerce, à l’industrie. Les
artistes ne sont pas indemnes de ces profonds bouleversements. Le présent
catalogue montre par le détail combien cette effervescence gagne ces
artistes qui dépassent le cadre des frontières pour embrasser une
dimension européenne qui ne cesse encore d’étonner de nos jours au regard
des moyens de communication encore rudimentaires si l’on songe au grand
musicien Franz Liszt qui parcourra l’Europe de la France jusqu’à la Russie
en d’interminables concerts. |
Mais c’est à Paris, capitale culturelle par
excellence de l’Europe, qu’un vent nouveau souffle, celui du romantisme
qui se manifeste en des lieux aussi différents que les galeries du
Palais-Royal jusqu’à la bohème du Quartier Latin. Tous les arts sont
convoqués pour cette aspiration au changement et à la nouveauté,
l’effervescence gagnant en effet aussi bien la peinture avec Delacroix,
que la musique avec Berlioz, Liszt, Chopin, le théâtre et la littérature,
sans oublier l’architecture, la danse, la mode…
Ce bouillonnement est sans limites après
la défaite napoléonienne et l’occupation par les armées étrangères ainsi
que le souligne en préambule Christophe Leribault, directeur du Petit
Palais. Et si ce Paris romantique n’existe pas tout à fait en tant que tel
dans la réalité, reste que ce dernier prend indéniablement naissance dans
l’imagination créative de ces artistes qui lui donnèrent ainsi, plus
encore peut-être, une certaine et pure matérialité, ainsi que le relève
Adrien Goetz en introduction.
Et le lecteur pourra dès lors découvrir
cette magie d’un Paris rêvé, et la laisser prendre forme progressivement
au fil des pages, véritable architecture née des rêves les plus fous,
qu’il s’agisse de ceux fantasmés d’un Charles Baudelaire adepte de la «
vie libre » et qui habita dans presque tous les quartiers de la capitale
ou de la ville repensée au fil de l’Histoire par Victor Hugo traversant
allègrement La Légende des siècles.
Au gré de ces nombreuses études réunies,
on se prête à penser : Et si ce Paris était plus réel que celui des
comptables et manufacturiers en tout genre ? Et si Quasimodo ne hantait
pas plus les lieux sinistrés de Notre-Dame depuis le terrible incendie que
les crues avérées et récurrentes de la Seine au XIXe siècle ? C’est cette
magie qui est proposée pour rêve dans ce catalogue incontournable pour
mieux saisir l’esprit de ce Paris romantique. |
Caen en Images - La
ville vue par les artistes du XIXe s. à la Reconstruction
Musée de Normandie
jusqu'au 5 janvier 2020 |
LEXNEWS | 02.06.19
par Philippe-Emmanuel Krautter

Qui se souvient de Caen se mirant en ses canaux à l’image de la Cité des
Doges ? Cette douce et attrayante image n’est pas une fantaisie, ni même
une installation contemporaine de plus, mais bien l’histoire de la ville
de Guillaume le Conquérant jusqu’au funeste jour où ces cours d’eau
bordant d’élégantes églises furent – comme pour tant de villes – comblés
au profit de la « modernité »… C’est à ces étonnantes découvertes
qu’invite la dernière exposition du musée de Normandie « Caen en images »,
un voyage dans le passé de ses ruelles, de ces temps anciens où aucun lieu
ne ressemblait à un autre, point de ronds-points reproduits à l’envi,
encore moins de zones pavillonnaires cernées d’illusoires périphériques…
C’était encore un paysage préservé des terribles bombardements qui
changeront radicalement l’urbanisation de la ville que nous connaissons de
nos jours.

Edmond Bacot (1814-1875) [L’abside de l’église Saint-Pierre et l’Odon],
vers 1852-1854 Épreuve sur papier albuminé
Caen, Collection Ardi, inv. ARDI 32.00011
Il suffit en se promenant parmi les cimaises de cette remarquable
exposition d’entendre ici ou là les Caennais s’exclamer de telle ou telle
vue pour mesurer et comprendre ces étonnantes métamorphoses qui ne cessent
encore de surprendre. Et si aucun artiste prestigieux connu n’a
étrangement retenu l’aimable ville sur ses toiles, ce n’est pourtant pas
parce ce que la ville manquait de charmes, bien au contraire… |
En témoignent ces quelques 200 œuvres réunies en ces murs du château de
Caen pour la première fois. Le parcours débute sous l’auguste patronage
royal de Louis XIII recevant les clés de la ville de Caen, et déjà les
nombreux clochers de la ville surprennent et retiennent le regard, ce
qu’ils font toujours de nos jours. La campagne est omniprésente dans ces
vues alors que la ville, puissante, gagne en fortifications, signe de
l’opulence de cette région convoitée depuis le haut moyen-âge. Les Anglais
ne sont pas les derniers à apprécier le charme des lieux, les liens entre
la ville et l’Angleterre étant anciens, Guillaume le Conquérant oblige.
Les artistes anglais évoqueront la cité caennaise en de belles aquarelles
tel John Sell Cotman ou encore Richard Parkes Boninton. De ces vues
romantiques à la représentation plus patrimoniale de la riche architecture
normande, il n’y a qu’un pas que franchiront Georges Bouet, Félix Thorigny
ou encore Adolphe Lasne. Les monuments surgissent de la pénombre en un
ciel mouvementé, flèches et canaux s’étirent en de vertigineuses lignes
telles ces admirables représentations du chevet de l’église Saint-Pierre.
Au fil des accrochages, le visiteur découvre une vie extraordinaire, celle
évoquée par Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris avec ses chevaux
s’abreuvant en liberté directement au cours d’eau, ses lavoirs et autres
marchés, charrettes et petits métiers à jamais disparus. Véritable voyage
dans le temps opéré par un peintre comme Victor Tesnière, conscient qu’il
œuvrait déjà pour une mémoire en passe de s’évanouir.

Géo Lefèvre (1876-1953) Les Toits de Caen, 1905 Huile sur toile, 32,5 ×
40,5 cm Collection particulière © musée de Normandie-Ville de Caen/O.
Caillebotte
Rien, cependant, d’une exposition passéiste, bien au contraire, celle que
propose actuellement le musée de Normandie constitue une belle traversée
de la ville au fil des décennies abordant jusqu’à la modernité, celle du
tournant du XXe s. et les ravages terribles infligés par les bombardements
de juin et juillet 1944 qui laisseront longtemps sur le tissu urbain et
sur les toiles des peintres leurs cicatrices. Mais Caen a su renaître de
ses cendres également sous l’objectif des photographes, celui sensible de
Marguerite Vacher qui en quelques angles réussit à saisir le nouveau
visage d’une ville tournée vers son avenir, un brin décomplexée de son
passé, sans pour autant le renier comme le démontre cette belle et
attrayante exposition. En sortant, regardant la ville, le regard campé sur
les remparts de Guillaume Le Conquérant se perd dans l’horizon des
clochers à la recherche de ce rêve évanoui, de ces canaux entourant
l’Église Saint-Pierre de Caen…
"Caen
en images" catalogue sous la direction d’Alice Gandin, Conservatrice en
chef, musée de Normandie, Caen, 200 pages, éditions Snoeck, 2019. |
Présence de la peinture en France, 1974 -
2016
du 28 septembre au 30 octobre 2017
Mairie du Ve - Paris |
 
Interview Marc Fumaroli
Lexnews : "Comment est née l’idée de cette exposition ?"
Marc Fumaroli : "La peinture, un des arts les plus importants, a connu une crise grave à la
fin du XIXe siècle au moment où la photographie s’est répandue largement.
De nos jours, elle traverse une autre crise grave avec cette obsession et
conquête des esprits par les images technologiques. Or, la peinture ne se
sert pas de machine, mais de la main, de belles matières, de toiles, et
elle nous apprend en quelque sorte - et pour cela elle devrait tous les
jours être enseignée dans les écoles - à avoir un rapport délicat,
sensible, avec les autres, mais aussi avec la nature et le monde. C’est
pour cela qu’il m’a semblé que le moment était favorable pour monter une
telle exposition, il y a une sorte de prise de conscience de l’exagération
de notre confiance à l’égard des technologies. À la lecture de certains
livres, films et attitudes, les choses évoluent et le progrès a beau nous
donner des merveilles, il semble urgent de ne pas perdre ce que nos
ancêtres nous ont légué. Notre action a été à contre-courant, tout d’abord
en nous dirigeant vers les arts traditionnels, la peinture, la gravure, la
sculpture, loin de la puissance destructrice de l’industrie gigantesque
des images de série".
Marc Fumaroli :Nous avons travaillé pour l’honneur, pour l’amour de la cause, et ce d’une
manière totalement désintéressée financièrement. Par ailleurs, nous sommes
également à contre-courant en ne recherchant pas des plasticiens qui font
souvent du bruit pour quelque chose qui redouble le malheur des temps.
Malgré tout, bien que cela soit dans l’ombre et dans une certaine
marginalité, il y a une peinture qui n’est pas une avant-garde, qui ne
croit pas à la religion du progrès, tout en n’étant pas hostile à la
science. Le rôle de l’artiste n’est pas d’exagérer ces valeurs, de les
représenter d’une façon désespérante et désolante, mais de donner le
sentiment dans ce monde que tout n’est certes pas fête, mais qu’il y a
cependant des dispositions de la fête, ce que j’appellerai sans entrer
dans des considérations esthétiques : la beauté. Tel est l’axe de cette
exposition, avec l’espérance qu’elle aura un modeste, mais vrai succès".
Lexnews : "La beauté a-t-elle justement encore une place dans notre monde et l’art
?"
Marc Fumaroli :
"Un des arguments en faveur de l’art contemporain, et qui est d’ailleurs un
argument assez hypocrite, est qu’il dispense le plasticien contemporain de
véritables compétences, de véritables secrets de fabrication. Dans ces
conditions, si j’ose m’exprimer ainsi, la justification que l’on donne à
ces choses qui ne nous intéressent pas et qui ne nous attirent pas, est
qu’elles sont à l’image du monde dans lequel nous sommes. Nous assistons
ainsi à une compétition de la laideur et de la brutalité qui déstabilise
le public.
Nous devrions plutôt rechercher ce qui pourrait nous rassurer, nous
reconstruire et nous permettre de mieux traverser ce monde difficile et
terrifiant, comme toutes les générations l’ont fait avant nous. J’estime
qu’il ne revient pas à l’art de prendre comme maître unique un artiste,
par ailleurs talentueux contrairement à un grand nombre de plasticiens,
comme Francis Bacon, fasciné par la laideur. Les peintres ou graveurs
présentés dans cette exposition n’ont pas pour obsession cette laideur.
Boileau disait que le grand art est capable de rendre l’horreur
supportable. Avec l’art contemporain, on veut nous faire croire que l’on a
affaire à des gens qui pensent et qui ont des concepts de la situation
dans laquelle le monde se trouve… C’est peut-être beaucoup demander aux
plasticiens, et ce n’est certainement pas une raison pour abandonner les
artistes à leur sort ! J’ai eu l’occasion pour préparer cette exposition
de rencontrer un grand nombre d’artistes dans leur atelier, ce sont des
artistes pour qui l’art n’est pas une question de spéculation boursière,
ni publicitaire ou de bureaucratie culturelle, mais bien un véritable art
de vivre dirigé vers la beauté et un apprentissage de notre capacité au
bonheur. La quête de la beauté guérit, elle est salvatrice et salutaire ;
ce n’est qu’à ce titre que l’art mérite son nom".
J’ai bien conscience que nous ne sommes pas une puissance et qu’il n’est
pas en notre pouvoir de modifier le spectacle de notre monde, mais nous
sommes peut-être capables à plusieurs de faire comprendre que ces arts,
qui sont aussi des artisanats transmis par des traditions remontant aux
origines, aux grottes préhistoriques, font de nous des êtres de la nature,
et non pas de la technologie. J’espère, tout en ne me faisant pas trop
d’illusions, que ce mouvement pourra peut-être un peu modifier les choses
! Espérons…".
* * *
A l'initiative de Marc Fumaroli, avec le
parrainage de Jean Clair, Florence Berthout, Maire du 5e arrondissement,
est heureuse d’accueillir, du 28 septembre au 30 octobre, l’exposition
avec pour commissaire Vincent Pietryka présente dix artistes mettant à
l’honneur la peinture, la gravure, le dessin et la sculpture : André
Boubounelle, Érik Desmazières, Gérard Diaz, Philippe Garel, Denis Prieur,
Gilles Seguela, Sam Szafran, Ivan Theimer, Jean-Pierre Velly, Pascal
Vinardel.
L’exposition « Présence de la peinture en France, 1974 - 2016 » est née
d’un amour vrai pour l’art et de la joie que l’on trouve à fréquenter les
œuvres d’artistes féconds. La France en a vu apparaître dans les dernières
décennies, mais dans une relative discrétion. Si quelques galeristes
parisiens au regard aiguisé, des critiques et des collectionneurs
attentifs ne les ont pas ignorés, le grand public n’a pas eu cette chance.
Le souhait de Marc Fumaroli a été de réunir quelques-unes des plus belles
de leurs œuvres en un lieu unique, afin de les rendre enfin accessibles au
public, invité à cette occasion à les contempler, à entendre leurs
commentateurs et à rencontrer les artistes eux-mêmes. C’est dans ce cadre
que plusieurs entretiens se dérouleront lors de l’exposition, entre un
peintre et un écrivain, un musicien ou encore un critique d’art…
La sélection des 30 œuvres présentées a été constituée avec le désir de
montrer des pièces majeures qui rayonnent par leur beauté. Elles prennent
place dans l’histoire de l’art, dans la suite des meilleures œuvres du
passé et dans l’attente de celles du futur. Elles sauront toucher les yeux
amateurs comme ceux des avertis, inviter le spectateur à s’arrêter et à
entrer dans l’univers de la Colline à Volterra de Boubounelle, de Luigi de
Velly, des Portes du fleuve de Vinardel, des Deux coings de Seguela, de la
Tête de Méduse de Theimer…
Exposition du lundi au samedi de 10h à 18h
(catalogue disponible sur le lieu de l'exposition
avec des textes de Marc Fumaroli, Jean Claire et Lydia Harembourg)
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Un chef-d’œuvre déstructuré

©
Musée Unterlinden © Th. Verdon
par Mgr. Timothy Verdon* |
"Je n’écris pas au titre de prêtre, mais en tant qu’historien d’art et
directeur d’un musée, celui de l’Œuvre de la Cathédrale de Florence,
récemment renouvelé sous ma responsabilité. Et j’écris avec un certain
embarras, puisque inévitablement ce que je vais dire ressemblera à un «
J’accuse ! ».

©
Musée Unterlinden
Dans un récent voyage à Strasbourg, j’ai fait un pèlerinage à Colmar au
Musée Unterlinden, pour revoir un des grands chefs-d’œuvre de la
Renaissance au nord des Alpes, le retable peint par Mathis Gothart Nithart
- connu comme de Grünewald – pour le couvent des Antonins à Issenheim
entre 1412-1516, avec les sculptures en bois polychrome de Nikolaus
Hagenauer. Il s’agit d’une énorme construction ouvrable qui permettait aux
fidèles de voir trois différentes séquences d’images : à l’extérieur,
quand les deux volets du retable étaient fermés, La Crucifixion ;
puis, après une première ouverture, quatre scènes : L’Annonciation,
Le Concert des Anges, Marie avec l’Enfant Jésus, et La
Résurrection ; puis, après une seconde ouverture, au niveau
intermédiaire (au centre) : trois statues parmi lesquelles celle de
Saint Antoine d’Alexandrie, patron céleste du couvent, qui était aussi
un hôpital pour des malades du « feu de Saint Antoine ».

Le Retable d’Issenheim fermé - La Crucifixion
© Musée Unterlinden
La nouvelle installation du retable, achevée en 2015, a complètement
déstructuré ce système visuel complexe, séparant les images du mécanisme
originel pour les présenter individuellement. Par conséquent, le visiteur
est privé de l’émotion de trouver, derrière la célèbre Crucifixion
avec son corps de Christ sombre et torturé (à l’extérieur au premier plan,
volets fermés), le corps lumineux et sain du Sauveur retourné à la vie. De
même, il sera privé de cette émotion de trouver derrière la Vierge
effondrée au pied de la croix de son fils (volets fermés), la jeune femme
de L’Annonciation. Les deux scènes du second niveau –
L’Annonciation et La Résurrection – étaient les revers des deux
volets de La Crucifixion ; ouvertes, elles encadraient et étaient
visibles à gauche et à droite de la composition du niveau intermédiaire
Le Concert des Anges et Marie avec L’Enfant. |
Maintenant complètement séparées d’elle, la composition de l’artiste est
rendue indéchiffrable : L’Annonciation et La Résurrection,
que Grünewald a pensées à gauche et à droite de la double scène du
Concert des Anges et de Marie avec l’Enfant, se trouvent
aujourd’hui l’une à côté de l’autre, et qui plus est en ordre inversé. On
retrouve la même option pour la seconde ouverture, où les scènes de la vie
de Saint Antoine se trouvent jointes et interverties, tandis qu’elles
étaient initialement séparées par les statues de Hagenauer.

Le Retable d’Issenheim 1ère ouverture -
L’accomplissement de la nouvelle Loi © Musée Unterlinden
Le musée a prévu de petites reconstructions du retable originel qui
permettent d’ouvrir, l’une après l’autre, les différentes strates, mais
presque personne ne le fait, à défaut d’explications. Je comprends bien
qu’il s’agisse d’impératifs de temps et d’espace : alors que le vieux
système - le retable qui s’ouvrait - imposait à chacun d’attendre les
ouvertures successives de chaque niveau, dorénavant tout le monde est
libre de se promener en se plaçant ad libidem devant l’une ou
l’autre scène. Mais on perd ainsi la logique de l’ensemble, et le musée
n’offre aucune assistance pour en saisir le sens. Qui plus est, en
inversant le rapport droite/gauche de certaines images, il transmet des
impressions fausses. Il conviendrait au minimum d’installer une vidéo qui
reconstruirait l’ordre et la succession des images.

Le Retable d’Issenheim 2e ouverture
-
le cœur du retable consacré à saint Antoine © Musée Unterlinden
Il est également dommageable que l’on n’explique nulle part la fonction
plus essentielle attribuée à un retable d’autel, qui consiste à
accompagner visuellement la messe. Le sang qui coule des pieds du Crucifié
et son corps étendu dans la prédelle devaient être vus en étant placés
juste au-dessus de l’autel, quand les religieux et les malades
participaient à l’Eucharistie, dont le pain et le vin rendent « présents »
le corps et le sang du Christ. Ne pas communiquer ces informations au
grand public revient à cacher une clé de lecture fondamentale ; il n’est
pas question de catéchiser mais de communiquer ! À vrai dire, dans
l’espace du musée, on aurait pu monter le retable sur une base en forme
d’autel, rendant immédiatement intelligible le rapport entre image et
rite, fondement même son histoire."
* Chanoine, Cathédrale de Florence et Directeur, Museo dell’Opera del
Duomo. |

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