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Jeux Olympiques en livres
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« L’Olympisme. Une Invention
moderne, un héritage antique. », Collectif, catalogue Officiel de
l’exposition « L’Olympisme. Une Invention moderne, un héritage antique. »
au Musée du Louvre., Co-édition Musée du Louvre / Editions Hazan, 2024.
C’est un réel plaisir que de découvrir aux éditions Hazan « L’Olympisme –
Une Invention moderne, un héritage antique », le catalogue officiel de
l’exposition éponyme présentée au musée du Louvre jusqu’en septembre 24.
Cet ouvrage sous la direction des trois commissaires de l’exposition –
Christian Mitsopoulou, Alexandre Farnoux et Violaine Jeammet – offre, en
effet, un bel éclairage alliant histoire et enjeux de l’Olympisme
d’aujourd’hui, cette « invention moderne, un héritage antique », ainsi que
l’annonce son titre. Appuyé par une vaste iconographie, l’ouvrage de plus
de 300 pages livre une analyse moderne, dynamique et actualisée des Jeux
olympiques, une étude loin d’être dénuée d’intérêts notamment de par la
découverte d’archives inédites.
Le premier volet de l’ouvrage est consacré aux symboles des Jeux
(couronnes, anneaux, drapeaux…) et aux acteurs – comment ne pas rappeler,
en effet, la figure la plus emblématique des Jeux : Pierre de Coubertin ?
– Patrick Clastres revient avec passion dans une première contribution sur
cette « Genèse de l’idée olympique chez Pierre de Coubertin », suivent des
figures également incontournables telles que Michel Bréal pour le
marathon, Gilliéron ou encore D. Vikélas. Après avoir rappelé que Paris
fut trois fois capitale olympique en moins de 125 ans, Christian Le Bas
ferme ce tout premier chapitre en faisant de Paris, capitale des sports,
le berceau même de cet olympisme moderne avant que ne s’ouvre le deuxième
volet, cœur de cette riche étude : « Olympisme entre invention et héritage
».
Un chapitre majeur et captivant couvert par plus de vingt contributions et
abordant des thèmes aussi originaux que porteurs tels les timbres édités à
l’occasion des jeux, les affiches, cartes postales, mais aussi, bien sûr,
les trophées, médailles, les hymnes ou encore des sujets certes plus
classiques, mais tout aussi passionnants notamment l’ « Athlétisme et
entraînement militaire dans le monde grec : complémentaires ou
antagonistes ? » ou « Gestes antiques en scènes »… De riches contributions
que vient illustrer idéalement une iconographie des plus soignées et
choisie.
Le catalogue se referme sur un dernier chapitre consacré à l’ « olympisme
et politique » avec, bien sûr, « Berlin 1936 », mais également des
contributions venant souligner la place des femmes hier et aujourd’hui
dans les jeux Olympiques. Un ouvrage aussi riche que passionnant.
« Quand les Grecs anciens
faisaient du sport » d’Alexandre Farnoux avec la participation de Violaine
Jeanmmet ; Publication officielle de l’exposition éponyme, Co-édition
Louvre Éditions / Editions Hazan, 2024.
Actualité oblige, remontons le temps avec le grand historien helléniste,
Alexandre Farnoux, pour découvrir la manière dont les Grecs anciens
concevaient le sport, une manière inspirée et informée de retourner aux
sources. Évitant les images d’Épinal et autres contrevérités souvent
émises, l’historien replace la pratique sportive – en la détaillant – dans
le contexte plus général de la société grecque en lien avec l’éducation,
la religion, l’armée et la politique. C’est par la méthode rigoureuse qui
le caractérise qu’Alexandre Farnoux nous invite ainsi à reconsidérer les
sources dont nous disposons et notamment ces incontournables pièces que
conserve le Louvre avec ces fameux vases antiques, ou ces multiples
figurines ainsi que les sculptures ayant livré les plus célèbres poses
athlétiques…
L’art grec révèlera alors au lecteur des pans entiers de la conception du
sport dans cette civilisation antique, une conception certes éloignée de
celle qui sera développée plus tard avec la reconstruction de l’idée
moderne de l’olympisme. L’auteur remet ainsi les pendules à l’heure,
écarte les stéréotypes modernes notamment celui d’une « continuité » de
l’olympisme…
Entraînement et compétition caractérisaient en effet la
pratique sportive chez les Grecs, sans que cela constitua pour autant un
divertissement au sens moderne du terme. Plus proche de la notion
d’athlète que de celle du sportif, la pratique ancienne des différentes
disciplines olympiques se préparait avant tout dans un cadre – le gymnase
– qui n’avait rien à avoir avec les stades que nous connaissons… Nous le
constatons, la lecture de ce passionnant essai lève plus d’un voile sur la
pratique sportive dans l’Antiquité grecque, une étude plus
qu’indispensable pour mieux comprendre ce dont nous avons hérité et ce qui
relève plus d’une réinvention…
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« Le sport dans l’art » ; Sous la direction de
Yann Descamps et Georges Vigarello, Éditions Citadelles & Mazenod, 2024.
L’actualité la plus immédiate rend précieuse la présente parution de cet
exceptionnel volume « Le sport dans l’art » aux éditions Citadelles &
Mazenod. Les Jeux Olympiques qui vont s’ouvrir à Paris du 26 juillet au 11
août 2024 ne pouvaient que justifier une telle réflexion sur les rapports
entre sport et art, rapports remontant à la plus haute antiquité justement
du fait des fameuses Olympiades… Yann Descamps et Georges Vigarello ont
dirigé cette somme réunissant les contributions des meilleurs spécialistes
afin de couvrir plus de deux millénaires des arts représentant le sport
sur toute forme de support.
Dès les temps antiques, les plus grands artistes se sont, en effet, saisis
du corps du sportif et du geste sportif. Viennent bien entendu à l’esprit
les plus belles statues d’athlètes sculptées dans le marbre constituant
ainsi l’un des fleurons de l’art grec classique occidental avant qu’il ne
soit repris et adapté par le monde romain. Mais les peintres évoqueront
également sur des vases ces exploits magnifiant le corps représenté selon
des critères esthétiques qui resteront longtemps la référence plastique de
tout sportif.
Cet ouvrage d’art et d’histoire explore de manière chronologique (de
l’Antiquité au XXIe s.) ces rapports étroits entre la performance sportive
et son saisissement par l’artiste sur toute sorte de supports imaginables,
du marbre au manga. Ainsi, au fil des pages, le lecteur pourra découvrir
les exploits mythiques des lutteurs athéniens, mais aussi les tournois de
chevalerie du Moyen Âge, sans oublier le thème si fertile de la chasse, du
tir à l’arc, des jeux de balles, etc. Les activités les plus inattendues
sont également abordées dans cet ouvrage décidément très complet tel ce
saut de cerceaux en pleine Renaissance ! D’une pratique réservée à une
élite au passage de sports étendus au plus grand nombre, l’ouvrage
révèlera combien la perception des artistes saura également évoluer ainsi
qu’en témoignent l’iconographie abondante de cet ouvrage de référence en
la matière.
"Vies en jeux - Leur flamme éclaire l'Histoire"
d'Églantine Chesneau, Editions Vents d’Ouest, 2024.
Voici un album qui devrait retenir l’attention des petits et grands tant
l’approche et l’esthétique retenues invitent à le dévorer des yeux de la
première à la dernière page ! Ce récit graphique conçu à partir du destin
de 16 athlètes qui ont bousculé les règles des Jeux Olympiques débute bien
entendu dans l’Antiquité et Églantine Chesneau, l’auteur, rappelle pour le
lecteur le contexte mythologique et historique qui présida à
l’établissement de ces épreuves. Mais rapidement, nous quitterons ces
temps anciens pour nous focaliser sur le parcours étonnant de ces 16
athlètes, femmes et hommes, qui marquèrent aux XX et XXIe s. ces épreuves
tant sur le plan physique que moral tel l’athlète afro-américain Jesse
Owens aux JO de Berlin 1936, une date fatidique pour un sportif de couleur
et petit-fils d’esclave… Eglantine Chesneau rappelle également par une
mise en planche à la fois minimaliste et pourtant si éloquente les faits
extraordinaires de l’athlète qui osa défier Hitler !
Ces « Vies en Jeux » s’attachent ainsi à rendre le destin singulier de
sportifs tel celui de Lis Hartel aux JO d’été d’Helsinki en 1952 et de
Melbourne en 1956. Cette cavalière de mérite atteinte de poliomyélite
demeura totalement paralysée… Sa détermination et son courage parvinrent
cependant à venir à bout de l’adversité pour finalement non seulement lui
permettre de participer aux JO mais également y rafler des médailles !
Tous ces destins sortant de l’ordinaire sont évoqués avec sensibilité et
humour par l’auteur dans ce récit graphique à la fois captivant et
particulièrement réussi.
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Littérature - Poésie - Romans
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Erri De Luca : « Les règles du
Mikado » traduit de l’italien par Danièle Valin, Editions Gallimard, 2024.
« Les règles du Mikado » présidant à la rencontre fortuite
d'un vieil homme et d'une gitane fuyant les siens, tel est le thème du
dernier roman d'Erri de Luca paru aux éditions Gallimard. En une évocation
à la fois pudique et profonde, le narrateur – dont l’auteur n’est jamais
très éloigné – ouvre la main pour recueillir cet oiseau apeuré poursuivi
par les siens. L’accueil, le partage, l’échange, la foi en l’être humain
quels que soient ses secrets, constituent les thèmes récurrents de ce
roman discret à l’image de son auteur. Le vieil horloger – nous ne
connaîtrons pas les noms des protagonistes comme s’en explique le roman en
préface – apprécie la minutie du geste, celle des mécaniques de précision
tout autant que l’habileté à se saisir des fins bâtonnets de bois du
fameux jeu de patience d’origine japonaise. Tout est lié, le destin des
hommes à l’image des parties composant la nature, la moindre modification
provoquant une suite d’effets souvent insoupçonnables, à l’image de cette
jeune femme dont le destin se trouvera étonnamment bouleversé tout autant
que celui de son bienfaiteur… Derrière l’intrigue apparemment simple se
cache une multitude d’analyses sur les situations, les caractères, le
destin et les multiples interactions suscitées par la vie. De Luca dresse
un portrait sensible de ses protagonistes où la poésie n’est jamais
éloignée, un récit initiatique en forme d’accueil de l’altérité qui laisse
une profonde inspiration de liberté après sa lecture dans la belle
traduction de Danièle Valin.
Henry Miller : "Jours tranquilles
à Clichy" ; Traduction de Gérald Robitaille ; Préface de Michael Paduano ;
Photographies de Brassaï, Editions Bartillat, 2023.
Les éditions Bartillat ont eu l’heureuse idée de publier pour la première
fois en français « Jours tranquilles à Clichy » de l’écrivain américain
Henry Miller illustré des photographies du non moins célèbre photographe
Brassaï. Ces récits entre roman et autobiographie d’années passées à
Clichy dans les années 30 du siècle passé relèvent tout autant de
l’impromptu incisif que d’une méditation sur la vie. Avec sa spontanéité
jouissive, le narrateur sait se saisir des petits riens du quotidien
illuminant une journée alors que les amours tarifées, la nuit venue,
scandent le récit selon le rythme libertaire bien connu de l’écrivain
américain. Bien entendu, certains propos seront difficilement admissibles
de nos jours, mais tel n’est pas le cœur de l’ouvrage traduit avec une
rare acuité par Gérald Robitaille qui sait en restituer le souffle
millérien.
À l’image du célèbre « Colosse de Maroussi », Miller sait en ces pages se
saisir de la vie comme d’une flamme entre les doigts, exercice hautement
périlleux où beaucoup ont péché par excès ou trop grande prudence. À la
différence de l’univers blafard, pour ne pas dire glauque d’un Céline
relatant le milieu proxénète de la ville de Londres quelques années
auparavant, Miller parvient à trouver un rayon de soleil dans les camaïeux
de gris de la capitale française. Période féconde de l’écrivain pourtant
dans le plus grand dénuement ainsi que nous le rappelle en postface
Michael Paduono, « Jours tranquilles à Clichy » parvient à restituer une
tranche de l’histoire d’un quartier populaire de Paris dans les 30 (mars
1932 à fin 1933 plus précisément) au 4 rue Anatole Franche à Clichy avec
son ami Alfred Perlès. Un récit haut en couleur, un hymne quasi extatique
à la vie.
Philippe-Emmanuel Krautter
Antoine Sanchez : « Le Pégase »,
Éditions L’Atteinte, 2020.
Il y a toujours quelques pépites littéraires que l’on découvre un peu plus
tard notamment lorsque la maison d’édition est discrète et édite
tranquillement des ouvrages de quelques dizaines de pages sensibles et
tournées vers l’intime et l’humain. Tel est le cas de ce court roman «
Pégase » dont l’auteur, Antoine Sanchez, musicien et écrivain, transcrit
les rythmes des mots de tous les jours des habitués accoudés au zinc ou
assis à une des tables de ce bar-tabac de village, hors du temps, non loin
de l’église et de sa place où joue Norbert, le musicien, que tous
connaissent. Pégase sauvé de sa fermeture par Raymond et Odile est un lieu
hanté par ses habitués, par toutes ces personnalités qui y laissent une
trace journalière, d’une banalité parfois déconcertante, mais qui sont les
meilleures vigies de tout ce qui peut ou pourrait se passer dans le
village. Fins observateurs des autres, ces personnages iconiques de ce
lieu sont eux-mêmes regardés et commentés par les autres. Ils s’inquiètent
du retard de l’un, de la santé de l’autre, de l’absence trop prolongée
d’un tel… Tous ont bien plus de « relief » que ne laissent paraître leurs
rituels quotidiens.
« Au Pégase, il a ceux qui sont là depuis toujours. Le zinc, la bête et ce
verre que l’on brandit en guise de prière, entre soif de joute et
d’immobile. » Au Pégase, il a aussi ceux qui ne feront que passer.
Un café, un petit blanc, un thé, un scotch… si tôt ! Un autre ?
Tient que ce passe-t-il, un brin de déprime, de nostalgie ou de
mélancolie, vas-y parle-nous, raconte… « Ce court texte émaillé de
réflexions philosophiques et métaphysiques, est un vrai petit théâtre,
fait de vies cabossées dont on détourne habituellement le regard » écrit
l’éditeur et de ce fait il n’est plus possible d’entrer dans un bar et de
ne pas observer ce foisonnement de moments de vies qui y passent un court
instant sans imaginer la suite de toutes ces histoires potentielles,
celles qui réjouissent l’imagination des écrivains.
« Les derniers clients sortent leurs billets, leurs pièces, leurs cartes.
Raymond regarde dehors, la nuit, la lumière des lampadaires, des
silhouettes fuyant sous la pluie. Une journée comme une autre. Rien qu’une
journée comme une autre. »
Sylvie Génot-Molinaro
Richard Rognet : « Patienter sous les nuages », NRF,
Editions Gallimard, 2024.
Dans son dernier recueil, le poète Richard Rognet nous convie à «
Patienter sous les nuages », belle invite que le lecteur ne manquera pas
de suivre à la lettre ! L’auteur puise en ces pages inspirées à l’encre
diaphane de ces formes évanescentes par excellence, nous entraînant dans
une contemplation que les temps modernes tendent trop souvent d’occulter.
L’ouverture de ces poèmes en prose se fait sous la forme d’une promenade
où les sens sont aux aguets, prompts à saisir l’insaisissable, frôlements,
ombres, songes… L’écriture se conçoit alors comme viatique à la douleur et
autres peines du monde. Le langage entendu ainsi devient synonyme de vie,
toujours en devenir, jamais révolu.
La poésie de Richard Rognet se veut mouvement, vibrations, parfois
imperceptibles de la nature et du monde. En un élan toujours renouvelé, le
poète tente d’en retenir l’essence, de l’approcher à l’affût, la nature
revêtant alors un autre manteau, non plus accessoire de nos loisirs mais
bien celui incontournable de la vie même. Cette inspiration élégiaque qui
transparaît de cette prose sensible n’a rien de convenu mais relève plutôt
du souffle vital du poète qui y puise notamment ces vers d’une grande
délicatesse dont les dialogues impromptus avec les éléments renforcent
encore notre émerveillement : « J’entre dans la lumière qui fourmille
parmi les arbres, je lui demande quel chemin elle veut bien me proposer
pour que j’aille toucher les ultimes langues de neige qui étincellent sur
les les pentes, j’entre dans la profondeur de la lumière… ».
Philippe-Emmanuel Krautter
« Giocanda » de Nikos Kokàntzis,
traduction du grec par Michel Volkovitch, Mikros Littérature, Éditions de
l’Aube, 2022.
Giocanda est l’œuvre d’une vie et d’un souffle, celui de
l’amour inconditionné et éternel réunissant à jamais deux êtres que
l’Histoire cherchera pourtant à séparer… Nikos Kokantzis livre, en effet,
avec ce témoignage sensible et poignant l’histoire – sa propre histoire –
d’un jeune adolescent dans la ville cosmopolite de Thessalonique où
communautés juives et locales vivaient en harmonie jusqu’à ce que le vent
de la Seconde Guerre mondiale ne vienne balayer à jamais tous ces liens.
Giocanda est une jeune fille juive, voisine de Nikos, l’auteur et
narrateur, les deux adolescents scellant rapidement leur destin en des
liens purs et absolus. Kokantzis, page après page, se remémore ces amours
naissantes, ce rapprochement indéfectible entre deux êtres qui allaient
bientôt – trop tôt – être séparés à jamais. Mais c’était sans compter sur
le travail de mémoire et d’écriture qui allait combler ces vides et
perpétuer ce souvenir passionnel transcendant ainsi les affres du temps.
Nul lyrisme, nul pathos dans l’écriture limpide et poétique de l’écrivain
grec si bien rendue par la belle et sensible traduction de Michel
Volkovitch, mais la présence et la sensualité de ces deux jeunes
adolescents en des pages qui pourraient bien être une définition de
l’amour absolu... Une évocation dont le lecteur ne sortira pas indemne et
qui contribue à perpétuer la mémoire de tous ces êtres brisés par le
destin.
À noter la récente parution du même auteur disparu en 2009 : « Le vieil
homme et l’étrangère » aux mêmes éditions de L’Aube.
Philippe-Emmanuel Krautter
« Pièces roses » et « Pièces
baroques » de Jean Anouilh, Coll. « La Petite Vermillon », Éditions La
Table ronde, 2023.
Si Antigone demeure l’œuvre la plus célèbre de Jean Anouilh, ses
nombreuses autres créations ne sauraient pour autant être négligées
notamment celles dénommées « Pièces roses » ou encore « Pièces baroques »
que le lecteur retrouvera dans ces deux volumes récemment parus dans la
collection « La Petite Vermillon » aux éditions La Table ronde. Des œuvres
empreintes de fantaisie, de légèreté et d’humour, ainsi que leur titre
respectif le laisse présager. L’auteur avait lui-même rangé et regroupé
ses pièces selon cette thématique : « roses », « baroques » ou encore «
Pièces costumées », « Pièces grinçantes », etc. également parues dans
cette collection.
« Humulus ou le muet » qui ouvre le recueil « Pièces roses » sera la
première pièce de Jean Anouilh qui sera représentée en 1932. L’histoire
est celle d’un muet, Humulus, qui ne peut après avoir été soigné prononcer
qu’un seul et unique mot par jour ; Comment en ces circonstances déclarer
son amour ? Pièce courte pleine de fantaisie mais aussi un brin cruelle… «
Le bal des voleurs » qui suit sera l’un des premiers succès de l’auteur
après « Le voyageur sans bagage » et signera une longue coopération entre
Anouilh et Barsacq. Enfin, représentée en 1940, « Léocadia » après « Le
Rendez-vous de Senlis » et qui referme ce volume est probablement la pièce
la plus connue avec une jolie thématique intemporelle, celle du temps et
de la vie…
Le lecteur retrouvera dans le volume « Pièces baroques » trois autres
pièces de théâtre créées dans les années 1960-70 notamment « Cher Antoine
ou l’amour raté » de 1966 ; un huis clos caustique sur fonds d’ouverture
de testament offrant un jeu aussi âpre que pétillant suivi de « Ne
réveillez pas Madame » et du « Le Directeur de l’Opéra », des oeuvres
également pleines d’un humour sans concession sur le monde de la scène et
l’amour…
L.B.K.
« Le Tour du Monde en 80 jours »
de Jules Verne et « Jane Eyre » de Charlotte Brontë, Editions Larousse,
2023.
Quel plaisir de retrouver ces titres de toujours – « Le Tour du monde en
80 jours » de Jules Verne ou encore « Jane Eyre » de Charlotte Brontë – dans
cette collection collector chez Larousse ! Un ravissement qui allie autant
le plaisir des yeux que celui de la lecture avec une mise en page claire,
des caractères lisibles, de belles illustrations et de jolis culs-de-lampe
ou autres ornements ; tout enchante dans ces ouvrages d’antan offerts aux
siècles derniers à Noël aux enfants fortunés ou pour les plus studieux à
titre de récompense, ce que l’on nommait alors « Prix de fin d’année »…
« Le Tour du monde en 80 jours » de Jules Verne, cet incontournable
classique publié pour la première fois en 1872, enchante toujours autant
les grands et plus jeunes avec ces extraordinaires aventures de Phileas
Fogg et de son fidèle domestique ; qui n’a jamais rêvé en tenant entre ses
mains ce fabuleux voyage ? L’un des meilleurs romans de Jules Verne ayant
connu bien des traductions et adaptations… Sa lecture demeure cependant
dès plus jubilatoire !
« Jane Eyre » de l’anglaise Charlotte Brontë, l’aîné des trois « sœurs
Brontë », est, pour sa part, un roman inoubliable qui a bouleversé nombre
de générations depuis le XIXe siècle. Comment oublier, en effet, la vie de
cette orpheline qui subira les affres de sa tante et cousines, avant que,
devenue gouvernante, elle ne tombe amoureuse du père de son élève, Mr.
Rochester, pour le meilleur et pour le pire… Un ouvrage considéré comme le
chef d’œuvre de Charlotte Brontë!
L.B.K.
François de Saint-Chéron : «
Malraux devant le Christ », Editions Desclée de Brouwer, 2023.
On connaît (certes, plus ou moins bien) l’œuvre, la vie ou la pensée de
cette incomparable personnalité éprise de culture et d’art que fut André
Malraux, et François de Saint-Cheron a par son talent et fidélité beaucoup
contribué et œuvré à cette connaissance. Il demeure cependant un point –
plus intime – sur lequel Malraux demeure moins connu, celui de la
religion. Si son attrait pour certaines religions notamment
extrême-orientales et sa fascination pour l’Inde sont plus familières ou
si nous avons tous en mémoire ses fabuleux ouvrages concernant l’art
chrétien (« Le Monde chrétien », « Le Surnaturel »), quelle était
cependant sa position ou croyance face à la religion chrétienne dans
laquelle il était né ? Si Malraux se présentait, ainsi que le souligne
l’auteur, comme agnostique, cette seule affirmation n’épuise cependant pas
à elle seule toute la question, tant s’en faut !
À la lumière de son œuvre et convoquant de nombreux témoignages (lettres,
biographies…), François de Saint-Cheron faisant preuve de pudeur et d’une
belle sensibilité révèle, en effet, au lecteur un Malraux bien plus
complexe et déconcertant : Son attrait ou attachement à certains saints –
on songe à saint Jean l’Evangéliste dont il demandera à une sœur lecture,
en 1944, alors qu’il pensait être fusillé au petit matin, mais aussi saint
François d’Assise ou Lazare – titre d’un récit autobiographique ; Son
respect, ses interrogations ou affirmations à certains de ses amis
notamment au Père Bockel, aumônier de la brigade Alsace-Lorraine, à
Mauriac ou à Bernanos, parfois appuyées ou reprises dans les pages de ses
ouvrages ; Son intérêt, enfin, accordée au Christ, à l’âme, au mal, à la
foi ou transcendance… Croyance, quête ou regret ?
C’est un Malraux effectivement plus intime et bien moins péremptoire que
certains n’avaient voulu le dire que découvriront les lecteurs de cet
ouvrage ; nombre de ses proches ou amis l’avaient pour beaucoup
parfaitement pressenti ou senti. Au-delà de sa réelle connaissance de la
culture chrétienne, Malraux semble, non pas obsédé, mais « hanté » par la
question de la transcendance, « cette part éternelle qui en lui [l’homme]
le dépasse. » écrira-t-il au Père Bockel… Ce n’était peut-être pas pour
rien que le Général de Gaulle lui avait un jour répondu : « Pourquoi
parlez-vous comme si vous aviez la foi, puisque vous ne l’avez pas ? »
L.B.K.
Chris Offutt : « Les Gens des
collines », Coll. « Totem », Éditions Gallmeister, 2023.
Mick Hardin est un enquêteur du CID, la division des enquêtes criminelles
de l’armée, spécialité homicides, en permission dans sa région natale du
Kentucky où vivent sa sœur, Linda, première femme shérif du comté, ainsi
que sa femme Peggy, enceinte et proche d’accoucher. Ce pourrait être le
début d’une histoire toute simple mais il n’en est rien … Mick aime un peu
trop le bourbon et les moments de solitude dans une cabane en bois au
milieu des collines, c’est là que Linda le trouve et lui demande de l’aide
sur une enquête. Mick a participé aux grands conflits militaires
américains et se pose en vétéran respectable mais cela suffira-t-il pour
que les habitants les aident à retrouver le témoin de ce crime et dont
tous connaissent l’identité de la victime ? Et quand bien même, quelqu’un
serait-il prêt à « cracher » le nom du meurtrier... Une course contre la
montre et une enquête serrée se profilent car Mick doit aussi reprendre du
service même avec pas mal de jours de retard et se débattre avec des
différends entre lui et Patty…
Chris Offutt joue sur sa connaissance des gens bruts et méfiants des
collines qui cachent leurs non-dits et leurs secrets. Dans les trois
premières pages du roman, le scénario s’écrit et une tension s’installe. «
…Quelque chose arrêta son regard, une couleur ou une forme qui n’aurait
pas dû être là… Il se redressa pour s’étirer le dos et vit une femme
allongée dans une position disgracieuse, le corps contre un arbre, la tête
pendant vers le bas, le visage tourné. Elle portait une robe élégante. Ses
jambes étaient nues et une chaussure manquait à son pied. L’absence de
culotte le fit douter qu’il puisse s’agir d’une chute accidentelle. Il
s’approcha et reconnut suffisamment ses traits pour savoir son nom de
famille. » Une ambiance western policier actuel, un rythme
cinématographique, des chapitres comme des plans-séquences et un style
clair nous plongent dans les familles du coin et la diplomatie parfois
limite que Mick affectionne pour obtenir ce qu’il veut entendre. Mick ne
voit plus les choses comme tout le monde, trop d’horreurs de guerre dans
son esprit, sans doute, et trop chercher empêcherait de trouver : « …Ne
cherche pas les champignons, regarde là où ils poussent. La nuit, ne
cherche pas la piste d’un animal, va juste là où il n’y a pas d’arbre.
Vois les formes et les couleurs, pas la chose elle-même. » Une porte de
sortie pour l’esprit de Mick, le chant des oiseaux, la beauté des arbres
et de la nature qui l’entourent et où il aime se réfugier.
Heureusement car pour tenir le coup et mener à bien cette enquête, Mick et
Linda vont compter les morts qui jalonneront les routes escarpées des
collines du Kentucky, comme l’intervention d’un agent du FBI, pas vraiment
le bienvenu dans ce comté. Mais il faudra bien faire avec les
susceptibilités de chacune et chacun et les méthodes peu orthodoxes de
monsieur Hardin, le passé de tous et trouver qui manipule qui suivant la
devise de Mick :
« Fais ce qui doit être fait ».
Sylvie Génot-Molinaro
« Je pense à votre destin – André
Malraux et Josette Clotis – 1933-1944 » de Françoise Theillou ; 256 p.,
Coll. « Essai français », Editions Grasset, 2023.
La vie et la personnalité de Josette Clotis, deuxième compagne d’André
Malraux de 1933 à 1944, sont quelque peu moins connues ; on songe en
comparaison, bien sûr, à sa première épouse, Clara Malraux, union dont
naîtra Florence Malraux. André et Josette se rencontre avant-guerre à la
NRF, Malraux est déjà un écrivain connu et il obtiendra le Prix Goncourt
quelques semaines plus tard. Josette, apprenant la nouvelle chez ses
parents en province, ne sera pas peu fière de cet amant… mais André
Malraux est marié, et Clara enceinte de Florence… L’auteur, Françoise
Theillou, s’est appuyée pour écrire cet ouvrage sur de nombreuses archives
dont les journaux intimes de Josette Clotis. Elle nous donne ainsi à lire
cette liaison faite de séparations, d’absences, d’amour et
d’incompréhensions. Heureuse, se morfondant, désespérée, combien de
chambres d’Hôtel, d’heures passées à attendre André...
Ils sillonneront ensemble, séparément ou parallèlement durant les années
de guerre la France du Nord au Sud et du Sud au Nord. Durant ces années,
si Malraux affirme sa personnalité et sa vocation d’écrivain, s’enfermant
pour écrire, Josette, elle, y renoncera ; André deviendra également le
fameux colonel Berger. Malraux n’aura pas toujours, ni même souvent, sous
la plume de Françoise Theillou la part belle. L’auteur, fidèle en cela aux
archives en sa possession, n’a pas entendu travestir la réalité. L’ouvrage
est d’ailleurs complété par de nombreux inédits issus notamment des
papiers personnels de Josette, de billets ou de correspondances d’André
Malraux à Josette ou encore d’un Cahier de préparation également inédit
d’André Malraux.
De ces années de vie côte à côte, naîtront deux fils que le destin ravira
violemment à André lors de leur adolescence dans un tragique accident de
voiture, après lui avoir déjà ravi quelques années auparavant dans un non
moins tragique accident de train ; leur mère, Josette Clotis ; celle qui
durant plus de dix années de 1933 à 1944 n’aura jamais hésité à attendre,
à courir et rejoindre sur les quelques mots d’un message celui qu’elle
n’aura jamais cessé d’aimer, celui qui signait de chats en fil de fer,
André Malraux.
L.B.K.
« Hommage à Philippe Sollers »,
NRF, Editions Gallimard, 2023.
Comment rendre hommage à Philippe Sollers après sa disparition au
printemps 2023 à l’âge de 86 ans ? Qui ne connaît pas Philippe Sollers ?
Mais le connaît-on vraiment ? Derrière les clichés trop souvent véhiculés
plus vite que la lumière se cache un homme épris de liberté, de beauté et
d'amour, éléments d'un ciment imperturbable qui édifia, année après année,
une réflexion majeure et innovante dans notre société en crise de fausses
certitudes. Si l'homme attire ou agace certains, Philippe Sollers ne
laisse assurément pas de glace, mais brûle d'un feu qui jette des
éclaircies dans notre quotidien.
Cet « Hommage à Philippe Sollers » publié aux éditions Gallimard réunit
ses amis, ses connaissances de longue date en autant de rencontres que
l’écrivain suscitait ou accordait toujours avec générosité. Hommage donc
non point à un défunt, mais à un éternel amoureux de la vie qui se
prolongera encore par ces nombreux témoignages laissés en sa mémoire.
« Francis Ponge , Philippe Sollers -
Correspondance. 1957-1982 », Édition de Didier Alexandre et Pauline Flepp,
Collection Blanche, Editions Gallimard, 2023.
Voici réunis en un seul et fort volume publié aux éditions Gallimard
vingt-cinq ans de correspondance entre deux personnalités emblématiques de
la littérature du XXe siècle, Francis Ponge et Philippe Sollers. Cette
parution établie par Didier Alexandre et Pauline Flepp survenant au
lendemain de la disparition de Philippe Sollers, le 5 mai 2023, permettra
d’apprécier la richesse et la verve toujours présente chez l’écrivain
dialoguant avec le poète, son aîné. 37 ans séparent, en effet, ces deux
hommes que l’amitié va réunir, Ponge pressentant rapidement les qualités
littéraires du jeune écrivain qui signe encore sa correspondance par
Philippe Joyaux, son patronyme officiel. Les quinze premières années de
cet échange nourri témoignent du soutien indéfectible de Ponge pour ce
jeune espoir qu’il recommande notamment à Marcel Arland et Jean Paulhan
pour la NRF. Très rapidement, le ton change et du formel « Cher Monsieur »
les différentes lettres seront introduites pas un « Cher Francis » et «
Cher Philippe »… Couvrant la période 1957-1982, cet échange épistolaire –
inimaginable de nos jours à l’heure numérique – reflète les grandes heures
de la littérature et de la culture de la deuxième moitié du siècle
dernier, tout autant que les petits tracas de la vie quotidienne et de
santé. Les livres en maturation transparaissent au fil des lettres,
l’œuvre en genèse des deux écrivains se dessinant parmi les cabales menées
à l’encontre de leur génie respectif. Cinéma, architecture – Sollers
confessant qu’il ne quittera plus la Cappella dei Pazzi de Santa Croce à
Florence !, peinture, musique… tout fait signe pour ces deux âmes éprises
de beauté. Malheureusement, comme toute amitié entière, les heurts ne
manqueront pas, notamment à partir de la rupture accélérée par les
évènements de mai 68, Ponge du côté de l’ordre en place, Sollers tournant
ses regards vers la Chine…
Vient de paraître également aux éditions Gallimard, collection Folio+
Lycée, le dossier programme du bac consacré au texte fondamental de
Francis Ponge « La Rage de l’expression ». Une publication très didactique
présentant toute la richesse de la démarche du poète dans le contexte
historique de son époque. Un dossier pédagogique également passionnant
pour les post-bacheliers !
"Deux vies" d’Emanuele Trevi, récit
traduit de l'italien par Nathalie Bauer, Prix Strega 2021, Philippe Rey
Éditions, 2023.
« Deux vies » convoque inexorablement une troisième vie qui
leur est intimement associée, celle du narrateur et auteur Emanuele Trevi
qui livre avec cet ouvrage un beau témoignage sur l’amitié et la vie dans
cette édition soignée et traduction inspirée de Nathalie Bauer. Ce récit
qui aurait pu être le sujet d’un roman se trouve être celui d’un survivant
qui avec le recul des années rend témoignage de deux âmes éprises de
littérature et de liberté. Pia Pera et Rocco Carbone, tous deux écrivains,
eurent en commun une vie pleine d’aspirations pour une durée trop
éphémère. À l’image de ces papillons d’un jour, ces deux personnages
illuminèrent la vie de l’auteur qui en ces pages à la fois attendries et
sans concessions sur le caractère de ses deux amis livre un plaidoyer
émouvant sur l’amitié sincère, si lointaine des virtualités digitales. De
quoi est composée cette amitié ? De proximités, mais aussi de distances
parfois, ainsi que le souligne l’auteur, le fameux « Parce que c’était
lui… » n’étant pas un long fleuve tranquille… Nous nous surprenons à
sourire de certains traits de caractère, à verser une larme sur ces
attentes à jamais insatisfaites, ces petits riens qui composent la vie
comme ils émaillent l’espoir. Mais, toujours, revient ce lien indéfectible
qui scande par ses pulsions le souvenir des années passées, ces sourires
et instants radieux passés ensemble et qui ne pourront jamais disparaître
de la mémoire du narrateur, ces flammes d’un amour partagé pour les
lettres et l’écriture même si parfois les avis fort heureusement pouvaient
diverger. Emanuel Trevi livre avec ce témoignage un récit sensible et
poignant, un hommage tout autant à ses amis disparus qu’un Tombeau
poétique perpétuant une antique tradition que l’auteur honore ainsi.
Philippe-Emmanuel Krautter
Robert Walser : « Retour dans la
neige » ; Traduit par Golnaz Houchidar ; Préface de Bernhardt Echte, Zoé
Poche éditions, 2023.
L’écrivain suisse Robert Walser (1878-1956) qui termina ses jours dans un
hospice à Herisau où il résidera 23 ans, sa raison l’ayant quitté, nous a
laissé pourtant de nombreux ouvrages témoignant de sa lucidité et de la
profondeur de ses jugements. À l’image de Nietzsche, peut-être a-t-il
traversé le miroir vers d’autres contrées qui nous paraissent
inexpliquées… Toujours est-il que le présent recueil de nouvelles « Retour
dans la neige » témoigne de son acuité à dresser en quelques pages un
tableau littéraire fait de concision, de détails ciselés en une prose à la
fois légère et percutante, sans oublier cette candeur et surprise au monde
qui se renouvelaient au quotidien chez l’écrivain. « … et il a fallu que
tous les traits si précieux de mon caractère, empreint de la musique de
mes origines, se perdent… (…) et qui sait, l’innocence de la campagne
reviendra un jour jusqu’à moi et alors je pourrai à nouveau me tordre les
mains dans la solitude ».
La belle traduction que livre Golnaz Houchidar de ces vingt-cinq proses
brèves restitue le charme de cette écriture à cette époque charnière de la
vie de l’écrivain venant de quitter Berlin et les avant-gardes pour
rejoindre sa ville natale. En un élan primesautier dans certaines pages,
Walser sait exulter et magnifier la nature qui sera un perpétuel
ravissement à ses yeux. L’écrivain parvient également en quelques lignes à
dresser un portrait d’une rare sensibilité, à contre-courant de ce qui
pouvait être réalisé jusqu’alors (splendide portrait de Madame Scheer).
Cette lucidité indocile ne cessera en ces pages de surprendre le lecteur
qui s’étonnera de son caractère rebelle tout autant qu’il sourira de ses
introspections. Nul dolorisme ni atermoiement chez Walser mais un
perpétuel étonnement aux choses de la vie ainsi que le relève Bernhard
Echte dans sa préface : « Au fil de ces textes, l’innocence du regard,
l’infinie curiosité du flâneur, la pudeur devenue précepte littéraire,
acquièrent une force intemporelle ». Avec « Retour dans la neige », Robert
Walser offrira au lecteur du XXIe s. de brèves et inoubliables pages
sublimant le quotidien.
Philippe-Emmanuel Krautter
"Le Corbeau - E. A. Poe, C.
Baudelaire, S. Mallarmé, gravures de Gustave Doré » ; Broché, 138 x 204
mm, 160 pages, Éditions de l'Escalier, 2022.
Trois incontournables poètes et un non moindre grand graveur pour un même
et seul animal, tel est le choix fait par les éditions de l’Escalier pour
cette mise en rapport originale du célèbre poème d’Edgard Poe « The Raven
» ou « Le Corbeau ». On y retrouve cette atmosphère singulière et irréelle
si chère à Poe. Un poème à la métrique stricte traduit, en effet, non
seulement par Charles Baudelaire, mais aussi par Stéphane Mallarmé, et
même gravé par Gustave Doré…
Ces relectures transversales qu’autorise ce recueil bien mené devraient
attirer l’attention de tous les amateurs de poésie, de traductions, mais
aussi de variations autour d’une même œuvre. À partir de quel point de
rupture le traducteur s’éloigne-t-il, en effet, de l’intention de l’auteur
? Existe-t-il d’ailleurs une intention unique de l’œuvre qui resterait
indissociable de son créateur ? Ces éternelles questions se poseront
irrémédiablement aux lectures successives de ce poème écrit en anglais par
l’écrivain américain Edgard Poe en 1845.
Là où Baudelaire débute par :
« Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et
fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée,
pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un
tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de
ma chambre. « C’est quelque visiteur, — murmurai-je, — qui frappe à la
porte de ma chambre ; ce n’est que cela, et rien de plus. »
Mallarmé propose :
« Une fois, par un minuit lugubre, tandis que je m’appesantissais, faible
et fatigué, sur maint curieux et bizarre volume de savoir oublié, — tandis
que je dodelinais la tête, somnolant presque, soudain se fit un heurt,
comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre,
— cela seul et rien de plus ».
Le lecteur se passionnera ainsi à passer d’une version à l’autre en
l’agrémentant de ses contemplations des gravures de Gustave Doré conférant
à leur tour au poème un éclairage encore autre et nouveau. Cette richesse
et ces ouvertures laissent une petite idée de la fécondité d’un thème,
lui-même emprunté par Poe à Charles Dickens avec le corbeau parlant Grip
dans « Barnaby Bridge » !
Régine DETAMBEL « Sarah quand même
», Editions Actes Sud, 2023.
Susan claque la porte de Sarah Bernard, elle est épuisée par le caractère
de cette artiste, si grande soit-elle, dont elle rêvait d’être la
secrétaire particulière. Durant vingt ans, c’est ce rêve qui est devenu
réalité, Susan sera auprès de Sarah, dans son intimité jusqu’à en
connaître les moindres recoins, ses amours multiples hommes et femmes
(elle en fera l’expérience éphémère), sa famille, ses amis, ses rôles, ses
voyages, ses finances, ses contrats, sa santé, ses passions, ses colères
et son extravagance… Elle sera de tout. Et tout deviendra aussi son
cauchemar. « J’ai une chambre de domestique dans son hôtel de l’avenue
Pereire. Je n’ai plus d’autre chez-moi depuis vingt ans. Je n’ai pas
d’autre argent que celui qu’elle me donne. Je suis la personne la plus
proche de Sarah. Après son fils. Après toute une kyrielle d’autres
esclaves de Sarah. » . Sarah fait d’elle son souffre-douleur et le témoin
de sa très grande liberté. « Je suis donc la dame de compagnie et la
comédienne à domicile qui lui donne la réplique, la copiste ordinaire, la
costumière et la maquilleuse, parfois la cuisinière et même la confidente…
Parce que Sarah déteste être seule… Seule, elle deviendrait suicidaire. Il
lui faut toujours des adorateurs et adoratrices pour passer ses nerfs. »
Cette femme si chérie et admirée serait-elle finalement trop grande pour
ses épaules ? Les contorsions de la vie théâtrale de Madame Bernhardt, ses
déboires avec les nouveaux comédiens et comédiennes qui juste par leur
jeunesse et l’inventivité d’un autre jeu théâtral mettent en péril sa vie
avec un grand V, dévouée corps et âme pour la scène, avec ses
interprétations de personnages masculins ; des rôles qui, certainement,
ont fait avancer une certaine cause des femmes dans ce milieu mais ont
également déclenché et entretenu de la moquerie et presque du rejet. C’est
sans connaître la Bernhardt qui même amputée d’une jambe (son choix
conscient et éclairé, le 22 février 1915) poursuivra jusqu’au bout sa vie
de femme libre. « - Vous jouez depuis combien de temps ? – Depuis que
Victor Hugo m’a offert un diamant. – Et quand est-ce que vous allez
arrêter ? – Jamais.» Si même, parfois, dans un moment de tristesse ou de
désespoir Sarah raconte sa vie à Susan, ce en quoi l’auteur, Régine
Detambel, nous régale d’anecdotes sur sa vie tant historiques que privées.
C’est la version de Sarah qui restera « elle aura toujours été au plein
milieu de sa vie, sans aucun sens de la mort à préparer ou de la nécessité
de s’arrêter pour contempler le chemin parcouru… D’ailleurs non, elle
n’était pas au milieu de sa vie, elle en a toujours été à l’extrémité la
plus piquante, à la pointe violente et capricieuse, fougueuse et
séductrice de la vie. » Écrit Susan dans ce texte rédigé comme un journal
à rebours, de sa première rencontre avec son idole jusqu’à la déchirante
rupture, question de survie… « En arrivant à New York j’ai trouvé le
courage de la quitter. Je file sans un mot. » Là, dans tout ce tourbillon
Susan aurait tellement voulu que Sarah l’aime…
« Je ne veux pas être normale, je veux être extraordinaire. » et « Quand
même » était la devise de Madame Sarah Bernhardt.
Sylvie Génot Molinaro
Sébastien de Courtois : « L'ami des
beaux jours », Collection « La Bleue », Éditions Stock, 2022.
Si nous connaissions le journaliste et talentueux animateur de l’émission
« Chrétiens d’orient » sur France-Culture, Sébastien de Courtois, c’était
sans compter ses qualités de romancier, ainsi qu’en témoigne cet ouvrage «
l’ami des beaux jours » paru chez Stock. Happant le lecteur dès les
premières pages, ce récit d’une rare sensibilité ne pourra laisser
indifférent, tant un véritable scénario de film naît immédiatement et
spontanément dans l’esprit du lecteur de ces pages inspirées. L’histoire
est pourtant banale, celle d’une amitié entre deux jeunes étudiants de
province et d’un amour commun naissant pour une jeune femme de quelques
années plus âgée. Ce trio romanesque conduira le lecteur dans les tréfonds
de l’identité, une quête éperdue de l’être et du soi. Frédéric, « L’ami
perdu », à la recherche duquel le narrateur part sur le tard, posant ainsi
la question de l’altérité, mais aussi de celle de la communion si chère à
Montaigne et à de La Boétie. Et parce que justement c’était lui, Frédéric,
Sébastien le narrateur n’a de cesse de s’interroger tout au long de ces
pages au style incisif et percutant, des mots qui claquent tout autant
qu’ils font couler du miel. Cette introspection à la fois douloureuse et
cathartique questionne le sens de nos vies, entre idéaux et contingences,
passions et abandons… Et si « L’ami perdu » était en réalité le double du
narrateur ? Celui que nous possédons toutes et tous en nous et que nous
oublions trop souvent. C’est Sophie, anima du narrateur, qui le
conduira à cette prise de conscience…
Philippe-Emmanuel Krautter
Cedar Bowers « Astra » Éditions
Gallmeister, 2022.
Astra ! Avec un tel prénom, une petite fille peut-elle vraiment grandir
sur terre avec d’autres personnes de son âge ou bien être une sorte
d’électron libre sans limites entourée d’adultes tout aussi éloignés de la
réalité ? C’est là le récit de Cedar Bowers qui pour son premier roman
brosse le portrait de cette petite sauvageonne devenue adulte et mère à
travers le regard et les sentiments de différentes personnes qui lui ont
été ou qui lui sont proches. Des regards croisés pour comprendre la vie d’Astra
qui a grandi sans entrave dans l’ouest du Canada et qui en gardera toute
sa vie les cicatrices psychiques comme physiques. De petite fille sauvage
à l’adolescente fugueuse, puis à la femme séductrice et néanmoins
vulnérable, chacun la décrit dans un parcours personnel, jusqu’au
témoignage de son fils Hugo qui la vénère. Mais ce portrait de femme nous
livre bien autre chose. Ce récit nous pose cette question qui nous taraude
tous : Connaît-on vraiment et complètement une personne ?
Dès la première phrase du livre, « Raymond Brine ne veut pas penser au
bébé à venir… Il ne veut pas penser aux liens du sang, ni à la filiation,
ni à la tendance irrépressible de l’humanité à surpeupler cette planète
exsangue. » Et pourtant c’est bien lui Raymond, le père d’Astra.
À partir de là, quel sera le futur d’Astra dont Gloria, sa mère, va mourir
trop vite ? Qui va entourer cette enfant dans cette ferme communautaire
nommée Celestial ? Quels seront ses repères à la réalité alors qu’elle n’a
cessé d’entendre cette phrase à la fois poétique mais destructrice de tout
équilibre possible pour une enfant : « N’oublie jamais qui tu es, Astra.
L’étoile du cosmos, l’impératrice des cieux. Tu es libre de tes actes. »
Mais « Elle n’est pas autonome, Raymond. Et tu ne devrais pas lui dire
qu’elle appartient au cosmos. C’est faux. Elle est ta fille. » C’est là la
source de tout ce que va vivre Astra, de ses choix instinctifs d’enfant
comme de ceux qu’elle fera une fois adulte. Astra est-elle une enfant
comme une adulte abandonnée à cette liberté trop grande pour elle ? « Qui
est cette fille, au fond ? Comment est-elle devenue ce qu’elle est ? » Un
constat dérangeant tout autant que fascinant entre mensonges, imagination,
violence, désordres, vérités et résilience. Lire Astra, c’est essayer de
déceler les fissures de son histoire, celles qu’elle-même a racontées avec
des chapitres manquants, d’autres modifiés, avec des phrases bancales et
des mots clés dispersés aux quatre coins de sa vie. Lire Astra, c’est
faire le chemin avec elle en la regardant de loin.
Sylvie Génot Molinaro
Liane de Pougy : « Dix ans de fête
– Mémoires d’une demi-mondaine », Editions Bartillat, 2022.
Les mémoires de la célèbre demi-mondaine Liane de Pougy (1869-1950)
viennent enfin d’être publiées, réunies en volume pour la première fois
par les soins d’Eric Walbecq, spécialiste notamment de Jean Lorrain, aux
éditions Bartillat ; pas moins de dix années du début du siècle précédent
vues par le bout de la lorgnette dorée de celle qui aurait pu être
désignée par Proust de « cocotte » à l’image d’Odette de Crécy dans la
Recherche… Car c’est bien le milieu de ces femmes oscillant entre
mondanités et plaisirs de luxe qui se trouve en ces pages décrit par le
menu détail par une femme qui semblait plus gouter les charmes féminins
que les amours tarifées de ses riches amants !
Les âmes dévotes et sensibles devront peut-être s’abstenir dans ces pages
parfois crues qui évoquent sans pudeur ce que pouvait être le quotidien de
ces femmes faisant vaciller le cœur des plus grandes fortunes de l’époque
et souvent plus attirées par les amours saphiques…
Mais de tels souvenirs pourraient être d’un intérêt limité s’ils ne
faisaient intervenir quelques grands personnages de cette fin du XIXe et
début du XXe s. notamment des écrivains tels Gabriele d’Annunzio ou encore
Jean Lorrain ; ce dernier subjuguera littéralement cette femme pourtant
guère impressionnable et dont le lecteur apprendra quelques révélations
étonnantes !
Celle qui naquit Anne-Marie Chassaigne rendra son dernier souffle en tant
que sœur Anne-Marie de la Pénitence après s’être convertie et avoir
prononcé ses vœux. Toute la vie de Liane de Pougy sera pétrie de
paradoxes, sa dernière chambre d’un palace à Lausanne ayant été par ses
soins transformée en cellule monacale…
Philippe-Emmanuel Krautter
Amos Oz : "Les terres du chacal" ;
Traduit de l'hébreu par Jacques Pinto ; Folio Folio N° 7151 Gallimard,
2022.
Ce recueil de nouvelles de jeunesse signé de l’écrivain israélien Amos Oz
et aujourd’hui réédité en Folio par les éditions Gallimard devrait ravir
les lecteurs fidèles de l’écrivain, mais également ceux découvrant son
œuvre.
L’univers des kibboutz à la fois clos, mais confronté à un extérieur
souvent menaçant constitue la trame de fond de ces courts récits de
jeunesse réunis sous le titre « Les terres du chacal » dans la belle
traduction de Jacques Pinto. L’animal, lui-même, sera également, en effet,
omniprésent dans ces récits trempés à l’encre déjà affirmée du romancier
Amos Klausner, mort en 2018, et plus connu aujourd’hui sous son nom
d’auteur Amos Oz. Ayant rejoint jeune le kibboutz de Houlda, c’est de
l’intérieur que le nouvelliste a pu s’imprégner de ces couleurs, ces
sonorités et senteurs qu’il parvient à rendre avec une rare acuité et une
sensibilité à fleur de peau. Cette hypersensibilité qui irise chaque
description, des plus triviales aux plus complexes, n’écarte pas pour
autant la dureté qui règne dans ces collectivités à l’image de la
description de ce jeune chacal pris au piège en un parallèle saisissant
avec la jeune Galila tombant dans la toile tissée par Matatyanou et dont
elle apprendra le terrible secret dans la première nouvelle « Les terres
du chacal », récit ayant donné son nom au recueil. La stupeur d’instants
de tensions mis en suspens se trouve en écho avec les éléments naturels
eux-mêmes tendus aux extrêmes qu’il s’agisse de la nuit, du jour, du
soleil ou encore de la pluie. Ces points d’intrications extrêmes se
prolongent jusqu’au moment où tout bascule, emportant avec soi le destin
des êtres en une fatalité parfois déroutante. Pour ces courts instants
inouïs d’introspection et de descriptions ciselées, le recueil de
nouvelles « Les terres du chacal » mérite d’être (re)découvert.
Albane Prouvost : « renard poirier
», collection Poésie, 88 pages, La Dogana, 2022.
Albane Prouvost poursuit la longue maturation de son travail poétique.
Ainsi, après « meurs ressuscite », la poétesse a retenu pour titre
de son dernier recueil paru aux éditions de La Dogana, « renard poirier
», une réminiscence du poète russe Ossip Mandelstam et de « le poirier
a tiré sur moi » ou encore « le merisier et le poirier m’ont pris
pour cible »… En un long poème s’étirant tout au long du livre, «
renard poirier » suscite tour à tour étonnement, perplexité et
fascination, à l’image d’une longue litanie répétée à partir de quelques
notes ou mots épars. Passée la surprise, les associations de mots créent
un climat – glacé ou brûlant tour à tour – syntaxique envoûtant, sorte
d’état extatique dans lequel le lecteur se surprend à réciter ces mantras
d’un autre temps. En rapprochant de manière inhabituelle certains mots,
puis en les recomposant encore en autant d’autres manières, de nouvelles
associations surgissent et se créent, des sensations émergent
subrepticement ou submergent, comme celles ressenties à l’écoute de contes
anciens surgis des temps, voir même de certains accents pauliniens :
« les poiriers seront de la neige pour les pommiers
le renard croit le poirier
aussi le poirier croit le renard embrasé
poirier embrasé croit tout pardonne tout
espère tout »
Tel un rite initiatique, le poirier révèle ce qu’il suggérait jusqu’alors,
à l’image de l’identité d’Ulysse aux yeux de son père Laërte lors de son
retour à Ithaque à l’évocation des arbres de son verger dont il lui fit
présent. L’arbre chétif peut il espérer couvrir l’étendue de la neige sans
pleurer ?, questionne Alban Prouvost ; quel départ et quelle arrivée nos
souvenirs enneigés sont-ils capables de susciter comme nouvelles
interrogations ? La longue quête de la poétesse nous invite à dépasser les
contingences et nos propres limites pour élargir notre regard au-delà «
des barrières de fleurs », un merveilleux cheminement en compagnie des
goupils et des poiriers…
Philippe-Emmanuel Krautter
Mario Andrea Rigoni : « Colloques
avec mon Démon », Editions Arcadès Ambo, 2022.
Mario Andrea Rigoni, professeur à l’université de Padoue et grand
spécialiste de Léopardi, était aussi poète. Disparu en 2021 alors qu’il
venait de confier aux éditions Arcadès Ambo son recueil « Colloques avec
mon Démon », il n’aura malheureusement pas eu le plaisir de le voir
publié.
Son pessimisme l’avait rapproché de la pensée de Cioran qui correspondait
à sa vision lucide du tragique de la vie. L’homme de lettres cultivait
également un jardin secret, celui de Calliope. Dans les dernières années
de sa vie, son goût s’exacerba pour les éléments, tectoniques, minéraux,
mais aussi quelque peu plus immatériels tels le vent ou la brume dont il
sut saisir l’impermanence dans des évocations délicates : « Je l’aime
parce qu’il effleure la terre et ne l’habite pas. »…
Au fil des pages de ce recueil, sa poésie s’ouvre aux échos mythiques du
temps, souvenances à peine voilées de ces témoins du passé si présents à
celles et ceux qui peuvent encore y prêter attention. Cette pensée
symbolique qui l’occupa sa vie durant transparaît ici ou là, toujours de
manière diaphane à l’image même de sa poésie. Tendue vers l’infini,
l’écriture poétique de Rigoni n’en dédaigne pas pour autant les gouffres
vertigineux, démarche fragile entre ces extrêmes.
C’est entre ces lignes ténues que parfois se tapit son démon intérieur,
double du poète ou esprit rencontré au fil de ses cheminements antiques ?
Cette éternelle question, le poète se la pose et nous questionne, à nous
d’y réfléchir grâce à ce beau et sensible recueil.
Philippe-Emmanuel Krautter
« Très russe » de Jean Lorrain
suivi de son adaptation théâtrale par Oscar Méténier. Édition établie,
présentée et annotée par Noëlle Benhamou, Honoré Champion Éditions, 2022.
Avec « Très russe », Jean Lorrain (1855-1906) signe son deuxième roman qui
eut, entre autres effet, de provoquer la colère de Maupassant qui crut se
reconnaître sous les traits du ridicule Beaufrilan, amoureux transi et
quelque peu ridicule de la délicieuse Madame Livitinof. Le duel fut évité
in extremis, Lorrain ayant préféré les excuses au fleuret… L’action
se déroule entre Yport et Fécamp, sur la côte normande, lieu de
villégiature de cette société de la fin de siècle. Ce roman fut complété
d’une pièce de théâtre avec la collaboration d’Oscar Méténier, pièce
représentée le 3 mai 1893 au Théâtre d’Application.
Les éditions Honoré Champion offrent ainsi la première édition jointe de
ces deux œuvres grâce à l’heureuse initiative de Noëlle Benhamou. C’est en
effet un délicieux récit que livre en ces pages un Jean Lorrain plus
caustique que jamais sur la société de son temps. Le roman est celui d’une
femme fatale – Madame Livitinof, Sonia pour ses nombreux intimes – autour
de laquelle gravitent des amoureux transis, Mauriat, Beaufrilan sans
oublier le narrateur Jacques Harel.
En hommage à Flaubert et Elémir Bourges, Lorrain souhaitait livrer avec «
Très russe » un récit à la croisée du roman réaliste, du roman décadent et
du dialogue, ainsi que le rappelle Noëlle Benhamou dans son introduction à
cette édition soignée. Ce roman aux multiples références musicales est
également émaillé des nombreux coups de griffe et portraits au vitriol
qu’affectionnait l’auteur de Monsieur de Phocas. L’humour corrosif
du dandy qui en quelques mots parvenait à rabaisser ses adversaires
réussit également en ces pages alertes à dresser le portrait de ses
contemporains et de la société dans lequel il évoluait avec un plaisir
manifeste. Donnant lieu à de véritables pamphlets que Molière n’aurait pas
reniés – Lorrain n’hésite pas à citer explicitement quelques vers du
Misanthrope dans ce récit – « Très russe » sait également saisir les
emportements du cœur de ces âmes souvent tourmentées. Allant de la
diatribe acerbe dans laquelle crut se reconnaître Maupassant jusqu’à ce
touchant portrait du couple âgé, les Alexander, Lorrain enchante en
passant en quelques lignes de l’émotion à l’humour corrosif, ce qui n’est
pas la moindre des qualités de ce roman à découvrir.
Philippe-Emmanuel Krautter
Louis-Ferdinand Céline : « Londres
» ; Edition établie et présentée par Régis Tettamanzi, nrf, Gallimard,
2022.
Inutile de rappeler les conditions pour le moins rocambolesques par
lesquelles ce manuscrit fait enfin l’objet d’une publication des décennies
après sa rédaction, le lecteur se rapportera pour cela à la préface de
Régis Tettamanzi. Au-delà, « Londres » dévoile le laboratoire brut de la
création célinienne, au sens propre et figuré. Non expurgé de ses scories,
l’écrivain qui aimait pourtant lire et corriger jusqu’à l’épuisement ses
manuscrits parvient avec ce récit, se situant juste après « Guerre »
chronologiquement, à rendre les grouillements de ses protagonistes dans la
capitale anglaise pendant la Première Guerre mondiale. Les personnages qui
pour certains d’entre eux apparaîtront par la suite dans les futurs romans
tel Guignol’s band errent, ici, dans les bas-fonds londoniens, de
bordels en bars louches, formant ainsi un univers interlope dans lequel
Céline nage comme un poisson, entre mémoire autobiographique et fantaisie
du romancier. Les traits sont forcés, à l’image du vocabulaire ayant
appelé pour le lecteur moderne un glossaire en fin d’ouvrage… Malgré les
imperfections d’un manuscrit livré tel quel, la verve célinienne
transparaît de ces lignes souvent crues et ardues à lire. Cet élan vital
qui émerge de ces immondices, la lumière qui peut se dégager des états les
plus désespérés, captent l’attention du lecteur jusqu’à ne plus le
quitter, la dernière page tournée… Si cette promenade dans le Londres du
début du XXe siècle passée en compagnie de Ferdinand, la prostituée
Angèle, le souteneur Cantaloup, sans oublier des morceaux d’anthologie
avec Bijou et Borokrom, n’a rien de commun avec celle de Joyce dans le
Dublin d’Ulysse, elle offrira bien des déambulations initiatrices dont le
lecteur ne sortira pas indemne…
A lire également de Céline en Folio :
Philippe-Emmanuel Krautter
« Louis-René des Forêts — La terre
tourne et la flamme vacille » ; édition établie par Guillaume des Forêts
et de Dominique Rabaté ; 21 x 25 cm, 256 p., L’Atelier contemporain
éditions, 2021.
Lorsque le verbe ne parvient plus à traduire l’indicible, pinceau et mines
prennent alors le relais de la plume… C’est tout au moins l’expérience
vécue par Louis-René des Forêts entre 1968 et 1974. Cette longue
parenthèse ouverte par la disparition tragique de sa fille se refermera
avec la publication d’Ostinato, l’une de ses œuvres les plus personnelles
et étroitement associée au style. « Je vois ces tableaux comme des
fragments de rêve » souligne Dominique Rabaté en introduction à ce superbe
ouvrage publié aux éditions de L’Atelier contemporain, catalogue raisonné
de l’œuvre peint de l’écrivain.
Celui qui avait pourtant fait métier et passion d’écrire ne s’est jamais
exprimé sur ce passage – temporaire – à un autre médium afin de confier
ses pensées. Relais impromptus, cette cinquantaine d’œuvres allait occuper
tout son temps d’écriture, sans chercher à en livrer un quelconque
témoignage écrit, sinon celui légué par ces tableaux et dessins. La force
onirique qui se dégage de ce travail singulier ne surprendra pas les
lecteurs familiers de Louis-René des Forêts. Quelques discrètes références
à Matisse dans « Les Avatars de l’autorité », désordres tempétueux à la
Giorgione et détours dans l’inconscient qui ne sont pas sans évoquer
certains dessins du psychiatre suisse Carl Gustav Jung, chaque œuvre fait
sens, au singulier comme au pluriel.
Avec les contributions de Pierre Bettencourt, Pierre Klossowski, Nicolas
Pesquès, Pierre Vilar et Bernard Vouilloux, ce sont les liens ténus entre
écriture et dessin qui sont ainsi étudiés et révélés dans cet ouvrage
remarquablement mis en page avec ses illustrations soignées et son format
large. Page après page, l’univers dressé par Louis-René des Forêts gagne
subrepticement le lecteur, laissant l’impression de paysages déjà vus,
dans sa mémoire ou dans ses rêves. Cette force expressive, dont il ne
manque que la musique tant elle est suggérée, tisse un dialogue non
seulement entre l’artiste et sa toile, mais également entre le lecteur et
ces œuvres. Cette conversation attire en autant de songes qu’elle génère
et l’on se prête à se demander : quel commentaire Louis-René des Forêts
aurait pu donner de cette création ? Cet ouvrage contribue admirablement à
imaginer quelques réponses…
Philippe-Emmanuel Krautter
Stéphan Huynh Tan : « Le Silence
de la Cathédrale », 136 pages, Arcades Ambo Editeurs, 2022.
Il est des lieux comme des personnes qui attirent et voient converger vers
eux toutes les attentions et passions. Notre Dame de Paris compte
assurément parmi ces lieux, et le regrettable incendie de la cathédrale en
2019 a révélé combien cet édifice au cœur même de la capitale suscite
encore de nos jours d’émotions palpables à une époque où pourtant le
patrimoine religieux ne semble plus guère être la priorité. Car Notre-Dame
de Paris dépasse les convictions de chacun, rallie à elle ce que certains
historiens, tel Pierre Nora, ont nommé lieux de mémoire et Notre-Dame n’en
manque assurément pas. C’est à ce puits sans fonds auquel a puisé Stéphan
Huyn Tan, avec ce petit ouvrage soigné, paru aux éditions Arcades Ambo.
L’auteur délaisse quelque peu les chemins déjà bien pratiqués avec la
figure imposante de Victor Hugo et de son célèbre roman. Plus
pérégrination de lettré qu’étude exhaustive, « Le silence de la cathédrale
» emporte son lecteur à la découverte d’une histoire, notre histoire,
gravée dans la pierre et le vitrail, le bronze et le marbre. Chaque infime
partie de cette cathédrale emblématique de la foi qui anima ses bâtisseurs
constitue une page de cet immense livre de pierres que nous n’avons pas
fini de feuilleter. Stéphan Huyn Tan nous en dévoile justement quelques
belles pages, chapitres souvent méconnus de sa longue histoire et que nous
découvrons avec un même plaisir. Et si l’auteur en une conclusion un brin
atrabilaire et bien compréhensible rappelle que la grammaire est elle-même
une cathédrale, l’ouvrage démontre agréablement que la réciproque est
également vraie. Rufus, Catherine, Bernon, tous ces personnages auquel
l’auteur donne vie parlent de et pour Notre-Dame, concert non de louanges
mais de vie, celle qui siècle après siècle a insufflé à l’édifice cette
personnalité qui nous fait la considérer comme une réalité animée.
Depuis l’ecclesia originelle du VIe siècle composée de trois bâtiments
jusqu’à l’incendie de 2019, que de pages lumineuses ou plus sombres se
sont accumulées dans ce Livre ouvert que représente Notre-Dame de Paris.
Le présent ouvrage nous en livre quelques monologues originaux à découvrir
pour sortir des sentiers battus.
Philippe-Emmanuel Krautter
Frédéric Vitoux : « L’Ours et le
Philosophe », Éditions Grasset, 2022.
Avec « L’Ours et le Philosophe », l’académicien Frédéric Vitoux évoque les
relations singulières qui unirent quelque temps deux personnalités du
Siècle des Lumières, à savoir le philosophe Diderot et le sculpteur
Falconet. Sous la forme de digressions, cet ouvrage tisse progressivement
un réseau de liens rattachant ce XVIIIe siècle à la raison et à la
modernité. Le récit alerte et non dénué d’humour n’hésite pas à opérer
régulièrement des allées et venues avec notre époque présente, des
souvenirs personnels de l’auteur tout autant que son rapport à cette
époque révolue où deux fins esprits pouvaient se chamailler – à l’époque
le terme de disputatio convenait mieux – sur la notion de postérité
jusqu’à se brouiller définitivement…
Frédéric Vitoux se délecte manifestement de ces subtilités moins prisées
de nos jours, ces raffinements sur d’infimes nuances qui semblent à mille
lieues de nos réalités augmentées par les réseaux sociaux. Et, pourtant
cette évocation passionnante des liens complexes et sensibles unissant les
deux hommes trouve bien des échos avec l’époque moderne. Quel rapport
avons-nous avec ce qui occupe la plupart de notre quotidien et de notre
vie ? Quel legs souhaitons-nous laisser après notre vie ? Comment
considérer l’absolu et selon quel dessein ? Derrière ces doctes
questionnements file une réflexion alerte et jamais ennuyeuse, Frédéric
Vitoux s’y entend pour évoquer la pensée de Diderot sans jamais perdre son
lecteur médusé par cet esprit volubile face à l’atrabilaire Falconet aux
allures d’ours mal léché.
Nous voyageons de Paris à Saint-Pétersbourg via La Haye au rythme des
calèches, nous ouvrons l’immense ouvrage de l’Encyclopédie que le
philosophe peine à conclure en un siècle où l’absolutisme n’a pas encore
dit son dernier mot. Falconet préparant sa grande œuvre – la statue
équestre de Pierre le Grand - oursifie plus que de raison, au désespoir de
son patient ami. Chaque page avec ses renvois rythmés à notre siècle
transportera le lecteur en une époque révolue qui l’enchantera pour ses
impromptus comme pour ses réalisations magistrales, un temps impensable de
nos jours et sur lequel l’académicien parvient à lever le voile grâce à
cet ouvrage jubilatoire.
Philippe-Emmanuel Krautter
« Jacques-Emile Blanche – Portrait
de Marcel Proust en jeune homme » ; Préface de Jérôme Neutres ; Editions
Bartillat, 2021.
À souligner, en cette année 2022 marquant le centenaire de la mort de
Marcel Proust, la réédition de l’ouvrage intitulé « Portrait de Marcel
Proust en jeune homme » aux éditions Bartillat ; un ouvrage réunissant
quatre textes signés Jacques-Emile Blanche, tous consacrés à l’auteur de «
À la recherche du temps perdu ». Peintre, critique et écrivain,
aujourd’hui certes moins connu que son contemporain, Jacques-Emile Blanche
fut, cependant, un peintre réputé ; on lui doit notamment des portraits de
Liszt, Montesquiou, Gide, Cocteau ou Mauriac… Il est surtout l’auteur du
fameux portrait de Marcel Proust, jeune homme, en 1892 ; un des rares
portraits qui nous soit parvenu de Proust, que ce dernier conserva près de
lui toute sa vie, aujourd’hui au Musée d’Orsay et qui illustre la
couverture de cet ouvrage.
Jérôme Neutres revient dans sa préface sur ces deux destins qui n’ont eu
de cesse de se croiser sans jamais avoir cependant la même trajectoire.
Marcel Proust, de dix ans son cadet, connut enfant Jacques-Emile, fils du
célèbre psychiatre Blanche. Se retrouvant étudiants, ayant des amis en
commun dont Robert de Montesquiou ou encore François Mauriac, ils se
croisèrent et se brouillèrent à maintes reprises ; si leur amitié fut,
ainsi que le souligne Jérôme Neutres, asymétrique, Blanche vouera
cependant une amitié et admiration indéfectibles envers le jeune homme, le
dandy et l’auteur de la Recherche… « Le succès de Proust ne signe-t-il pas
le seul vrai accomplissement de Blanche qui aura été de peindre et de
révéler le plus grand écrivain du XXe siècle ? » interroge le préfacier.
Aussi est-ce avec un intérêt certain que le lecteur pourra découvrir ces
délicieux écrits de Jacques-Emile Blanche.
Deux ont été rédigés du vivant même de Proust dont l’un daté de 1914 ;
publié dans « L’Écho de Paris » à l’occasion de la parution l’année
précédente « Du côté de chez Swann », Jacques-Emile, en visionnaire, y
loue ce premier volume « sans précédent dans notre littérature ». Les deux
autres textes ont été écrits par le critique et ami après la disparition
de Proust ; le premier est un émouvant témoignage paru dans le numéro
spécial de la NRF, « Hommage à Marcel Proust », en 1923 ; le dernier
écrit, plus qu’élogieux et touchant, est extrait de l’ouvrage de Blanche «
Mes Modèles » paru en 1929.
Un portrait et quatre textes qui dépeignent ce même jeune homme à
l’orchidée qu’admira toute sa vie le peintre et écrivain. « (…) Blanche
aura au fond recommencé toute sa vie le portrait de Proust en jeune homme.
Il aura remis régulièrement son plus célèbre tableau sur son chevalet,
pour le décrire et le commenter avec des mots. » souligne encore en sa
préface Jérôme Neutres.
L.B.K.
« Pierre Loti - Le marabout, la
perruche et le singe » ; Collection « Un endroit où aller », Editions
Actes Sud, 2021.
Voici une charmante anthologie de textes courts sur la place des animaux
dans l’œuvre de Pierre Loti qui au fil de ses nombreux voyages a porté une
attention et une curiosité sur ces animaux qui l’ont fasciné, dérangé,
qu’il a espionné, observé, et que lui-même a parfois adopté et soigné.
Toutes ces petites histoires, véritable tour du monde animalier, sont
extraites des grands textes, récits d’aventures, conférences et autres
fragments d’articles de Pierre Loti, réunis ici par Alain Quella-Villéger,
spécialiste de la vie et de l’œuvre de ce grand écrivain et officier de
marine. Souvent les aventuriers, munis d’un carnet de croquis dessinaient
ce qu’ils voyaient de cette faune nouvelle et curieuse pour en compléter
les collections des musées de magnifiques planches colorées… Ici, ce sont
de fabuleuses descriptions et textes que nous livre Pierre Loti, des
écrits qui nous font voyager au plus près de ce l’écrivain aura vécu aux
quatre coins du monde, dans ces terres lointaines et océans pleins de
surprenantes vies. Phoque de Patagonie, baleine des Malouines, chat de
Stamboul, vieux cheval d’Espagne, écureuils de New York, âne d’Égypte,
chouette du désert ou chameaux à Tanger… Que de belles lettres consacrées
aux animaux ! Loti décrit aussi ici un monde écologique dont il ne pouvait
penser qu’un jour il serait en danger de disparition. Qu’il représente des
mondes lointains ou proches, chaque animal convoqué laisse ses empreintes
au fil des phrases et des pages de tous ces voyages qui peuvent bien se
lire chaque soir ou d’une traite, au fil de nos envies de découvertes !
Sylvie Génot Molinaro
Roberto Calasso : « Ce qui est
unique chez Baudelaire » ; Traduit de l’italien par Donatien Grau ; 112
pages, Éditions Les Belles Lettres / Musée d’Orsay, 2021.
Roberto Calasso nous a quittés et chacun a encore en mémoire ces
merveilleuses pages de « La Folie Baudelaire ». Aussi, quel n’est pas
notre réconfort que de découvrir aux éditions des Belles Lettres cet essai
inédit de Roberto Calasso publié sous le titre « Ce qui est unique chez
Baudelaire ». En ces pages, entre courts essais et réflexion, le lecteur
retrouvera la profondeur de pensée de l’intellectuel italien et toute la
singularité du poète. Calasso aimait à ce que les livres se fassent écho (lire
notre interview).
C’est à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Baudelaire que
l’intellectuel avait accepté à invitation du musée d’Orsay et des Belles
Lettres cet essai sous-tendu par des décennies passées en compagnie de
Baudelaire. Comme toujours, l’Italien éblouit par ses analyses. C’est un
Baudelaire intime, « mis à nu » qui à chaque page se dévoile dans ce Paris
du XIXe siècle. Des facettes contradictoires, moins connues, parfois
surprenantes : Le critique d’art et Constantin Guys, peintre de la
modernité ; Le dandy et poète chez Madame Sabatier semi-mondaine, mais
aussi muse ; mais aussi Baudelaire en auteur dramatique… C’est un
Baudelaire unique qui parcourt les rues et faubourgs de la capitale, ceux
qu’immortalisera Charles Meryon. Car ainsi que le souligne l’auteur : «
Baudelaire s’est trouvé vivre au carrefour de la Grande Ville, qui était
le carrefour de Paris, qui était le carrefour de L’Europe, qui était le
carrefour du XIXe siècle, qui était le carrefour d’aujourd’hui ». Un
carrefour sous la plume de Roberto Calasso fascinant, éblouissant.
L.B.K.
Théocrite : « Les Magiciennes et
autres idylles » ; Présentation, édition et traduction du grec ancien de
Pierre Vesperini ; Coll. Poésie/ Gallimard, n°564, Éditions Gallimard,
2021.
Plaisir que de découvrir « Les Magiciennes et autres idylles » du poète
hellénistique Théocrite dans cette nouvelle traduction du grec ancien de
Pierre Vesperini. Théocrite, l’un des plus grands poètes grecs antiques,
offre, ici, en ces textes ou idylles une poésie travaillée d’une belle
variété allant de cette poésie bucolique à laquelle il fut - pour en être
l’inventeur, trop souvent enfermé, à une poésie épique ou sensuelle où se
mêlent chants et dialogues cocasses. Un univers poétique qui fut célébré
aussi bien du vivant de Théocrite que par les plus grands dans toute
l’Europe, on songe notamment à Flaubert ou Leopardi, sans oublier Maurice
Chappaz. Pierre Vespiri, sémiologue et chercheur au CNRS, souligne dans sa
présentation : « Nous avons perdu bien sûr la musique de Théocrite : les
sonorités, les rythmes, le chant même. Mais on peut encore, je crois,
faire passer quelque chose de la beauté du texte. »
Pour cela, le traducteur a fait choix d’une traduction aussi alerte
qu’accessible. Le lecteur d’aujourd’hui croisera ainsi enchanté bergers,
moissonneurs et pêcheurs, mais aussi déesses et dieux dans la lumière et
les reflets antiques si beaux de la Méditerranée. Méditerranée autour de
laquelle le poète grec naquit et vécut. Bien que sa biographie demeure
lacunaire, il semble cependant attesté que ce dernier fut né en effet vers
310 av.J.-C. à Syracuse, et vécut à Cos, puis à Alexandrie.
Cette traduction restitue toute la beauté et la poésie du monde antique.
Vie quotidienne, mythes, dieux et rêves s’entremêlent et chantent
admirablement dans cette poésie lyrique appuyée, ici, pour chaque idylle
par un riche et bien venu appareil critique.
Et ainsi qu’aime à nous le rappeler Pierre Vespiri : « La poésie de
Théocrite concerne tout le monde, parce que le droit à la beauté, comme le
droit au bonheur, est un droit universel. »
L.B.K.
Fouad El-Etr : « En mémoire d'une
saison de pluie », Gallimard, 2021.
Le poète et homme de lettres Fouad El-Etr signe avec « En mémoire d’une
saison de pluie » aux éditions Gallimard un singulier roman. À mi-chemin
entre évocation poétique et réminiscences puisant à un passé immémorial,
ce récit débute par un poème et une adresse d’une jeune fille au poète.
Une jeune fille dont la beauté n’a d’égal que la fraîcheur, cette
fraîcheur qui ponctuera tout le récit où la nature baignée d’une saison de
pluie envahit ces pages inspirées. Des pages entre songes et réminiscences
réunissant hier ou peut-être aujourd’hui, une femme et un homme, un trio à
la fois mystérieux et amoureux « comme dans un rêve »… La dimension
onirique de ce roman saisit le lecteur au détour d’un chemin mousseux aux
parfums de fougères et de roses sublimés par le poète qu’est Fouad El-Etr.
Ce récit sensible désemparera certainement, car ces affinités ne sont
point celles électives auxquelles nous a habitués Goethe mais relèvent
plus d’une poésie initiatique qui sera perpétuée au-delà de la vie des
protagonistes. Cette plongée dans les souvenirs du narrateur happe le
lecteur à l’image des Années de Pèlerinage de Franz Liszt, nature et
sentiment ne faisant plus qu’un. La présence si forte des arbres et de la
forêt, la compagnie si proche de l’eau et ce silence à peine troublé par
les émotions des cœurs composent un cadre à la fois prégnant et
évanescent. Dans cette spirale sans contours, le lecteur se laisse mener
par le poète et narrateur, sans présager une quelconque issue. Le style de
Fouad El-Etr ajoute au charme de cette évocation où la poésie afflue comme
les parfums. Diane, la jeune femme, retrouve les élans mythologiques de
son prénom à l’affut du brame d’un cerf avant de connaître les émois de
l’amour. « Dans la forêt profonde », le narrateur poursuit ses rêves sans
savoir si l’écriture les devançait ou les recueillait. Le lecteur de ce
roman initiatique fera de même, longtemps après avoir tourné la dernière
page…
Philippe-Emmanuel Krautter
Jacques LACARRIÈRE : "Le géographe
des brindilles" ; 14 cm x 21 cm, 288 p., Éditions Hozhoni, 2018.
Jacques Lacarrière compte assurément parmi ces pèlerins de la nature
trouvant à chaque détour de chemins, qu’il arpenta sa vie durant sous le
soleil de Grèce ou de France, le sens de la vie, ou tout au moins ses
voies possibles. Avec ce recueil inédit se déploie la pleine saveur de ces
lentes pérégrinations, sans autre objectif que la poésie du paysage, le
goût exacerbé des rencontres et cette idée de partage toujours sensible en
ces pages.
Cet insatiable marcheur aiguise sa curiosité non seulement dans les
espaces géographiques parcourus, mais aussi dans les méandres de la
langue. Tout fait signe avec Jacques Lacarrière, qu’il s’agisse des arbres
qu’il chérissait tant, des vents ou de la botanique, véritable grammaire
du sensible. Ces petits riens pour le commun se métamorphosent en
véritables dialogues de sagesse, sans rhétorique stérile, mais mus par ce
goût de la nature tel qu’il ressort de ces textes oubliés, rares ou
inédits réunis par sa femme Sylvia Lipa-Lacarrière.
L’auteur de « Chemin faisant » et de « L’été grec » sait mieux que
quiconque que des trésors nous environnent, sans que nous les distinguions
suffisamment à leur juste valeur. Si le regard du poète jette sur les
êtres et les choses un jugement non dénué de sensibilité, l’approche du
botaniste, de l’entomologiste ou du géologue ne sont également jamais très
loin. Les descriptions se veulent précises et rigoureuses :
« À quoi donc servirait de parcourir le monde si j’ignore tout de la
colline qui jouxte ma maison ? Enfant, je voulais déjà inventorier toutes
les fleurs, toutes les plantes de mon jardin. En surveiller les moindres
insectes. Dénombrer l’infini en somme, le grouillement, énumérer la
multitude, apurer la profusion des choses. Il m’est resté de cette époque
un goût microscopique pour le monde, la passion de l’infime, le désir de
devenir un jour le géographe des brindilles. » écrit Jacques Lacarrière
dans Sourates.
C’est à cette géographie poétique absente des manuels officiels à laquelle
nous convie Jacques Lacarrière en ces belles digressions sur ces espaces
de l’oubli.
Philippe-Emmanuel Krautter
Elizabeth von Arnim : « Elizabeth
et son jardin allemand » ; Traduit de l’anglais par François Dupuigrenet
Desroussilles ; 178 p., Éditions Bartillat, 2021.
« Elizabeth et son jardin allemand » relate l’histoire d’une passion,
celle pour un jardin que la narratrice créa en un an seulement. Un jardin
de poésie conçu comme un monde unique, idéal et protecteur, le seul refuge
qu’Elizabeth trouva face à la solitude de sa vie de cours et mondaine et
où s’exprimèrent tout autant l’amour auquel elle aspira que la liberté
d’une femme qui se voulut indépendante.
Écrit sous pseudonyme, sur fond de pseudo journal intime, l’ouvrage paru à
Londres en 1898 est, en fait, l’œuvre de la comtesse Mary von Arnim
Schlagenthil, née Mary Anne Beauchamp, dite May. Cette dernière après
avoir épousé le comte prussien Henning von Arnim Schlagenthil, veuf qui
nourrit une vive passion en Italie pour l’Anglaise qu’elle était, connut
cependant une triste et mélancolique déconvenue conjugale lors de leur
installation en Allemagne. Bien qu’aimant cet époux qu’elle désignera
comme « l’Homme de Colère », elle se retrouva, en effet, fort seule à
Berlin parmi ses domestiques de langue allemande et ses multiples
grossesses donnant naissant à trois filles, sans l’héritier souhaité qui
ne naîtra qu’en 1902. Après cinq longues années, elle songea à s’occuper
du jardin de leur vaste domaine délaissé de Nassenheide, en Poméranie
(Pologne). « Elisabeth et son jardin allemand » se révèle donc être plus
biographique qu’il ne veut à premier abord le laisser paraître. « En y
repensant, il me paraît à peine croyable, et à vrai dire tout à fait
incompréhensible, d’avoir tant tardé à découvrir que mon royaume céleste
se trouvait dans cet endroit perdu. », écrit-elle.
L’ouvrage rencontra dès sa parution un immense et immédiat succès. Il fut
réédité maintes et maintes fois, traversant les frontières. Détail quelque
peu cocasse, ce sera l’éditeur anglais « Virago Press » qui en 1973
donnera à l’auteur le nom sous lequel elle est de nos jours connue
internationalement, « Elizabeth von Arnim ».
« Elizabeth et son jardin allemand » par son origine autobiographique,
véritablement et émotionnellement vécue, s’avère être un roman empli de
sensibilité, de poésie et de passion à l’image d’un british « cottage
garden » laissé à la liberté des saisons, du vent et du temps. Ce que
souhaita justement Elizabeth pour son jardin en réaction aux jardins
classiques anglais aux plates-bandes victoriennes jusqu’alors trop figées.
Mêlant ainsi fleurs sauvages et vie mondaine, rosiers grimpants et
confidences, Elizabeth ouvre à ses lecteurs un monde enchanté et
enchanteur en réponse à une impitoyable réalité. Non dénué d’humour
(anglais), Elizabeth s’impose en ces pages non seulement en jardinière
hors pair, en femme convaincue et combattante, mais surtout en un esprit
libre et en un merveilleux écrivain. Un écrivain entraînant son lecteur
dans un autre et fabuleux univers, celui fait de feuilles et de couleurs,
de vert, de jaune et de rêves qu’elle sut avec passion créer… « Je veux
créer une bordure entièrement jaune, où seraient représentées toutes les
nuances de cette belle couleur, de l’orange le plus flamboyant jusqu’au
blanc cassé, et seuls les jardiniers débutants comprendront les lectures
infinies auxquelles je dois procéder. Il y a des semaines que j’y
travaille, et rien n’est encore arrêté. Je veux en faire un feu d’artifice
ininterrompu, de mai jusqu’aux gelées d’hiver (…) ». Elizabeth von Arnim
écrira et publiera de nombreux autres romans à succès jusqu’à sa
disparition en 1941 en Caroline du Sud.
Cette dernière publication « Elizabeth et son jardin allemand » vient
après trois autres titres (« L’Été solitaire », « En caravane », « Le
jardin d’enfance ») confirmer l’heureuse initiative des éditions Bartillat
de faire redécouvrir en langue française les œuvres d’Elisabeth von Arnim.
L.B.K.
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Blaise Cendrars : « J’ai tué »,
Editions Zoé, 2024.
À l’heure des bruits de bottes parcourant la planète, il faudra
redécouvrir aux éditions Zoé ces deux courts textes écrits par le poète et
romancier Blaise Cendrars, à partir de son expérience personnelle du
premier conflit mondial. Celui qui allait devenir l’un des grands
écrivains de langue française du XXe s. n’était encore qu’un jeune homme,
né en Suisse, embrassant la cause française en s’engageant volontaire dans
cette guerre qui allait submerger toutes les valeurs jusqu’alors établies.
Les premières lignes écrites à l’encre de sang décrivent un chaos
généralisé dans lequel même la nature semble dépassée par le déchaînement
de violence. Puis vient le temps redouté de l’attaque, rien n’est
prévisible sinon l’inéluctable. L’absurdité de la guerre se déploie par
l’intensité de l’écriture incandescente de Cendrars, bien plus encore que
ne saura le faire par la suite le 7e art.
Nous accompagnons le narrateur en constatant avec lui le paradoxe aberrant
des moyens gigantesques mis en œuvre lors de ce conflit pour finir par un
combat au corps à corps à la baïonnette dans une tranchée…
Dans le second texte « J’ai saigné », Cendrars évoque avec un réalisme cru
les horreurs de la guerre où il perdit son bras droit. Le poète blessé au
cœur de sa chair réalise « que ma vie m’échappait, s’en allant goutte à
goutte, sans que je ne puisse rien pour la retenir… » Ce texte d’une
densité émotionnelle incroyable déploie l’éventail terrifiant de la
douleur lors de son arrivée à l’hôpital de Châlons-sur-Marne en plein
chaos. Paradoxalement, la peur s’immisce chez le narrateur alors même
qu’il est laissé à son arrivée, nu et seul, sur un brancard dans le hall
de ce lieu baigné d’un silence impensable. Suivront par la suite, des
pages inoubliables sur l’humanité poignante d’une infirmière contrastant
avec la détresse et le désespoir de ces épaves échouées de l’absurdité.
Un petit ouvrage à découvrir de toute urgence aux éditions Zoé avec une
préface éclairante de Christine Le Quellec Cottier.
Philippe-Emmanuel Krautter
Anne Rothschild : « Conversations
avec mes arbres » ; Préface de Marc-Alain Ouaknin ; Coll. « La culture
sauvera le monde », 256 p., Editions Le Passeur, 2024.
« Conversations avec mes arbres » est un délicieux ouvrage signé Anne
Rothschild. L’auteur, également graveuse, peintre et sculptrice, y déploie
tel un pin parasol séculaire, jour après jour, sous forme d’un journal, sa
relation privilégiée avec son jardin et ses arbres. Pronoms possessifs,
parce qu’Anne Rothschild entretient effectivement avec la nature qui
l’entoure une profonde et sincère relation intime. C’est aux arbres
qu’elle a pour la plupart plantés qu’elle confie, plus encore qu’aux pages
de ce journal, son cœur, ses joies et tristesses. Égrenant, se souvenant,
peignant de mots pour son lecteur ou elle-même, telles des pétales d’amour
lancées au vent : arbres de hauts jets, les cyprès, micocouliers,
arbrisseaux, arbres à fruits ou exotiques habitant son jardin et que
l’auteur a le plus souvent rapportés de ses voyages…
Le lecteur partagera avec elle plongé dans cette nature luxuriante du sud
de la France bien des plaisirs ; plaisir de la poésie et de la
littérature, Seféris, poésie soufie, Homère ou Virgile, mais aussi plaisir
des références aux grands textes fondateurs des trois religions
monothéistes ; Directrice du service éducatif du Musée d’art et d’histoire
du Judaïsme à Paris, pendant de longues années, Anne Rothschid n’a eu de
cesse de prôner le partage avec l’autre et la paix. Plaisir enfin des sens
: Comment en effet résister à ce soleil et vent du Languedoc ? À cette
pluie d’orage laissant s’épanouir tout le parfum de la terre chaude et
humide ? Comment ne pas savourer ces parfums emplis de sucs et de vie du
sud de la France, ces parfums de figues gorgées de soleil et dont Anne
Rothschild nous transmet en ces pages toutes la poésie, la vie et les
saveurs ; figuiers, vignes, fruits murs des étés, oiseaux et chats, ses
chats enchantent les terrasses et allées de ce jardin…
Le lecteur appréciera également toute la richesse et poésie de la préface
qu’offre à cet ouvrage, à son amie Anne Rothschild, le rabbin Marc-Alain
Ouaknin tel un prélude à la sensibilité et délicatesse du texte.
Pier Paolo Pasolini : « La Divine
Mimesis » ; Traduction de Danièle Sallenave ; Préface de Walter Siti,
Éditions Bartillat, 2024.
Pier Paolo Pasolini a habitué tout au long de sa vie son
public à se décentrer pour ouvrir à un autre regard. Qu’il s’agisse de sa
poésie, de son cinéma ou encore de sa prose, cet inlassable questionneur
du monde bouleverse les cadres pour une remise en question perpétuelle de
nos certitudes. La Divine Mimesis est un bel exemple de cette exigence que
le poète italien imposa non seulement à ses contemporains mais aussi et
avant tout à lui-même. Ce court texte calqué sur le schéma de la Divine
Comédie de Dante fut écrit entre 1963 et 1967 (pour n’être publié qu’en
1975 après sa mort). Au fait de la gloire de l’intellectuel, ce texte
souligne la rupture entre les années 1950 et les années 1960 le conduisant
à passer de la littérature au cinéma, avec comme arrière-plan son intérêt
croissant pour le Tiers Monde où il espérait trouver encore cette culture
et nature originelle vierge de toute contamination occidentale.
Plaquant l’acuité de son regard sur les conséquences prévisibles et déjà
constatables de la société capitaliste et de consommation, Pasolini invite
dans ce texte son lecteur à emprunter le cheminement dantesque, non point
en compagnie de Virgile mais… de lui-même en un dédoublement d’une
redoutable conscience sans ménagement. Comment s’engager ? Comment
échapper au broyage entrepris par cette société qui conduit insidieusement
à l’absence de reliefs, à cette petite bourgeoisie exclusivement mue par
cette soif intarissable de posséder ? Nous retrouvons ainsi deux Pasolini,
celui des années 1950, et celui en crise à l’âge de la quarantaine,
conscient que les trésors qu’il chérissait de la poésie et de la
littérature ne seraient pas suffisants pour apporter des réponses à ses
interrogations.
S’éloignant du Parti communiste italien, il aspire à trouver la lumière
grâce à d’autres médias, le cinéma notamment, dont il saura tirer des
leçons d’une grande force même si, plus tard, il en connaîtra également
les limites (Trilogie de la vie) avant d’entamer son roman initiatique
inachevé Pétrole…
Philippe-Emmanuel Krautter
Piero CALAMANDREI : « Rencontre
avec Piero della Francesca » ; Postface de Carlo Ossola, Collection «
Versions françaises », Éditions Rue D’Ulm, 2023.
C’est bien d’une rencontre avec Piero della Francesca et
non d’une étude académique dont il s’agit dans cet opuscule paru aux
éditions Rue d’Ulm et signé Piero Calamandrei. L’auteur, grand juriste
italien, mais aussi esthète de l’art, livre en effet dans ce récit
émouvant les relations intimes qui l’unissent à la grande œuvre de Piero
della Francesca – la Madonna del Parto - conservée dans le petit village
de Monterchi entre Toscane et Ombrie. À travers ce témoignage très
personnel né d’une rencontre fugace au cours d’une excursion en 1938,
Calamandrei développe le réseau de liens inextricables tissés entre
l’œuvre d’art, symbole à la fois d’un art universel et local, et la
population. Quelques années plus tard, la tempête de la Seconde Guerre
mondiale ravagera bien des lieux en Italie et dans le reste de l’Europe,
ravages dont sortira miraculeusement indemne la fragile fresque gravée
dans le cœur de chaque habitant de Monterchi voyant dans la Vierge à la
fois leur protectrice et leur mère. Car, en observant avec les yeux de
Calamandrei, nous découvrons sur les reproductions insérées dans ce livre
soigné combien la Vierge représente la maternité, cette maternité
universelle qui glorifie le divin par une incarnation unique dans
l’histoire de l’humanité. Marie, mère de Dieu, un mystère dans lequel les
plus grands artistes ont plongé leur pinceau ainsi qu’il ressort de ce
chef-d’œuvre aujourd’hui bien connu. Cette méditation intime et touchante
rassérène à l’heure du relativisme ambiant, une méditation qui comme le
souligne Carlo Ossola dans sa aussi belle que riche postface « va au-delà
du tableau de Piero della Francesca et embrasse toute la condition humaine
»…
Philippe-Emmanuel Krautter
Herman Melville : « Poésies » ;
préface et notes de Thierry Gillybœuf ; Traduit de l'anglais (États-Unis)
par Thierry Gillyboeuf ; Relié, 17 x 23 cm, 592 p., Editions Unes, 2022.
Qui ne connaît Moby-Dick et le fameux capitaine Achab rongé par la
vengeance ou encore Bartleby et sa célèbre sentence « I would prefer not
to » ? Ces œuvres qui ont fait la réputation de l’écrivain américain
Herman Melville (1819-1891), même si leur célébrité fut posthume, ne
doivent pas faire oublier un autre pan plus méconnu de la créativité de
cet esprit ouvert à l’aventure que fut la poésie. Cette dernière occupa en
effet ses temps libres parallèlement à ses fonctions plus que modestes
d’inspecteur des douanes qui ne l’enchantaient guère… Ce vaste champ
poétique n’est, cependant, guère parcouru en dehors des spécialistes et
amateurs de l’écrivain, aussi faut-il saluer l’initiative et la qualité du
travail de traduction réalisés par Thierry Gillyboeuf avec ce fort volume
dénommé simplement « Poésies » et paru aux éditions Unes. Cette
publication soignée propose l’intégralité de la poésie d’Herman Melville
et s’ouvre avec l’impressionnant « Tableaux et aspects de la guerre »
restituant le souffle épique de la guerre de Sécession. Fervent unioniste,
Melville - ainsi qu’il le souligna lui-même, n’a pas cherché à faire œuvre
historique mais à « poser une lyre à la fenêtre et de noter les airs
contrastés que les vents capricieux ont joués sur ses cordes ». Le
traducteur Thierry Gillyboeuf rappelle la dimension homérique transposée
de l’autre côté de l’Atlantique pour cette œuvre à la fois puissante,
émouvante et d’une rare sensibilité. Dépassant de loin les plus belles
réalisations du 7ième art sur ce sujet – on pense notamment au fameux film
de John Ford « Les Cavaliers » en 1959 - « Tableaux et aspects de la
guerre » ne se limite pas à restituer l’aventure « fleur au fusil » de
cette guerre fratricide mais entre au cœur même des passions humaines
comme le fit des millénaires auparavant le rédacteur (ou les rédacteurs)
de l’Iliade.
Après la terre, c’est autour de la mer de retenir l’inspiration poétique
de Melville avec John Marr et autres marins avec quelques marines (1888),
une épitaphe inspirée de celui qui arpenta les mers du globe. Herbes
folles et sauvageons avec une rose ou deux constituera en quelque sorte le
testament de l’écrivain poète, des poèmes d’amour plus introspectifs
dédiés à Lizzie son épouse et soutien indéfectible qu’il réservait à un
nombre limité de connaisseurs. Cette parenthèse à la noirceur de l’âme
humaine qui occupa tant sa création surprend tout autant qu’elle rassérène
le lecteur ému de telles confessions, celles émouvantes du trèfle par
exemple, à milles lieux des cauchemardesques cachalots et jambe de bois…
Il faut découvrir cette poésie restituée avec enchantement et profondeur
par Thierry Gillyboeuf, une redécouverte essentielle sur une part méconnue
d’Hermann Melville.
Philippe-Emmanuel Krautter
Constantin Cavafis : « Poèmes anciens ou
retrouvés » ; Édition bilingue ; Traduit par Gilles Ortlieb et Pierre
Leyris, Coll. « Poésie Seghers », Editions Seghers, 2023.
Constantin Cavafis, une voix inimitable de la diaspora
grecque, fait l’objet d’une nouvelle édition bilingue dans une traduction
inspirée de Gilles Ortlieb et Pierre Leyris. Poète né à Alexandrie en 1863
de parents grecs, Constantin Cavafis n’aura de cesse d’associer ce legs
hellénique avec celui de la ville dans lequel il résida quasiment toute sa
vie. Après quelques années de jeunesse passée en Angleterre dont le poète
garda l’accent dans sa langue maternelle, Cavafis conciliera en effet
d’antiques réminiscences et désirs des sens en d’intimes évocations,
toutes plus passionnelles les unes que les autres. Pudique et sensuel,
discret et pourtant ouvert à l’altérité, Cavafis embrassa la poésie avec
respect, une attitude qui le porta à réviser toute sa vie ses poèmes et à
en écarter radicalement un grand nombre, fort heureusement pour beaucoup
préservés de la destruction. Les « Poèmes anciens ou retrouvés » publiés
aux éditions Seghers offrent un tableau complet de cet « historien poète »
ainsi qu’il se plaisait à se nommer. Ces pages à l’écriture sensible
traduisent un esprit captant tout autant l’air du désert proche que les
murmures de l’antique parvenus jusqu’à sa plume. Une épigraphe abandonnée
sur une tombe est l’occasion de redonner vie au passé en de vertigineuses
présences alors qu’un miroir placé dans l’entrée d’une riche maison
conservera pour toujours le souvenir ému de la beauté d’un jeune garçon.
La poésie de Cavafis brille discrètement de ses feux comme un saphir à la
tombée de la nuit. Ses scintillements se font rêveries et ses songes plus
vivants encore que les âmes défuntes qu’il évoque délicatement. Les
barrières du temps s’estompent alors que les sens s’exacerbent en une
multitude d’émerveillements. La lecture de ces Poèmes ne pourra laisser
indifférent grâce notamment au remarquable et toujours délicat travail de
traduction de Gilles Ortlieb et Pierre Leyris qu’il faut, ici, saluer.
Philippe-Emmanuel Krautter
Italo Svevo : « Ma paresse » traduit de
l’italien par Thierry Gillyboeuf, Allia Editions, 2024.
Voici un petit texte peu connu en France et qui pourrait
offrir une belle porte d’entrée à la découverte de l’un des plus grands
écrivains de l’Italie du XXe siècle : Italo Svevo, né à Trieste en 1861,
de son vrai nom Aron Hector Schmitz, qu’il ne goûtait guère. L’écrivain
triestin lui préféra en effet ce nom de plume signifiant littéralement «
Italien Souabe » en raison des racines familiales de ces deux aires
géographiques. Au carrefour de ces cultures, allemandes et italiennes, et
des disciplines qu’il affectionnait (littérature, philosophie avec
Schopenhauer, psychanalyse avec Freud par le truchement de Weiss), Svevo
ne connut guère de succès avec ses premiers écrits, la critique l’ignorant
superbement. Il faudra, en effet, la providentielle rencontre avec James
Joyce à Trieste même (qui devint, par le plus beau des hasards, son
professeur d’anglais particulier), pour que son talent se révèle aux yeux
de l’écrivain irlandais et que ce dernier l’encourage à persévérer dans la
voie.
C’est avec « La Conscience de Zeno » paru en 1923 que l’écrivain connaîtra
la consécration pour ses qualités littéraires, qualités qui pointent déjà
dans « Ma paresse », ce texte d’une soixantaine de pages paru aux éditions
Allia dans une traduction de Thierry Gillyboeuf. À partir du
quasi-monologue du narrateur, un vieil homme au terme de sa vie, « Ma
paresse » offre une véritable introspection sur les tourments du
personnage, notamment ceux liés à son âge, sa santé et virilité… A la
manière d’un laborantin observant l’objet de sa recherche au microscope,
Svevo met en œuvre une rare acuité dans l’analyse du narrateur et de son
entourage, une analyse qui n’écarte rien des sentiments en une modernité
seulement égalée par ses contemporains Proust et Joyce. Ce sens aiguisé de
l’observation, cette autodérision et regard sans concessions sur la
société dans laquelle il évolue étonne, surprend et séduit.
Malheureusement, Svevo devait terminer son trop bref parcours dans la
littérature en 1928 après un fatal accident de voiture.
Philippe-Emmanuel Krautter
Robert de Montesquiou : « DU SNOBISME »
; Préface Le Grand-Paon à l’Œil rose par Gérald Duchemin ; Deux
illustrations par Sarah Elie Fréhel ; Format 12×16 cm, 288 pages, Editions
Le Chat Rouge, 2022.
De Robert de Montesquiou n’est souvent resté que
des caricatures qui, si elles s’avèrent signées par les plus grands noms
de la littérature – Proust, Huysmans, Lorrain, de Régnier, etc., n’en
demeurent pas moins la plupart du temps bien réductrices eu égard à ce que
fut l’écrivain-poète-esthète. Il faut reconnaître que l’homme n’était
guère facile, son caractère le portant à se faire autant d’ennemis que
d’admirateurs, ces derniers étant pourtant nombreux… Robert de Montesquiou
qui revendiquait une prestigieuse ascendance, incluant le fameux
D’Artagnan, était aussi exigeant qu’intransigeant sur les arts, les
lettres et la poésie qu’il chérissait tant. « Souverain des choses
transitoires » tel fut l’un des qualificatifs qu’il s’attribua dans son
fameux recueil de poésie « Les chauves-souris ».
Régnant sur le Tout-Paris de la fin du XIXe s. au début du siècle suivant,
cette âme éprise du beau eut à cœur de lancer nombre de poètes et
d’artistes en un mécénat plus que généreux tel fut notamment le cas pour
le peintre Gustave Moreau ou encore le jeune Marcel Proust qui n’hésita
pas, pourtant et en remerciement, à singer par la suite son généreux
protecteur…
Les éditions Le Chat Rouge ont fort heureusement entendu réparer cette
injuste omission de l’histoire et offrir un portrait à la fois complet et
varié de ce personnage grâce à une introduction enlevée de Gérald Duchemin
et une sélection des aphorismes que chérissait Montesquiou. Cet esprit
curieux de tout rédigea également un grand nombre de notices dont
certaines d’entre elles ont été également réunies pour ce recueil
décidément passionnant : Gustave Moreau, Aubrey Beardsley, Sarah
Bernhardt, Lalique et Gallé, William Blake… Nombreuses seront les facettes
de l’esthète et poète qui seront révélées par cet ouvrage unique en son
genre et dont la lecture permettra de se faire une idée plus juste de
celui qui avouait en son temps :
« Ce que j’ai nommé le bon Snobisme, celui qui consiste à se sentir
amplifié par la fréquentation des êtres de valeur mentale ou morale, c’est
de celui-là qu’on peut dire qu’il faudrait être bien sot pour ne pas le
ressentir et le pratiquer »…
Philippe-Emmanuel Krautter
Odysseas Elytis : "À l'ouest de la
tristesse" précédé de "Les Élégies d'Oxopétra", édition bilingue, traduit
du grec, présenté et commenté par Laetitia Reibaud ; broché 120 p. , 15 x
21 cm, Éditions Unes, 2022.
C’est à un poète encore trop méconnu en France qu’est
consacrée cette belle parution aux Éditions Unes, une édition soignée et
élégante de deux recueils d’Odysseas Elytis, prix Nobel de littérature en
1979. Les deux recueils, « A l’ouest de la tristesse » et « Les Élégies d’Oxopétra
», font en effet l’objet d’une traduction sensible et délicate par
Laetitia Reibaud qui signe par ailleurs une belle introduction en guise de
préface sur le poète grec. Elytis n’est pas un poète facile à lire,
privilégiant l’expérience de la lumière diffractée en une poésie à la fois
solaire et toujours en quête d’éblouissements, même lors des
questionnements les plus ultimes. « A l’ouest de la tristesse » paraît un
avant la mort du poète et il sera difficile de ne pas y lire quelques
testaments jetés ici ou là après une longue vie de poésie. La puissance
tellurique du poète demeure identique en une vitalité qui ne cesse
d’étonner, parvenu à un âge aussi avancé et dépassant les affres des
années de vieillesse. Elytis discerne encore les rivages de Troie tout
autant que ce bleu Ioulita, synonyme d’amours éternelles… Aussi le
poète nous tend un relais toujours aussi vaillant, « la Poésie seule est
ce qui demeure », ces pages inspirées en témoignent, à nous de les saisir.
« Pourtant ce n’est pas toujours en rêve que tous nous cherchons
D’une génération à l’autre cet ambre
Qui adoucissait les liens des hommes
La matière grise inconnue qui savait
Formuler des lois diaphanes ; pour que l’un, tête nue, fixe des yeux
Les vallées de l’autre en lui-même, soit de nuages
Voilées soit au soleil exposées »
Michel Orcel : "LEOPARDI (poésie,
pensée, psyché)", Editions Arcades Ambo, 2023.
Le nom de Michel Orcel est indéniablement associé au poète italien Giacomo
Leopardi (1798-1837), poète plus connu, il est vrai, dans son pays natal
que de ce côté-ci des Alpes. C’est pour réparer cette injustice littéraire
que l’auteur de ces études rassemblées aujourd’hui sous le titre «
Leopardi – Poésie, pensée, psyché » aux éditions Arcades Ambo, n’a eu de
cesse de rappeler et d’analyser les multiples facettes de l’auteur des
Canti dont il livre en ces pages une vision à la fois inspirée et
poétique.
Ayant arpenté l’œuvre de Leopardi, des années durant en tant que
traducteur mais aussi au titre de poète, Michel Orcel nous convie à cette
intimité de la poésie léopardienne ainsi que le relevait Jean Starobinski
: « Et, si techniquement rigoureuses que soient ces études, elles nous
retiendront pour une autre raison encore : nous les lirons comme un
fragment du journal intellectuel (du Zibaldone) d’un poète de notre temps
». L’ouvrage exigeant nous invite, en effet, à nous mettre à l’écoute
par exemple de ce poème l’Infini dont il déchiffre pour nous l’incroyable
composition où toute souffrance – thème récurrent chez le poète – semble
être absente. Cet « ailleurs de la parole », cette voix de l’intériorité
pure, converge vers la poésie en des sommets époustouflants où pensée
lyrique et poésie tissent des dialogues intimes ainsi qu’il ressort de ces
riches études que nous livre aujourd’hui Michel Orcel.
À noter la parution aux mêmes éditions, des esquisses autobiographiques
du jeune Leopardi, « Là sont rassemblés mes souvenirs ».
Philippe-Emmanuel Krautter
Pier Paolo Pasolini : « Dialogues en
public » ; Traduction de François Dupuigrenet Desroussiles avec une
préface de Florent Lahache, Collection « penser-situer », Editions Corti,
2023.
Nous connaissions Pasolini poète, cinéaste, critique, romancier… mais une
autre facette se dévoile avec cette parution « Dialogues en public »,
celle d’un intellectuel de haut vol se prêtant à une correspondance
publique « en direct » dans l’hebdomadaire communiste Vie Nuove entre 1960
et 1965. Sans fards et avec une rare liberté de parole, l’homme de lettres
correspond spontanément avec des mineurs, de jeunes adolescents, des mères
de famille, des catholiques. Cette liberté de ton étonnera autant qu’elle
séduira… Car Pasolini en ces pages ne cède ni à la facilité et encore
moins à la démagogie. A ses correspondants qui lui reprochent parfois un
vocabulaire trop savant et des idées difficiles à saisir, l’intellectuel
répond sans hésiter qu’il leur faut faire un effort, que la condition
ouvrière ne saurait à elle seule justifier de les maintenir à un niveau
élémentaire. Ces lettres qu’il reçoit parvenues de l’Italie entière – à
l’image de ce Tour d’Italie que le cinéaste réalisa pour son enquête sur
la sexualité des Italiens – dressent un portrait vivant des années 60 par
le biais des interrogations des lecteurs du journal communiste.
Et si certains clichés du marxisme de l’époque peuvent, certes, ressortir,
ces échanges révèlent autant la personnalité des correspondants que celle
du prestigieux épistolier qui leur répond. Véritable mosaïque de la pensée
des années 60 vue par un intellectuel engagé, « Dialogues en public » ne
pourra que ravir les amateurs de l’écrivain-cinéaste et de l’Italie de
cette époque.
Joris-Karl Huysmans : « À Rebours
», édition de Pierre Jourde, Folio, Gallimard, 2022.
Avec « À Rebours », J.-K. Huysmans sonne en quelque sorte le glas du
naturalisme de Zola et ses proches porté jusqu’alors aux nues. Ce dernier
lui fit d’ailleurs cet amical reproche lors de la publication de l’ouvrage
en lui faisant remarquer, souligne Huysmans dans sa Préface écrite vingt
ans après le roman, qu’avec ce livre « je portais un coup terrible au
naturalisme, que je faisais dévier l’école… » ; Instillant, sans le savoir
exactement, les germes de ses futurs ouvrages dans chacun des chapitres,
Huysmans avec « À Rebours » pose de nouveaux jalons, rompant avec la
tradition, ce que certains de ses contemporains ne comprendront pas telle
la Revue des Deux Mondes qui compara « À Rebours » aux vaudevilles de
Waflard et Fulgence… Seul Barbey d’Aurevilly fut plus perspicace en louant
l’auteur et en reconnaissant : « Après un tel livre, il ne reste plus à
l’auteur qu’à choisir entre la bouche d’un pistolet ou les pieds de la
croix »…
« A Rebours » ouvre ainsi les fenêtres de la création littéraire pour un
auteur qui estimait étouffer dans son milieu et souhaitait secouer les
préjugés. Autant confesser que Huysmans réussit son pari, balayant
l’intrigue traditionnelle pour ouvrir autour du personnage central de son
héros, Des Esseintes, son roman à l’art, à la musique, la littérature, la
science, la théologie et bien d’autres domaines qui deviendront des
figures à part entière du roman…
Délaissant le naturalisme et ses intrigues traditionnelles et souvent
prévisibles, Huysmans plonge dans les arcanes de la névrose et de
l’esthétisme, des bas-fonds et des sublimes sommets incandescents à la
lumière d’un Baudelaire qu’il vénère et selon une poésie qui place
Mallarmé au panthéon des lettres. Écrit alors que l’auteur n’avait pas
encore opéré sa conversion au catholicisme, « A Rebours » anticipe
également sur un grand nombre d’ouvrages que le romancier écrira par la
suite et les dernières lignes de ce roman atypique font figure d’annonce
sans qu’aucune aile d’ange n’y soit pourtant présente : « Seigneur, prenez
pitié du chrétien qui doute, de l’incrédule qui voudrait croire, du forçat
de la vie qui s’embarque seul, dans la nuit, sous un firmament que
n’éclairent plus les consolants fanaux du vieil espoir ! ». Quels sont-ils
ces consolants fanaux ? Huysmans en une inspiration prémonitoire nous en
montre les faux éclats à partir d’une vertigineuse plongée dans les affres
de l’esthétisme, joyaux pourtant déterminants qui seront repris par la
suite pour la plus grande gloire du Dieu de l’auteur.
Philippe-Emmanuel Krautter
Pierre Voélin : « Quatre saisons,
plusieurs lunes – Les poèmes trop courts », 112 p., 12 x 18 cm, Éditions
Empreintes, 2022.
Combien de lunes ont-elles ciselé ces vers épris de nature comme certains
de liberté ? Le poète Pierre Voélin (lire
notre interview) n’est point ici en quête de bucolisme, ni de cette
forme de poésie japonaise nommée haïku, même si certains chemins
parfois peuvent converger avec ceux de l’auteur de « Quatre saisons,
plusieurs lunes » :
« Juillet sur les bords de l’étang,
la pluie s’avance penchée
mais droit – et digne
le héron solitaire ».
Le poète semble plutôt attiré, telle la phalène vers la flamme, par
l’union de la forme et de l’instant, une quête subreptice qui opère par
touches diaphanes, la clarté n’est jamais loin, même en pleine nuit :
« A chaque lune d’allumer l’incendie !
Une fois le feu lancé, vite,
aux humbles feuillages
de l’éteindre »
Cette saisie de l’instant se manifeste en ces infimes moments du quotidien
que le poète traque tel l’entomologiste aux détours des forêts et jardins,
aux aguets de ces manifestations éternelles du fugitif. Sa démarche tient
également du peintre qui parvient à immortaliser parfois l’impermanence,
quête délicate dans laquelle Pierre Voélin excelle sans affect. Tous les
sens sont à l’affût de ces infimes bribes qu’il réussit à cristalliser
dans ses vers placés sous l’égide de Villon, de La Fontaine, de Nerval ou
encore Jean Grosjean. Une poésie où parfois des nuages se profilent et
quelques angoisses pointent, noirceurs vite dissipées par cette poétique
approche des éléments sublimés par le verbe.
Philippe-Emmanuel Krautter
« Mario Vargas Llosa : « L’appel
de la tribu », Coll. Folio, Gallimard, 2022.
Dans cet ouvrage « L’appel de la tribu », réédité aujourd’hui en Folio,
Mario Vargas Llosa (tout récemment élu à l'Académie française) nous donne à lire le portrait de sept penseurs ou
intellectuels décisifs ayant marqué ses propres convictions libérales. Des
économistes, bien sûr, Adam Smith et Hayek sans oublier Karl Popper, mais
aussi des intellectuels notamment français – on songe à Raymond Aron ou
encore à l’académicien Jean-François Revel ; des penseurs ou philosophes
libéraux également dont Sir Isaiah Berlin ou quelque peu plus connu, et
pour un libéralisme plus culturel, José Ortega y Gasset. Le libéralisme,
la libre concurrence, la liberté des marchés, le seul système ou mode de
pensée (économique, philosophique, moral…) capable, pour l’auteur, de
garantir la liberté et la démocratie : « …ce qui nous a le mieux défendus
contre l’inextinguible « appel de la tribu. », souligne d’emblée dans sa
préface Vargas Llosa.
Un ouvrage roboratif qui, quelles que soient les convictions du lecteur,
laisse à penser, à réfléchir, car derrière le terme même de libéralisme,
se cachent bien des variations, nuances, précisions, paradoxes ou même
contradictions assumées ou non. Sans céder à la facilité, Mario Vargas
Llosa mêle à grands traits et avec un rare bonheur vie et œuvres de ces
grands penseurs formant son panthéon libéral ; des figures majeures
révélant non seulement l’évolution du libéralisme – du père du libéralisme
avec Smith au néo-libéralisme, mais aussi le propre parcours intellectuel
et politique de Vargas Llosa, ce grand écrivain péruvien, Prix Nobel de
littérature en 2010. « Le parcours qui m’a mené du marxisme et de
l’existentialisme sartrien de ma jeunesse au libéralisme de ma maturité… »
écrit encore en sa préface Mario Vargas Llosa.
Sans adopter un style hagiographique, mais sans renoncer pour autant à une
approche parfois subjective ou à des anecdotes cocasses, l’auteur souligne
les thèses, points forts et faiblesses de ces auteurs libéraux ayant
chacun marqué de leur plume leur siècle, du XVIIIe avec Smith jusqu’au
XXe-XXIe siècle pour Jean-François Revel. En contrepoint, des pages ou
critiques des systèmes totalitaires, qu’il s’agisse du nazisme, marxisme,
communisme ou encore des intellectuels de gauche ; Un « appel de la tribu
» qui, selon l’auteur, verra l’individu disparaître englouti dans la masse
; un appel ou des convictions depuis longtemps abandonnées par Mario
Vargas Llosa. Se glissent ainsi dans ces pages, notamment celles
consacrées à Raymond Aron, des lignes acerbes et sans appel à l’encontre
de J.-P. Sartre, celui qui « déjà aveugle, hissé sur un bidon, (…)
pérorait aux portes des usines de Billancourt ».
Quelles que soient les convictions du lecteur, cet ouvrage au style
impeccablement fluide - et dont on ne peut que saluer la traduction par
Albert Bensoussan et Daniel Lefort, se laisse dévoré ou du moins si
agréablement lire.
L.B.K.
« Sénèque - Tragédies complètes" ;
Édition et traduction du latin par Blandine Le Callet, traduction inédite,
Collection Folio classique (n° 7143), Gallimard, 2022.
Si l’on connaît bien Sénèque pour son fameux De
Brevitate Vitae (De la brièveté de la vie), les tragédies du grand
philosophe stoïcien restent, il faut l’avouer, plus méconnues. C’est cette
lacune que vient combler avec bonheur la réunion des « Tragédies complètes
» de Sénèque en Folio par Blandine Le Callet avec une traduction inédite
et un appareil critique complet.
Paradoxalement, ces tragédies jouissaient d’une grande notoriété à la
période de la Renaissance avant de perdre les faveurs du public aux
siècles suivants. Et pourtant, ainsi que le souligne Blandine Le Callet en
préface, « Les tragédies de Sénèque apparaissent, en effet, comme de
véritables manifestes politiques et philosophiques, nourris du stoïcisme
de leur auteur et de son expérience du pouvoir ». Peut-être est-ce
l’une des raisons pour lesquelles ces œuvres parfois subversives ont pu
être écartées à une époque où l’absolutisme voyait d’un mauvais œil toute
critique du pouvoir ? Sénèque connaissait, en effet, intimement les
arcanes du pouvoir et ses noirceurs, cette fameuse « tête hideuse de la
Gorgone » qu’évoquait le théoricien du droit Hans Kelsen. Le philosophe
était le précepteur du jeune Néron qui sut rapidement se départir de la
sagesse de son mentor pour devenir le monstre que l’on sait (même si cette
dérive se trouve quelque peu atténuée par les recherches de ces dernières
années). Témoin vivant des intrigues de cet empereur responsable de folies
(on lui prête le fameux incendie de Rome en 64 dont l’empereur aurait jeté
la responsabilité sur les chrétiens), Sénèque a matière pour composer des
tragédies nourries de ces horreurs, véritable anthologie des sombres
turpitudes dont l’homme peut se rendre coupable.
Bien évidemment, il ne faut pas voir dans ces pièces ayant pour nom «
Œdipe », « Hercule furieux » ou encore « Agamemnon », un goût complaisant
pour le morbide, mais bien une invitation à la réflexion sur la nature de
l’homme et ses dérèglements. Soulignons que la noirceur de ces tragédies
révèle cependant en contrepoint la lumière qui peut entourer celles et
ceux qui consacrent leur vie à la philosophie et aux préceptes stoïciens
d’une vie simple.
En cela, et pour bien d’autres raisons, cette édition des Tragédies
complètes de Sénèque constitue une belle invitation à la sagesse, toujours
d’actualité…
A noter le remarquable travail réalisé par Blandine Le Callet en fin
d’ouvrage avec un précieux et volumineux dictionnaire de la mythologie
plus qu’utile à la pleine compréhension de ces tragédies.
Philippe-Emmanuel Krautter
Raymond Queneau : « Ma vie en
chiffres » ; dessins de Claude Stassart-Springer ; Fata Morga éditions,
2022.
Avec ces quelque vingt-quatre pages consacrées à une digression sur la vie
en chiffres, Raymond Queneau se joue des conventions sociales plus que des
équations dans lesquelles il excellait. Cet amoureux de sciences et de
pataphysique se révélait « à l’étroit dans le sens commun » ainsi que le
résume très justement Pierre Bergounioux en avant-propos à ce petit livre
soigné et illustré par les virevoltants dessins de Claude
Stassart-Springer.
Queneau s’amuse et nous divertit sur notre quotidien souvent trop pesant,
une apesanteur que l’écrivain et cofondateur du groupe Olipo se faisait un
plaisir de cultiver dans ses digressions byzantines. S’évader du quotidien
par le truchement de ses bizarreries, tel pourrait être le credo de
Queneau dans ce court récit.
Lorsque le narrateur se risque à évoquer sa vie selon le filtre des
chiffres, tout paraît soudainement étrange alors qu’il ne s’agit pourtant
que de notre propre quotidien. Le nombre de secondes occupées par notre
travail, les grammes d’azote, de carbone et ses deux croissants
religieusement absorbés chaque jour (5 372 croissants au 29 mars 1957…),
tout prend ainsi un autre éclairage sous la plume de Queneau trempée dans
l’encre numérique. Le tourbillon des chiffres s’emballe, devient prétexte
à quelques rencontres amoureuses que ne renierait pas Cervantes, pour
finalement livrer une autobiographie « trafiquée », le qualificatif étant
faible, même si l’exercice s’avère être d’une redoutable efficacité.
A découvrir dans cette exquise édition de 112 grammes exactement, soit un
peu plus de deux croissants !
Philippe-Emmanuel Krautter
Marcel Proust : « Lettres à Horace
Finally » ; Edition établie par Thierry Laget ; Avant-propos de Jacques
Letertre ; Collection Blanche, Gallimard, 2022.
Horace Finaly compte parmi ces grands banquiers d’affaires de
l’entre-deux-guerres ayant joué un rôle essentiel à la Banque de Paris et
des Pays-Bas. Curieusement, son nom tombé dans l’oubli resurgit
aujourd’hui par le truchement de son célèbre camarade de classe au Lycée
Condorcet, un certain Marcel Proust…
Devenu personnage de roman pour Giraudoux dans « Bella » et pour certains
identifié à Bloch dans la « Recherche », cet ami de toujours, disponible
alors que son agenda ne le permettait guère, aidera Proust dans les
problèmes rencontrés avec son encombrant compagnon de l’époque Henri
Rochat. Sollicitant les relations du banquier pour lui trouver un poste au
lointain Brésil, Finaly s’exécutera généreusement malgré les déconvenues
survenues par l’attitude de l’encombrant personnage, ainsi que le rappelle
Jacques Letertre en avant-propos.
Le présent recueil de cette correspondance inédite s’ouvre sur une lettre
datée de 1920, le reste de la correspondance de jeunesse étant
malheureusement perdue. L’auteur de la « Recherche » s’adresse à son «
cher ami d’autrefois et de toujours » en souvenir des années passées à
Condorcet. Proust au fil des lettres égrène ses chers souvenirs même si
les « espérances ne se réalisent pas », le passé n’étant jamais perdu pour
l’écrivain. La maladie de Proust, cloué maintenant la plupart du temps au
lit, est omniprésente, ce qui ne l’empêche pas pour autant de « caser »
son protégé loin de l’Hexagone grâce à l’influence et relations de son
vieil ami.
Pointent quelques traits d’humour « proustiques » ainsi qu’il se qualifie
lui-même. Rochat se trouve finalement envoyé en Amérique du Sud par Finaly,
au lieu de la Chine initialement prévue. Puis viendront les tendres et
touchants témoignages d’amitié lors du décès de l’épouse tant aimée
d’Horace en mai 1921, témoignages émaillés par les frasques de Rochat au
Brésil, sans oublier les multiples fièvres de la santé déclinante de
Marcel Proust au terme de sa vie. Durant ces derniers mois qui lui restent
à vivre, l’écrivain adressera en avril 1922 un dernier témoignage à son
ami de toujours sous la forme d’un envoi autographe sur la page de garde
du tome I de « Sodome et Gomorrhe » paru le même mois. Dans cette ultime
adresse, Marcel Proust, même s’il « n’aime pas mêler de la littérature à
un souvenir douloureux et vivant en moi » pense une dernière fois à son
fidèle ami sous le signe de l’amitié et du souvenir de sa défunte épouse.
Un vibrant et ultime témoignage un siècle exactement après la disparition
de l’écrivain.
Philippe-Emmanuel Krautter
« André Suarès – Vues sur
Baudelaire » ; Préface de Stéphane Barsacq, Coll. Portraits, Éditions des
Instants, 2022.
Comment ne pas saluer cet ouvrage « Vues sur Baudelaire » qui vient de
paraître aux éditions des Instants regroupant six textes, articles ou
préface, consacrés au poète maudit et signés de la main d’André Suarès ?!
Suarès, écrivain et poète assoiffé de liberté, vouera une admiration
indéfectible à Baudelaire ; il fera partie de son Parnasse avec Mallarmé
et Rimbaud, se disputant la première place avec Verlaine. Suarès sera,
surtout, l’un des premiers écrivains à consacrer au poète et à sa poésie
de véritables analyses ; études qu’il n’hésitera pas à renouveler sa vie
durant – le premier de ces textes paru dans « La Grande Revue » datant de
1911, le dernier de 1940. « Baudelaire est pour lui une figure tutélaire,
presque une obsession. » écrit André Guyaux dans « Le Baudelaire de Suarès
».
Mais, en ces écrits, Suarès n’entend nullement cependant livrer une
biographie ou une chronique nécrologique du poète disparu deux ans avant
sa naissance en 1868. Non, Suarès tourne et retourne autour de Baudelaire,
inaccessible et pourtant si fascinant, comme pour mieux entrer dans son
âme de poète maudit ou dans « ce pays de son génie » écrira Marcel Proust
dans « Contre Sainte-Beuve » ; c’est son « Cœur mis à nu » plus encore que
Suarès souhaite approcher, presque disséquer comme pour mieux en percer le
mystère. Baudelaire, « le plus nu et le plus vrai des poètes, en son temps
» écrira-t-il.
Et si bien des points de contact existent entre eux, Suarès se garde bien
pour autant de faire de mauvaises ou d’orgueilleuses projections ; non,
ici encore, il tourne, soulignant les multiples visages mais tenant ses
distances préférant rapprocher les plus grands astres entre eux : Keats et
Baudelaire, Baudelaire et Wagner. Baudelaire poète, mais aussi critique
d’art, puisqu’il « manifeste en tout cette nature noble et rare, faite
pour les plus hauts entretiens de l’intelligence, et pour les soucis de
l’art. » écrira encore André Suarès.
Convoquant Gracq, Bonnefoy, Pierre Jean Jouve et bien d’autres encore, ce
sont également quelques-uns de ces multiples portraits ou visages de
Baudelaire mais aussi d’André Suarès que Stéphane Barsacq a souhaité
livrer dans sa longue et riche préface. Le préfacier revient ainsi sur ces
incontournables thèmes que sont celui du double, Doppelgänger, si cher à
Dostoïevski, ou encore celui du masque renvoyant à Roger Caillois… mais
comment ne pas également songer à Jean Starobinski…
Dans ces jeux de miroirs, chaque grand écrivain, poète ou penseur ne
semble avoir échappé à cette fascination baudelairienne, à cette « Folie
Baudelaire » ainsi que l’a nommée Roberto Calasso et cet ouvrage
regroupant ces écrits d’André Suarès viennent avec une singulière
puissance en témoigner.
L.B.K.
A noter, également aux éditions des Instants, d’André Suarès : « Sur
Molière suivi de Clowns ».
Dexter Palmer : « Mary Toft ou La
reine des lapins », Éditions Quai Voltaire, 2022.
« Les lecteurs du présent ouvrage auront compris que j’ai traité mon sujet
avec la liberté du romancier : certains personnages incarnent des acteurs
de l’histoire vraie de Mary Toft et d’autres sont inventés… »
Nous voilà prévenus ! Un fameux mélange de réalité et d’imaginaire dans ce
conte réjouissant de Dexter Palmer nous projette dans un contexte
historique vrai, en plein 18e siècle, lorsque les cabinets de curiosités
médicales étaient un spectacle de foire où de pauvres personnes difformes,
naines, siamoises à deux têtes ou souffrant d’autres infirmités régalaient
l’imaginaire des populations des villes provinciales comme des capitales.
Londres in situ, lorsqu’un phénomène incroyable se produisit dans la
petite ville de Godalming et suscita toute l’attention de John Howard,
médecin et chirurgien de son état, ainsi que du jeune Zachary Walsh, le
fils du pasteur et apprenti médecin aux côtés du docteur Howard. Mary Toft
accouche dans d’atroces souffrances d’un lapin morcelé et démembré et
pleurant des larmes de sang d’après les dires de Joshua, son époux, venu
en catastrophe chercher le secours du bon docteur. À cette époque de
croyances et de légendes multiples, les interprétations pouvaient aller
bon train surtout lorsque « l’événement » ce reproduisit à intervalles
réguliers… « Peut-être allons aujourd’hui être témoins d’un prodige. » se
dit John Howard en préparant sa sacoche et embarquant avec lui son
apprenti. Là, Mary donna naissance à un premier lapin et le docteur aura
beau relire ses livres de médecine rien ne pourrait expliquer cette
anomalie de la nature. Le diable serait-il passé par là ? Nul ne saurait
le dire. Les prières ou incantations du pasteur n’eurent aucun effet et
laissent supposer que Mary si elle n’est pas possédée aurait peut-être un
don divin, supposition qui au fur et à mesure des nouvelles naissances de
morceaux de lapins dépassera les frontières de Godalming. Cette curiosité
arrive aux oreilles du Roi Georges qui demande alors expertises et
rapports à différents médecins londoniens dépêchés sur place, et qui
finirent sur ordre royal par faire venir à Londres cette curieuse femme
pour études et observations médicales approfondies. Si elle était déclarée
miraculeuse, qu’au moins cela se passe au plus près du Roi. Ainsi Mary,
son mari, John et Zachary partent pour Londres, après que les journalistes
du British Journal se soient mêlés du sujet en publiant quelques articles,
on pourrait alors dire que c’est ainsi que les ennuis commencèrent pour
John Howard mais également pour Mary Toft.
Dexter Palmer nous fait partager à la fois les recherches et explications
médicales des plus douteuses aux plus sérieuses ainsi que le pouvoir de
l’imagination populaire. Tout le monde veut avoir un avis sur cette
étrangeté, des avis qui baignent dans des croyances et des illusions qui
font la richesse de ceux qui exploitent la crédulité des plus naïfs. On
aimerait tant que ce soit vrai et en même temps, qui, sinon le diable
autoriserait cela ? Réalité, supercherie ou miracle ? « L’affaire Toft
agissait comme une sorte de turbine, attirant à elle vérités et mensonges
et les mélangeant tant et si bien que toutes choses étaient vraies et
aucune ne l’était. » Écrit comme une aventure et enquête étayée de la
véritable histoire de Mary Toft dont l’auteur nous conseille dans une
bibliographie très fournie, la lecture d’articles et de confessions de
Mary Toft alors qu’elle était retenue dans les geôles de la prison de
Bridewell, ce roman/conte raconte dans ce 18e siècle cette éternelle
histoire où les hommes de science, de religion et autres recherchent la
reconnaissance, la notoriété, et ce presque à n’importe quel prix. Et rien
n’interdit d’y trouver une forte résonance actuelle… « En quoi
importe-t-il qu’une assertion ne soit pas prouvée, s’il se trouve assez
d’individus pour croire en sa vérité ? » CQFD
Sylvie Génot Molinaro
Alain Dulot : « Tous tes amis sont
là », Editions La Table ronde, 2022.
« Je ne sais rien de gai comme un enterrement ! » Ainsi commence le
célèbre poème « L’enterrement » de Paul Verlaine.
« C’est alors que du silence jaillit une voix. Une voix de femme, une voix
qui porte, ardente et claire celle-là… Cri déchirant en ce qu’il déchire
le dernier silence, et pourtant cri d’exultation : six mots, six pauvres
mots surgis du fond d’un cœur et jetés au vent et à l’Histoire :- «
Regarde, tous tes amis sont là !... » crie Eugénie Krantz,
l’ex-courtisane, la pocharde de la rue Saint-Jacques, mégère de la rue
Descartes, harpie épiant sa rivale, la femme détruite par les alcools et
les années… ».
Eugénie, dernière compagne de Paul Verlaine, aujourd’hui au cimetière des
Batignolles. Oui, tous les amis de Verlaine, le « Prince des poètes »,
sont là, suivant le cortège mortuaire, ce vendredi 10 janvier 1896, à
travers Paris. Deux jours avant, le mercredi 8, Paul Verlaine surnommé «
le Villon des temps modernes » meurt chez lui au 39 rue Descartes, Paris
où il s’était installé quelques semaines plus tôt avec sa compagne,
Eugénie Krantz. Alain Dulot fait parler les hommes qui ont entouré
Verlaine de son vivant, qui l’on soutenu, aidé financièrement,
affectivement et admiraient son œuvre poétique si nouvelle, si moderne, si
dérangeante, si loin de l’académique… Oui, l’académie où comme Baudelaire,
il ne sera jamais admis, car les mœurs de ce poète n’ont jamais été du
goût des immortels. Qu’à cela ne tienne, l’hommage, le vrai se joue ici, à
travers les rues de Paris, où se masse une foule de gens, des curieux
comme tous ceux et celles qui savaient qui tu étais, toi à qui Victor Hugo
mort dix ans plutôt, écrivait après avoir lu les Poèmes saturniens : « Une
des joies de ma solitude, c’est, Monsieur de voir se lever en France, dans
ce grand dix-neuvième siècle, une jeune aube de vraie poésie. Toutes les
promesses de progrès sont tenues et l’art est plus rayonnant que jamais(…)
Certes, vous avez le souffle. Vous avez le vers large et l’esprit inspiré.
Salut à vos succès. »
L’auteur lui-même, Alain Dulot, se mêle à cette foule qui défile dans ces
rues parisiennes où se sont déroulés tant d’événements de la vie du poète,
sa mère, ses études, ses amours, ses souleries, ses amitiés, ses
publications, les critiques de certains, ses moments intimes ou publics
jusqu’à sa mise en abîmes, ses dérives, la maladie et la mort, celle qui
est si banale qui que l’on soit. L’auteur est aux côtés des amis fidèles,
comme François Coppée, Edmond, Lepelletier, Catulle Mendès, Robert de
Montesquiou, Mallarmé, Frédéric-Auguste Cazals, Albert Cornuty et tant
d’autres qui soutiennent Eugénie et Charles, seul Georges, son fils n’est
pas là… Les fantômes de Rimbaud et Baudelaire survolent la cérémonie, les
discours flottant dans les limbes verts de l’absinthe pour l’éternité.
« Vous êtes prié d’assister au convoi, service et enterrement de M. Paul
Verlaine, poète, décédé le 8 janvier 1896, muni des sacrements de
l’Église, en son domicile, rue Descartes, 39, à l’âge de 52 ans, qui se
feront le vendredi 10 courant, à dix heures très précises, en l’église
Saint-Etienne-du-Mont, sa paroisse. De profundis
On se réunira à la maison mortuaire.
De la part de M ; Georges Verlaine, son fils, de M. Charles de Sivry, son
beau-frère, de son éditeur, de ses amis et admirateurs.
L’inhumation aura lieu au cimetière des Batignolles. »
Ainsi commence ce roman touchant d’Alain Dulot, ainsi s’achève la vie de
Paul Verlaine.
Sylvie Génot Molinaro
John Ruskin : « Écrits naturels »
; Illustrations de John Ruskin ; Préface, traduction et notes de
Frédérique Campbell ; Livre broché, 12 x 18 cm, 224 pages, Éditions
Klincksieck, 2021.
Belle initiative des éditions Klincksieck et Frédérique Campbell que de
rendre disponible ces courts textes du grand poète et critique d’art
anglais John Ruskin (1819-1900). L’auteur, bien connu pour son célèbre «
Les Pierres de Venise », cultivait également un jardin secret avec
l’observation de la nature. La géologie, la botanique et la zoologie
avaient très tôt attiré la curiosité de cet esprit vif à l’analyse
pénétrante. Ces « Écrits naturels » regroupent justement quatre textes
accompagnés d’un appendice mettant en avant cet attrait fécond pour
l’Histoire naturelle. Celui dont le regard aiguisé sur les arts avait
attiré l’attention et l’admiration d’un Oscar Wilde et d’un Marcel Proust
s’intéressait également aux choses de la nature tels les Arachnés, le
rouge-gorge, le crave à bec rouge ou encore les ondes vivantes. Cette
étonnante diversité - dans l’esprit victorien tout en demeurant opposé au
darwinisme ambiant – force l’admiration non seulement pour le fond, mais
surtout la forme, tant le style de ces conférences s’avère ciselé de
manière cristalline, ce qu’a admirablement rendu Frédérique Campbell dans
sa traduction.
Nathaniel HAWTHORNE : “La Lettre
écarlate”, Coll. Totem roman, Éditions Gallmeister, 2021.
Nathaniel Hawthorne naquit en 1804, il publia « La lettre écarlate » en
1850. Il traversa le 19e siècle, avec tous ses événements politiques et
culturels, tout en publiant quelques livres. Celui-ci fut son
avant-dernier et le voici réédité aujourd’hui dans une nouvelle traduction
par François Happe.
Sur la place du marché de cette petite ville de Nouvelle- Angleterre, une
jeune femme Hester Prynne et sa toute jeune petite fille Pearl, font face
à la foule, huées, vilipendées, insultées, mises au banc de cette société
pieuse et puritaine à souhait dans les apparences sociales. Elle aurait
même pu être condamnée à une mort certaine pour son forfait, avoir mis au
monde, en prison, une enfant dont elle continue de taire qui fut le père
alors qu’elle était liée par le mariage avec un homme bien plus âgé
qu’elle et absent depuis son arrivée en Nouvelle-Angleterre. Mais
va-t-elle avouer ? Non, alors elle se retrouve affligée d’une lettre
brodée sur sa robe, une lettre rouge écarlate « Sur le corsage de sa robe,
apparut, en belle étoffe rouge, rehaussée d’une broderie délicatement
élaborée et d’extraordinaires arabesques en fil d’or, la lettre A », plus
brûlante que si elle avait été marquée au fer sur sa peau blanche et
douce, un A comme adultère qu’elle portera visible de toutes et de tous,
reconnaissable comme la pécheresse qui rappellera à tous le péché de
chair… Fantasme pour les uns et les autres, mais bien enfouis dans les
prières et les confessionnaux. Elle partira vivre dans une petite
maisonnette en bordure de forêt où elle éduquera se fille ange ou démon,
et où elle brodera pour les autres, de ses mains agiles de magnifiques
broderies de cérémonies. Elle portera sa lettre bien plus comme un bijou
que comme une marque d’infamie gardant longtemps son secret, celui du père
de son enfant, jusqu’ au jour où son vieux mari réapparut sous le nom de
Roger Chillingworth, médecin de son état. « Je te demande une chose, toi
qui fus ma femme, poursuivit le savant. Tu as gardé le secret de ton
amant. Garde le mien également ! Personne dans ce pays ne me connaît. Ne
souffle à âme qui vive que tu m’as jamais appelé ton mari ! » En jurant,
Hester ira-t-elle au-devant de sa perte, la vengeance de ce mari
sera-t-elle plus déterminée ?
À travers ce récit qui décrit la société de cette époque, le pouvoir de la
religion et les terreurs qu’elle pouvait engendre, l’histoire d’amour
impossible à découvrir, les conséquences de l’inconséquence des troubles
intérieurs de la nature humaine, les choix d’une vie de femme libre,
Nathaniel Hawthorne donne à lire un extraordinaire roman sur fond de
vérité mêlant croyances, mythe, réalité et machiavélisme qui porte l’envie
de vivre ou de mourir à son firmament. Se pourrait-il qu’il s’agisse juste
d’une légende ? Un ouvrage qui fut salué en son temps par Melville, Poe ou
encore James.
Sylvie Génot Molinaro
Paul Valéry : « Regards sur la mer »,
Éditions Fata Morgana, 2021.
Merveilleux opuscule paru aux éditions Fata Morgana offrant à la lecture
l’écrit « Regards sur la mer » de Paul Valéry. Dans une édition soignée et
joliment illustrée par Paul Valéry lui-même, le lecteur retrouvera en ces
pages toute la délicatesse et la poésie de l’auteur. Ce dernier face à la
mer déplie sa pensée suivant vents et marées. Des idées qui naissent de «
l’onde et de l’esprit ». La vie des ports, l’horizon, les brises et les
vents libèrent une poésie au gré non du regard mais des « Regards sur la
mer ». « Comment se détacher de tels regards ? » se demande le poète
poursuivant cette « rêverie à demi-savante ». Magie de la pensée lorsque
les mots rencontrent la houle, les vagues et l’infini… Un merveilleux
texte du poète sétois, publié en collaboration avec le musée Paul Valéry,
et dans lequel se déploie son amour de la mer, du sud et de la
Méditerranée.
« Paul Valéry –
L’homme et la coquille et autres textes », Folio Sagesse, Gallimard, 2021.
Un Folio Sagesse regroupant trois textes, Paul Valery (1871-1945) y
déploie - que ce soit sur les mythes, les rêves ou sur ce fameux
coquillage, toute la finesse et la poésie de sa pensée. Dans « Petite
lettre sur les mythes », lettre adressée à une amie et extraite de «
Variétés II » , l’auteur enchante par son recul et son humour sur cette
délicate question « Qu’est-ce qu’un mythe ?» « L’homme et la coquille »,
texte issu de « Variétés V » entraîne le lecteur dans un délicat
émerveillement, celui que n’a eu de cesse d’appréhender et de comprendre
Paul Valery, la nature et le fonctionnement de la pensée, notamment
lorsque cette dernière s’empare d’un coquillage… « (…) sous le regard
humain, ce petit corps calcaire creux et spiral appelle autour de soi
quantité de pensées, dont aucune ne s’achève… » souligne Paul Valéry.
Louise Labé : "Œuvres complètes"
Édition de Mireille Huchon, Bibliothèque de la Pléiade, n° 661, 736 pages,
ill., rel. Peau, 104 x 169 mm, Gallimard, 2021.
L’identité de la poétesse Louise Labé demeure quelque peu mystérieuse,
cette femme ayant vécu au XVIe siècle et se serait fait passer pour un
homme, militaire de surcroît, afin de suivre son amant au siège de
Perpignan… Mais son œuvre poétique demeure quant à elle plus certaine et
fait aujourd’hui l’objet d’une édition soignée par Mireille Huchon dans la
collection de La Pléiade. Personnage débordant de vitalité et de passions,
Louise Labé a su retranscrire ce goût pour la vie en des poèmes sensuels.
Qui n’a jamais entendu ces quelques vers encore osés à nos oreilles «
Baise m’encor, rebaise-moy et baise » ? Mais la poésie de Louise Labé
ne se résume pas à une truculence impertinente, tant s’en faut. Sa poésie
s’inscrit dans le contexte d’un cercle de lettrés de l’École lyonnaise
comptant des poètes connus tels Maurice Scève et Pernette du Guillet.
Ainsi que le souligne Mireille Huchon en introduction, Louise Labé se fait
écho des chants de Sappho, chants de désir ardent. Quelques digressions
féministes animent la dédicace alors que ses détracteurs eurent tôt fait
de déplorer sa trop grande liberté nuisant à sa réputation. Parallèlement
aux pièces poétiques qui établiront définitivement sa notoriété, ses
œuvres comprennent également des « Escriz de divers Poëtes » rendant
hommage à la poétesse. Le lecteur réalisera ainsi que ce personnage entre
histoire et légende fait l’objet de riches éclairages, tel un diadème
révélant des facettes différentes. Chaque siècle depuis leur redécouverte
au XIXe s. révélera chacune d’entre elles, signe de la complexité du
personnage et de son œuvre.
Le recueil de Louise Labé s’inscrit en une période faste de la fin de
règne de François Ier, protecteur des arts. Cette richesse se ressent à
chaque instant de ces poésies et autres textes dont il importe peu de
traquer la plume exacte. Il demeure en effet que cette poésie ne cherche
qu’à s’épanouir entre références antiques et humanistes. Incandescence et
pénombre alternent dans les Sonnets de Louise Labé ainsi que le révèlent
ces quelques vers :
« Tant que mes yeux pourront larmes espandre,
A l’heur passé avec toy regretter :
Et qu’aus sanglots et soupirs resister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre »
Florilège et portraits accompagnent cette poésie et prose d’avant-garde,
en éclairent la portée, portée d’un siècle ouvert aux novations, telles
celles apportées par la « Belle Cordière » et autres plumes.
Gianfranco Calligarich : « Le
dernier été en ville » ; Traduit de l’italien par Laura Brignon, NRF,
Éditions Gallimard, 2021.
« Le dernier été en ville » signé de Gianfranco Calligarich, écrivain et
scénariste italien, est un roman offrant une puissance d’attachement rare.
Un roman dans lequel on entre dès les premières pages et qui sait à
merveille tenir son lecteur jusqu’à la fin. L’auteur y développe un style
bien à lui, décontracté à l’image de son narrateur, mais non dénué pour
autant de profondeur, et surtout d’humour. Le récit se déroule dans les
années 1960, à Rome, dans cette Rome qui se désillusionne et voit les
années d’insouciance de la Dolce Vita s’éloigner…
Léo Gazzara, d’origine milanaise, vit tant bien que mal de piges dans
quelques journaux romains. Gianfranco Calligarich laisse glisser avec
beaucoup de talent son lecteur dans le désarroi et désœuvrement de son
narrateur. Des journées de déprime faites plutôt de nuits, de bars romains
et d’alcool. Tristesse, mélancolie, angoisses et douleurs hantent ses
jours, et entre intellectuels et cercles mondains, Léo tente de surnager
et de trouver désespérément un sens à sa vie désordonnée…
« Le dernier été en ville », premier roman de Calligarich, traduit
aujourd’hui en langue française par Laura Brignon, fut publié pour la
première fois en Italie en 1973. L’auteur nous promene dans les multiples
quartiers, rues et célèbres places de Rome, dessinant une ville
contrastée, ensommeillée ou brulante, écrasée sous des pluies orageuses ou
immobile… Rome, à la fois énigmatique et sous le sceau de la solitude de
Léo, mais demeurant le point d’ancrage de la dérive du narrateur et du
roman. La Ville Éternelle saura-t-elle pour autant sauver du naufrage Léo
Gazzara ? À moins que ce ne soit la belle mais tout aussi énigmatique,
imprévisible et évanescente Arianna ?
Mais, l’auteur sait qu’un récit n’est jamais aussi simple, que la marquise
sort toujours à cinq heures… Et si la fantasque Arianna bouleverse le
morne quotidien de Léo, c’est aussi pour mieux savoir en disparaître. «
Elle est belle, très cher, et les gens beaux sont toujours imprévisibles.
Ils savent que quoi qu’ils fassent ils seront pardonnés. », lui avait
pourtant dit Viola. Faudra-t-il renoncer pour autant à cet amour éperdu ?
Y survivra-t-il ?
Un récit où l’amour côtoie le vide existentiel, une lutte sans merci entre
désœuvrement et boutades exquises que livre un roman ayant, presque 50 ans
après, gardé toute sa plaisante et puissante force d’attraction.
L.B.K.
Jean d’Amérique : « Soleil à
coudre », Éditions Actes Sud, 2021.
Jean d’Amérique est poète. Son récit transpire cette forme de langage
jusque dans les facettes les plus sombres des hommes. Les personnages de
ce premier roman n’y échappent pas, tant de mots, tant de douleurs, tant
de violence… mais toujours à travers un chemin de poésie, entre romance et
fable moderne, de celle de la bouche qui dit et de l’oreille qui écoute. «
Tu seras seule dans la grande nuit. Ce n’est pas la première fois que
j’entends cette phrase. Elle démange mes veines. J’ai toujours cherché,
cherche encore, à saisir son sens. Papa me la répète souvent, ça coule
dans sa fureur contre moi comme le fil d’un destin tendu à ma gorge. »
C’est ce qui berce l’esprit de cette jeune fille, personnage principal,
que l’on nomme Tête Fêlée. Fleur d’Orange, sa mère, vend son corps pour
subvenir à leurs besoins, boit beaucoup aussi et un jour elle disparaît…
Que restera-t-il de cette mère ? Un fantôme ? Un rêve ? Un cauchemar ?
Va-t-elle avoir la même vie que sa mère ? L’école va-t-elle la sortir de
ce bidonville crasseux ? « Dans ma tête, je refais le cercle de ma vie,
imagine tous les trous où je pourrais m’effondrer pour dormir, me défaire
du monde pour quelques heures. Cela ne suffit pas… La nuit arrose mes
cauchemars jusqu‘au bout du matin.» C’est la violence du bidonville, des
gangs, des cracs qui font faire des actes terribles, et d’un chef, Ange de
Métal, qui n’en peut plus de se croire supérieur et qui entraîne dans sa
chute ceux qui l’admirent autant que ceux qui le craignent. Le père de
Tête Fêlée lui aussi en fait parti. Un jour il va commettre quelque chose
d’irréparable pour le cœur de Tête Fêlée. Un vol, une agression sur une
jeune fille qu’aime profondément Tête Fêlée et qu’elle nomme Lune. «
T’aimer est le plus court chemin vers la vie. J’avance. J’ai, chaud en
moi, le souvenir de chacun de nos regards, chacun de nos battements
communs, reste encore vif en moi, ce moment où l’on s’est frôlées la
semaine dernière, quand tu sortais de la classe au bras de ton père. Et ce
jour où tu t’es réfugiée sur ma poitrine… J’entends encore sonner les
cloches de ton cœur. J’en tremble… »
À quel moment alors tout ce qui fait planer s’écroule pour ne jamais être
de nouveau en suspension dans les airs ou échapper à une réalité trop
dure… Que tout chavire pour toujours…
Se laisser aller à se perdre soi-même dans ce texte et devenir comme Tête
Fêlée, essayer de s’échapper pour survivre, supporter, et puis vivre un
jour peut-être, ailleurs… Ivre de colère et d’amour, ivre de plusieurs
vies en une et chercher la meilleure pour continuer. « Fuir ce monde mal
parti, échapper à ces plaies qui marquent les interstices du rêve, être au
moins un cri dans l’abattoir : je ne périrai pas dans ce sanglant contrat
des hommes… Tu seras seule dans la grande nuit… »
Sylvie Génot Molinaro
« Une femme nommée Shizu » et « Le
fleuve sacré » de Shûsaku Endô ; Traduits du japonais par Minh
Nguyen-Mordvinoff ; Folio, Gallimard.
Voici deux titres qui réjouiront assurément les amateurs
avertis de littérature japonaise : « Une femme nommée Shizu » et « Le
fleuve sacré » de Shûsaku Endô (1923-1996), l’un des plus grands écrivains
japonais du XXe siècle.
« Une femme nommée Shizu » regroupe dix nouvelles, plus ou moins longues,
mais toutes révélant à leurs manières les grands thèmes de prédilection de
Shûsaku Endô. La honte, le remord et le péché ; la vieillesse et la mort ;
la persécution des chrétiens, prêtes occidentaux ou japonais convertis au
christianisme de la fin du XVIe siècle jusqu’à l’ère Meiji, un thème qui
sera au cœur de ses plus grandes œuvres dont certaines seront portées par
de nombreux réalisateurs au cinéma notamment « Silence » adapté par
Masahiro Shinoda et Martin Scorsese. (lire
notre chronique)
L’écrivain japonais n’a eu de cesse, en effet, de regarder, d’approfondir
et ciseler, telles les facettes d’un mystérieux diamant, le sens que
l’homme pouvait apporter à la douleur que celle-ci soit physique ou
psychique, à la foi, la conversion, le pardon, voire au reniement ou à
l’apostasie. Des sujets forts, ancrés dans la chair de l’homme qui
interpellent et questionnent le lecteur à chaque nouvelle… Shûsaku Endô
n’oublie pas non plus l’amour, mais souvent avec ce même absolu qui
l’obsède, tel l’amour de cette femme qui passera sa vie à attendre et à
rêver de l’homme qu’elle aime et qui donne avec beaucoup de justesse son
nom « Une femme nommée Shizu » à ce beau recueil.
Dans « Le fleuve sacré », paru en 1993, Shûsaku Endô change de décors et
de paysage pour l’Inde. Là, un groupe de touristes japonais accompagné de
leur guide vient découvrir l’Inde et le Gange. De voyage touristique, ce
dernier prendra vite les couleurs d’un voyage spirituel où chacun y
interrogera son passé et sa vie. La belle Mitsuko se souviendra de cet
étudiant, devenu depuis prêtre, qu’elle séduisit, jeune, à l’université et
que lâchement elle abandonna ; Kiguchi ne pourra, lui, chasser de ses
pensées ce qu’il dut, pour survivre, accepter de faire pendant la guerre
de Birmanie… Nous retrouvons en ces pages les grands thèmes majeurs de
l’auteur, les dilemmes posés par la vie, le remord et le péché, les
religions et croyances, la mort et l’amour, cette profondeur qui ont fait
toute la notoriété littéraire de Shûsaku Endô. Dans ce pays où le sacré
est partout, où la mort habite les rives du Gange, chacun pourra-t-il
retrouver la paix de l’esprit ? Isobe demeurera-t-il fidèle à la promesse
consentie à son épouse disparue de la rejoindre dans sa prochaine
réincarnation ?... Un grand roman japonais sur les rives du Gange, le
fleuve de la réincarnation.
L.B.K.
Rye Curtis : « Kingdomtide »,
Éditions Gallmeister, 2021.
« J’ai cessé de formuler le moindre jugement sur quiconque, homme ou
femme. Les gens sont ce qu’ils sont, et je ne crois pas qu’il y ait
grand-chose à dire sur la question. Il y a vingt ans, j’aurai pu avoir une
opinion différente, mais à l’époque, j’étais une Cloris Waldrip
différente. J’aurai pu continuer à être la même Cloris Waldrip, celle que
j’avais été pendant soixante-douze ans, si je n’étais pas tombée du ciel
dans cet avion le dimanche 31 août 1986 ? C’est stupéfiant de constater
qu’une femme peut approcher la fin de sa vie et découvrir qu’elle se
connaît à peine elle-même. »
Que s’est-il passé ce dimanche 31 août 1986 ? Juste le crash de ce petit
avion piloté par Terry qui devait emmener le couple Waldrip pour une virée
de quelques jours de vacances où ils n’arriveront jamais… C’est Cloris
Waldrip elle-même qui raconte son épopée, sa survie dans cet endroit si
peu accueillant pendant de longues semaines. Elle se rappelle de tout ou
pratiquement, du moment quand elle a appelé à l’aide avec la radio de
l’avion sans savoir si quelqu’un l’entendrait, les ressources incroyables
qu’elle a trouvées au plus profond d’elle jusqu’à sa sortie de cet enfer
paradis où elle y a rencontré un ange gardien ou un fils de Satan… Qui
sait ?
Il y a un ranger qui aurait vaguement entendu un appel et qui le fait
savoir au ranger Debra Lewis, aimant le merlot plus qu’il n’en faut, mais
qui résolue à la secourir car persuadée que cette Cloris a survécu à
l’accident, et elle y mettra beaucoup d’énergie et de temps, çà du temps
elle en a, mais il y a urgence…
Ce premier roman de Rye Curtis est aussi le récit de plusieurs personnages
qui se cherchent, se télescopent, se séparent ou cherchent à survivre à
leur vie en parallèle de cette vieille dame perdue dans cette montagne du
Montana qui elle aussi cherche à survivre et se découvre si différente de
ce que sa vie d’avant lui proposait d’être. Dépasser ses limites, remettre
en cause son statut de civilisé, devenir une bête sauvage, choisir ou pas
de revenir à la vie avec les cicatrices et blessures qu’auront laissées
ces semaines d’errance. « C’est singulier comme l’esprit humain
s’accroche. Un individu peut s’habituer à une situation, même si cette
situation a pu d’abord lui paraître intolérable. » Roman initiatique, «
Kingdomtide » est un récit parfois bizarre souvent drôle, tendre et
humain.
Sylvie Génot Molinaro
« Les Tortues » de Loys Masson ;
Préface d’Éric Dussert ; Coll. L’alambic, Éditions de L’Arbre vengeur,
2021.
Avec pour seul titre, comme une mortelle ou fatale carapace, « Les Tortues
», c’est un fascinant roman signé Loys Masson, poète et écrivain mauricien
disparu en 1969, que nous proposent aujourd’hui les éditions de « L’Arbre
vengeur ». Paru en 1956, largement salué par la critique, l’auteur relate
par la voix du narrateur l’histoire à la fois incroyable, captivante et
monstrueuse vécue « par l’un des derniers aventuriers que connut notre
monde ».
Une aventure dont se souvient le narrateur maintenant dans ses vanilliers
et qui a commencé lorsqu’il s’est embarqué, encore jeune, à bord de la
Rose de Mahé, un voilier faisant contrebande de tout… Et parce qu’il y eut
alors, plus tard, les Seychelles, parce qu’il y eut aussi cette foutue et
horrible épidémie de variole, parce qu’il fallait bien un alibi au
capitaine Eckardt pour mettre la main sur ce fabuleux trésor… Il est
aujourd’hui avec Bazire le seul survivant. Bazire avec ses deux longs
rictus de chaque côté de sa bouche sans lèvres. Mais, comment reparler
avec lui de cet obsessionnel cauchemar, de cette cargaison, de ces atroces
tortues géantes, cuirasses aux yeux maléfiques ?
Loys Masson, résistant, chrétien et communiste, rédacteur en chef un temps
aux Lettres françaises, adopte pour ce fascinant récit comme pour mieux
saisir et piéger son lecteur un style narratif crescendo, tel le rêve
prémonitoire que fit le narrateur adolescent. « Et soudain tout ce qui
m’entourait, par un détail ou un autre, empruntait une analogie à la
tortue – j’étais assiégé, pressé, enveloppé par un monde de tortues, une
éternité de tortues ; je hurlais et me réveillais. Mais l’angoisse avait
été telle que la fièvre bientôt surgissait. » Lugubres augures que rien
dans le récit ne pourra conjurer...
Les références bibliques y sont nombreuses, et les tortues que le
narrateur hait plus que tout y sont plus horribles et monstrueuses encore
que le serpent. Mais, si nous sommes certes loin de la fameuse et
précieuse tortue de Robert de Montesquieu ou de celle plus littéraire de
Huysmans, on ne saurait cependant à la lecture de ce roman oublier que
Loys Masson était aussi un grand poète, et nombre de passages nous le
rappellent. Bien plus, la force obsessionnelle et fascinante du récit
impose aussi de reconnaître qu’il fut aussi un grand romancier. Aussi,
est-ce fort injustement que Loys Masson soit aujourd’hui quelque peu
oublié. Pourtant, il fut en son temps sans réserve comparé à Herman
Melville – dont il s’inspira pour ce roman, et à Conrad. Avec « Les
Tortues », souligne Éric Dussert dans sa préface, « son importance
s’impose avec fulgurance. On constate que sa littérature est libre et
puissante comme une mer démontée, et que, comme un orage équatorial, elle
balaye les idées préconçues ».
On ne peut donc que saluer cette belle initiative des éditions de l’Arbre
vengeur de rééditer « Les Tortues » et de permettre ainsi aux lecteurs non
seulement de redécouvrir ce roman des plus captivants, mais aussi son
auteur, Loys Masson.
L.B.K.
Peter Swanson : « Huit Crimes
parfaits », Éditions Gallmeister, 2021.
Le crime parfait… C’est bien ce que voudrait concrétiser chaque criminel,
que ce soit un fantasme ou une réalité, non ? Peut-on se retrouver
soi-même pris au piège de ce désir ? C’est peut-être ce qu’il pourrait
arriver au personnage principal du nouveau roman de Peter Swanson dont le
titre « Huit crimes parfaits » sonne déjà comme un gros titre de presse de
faits divers. Seulement, il y a une enquête ouverte sur une possibilité de
crimes en série, qui elle n’a rien d’un article pour journal à ragots… «
La porte d’entrée s’ouvrit et j’entendis l’agente du FBI taper ses pieds
sur le paillasson. La neige commençait juste à tomber et une rafale d’air
lourd s’engouffra à l’intérieur du magasin. La porte se referma derrière
l’employée fédérale. Elle devait être à deux pas lorsqu’elle m’avait
appelé car cela ne faisait pas plus de cinq minutes que j’avais accepté de
la rencontrer. J’étais seul dans la librairie. Je ne sais plus très bien
pourquoi j’avais décidé d’ouvrir ce matin. » Je, c’est Malcom Kershaw,
propriétaire de la libraire Old Devils, spécialisée dans les livres
d’occasion et neufs. Pourquoi l’agent spécial Gwen Mulvey est-elle venue
le rencontrer avec autant d’empressement et si tôt ? « J’aimerais que vous
m’accordiez un peu de votre temps pour répondre à quelques questions –
D’accord – Maintenant, c’est possible ? – Eh bien, oui. » Ce matin,
l’agent Mulvey venait lui demander s’il était au courant de ce qui était
arrivé à Merle Callahan, présentatrice du journal télévisé local,
retrouvée tuée par balle dans sa maison, il y avait déjà un an et demi… Et
Jay Bradshaw ? Et Ethan Byrd ? Apparemment ces trois meurtres restés non
élucidés seraient liés… « Je m’adresse au spécialiste des romans
policiers. Je réfléchis un moment, les yeux levés vers le plafond. – Eh
bien, je dirai qu’ils me font penser à un scénario de fiction, à une
histoire de tueur en série par exemple ou à un roman d’Agatha Christie. »
Voilà que l’enquête est relancée car il y a une forte similitude entre la
liste des romans proposée par Malcolm et ce qui s’était déroulé depuis la
mort de la première victime. « Vous voulez bien me dire pourquoi vous
m’interrogez ? – Elle tira une feuille de son sac en cuir. – Vous
souvenez-vous d’une liste que vous aviez composée pour le blog de cette
librairie, en 2004 ? Une liste intitulée « Huit crimes parfaits » ? »
C’est donc pour cela que Gwen est venue voir Malcolm, comme une sorte
d’expert de ces livres qui sont, nul doute, ces huit préférés et qu’il a
partagés avec des dizaines ou des centaines de lecteurs du blog de la
librairie…
À partir de là, Peter Swanson nous embarque avec lui dans cette enquête
qui va remuer autant de fantômes du passé que de questionnements, dont le
premier : Serait-il possible qu’un tueur s’inspire de cette liste
aujourd’hui ? Si oui, pourquoi ? Dans quel but ? S’agit-il d’un homme,
d’une femme ou de plusieurs criminels… Quel peut en être le ou les motifs
? En 342 pages, ce récit écrit avec l’intelligence du suspens surprend et
fait monter d’un cran chaque nouveau chapitre. Comme les enquêteurs, le
lecteur avance, recule, croit avoir trouvé une solution, voir compris
l’intrigue, et hop, retour à la réflexion, car non, ce n’est pas aussi
évident… Les nerfs à fleur de peau jusqu’au dénouement de l’enquête, c’est
un roman que l’on ne peut quitter…
Sylvie Génot Molinaro
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Yannis Ritsos : « Grécité » ;
Édition définitive ; Texte français de Jacques Lacarrière ; Illustrations
d’Alecos Fassianos. 40 p., 14 x 22 cm, Editions Fata Morgana, 2023.
La poésie de Yannis Ritsos (1901-1990) ne peut laisser indifférent
quiconque aspire à la liberté, celle des mots et de l’esprit. Tendu vers
une quête perpétuelle d’amour et de fierté, héritée de ses ancêtres,
Ritsos ne livre pas une poésie de combat même si un grand nombre de ses
vers ont été repris par le grand musicien Theodorakis comme refrain de la
lutte contre l’oppression, mais bien une ode à l’insoumission. Le verbe de
« Grécité » n’échappe pas à ce souffle libertaire où « ces cœurs ne
peuvent se rassasier que de justice ». Mais réduire le poète à cette seule
dimension – essentielle malgré tout chez lui – serait encore lui faire
injustice, les images retenues, les associations rapprochées concourent à
un souffle unique de la poésie grecque conduisant à ce chant puisé à
l’antique.
« Grécité » se veut la réaction poétique de Ritsos à la dictature des
colonels de 1967 à 1974, régime pourtant si opposé à la démocratie née sur
ces rivages et qui le conduira à être déporté dans les îles de longues
années. Le soleil, la chaleur, la lumière aveuglante bannissent tout
entre-deux : « Ce pays est aussi dur que le silence » et « Quelle épée
tranchera le courage / Quelle clé fermera le portail de ton cœur / Le
portail grand ouvert sur les jardins étoilés de Dieu ? ». Chaque vers de «
Grécité » trouve un écho dans la musicalité des images admirablement bien
rendue par la traduction de Jacques Lacarrière, hellène de cœur sinon de
sang. Nul étonnement dès lors que le rébétiko – ce chant plaintif né dans
les années 20 du siècle passé – ne se soit saisi de cette poésie pour en
tirer de magnifiques mélodies. Un souffle à découvrir dans cette belle
édition illustrée par les dessins du grand peintre grec Alecos Fassionos.
Philippe-Emmanuel Krautter
Frédéric Wandelère : « Divers
ennemis du réveil - Dix-sept poëmes pour Martin Steinrück », Editions
Arcades Ambo, 2024.
Le poète suisse Frédéric Wandelère dont nous avions déjà pu apprécier en
ces colonnes « La Compagnie capricieuse » parue à La Dogana, réunit
aujourd’hui « Dix-sept poëmes pour Martin Steinrück » aux éditions
Arcades Ambo. Goûtant aux instants transitoires entre songes et éveil,
l’auteur explore ces sensations qui rôdent près du sommeil, sans que l’on
sache si elles relèvent du rêve ou de la conscience :
« Dans un
demi-sommeil, je rêve et je ne rêve pas ;
Je tiens un livre en main, relâché ce n’est rien ;
La chose évanouie je la retrouve telle
De l’autre côté de mes yeux clos. »
Sa poésie sait se saisir de cette fugacité qui sied tant à son auteur,
Frédéric Wandelère, et dans laquelle il excelle à rendre les nuances d’un
thé ou d’une porcelaine avec cette même acuité qu’il convoque pour
observer un nuage ou des fleurs. Cette vision ne se veut pas bucolique
pour autant, ce qui pourrait sembler trop convenu, mais privilégie plutôt
un art de l’incertitude propice aux « choses transitoires » chères à
Robert de Montesquiou : « Durer, ne pas durer ; s’éteindre, s’oublier,
renaître. »…
L’éphémère onirique scruté par une attitude vigilante, tel pourrait être
l’un des maîtres mots de ce recueil d’une sobriété secrète. Ces vers sont
telle une armée des songes qui sollicite le poète comme tenterait de le
faire un peintre sur sa toile ; touches discrètes, lavis discrets,
effleurements des mots à la surface des pages.
Philippe-Emmanuel Krautter
Chateaubriand : « Voyage en Italie
», Coll. Folio Classique, Editions Gallimard, 2024.
Chateaubriand a laissé des pages inoubliables nées de ses multiples
voyages, pour certains au long cours (Amérique, Jérusalem…), d’autres plus
proches tel celui effectué en Italie de 1803 à 1804. Ce sont ces
pérégrinations, toujours inspirées, que l’écrivain livre en ces pages en
des notations souvent prises sur le vif – mais aussi parfois héritées de
ses prédécesseurs… Nature, art et société se conjuguent souvent en des
réflexions alternant entre méditations philosophiques et remémorations
historiques. La solitude pointe de temps à autre dans cette campagne
romaine que l’on croirait désertée des ses habitants et où sourdent ici ou
là quelques mélancolies propres à Chateaubriand et voilant quelque peu le
soleil d’Italie. Les ruines omniprésentes, si elles savent encore parler à
l’érudit de la langue latine qu’était Chateaubriand, accentuent encore ce
sentiment de solitude et de silence oppressant. Le voyageur s’émeut à
l’approche de la Ville Éternelle : « la multitude des souvenirs,
l’abondance des sentiments vous oppressent ; votre âme est bouleversée à
l’aspect de cette Rome qui a recueilli deux fois la succession du monde,
comme héritière de Saturne et de Jacob ». Nul effroi pourtant quant à
cette sourde impression, mais plutôt un contraste saisissant entre la
grandeur passée omniprésente rapportée à sa découverte vingt siècles plus
tard. La poésie récurrente dans ces pages atténue cependant les notes
pessimistes qui, à l’image de l’Ecclésiaste, soulignent la vanité humaine
qui ressort de ces ruines… Quelques belles pages encore, moins sombres,
lorsque Chateaubriand entrant dans une petite chapelle esseulée bâtie sur
les ruines de la villa de Varus se mit à prier en silence en communion
avec un autre homme qui lui sembla si malheureux qu’il ne se hasarda à
aucune parole. Chacun de ces pas en terre italienne convoque les siècles
révolus tout autant que les années passées de l’écrivain, une longue
marche initiatique à laquelle Chateaubriand convie son lecteur entre
mélancolie et joie esthétique.
« Pierre loti – Mon mal j’enchante
– lettres d’ici et d’ailleurs (1866-1906) », éditions établie et présentée
par Alain Quella-Villéger et Bruno Vercier, Éditions La Table Ronde, 2023.
Plaisir que de voyager avec Pierre Loti (1850-1923) au travers de ces «
Lettres d’ici et d’ailleurs », sous-titre de cette belle édition établie
et présentée par Alain Quella-Villéger et Bruno Vercier. Une édition des
plus soignées réunissant un choix de lettres, pas moins de 360 allant de
1866 alors que Loti est encore jeune adolescent chez ses parents jusqu’en
1906, année à partir de laquelle ses courriers se font plus rares et
essentiellement liés aux affaires. Des lettres qui livrent - ainsi que le
soulignent les auteurs en leur introduction, un saisissant autoportrait ;
et quel plaisir, en effet, pour le lecteur que de suivre au fil des années
et voyages, d’abord Julien, puis Julien Viaud ou J. Viaud, avant que
naisse pleinement à l’écriture Pierre, et enfin Pierre Loti ou P. Loti.
Après quelques lettres de jeunesse, c’est très vite à partir de la
capitale, puis de l’école navale que commence cette vie faite de voyages,
d’écriture et de poésie… La correspondance de Pierre Loti est
indissociable de sa vie d’écrivain, et ce, de son tout premier livre «
Aziyadé » en 1879 aux « Désenchantées », son dernier ouvrage. Il faut dire
que l’exercice épistolaire était pour Pierre Loti, né au XIXe siècle, «
une habitude, un rite, une sorte de religion même », notent encore à juste
titre Alain Quella-Villéger et Bruno Vercier. L’écrivain n’hésitera
d’ailleurs pas à redemander ses lettres pour les insérer ou les intercaler
dans son journal intime (également publié à La Table Ronde). Aussi, le
lecteur retrouvera-t-il en ces lettres les proches, les amantes et amis de
l’écrivain, croisant Sarah Bernard, Élisabeth de Roumanie ou encore Émile
Zola et bien d’autres encore, partageant ses sentiments, émotions,
tristesses ou deuils…
Par cette belle édition et choix de lettres, c’est non seulement toute la
vie de l’écrivain, de Pierre Loti qui se trouve ainsi donnée à lire, mais
surtout un homme complexe qui se dévoile.
L.B.K.
Mario Rigoni Stern : « Histoire de Tönle
» ; Nouvelle traduction de l‘italien par Laura Brignon, Coll. « Totem »
n°233, Editions Gallmeister, 2023.
Si le nom de Mario Rigoni Stern est injustement peu connu
en France, l’Italie a depuis longtemps, en revanche, célébré cette plume
unique que salua en son temps le grand Primo Levi : « Le fait que Rigoni
Stern existe est en soi miraculeux »… D’où vient ce miracle né ? À la fois
d’une expérience de la vie et d’une sensibilité à fleur de peau qui
transparaît à chaque page de « Histoire de Tönle » dans cette nouvelle
traduction de Laura Brignon. Et c’est avec une plume affinée que
l’écrivain explore en ces pages autant les tréfonds de l’âme humaine que
les moindres aspérités du paysage montagneux de cette province de Vicence
en Vénétie, où il naquit en 1921 à Asiago, et qu’il connaît intimement.
Engagé volontaire en 1938 dans les chasseurs alpins de l’armée italienne,
Mario Rigoni Stern fera, en effet, rapidement corps avec cette montagne
dont il livrera les sentiers et secrets dans ses romans notamment dans
cette « Histoire de Tönle » qui comporte de nombreux éléments
autobiographiques. À l’image du vieux berger, l’auteur s’échappera d’un
camp de prisonniers et rentrera à pied dans son village natal par ces
temps de guerre qui bouleversent les équilibres ancestraux. Ce qui était
naguère acquis est remis en question par la folie des hommes alors que la
nature, imperturbable, perpétue cet éternel cycle des saisons dont
l’auteur livre toute la poésie.
Ce premier opus d’une trilogie du haut plateau saisit littéralement le
lecteur non seulement pour l’évocation de cette nature sublime, mais
également pour les liens puissants qu’elle suscite et fait naître entre
les hommes malgré l’adversité. Un témoignage fort et sensible, rendu avec
poésie par cette nouvelle traduction.
Philippe-Emmanuel Krautter
« Mademoiselle Julie » d’August
Strindberg ; Traduction et notes d’Alain Gnaedig ; Présentation de Ulf
Peter Halberg ; Préface d’August Strindberg ; Coll. « folio Théâtre »,
Folio, 2023.
Nous ne pouvons que recommander cette nouvelle édition dans la collection
« folio Théâtre » de la célèbre pièce « Mademoiselle Julie » du dramaturge
suédois August Strindberg (1849-1912). Outre la riche présentation signée
Ulf Peter Halberg, le lecteur appréciera également la traduction inédite
et les notes d’Alain Gnaedig pour cette œuvre écrite en 1888. Huis clos
dramatique jugé tout d’abord subversif, la pièce connaîtra un succès
croissant au XXe siècle jusqu’à aujourd’hui et donnera lieu à de belles
représentations, mais aussi à de nombreuses adaptations, ballets, cinéma ou
encore TV ; on songe, bien sûr, à Juliette Binoche dans le rôle de Julie…
Aussi, est-ce avec profit que le lecteur trouvera en fin de volume un
riche dossier concernant notamment l’« historique et (la) poétique de la
mise en scène », ainsi qu’une préface signée de la main même d’August
Strindberg exposant sa propre conception du théâtre.
Influencé par Zola, l’auteur a souhaité faire de « Mademoiselle Julie »
une « tragédie naturaliste » ; Grinçante et glauque, la pièce met, en
effet, en scène trois protagonistes dans des dialogues forts et tendus
lors de la nuit de la fête de la Saint-Jean dans un château en Suède :
Mademoiselle Julie, jeune aristocrate, fille du comte, emportée après sa
rupture de fiançailles par les chants de fête entend séduire le domestique
de son père, Jean ; ce dernier succombera-t-il, lui qui fut depuis
toujours amoureux de Mademoiselle ? Enfin, pour témoin, Kristin, la
cuisinière au cœur penchant pour Jean… Séduction, confrontations de
classes, illusions et désillusions et sa fin tragique font de cette pièce
une œuvre forte qui mérite à plus d’un titre d’être redécouverte.
L.B.K.
Sylvain Tesson : « Avec les fées »
Collection Littérature, Éditions Des Équateurs , 2024.
Si Sylvain Tesson confesse ne plus croire aux fées, il leur consacre
cependant ce dernier essai, sous forme de balade celtique poétique.
Paradoxe ? Esprit de contradiction ? Point du tout, mais une quête
inassouvie de ce Graal éternel, celui de la beauté et de ces nuances qui
irisent notre quotidien, quotidien que nous ne savons plus voir, ainsi que
le confiait le poète Maeterlinck cité en exergue : « C’est bien curieux
les hommes… Depuis la mort des fées, ils n’y voient plus du tout et ne
s’en doutent point. » Armé de sources classiques, celtiques et poétiques,
d’un navire et de fidèles compagnons, notre Ulysse des temps modernes part
à la recherche des fées, depuis la Galice espagnole jusqu’au sommet de
l’Écosse en un arc bandé vers ce qui n’a pas encore totalement été dévasté
par la modernité. Avec cette « qualité du réel révélée par une disposition
du regard », l’auteur embarque pour une odyssée qui tient à la fois de
l’introspection et de l’altérité, en un va-et-vient semblable à celle du
reflux marin.
C’est en cabotant de criques en falaises, à la manière des anciens Celtes,
que Sylvain Tesson part à la rencontre du surgissement du merveilleux, ces
fées témoins d’un monde encore préservé de la dévastation. Dans ces
pérégrinations qui tiennent à la fois de la confession poétique et de la
quête éternelle de liberté, l’homme retrouve la beauté et l’adversité, le
saisissement de forces qui le dépassent et simultanément cette osmose avec
les éléments, seul moyen d’échapper au naufrage. Alors que très souvent
les côtes dévastées par la « modernité » rendent impossible toute évasion
de ce genre, c’est sur le fil séparant falaises et flots qu’évolue Sylvain
Tesson en équilibriste du merveilleux…
Cet ouvrage nous emporte avec lui entre embruns marins, quelques rares
rencontres humaines et surtout cette symphonie de varech, basalte, granit
et iode qui ne cesse d’amplifier les accords au fil des pages.
Philippe-Emmanuel Krautter
Honoré de Balzac : « Honorine »
dans une édition établie par Jacques Noiray, Coll. « Folio Classique »,
Éditions Folio, 2023.
« Honorine » est une captivante et longue nouvelle écrite par Balzac en
1842 et qui sera publiée dans « La Condition humaine » en 1845. Retenant,
une nouvelle fois comme dans « La Femme abandonnée », la technique d’un
récit dans le récit, Balzac tient son lecteur en haleine… avec l’histoire
de l’étrange personnalité du Comte Octavio donnée à entendre lors d’une
belle soirée genevoise, à ses hôtes, par son ancien secrétaire, devenu
Consul de France. Il est vrai que le Comte Octavio suscite la curiosité,
lui si calme, muré dans sa droiture et rigueur légendaire telle une ramure
inviolable. Mais le lecteur apprendra grâce au récit de son ancien
secrétaire, Maurice de Hostal, qu’il a été abandonné par sa belle et jeune
épouse, partie pour un fugace amant qui l’a délaissée très vite à son
tour… Histoire presque banale, me diriez-vous, si ce n’est que le Comte,
inconsolable, prêt à tout pardonner pour qu’Honorine revienne, s’ingénie à
la suivre et à lui faciliter la vie en arrangeant et payant sous couvert
de prête-noms sa « liberté ». Jusqu’où sera-t-il prêt à aller pour qu’elle
revienne ? … ira-t-il jusqu’à envoyer auprès d’elle son secrétaire,
Maurice de Hostal, pour la convaincre de revenir ? Et quelle sera l’issue
de ce récit que nous a donné à entendre le consul durant cette douce
soirée genevoise ?
« Honorine » demeure un récit romanesque réjouissant de par la description
de la personnalité des différents protagonistes : Le Comte Octavio, sombre
et haut magistrat, intrigue et retient l’attention de son secrétaire par
la préciosité de sa droiture et son inconsolable obstination ; la Comtesse
fascine, quant à elle, par sa jeunesse, sa sensibilité et beauté, mais
aussi par son orgueilleux effacement, se croyant libre, et jusqu’à la fin,
cet infaillible honneur ; enfin, Maurice de Hostal, ce secrétaire, devenu
consul, notre narrateur, et dont on ne pouvait prévoir un tel dévouement
et fidélité.
Balzac joue avec son lecteur, brouillant les sentiments et multipliant les
angles. On y retrouve, certes, la hauteur d’âme, l’honneur, mais aussi la
passion, la possession, la rigidité des sentiments et des jugements… Et
si, comme toujours, Balzac éblouit par la finesse et la profondeur de sa
plume, « Honorine », ainsi que le souligne d’emblée Jacques Noray dans sa
préface, demeure « sans doute un des textes les plus riches, les plus
ambigus, les plus étranges, les plus inquiétants aussi de « La Comédie
humaine » (…) ». Balzac se vantera d’avoir composé cette longue nouvelle
en seulement trois jours.
L.B.K.
Pierre Bouretz : "Sur Dante",
Coll. « NRF Essais », Editions Gallimard, 2023.
C’est à une lecture de Dante – qui n’aurait pas déplu au célèbre
compositeur Frantz Liszt ! - à laquelle nous convie le philosophe Pierre
Bouretz en un essai aussi passionnant qu’exigeant paru aux éditions
Gallimard. L’auteur nous rappelle que si le grand poète florentin
s’inscrit dans le Moyen Âge (XII°-XIII° siècles), son oeuvre et sa pensée
se projettent, quant à elles, bien au-delà préfigurant en cela déjà les
Temps modernes.
La Comédie n’est pas seulement, en effet, qu’un chef-d’œuvre poétique, ce
que l’on retient habituellement, mais bien le fruit de la pensée d’action
de son auteur prônant, à l’opposé des théologiens de son temps, « une
humanitas universalis » définie par l’unité d’un intellect qui le
rapproche de l’héritage aristotélicien, ainsi que le souligne Pierre
Bouretz. La Comédie peut être ainsi comprise comme un voyage dans
l’au-delà où serait éclairé tout ce que ses contemporains souhaitaient
découvrir à partir de cette expérience dans le pays des morts : «
Auteur impliqué dans son récit, il promettrait enfin de tout raconter de
la façon la plus exacte, établissant un régime de vérité sans exemple dans
le registre de la fiction poétique », relève encore Pierre Bouretz.
Avec cette grande œuvre, il n’est plus question de fiction ni de mythe,
mais de déployer l’éventail des passions : amour, politique, philosophie…
Cette « expérience » proposée par le grand poète italien se veut la plus
étendue possible, et pour cela Dante retient la langue vernaculaire et non
point le latin usuel à son époque parmi les élites. Grâce à des procédés
comme l’emploi de terza rima conférant une musicalité au texte propice à
sa meilleure réception, Dante élargit ainsi encore le cercle de ses
lecteurs. Mais c’est surtout quant à la manière employée pour dévoiler ces
vérités de l’au-delà que réside l’originalité de l’œuvre en ayant recours
à un poète païen en la personne de Virgile, ce qui n’était guère attendu
en son siècle chrétien…
L’essai de Pierre Bouretz montre combien Dante par la forme poétique et la
fiction cherche en fait à transposer les thèses défendues dans ses écrits
politiques et philosophiques (« Banquet », « Monarchia »). Cette pensée
résolument hostile aux abus du pouvoir de l’Église et opposée à cette
ingérence du pape Boniface VIII sur les communes toscanes ne pouvait que
susciter une réaction violente puisque Dante sera condamné à l’exil et ses
biens confisqués. Aussi le legs de Dante doit-il tout aussi bien
s’entendre sur le plan poétique avec la Comédie le classant parmi les plus
grandes œuvres du Moyen Âge, mais également sur le plan philosophique et
politique justifiant selon Pierre Bouretz que le poète soit ainsi placé «
au début d’une histoire des Lumières » pour sa clairvoyance. Un ouvrage
qui invite donc son lecteur à une lecture instructive et vivifiante de
Dante.
Philippe-Emmanuel Krautter
Julien Gracq : « La Maison », postface
de Maël Guesdon et Marie de Quatrebarbes, Coll. Domaine français, 84 p.
Editions Corti, 2023.
Un inédit de Julien Gracq demeure toujours un évènement,
surtout lorsqu’il s’agit d’un manuscrit travaillé selon la légendaire
rigueur de son auteur, en témoignent les deux versions successives en
fac-similé qui accompagnent cette publication aux éditions Corti. Celui
qui avait refusé le prix Goncourt qu’on souhaitait lui décerner en 1951
pour « le Rivage des Syrtes » a probablement rédigé ce court récit dans
les années d’après-guerre, mais celui-ci semble n’avoir trouvé place dans
les publications envisagées alors par Gracq, ainsi que le relèvent dans
leur postface à l’ouvrage Maël Guesdon et Marie de Quatrebarbes.
Les éditions Corti ont historiquement accompagné l'auteur qui avait refusé
que ses livres paraissent en format poche, aussi n’est-il pas surprenant
que ces dernières publient aujourd’hui ce court récit d’une trentaine de
pages enfoui jusqu’à présent dans les archives de l’écrivain. Un texte
court, mais qui concentre de manière serrée et diablement efficace cet art
de la contemplation unique dans lequel excellait l’auteur de « Au château
d’Argol » paru en 1938. En un récit passant progressivement d’un certain
réalisme à un univers presque onirique, Gracq transporte son lecteur en un
cheminement étrange fait d’attractions et de répulsions entremêlées. À
l’image de cette végétation retournée à l’état sauvage, le contraste
saisissant de cette maison que le narrateur pensait abandonnée surprend
tout autant qu’il intrigue. En une conjugaison d’images associant
attirance, effroi, curiosité, sensualité et émoi, « La Maison » déploie un
éventail de sensations dont le lecteur ne ressortira pas indemne, à
l’instar du narrateur…
Philippe-Emmanuel Krautter
Geneviève Haroche-Bouzinac : «
Madame de Sévigné », Coll. « Grandes Biographies », Editions Flammarion,
2023.
C’est une biographie fort plaisante et des plus informées consacrée à
Madame de Sévigné que signe Geneviève Haroche-Bouzinac aux éditions
Flammarion. L’auteur n’en est pas à son premier coup de maître, et a déjà
publié de nombreuses biographies notamment « La vie mouvementée
d’Henriette Campan » ou encore « Louise de Vilmorin, une vie de bohème »,
Grand Prix, entre autre, de la biographie littéraire de l’Académie
française en 2020. Professeur émérite de l’Université d’Orléans, Geneviève
Haroche-Bouzinac est directrice de la revue Epistolaire, c’est donc à une
plume aisée et avertie que s’est vue confiée Marie de Rabutin-Chantal,
marquise de Sévigné.
Et il faut le reconnaître, l’histoire de France, de la Cour et des
campagnes de ce XVIIe siècle prend dans ces jeux d’écriture et de miroirs
des siècles un relief tout particulier plein de saveurs. Il est vrai que
si la marquise de Sévigné eut, par choix après un veuvage précoce, une
existence rangée avant tout tournée vers ses enfants et plus
particulièrement sa fille, Françoise, sa vie n’en fut pas pour autant
terne ! Cette grande épistolière qui sut si bien alterner vie de Cour et
vie de château à la campagne, exerça déjà en son temps par son charme et
son style une fascination constante, multipliant les prétendants et non
des moindres, admirée par les peintres et plus encore célébrée par les
poètes, amie de madame de Lafayette, de la grande Mademoiselle, etc.
Comment une telle fascination pouvait-elle ne pas perdurer jusqu’à nos
jours enchantant par ses lettres des générations !
En compagnie de celle qui naquit le 5 février 1626 à Paris et qui
s’étreindra un 17 avril 1696 au château de Grignan, le lecteur traverse
ainsi véritablement le Grand Siècle, guerres et révoltes, mais aussi
dîners, théâtres, opéras et vie littéraire ou encore entend vanter les
vertus du chocolat ou de l’eau de Vichy…
Ce sera surtout lors du mariage et de l’éloignement de sa fille que le
rôle d’épistolière à la fois intime et publiquement célébré prendra dans
la vie de la marquise de Sévigné toute son importance. Et si ses lettres
se voulaient des divertissements, cette biographie en garde le caractère
avec ses précieuses précisions, ses digressions parfois cocasses, ses «
menus faits et anecdotes » pour reprendre un de ses sous-titres. Bref,
c’est un régal, un voyage dans le faste du Grand Siècle et cette France du
XVIIe siècle ; Mais, comment pouvait-il en être autrement en si bonne
compagnie !
L.B.K.
« La Vie de Léon Tolstoï ; Une
expérience de lecture » d’Andreï Zorine, traduit du russe par
Jean-Baptiste Godon, 250 p., Editions des Syrtes, 2023.
A noter cette biographie inspirée consacrée à « La vie de Léon Tolstoï »
et signée d’Andreï Zorine aux éditions des Syrtes, première biographie
depuis la fin de l’Union soviétique à être traduite en langue française –
ici, par Jean-Baptiste Godon. Un ouvrage allant à l’essentiel sans pour
autant omettre les parts sombres de cette vie faite de convictions et de
passions que fut celle de Lev Nikolaïevitch Tolstoï (1828-1910). L’auteur,
spécialiste de l’histoire de la culture russe, a fait choix à juste titre
de ne pas distinguer le « Tolstoï écrivain » du « Tolstoï homme » ou du «
Tolstoï spirituel ».
Personnalité complexe, changeante, mais aussi sensible qu’engagée et
passionnée, Tolstoï mérite en effet d’être découvert tant en sa qualité de
grand écrivain russe que l’on connaît qu’en sa qualité d’homme, de
philosophe et d’homme spirituellement engagé qu’il était aussi ; lui, qui
perçut « l’absurdité de l’existence », Tolstoï ne pouvait se résigner à
une vie rectiligne sans doutes ni questionnements ou remises en cause.
L’auteur, conscient des difficultés biographiques que revêt cette vie
tumultueuse faite d’élans, de tournants, d’introspection et de
dépressions, a su éviter bien des écueils en multipliant et croisant ses
sources, pour nombres d’entre elles peu connues, voire inédites. C’est
donc toutes les facettes, et par là même, toute la richesse de l’un des
plus grands écrivains russes, personnalité entière, que le lecteur
découvrira en ces pages : un enfant sensible, mais anxieux, un jeune homme
aristocrate ambitieux et versatile, un époux et père aimant mais
difficile, un homme plus qu’engagé aux gouffres profonds, écrivain
novateur et génial, auteur d’une œuvre protéiforme – « La Guerre et la
paix » ; « Anna Karénine » ; nouvelles, contes, etc., pédagogue plus que
de raison, philosophe et prophète controversé. Un Tolstoï qui tenta tant
de fois de s’enfuir et qui s’est « enfui », pour de bon, un jour de
novembre 1910...
C’est cette incroyable, bouillonnante et passionnante vie, « cette pensée
continuellement en mouvement » que nous donne à lire dans un style clair
et concis Andreï Zorine, un défi plus que réussi !
L.B.K.
Blaise Cendrars : « Trop c’est
trop » ; Edition présentée et annotée par Claude Leroy, Folio, Editions
Gallimard, 2022.
Les amateurs de Blaise Cendrars apprécieront assurément cette parution en
FOLIO de ces nouvelles réunies sous le titre « Trop c’est trop »
présentées et annotées par Claude Leroy. Pas moins de dix-sept histoires,
plus vraies que natures, articles de presse, contes, nouvelles et
portraits, un recueil publié au début de 1957 et que l’auteur lui-même
qualifiait de « presse-papier ». On y retrouve ce voyageur infatigable et
ce non moins intarissable conteur que fut Blaise Cendrars. « Au début de
1957, toute la presse s’accorde (…) pour saluer le retour du Cendrars de
l’Homme foudroyé ou de Bourlinguer, tel qu’on l’attendait, fidèle à sa
réputation d’aventurier, d’arpenteur du monde entier et de chercheur d’or.
» écrit Claude Leroy dans sa présentation au recueil.
Et c’est si vrai ! Le lecteur, en effet, s’il est curieux, se laissera
volontiers entraîner dans ces contrées de littérature, ces théâtres
notamment emplis de couleurs que sont les paysages du Brésil ou encore ces
Noëls des quatre coins du monde… Aussi curieux qu’attentif à son époque,
de Brasilia, de Rio à Paris, Blaise Cendrars joue et se joue, enjambant
frontières et espaces, tel un magicien n’ayant qu’une préoccupation celle
de captiver, de transporter et de faire voyager en sa compagnie son
lecteur. « Le voici de retour, tel que l’a façonné une légende de
poète-voyageur…» écrit encore en sa présentation Claude Leroy.
L.B.K.
Yves Bonnefoy : « Œuvres poétiques
», Édition d'Odile Bombarde, Patrick Labarthe, Daniel Lançon, Patrick Née
et Jérôme Thélot, Bibliothèque de la Pléiade, n° 667, 1808 p., Editions
Gallimard, 2023.
Yves Bonnefoy qui nous a quittés en 2016 (lire
l’interview accordée à notre revue) compte parmi les poètes majeurs
des XXe et XXIe siècles. Poète incontournable mais aussi traducteur
apprécié, sans oublier sa plume d’essayiste aussi exigeante qu’inspirée,
Yves Bonnefoy trouve sa pleine consécration avec la parution de ses Œuvres
poétiques dans la collection de La Pléiade aux éditions Gallimard à
laquelle il attachait une grande importance ; une édition établie par
Odile Bombarde, Patrick Labarthe, Daniel Lançon, Patrick Née et Jérôme
Théolot et à laquelle le poète collabora lui-même au seuil de sa vie.
Daniel Lançon et Patrick Née rappellent en avant-propos cette polarité
entre deux lieux qui conduisit Yves Bonnefoy à cet attrait pour
l’ailleurs, « j’ai souvent éprouvé un sentiment d’inquiétude à des
carrefours » confiait-il dans l’incipit de L’Arrière-pays. «
Cette idée d’une réalité supérieure, je la crois inhérente à tout
commencement poétique, en effet. Et plus vite et plus fortement on la
forme, et plus facilement on a chance d’en faire cette critique qui est le
sérieux de la poésie » confiait-il encore lors de notre entretien. Son
attirance pour une autre façon d’appréhender et de vivre la réalité
humaine allait désormais nourrir sa poésie en un perpétuel rêve d’essence
métaphysique tout en insistant sur le fait que « ce rêve n’est pas la
vérité, et la poésie, qui le subit de plein fouet, a pour vocation de
percer à jour cet illusoire. De reconnaître qu’est plus haute lumière ce
que Rimbaud nommait la « réalité rugueuse » ; ou ce que Baudelaire vivait
dans la misère des jours avec celle qui « essuyait son front baigné de
sueur et rafraîchissait ses lèvres parcheminées par la fièvre ».
Cette image d’« un homme au rêve habitué » en référence à Mallarmé
sied particulièrement à la personnalité d’Yves Bonnefoy selon l’essai
ciselé d’Alain Madeleine-Perdrillat en introduction. La lecture de la
chronologie du poète donnera le vertige au lecteur, défilent les années et
les centres d’intérêt multiples du poète, de l’essayiste, du traducteur,
du critique d’art et tant d’autres contributions encore au monde de la
culture et de la pensée.
Adoptant une présentation chronologique des œuvres, le présent volume de
La Pléiade fort de plus mille huit cents pages permet de suivre la
maturation du poète, même si ce choix conduisit à « éclater » certains
recueils de temporalités différentes. Le lecteur pourra ainsi découvrir en
ces pages toute la force poétique de la parole, cette unité de la poésie
comme expérience du monde chère à Yves Bonnefoy, qu’il s’agisse des
premiers recueils « Le Cœur-espace » (1945 et 1961), « Traité du pianiste
» (1946) jusqu’à ses derniers livres « Ensemble encore » et « L’Écharpe
rouge » publiés l’année de sa disparition en 2016. A leur lecture,
l’unicité et le multiple sous-tendent la poésie de Bonnefoy en de nombreux
plans intriqués :
« Et de qui aima une image,
Le regard a beau désirer,
La voix demeure brisée,
La parole est pleine de cendres. »
(« Une pierre » 1993 p. 682)
Ou encore :
« Qui désespère, qu’il entre ici, c’est plus qu’un dieu
Cet absolu qui erra dans la flamme.
Ce fut presque de l’être, ce vent qui prit
Dans la calcination d’une lumière.
Aimez ce sanctuaire, mes amis,
Où se dénouent les signes, c’est presque l’aube ».
(« Après le feu » 2016, p. 1058)
La prose, enfin, accompagnera également les découvertes dans ce précieux
volume ainsi que ses traductions qui sont considérées de nos jours comme
incontournables et dont on se délectera en compagnie de Shakespeare,
Celan, Yeats, Leopardi, mais aussi Pétrarque ou Emily Dickinson, reflets
de l’immense culture et sensibilité du poète au service des autres poètes.
En ce perpétuel travail de résurrection des mots, Yves Bonnefoy nous
invite à cette lucidité créatrice dont il fut le représentant le plus
sensible.
Philippe-Emmannuel Krautter
« Kokin waka shû - Recueil de
poèmes japonais d’hier et d’aujourd’hui » ; Introduction et traduction de
Michel Vieillard-Baron, 520 p., Éditions Belles Lettres, 2022.
Classique parmi les classiques, le Kokin waka shû remonte aux origines de
la poésie japonaise puisque ce recueil fut commandé par l’empereur Daigo
au tout début du Xe siècle… Les éditions Les Belles Lettres et le
traducteur, Michel Vieillard-Baron, professeur à l’Inalco ont eu
l’heureuse idée de rendre disponible cette somme incontournable au lecteur
français.
Ce fort volume constitue en effet l’une des premières compilations de
poésie japonaise réalisée par quatre des plus éminents poètes de cette
époque à savoir: Ki No Tomonori, Ki no Tsurayuki, Ōshikōshi no Mitsune et
Mibu no Tadamine. Par cette décision à la fois culturelle et politique,
l’empereur souhaitait en cette période de renaissance de la poésie
nationale (waka) en souligner l’héritage classique sur laquelle elle
reposait depuis le milieu du VIIIe s. Ce ne sont pas moins de mille cent
onze poèmes qui se trouvèrent dès lors réunis dans ce recueil répondant
pour la plupart d’entre eux à la forme tanka de 31 syllabes. Fait original
à relever, parmi les cent vingt-deux poètes présents dans ce volume,
vingt-six femmes y figurent en bonne place, signe de leur importance dans
le monde lettré à cette lointaine époque.
Contrairement à ce que la forme d’anthologie pourrait laisser penser, ce
recueil répond à une certaine organisation et logique interne, abandonnant
la présentation chronologique pour lui préférer des sections thématiques
telles les saisons si chères à la sensibilité japonaise ; sensibilité
encore extrêmement présente aujourd’hui, ainsi que le relève Michel
Vieillard-Baron dans sa préface. Le lecteur remarquera également la
proximité qui réunissait poésie chinoise et japonaise, le Kokin waka shû
ayant été introduit à l’époque par deux préfaces, l’une rédigée en chinois
par Ki No Yoshimochi et l’autre en japonais par Ki no Tsurayuki.
Pour mieux apprécier la richesse et les évolutions successives de cette
poésie exigeante et néanmoins si inspirante, le lecteur lira avec profit
la très complète étude préliminaire préfaçant le recueil. Un ouvrage
indispensable non seulement à la découverte de la poésie japonaise mais
également à la pleine appréciation de la culture japonaise d’hier et
d’aujourd’hui.
Kamo no Chômei, Urabe Kenkô
Cahiers de l’ermitage, Trad. du japonais par Sauveur Candau, Charles
Grosbois et Tomiko Yoshida. Édition et préface de Zéno Bianu
Extrait de Les heures oisives suivi de Notes de ma cabane de moine
(Connaissance de l’Orient)
Collection Folio Sagesses (n° 7159), Gallimard, 2022.
Ce petit recueil paru dans la collection Folio sagesses livre en seulement
une centaine de pages un concentré de méditation et d’ascèse bouddhique
remarquable. En réunissant en effet les deux maîtres Urabe Kenkô et Kamo
no Chômei, Zéno Bianu qui signe ici une passionnante préface, offre en
effet une belle leçon sur la voie du renoncement menée par ces deux grands
poètes ermites. Abandon des passions, mépris de la haine tout autant que
de la crainte, imaginer sa vie aussi éphémère que la forme d’un nuage dans
le ciel, telle est la précieuse leçon livrée en ces pages inspirantes. Il
ne s’agit pas d’un éloge d’une vie creuse, mais bien du plaisir éprouvé
par la richesse d’une pleine conscience de tous les instants ainsi que le
rappelle Kamo no Chômei : « Depuis que j’ai quitté le monde, et que j’ai
choisi la voie du renoncement, je me sens libre de toute haine comme de
toute crainte ». Place est alors faite à la contemplation du quotidien,
ces petits riens que les deux poètes exaltent et posent au-dessus de tous
les tracas du monde. Des instants précieux pour la plupart du temps
constitués de contemplation de la nature, de gestes du quotidien telle
l’édification pour le moins minimaliste de la fameuse cabane du moine…
Cet ascétisme que l’on retrouve dans le bouddhisme zen n’est pas non plus
sans rappeler celui prôné par le stoïcisme à maintes occasions notamment
dans ce passage où Urabe Kenkô dédaigne ces lieux avec « trop d’objets
autour de soi, trop de pinceaux sur l’écritoire, trop de bouddhas sur
l’autel domestique, trop de pierres, de plantes et d’arbres dans le
jardin… » Antidote à notre quotidien anxieux et surabondant de biens
matériels, cette lecture devrait apporter un vent d’air frais et bien
venu...
Robert Desnos : « Poèmes de
minuit, inédits 1936-1940 » ; Préface de Thierry Clermont, Coll. Poésie
Seghers, 176 p., 135 x 210 mm, Editions Seghers, 2023.
C’est par une confession de Robert Desnos (1900-1945), étonnamment lucide,
que débute la préface de Thierry Clermont aux Poèmes de Minuit
(1936-1940), des poèmes inédits du poète et publiés aux éditions Seghers.
Quelque temps seulement avant d’être arrêté par la Gestapo, puis déporté
avant de mourir du typhus un mois après la libération du camp de
concentration de Theresienstadt, Robert Desnos faisait ainsi remarquer : «
Ce que j’écris ici ou ailleurs n’intéressera sans doute dans l’avenir
que quelques curieux, espacés au long des années. Tous les vingt-cinq ou
trente ans on exhumera dans des publications confidentielles mon nom et
quelques extraits, toujours les mêmes » !
Espérons que la publication de ces inédits datés des dernières années du
poète invalideront ce jugement sévère et permettront à un plus grand
nombre de découvrir le grand poète que fut Robert Desnos. La découverte de
ces inédits inattendus mais si bien venus est due à la sagacité du
passionné des lettres Jacques Letertre qui dirige aujourd’hui la Société
des Hôtels Littéraires. Ce collectionneur et bibliophile impénitent a
acquis de manière quelque peu fortuite ces manuscrits contenant ces
trésors, pas moins de 123 poèmes autographes dont, découverte incroyable,
86 inédits, sans titres et accompagnés de dessins du poète. Desnos s’était
astreint dans ses dernières années à composer un poème chaque soir avant
son sommeil. Dans ces pages souvent sombres et pourtant enclines à
l’ironie, on trouvera aussi quelques saillies prémonitoires tel ce poème
du 9 janvier 1936 :
« Sur cette terre
Moi j’aurai bien rigolé
Pas autant cependant si je ne meurs avant »
Parmi ces traits d’humeur, ou d’humour, c’est selon, cet éternel amoureux
des calembours goûte les évocations farfelues où quelque bizarre animal
débarque soudainement dans un beau salon pour y semer une belle pagaille :
« Fait son entrée – Se vautre sur les canapés – Attise le feu –
Détraque la pendule »… « Drôle d’animal - Joli Salon », conclut
Desnos, un portrait du poète ?...
Des questionnements épars rythment ces pages où animaux, personnages
fantasques ou à peine masqués composent un panthéon éclectique dans lequel
le poète puise son inspiration et se délecte. Ce panthéon s’avère en effet
bien particulier où dérision rime avec émotion, gravité avec légèreté. Au
terme de ce trop court parcours sur terre, le poète notera en guise
d’épitaphe annonciatrice dans l’un de ses tout derniers poèmes : « Moi,
incapable de reculer – Capable de me faire tuer – Plutôt que de céder un
pouce – Pouce Pouce – Je ne joue plus »…
Une spontanéité réfléchie qui séduit et attire irrésistiblement, magie de
Desnos !
Philippe-Emmanuel Krautter
François Gibault : « Céline »,
Nouvelle édition revue et corrigée, Collection Bouquins, 2022.
Les récents développements apportés par la redécouverte pour le moins
rocambolesque des manuscrits disparus de Louis-Ferdinand Céline ainsi que
le décès de Lucette Destouches son épouse en 2019 imposait assurément une
actualisation de la principale biographie parue à ce jour en langue
française et consacrée au célèbre écrivain. François Gibault proche de
Lucette Destouches et exécuteur testamentaire de l’écrivain était mieux
placé que quiconque pour présenter ce long parcours de Louis-Ferdinand
Destouches depuis son plus jeune âge au passage de Choisel jusqu’à ses
dernières années passées, reclus, sur les hauteurs de Meudon avec
perroquet, chiens et épouse…
C’est à un monstre sacré des lettres françaises auquel s’est attaché
Gibault dans cette nouvelle biographie revue et corrigée qui n’écarte
aucun sujet fâcheux comme les accusations de collaboration et autres
pamphlets antisémites que le biographe – avocat convaincu des causes
tendancieuses – souhaitait voir republier par les éditions Gallimard…
La documentation de première main en raison de sa proximité immédiate du
cercle de l’écrivain constitue en premier lieu l’intérêt de cette
biographie des plus complètes avec plus de 900 pages. Mais l’intérêt de ce
fort volume ne tient pas qu’à la qualité de ses sources tant le biographe
tente à faire ressortir toute la cohérence du parcours de Céline en
rapport avec son œuvre, et ce, malgré les impasses empruntées par
l’écrivain et ses contradictions. Souhaitant faire la part des choses
entre l’homme et l’écrivain, François Gibault dresse le portrait d’une
personnalité à la fois complexe et plus humaine que ne l’ont souvent
laissé les impressions rapides de ses caricatures. Resituant les outrances
de l’homme à son époque, Guibault tente d’esquisser la personnalité de
celui qui était à la fois capable de soigner les plus démunis sans
contrepartie financière tout en étant capable de verser dans les délires
antisémites les plus abjects. Céline dans ces pages apparaît avant tout
comme l’un des écrivains majeurs du XXe siècle, ses romans demeurant le
cœur névralgique de ces multiples développements biographiques auxquels
ils sont intimement entremêlés.
Philippe-Emmanuel Krautter
Aldo LEOPOLD : « Almanach d’un
comté des sables », Editions Gallmeister, 2022.
« Il y a ceux qui peuvent vivre coupés de la nature et ceux qui ne le
peuvent pas.» Aldo Leopold est de ces derniers. Impossible pour lui de
vivre hors du système qui nous maintient en vie, ce grand écosystème, et
que l’homme se complait à rendre invivable. Pourtant, la nature se défend
contre cet homme mécanisé et destructeur. Est-ce là un scénario pour un
film ou un livre de fiction ? Est-ce la réalité de notre monde actuel et à
venir… Ce pourrait être une posture de militant écologiste d’aujourd’hui,
et pourtant c’est Aldo Leopold, né en 1877 et décédé en 1948, considéré
comme le père des politiques de protection de l’environnement, qui écrivit
ces textes réunis sous le titre « Almanach d’un comté des sables ».
Il se lève tôt, vit dans la nature, observe tout, des plantes aux animaux,
des étoiles aux levers de soleil et tente de situer la véritable place que
devrait occuper l’homme dans ce monde, en toute modestie, alors que le
grand siècle de l’industrialisation se plaît à l’exploiter et le vider de
sa substance. L’écologie n’est pas une question de petites fleurs. C’est
tenter d’empêcher l’extinction du vivant. Observer, décrire, philosopher
pourquoi pas, écouter, rendre compte, percevoir, contempler et espérer
qu’une véritable prise de conscience mènera sur des chemins plus
respectueux du vivant et par ricochet de nous même, c’est ce que l’on
ressent au long des pages de cet almanach atypique.
Ces textes se lisent comme un traité de non-agression envers la nature et
sous la plume d’Aldo Leopold transpire la poésie, le respect de la nature
pleine et entière, de la plus petite créature jusqu’au cosmos, ressenti
dans chaque cellule de nos corps poussières d’étoiles comme les physiciens
le qualifieront plus tard. Que de résonnances actuelles ! Que de
connaissances et de conscience écologique jamais entendues et considérées
par les politiques, que de temps perdu qui ne se rattrapera jamais. La
lucidité calme de l’auteur invite à réfléchir sur l’orientation hyper
matérialiste de son époque et à opter pour réorienter ses besoins ou à
détourner les biens matériels pour revenir à une meilleure compréhension
de cet équilibre fragile du monde.
Il s’avère plus qu’urgent de mettre en place une éthique solide et
rigoureuse pour ne plus jamais avoir à lire des phrases telles « la
protection de l’environnement marque le pas parce qu’elle est incompatible
avec notre concept abrahamique de la terre. Nous maltraitons celle-ci
parce que nous la regardons comme notre propriété. Le jour où nous la
verrons comme une communauté à laquelle nous appartenons, peut-être
commencerons-nous à en user avec amour et respect. Il n’est pas d’autre
alternative pour qu’elle survive à l’impact de l’homme mécanisé… Le fait
que la terre est une communauté est le concept élémentaire de l’écologie,
mais le fait qu’il faut l’aimer et la respecter est un prolongement de
l’éthique. Que la terre produit une moisson esthétique est un fait connu
de longue date, mais souvent oublié. »
Sylvie Génot Molinaro
« L’art du livre par André Suarès
», Editions Fata Morgana, 2022.
C’est un délicieux opuscule signé André Suarès que nous livrent dans une
édition des plus soignées, avec une typologie choisie et des lettrines
retenues par Louis Jou en 1928, les éditions Fata Morgana. En de petits
chapitres plus réjouissant les uns que les autres, l’auteur y fait l’éloge
de « L’art du livre » ; avec cette passion incommensurable du beau et
cette vison élitiste qui le caractérisent, comparant le livre à une œuvre
architecturale des plus hautes, c’est une réflexion élégiaque sur le livre
que le lecteur savourera ; remontant à la spécificité et beauté des
incunables, soulignant l’évolution inévitable de l’imprimerie et du livre,
c’est aussi une pensée visionnaire des plus surprenantes que nous donne à
lire l’auteur.
Un petit bijou pour amoureux patenté de beaux livres, pour artisans
imprimeurs et éditeurs sincères !
L.B.K.
Philippe Sollers "Graal"
Collection Blanche, Gallimard, 2022.
Ni disciple des Monty Python, encore moins un vénérateur des Chevaliers de
la fameuse table, Philippe Sollers, ou tout au moins le narrateur de son
dernier roman, ne part pas en quête du Graal, mais l’a trouvé depuis bien
longtemps… C’est en terre atlantide, jadis prospère et de nos jours cachée
sous des immensités d’incertitudes et de révisionnismes, que se trouve la
source de ce continent disparu « mais toujours actif atomiquement, et
génétiquement dans l’ombre ». Comme à l’accoutumée, Sollers avance dans
l’ombre, en plein soleil. Ce nouvel Atlante amoureux des îles sait que ces
dernières sont reliées à ce royaume éternel, source vitale où puise ce
jouisseur absolu. Mais nulle trivialité dans ces évocations – même si
quelques détails dont Philippe Sollers a le secret pourront émoustiller ou
choquer, c’est selon. Le propos est ailleurs et sert une voie, la fameuse
voie, non rectiligne qui mène à la mort après avoir vraiment vécu.
Être « l’unique roi de son royaume », avoir cette chance de parler une
langue intérieure à l’heure de l’assourdissement général, sans oublier les
initiations matriarcales, telles sont les directions qui mènent à ces
continents disparus, éternel retour. Le roman confie à qui peut encore
entendre et surtout lire : l’Atlante se ressent comme immémorial et
cultive le secret comme le silence sans oublier son immense mémoire,
qualités qui font cruellement défaut à notre amnésique quotidien. L’amour
comme la foi composent ces espaces où le verbe se fait chair et
habitavit in nobis ainsi que le rappelle saint Jean. Cette présence
nourrit les plus grands artistes depuis les premiers temps de l’humanité,
dès les premières grottes ornées. Nulle bondieuserie dans la pensée de
Sollers, mais dans notre monde « dégraalisé », un mystère joyeux demeure
que cultive l’auteur, ces pages en témoignent.
Philippe-Emmanuel Krautter
Jean-Yves Tadié : « Proust et la
société », Éditions Gallimard, 2021.
C’est à la recherche d’un Proust dans son temps, dans sa société auquel
nous convie Jean-Yves Tadié avec cet ouvrage « Proust et la société » qui
vient de paraître aux éditions Gallimard. L’auteur nous dévoile, tour à
tour, un Marcel Proust sociologue, géographe, historien ou encore
psychologue. Le lecteur retrouvera ainsi Proust dans son milieu avec ses
domestiques mais aussi le dandy regardant la société et « le peuple ». En
ce tournant du siècle, on découvre également un Proust bien ancré dans le
monde de la finance même si ses placements seront souvent malheureux et
que l’écrivain se dit plus d’une fois exagérément ruiné… L’auteur revient
ainsi sur les rapports que l’écrivain entretenait avec l’argent.
Mais, pour cet ouvrage, Jean-Yves Tadié ne s’est pas limité à nous révéler
un Marcel Proust en son temps, il a également entendu faire dialoguer
cette société contemporaine avec celle-là même de A la Recherche du
temps perdu. Ce monde que dépeint et fit vivre avec sa sensibilité et
ses émotions l’écrivain en des pages mémorables, modifiant, changeant noms
et lieux tout en leur laissant une certaine part de réalité. Ce n’est pas
un regard, mais des regards que livre la Recherche. Ainsi, Jean-Yves Tadié
analyse-t-il « La France de 1871 et la famille de Marcel Proust » ou ces «
Figures de la modernité », que l’on retrouve tout au long de la
Recherche et que Marcel Proust, Alfred Agostinelli, mais aussi
Albertine, connurent en leur temps. L’auteur ne souligne-t-il pas en son
introduction que Marcel Proust fut « un prodigieux observateur, et,
d’après les souvenirs de ses amis, dans les salons, les restaurants, voire
les maisons closes, un enquêteur infatigable ». La Recherche rend
compte d’une société, celle dans laquelle l’écrivain non seulement évolua,
celle qu’il observa, scruta, mais aussi celle qu’il écrivit et imagina.
Or, « la société décrite et analysée par Proust, parce qu’elle est
représentée de manière symbolique, est encore vivante, et même « créatrice
». Les structures profondes échappent au temps et aux modes. Il y a une
mode des modes qui, elle, ne se démode pas. », ajoute Jean-Yves Tadié.
Qu’il soit boursicoteur peu chanceux, technophile amoureux, géographe des
lieux…, c’est le portrait d’un Marcel Proust moins connu, parfois inédit
que convoque en ces pages Jean-Yves Tadié, et ce, pour le plus grand
plaisir du lecteur.
L.B.K.
« André Suarès – Ports et rivages
– Anthologie » ; Edition établie, présentée et annotée par Antoine de
Rosny, 384 pages, « Les cahiers de la NRF », 2021.
Ravissement que de trouver réunis dans ces « Cahiers de la NRF » les
écrits ayant pour fil directeur les « Ports et rivages » dans l’œuvre
d’André Suarès. Deux mots qui à eux seuls évoquent bien des facettes de
l’écrivain ; Les ports comme liens d’attache, telle Marseille, sa ville
natale à laquelle il restera attaché, mais aussi les rivages, inséparables
des ports, appels du large et de liberté. Suarès n’eut de cesse
affectivement de chérir cette liberté dont il paya lourdement le prix
toute sa vie. Si André Suarès fut épris de connaissances, d’art, de
livres, s’il fut portraitiste, essayiste, visionnaire, s’il eut aussi pour
passion la musique, l’écrivain - bien qu’établi à Paris, voua également un
amour immodéré pour la mer. On songe, à l’Italie avec « Le voyage du
Condottière » et à Venise ; On songe à la Bretagne avec « Le Livre de
l’Émeraude » et, bien sûr « Marsiho », sa ville natale. N’a-t-il pas écrit
« La mer est mon horizon : ailleurs je ne respire plus ». Et ne se
définissait-il pas dans « Le voyage du Condottière » comme un « homme de
la mer avant tout ».
Mais, cette quête de beauté si chère au poète, d’horizons et d’infini,
d’indépendance qu’offrent « Les Ports et les rivages » ne saurait se
limiter à ses œuvres les plus connues, l’écrivain fut en effet l’auteur
sous divers pseudonymes de plus d’une centaine de livres, d’écrits publiés
dans des revues, sans oublier ses carnets et une abondante correspondance.
Aussi est-ce tout le mérite de cette belle anthologie, présentée et
annotée par Antoine de Rosny, professeur de lettres classiques et membre
du comité d’André Suarès que de mettre en valeur et nous encourager à
découvrir ces joyaux de l’écrivain. Ce sont des « Ports et rivages »
célébrés, contrastés, opposés, mais aimés ; Bretagne et Provence… Mais,
aussi des ports rêvés, ceux des mers grecques et de la Sicile…
Des textes et poèmes choisis et accompagnés d’un riche appareil critique
dans lesquels le lecteur retrouvera ce style inimitable qui fut celui
d’André Suarès (1868-1948). Cette incomparable « sensibilité mise à
peindre le vert Océan breton ou à décliner à l’envi l’inégalable bleu
méditerranéen ! » écrit Antoine de Rosny dans sa présentation.
L.B.K.
Sibilla Aleramo : « Une femme »,
Éditions des Femmes, 2021.
« Depuis que j’avais lu une étude sur le mouvement féminin en
Angleterre et dans les pays scandinaves, ces réflexions se développaient
dans mon esprit avec insistance. J’ai immédiatement éprouvé une
irrésistible sympathie pour ces créatures exaspérées qui protestaient au
nom de la dignité de toutes, jusqu’à supprimer en elles les instincts les
plus profonds : l’amour, la maternité, la grâce. Presque sans m’en
apercevoir, mes pensées s’étaient arrêtées jour après jour sur ce mot :
émancipation… »
Une vie se dessinait avec une certaine évidence pour cette jeune fille
mais un événement totalement involontaire de sa part va tout bouleverser,
l’amour inconditionnel qu’elle portait à son père et réciproquement, ses
relations avec sa fratrie, son avenir même. Elle si curieuse de tout et
qui semblait ne surtout pas vouloir répéter le schéma de vie de sa mère,
qui doutait de la réalité de dieu dans une Italie du nord du début du XXe
siècle, elle qui comprend vite que dans son milieu provincial et étriqué,
aucune chance d’indépendance ne lui sera accordée. Cela lui prendra des
années et des années, luttant contre un mari tyrannique et élevant au
mieux son fils, des années de soumission et de révolte, des années de
dépendance et de soif de liberté, des années de réflexion pour arriver à
écrire. Et écrire lui fut salutaire, lui fit même gagner sa liberté totale
certes au prix d’un sacrifice énorme, d’un renoncement innommable, d’un
abandon dans la souffrance. Mais lorsque la vie lui souffle à l’oreille
que sa place n’est pas dans ce modèle et que seule elle peut défier et
s’émanciper de celui des hommes, alors il n’y a plus une minute à perdre,
la vie trop courte lui montre la voie, celle qui fera de son avenir celui
d’une femme autrice, politisée, d’une liberté intellectuelle qui la
portera au rang international par ses écrits et ses luttes sociales. « Mon
passé me semblait désormais avoir été commandé par une volonté
impitoyablement sagace. Tout n’avait-il pas été disposé en effet pour
préparer l’avenir ? »
Cette autobiographie publiée en 1906 après avoir quitté son mari et son
fils prouva à chaque lectrice – et lecteur - que la liberté de pensée et
d’agir en son âme et conscience pouvait être une véritable révolution et
un mouvement réellement féministe en marche. « Qui avait donc le courage
d’admettre certaines vérités et d’y confronter sa vie ? Pauvre petite vie
mesquine et aveugle, à laquelle on tenait tant !… Chacun tenait son
mensonge avec résignation…Les révoltes individuelles étaient stériles ou
pernicieuses : les révoltes collectives étaient encore trop faibles,
presque ridicules face à l’effroyable puissance du monstre à abattre !
Puis je commençais à me demander si la femme n’avait pas une part active à
la misère sociale… » Sibilia Aleramo (1876/1960) est devenue une femme
libre et active dans un homme exclusivement masculin et a ouvert, très
certainement, la porte à bien d’autres femmes qui ont pris acte que
l’émancipation était une volonté personnelle à mettre en marche quoi qu’il
arrive.
Sylvie Génot Molinaro
« La Grande Grammaire du français
» ; Sous la direction d’Anne Abeillé et Danièle Godard, Éditions Actes Sud
- Imprimerie Nationale Éditions, 2021.
Véritable évènement dans le paysage éditorial français, la sortie de la
Grande Grammaire du français (GGF) marque une étape essentielle quant aux
outils disponibles sur ce sujet toujours délicat. Il n’est en effet un
secret pour personne que la langue française s’avère complexe à maîtriser.
Qu’il s’agisse de sa langue maternelle ou d’une langue secondaire, le
français fourmille de subtilités délicates à mémoriser et autres pièges
rendant son apprentissage souvent difficile. Mais ce sont ces difficultés
qui ont concouru à sa richesse et ces multiples finesses autorisent une
variété infinie de nuances dont la littérature s’est saisie avec la
réussite que l’on sait. Fort de cette importance, les contributeurs de
cette imposante grammaire en deux forts volumes sous la direction d’Anne
Abeillé et Danièle Godard, en collaboration avec Annie Delaveau et Antoine
Gautier offrent pour la première fois aux amoureux de la langue française
un outil suffisamment ample et vaste expliquant toutes les virtualités de
la syntaxe de la langue écrite, mais aussi parlée et contemporaine.
L’ouvrage n’a pas exclu parallèlement aux règles classiques
les usages plus originaux constatés, faisant ainsi de cette recherche
collective un véritable conservatoire de la langue. La GGF, ainsi qu’il
faudra désormais la nommer, établit avec brio un état des lieux de la
recherche et des usages depuis le milieu du XXe siècle jusqu’à nos jours,
les débats ne manquant pas actuellement quant à certains usages en cours…
Aussi la manière d’écrire des SMS, des billets d’un blog ou encore les
diversités régionales sur l’usage du français sont des points abordés sur
ces 2 628 pages en 20 chapitres. 30 000 exemples offrent un ensemble d’une
étonnante richesse sous la forme de glossaire, index, tableaux, schémas,
fiches et autres courbes mélodiques. La version numérique parallèle permet
même d’écouter des exemples sonores !
Le lecteur ne lira bien évidemment pas cet ouvrage en deux volumes de la
première page à la dernière, mais on ne saurait lui recommander de
découvrir l’introduction passionnante consacrée à cette vaste question : «
Qu’est-ce que le français ? ». Il découvrira alors le vaste rayonnement de
cette langue très largement employée au-delà de l’Hexagone et de
l’Outre-mer. Cette richesse posant une autre question « le » ou « les »
français ? Les variations régionales et sociales peuvent laisser pencher
vers une vision plurielle à partir de racines communes. Autre découverte,
la version numérique parallèle à l’édition papier. Disponible soit en
version eBook enrichies (ou PDF Web) soit en ligne, la GGF pouvant être
consultée sur smartphone, tablette et ordinateur dans la mise en page
originale de la version imprimée. La recherche d’un mot ou d’une notion
rend bien entendu cet outil particulièrement précieux pour les étudiants,
chercheurs et tout amoureux de la langue française.
Fruit d’un travail d’une trentaine d’années d’un collectif de 59
linguistes français et étrangers, la GGF établit ainsi pour la première
fois en France un véritable outil scientifique de la langue française.
Dante - « La Divine Comédie »,
Trad. de l'italien par Jacqueline Risset. Édition publiée sous la
direction de Carlo Ossola avec la collaboration de Jean-Pierre Ferrini,
Luca Fiorentini, Ilaria Gallinaro et Pasquale Porro, Bibliothèque de la
Pléiade, n° 659, 1488 pages, rel. Peau, 104 x 169 mm, Gallimard, 2021.
Dante Alighieri (1265-1321) dont nous fêtons le 700e anniversaire de sa
disparition, témoigne à la fois des oppositions politiques de son temps
(la lutte fratricide des guelfes à Florence), mais aussi de l’élévation de
cette âme au-delà des contingences lors de son long exil. L’amour demeure
au centre de cette œuvre gigantesque et foisonnante, celui magnifié pour
la belle Béatrice et qui conduit le narrateur en un chemin souvent
tortueux et périlleux dans les méandres de la vie et de la mort, en trois
étapes de l’Enfer, du Purgatoire et du Paradis.
Dans cette chronique où la poésie s’entrelace aux dénonciations les plus
triviales de son temps, Dante compose une ode annonciatrice de l’humanisme
et conjuguant l’universalité du savoir. Cette poésie omniprésente de celui
que l’on présente souvent comme le « père » de la langue italienne se
trouve encore soulignée par une langue ouverte aux différentes influences,
savantes ou régionales, de son temps comme en ses références antiques en
compagnie de Virgile. Cette atemporalité de Dante confère à son œuvre
cette magie qui dépasse les époques et touche le lecteur avec cette même
acuité qu’une fresque de Michel-Ange, une musique inspirée des psaumes ou
encore de Casella… Ainsi que le souligne Carlo Ossola dans sa préface : «
La Comédie n’est pas un poème mystique, ce n’est pas un itinéraire
sapiential ou initiatique, ni même une simple dette de fidélité envers
Béatrice : c’est un accessus – aussi impraticable et limité soit-il – à la
joie du regard. ». Cette œuvre inclassable convoque chaque lecteur a une
appropriation, lente et exigeante, à emprunter personnellement cet
itinéraire pour une connaissance de la vie et de l’après. Les premiers
mots de la Comédie sont restés célèbres et témoignent de cet examen
personnel : « Au milieu du chemin de notre vie – je me retrouvai par une
forêt obscure, car la voie droite était perdue. » À la recherche de cette
voie droite – symbole de l’espérance chrétienne – Dante offre de multiples
rencontres les plus étonnantes souvent, troublantes d’autres fois. Le
lecteur se nourrit de ces visions tantôt béatifiques, tantôt horrifiques,
le 7e art n’a qu’à bien se tenir. Grâce à la belle traduction de
Jacqueline Risset, le lecteur pourra progressivement franchir ces étapes
et s’approcher des sens cachés de l’œuvre à l’image de ceux suggérés par
le peintre Botticelli dans ses inoubliables illustrations de la Comédie.
Didier Ben Loulou : « Une année de
solitude », Arnaud Bizalion Éditeur, 2021.
« Une année de solitude » en compagnie du photographe Didier Ben Loulou
offre le temps de porter un regard à la fois introspectif et renouvelé sur
la vie. A l’image de cet amandier en fleurs sur la terre esseulée donné à
voir en couverture de l’ouvrage, ce sont des promesses riches de sens qui
effleurent dans ces pages d’une rare profondeur. Le photographe croise le
poète et la quête incessante de cette âme éprise d’absolu le conduit à la
conjonction de la lettre et de l’image, croisée des chemins de laquelle
nous sommes nés, à l’aune de la civilisation.
Point de sublimation artificielle mais une rare acuité sur le réel, ce qui
ouvre les portes de la mémoire, celle des lieux toujours renouvelés et
pourtant éternellement les mêmes. Ce paradoxe n’effraie pas l’artiste qui
veille en Didier Ben Loulou et que ses photographies rappellent. L’homme
retrouve la nature en ce qu’elle possède de plus fort, cet humus qui donne
naissance et reprend la vie en un cycle aussi implacable que les amours
défuntes. Sur une année, Didier Ben Loulou consigne en son journal ces
bribes esseulées, le sens à donner à son travail, à sa vie, en une
sensibilité à la fois profonde et cachée.
En cette quête de l’indicible, le photographe sait capter ces ondes qui le
traversent, frontières toujours ténues entre profane et sacré si chères à
Mircea Eliade. Dans les campagnes de Jérusalem, tout comme dans les
ruelles de la Ville Sainte, ces signes croisent le chemin de cette âme
blessée qui réapprend à vivre, renaissance dont la profondeur des
photographies témoignent même si, pour une fois, ces dernières sont
absentes de ce journal mais omniprésentes entre les lignes. C’est à ce
cheminement auquel nous convie avec discrétion et poésie Didier Ben
Loulou, une lente pérégrination dans les confins de notre for intérieur,
un voyage intime et captivant.
Philippe-Emmanuel Krautter
Michel Leiris : « Journal
(1922-1989) » ; Nouvelle édition Jean Jamin, revue et augmentée ; 1056 p.,
103 ill., sous couverture illustrée, 140 x 205 mm, Collection Quarto,
Éditions Gallimard, 2021.
Difficile de classer Michel Leiris, lui qui fut simultanément poète,
écrivain, ethnographe et avant tout le témoin en alerte de son temps. Le
témoignage qu’il laissa d’ailleurs à l’égard de son Journal s’avère
symptomatique de cette difficulté de classement, alors même qu’il connut
dans ses enquêtes ethnographiques le travail de fichiers de l’ethnologue :
« Un livre qui ne serait ni journal intime ni œuvre en forme, ni récit
autobiographique ni œuvre d’imagination, ni prose ni poésie, mais tout
cela à la fois. Livre conçu de manière à pouvoir constituer un tout
autonome à quelque moment qu’il soit interrompu, par la mort s’entend.
Livre, donc, délibérément établi comme œuvre éventuellement posthume et
perpétuel work in progress » (Journal, 26 septembre 1966). Les éditions
Gallimard ont eu l’heureuse initiative de proposer cette œuvre inclassable
dans la collection Quarto, ce témoignage allant de 1922 à 1989, un an
avant sa disparition. L’intellectuel curieux de tout se souciait plus des
autres que de son propre travail : « D’une certaine façon, je suis
l’antihéros de mes écrits dits autobiographiques. Que voit-on, en effet,
au centre de ceux-ci ? Un homme des plus quelconques, à la vie des plus
quelconques, mais qui simplement sait se regarder et se raconter »
(Journal, 18 novembre 1983). Et là réside certainement la qualité de
l’auteur de ces notes prises au quotidien, une lucidité sans fards, ni
masques, au gré de ses découvertes, de ses rencontres et discussions.
Pourtant l’intellectuel « sait se regarder et se raconter » à l’image
d’une enquête au long cours, l’objet de cette dernière étant ses humeurs,
son goût immodéré pour les beaux costumes et vêtements sur mesure, ce soin
apporté au paraître plus profond qu’il ne peut sembler de prime abord
ainsi que le relève Jean Jamin qui le connût de 1976 à 1990 au musée de
l’Homme. Entre poésie, confessions, ethnographie et autobiographie sans
oublier les innombrables curiosités artistiques, Leiris consigne dans ce
Journal ce qui fait signe, avec lui-même et dans le siècle dans lequel il
s’inscrit. Ce souci extrême de l’attention vigilante surprend et séduit,
sans réserve lorsque l’auteur lors d’un Tour d’Espagne en cargo en 1935
note : « Retrouver la source première… ». Phrase qui l’obsède comme un
début poème… Leiris reste persuadé qu’il faut amadouer l’écriture en
croyant à une certaine bonté des choses et des mots et, à défaut,
s’abstenir ! Fort heureusement, sa perspicacité lui permet d’amadouer et
de fléchir ces résistances. Si la poésie ne coule pas à flot - ce que ne
souhaite pas Leiris - une complicité certaine se fait au fil des années,
une poésie qui devient vite synonyme de liberté ainsi que le souligne
Philippe Sollers qui releva chez lui cette phrase programmatique : « Je ne
peux vivre que dans l’antithèse et le changement. » C’est ce que reflètent
ces 1056 pages de notes éparses, avec parfois un seul titre de livre
consigné, d’autres fois des idées plus complexes développées telles ces
équations mathématiques pour le moins étranges sur les rapports entre le
Moi, la Société et la Nature… (p. 285). Entre ces consignations, des
rêves, beaucoup de rêves qui souvent en disent plus sur leur auteur que
les notes diurnes.
Philippe-Emmanuel Krautter
« Charles Juliet : « Pour plus de
lumière ; Anthologie personnelle – 1990-2012 », Préface de Jean-Pierre
Siméon, Collection Poésie/Gallimard, NRF, Éditions Gallimard, 2021.
En ces temps de sortie de crise et de lueur d’été, il faut découvrir ou
relire la poésie de Charles Juliet. Pour ce faire, paraît aux éditions
Poésie Gallimard une belle anthologie personnelle de 1990-2012, « Pour
plus de lumière », un choix de poèmes extraits des nombreux recueils et
minutieusement retenus par le poète lui-même. Présentés selon un ordre
chronologique, la progression de cette anthologie reflète le cheminement
du poète sur les sentiers escarpés et ardus tant des mots que de la vie.
Issus du recueil « Affûts » de 1990, ils empruntent « L’Autre chemin » de
1991, allant du « Pays du Silence » (1992) ou d’ « A voix basse (1997)
jusqu’au recueil « Moisson » de 2012.
Les titres confient à eux seuls cette réticence aux mots trop faciles, aux
mots qui viennent, qui habitent ou hantent les vers mis à nu par le poète.
« Tu ne sais / où aller / comment t’y prendre / quel mot / quel geste/
pourrait / convenir / et ce qui / se propose/ d’emblée/ tu le rejettes/ tu
gis / au plus / opaque / de ce qui / récuse / toute / réponse »
(Fouilles – 1997).
La poésie de Charles Juliet puise, en effet, sa force et profondeur dans
ce rapport aux mots fait de délicate retenue, d’extrême prudence et de
sourde méfiance, mais aussi de cette invincible confiance en la poésie et
l’écriture.
« attendre attendre / demeurer inerte / laisser s’approfondir / le
silence / mais la faim ronge / s’exacerbe / voudrait me contraindre / à
forcer le seuil / ne rien tenter / ne rien forcer / et d’un mouvement
feutré / suspendre l’affût » (Moisson)
Et si la poésie de Charles Juliet peut paraître épurée, et à tort
minimale, aucun de ces qualificatifs ne permet cependant de dire avec
justesse, ainsi que le souligne en sa préface Jean-Pierre Siméon, la
profondeur et le relief de la poésie de Charles Juliet. Celle-ci puise
telle une encre sans fond à la douleur d’écrire, à la source même de
l’être :
« Et à chaque voix nouvelle, remonter là où elle prend sa source. De
déchiffrer ce qu’elle nous livre de l’être qui nous parle. » (« À voix
basse »).
Affronter cette réticence en un combat incessant même si le poète se sent
à la dérive ; Pourtant sur cette crête, allant de décennie en décennie, ce
sont de belles « avancées », telles des « Moissons » « Pour plus de
lumière », qui rythment les vers et poèmes de Charles Juliet ;
« oui, échapper au temps / à ce qui alourdit / nous tient reclus /
pouvoir nous déployer / dans l’immense » (Moisson – 2012).
LBK
François MAURIAC : « Le Bloc-notes
» - Tome 1 & 2 - Préface de JEAN-LUC BARRE, Coll. Bouquins La Collection,
Éditions Robert Laffont, 2020.
François Mauriac compte assurément parmi les classiques de la littérature
française du siècle dernier. Mais son travail journalistique se trouvait
jusqu’à cette monumentale parution dans la Collection Bouquins quelque peu
plus confidentiel. Si les lecteurs plus âgés pouvaient encore se souvenir
des chroniques régulières tenues par le célèbre éditorialiste à l’Express,
puis au Figaro, les plus jeunes ignorent souvent tout de son fameux «
Bloc-notes », pourtant tant apprécié. Cet esprit vif et acerbe sut
rapidement imaginer, en effet, son propre style, devenu depuis un
classique et imité, celui de l’écrivain-journaliste. Doté d’un jugement
critique sans concessions, quel que soit le parti politique visé, ses
analyses touchaient la plupart du temps au cœur non seulement des pouvoirs
en place, mais aussi les institutions dont il avait décidé de dénoncer les
abus et incompétences.
Mauriac bénéficiait de soutiens indéfectibles de personnalités importantes
tels Pierre Mendès France ou le Général de Gaule. Revendiquant sans
complexe sa foi chrétienne, il pouvait assumer une certaine « vocation
d’irriter », ainsi que le souligne Jean-Luc Barré dans sa préface à ces
deux volumineux volumes. Paradoxalement, si sa poésie et ses romans
peuvent sembler à certains avoir quelque peu vieilli, son travail en tant
que journaliste – même sur des faits pourtant ne relevant plus que de
l’Histoire – a en revanche pris, pour sa part, toute son épaisseur.
Point de travail sur le terrain, ni d’enquêtes pour ces notes régulières,
mais une appréhension du monde et de la société associée à l’acuité de son
jugement et de sa subjectivité en une subtile alchimie. Aussi n’est-il pas
étonnant de trouver chez cet esprit que l’on aurait pu croire conservateur
une farouche défense de la décolonisation… La justice et la charité
participèrent de toutes ses dénonciations, bien avant les vagues des
réseaux sociaux. Journaliste engagé à une époque où cette qualité exigeait
du courage et pouvait même s’avérer physiquement périlleuse, François
Mauriac compta parmi ceux qui savaient dire « non ».
Que peut trouver le lecteur du XXI siècle dans ces près de 2 700 pages ?
Une formidable aventure de l’esprit sur le long terme, deux décennies
d’histoire française allant de 1952 à 1970. Dans cet élan journalistique,
l’écrivain transparaîtra bien entendu de temps à autre : « Si vaniteux que
soit un auteur, il s’étonne toujours si ce qu’il écrit porte loin et porte
haut » ; Avec la belle parution de ces deux volumes du Bloc-Notes que
François Mauriac se rassure…
Philippe-Emmanuel Krautter
Michel Orcel : « L’Anti-Faust ;
suivi d’un Sonnet et de deux Idylles de Leopardi », Éditions Obsidiane,
2020.
Que guette le poète Goethe du haut de sa fenêtre romaine donnant sur le
Corso ? La lumière ? L’inspiration ? Une avenante Romaine ? Seul le
peintre et son ami Tischbein pourraient nous le confier, lui qui sut
saisir sur le vif cet instant immortalisé ornant la couverture du dernier
recueil de poésie « L’anti-Faust » de Michel Orcel… C’est à cette
ouverture d’un monde intérieur, habité et fertile, auquel convient
également ces poèmes inédits de Michel Orcel, dont l’œuvre vient d’être
tout récemment couronnée par le Grand Prix de poésie de l’Académie
française. Nos lecteurs connaissent bien l’inlassable traducteur de Dante,
l’amoureux de l’Italie avec Gabriele d’Annunzio, l’énigmatique passionné
du Coran ou le chantre de l’Opéra italien, mais avec ce dernier ouvrage,
c’est le poète qui se dévoile en des vers où pointe le regard qui se
retourne sur les traces laissées par la vie.
Nul désenchantement, nul larmoiement, mais une lucidité à la fois fragile
et confiante. L’ironie pointe parfois à l’égard de ses aînés, la gravité
aussi avec le lit funèbre. Les étoiles apparaissent ambiguës, elles dont
les reflets vibrants retiennent le regard, tout autant qu’ils le
questionnent. L’Anti-Faust participe de ce regard critique, celui
qui interpelle la connaissance, et le savoir sans limites. L’homme rebelle
sait, qu’à l’image de l’Ecclésiaste, tout n’est que vanité alors que le
limes de nos certitudes se lézarde sous la plume du poète.
Des poèmes où s’entremêlent des liens à jamais indissociables, des
strophes qui apostrophent sans concession et des vers, sans noir
désespoir, ni folle inquiétude, échos de L’infini silence et de
Leopardi :
« Tu es inquiète ? Sois rassurée :
le temps se dissipe comme tes charmes ;
te restent peu de jours à pleurer. »
(Sur une métaphore du Maître et Marguerite)
Philippe-Emmanuel Krautter
"attraction terrestre" poésies de
Wulf Kirsten, traduction de Stéphane Michaud et texte allemand, La Dogana,
2020.
Si la majuscule s’estompe au point de disparaître des poèmes de Wulf
Kirsten, quelques points d’interrogation, ponctuent cependant des phrases
fortes, martelées sur l’enclume de la lucidité :
« - ne voulais-tu pas forger un monde
à partir
de la langue ? réponds ! mets aussi ta part
dans la balance, la culture a dégénéré
en hors-d’œuvre … »
Ces vers sans concession de Wulf Kirsten, né en 1934, sont ceux assurément
ceux de l’un des plus grands poètes contemporains, même si ce dernier n’a
guère trouvé – par quelles circonstances injustifiées ?, d’échos en France
jusqu’à maintenant. L’anthologie éditée aujourd’hui par La Dogana devrait
réparer cet oubli et faire découvrir toute la richesse d’une langue, à la
fois rude et pourtant mélodieuse, à l’image d’une étude pour piano de
Scriabine. Les mots convoquent les sens en une scansion exigeante et
harmonieuse :
« je profite de la lumière du soir,
moi qui plus d’une fois ai été raillé
comme spectateur du monde »
La minéralité de la nature rythme les vers de Kirsten, sans faire pour
autant de sa poésie une ode bucolique. Les pierres constitutives de la
terre et de la vie comptent plutôt parmi les legs de ses parents, dans
cette contrée de Saxe où son père taillait la pierre et son grand-père le
bois… Cet amour de la précision s’est déplacé sur le verbe, accompagné
d’un regard à la fois amoureux et intransigeant sur ce qui l’entoure.
Stéphane Michaud, son traducteur, est parvenu pour ces poèmes à restituer
toute la force et richesse cette langue si particulière, qui ne recherche
pas le travail d’orfèvre, mais plutôt la minutie et la rigueur de celui
qui sait nommer les choses, ce rapport toujours ténu et délicat entre
perception et expression dont la seule langue originelle du poète rend
toutes les nuances :
« sinkendes licht nachthinüber,
abglanz über den fluren,
ein schwirren und zirren, hör nur
die zirpenden tonkünstler,
die sich mitteilen, auch
wenn das ohr sie gar nicht
vernimmt… »
L’histoire des hommes s’immisce aussi régulièrement dans la poésie de Wulf
Kirsten, l’après-guerre dans l’ex RDA fut loin d’apaiser la vie des hommes
déjà tant éprouvés par le gouffre du national-socialisme. Ces blessures
demeurent sensibles notamment dans le poème « Bucovine » où cette
minéralité récurrente devient témoin de ces heures sombres du pogrom. Le
poète ne veut pas non plus oublier cette voix d’un autre poète, Paul
Celan, anéanti par l’impensable. Contre l’oubli, sa poésie se veut témoin
et résonance. De même, cet amoureux des périphéries ne souhaite passer
sous silence les ravages du temps sur la nature et ses talus. Et si
quelques villages peuvent encore, certes, avoir bravé le temps, entre deux
pages d’histoire, ou quelques champs pierreux être demeurés à l’abri des
rageurs remembrements, le temps a cependant passé pour le poète qui nous
livre en ces pages un témoignage sensible d’une rare acuité, à l’image de
ces tableaux du peintre Caspar David Friedrich tant appréciés par Kirsten.
Philippe-Emmanuel Krautter
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BEAUX
LIVRES
et CATALOGUES D'EXPOSITION
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« Miró, un brasier de signes » ;
Catalogue officiel de l’exposition éponyme au musée de Grenoble en
partenariat avec le Centre Pompidou sous la direction de Sophie Bernard et
Aurélie Verdier, Éditions In Fine, 2024.
À retenir le riche catalogue officiel accompagnant l’exposition consacrée
à Joan Miró (1893-1983) au musée de Grenoble en partenariat avec le Centre
Pompidou. Intitulé à juste titre « Un brasier de signes », reprenant ainsi
l’expression de son biographe le poète Jacques Dupin, l’ouvrage sous la
direction des deux commissaires Sophie Bernard et Aurélie Verdier livre
tant au regard qu’à la lecture une très belle mise en perspective de
l’œuvre de l’artiste catalan. Jean-Christophe Bailly revient dès les
premières pages dans sa contribution sur cette origine : « Brève excursion
au Pays de Miro », avant qu’Aurélie Verdier ne s’attache, pour sa part, à
l’enfance de l’artiste et les premières années de son parcours artistique
entre Barcelone, Montroig et Paris.
Le lecteur découvrira, ainsi, au fil des chapitres et pages
l’extraordinaire liberté créatrice de l’artiste. C’est dans le milieu des
années 1920 que Joan Miró trouvera au contact des surréalistes notamment
Robert Desnos et Michel Leiris avec ses « Peintures de rêve » la
reconnaissance artistique et développera toute sa poétique avant le
tournant décisif de 1956 avec son installation à Palma de Majorque ;
Sophie Bernard retient notamment pour sa contribution cet angle original
et fécond du « Langage d’Éros – Surréalisme, inconscient, élan vital et
féminin dans l’œuvre de Miró », alors que Juan José Lahuerta offre, quant
à lui, un beau focus sur « « Anti-peinture et « danseuses espagnoles » de
Joan Miró ».
À partir de 1960, enfin installé dans son atelier de Majorque, Miró
renouvelle alors son langage plastique et poétique ; c’est dans ces années
1960-1961 que seront peints les trois grands « Bleu » I, II et III. Habité
d’une grande puissance intérieure créatrice, il n’aura alors de cesse de
créer, peindre, mais aussi sculpter, appréhendant la céramique, la résine
ou encore les vitraux, etc., avec cette extraordinaire énergie tellurique
ou cosmique, une énergie comme puisée de l’île… et qu’il le mènera à
enchaîner jusqu’à sa disparition à Palma de Majorque en 1983 les
expositions tant nationales qu’internationales.
L’ouvrage donne, enfin, à voir en seconde partie l’ensemble des œuvres de
Joan Miró provenant de la collection du Centre Pompidou, offrant ainsi au
regard et à l’analyse les grandes périodes et l’évolution créatrice de
l’artiste. Un catalogue aussi riche qu’incontournable.
« L’art des icônes » de Tania
Velmans, Citadelles & Mazenod éditions, 2023.
Un ouvrage incontournable signé de la spécialiste internationale de l’art
byzantin, Tania Velmans, vient de paraître aux éditions Citadelles &
Mazenod. Ce sera l’occasion de comprendre combien le mot icône se laisse
plus difficilement appréhender qu’il n’y paraît de prime abord. Son
orthographe, en premier, marque sa singularité par rapport à la peinture.
Ce substantif féminin peut revêtir un accent circonflexe lorsqu’il est
écrit par les académiciens, mais le perd aussi vite chez de nombreux
auteurs qui n’hésitent pas à l’omettre suivant en cela la réforme de
l’orthographe ! L’étymologie nous apprend, en revanche, sans équivoque que
le mot vient du grec eikôn qui renvoie à l’idée d’image, de statue ou de
portrait. L’icône est ainsi une représentation religieuse sous forme
picturale déposée sur un panneau de bois (ce qui la distingue des fresques
également peintes), représentation qui acquière alors une valeur
symbolique et sacrée.
Mais l’auteur dans cette somme didactique remarquable souligne dès les
débuts de son propos combien il est nécessaire d’entrer dans la
compréhension de cet art bien particulier au risque de perdre des pans
entiers de sa signification. Si au 1er siècle de notre ère, et
probablement à l’époque même de Jésus, des icônes auraient commencé à
circuler représentant le Christ et par la suite la Vierge, ces images ne
nous sont malheureusement pas parvenues, non seulement en raison de la
fragilité même de leur support, mais surtout en raison de l’iconoclasme.
Ainsi que le rappelle Tania Velmans dans un chapitre consacré à cette
question, cette doctrine s’opposera farouchement au culte des icônes aux
VIII° et IX° siècles et conduira à la destruction d’un très grand nombre
de peintures sacrées.
Ces pratiques iconophobes démontrent ainsi que cette
création laisse rarement indifférent. Ferveur pieuse devant laquelle le
croyant se signe, porte même parfois des gants pour la toucher, l’icône
est beaucoup plus qu’une représentation religieuse, attitude vénérée dans
la tradition orthodoxe, plus éloignée de la sensibilité catholique et
protestante.
L’auteur explore ainsi la sacralisation progressive de cette image mobile
byzantine tout en rappelant ses fonctions. Les plus anciennes icônes
parvenues jusqu’à nous remontent au VI° siècle, c'est-à-dire au Bas-Empire
et correspond à la fin de l’Empire romain. Les références littéraires que
l’on peut retrouver avant cette date semblent plus concerner des icônes «
descriptives » que réellement sacrées. C’est donc à partir du VI° siècle
que l’art de l’icône prend son essor avec un culte de plus en plus marqué.
Elles ne sont plus des objets de mémoire mais de véritables entités de
dévotion à part entière. Elles pourront même être miraculeuses dans
certains cas, notamment celles qui sont estimées comme n’étant pas faites
de la main de l’homme (acheiropoiètos). Le christ pantocrator
(tout puissant) ou encore la Vierge Hodigitria (qui montre le chemin)
entreront dans les canons les plus anciens de l’art de l’icône. Après la
période macédonienne caractérisée par des canons artistiques très stricts,
le XI° siècle va en effet glisser vers un style plus austère, chargé
d’accentuer l’aspect spirituel des représentations peintes. Le XII° siècle
infléchira cette évolution avec des représentations plus chaleureuses
telle la très belle Vierge Eléousa peinte à Constantinople, si célèbre par
les nombreuses reproductions qui en seront faites et qui évoque une mère
pleine de tendresse à l’égard de son petit enfant lové entre ses bras. La
solennité de la représentation s’efface en effet pour ouvrir à une
dimension de miséricorde particulièrement émouvante. Le styles des
Comnènes analysé par l’auteur souligne combien l’art des icônes en ce XIIe
s. connaît un style délicat et une force d’expression encore jamais
réalisés ainsi qu’il ressort de l’icône « Le Miracle de Chonae »
appartenant au monastère Sainte-Catherine du Mont Sinaï.
Au terme de cette somme remarquable, le dernier chapitre retrace le
rayonnement de l’icône non seulement dans l’espace mais aussi selon les
siècles, témoignant ainsi de l’importance de cet art trop souvent méconnu.
« Poésies d’Emily Dickinson –
Illustrées par la peinture moderniste américaine » ; Edition bilingue
anglais/français ; Traduction et notes de Françoise Delphy ; Préface de
Lou Doillon ; Direction scientifique de l’iconographie et introduction
d’Anna Hiddleston ; Relié sous coffret illustré, 412 pages, 24.5 x 33 cm,
Editions Diane de Selliers, 2023.
Quel plus grand plaisir que de retrouver la poésie d’Emily Dickinson dans
cette magnifique édition illustrée par les plus grands artistes de la
peinture moderniste américaine de la première moitié du XXe siècle. Quels
artistes pouvaient, en effet, mieux dialoguer avec l’une des plus grandes
poétesses américaines du XIXe siècle ? À cette poésie empreinte à la fois
de légèreté et de profondeur, d’audace et de mélancolie, d’irrévérence et
d’éternité, c’est effectivement avec la même musique, rythmes, mais aussi
silences que viennent répondre ces immenses paysages, l’éternité de ces
ciels et larges horizons dans ce bouleversement des couleurs… Des œuvres
signées, ici, par plus de 60 artistes américains dont Edward Hopper,
Charles Burchfield, Georgia O’Keeffe ou encore Charles Burchfield dont
l’aquarelle « Butterfly Festival » aux milles papillons multicolores
offrent un écrin de choix pour le coffret de cette édition d’exception : «
Au nom de l’Abeille – / Et du Papillon – / Et de la Brise – Amen ! ».
Rockwell Kent, « Azopardo River », 1922,
huile sur toile, 86,7 × 111,8 cm The Phillips Collection,
Washington
Une poésie de lumière et d’ombre, ainsi que le souligne dans son
avant-propos l’éditrice Diane de Selliers : « L’aube, le crépuscule, la
vie et la naissance, les saisons, les vagues de l’âme, la mort,
l’aspiration à l’éternité. » Le lecteur retrouvera, en effet, dans ce
dialogue œuvre / Poésie toute l’irrévérencieuse sensibilité et modernité
de la poésie d’Emily Dickinson dans un choix de pas moins de 162 poèmes
présentés en anglais et traduits pour cette édition avec cette même
sensibilité par Françoise Delphy, spécialiste d’Emily Dickinson. Un
merveilleux et fructueux dialogue que relève d’emblée Anna Hiddleston dans
son introduction « Des mots à la peinture : Emily Dickinson et le
modernisme américain ».
Georgia O'Keeffe, Grey Blue and Black - Pink Circle, 1929,
huile sur toile, 91.4x121.9 cm, Dallas museum of art,
Dallas
Au fil des pages, c’est en effet toute l’émotion de
l’univers d’Emily Dickinson que le lecteur ressentira ; cette étrange
intensité que traduisent les majuscules intempestives, les tirets et les
merveilleux vers courts mêlant légèreté et d’éternité de cette poétesse
dont nous connaissons en fait si peu de choses, relève encore Diane de
Selliers : « Tant de mystères planent sur la vie et la personnalité d’Emily
Dickinson, femme hors du commun recluse dans la petite ville de Amherst à
l’ouest de Boston, dans le Massachusetts, où elle mourut en 1886… ».
Edward Hopper, Railroad Sunset, 1929, huile sur toile,
74.5x122.2 cm, Whitney museum of American art, New York
C’est un monde singulier, une vision propre à elle seule
que nous offre, en effet, Emily Dickinson, mais qui paradoxalement résonne
et trouve cet étrange écho en chacun de nous… « C’est comme si je
demandais l’Aumône, / Et que dans ma main étonnée / Un Étranger mettait un
Royaume / et que j’en sois abasourdie - / C’est comme si je demandais à
l’Orient / s’il y avait un Matin pour moi / Et qu’il lève ses Digues de
pourpre / Et me fracasse l’Aube ! »
Ainsi que le note Lou Moillon en sa préface : « Lire Emily Dickinson,
c’est découvrir un monde auquel on n’a pas accès, qu’on a le sentiment
d’avoir connu, d’avoir perdu, un éden duquel nous avons été bannis. »
“ Werner Bischof - Unseen Colour »
; Edition établie par Ludovica Introini and Francesca Bernasconi; Version
anglaise, 184 p., 102 illus. couleur, 21 x 24 cm, en collaboration avec
MASI Lugano et Fotostiftung Schweiz, Winterthur, Scheidegger & Spiess,
2023.
Les éditions Scheidegger & Spies offrent avec le présent volume consacré
au grand photographe suisse Werner Bischof (1916-1954) un aperçu
représentatif et complet de son travail allant de la photographie de mode
jusqu’aux prises de vue des plus déshérités, sans oublier ses fameux
reportages en noir et blanc d’après-guerre et guerre d’Indochine…
L’ouvrage réalisé avec soin met en avant ses premières photographies
couleur pour lesquelles le photographe aborde un autre aspect de son œuvre
où pointent les meurtrissures de l’après-guerre, mais aussi quelques
rayons de couleurs au détour d’un champ ou d’une encadrure de porte…
Bischof dans ses négatifs laisse percevoir à la fois un monde en
dévastation mais également toutes les espérances d’un lendemain meilleur.
La photographie de mode, bien sûr, est annonciatrice d’un monde que le
photographe ne connaîtra pas (il disparaît en 1954) mais dont ses œuvres
sont la préfiguration en jouant des effets de cadrage et de luminosité
sortant du classicisme et saturant avant l’heure les couleurs. L’ouvrage
est éclairé par de passionnantes études signées Clara Bouveresse,
historienne de la photographie française, Peter Pfrunder, directeur du
Fotostiftung Schweiz à Winterthur, et Luc Debraine, directeur du Musée de
la caméra suisse à Vevey.
Le lecteur pourra ainsi découvrir la manière dont le
photographe avait recours à divers types d’appareils ainsi que leurs
différentes techniques. Mais l’ouvrage séduira également pour ces univers
à jamais révolus, des témoignages sensibles d’une époque en transition et
que Bischof sut saisir avec une rare acuité artistique à la fois
remarquable et inoubliable.
« Zao Wou-ki – Catalogue raisonné
des peintures – Volume II – 1959-1974 », Co-édition Fondation Zao Wou-ki /
Editions Flammarion, 2023.
On ne peut que souligner et se réjouir de la parution du deuxième volume
du catalogue raisonné des peintures – 1959-1974 - de Zao Wou-ki sous la
direction de Françoise Marquet-Zao et Yann Hendgen. Un volume plus
qu’attendu depuis 2019, date de parution du premier volume couvrant les
années 1935 à 1958. Absolument splendide, avec une iconographie
exceptionnelle qu’exigeait assurément la création du célèbre artiste
chinois, ce beau livre offre en première partie un riche corpus des œuvres
de cette période accompagné de fructueuses contributions signées notamment
Melissa Walt, Yann Hendgen, directeur artistique de la Fondation Zao
Wou-Ki, ou encore Stephen Chao, neveu de l’artiste. Des textes offrant
pour chaque période de 1959-1974 des éclairages passionnants et parfois
inédits.
1959-1974, quinze années marquées par la reconnaissance internationale de
l’artiste et durant lesquelles « s’exprimant désormais dans un langage
pictural cohérent et mature, élaboré au cours des décennies précédentes,
il occupe une position stable sur la scène mondiale. », écrit Ankeney
Weitz dans sa préface. Âgé de 40 ans, marqué par la rupture avec sa
première femme et rentrant d’un tour du monde, c’est en effet la
reconnaissance qui désormais l’attend dans son nouvel atelier de Paris.
Ce sont des œuvres exceptionnelles que cet ouvrage donne à voir, souvent
sur de pleines pages ; des œuvres puissantes tels cet « Hommage à Henri
Michaux » de 1963 ou encore cette toile de 1973, « Hommage à René Char ».
Des toiles dans lesquelles l’énergie semble capturée non seulement à
jamais, mais à l’infini. Zao Wou-Ki dira n’avoir maîtrisé la peinture à
l’huile que dans ces années 1960… Reste que l’artiste n’aura eu de cesse
de chercher cette vision métaphysique du monde propre à lui, faite de
souffle, de vibrations et de poésie… Une œuvre qui fera de Zao Wou-Ki l’un
des plus grands représentants de l’abstraction.
« Louis Lagrenée (1725-1805) » de
Joseph Assémat-Tessandier, Editions Arthéna, 2023.
Le peintre français Louis Lagrenée couvrant de son art tout le XVIIIe
siècle fait l’objet d’une belle publication aux éditions Arthéna sous la
plume de Joseph Assémat-Tessandier, auteur lui ayant consacré une thèse
remarquée. Il fallait, il est vrai, une monographie captivante afin de
mieux faire connaître cet artiste souvent injustement méconnu et pourtant
à la belle carrière officielle, peintre d’Histoire, reçu à l’Académie
royale et directeur de l’Académie de France à Rome. C’est ainsi vœu exaucé
!
Louis Lagrenée connaîtra, en effet, un parcours « classique » avec un Prix
de Rome en 1749 et plus de 150 tableaux présentés au Salon du Louvre de
1755 à 1789. Cette carrière florissante en tant que peintre, mais aussi
décorateur et portraitiste s’inscrivit dans le mouvement rococo qui
s’imposa sous le règne Louis XV et qui se caractérise par son raffinement
et ses thèmes de prédilections pour les sujets galants et autres
évocations pastorales. Le classicisme et l’antique tiennent, cependant,
également une place importante dans l’œuvre de l’artiste où portraits,
scènes mythologiques et autres allégories sont l’occasion pour ce dernier
de déployer son art à la fois délicat et raffiné ainsi que le lecteur
pourra le constater et l’admirer dans ces pages avec des œuvres notables
telles « Les Amours de Psyché et de Cupidon » ou encore « Mars et Vénus ».
Soulignons encore que le rayonnement de Louis Lagrenée dépassera largement
les frontières du royaume pour s’élargir jusqu’à la Cour de Russie où
l’artiste connaîtra également la consécration en devenant le peintre
officiel de la tsarine Catherine II. Sa longévité le portera à peindre
jusqu’au terme de sa vie et à transmettre son art à de jeunes générations
d’artistes.
Surtout, et ainsi qu’il ressort de ce riche ouvrage exhaustif, de
nouvelles et belles découvertes ces dernières années d’œuvres considérées
comme perdues, mais aussi des études préparatoires et autres carnets de
croquis ont permis de préciser et d’augmenter encore l’ampleur de son
catalogue.
Artiste à la renommée internationale et emblématique du XVIIIe siècle,
Louis Lagrenée compte assurément parmi les artistes majeurs de ce siècle
et cet ouvrage permettra au lecteur d’en apprécier toute la richesse
notamment grâce à une iconographie remarquable accompagnant un catalogue
complet.
« Le Lin, fibre de civilisation(s)
» sous la direction d’Alain Camilleri, Editions Actes Sud, 2023.
Voici un bel hommage rendu au lin, cette plante également synonyme du fil
et du tissu auxquels elle donne naissance après un long processus de
culture et de techniques. Comment cette frêle plante aux teintes bleutées
si caractéristiques en plein cœur de l’été dans nos campagnes a-t-elle
plus se frayer un tel chemin au fil des millénaires et des civilisations ?
C’est le sujet de ce livre aussi beau qu’informé grâce à la collaboration
des meilleurs spécialistes sur la question. À l’heure des multiples
questionnements sur une agriculture raisonnée, le lin occupe une place de
choix tant ses multiples vertus font de lui une plante d’avenir. Et
pourtant, son histoire ne date pas d’hier si l’on songe à son importance
déjà dans l’économie égyptienne pharaonique. Chaque pan de l’histoire a su
tisser un maillage séré avec le lin ainsi que le découvrira le lecteur
dans ces pages allant de la préhistoire jusqu’à nos jours. Mais cet
ouvrage ne se veut pas qu’une seule histoire du lin – ce qu’il offre déjà
avec réussite – mais entend aussi livrer une réflexion actuelle sur
l’engouement que le lin suscite auprès des créateurs, stylistes et
designers sans oublier l’art de vivre qu’il véhicule. Un bel ouvrage
informé et captivant retraçant les enjeux que cette petite plante dénommée
le lin n’a pas fini de susciter !
« Noël Coypel - Peintre du roi »
sous la direction de Guillaume Kazerouni & Béatrice Sarrazin, 28 X 24 CM,
352 p., Snoeck éditions, 2023.
C’est au peintre du XVIIe siècle, quelque peu tombé dans l’oubli, Noël
Coypel qu’est consacrée cette vaste somme aux éditions Snoeck à l’occasion
des expositions qui lui sont consacrées au Château de Versailles et musée
des Beaux-Arts de Rennes. Ainsi que le relève en préface Laurent Salomé,
Directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon : Si
Coypel fut négligé, ce n’est cependant ni en raison d’un talent médiocre,
ni d’un rôle secondaire dans les chantiers monumentaux entrepris durant le
règne du Louis XIV qu’il servit fidèlement. Il fut, il faut l’avouer,
injustement éclipsé par Le Brun et peu aimé de Mansard. Son style bien
différent de ses contemporains tout en s’inscrivant dans l’air du temps,
celui de à l’école de Bologne et de l’influence du grand maître Nicolas
Poussin, n’est pourtant pas dénué de paradoxes et de singularité, ainsi
qu’il ressort de la lecture de ce riche ouvrage collectif réalisé sous la
direction des spécialistes de Coypel, Bénédicte Sarrazin et Guillaume
Kazerouni, également co-commissaires des expositions.
En retraçant, en premier lieu, le cercle du peintre académique et ses
années de formation, le catalogue souligne l’héritage du paysage bolonais
– et ses couleurs – ainsi que l’influence de Charles Errard qui repèrera
rapidement le talent et la propension du jeune artiste à s’inscrire dans
la politique de grands décors du Grand Siècle. Ainsi vont se succéder de
grandes commandes auxquelles Coypel participera activement : le parlement
de Rennes avant de s’illustrer par les grandes réalisations des
différentes demeures royales (Tuileries, Versailles, Meudon…) que Béatrice
Sarrazin analyse dans le détail de ces pages.
La dimension religieuse fait l’objet également d’une section passionnante
sous la plume de Guillaume Kazerouni avec une impressionnante série
d’œuvres développant un traitement original de la transcendance tout en
s’inscrivant dans des critères formels traditionnels.
Le catalogue se termine par une section consacrée à une part méconnue et
néanmoins importante de l’artiste à la manufacture des Gobelins, Coypel
ayant également consacré son art à celui de la tapisserie avec des cartons
et maquettes somptueux analysés par Clara Terreaux et Arnaud Denis. Enfin,
Guillaume Kazerouni vient conclure cette somme indispensable à la
compréhension de Noël Coypel avec des pages dédiées aux dernières années
de sa vie, années qui malgré les relégations seront marquées par des
œuvres brillantes et loin d’être mineures faisant de cet artiste une
personnalité bien singulière et d’une longévité artistique exceptionnelle.
« Passion Partagée - Une
collection d’art africain constituée au XXIe siècle », Bruno Claessens,
Michel Vandenkerckhove , Didier Claes, Hughes Dubois (photography) ;
Relié, 384 p., 31 x 28 cm, Fonds Mercator, 2023.
L’art africain fait l’objet ces dernières décennies d’une
exploration et belle mise en valeur tendant à lui restituer toute sa
richesse et ses multiples variations. Car l’appellation même au singulier
« d’art africain » demeure encore bien trop réductrice ainsi qu’en
témoigne ce somptueux livre d’art paru aux éditions Fonds Mercator et
réalisé par Bruno Claessens, Michel Vandenkerckhove , Didier Claes et
Hughes Dubois pour la photographie. La rencontre de passionnés, celle du
collectionneur Michel Vandenkerckhove et du marchand d’art Didier Claes, a
en effet donné naissance à cet ouvrage servi par une iconographie
remarquable signée en noir et blanc par Hughes Dubois. Les œuvres
dialoguent entre elles, une conversation qui n’aurait pas déplu à un
certain André Malraux…
Si les traces écrites de la culture africaine font souvent défaut, les
multiples œuvres d’art ainsi présentées et qui ont su tant inspirer les
artistes au début du siècle passé forment le musée témoin de la grandeur
de ces civilisations pour nombre d’entre elles disparues. Ces quelque deux
cents objets réunis dans ce livre d’art révèlent en effet au-delà de la
collection d’Anne et Michel Vandenkerckhove les richesses encore
insoupçonnées du continent africain, au-delà des clichés encore trop
présents des arts dits « traditionnels ».
Cette statue Mumuye en bois du Nigeria à l’équilibre
parfait, cette figure de reliquaire Mahongwe en bois et métal du Gabon à
l’ovalité matricielle renvoient aux notions les plus sacrées de ces
civilisations dotées d’une si riche cosmographie. Les masques, les
fétiches sans oublier les sublimes sculptures des Lega de l’est de la
République du Congo manifestent non seulement la dextérité de leurs
artistes mais témoignent également de la richesse de la pensée symbolique
africaine. Raffinement artistique et mythologies constitutives se
conjuguent avec un rare bonheur au fil des pages de cette collection
inspirée.
« Portraits : architectural
parables » de François Charbonnet et Patrick Heiz, 656 pages, Editions
Park Book, 2023.
Première parution consacrée au célèbre cabinet d’architecture Mad In, cet
ouvrage signé François Charbonnet et Patrick Heiz, les fondateurs, devrait
être fortement salué, et ce à plus d’un titre !
En premier lieu, « Portraits : architectural parables » offre une mise en
perspective originale des idées et perceptions en matière d’architecture
et de design au fil du temps ayant influencé ou orienté les nombreux
projets et réalisations du célèbre cabinet d’architecture et design
suisse. L’ouvrage est, en effet, parti du postulat que tout projet repose
avant tout sur les pensées ou perceptions visuelles l’ayant précédé. Ce
sont ces extraordinaires métamorphoses qu’ont souhaité retracer les
auteurs et fondateurs, François Charbonnet et Patrick Heiz, au travers de
multiples et riches thèmes porteurs.
Aussi n’est-il pas étonnant, en deuxième lieu, que « Portraits :
architectural parables » offre une extraordinaire iconographie des plus
variées mariant plans, photographies et célèbres toiles en passant même
par des extraits de la Recherche ! L’ouvrage de plus de pages 650 fait
appel et s’appuie, en effet, sur une incroyable documentation et
information issues aussi bien de projets architecturaux, de l’histoire de
l’art, de la littérature ou encore de notre cadre vie au quotidien…
Surtout, à la lecture de ce fort volume, à la présentation, reliure et
format allongés, sobres et originaux, le lecteur découvrira l’ensemble ou
plutôt la méthodologie et process de penser protéiformes retenus par le
célèbre cabinet d’architecture et design suisse Made In. Refusant tout
système fermé et approche exhaustive, l’ouvrage a fait choix de donner à
lire une façon de penser et de concevoir foisonnante et des plus fécondes.
Une approche et méthodologie de conception que François Charbonnet et
Patrick Heiz ont su développer et transmettre dans leur enseignement au
Département d'architecture de l'ETH Zurich ainsi qu’à l'Accademia di
architettura de Mendrisio.
Pour toutes ces raisons, cet original, riche et fertile ouvrage devrait
retenir l’attention de plus d’un professionnel ou curieux et figurer au
titre de livre de référence dans toute bonne bibliothèque !
« Chess Design » de Romain
Morandi, Norma Editions, 2022.
Véritable hommage esthétique au noble jeu dont les origines se perdent
dans la nuit de temps, « Chess design » présente une documentation
exceptionnelle sur le jeu d’échecs avec près de 300 échiquiers parmi les
plus précieux ou célèbres. En couvrant de manière exhaustive plus d’un
siècle de création de l’Art nouveau dès 1895 à l’an 2000, Romain Morandi,
historien de l’art et propriétaire de la galerie portant son nom, signe un
ouvrage que ne pourra que faire date. L’ouvrage présente en effet
l’évolution des formes et des designs de ce jeu réunissant un échiquier et
16 pièces par joueur de formes aussi variées que celle de la créativité
des artistes présentés en ces pages. Chess Design fait ainsi la preuve que
l’art a su s’inviter dans cette pratique souvent jugée élitiste jusqu’au
siècle dernier et qui par sa démocratisation a autorisé une multiplicité
des formes et même des couleurs dans un univers pourtant singulièrement
codifié. Ainsi que le relève Romain Morandi dans sa préface : «
l’échiquier symbolise la prise de contrôle, non seulement sur des
adversaires et sur un territoire mais aussi sur soi-même ».
Fort de ces enjeux, les plus grands artistes allaient s’emparer de cette
discipline mondialisée et souvent représentée par des personnalités qui
deviendront des stars. Bois, verre et céramique se verront compléter par
des matériaux inusuels en ce domaine tels l’acier, le plastique et même
des matériaux composites, sans parler bien entendu du numérique. Les plus
grands noms de l’art et du design laisseront le témoignage de leur
créativité, on pense bien entendu à Marcel Duchamp et Man Ray, mais aussi
Calder, Vasarely, et plus proche de nous Damian Hirst.
Les passionnés d’échecs ou amateurs de beaux objets jetteront assurément
leur dévolu sur cette mine d’information aussi plaisante à regarder grâce
à sa riche iconographie que passionnante à lire !
« HIROSHIGE - Les éventails d'Edo
- Estampes de la collection Georges Leskowicz » ; Textes de Christophe
Marquet avec la collaboration de Toshiko Kawakane ; Fondation Jerzy
Leskowicz ; 288 p., 198 illus., 35 x 24 cm ; Reproduction des estampes au
format d’origine, In Fine Éditions, 2022.
Le maître de l’estampe japonaise Hiroshige (1797-1858) est passé à
l’immortalité depuis le milieu du XIXe siècle pour son habileté à saisir
tout aussi bien des paysages qui l’ont rendu célèbre que de courtes scènes
que nul autre artiste ne réussira à concurrencer. Les estampes pour
éventails constituent une part souvent méconnue et plus rare de l’œuvre de
ce grand artiste. Aussi est-ce avec curiosité et plaisir que le lecteur
pourra découvrir cet ouvrage paru aux éditions In Fine consacré aux
éventails d’Hiroshige dits « d’Edo » offrant de magnifiques reproductions
d’estampes au format d’origine.
Ce livre d’art restitue toute la magie des éventails plats en bambou (uchiwa)
du dernier imagier d’Edo avec cette habileté à se saisir d’infimes scènes,
règne de l’éphémère si cher à l’esprit japonais. Ces estampes faisant
partie de la collection Georges Leskowicz sont présentées en ces pages
pour la première fois par Christophe Marquet et Toshiko Kawakane, ces
spécialistes replaçant ici ces œuvres précieuses et rares dans le contexte
de l’histoire de la gravure pour éventails au Japon.
Que l’on retienne la lecture savante proposée par ces auteurs ou bien une
découverte au fil des pages en un plaisir purement esthétique, le lecteur
appréciera le raffinement du trait, l’équilibre toujours saisissant des
couleurs, cette habileté à suggérer un quotidien transcendé par la beauté
de la nature en autant de scènes délicatement composées…
Si nous pensions bien connaître l’œuvre du grand maître de l’estampe
japonaise de la première moitié du XIXe s., cet ouvrage se chargera de
manière esthétique de nous faire la preuve du contraire !
« African Modernism - The
Architecture of Independence. Ghana, Senegal, Côte d'Ivoire, Kenya, Zambia
» ; Sous la direction de Manuel Herz avec Ingrid Schröder, Hans Focketyn
and Julia Jamrozik ; Photographies de Baan et Alexia Webster ; 640 pages,
23,5 x 32 cm, 2nd édition, Park Books 2022.
Rapidement épuisé après sa sortie en 2015, cet ouvrage consacré à la
modernité africaine fit l’objet d’un accueil unanime et reçut de
nombreuses récompenses : Lauréat du FILAF d'or, premier prix des meilleurs
livres sur l'art en 2015 au FILAF (Festival international du livre et du
film d'art), désigné également comme étant l’un des plus beaux livres
suisses de 2015, lauréat du DAM Architectural Book Award 2016… Cette
reconnaissance justifiait ainsi une nouvelle édition sur un sujet souvent
méconnu et donnant à lieu à bien des réductions postcoloniales. Car, ainsi
que le démontrent les auteurs de cette somme remarquable, le continent
africain recèle des trésors d’architecture des années 50 et 60, période
clé de son histoire caractérisée par l’accès à l’indépendance de la
plupart de ces États.
Contrairement à l’idée reçue, ces pays et notamment ceux faisant l’objet
de ces analyses – à savoir le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Kenya et la
Zambie – ont su exprimer leur identité par des créations architecturales
d’envergure. Ce modernisme africain s’est ainsi manifesté de la manière la
plus créative qui soit par des bâtiments aussi ambitieux que talentueux,
point de rencontre entre ce nouvel élan et les cultures locales. Les
auteurs présentent et analysent dans ces pages abondamment illustrées une
centaine de réalisations avec leur descriptif, images, plans de sites et
d’étage. Les prises de vue réalisées par Iwan Baan et Alexia Webster sont
pour la plupart d’entre elles récentes et permettent de se faire une idée
du projet initial sans pour autant en masquer leur état actuel, souffrant
souvent de l’épreuve des temps à l’image de biens de nos édifices
occidentaux…
Véritable somme consacrée à l’urbanisme et l’architecture postcoloniaux, «
African modernism » fait entrer de plain-pied le lecteur dans un univers
foisonnant de créativité ne donnant qu’une envie, celle de découvrir ces
réalisations sur site !
Les auteurs :
Manuel Herz dirige son propre studio de design et d'urbanisme à Bâle et
à Cologne. Il est professeur assistant à l'Université de Bâle. Ingrid
Schröder est architecte et directrice du programme MPhil en architecture
et design urbain à l'Université de Cambridge. Elle a été nommée directrice
de l'École d'architecture de l'Architectural Association à Londres en mai
2022 et assumera ce poste en août 2022. Hans Focketyn dirige sa propre
agence d'architecture à Bâle et enseigne en tant que professeur à l'école
d'architecture, de bois et de génie civil de l'Université des sciences
appliquées de Berne à Berthoud, en Suisse. Julia Jamrozik est architecte
et professeure adjointe à l'École d'architecture de l'Université de
Buffalo à Buffalo, NY. Conçu par Marie Lusa.
« Jean Bardin (1732-1809), le feu
sacré » ; Catalogue sous la direction d’Olivia Voisin, 304 p., Editions Le
Passage, 2022.
Le présent catalogue publié par les éditions Le Passage propose au lecteur
une découverte, celle d’un peintre du XVIIIe siècle trop souvent
injustement méconnu, et pourtant auteur de nombreuses œuvres d’art
déterminantes à la veille de la Révolution. Accompagnant l’exposition du
musée des Beaux-Arts d’Orléans, cet ouvrage nous fait entrer au cœur même
de la création artistique en cette fin du XVIIIe siècle dans le contexte
des Lumières et d’un Ancien Régime qui s’estompe. Jean Bardin, peintre de
talent et reconnu à son époque sait également dispenser son art au plus
grand nombre, notamment dans le cadre de l’École gratuite de dessin à
Orléans alors qu’il avait atteint l’âge de 53 ans. Ce pédagogue hors pair,
ainsi que le souligne les nombreuses études que le catalogue réunit, sut
en effet transmettre non seulement l’art de la peinture d’histoire que
nous retrouvons dans les nombreuses reproductions couleur qui ornent avec
bonheur cet ouvrage, mais également de magnifiques évocations d’art sacré
dans lequel le peintre excellera également. Remportant le prix de Rome,
Bardin dont le goût assuré correspond aux standards de son époque saura
aussi réaliser des toiles prestigieuses telle sa grande œuvre, le cycle
monumental des sept Sacrements pour la chartreuse de Valbonne, dans le
Gard. Virtuosité, précision du trait et magnificence de la couleur dans
l’esprit de Nicolas Poussin qu’il vénéra sa vie durant caractérisent l’art
de Bardin ainsi qu’il ressort de ce riche catalogue qui aura entre autres
mérites – et non des moindres - de rappeler la mémoire d’un peintre qui
inventa un nouveau langage préfigurant le siècle à venir.
Jean-David Jumeau-Lafond :
“Martine de Béhague, une esthète à la Belle Époque”, Flammarion, 2023.
Le Nirvana, yacht privé de Martine de Béhague, 80 m de long, a sillonné
les mers lointaines afin d’assouvir cette soif d’absolu qui anima toute sa
vie cette richissime collectionneuse d’œuvres d’art. On prêtait à la
Comtesse Martine d’acquérir une œuvre d’art par jour au temps de la Belle
Époque… Cette passion remonte à loin, sa mère comme son père ayant eu
également un goût de la beauté, legs précieux pour leur enfant. Tout est
objet, pour cette femme curieuse et intrépide, de découvertes au fil de
ses multiples voyages : tableaux, archéologie, bibliophilie, architecture…
La Méditerranée formera notamment l’un de ses champs de recherche, avec
une attirance certaine pour l’antique. Tout en connaissant les grands de
ce monde, artistes et écrivains tels Henri de Régnier, Marcel Proust ou
encore Paul Verlaine, cette personnalité atypique cultivait les
contrastes. Éprise de beauté, elle aimait à préserver sa solitude et
appréciait par-dessus tout un cercle restreint d’habitués. Cette quête
d’esthète constituait la raison même de sa vie ainsi que le souligne
Jean-David Jumeau-Lafond. Peut-être a-t-elle recherché dans ces œuvres
d’art ce qu’elle n’avait su préserver de son mariage qui fut un échec ? Sa
fantaisie la poussait à chérir cette liberté qui devait primer sur tout,
et sa curiosité s’étendait à un large registre de créations, sans pour
autant être une collectionneuse invétérée. Son hôtel particulier rue
Saint-Dominique était le symbole de ses multiples attirances et abritait
différents salons consacrés à ses nombreuses passions où l’antique se
disputait aux beaux arts. Son rapport aux œuvres n’était pas celui du
spécialiste, mais relevait plus d’une quête d’absolu jamais atteint. Ainsi
que le relève Valentine de Ganay en préface, Martine de Béhague n’a jamais
cessé de faire des choix très personnels, qualifiés pour certains
d’éclectisme, choix qui pourtant ont composé un ensemble certes subjectif
mais qui a cependant rejoint celui des grands passionnés de l’art depuis
l’aube des temps. Cet ouvrage refait vivre cette véritable odyssée grâce
aux très nombreux documents inédits réunis par la sagacité de l’historien
de l’art Jean-David Jumeau-Lafond, une pérégrination aux multiples visages
qui ne pourra que susciter la curiosité et l’intérêt du lecteur.
« Martine Martine » Yves Gagneux –
Catalogue raisonné tome II, 24,5 x 31 cm, 280 pages, Éditions du Regard,
2022.
Avec ce deuxième tome paru aux éditions du Regard, Yves Gagneux,
conservateur général du patrimoine et directeur de la Maison Balzac, et
Guillaume Daban nous convient à cette belle découverte l’œuvre de
l’artiste Martine Lévy. Née à Troyes en 1932 dans une famille de
collectionneurs, c’est très tôt qu’elle se trouve initiée à l’art auquel
elle consacrera toute sa vie. Plus connue sous son nom d’artiste Martine
Martine, son œuvre sera protéiforme, qu’il s’agisse des médiums employés
allant du dessin au pastel, en passant par la gravure et l’huile sans
oublier la sculpture, des thèmes multiples qui inspireront un catalogue
impressionnant dont ce deuxième volume venant compléter l’inventaire.
Comment caractériser le travail de Martine Martine avec ce deuxième opus
du Catalogue raisonné servi par une édition soignée et remarquable ? Par
delà la diversité des thèmes et des séries, Martine Martine appréhende ses
sujets dans sa globalité, avant d’en livrer par de multiples séries un
nombre impressionnant de facettes tel qu’il ressort de ces premiers
carnets traitant des portraits de sumotori dont la rondeur et la vigueur
des visages ont su capter l’œil de l’artiste.
À la manière du théâtre kabuki, Martine Martine esquisse
quelques traits marquants qui parviennent à restituer la vitalité et la
profondeur de ces instants saisis presque sur le vif. En autant de petites
vignettes, ces carnets déstructurent le sujet afin de se l’approprier et
de donner vie à une nouvelle représentation. Les carnets III & Mémoires
III allant de 2003 à 2013 prolongent cette démarche et prennent comme
nouveau champ de recherche Balzac dont Martine Martine livre une multitude
de portraits et de lavis, répétant inlassablement cette exploration de la
physionomie, devenant elle-même œuvre d’art. Tenant presque de la démarche
initiatique, ce geste quasi obsessionnel envoûte le lecteur et le conduit
à une certaine extase, à l’image des compositions d’un Philip Glass ou de
Steve Reich. Au terme de ce parcours singulier et fascinant, le lecteur
aura le sentiment d’entrer dans l’intimité de la création de Martine
Martine, ce qui n’est pas le moindre des attraits de ce superbe Catalogue
raisonné.
« Maurice Calka – Le sculpteur du
design » de Xavier de Jarcy, Editions Albin Michel, 2022.
C’est avec un vif intérêt que le lecteur découvrira cette belle et
première monographie consacrée à Maurice Calka (1921–1999) et signée par
le journaliste Xavier de Jarcy aux éditions Albin Michel. De ce «
sculpteur de design » ayant marqué l’histoire de l’art de la deuxième
moitié du XXe siècle, chacun a bien entendu à l’esprit son fameux bureau «
boomerang », objet du design pop iconique des années 1969, tout en
couleurs et rondeurs et qui illustre la couverture de ce beau livre. Mais,
Maurice Calka est aussi et surtout un génial artiste pluridisciplinaire
donnant à voir une variété de réalisations et matériaux incroyables allant
de la sculpture au design urbain ou encore à l’architecture. Qui ne se
souvient également, à la simple évocation de son nom, de ces fameux
papillons géants de Vanves venus si agréablement égayer le « périph’ »
parisien en 1981 ?
Véritablement artiste inclassable, sculpteur, designer, dessinateur,
architecte et urbaniste, l’œuvre de Maurice Calka ne saurait laisser
indifférent. Aussi, est-ce avec bonheur que les amateurs de design, mais
aussi tout collectionneur ou curieux d’art découvriront cet ouvrage soigné
avec son format carré et ses couleurs acidulées. Devant tant
d’expériences, de matériaux et de réalisations, l’auteur, Xavier de Jarcy,
a fait choix d’une approche chronologique allant des jeunes années de
l’artiste à « L’école Calka »… Des places ou bâtiments publics aux
intérieurs plus intimistes, l’artiste n’a eu, en effet, de cesse d’innover
et de surprendre. Remportant le Premier Grand Prix de Rome de sculpture en
1950, Maurice Calka se fait connaître avec un nouvel art urbain dès les
années 60. Optant pour une « Sculpture pour tous », l’artiste saura
s’imposer avec des sculptures, bas-reliefs ou encore fresques que ce soit
à Clamart ou encore Reims. Les multiples places publiques réalisées par
l’artiste retiendront également, bien sûr, l’attention, tant ces dernières
s’enchaînent avec une diversité et couleurs à couper le souffle ; on songe
à Saint-Louis de La Réunion, à Paris, à la place des Gradins de Torcy en
1975… Et puis, comment oublier, Maurice Calka, architecte ou designer ?
Comment oublier cette fabuleuse Renault 5 Cacharel de la fin des années
1970 ?
Et, oui, Maurice Calka, c’est tout cela et il fallait assurément une telle
monographie complète et incontournable pour rendre hommage à ce grand
artiste de la deuxième moitié du XXe siècle.
« Proust, la fabrique de l'œuvre »
sous la direction d’Antoine Compagnon, Guillaume Fait et Nathalie Mauriac
Dyer, catalogue d’exposition BNF, 240 pages, Gallimard, 2022.
Vaste entreprise que d’explorer la fabrique de l’œuvre de Marcel Proust !
Mais, une heureuse initiative entreprise aujourd’hui sous la direction
d’Antoine Compagnon de l’Académie française à l’occasion de l’exposition
éponyme actuellement à la BnF. A l’image d’un abécédaire littéraire des
plus nourris, le présent catalogue présente de A à Z, la création
littéraire proustienne avec des entrées aussi variées et pittoresques que
« Water-closet », « Zut, zut, zut, zut » ou « Kapitalissime »… Derrière
l’apparent farfelu de certaines de ces thématiques se trouve cependant
développé avec brio et passion le véritable laboratoire d’écriture de
l’auteur de La Recherche. Ainsi que le relèvent Antoine Compagnon,
Guillaume Fait et Nathalie Mauriac Dyer « la vision de l’écrivain au
travail dans ses manuscrits s’impose aussitôt au lecteur », évoquant les
fameuses paperoles qui accompagnaient ce travail souvent long et répété de
rédaction se nourrissant de multiples références croisées. Comment
cependant recoller tous ces morceaux accumulés par ce long processus de
composition ? Quelle relation entretenait l’écrivain avec le temps, ce
fameux « Temps », tout au long de la genèse de l’œuvre à accomplir ?
Comment avons-nous reçu ce legs un siècle après et que faire de ces
multiples manuscrits constituant la création proustienne ? C’est à ces
questions auxquelles répond avec précision et clarté ce riche catalogue
illustré, bien sûr, par de nombreuses reproductions des manuscrits de
Marcel Proust, mais aussi de photographies d’époque et autres œuvres
d’art. Pour les amateurs du célèbre écrivain, mais aussi pour les esprits
curieux souhaitant vagabonder de page en page dans l’immense laboratoire
de la création littéraire d’A la recherche du temps perdu, cet abécédaire
réservera bien des agréments et exquises surprises.
« L’Épopée de Gilgamesh »
illustrée par l’art mésopotamien, direction scientifique de l’iconographie
et introduction d’Ariane Thomas, photographies de Jean-Christophe Ballot,
traduction de l’arabe d’Abed Azrié, volume relié sous coffret, 24,5 x 33
cm, 280 pages. Éditions Diane de Selliers, 2022.
Les éditions Diane de Selliers offrent au lecteur l’un des plus anciens
témoignages de l’humanité avec « L’Épopée de Gilgamesh », une source
antique de plus de quatre mille ans et dont certains épisodes tel celui du
Déluge, du passeur ou encore celui du serpent ont été repris par nombre de
civilisations antérieures. Nous sommes en Mésopotamie, berceau de notre
humanité avec l’agriculture et l’écriture, et ce héros légendaire que fut
Gilgamesh, roi de la dynastie d’Ourouk, qui connaît par delà les multiples
aventures affrontées toutes les émotions d’un mortel aspirant à
l’immortalité…
Ainsi que le souligne la spécialiste Ariane Thomas, directrice du
département des Antiquités orientales du musée du Louvre, cette geste
remarquable se divise en deux parties, celle d’un roi jeune et intrépide,
ami indéfectible d’Enkidou, auquel arrivent toute sorte d’aventures, puis
une deuxième partie avec la mort de son ami, une période marquée par le
chagrin et les doutes avant de partir en quête de l’immortalité…
Cette épopée incroyable concentrant un éventail saisissant de sentiments,
reliant passé et présent, propose ainsi une lecture universelle du destin
humain et de la quête du sens de la vie. À la différence du mythe qui
développe le caractère surhumain de ses personnages, l’épopée retient
quant à elle le caractère humain – trop humain – du personnage de
Gilgamesh qui sera soumis à un parcours initiatique tel celui d’Ulysse
dans l’Odyssée. Véritable genèse de la philosophie dans ses derniers
développements, « L’Épopée de Gilgamesh » anticipe par certains de ses
aspects ce que les philosophies hellénistique et romaine développeront
notamment avec le stoïcisme.
Au terme de son parcours, Gilgamesh atteint une certaine sérénité, celle
d’un homme qui a compris que le destin n’appartient pas aux rêves futurs
et incertains ainsi que le soulignera plus tard le philosophe Sénèque,
mais dans cette vie à l’instant présent dont il nous faut cueillir les
fruits, ici et maintenant…
Il fallait pour ce récit si précieux un écrin à la hauteur et, comme à
l’accoutumée, Diane de Selliers a réuni un trio de choix notamment en la
personne de Jean-Christophe Ballot qui livre en ces pages de véritables
œuvres d’art photographiques accompagnant le texte de l’Épopée. Ses prises
de vue en noir et blanc révèlent et accentuent la richesse des œuvres
millénaires des antiquités orientales notamment du musée du Louvre et
autres collections mondiales grâce au savant éclairage sur ces œuvres
apporté par Ariane Thomas. Gabriel Bauret, auteur de plusieurs livres sur
la photographie, souligne cette double richesse du texte et de l’image,
richesse qui peut s’apprécier simultanément ou bien successivement. Enfin,
palme doit être rendue à la belle traduction offerte par le poète et
chanteur Abed Azrié, né à Alep, qui a su se saisir à partir de traductions
arabes du souffle épique de ce texte immémorial.
Un voyage au long cours proposé par les éditions Diane de Selliers et dont
les étapes initiatiques ne manqueront pas de passionner les lecteurs de
cet ouvrage qui rend un bel hommage à cette civilisation qui inventa
l’écriture.
« Wang Keping » de Virginie
Perdrisot-Cassan, Aline Wang et Anne-Laure Buffard ; Relié, 224 pages, 23
x 30 cm, 250 illustrations, Editions Flammarion, 2002.
Beaucoup se réjouiront de cette première monographie en français consacrée
au sculpteur chinois Wang Keping. L’ouvrage co-écrit par Virginie
Perdrisot-Cassan, historienne de l’art, Aline Wang, directrice du studio
Wang Keping, et Anne-Laure Buffard, directrice adjointe de la galerie
Obadia, offre au regard et à l’analyse une riche et belle mise en
perspective de la carrière et de l’œuvre de Wang Keping avec un éclairage
en particulier sur ses œuvres de maturité.
Les sculptures de Wang Keping livrent un langage singulier autour de
thèmes et de formes qui se jouent, se nouent et s’enroulent tels ces «
couples » ou ces oiseaux aux formes épurées et arrondies. Mais, « Mes
oiseaux ne sont pas des oiseaux – souligne Wang Keping – se sont du bois,
des sculptures. Mes oiseaux sont des contes, de l’imagination.»
Affichant une nette préférence pour le bois, il fut très tôt surnommé « Le
Maître du bois ». Cette prédilection pour le bois, quelle que soit
l’essence, ne le quittera plus, et se retrouve encore dans ses œuvres de
maturité, des sculptures monumentales en bois, donc, mais également en
bronze telle cette sculpture « Lolo » en bronze pour la fondation Camignac
de 4 mètres de hauteur. L’ouvrage revient également sur ce choix du bronze
dès la fin des années quatre-vingt par l’artiste ; Wang Keping que le
lecteur retrouvera notamment dans la fonderie suisse en 2009.
Aujourd’hui internationalement reconnu, rappelons que Wang Keping fut un
des fondateurs du mouvement d’avant-garde chinois, The Stars Art Group, à
la fin des 1970. L’artiste, exilé politique, arrivé en France en 1984,
acceptant les influences respectives de Brancusi, de Zadkine mais aussi de
Zao Wou-Ki ou encore de Gao Xinglang, a su très tôt imposer son propre
style, cette profonde force de vie aux variations infinies.
« Monet » de Ségolène Le Men, 320
illustrations couleur, Relié sous jaquette et coffret illustrés, 29 x 33,5
cm, pages 456, Editions Mazenod & Citadelles, 2022.
Cette somme unique en langue française consacrée à l’ambassadeur de
l’impressionnisme que fut Claude Monet ne pourra que réjouir les amateurs
d’art et amoureux du peintre de Giverny. Tout ou presque a été réuni en
cet ouvrage d’exception de taille imposante (456 pages) afin de retracer
la longue vie fertile de celui qui à juste titre a été présenté comme le
père de l’art moderne. En ces pages illustrées avec soin par une abondante
iconographie de plus trois cents illustrations couleur, Ségolène Le Men,
professeur émérite d'histoire de l'art a l'université Paris Nanterre et
membre senior de l'Institut universitaire de France, parvient à se saisir
de cette immense icône de la peinture en une approche renouvelée et
convaincante.
L’ouvrage retrace en effet les tout débuts du jeune artiste au Havre
lorsqu’il signait encore Oscar ses caricatures, pan méconnu de l’art du
futur maître et qui témoignait déjà de l’acuité de son regard… Ségolène Le
Men insiste justement sur ces premières années souvent passées sous
silence et qui ont eu pourtant leur importance pour l’évolution ultérieure
de l’artiste. Notamment les influences de Boudin et Jongkind, les
premières impressions laissées par la nature saisies dans ce dessin
annonciateur « Les Bords de la Lézarde » où le crayon noir sur papier gris
anticipe les futures inspirations du peintre dans son traitement des ondes
et du végétal. Les fameuses Marines de Boudin, ce jeu subtil des nuages et
de la mer concourront eux aussi à ce rapport unique que Monet entretiendra
entre sa main le paysage et la toile. Ces initiations tissent en effet
progressivement un maillage complexe de références que l’artiste usera à
l’envi dans de multiples séries passées à la postérité depuis : les
Meules, la gare Saint-Lazare, la cathédrale de Rouen avant les hypnotiques
variations de Giverny.
Ce regard formé aux multiples effets et impressions du plein air sera par
la suite enrichi d’autres rencontres et sources d’inspirations ainsi qu’il
ressort de son attrait irrépressible pour les arts de l’extrême orient
sans oublier la photographie et les premières heures du cinéma… Cet
ouvrage se trouve également éclairé par la confrontation de sources
multiples grâce à l’abondante correspondance du peintre, les témoignages
de ses contemporains, l’ami de toujours, Georges Clemenceau, sans oublier
Mirbeau, Zola, Proust.
Au final, c’est un Claude Monet plus familier que nous livre Ségolène Le
Men, mais aussi un artiste inaccessible lorsque son art le transporte en
d’infinies variations. Une somme indispensable pour mieux approcher non
seulement Claude Monet, mais également de manière plus générale
l’Impressionnisme auquel il a livré ses plus belles œuvres.
« Albrecht Dürer – Gravure et
Renaissance » ; Collectif, Château de Chantilly / BNF, Editions In f=Fine,
2022.
Le fort riche catalogue qui accompagne l’exposition consacrée à Albrecht
Dürer (1471-1528) au Jeu de Paume du Château de Chantilly entrainera son
lecteur non seulement dans l’immense œuvre de l’artiste, mais aussi sur
les routes de la Renaissance ; car, admirer l’œuvre gravée du Dürer qui
fut également orfèvre, dessinateur et peintre, c’est aussi parcourir
l’Europe de la Renaissance en ce tournant du XVe au XVIe siècle. L’artiste
dut, en effet, toute sa vie durant non seulement parcourir les chemins et
cours d’Europe pour trouver commanditaires et commandes, mais eut
également un goût personnel prononcé pour le voyage. C’est donc une belle
mise en perspective que livre l’ouvrage replaçant l’immense créativité de
l’artiste au cœur des échanges et changements, non seulement artistiques
mais aussi politiques et religieux, de son époque.
Ainsi, après les années de formation de l’artiste dans l’effervescence
artistique de Nuremberg - « La fabrique d’un artiste », à l’aube de 1500,
le lecteur découvrira-t-il un premier et long chapitre consacré à « Dürer
en Italie à l’heure de la gravure » : Dürer et l’artiste Jocopo de Barbari
qu’il admire et rencontrera probablement à plusieurs reprises. L’artiste
vénitien transmettra à Dürer la passion de l’étude des proportions, mais
aussi Dürer et Raphaël, Dürer et Leonard de Vinci, ou encore l’artiste à
Venise où il rencontra un véritable succès ; « Ici, je suis un prince »,
écrira-t-il… Venise marquera effectivement un tournant dans l’œuvre de
l’artiste avec des œuvres exceptionnelles telles « la Fête du Rosaire ou «
le retable Landauer »…
Dans un deuxième temps, le lecteur découvrira le graveur, « chez lui »
dans son atelier, une étape essentielle ouvrant sur les maîtres allemands
notamment Martin Schongauer mais aussi sur les artistes issus de son
atelier notamment Hans Baldung Grien, Hans Wechtlin ou encore Lucas
Cranach. Dürer maîtrisera toutes les techniques de la gravure (bois,
burin, eau-forte et pointe sèche).
Mais surtout, avant de se refermer sur l’artiste aux Pays-Bas notamment
lors de son établissement à Anvers, ce riche catalogue de plus de 280
pages et largement illustré s’arrête sur la reconnaissance du graveur de
son vivant - « Dürer à son sommet », avec cette représentation du monde
qui lui fut si chère ; Une représentation du monde qui fit de lui ce
graveur incomparable et universel et qui marqua à jamais non seulement son
époque mais sut rayonner jusqu’à nous…
« 6 Months in the fridge – Travels
throught Northern Europe » ; Photographie de Michael Königshofer ; Relié,
208 pages, Version anglaise, Éditions teNeues, 2021.
C’est à un fantastique voyage dans le Grand Nord de l’Europe, en
Scandinavie, auquel le photographe Michael Königshofer nous invite avec
bonheur. « 6 months in the fridge » précisément ! Une aventure avec pour
seule étoile, l'étoile Polaire et le cercle polaire de l’arctique…
Le lecteur suit ainsi avec plaisir et curiosité cet extraordinaire
photographe australien en Norvège, en Islande, en Écosse jusqu’au
Groenland. La splendeur des paysages émerveille, Michael Königshofer ayant
su, en effet, restituer par son objectif toute la beauté et magie de ces
somptueuses terres du nord de l’Europe.
Pour Mikael Königshofer comme pour son lecteur, chaque jour ou page de ces
contrées lointaines enneigées et glacées offre son lot de découvertes et
surprises. Car au-delà de la beauté des paysages, c’est aussi un lointain
habité fait de rencontres que nous conte Mikael Königshofer. Habitants,
traditions et cultures y sont également capturés et racontés avec passion
par ce talentueux photographe qui avoue avec humour avoir toujours froid
même en Australie !
Appuyé par un riche texte et de cartes, pêcheurs, artisans ou encore
surfers, mais aussi art et architecture s’y dévoilent, parfois en de
saisissants contrastes, dans de grandioses et époustouflants paysages de
Scandinavie. Tout le talent du photographe Michael Königshofer au service
de la splendeur du grand froid du nord de l’Europe.
« Simon Hantaï » - Catalogue de
l'exposition Fondation Louis Vuitton sous la direction d’Anne Baldassari,
29 x 30.5, 370 pp., Fondation Louis Vuitton / Gallimard, 2022.
Avec cet impressionnant catalogue consacré à Simon Hantaï et publié à
l’occasion de l’exposition qui se tient à la Fondation Louis Vuitton, Anne
Baldassari offre une somme inégalée sur l’artiste dont nous fêtons cette
année le centenaire de la naissance. L’impressionnante rétrospective
qu’abrite la Fondation Vuitton méritait effectivement un tel hommage.
L’ouvrage au format généreux réunit non seulement deux entretiens précieux
pour entrer dans l’œuvre de l’artiste avec les témoignages de son épouse
Zsuzsa Hantaï et de Daniel Burren, mais aussi de nombreuses contributions
notamment de Jean-Luc Nancy, Georges Didi-Huberman, Jean Louis Schefer
ainsi qu'une chronologie de la vie de Simon Hantaï par Anne Baldassari.
Né en 1922 en Hongrie et naturalisé français, ce « Souabe errant » ainsi
qu’il se qualifie fréquemment n’aura de cesse de partir à la recherche de
significations, une errance toujours questionnée au fil de son riche
parcours évoqué en ces pages. C’est en France qu’il réalisera l’essentiel
de son oeuvre dont plus de 130 sont reproduites, ici, en un large format.
Suivant un parcours chronologique, l’ouvrage défile une à une les pages
des grandes évolutions marquant le travail de cet artiste insatiable et au
regard scrutateur. « On ne peint que pour Dieu » aimait à rappeler le
peintre d’origine catholique, une ferveur et un élan qui se matérialisera
par de larges aplats et « déplis » de couleurs profondes et éclatantes.
Ainsi que le souligne Georges Didi-Huberman, Hantaï déploie dans ses
œuvres une mémoire familiale profonde, élargie par le recours à la
couleur, anamnèse par des surfaces successives de couleurs.
Ce catalogue nous fait entrer de manière éclatante dans la richesse de
cette œuvre protéiforme, peintures à signes, monochromes, mariales,
Catamurons, Panses, Meuns, etc. Un véritable parcours initiatique éclairé
par des œuvres d’autres artistes ayant compté dans le développement de
Simon Hantaï tels Henri Matisse ou Jackson Pollock.
Nombreuses seront les découvertes à la lecture de ce précieux catalogue
qui complètera idéalement la remarquable exposition actuellement à la
Fondation Louis Vuitton Paris.
« Tokyo pourpre – Une nuit dans le
Tokyo undergroud » de Jean-Christophe Grangé avec les photographies de
Patrick Siboni, Éditions Albin Michel, 2021.
C’est une poésie pourpre et singulière qui est née de cette féconde
rencontre entre le célèbre auteur français de thriller Jean-Christophe
Grangé et le photographe Patrick Siboni. Cette étrange atmosphère pourpre
est celle d’un Tokyo underground que l’écrivain, passionné par le Japon, a
découvert lors de ses recherches pour la « La terre des morts ». « La
nuit, Tokyo est rouge » écrit l’auteur, et c’est ce Tokyo rouge, écarlate,
qu’arpentent chacun avec leur sensibilité Jean-Christophe Grangé avec sa
plume et Patrick Siboni avec son objectif.
C’est, en effet, à la rencontre d’un Tokyo moins connu auquel nous convie
tant l’écrivain que le photographe avec cet ouvrage. Tokyo de la fin de
journée lorsque la nuit s’avance doucement et offre les « Premières
rencontres », la femme japonaise, la table, etc. Puis, lorsque la nuit
d’Extrême-Orient enveloppe la ville, la pluie, les lumières qui s’allument
et le dernier train qui s’éloigne… Car Tokyo jamais ne dort et se révèle
encore tard dans la nuit au-delà des clichés ; lorsque s’ouvre un autre
monde, lorsque néons, enseignes, stations de métro s’illuminent tout de
rouge et se répondent tel « Un battement sourd, un murmure organique, un
magnétisme intime, qui vous attire et vous effraie à la fois » écrit
encore Jean-Christophe Grangé.
Un ouvrage livrant en un format à l’italienne un étrange Kaléidoscope de
Tokyo du crépuscule jusqu’à l’aube dans une envoûtante déclinaison du
rouge avec ses secrets et passions ; sourde alors le rouge écarlate, cogne
et bat le rouge sulfureux et éclate ce rouge d’un « Tokyo pourpre »
profond et secret, car « Tokyo la nuit recèle de milliers de secrets, et
parcourir ses rues, jusqu’au bout de l’aube, s’apparente à une quête de
tous les extrêmes, envoûtante, inouïe, inoubliable. » écrit
Jean-Christophe Grangé livrant un « Tokyo pourpre » underground jusqu’au
bout de la nuit.
« Modigliani »de Thierry Dufrêne ;
Relié sous coffret illustré, 330 illustrations, 29 x 42 cm, 324 pages,
Editions Citadelles & Mazenod, 2022.
Les qualificatifs ne manqueront pas pour évoquer la toute dernière
parution « Modigliani » aux éditions Citadelles & Mazenod. Exceptionnelle,
cette biographie de Thierry Dufrêne l’est assurément à plus d’un titre, à
commencer pour son généreux format 29x42 et la richesse de l’iconographie
rassemblée. Mais l’ouvrage consacré à l’un des plus grands artistes du XXe
siècle apparaît, dès les premières pages, comme l’une des synthèses les
plus inspirées sur le peintre et le siècle dans lequel il s’est inscrit.
Thierry Dufrêne revisite le mythe de l’artiste maudit qui a longtemps
caractérisé le parcours et l’œuvre d’Amadeo Modigliani. Le biographe a
multiplié les questionnements sur la genèse de son œuvre, réinterrogeant
non seulement ses origines italiennes, mais également ses sources
d’inspirations allant de Michel-Ange aux masques africains.
Si, bien entendu, la place et le rôle joués par les
artistes de Montmartre et de Montparnasse sur le jeune Amedeo seront
déterminants, l’admiration pour Toulouse-Lautrec mais aussi les approches
de Gauguin, Degas et encore Cézanne ne sauraient être négligés. Le lecteur
comprendra rapidement que le musée imaginaire de Modigliani est complexe
et touffu, à l’image de la société qui se dessine, progressivement sous
ses yeux, au tournant du siècle. Paris et les femmes resteront au cœur de
son œuvre, ses portraits « sculptées » sur la toile révélant – sans s’y
soumettre pour autant – toutes les influences artistiques de ses aînés,
Picasso en tête.
L’ouvrage parvient à force de démonstrations éclairantes appuyées par une
iconographie convaincante à faire surgir l’extrême originalité et
complexité de l’œuvre de Modigliani. Nombreux sont les courants de
l’histoire de l’art qui trouvent en l’artiste une convergence lumineuse,
renouvelant les thèmes abordés en de multiples inspirations. Tels ces
inoubliables portraits de femmes, Jeanne, Hanka ou encore Lunia dont les
reproductions en grand format soulignent la luminosité de la palette de
Modigliani. Les réalités sociales de son époque se trouvent ainsi
sublimées par le regard posé par l’artiste, un regard métamorphosé pour sa
dernière période (1918-1919) après un long séjour sur la Côte d’Azur…
Un ouvrage d’exception qui ne pourra que faire date dans la bibliographie
de Modigliani, autant pour la force rhétorique de ses développements que
pour sa beauté de livre d’art.
« Far Far East – A tribute
to faraway Asia”; Textes d’Alexandra Schels ; Photographies Patrick
Pichler ; 272 pages, Version : Anglais / Allemand, Éditions teNeues, 2021.
C’est une splendide invitation au voyage que nous proposent Alexandra
Schels et Patrick Pichler avec « Far Far East », un ouvrage nous
entraînant sur les chemins de huit pays d’Extrême-Orient : Sri Lanka,
Chine, Mongolie, Japon… Le lecteur parcourt ainsi en compagnie des auteurs
les nombreux chemins et paysages de l’Asie, chaque pays dévoilant ses
espaces, sa culture et ses traditions.
Que ce soit les textes d’Alexandra Schels ou les magnifiques photographies
de Patrick Pichler, chaque chapitre invite, en effet, à la découverte, à
la curiosité avec pour fil directeur cette « Ode au ralentissement ». Car,
en ces pages, aussi belles les unes que les autres, ce sont des traditions
différentes, des contrées lointaines, déserts ou métropoles que nous
découvrons avec émerveillement. Sur plus de 260 pages avec des
photographies souvent époustouflantes pleine-page ou double page, chaque
pays révèle ainsi sa singularité ; hautes montagnes du Népal, métropoles
de la Corée du Sud, nomades de Mongolie…
Que cela soit à pied ou par train, c’est l’Asie avec ses sentiers de
montages, ses rivages et baies, ses villes et habitants au travers huit
pays différents qui livre en ces pages toute sa beauté et ses secrets… Un
bel hommage à l’Asie.
« Beatriz Milhazes » ; Sous la
direction de Hans Werner Holzwarth ; Edition trilingue français/anglais
/allemand ; 26 x 34 cm, 580 pages, Éditions Taschen, 2021.
Comment résister à cet univers d’explosion de couleurs ? C’est, en effet,
une magnifique invitation à entrer dans cette fabuleuse galaxie de
couleurs brésiliennes que propose cette splendide monographie consacrée à
l’artiste Beatriz Milhazes et parue aux éditions Taschen. Cette somme de
plus de 500 pages sous la direction de Hans Werner Holzwarth offre au
regard toute la puissance de lumière et de couleurs du pays natal de cette
artiste brésilienne hors du commun.
Alternant entre abstraction et symboles ou scènes de vie brésiliennes, les
toiles de Beatriz Milhazes transmettent une énergie rare, une force de vie
incroyable qui la caractérise et a fait la signature de l’artiste. Nées
sous l’influence d’Henri Matisse ou encore de Bridget Riley, ces œuvres
livrent en effet une exubérante chorégraphie envoûtante de couleurs. Mais,
l’œuvre de Beatriz Milhazes sait aussi se faire plus musique et
s’assombrir sous le vent de la mélancolie. C’est cette richesse et
complexité que le lecteur découvrira dans ces merveilleuses pages,
l’ouvrage actualisé réunissant pas moins de 300 œuvres de l’artiste
jusqu’aux plus récentes. Explorant les différentes étapes de la carrière
de Beatriz Milhazes, les multiples motifs ou encore les matériaux auxquels
elle a eu recours, l’ouvrage propose une analyse approfondie de l’œuvre de
cette artiste brésilienne qui a su s’imposer dès les années 1980.
Un travail mis en perspective par de riches contributions, notamment celle
de l’historien d’art David Ebony, mais aussi par un entretien accordé par
l’artiste elle-même à Hans Werner Holzwarth, entretien dans lequel Beatriz
Mihlazes dévoile ses méthodes de travail ou revient sur le contexte
culturel de ses œuvres. Une belle analyse complétée par un dictionnaire
des principaux motifs de Beatriz Milhazes réalisé par Adriano Pedrosa
auquel vient s’ajouter une biographie complète et actualisée par Luiza
Interlenghi.
« Antoine Schneck » de Pierre Wat
; Relié cartonné, 25 x 32 cm, 180 illustrations, 292 pages, Éditions In
Fine, 2021.
C’est un très bel ouvrage que consacrent les éditions In Fine à l’artiste
français Antoine Schneck. Signé de l’historien d’art Pierre Wat, également
critique d’art et professeur d’université, l’ouvrage tout de noir vêtu,
ainsi qu’il se devait pour Antoine Schneck, livre une splendide mise en
perspective de son travail et réalisations. Antoine Schneck, photographe
plasticien, a en effet toujours privilégié pour ses dernières à la fois
les fonds noirs et les séries. Ainsi concernant son travail sur les
portraits, ce dernier a-t-il toujours retenu au-delà du fond noir une
approche directe du visage lui permettant une extrême expressivité et une
parfaite mise en lumière. L’artiste avoue s’être souvent inspiré pour ses
techniques de l’histoire de l’art, et plus particulièrement de l’histoire
même de la peinture.
Mais, ses recherches ne se sont jamais enfermées dans le seul travail du
portrait, si expressif soit-il. Antoine Schneck a également, au gré de ses
voyages et pérégrinations, consacré de célèbres séries aux oliviers
millénaires, mais aussi aux fleurs, aux arbres ou encore aux carburants.
Pour son travail, l’artiste souligne avoir très tôt adopté le numérique
lui offrant à la fois un large potentiel et une grande qualité, n’hésitant
pas à retravailler la palette graphique. N’ayant de cesse de renouveler
recherches et trouvailles, Antoine Schneck a ainsi eu recours pour ses
derniers travaux notamment au collodion humide.
Et, c’est justement « A Rebours », d’aujourd'hui à 2006 que le plasticien
photographe a souhaité revisiter son travail. Un choix révélant, ainsi que
le souligne Pierre Wat dans son introduction, que « le fil directeur qui
unit tant de pratiques et de lieux, c’est Antoine Schneck lui-même,
autrement dit la vie d’un homme qui vient s’incarner en autant de
pratiques, des déplacements, et d’expériences vécues. » L’ouvrage s’ouvre
ainsi en 2021-2020 sur le studio de l’artiste et cette série de portraits
lors de son voyage au Kenya jusqu’à 2006. Plus de 15 ans d’un beau chemin
fait de rencontres, d’altérité et de photographies captivantes voire
fascinantes.
Les investigations de l’artiste et son chemin de vie de photographe
plasticien offrent, il est vrai, au regard une large et belle diversité de
séries – allant des chiens célèbres aux gisants de la Basilique
Saint-Denis en passant par les soldats de la Première Guerre mondiale du
sommet de l’arc de Triomphe. Portraits, animaux et objets se côtoient
ainsi dans cette splendide monographie dans un savant bonheur, celui des
rencontres, voyages et expériences de l’artiste, des séries toujours
marquées par la griffe même d’Antoine Schneck, par la force et l’acuité de
son regard.
« L'Âme de la Champagne –
Artisanat d’art et haute gastronomie » de Philippe Mille ; Photographe :
Anne-Emmanuelle Thion ; Relié pleine toile avec fer à chaud, 288 pages,
24x30 cm, Éditions Albin Michel, 2021.
Lorsqu’ un chef talentueux conjugue son art à celui d’un terroir de
plusieurs millénaires, cela donne un beau livre, véritable ode au produit
et à l’artisanat d’art de la Champagne. Philippe Mille à la tête du
restaurant deux étoiles les « Crayères » à Reims signe en effet un livre
qui parvient à atteindre cette alchimie toujours délicate entre beau livre
et recettes, culture et histoire, artisanat et patrimoine…
Véritable écrin aux recettes sélectionnées avec soin par le chef, cet
ouvrage s’avère aussi appétissant qu’esthétique grâce aux magnifiques
photographies d’Anne-Emmanuelle Thion qui ont su capter toute la
délicatesse et le raffinement de l’art de ce grand chef, ce qui n’est
jamais un exercice des plus faciles. Philippe Mile nous propose en entrée
un plat aussi singulier qu’évocateur des plaines crayeuses caractérisant
la campagne champenoise avec cet Esprit de craie et couteaux, un plat que
l’on imagine à la fois soyeux et d’une longueur en bouche rehaussé par les
bulles de Chardonnay et la mousseline de chou-fleur… À ce met délicat et
créatif, de subtils accords sont proposés avec un Champagne Barons de
Rotschild 2010 dont la minéralité ne peut que souligner la structure du
plat conçu par le chef, du grand art.
Entre chaque recette, des pages également inspirantes mettent en avant
l’art de la Champagne tels les inoubliables vitraux de la cathédrale de
Reims, l’argile donnant naissance aux superbes poteries de l’artisan
Jean-Luc Pirot, qui à leur tour inspire un nouveau plat au chef avec ces
pommes de terre en croûte d’argile. Chaque page fait écho à la créativité
et à l’inspiration en un labyrinthe sensoriel inépuisable.
C’est un magnifique voyage que nous propose cet ouvrage en un splendide
condensé des richesses de la Champagne, culturelles, architecturales,
artisanales, et bien sûr, gastronomiques. Le chef Philippe Mille, pourtant
originaire de la Sarthe, a su transmettre assurément avec ce bel ouvrage
une part de l’âme de la Champagne !
« Les ébénistes de la Couronne
sous le règne de Louis XIV » de Calin Demetrescu ; 448 p. , 24 x 28 cm,
plus de 400 illustrations couleur, Relié au fil sous couverture plein
papier, La Bibliothèque des Arts, 2021.
Les liens étroits unissant le Roi Soleil aux artistes sont bien connus de
nos jours et nul n’ignore que le jeune monarque sut très tôt se servir de
ce goût personnel afin de renforcer son pouvoir. Parmi ces arts,
l’ébénisterie tient une place de choix, le mobilier royal s’avérant une
pièce essentielle dans la décoration des différents lieux royaux, le plus
connu se situant bien sûr à Versailles. Fort de ce domaine porteur, Calin
Demetrescu a réalisé un travail de recherche particulièrement fertile sur
plus de dix ans.
C’est le fruit de ces études qui a donné naissance à cet ouvrage paru aux
éditions La Bibliothèque des Arts aussi remarquable que précieux pour la
qualité de son étude. L’auteur après avoir étudié des centaines de
documents d’archives, pour la plupart inédits, propose en effet avec ce
splendide livre de 448 pages abondamment illustré une somme de référence
sur les ébénistes de la Couronne durant le règne de Louis XIV.
Ces hommes ayant travaillé pour le Garde Meuble de la Couronne et les
Bâtiments du Roi, appellations d’alors officielles, composent en fait un
réseau de métiers différents et complémentaires allant de l’ébéniste à
part entière, en passant par le marqueteur, le bronzier, l’ornementiste,
etc. Tous les pays sont convoqués afin de nourrir le rang de ces artisans
venus du Royaume mais aussi d’Italie ou des pays du nord de l’Europe.
Calin Demetrescu, historien de l’art et spécialiste réputé en ce domaine,
offre ainsi dans cet ouvrage à la fois didactique et détaillé un état de
la recherche et des découvertes d’œuvres majeures. Des noms célèbres comme
celui d’André-Charles Boulle font l’objet de nouvelles propositions, sans
oublier des artistes importants comme Domenico Cucci, Alexandre-Jean
Oppenordt…
Après avoir livré un aperçu de l’époque et des métiers du meuble à Paris,
essentiel à découvrir afin de mieux comprendre le contexte historique de
cette recherche, l’ouvrage développe les méthodes de travail et
d’attribution avant d’analyser la production du mobilier royal. La
deuxième partie s’attache aux biographies des ébénistes majeurs de Louis
XIV, Boulle, Armand, Campe, Cucci, les Gaudron, Gole, Macé… avec pour
chacun une biographie, l’analyse de l’atelier et collaborateurs sans
oublier leurs œuvres. Pour conclure, cette somme de référence ouvre sur la
fortune, la réussite sociale et les collections des ébénistes de la
Couronne parachevant ainsi de manière exhaustive et plaisante cette
analyse des artistes ébénistes du monarque absolu.
« Travellers’Tales – bags Unpacked
» de Pierre Le-Tan et Bertil Scali ; Relié, 448 p., Version anglaise ou
française, Editions Thames & Hudson / Louis Vuitton, 2021.
Ce sont de fabuleux récits de voyageurs que nous proposent aujourd’hui les
éditions Louis Vuitton dans une publication, comme toujours, des plus
soignée. Signée Pierre Le-Tan et Bertil Scali, les auteurs ont entrepris
avec une mise en page attractive et un humour décapant d’évoquer pour nous
le voyageur dans tous ses états, « Bags Unpacked », pour le plus grand
plaisir des lecteurs.
On y retrouve, bien sûr, les sublimes malles de voyage Louis Vuitton qui
ont fait la réputation de la célèbre enseigne. Une incroyable collection
de récits et de malles arborant le célèbre monogramme Louis Vuitton d’hier
à aujourd’hui. On raconte même que certains y avaient logé leur lit ! Ce
sont ainsi pas moins de cinquante récits de voyageurs, tous plus
extravagants et mondains les uns que les autres, de véritable contes, des
« Travellers’Tales » allant des aventuriers et fortunés voyageurs du XIXe
siècle aux artistes, acteurs et stars d’aujourd’hui. Un rare bonheur.
Le lecteur voyagera ainsi dans cette escapade pétillante en compagnie de
Sarah Bernhardt, Paul Poiret ou Karl Lagerfeld, d'Henri Matisse à Jeff
Koons sans oublier Sharon Stone et Madonna. Entrecoupés d’anciennes
publicités ou plutôt « réclames » de l’incontournable enseigne lorsqu’il
s’agit de voyages, chaque récit nous conte une expérience unique,
farfelue, loufoque mais toujours d’une rare élégance. Que n’ont pu, en
effet, contenir toutes ces malles Louis Vuitton ayant parcouru le monde…
Celle de Eugénie de Montijo, de Luchino Visconti, d’Audrey Hepburn ou plus
près de nous de Keith Richards ? Des secrets de voyages en ces pages
délicieusement partagés.
Un voyage au long cours de plus de quatre-cents pages aussi séduisant que
cocasse que viennent illustrer les dessins frais et épurés,
reconnaissables entre tous, de Pierre Le-Tan.
« L’Abstraction » d’Arnauld Pierre
et de Pascal Rousseau ; Sous coffret, 28.8 x 34.5 cm, 400 p., Éditions
Citadelles & Mazenod, 2021.
C’est une publication incontournable que les Éditions Citadelles & Mazenod
nous proposent avec ce superbe volume entièrement consacré à «
L’Abstraction ». Ce mouvement artistique né au début du siècle dernier en
occident et qui sut s’affranchir des codes figuratifs et mimétiques
représentant jusqu’alors le réel. Naissent ainsi les formes, couleurs,
lignes et mouvements de ce mouvement dénommé « Abstraction » tel que nous
le rappelle si joliment le coffret de cette splendide publication avec les
œuvres de Robert Delaunay et d’Helen Frankenthaler. Par ces codes
esthétiques, « L’Abstraction » impose un nouveau langage visuel auquel
sont convoqués aussi bien artistes, philosophes que scientifiques.
Cet ouvrage sans précédent offre une vision « grand-angle » unique à la
fois analytique et internationale de cet extraordinaire mouvement
artistique ayant marqué le XXe siècle. Avec une vaste et belle
iconographie, ce volume coécrit par Arnauld Pierre, professeur d’histoire
de l’art à Sorbonne Université, et Pascal Rousseau, professeur de l’art
contemporain à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’École des
beaux-arts de Paris, livre en effet une synthèse d’une rare richesse de ce
mouvement artistique à nul autre pareil. L’Abstraction fut dans l’histoire
de l’art une véritable révolution, un changement sans précédent de
paradigme marquant une rupture majeure. Loin d’être une simple aventure
stylistique, les auteurs soulignent combien l’abstraction fut comparable à
la Renaissance florentine au XVe siècle.
C’est cette fabuleuse évolution que nous retracent magistralement étape
par étape Arnauld Pierre et Pascal Rousseau dans ce fort volume, remontant
aux prémices de l’abstraction, de ses origines, ses pionniers avec, bien
sûr, Kandinsky et Piet Mondrian, jusqu’à l’art contemporain et parcourant
le monde de l’Europe à l’Amérique latine jusqu’au Japon. Aucun angle de
cet extraordinaire mouvement dépassant largement l’histoire de l’art n’a
été en ces pages négligé que ce soit ses racines remontant au milieu du
XIXe siècle, sa mondialisation ou encore les évolutions technologiques du
cinéma au numérique. Les formes, couleurs et lumière de Kupka ou encore de
Picabia, éblouissent. L’imaginaire s’emballe grâce aux dérèglements des
formes et structures des années 1960 – 1980. Des œuvres majeures les plus
emblématiques de l’abstraction aux expérimentations cybernétiques de ces
dernières décennies, le lecteur ébahi vogue dans l’univers de
l’abstraction. Les formes, couleurs et concepts prennent sous ses yeux vie
l’entrainant pour son plus grand plaisir dans ce fabuleux monde qu’offre «
L’Abstraction ».
Une remarquable entreprise menée par deux grands spécialistes qui ne
pourra par son analyse et sa richesse que s’imposer en ouvrage de
référence.
« O’Keeffe » de Camille Viéville ;
Relié sous coffret, 32.5 x 27.5 cm, 325 illustrations couleur, 384 pages,
Editions Citadelles & Mazenod, 2021.
A souligner la splendide monographie consacrée à Georgia O’Keeffe, artiste
moderniste majeure du XXe siècle, aux éditions Citadelles et Mazenod. Une
artiste américaine internationalement saluée de son vivant, mais qui
demeure étrangement et injustement trop peu connue en France.
Signé Camille Viévielle, spécialiste de l’art contemporain, ce superbe
ouvrage nous ouvre (enfin) les portes de son immense œuvre. Poussant
toujours plus loin ses recherches, laissant éclater son expressivité, les
formes et les couleurs, c’est une œuvre foisonnante que nous a laissée, en
effet, Georgia O’Keeffe (1887-1986).
Au plus près de son travail par son analyse et son abondante et magnifique
illustration, l’ouvrage aborde la jeunesse et les premières années de
l’artiste avant d’entraîner littéralement son lecteur dans chacune des
grandes périodes O’Keeffe. Du modernisme New Yorkais des années 1920,
entre figuration et abstraction, des années minimales de l’après-guerre
aux années 60 durant lesquelles elle s’imposera en pionnière de l’art «
hard edge » en passant par ses tableaux aux fleurs reconnaissables entre
tous ou encore ses paysages néo-mexicains, les toiles de l’artiste
fascinent. Des toiles grandioses aux formes voluptueuses, aux couleurs
éclatantes ou profondes, quelque soit la période considérée, O’Keeffe
s’impose et se démarque avec cette force picturale incroyable. Comment
oublier la sensualité de ses fleurs, la volupté ronde de ses paysages, la
puissance de ses toiles ?
Une force de vie que l’on retrouve également dans son quotidien et sa
propre vie. Georgia O’Keeffe fut, en effet, non seulement l’une des plus
grandes artistes nord-américaines du XXe siècle, mais aussi une femme
exceptionnelle, indépendante et libre. Et si Georgia O’Keeffe affirma à la
fin de sa vie : « Je suis fatiguée de ma propre histoire, de mon mythe »,
Camille Viéville ajoute, à juste titre, en conclusion de ce superbe
ouvrage : « Pourtant ce mythe aux multiples facettes – la pionnière du
modernisme, la femme forte et indépendante, la solitaire du désert – n’a
cessé de grandir depuis les années 1960-1970, notamment au travers d’une
nouvelle génération d’artistes ».
Une monographie exceptionnelle, aussi grandiose que l’œuvre de Georgia
O’Keeffe, et qui ne peut que s’imposer en ouvrage de référence.
« Borders » ; Photographies de
Jean-Michel André et texte de Wilfried N’Sondé ; Relié, 24 x31.7 cm, 110
p., Éditions Actes Sud, 2021.
C’est un ouvrage puissant et à nul autre pareil que nous livre aujourd’hui
aux éditions Actes Sud le photographe Jean-Michel André accompagné du
texte de l’écrivain Wilfried N’Sondé. Fruit d’une réflexion et d’un
travail de quatre années, Jean-Michel André entend donner à voir ou plus
précisément à se souvenir, ici, du visage de l’autre au sens de Levinas,
celui que trop souvent nous ignorons ou ne voulons pas voir. Migrants,
immigrés, sans-abris, femmes ou hommes en vie, habités de désespoir,
espoir et de rêves. Jean-Michel André, artiste de la Galerie Sit Down, n’a
eu de cesse depuis plus de vingt ans dans sa création photographique
d’interroger les territoires, les limites, la mémoire et l’oubli. Oubli du
visage de ces hommes de dos encapuchonnés assis au milieu de nulle part
regardant le lointain de l’horizon…
Aussi n’est-il pas étonnant que le dernier ouvrage du photographe «
Borders », sans être ni un témoignage et encore moins un reportage, livre
au-delà des splendides photographies une réelle et belle réflexion
photographique, une profonde réflexion trouvant son plein écho à la fois
dans les paysages esseulés, désolés, et dans les textes forts de Wilfrid
N’Sondé. Wilfrid N’Sondé, écrivain, musicien-compositeur et chanteur,
mène, lui aussi pour sa part, une œuvre littéraire ancrée sur l’exil, la
marginalité et notre rapport à l’autre. Le photographe Jean-Michel André
et l’écrivain Wilfrid N’Sondé ne pouvaient pas dès lors ne pas se
rencontrer. Le destin les a fait se croiser à l’Institut français de Tunis
et débuter ce fructueux dialogue qu’ils nous offrent aujourd’hui de
découvrir dans ce bel ouvrage.
Un dialogue profond et poétique puisant également sa force dans une mise
en page originale et pensée, alliant aux écrits de W. N’Sondé sur feuille
volante la superposition des petits et grands formats photographiques. Le
lecteur découvrant, lisant, tournant, revenant, ne peut dès lors que
plonger littéralement dans une belle et longue méditation. La lune sur
Voie lactée se montre, s’efface pour mieux réapparaître… Les textes
s’envolent et se décalent, les frontières deviennent floues,
l’espace-temps se modifie au gré des photographies et des textes. Dunes
perdues et esseulées, crêtes arides et blessées, lorsque la mer devient
noire et que les ciels s’assombrissent. Loin de vouloir un énième
témoignage, les auteurs ont souhaité gommer toute localisation ou
chronologie. C’est à un vertige source d’écho et de résonnance qu’invite
cet ouvrage dans une étrange et belle alchimie de désespoir et de poésie.
Un bel ouvrage qui résonne longtemps encore après avoir été refermé…
« Avant-Garde as Methode –Vkhutemas
and Pedagogy of Space – 1920-1930 »; Sous la direction d’Anna Bokov, avec
les contributions de Kenneth Frampton et d’Alexander Lavrentiev ; 24 x 31
cm, 664 p., 1045 illustrations, Éditions Park Books, 2021.
À souligner la parution aux éditions Park Books d’un ouvrage complet et
unique en son genre, extrêmement bien documenté, entièrement consacré aux
méthodes d’enseignement des Vkhutemas en Union Soviétique durant les
années 1920-1930.
Ces instituts d’art et de technologie supérieurs moscovites, à l’instar du
Bauhaus, furent les premiers à souhaiter dispenser un enseignement
artistique et technologique à très large échelle, nommé « la méthode
objective ». Anna Bokov, architecte et historienne d’architecture, revient
sur cet enseignement expérimental et ces années moscovites durant
lesquelles l’Avant-Garde s’imposa comme méthode à part entière.
A travers une multitude de chapitres, de riches
contributions et une abondante iconographie, l’auteur a souhaité explorer
les diverses facettes de cet enseignement associant aux valeurs
traditionnelles académiques celles plus novatrices de l’ère industrielle.
Un enseignement à large échelle fondé avant tout sur une nouvelle approche
pédagogique reposant autant sur l’expérimentation en atelier que sur les
échanges réciproques entre enseignants et étudiants. Les différentes
structures des Vkhutemas, ayant développé cette nouvelle approche
d’enseignement artistique et technologique, furent par la suite largement
intégrés au programme officiel soviétique de ces années 1920-1930. Fort de
plus de 600 pages, de programmes, photographies et illustrations,
l’ouvrage retrace ainsi avec précision le développement et les objectifs
pédagogiques mis en œuvre par les Vkhutemas, centre de l’avant-garde
soviétique, que ce soit le constructivisme, le rationalisme ou encore le
suprématisme.
Anna Bokov souligne, enfin, combien les Vkhutemas ont su développer « L’Avant-Garde
comme Méthode », notamment par une pédagogie spécifique de l’espace et de
l’architecture. Une expérimentation pédagogique qui déboucha sur de
nombreux projets et réalisations architecturaux et urbains.
« SUR LES CHEMINS DU PARADIS » ;
Catalogue de l’Exposition éponyme au musée Les Franciscaines de Deauville,
éditions Hazan, 2021.
Le catalogue de l’exposition « Sur les chemins du Paradis » publié aux
éditions Hazan vient inaugurer le nouveau pôle culturel « Les
Franciscaines » de la ville de Deauville. Cette réflexion convoquant le
témoignage des trois religions sur le paradis s’appuie sur l’image et
l’art au carrefour des cultures. Thierry Grillet, le commissaire de cette
exposition ouverte sur une dimension plurielle, entend inscrire cet
évènement dans le dialogue entretenu par les promesses du paradis de ces
différentes religions. Ainsi que le souligne le maire de Deauville,
Philippe Augier, en avant-propos « L’exposition elle-même Sur les chemins
du paradis est en soi une déclaration, un appel à la tolérance et à la
compréhension mutuelle ».
Le processus de la croyance, de la foi, les difficultés de la vie à la
recherche d’un espace d’espoir sont autant de dimensions permettant
d’aborder cette notion, celle de la représentation du paradis dans les
trois monothéismes, de manière plurielle et fertile. Le catalogue souligne
ainsi par le moyen de l’art contemporain ce questionnement fondamental de
l’homme, telle cette toile monumentale de Miguel Rotschild, représentant
une voûte céleste réalisée à partir d’un cliché d’une région de l’univers
pris par un télescope, et qui ouvre la partie consacrée au catalogue de
l’exposition.
Ces Visions plurielles du Paradis sont analysées de différents points de
vue, internes ou extérieurs, aux trois religions, l’Islam, le Judaïsme et
le Christianisme. L’Histoire, la politique, les intérêts des diverses
autorités religieuses en fonction des époques influencent et « façonnent »
un paradis aux multiples contours, ainsi qu’il ressort de ce catalogue à
la riche iconographie.
Cet ouvrage offre ainsi une synthèse et un témoignage actif sur ces
visions du paradis en une approche didactique éclairée par la vision des
artistes conviés pour cette exposition. Ces derniers allant des classiques
jusqu’aux artistes les plus contemporains, du Livre des morts de l’Égypte
antique jusqu’à la disparition du couple adamique avec Incarnation de Bill
Viola.
« Maurice Denis – Amour » ;
Catalogue d’exposition sous la direction de Catherine Lepdor et Isabelle
Cahn, 227 x 286 mm, 192 p., Éditions Hazan, 2021.
Le présent catalogue propose de plonger dans l’œuvre peint du grand
artiste Maurice Denis à l’occasion d’une exposition qui au musée cantonal
des Beaux-Arts de Lausanne et avant la réouverture du Musée Maurice Denis
à Saint-Germain-en-Laye. L’univers subtilement esquissé dans chacune des
toiles du peintre invite le lecteur à une contemplation à la fois mystique
et amoureuse de la vie sous toutes ses facettes et qui rayonne de ses
œuvres. Bien que saisissant au fil de ses pinceaux une vie bucolique qui
se présentait devant lui, avec sa famille au Prieuré comme dans ses lieux
de villégiature en Bretagne, Maurice Denis fut cependant loin d’être un
peintre béat. C’est, en effet, à une certaine abstraction et à la théorie
de l’art auxquelles s’est consacré ce peintre insatiable des techniques et
des moyens de rendre la réalité, son fameux jugement sur l’art étant resté
célèbre et répété à l’envi : « Se rappeler qu’un tableau – avant d’être un
cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote – est
essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain
ordre assemblées ».
Ce sont l’amour et la religion qui viennent scander les toiles réunies à
l’occasion de l’exposition de Lausanne, une belle invitation à entrer au
cœur de la création du célèbre Nabi, et l’ouvrage propose dans sa première
partie, à travers ces œuvres, de mieux appréhender cette part théorique du
peintre qui attachait la plus grande importance à l’harmonie des formes et
des couleurs au point d’atteindre une dimension symbolique qui force
encore l’admiration un siècle après son expression. Les nombreuses
références explicites ou implicites à la foi de l’artiste transparaissent
et confèrent toute leur profondeur à ces œuvres aux lectures multiples.
Mais Maurice Denis s’avère être aussi un artiste de son temps. Aussi le
catalogue souligne-t-il également les variations de son art en fonction du
milieu artistique dans lequel il évoluait, entre la période Nabi et les
œuvres symbolistes, sans oublier son retour à un certain classicisme.
Couvrant une période allant de 1888 à la veille de la Première Guerre
mondiale, ce catalogue réunit dans la deuxième partie d’admirables œuvres
telles la fameuse « Tache de soleil sur la terrasse » datant de 1890, les
« Arabesques poétiques pour la décoration d’un plafond » dont l’univers
semble si proche des plus belles compositions de Claude Debussy, mais
aussi « La Dormeuse au jour tombant », la touchante « Procession sous les
arbres » et tant d’autres compositions puisées à l’inspiration la plus
profonde.
Un très joli et riche catalogue des plus inspirants.
« The Julius Baer Art Collection
», 22 x 29 cm, 404 p., 358 illustrations, Editions Scheidegger & Spiess,
2021.
Le splendide ouvrage entièrement consacré à la Collection d’art Julius
Baer publié aux éditions Scheidegger et Spiess réjouira les amateurs d’art
contemporain et trouvera assurément bonne place dans toutes bonnes
bibliothèques d’art. La Collection Julius Baer comprend aujourd’hui, en
effet, pas moins de 5 000 œuvres. Qu’il s’agisse de Jean-Antoine Fehr,
Jean Tinguely, Yves Netzhammer, Thomas Huber et bien d’autres artistes
majeurs, la curiosité du lecteur de ce volumineux ouvrage ne pourra que
trouver satisfaction à découvrir les œuvres originales de ces artistes
suisses d’art contemporain. Internationalement reconnus ou donnés de nos
jours au titre de talents émergents, chacun de ces artistes (Nelly Bàr,
Roma Signer, Thomas Hubert…) a su par sa singularité retenir l’intérêt de
la Collection Julius Baer et ses amateurs d’art avertis. Une diversité
inouïe, peintures, dessins, collages, photographies, vidéos et
installations trouvent, en effet, en ces pages une place de choix dont
l’iconographie choisie de plus de 350 illustrations, offrant de nombreuses
pleines pages, voire doubles pages, rend parfaitement compte.
De nombreux et courts textes, notamment de Samuel Gross, de Barbara
Habetur, Hans Rudolph Reust… viennent également éclairer artistes et
œuvres présentés. Des textes eux-mêmes introduits par des écrits signés
entre autres de Barbara Staubi, historienne de l'art et conservatrice de
la Julius Baer Art Collection ou encore Giovanni Carmine, et proposant un
véritable dialogue entre l’art, l’institution et la Collection Julius
Baer.
Publié à l’occasion du cent trentième anniversaire de la Bank Julius Baer
fondée en 1890 à Zurich, ainsi que le souligne Raymond J. Bär, petit fils
d’Ellen Weyl-Bär, en sa préface, c’est véritablement un grand angle unique
qu’offre au regard ce magnifique ouvrage sur l’ensemble de la Collection
Julius Bauer. Un panorama de plus de 400 pages d’autant plus précieux que
la présentation de cette dernière fait habituellement l’objet d’une
rotation régulière dans les divers établissements de la banque pour des
raisons compréhensives d’accrochage.
Quel plaisir, donc, de pouvoir pour l’amateur d’art contemporain à son gré
découvrir et contempler l’ensemble de cette formidable et incroyable
collection qu’est la Collection Julius Baer !
« Picasso-Méditerranée » ;
Collectif sous la direction d’Émilie Bouvard, Camille Frasca et Cécile
Godefroy ; 18.8 x 23.5 cm, 400 illustrations, 448 p., Editions In Fine,
2021.
C’est un magnifique ouvrage consacré à l’œuvre de Pablo Picasso et la
Méditerranée que nous proposent aujourd’hui les éditions In Fine. Optant
pour une approche transversale, avec pour fil d’or le bleu azur de la
Méditerranée, c’est en effet un voyage original tout picassien que nous
offre au regard cet ouvrage collectif aux riches et nombreuses
contributions. Sous la direction d’Émilie Bouvard, Camille Frasca et
Cécile Godefroy, cinq escales attendent le lecteur : de l’Espagne, terre
natale du peintre avec Guernica, bien sûr, mais aussi Malaga, jusqu’au Sud
de la France, en passant par la Grèce, la mythologie, la Crète et les
Cyclades, l’Italie ou encore le Maghreb et le Proche-Orient.
Ce riche ouvrage « Picasso- Méditerranée » est l’aboutissement de
rencontres de 2017 à 2019 à l’initiative du Musée national Picasso-Paris
de plus de quarante-cinq expositions et soixante-dix institutions ayant eu
pour objectif de présenter des approches singulières et renouvelées de
l’œuvre de Picasso. Ainsi, entre ports d’attache et ouvertures multiples
vers les horizons de l’œuvre du peintre, l’ouvrage dévoile bien des liens
ténus, connus ou parfois découverts, qu’entretint Pablo Picasso avec la
Méditerranée. Véritable dialogue entre le peintre, ses œuvres et ses lieux
de prédilection teintés du bleu méditerranéen, ce collectif entend tout à
la fois relever de l’Atlas de géographie, du livre d’art par sa riche
iconographie de plus 400 illustrations que du dictionnaire ou du guide de
voyage.
Voguant sur cette approche transversale, le lecteur optera selon son
humeur pour un long et beau voyage en compagnie d’un des plus grands
peintres du XXe siècle ou préférera parcourir ces pages par escapades
rejoignant ici ou là Pablo Picasso devant son chevalet. Ainsi, pourra-t-il
retrouver le peintre dans « L’atelier du midi » de la France, à
Aix-en-Provence, Antibes, Mougins ou encore Cannes et La Californie, sans
oublier Vallauris et l’atelier Madoura, Vauvenargues et tant d’autres
lieux encore… S’entrecroisent, ici, œuvres, photographies, amis,
rencontres, mais aussi thèmes - cinéma, cuisine méditerranéenne, et
surtout ces cartes blanches venant émailler ces 450 pages et donnant cette
saveur particulière à l’ouvrage.
« Picasso – Méditerranée », un collectif réservant par son approche
transversale, dynamique et singulière, et sa riche iconographie, bien des
découvertes et de jolies escales méditerranéennes jalonnant l’ensemble de
l’œuvre de Picasso.
"Le Livre de Kells" de Bernard
Meehan ; 275 illustrations couleurs, relié en toile sous jaquette
illustrée, 25 x 32 cm, 256 p., Editions Citadelles & Mazenod, 2020.
Le livre de Kells compte assurément parmi les plus beaux manuscrits du
Moyen Âge. Ce trésor conservé au Trinity College de Dublin fut
probablement réalisé au cours du IX° siècle dont il célèbre la splendeur à
la veille de l’an Mil. Ses enluminures ont largement contribué à la
notoriété mondiale de ce témoin de l’âge d’or des manuscrits occidentaux.
La présente étude menée par Bernard Meehan fait entrer le lecteur dans les
arcanes secrets du Livre de Kells dont l’auteur est l’un des spécialistes
incontestés.
Par son format généreux 25 x 32 et à la reproduction en taille réelle de
plus de 80 folios sur les 340 que compte le manuscrit, il est désormais
loisible de plonger littéralement au cœur de cette source inestimable du
christianisme irlandais proposant les quatre évangiles ornés de leurs
superbes enluminures. Bernard Meeham ne se limite pas à restituer la seule
beauté esthétique de cette précieuse source, mais accompagne ces
somptueuses images d’une riche étude de fond permettant de mieux
comprendre non seulement la réalisation technique de ce chef-d’œuvre, mais
également le contexte historique et religieux dans lequel il s’inscrit.
Le lecteur du Livre de Kells pourra désormais, par ce splendide ouvrage,
tourner un à un les plus beaux folios de ce manuscrit livrant un
témoignage unique sur les quatre évangélistes en ce tournant historique du
Moyen Âge, ainsi que de nombreux passages bibliques déterminants. Dès les
premières pages, les nombreux entrelacs des enluminures témoignent de cet
héritage croisé entre l’antiquité et les premières royautés issues des
invasions barbares.
La finesse des lettrines, l’humour et le soin apporté à émailler le texte
de personnages et figures étranges ou symboliques afin de mieux rappeler
le lecteur à l’étude même du texte, la graphie parfaite de l’écriture
manuscrite réclamant un compte d’heures inconcevable à notre époque, font
du Livre de Kells un exemple exceptionnel de la culture médiévale au
tournant du millénaire. Il n’est donc pas étonnant que cette source
remarquable compte parmi les emblèmes de la culture irlandaise, et plus
largement occidentale. Ainsi que le relève Bernard Meeham, l’attraction
qu’exerce le Livre de Kells tient surtout à ce qui ne se voit pas, mais se
trouve suggéré par le manuscrit.
À la fois familier en ses multiples références chrétiennes, il dévoile
également par bribes des aspects étranges, voire inconnus, de la
symbolique préromane aux nombreuses réminiscences celtiques. Ce trésor de
l’art irlando-saxon, connu également sous le nom de Grand Évangéliaire de
saint Colomba, n’a pas fini de susciter interrogations, surprises, et
ravissements, à l’image de cette merveilleuse étude livrée par ce livre
d’exception publié aux éditions Mazenod !
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« L’Olympisme. Une Invention
moderne, un héritage antique. », Collectif, catalogue Officiel de
l’exposition « L’Olympisme. Une Invention moderne, un héritage antique. »
au Musée du Louvre., Co-édition Musée du Louvre / Editions Hazan, 2024.
C’est un réel plaisir que de découvrir aux éditions Hazan « L’Olympisme –
Une Invention moderne, un héritage antique », le catalogue officiel de
l’exposition éponyme présentée au musée du Louvre jusqu’en septembre 24.
Cet ouvrage sous la direction des trois commissaires de l’exposition –
Christian Mitsopoulou, Alexandre Farnoux et Violaine Jeammet – offre, en
effet, un bel éclairage alliant histoire et enjeux de l’Olympisme
d’aujourd’hui, cette « invention moderne, un héritage antique », ainsi que
l’annonce son titre. Appuyé par une vaste iconographie, l’ouvrage de plus
de 300 pages livre une analyse moderne, dynamique et actualisée des Jeux
olympiques, une étude loin d’être dénuée d’intérêts notamment de par la
découverte d’archives inédites.
Le premier volet de l’ouvrage est consacré aux symboles des Jeux
(couronnes, anneaux, drapeaux…) et aux acteurs – comment ne pas rappeler,
en effet, la figure la plus emblématique des Jeux : Pierre de Coubertin ?
– Patrick Clastres revient avec passion dans une première contribution sur
cette « Genèse de l’idée olympique chez Pierre de Coubertin », suivent des
figures également incontournables telles que Michel Bréal pour le
marathon, Gilliéron ou encore D. Vikélas. Après avoir rappelé que Paris
fut trois fois capitale olympique en moins de 125 ans, Christian Le Bas
ferme ce tout premier chapitre en faisant de Paris, capitale des sports,
le berceau même de cet olympisme moderne avant que ne s’ouvre le deuxième
volet, cœur de cette riche étude : « Olympisme entre invention et héritage
».
Un chapitre majeur et captivant couvert par plus de vingt contributions et
abordant des thèmes aussi originaux que porteurs tels les timbres édités à
l’occasion des jeux, les affiches, cartes postales, mais aussi, bien sûr,
les trophées, médailles, les hymnes ou encore des sujets certes plus
classiques, mais tout aussi passionnants notamment l’ « Athlétisme et
entraînement militaire dans le monde grec : complémentaires ou
antagonistes ? » ou « Gestes antiques en scènes »… De riches contributions
que vient illustrer idéalement une iconographie des plus soignées et
choisie.
Le catalogue se referme sur un dernier chapitre consacré à l’ « olympisme
et politique » avec, bien sûr, « Berlin 1936 », mais également des
contributions venant souligner la place des femmes hier et aujourd’hui
dans les jeux Olympiques. Un ouvrage aussi riche que passionnant.
« Chagall – La Fontaine – Les
Fables » par Ambre Gauthier ; Relié, 26 x 31 cm, 240 pages, 100
illustrations, Editions Hazan, 2023.
Comment ne pas succomber à cette belle publication en grand format parue
aux éditions Hazan des Fables de Jean de La Fontaine illustrées par Marc
Chagall ? Un bijou de l’édition que l’on doit initialement au célèbre
marchand d’art, Ambroise Vollard ; ce dernier réalisa, en effet, en 1926
l’une de ses « plus tenaces ambitions d’éditeur » en demandant au non
moins célèbre artiste russe d’illustrer ce monument du patrimoine
littéraire français, les Fables de La Fontaine. Pour cet ambitieux projet,
Marc Chagall réalisera alors plus d’une centaine de gouaches en couleurs
préparatoires au travail sur gravure, offrant ainsi un véritable et
incomparable dialogue inédit ! Car, il s’agit bien d’un magnifique
dialogue à nul autre pareil entre l’un de nos plus célèbres poètes et
fabulistes et le non moins reconnu artiste russe que fut Marc Chagall.
C’est cette fabuleuse rencontre que nous offrent aujourd’hui les éditions
Hazan au travers de gouaches, gouaches et crayons, gouaches et aquarelle,
avec pour certaines, et ce pour la première fois, leur correspondance en
gravure. Comment en lisant chaque fable ne pas, dès lors, laisser son
imagination s’envoler vers ces ciels d’un bleu infini avec ces animaux
multicolores, ce « Coq et le Renard » tout de couleur ou encore ce loup
rose à pois blancs du « Loup et la Cigogne » ? Des couleurs qui éclatent
comme pour ce « Lion amoureux » et que les aplats gris griffés des
gravures viennent rehausser plus encore. Les Fables trouvent un écrin
fabuleux à leur dimension dans cette nature singulière et omniprésente.
Une nature qui « unifie les compositions, légère et subtile comme l’air
ambiant, permettant aux espaces et aux temps de fusionner, de glisser
paisiblement d’un tableau à l’autre, d’un univers à l’autre » note en son
introduction « Les vibrations multicolores du noir et blanc » Ambre
Gauthier, spécialiste de Marc Chagall.
Une splendide publication qui se veut, à juste titre, un très bel hommage
à cette rencontre.
« Jean Delpech – L’œuvre de guerre
» sous la direction d’Hélène Boudou-Reuzé ; Préface d’Arianne
James-Sarazin ; 28 x 22 cm, 328 p., Editions InFine, 2023.
C’est un bel ouvrage dédié à l’œuvre de guerre de Jean Delpech (1916-1945)
que nous proposent les éditions InFine. Un ouvrage long format
exceptionnel réunissant l’ensemble de ses gravures et dessins consacrés à
la Seconde Guerre mondiale. Jean Delpech, graveur de renom, a en effet
représenté de manière quasi-obsessionnelle de 1938 à 1945 toutes les
images de guerre, mais aussi d’occupation et de libération qui se sont
imposées à lui durant ces années de conflit. Delpech observe tout, regarde
et regarde encore... C’est un véritable témoignage d’une époque sombre et
déchirée qu’a entendu laisser par une œuvre atypique l’auteur, Jean
Delpech, et sur laquelle reviennent dans de riches contributions Hélène
Boudou-Reuzé, assistante de conservation et chef de projet au musée de
l’Armée, et Laétitia Desserière, chargée des collections de dessins au
département iconographie du musée de l’Armée. Foisonnement de détails,
mais aussi d’associations et de traumatismes, ces œuvres retiennent
indéniablement longuement l’attention… Une « Obsession du dessin » et un «
infatigable graveur », des thèmes incontournables pour appréhender l’œuvre
de guerre de Jean Delpech que développe également dans deux essais
Laétitia Desserrière.
Né au Viêtnam au début du siècle dernier, les œuvres de Jean Delpech
retracent ses années où il sera, d’abord, lors de son service militaire,
soldat dans le 15e bataillon de chasseurs alpins de 1938 à 1939, puis
soldat dans l’armée française durant la guerre, avant de devenir
correspondant de guerre en Allemagne en 1945 ; une personnalité complexe
et un parcours sur lesquels revient Brigitte Delpech.
Le lecteur découvrira, en seconde partie de l’ouvrage, un catalogue de
l’ensemble de cette œuvre graphique de guerre – plus de 700 estampes et
dessins conservés au musée de l’Armée. Un catalogue ordonné de manière
thématique et qu’accompagnent encore de nombreux textes dont « La guerre
imaginée », « Trophées et monuments », « Delpech reporter de guerre » ou
encore « œuvres d’après-guerre » ...
« L’Album de Marie-Antoinette –
Recueil des vues et plans du Petit Trianon – 1781 », « Étude et
commentaires » par Elisabeth Maissonier, coédition Château de Versailles /
Éditions In fine , 2023.
Quelle plus belle présentation pouvait-on souhaiter pour ce merveilleux «
Album de Marie-Antoinette » dédié aux Petit Trianon et à ses jardins que
celle des éditions In Fine !
Parcourant du regard, le coffret cartonné de cet « Album de
Marie-Antoinette » orné d’un dessin représentant le belvédère du Petit
Trianon et la grotte du jardin anglais, le lecteur songe déjà… avant
d’ouvrir et de découvrir d’un côté le « Recueil des vues et plans du Petit
Trianon » de 1781, et de l’autre, à droite, une « Étude et commentaires »
réalisés par Elisabeth Maisonnier.
Rappelons que c’est en 1774 que Louis XVI devenu alors roi de France offre
à Marie Antoinette le Petit Trianon commandé par son grand-père Louis XV
et achevé moins de dix années auparavant en 1768. Marie-Antoinette
entreprendra de suite d’en redessiner les jardins. Ce sera alors une
succession de véritables décors végétaux dans l’air de la Cour qu’elle
fera exécuter ; des jardins dans le style « anglo-chinois » dans lesquels
prendront vie grottes, temples, belvédère et l’émerveillement des fêtes
royales… Marie-Antoinette commandera à Richard Mique, son architecte,
plusieurs grands recueils. C’est la splendide reproduction de l’un de ces
recueils aquarellés et illustrés par les aquarelles de l’artiste Claude
Louis Châtelet, celui précisément personnel de Marie-Antoinette, que le
lecteur aura le plaisir de parcourir …
Un voyage dans le temps, au Petit Trianon, à Versailles et même au-delà
dont Elisabeth Maissonier, conservatrice au Château de Versailles, nous
livre une étude aussi riche et passionnante que merveilleuse par sa vaste
iconographie. Aquarelles, dessins, plans et œuvres peintes viennent
continuer le plaisir des yeux. Une étude, plus-value indéniable et des
plus fructueuses, permettant au lecteur de comprendre et d’appréhender
pleinement tout le symbolisme et la place du Petit Trianon et de ses
jardins en cette fin de XVIIIe siècle.
« Peintures chinoises » de Xinmiao
Zheng et Hongxing Zhang, 32 x 42 cm, 210 illustrations, 272 pages,
Editions Citadelles & Mazenod, 2023.
Rares sont les beaux livres sur la peinture chinoise en langue française,
les estampes japonaises accaparant souvent plus l’attention. Et pourtant,
la présente publication aux éditions Citadelles & Mazenod, « Peintures
chinoises », offre une splendide démonstration de la préciosité et
somptuosité millénaire de cet art trop souvent ignoré des occidentaux. Un
de ses meilleurs spécialistes, Xinmiao Zheng, directeur du musée du Palais
à Pékin, accompagné de Hongxing Zhang, signe cet ouvrage exceptionnel tant
par son iconographie que sa mise en page avec pas moins de 210
illustrations, sans oublier le large éventail couvert allant du début de
notre ère jusqu’au XIXe s.
Monde lettré et artistes noueront rapidement au cours de cette longue de
l’histoire des liens si étroits qu’ils influenceront la réalisation même
de ces œuvres raffinées où chaque détail fait signe. Véritable cheminement
intérieur et spirituel, ces peintures manifesteront ainsi très tôt les
traits caractéristiques de la peinture chinoise où calme et sérénité
s’immiscent au sein même de la nature en de multiples symboles. Le pin,
les montagnes, les barques esseulées sur un lac prendront ainsi autant de
valeur, si ce n’est plus, que la représentation souvent discrète de
personnages, exception faite des peintures de personnage et hauts
dignitaires de la cour.
Avec un généreux format et sa somptueuse présentation, cet ouvrage en
reliure chinoise et sous coffret satin illustré convie le lecteur à entrer
dans un monde feutré et délicat à nul autre pareil où l’art de la peinture
suggère également un art de vivre.
« Le Nu » d’Alexis Merle du Bourg
; 26 x 37,5 cm, 320 ill., 352 p., Editions Citadelles & Mazenod, 2023.
Le nu compte assurément comme l’une des représentations les plus anciennes
dans l’histoire – et même de la préhistoire - de l’art. Parfois privilégié
au dépend du paysage et de la nature, d’autres fois vilipendé au nom de
valeurs s’y opposant, le nu laisse rarement indifférent, suscitant
convoitises, passions, haine ou encore détestations… Sujet passionnant
auquel est justement consacré ce monumental ouvrage tant par ses
dimensions que par l’impressionnant grand angle retenu.
Cette somme remarquable signée par l’historien de l’art
Alexis Merle du Bourg étudie en effet les origines de cet art et ses
mythes fondateurs, la nudité de l’Eden et celle prisée des Grecs venant en
premier à l’esprit. Formes originelles encore pures mais déjà non dénuées
d’enjeux comme pour Aphrodite et Phryné, sans oublier le fameux Jugement
de Pâris… Chaque époque antique porte un nouveau regard sur la nudité,
qu’il s’agisse de la période hellénistique, bientôt touchée par les
influences de l’orient ou de celle du christianisme et des ambivalences
dans la représentation du corps dans la Bible.
L’ouvrage somptueux par le choix de sa riche iconographie offre un
dialogue toujours renouvelé entre le texte d’une clarté lumineuse et les
plus belles œuvres d’art retenues par l’auteur, qu’il s’agisse de la
sculpture ou de la peinture. Chaque période ouvre sur une réflexion
portant sur l’homme, les artistes traduisant la plupart du temps l’esprit
qui prévalait en leur temps ainsi qu’il ressort de cette renaissance
humaniste ou encore de ce baroque revisitant l’antique en d’incroyables
audaces. Les pages consacrées à Rubens et à Poussin passionneront
également le lecteur tant l’interprétation de l’auteur concourt sans
hésitation à ce que le lecteur redécouvre ces œuvres. Nombreuses seront
encore les découvertes avec cet ouvrage passionnant tel le Nu à l’épreuve
de la modernité qui témoigne de la richesse de ce sujet qu’explore avec
brio cet ouvrage de référence.
« L’art des jardins en Europe » de
Yves-Marie Allain et Janine Christiany, 24,5 x 31 cm, Ouvrage broché avec
rabats, 632 pages, 544 illustrations, Citadelles & Mazenod, 2023.
C’est une véritable somme sur l’art des jardins en Europe que nous
proposent Yves-Marie Allain et Janine Christiany avec cette publication
exceptionnelle de plus de 600 pages. L’ensemble du continent européen se
trouve appréhendé en un seul ouvrage à la riche iconographie (544
illustrations) par ces deux spécialistes offrant chacun une analyse propre
à leur parcours professionnel. Le jardin est depuis la nuit des temps
l’objet d’une riche symbolique – le fameux jardin d’Eden – et n’a cessé
depuis ses origines d’être l’objet de réflexions, passions et pouvoirs… Ce
sont ces intrications complexes qu’analysent les auteurs du présent
ouvrage aussi beau qu’instructif sur cet art des jardins que l’on pensait
à tort bien connaître et qui, après lecture, révèlera bien des facettes
méconnues. L’histoire, la philosophie, la religion tout autant que les
sciences ont été depuis longtemps convoquées parallèlement aux
connaissances scientifiques requises pour concevoir un jardin. Cette
symbolique manifeste dans bien des jardins de l’Ancien Régime tel celui
incontournable du Château de Versailles traduit les enjeux réunis dans un
grand nombre de conception de jardins en Europe. L’ouvrage aborde en
premier lieu l’ensemble de ces aspects de l’art du jardin où architectes,
jardiniers, pépiniéristes, horticulteurs mais aussi théoriciens sont
convoqués par les commanditaires, qu’ils soient officiels ou privés.
Quelle évolution peut ainsi être soulignée entre les jardins de la
Renaissance et ceux des années 1930 ! Car il est possible de parler de
style ainsi que le soulignent les auteurs à l’image de la mode
vestimentaire ou alimentaire. Le jardin forme un univers éphémère qui
demeure rarement identique quelques décennies après sa création, s’il ne
disparaît pas peu après… Aussi, ce tour d’Europe des 170 jardins
d’exception qui ont bravé le temps apparaîtra pour le lecteur qu’il soit
amateur ou professionnel un témoignage rare et précieux, des fameux
jardins d’Alhambra au non moins fabuleux de Claude Monet à Giverny, sans
oublier bien entendu Versailles, Lisbonne et le palais Fronteira, la villa
Borghèse à Rome et bien d’autres écrins uniques et oubliables qu’il sera
loisible de visiter en feuilletant les pages de ce remarquable et
inspirant ouvrage.
« Turner » de John Gage, traduit
de l’anglais par Hélène Tronc et Odile Menegaux, Coll. « Les Phares »,
Editions Citadelles et Mazenod, 2023.
Sublime, tel est incontestablement le qualificatif qui
convient !
Sublime, bien sûr, par son sujet, puisque entièrement consacré à l’un des
plus grands artistes anglais du XIXe siècle, le peintre, aquarelliste,
dessinateur et graveur, J.M.W Turner.
Sublime, également, par la qualité de l’ouvrage lui-même, tant par sa
remarquable iconographie que par sa mise en page avec son grand format et
ses multiples et appréciables pleines voire doubles-pages.
Sublime, enfin, par la qualité du texte de cette monographie signée John
Gage et traduite de l’anglais par Hélène Trone et Odile Menegaux.
Comment, en effet, ne pas succomber à la beauté et richesse de l’œuvre de
Turner ? Comment, face à des toiles telles que « Fusées et signaux de
détresse pour prévenir les vapeurs des bas-fonds » de 1840 ou encore «
L’incendie des Chambres des Lords et des Communes » de 1834, ne pas
ressentir ce sentiment d’infinité ?
L’auteur a retenu pour cet ouvrage une approche thématique permettant de
cerner, mieux qu’une stricte chronologie ou biographie, les traits
marquants révélant tant l’évolution de l’œuvre que le caractère même du
peintre anglais. Le lecteur découvrira ainsi un Turner paysagiste et
théoricien de la couleur incontestable, une spécificité que le peintre a
développée tout au long de sa vie au travers de ses nombreux voyages, mais
qu’il a également su imposer à la Royal Academy. Turner, largement
soutenu par son père, fut introduit très jeune, en effet, dans les cercles
influents de la peinture anglaise et entra à un âge précoce dans cette
haute institution. Appuyé par de nombreux mécènes, cela lui valut une
réputation largement saluée de son vivant notamment par le célèbre
critique d’art Ruskin, mais aussi, ainsi que le souligne J. Gage, enviée
en retour par de nombreux rivaux.
Il en fallait, cependant, plus pour décourager ce peintre au caractère
certes introverti mais trempé, surtout doué d’un sens de l’observation
rare et d’une curiosité insatiable, « Un esprit merveilleusement divers »,
selon les mots de son contemporain Contestable et titre du dernier
chapitre de cette dynamique monographie. La richesse de l’œuvre de Turner
est, il est vrai, incomparable, lui qui sa vie durant n’eut de cesse de
rendre au mieux la lumière et l’atmosphère, une quête de liberté qui
marqua par son œuvre autant le romantisme qu’il annoncera
l’impressionnisme ou encore l’abstraction. Cependant, à ce constat, J.Gage
ajoute malicieusement et à juste titre : « L’interprétation moderniste
de Turner est devenue courante et même une tradition bien établie. Elle
est pourtant bien insuffisante pour saisir l’ampleur et l’originalité de
son art ». Que dire de plus ?
« Histoire & médecine » d’Alexis
Drahos, relié sous coffret, 352 p., Editions Citadelles & Mazenod, 2022.
Livre d’art ? Livre de sciences ? Le dernier ouvrage paru aux éditions
Citadelles & Mazenod conjugue avec un rare bonheur et sous la plume
d’Alexis Drahos les deux approches en une synthèse des plus éclairantes
sur les origines de la médecine depuis l’Antiquité vue par l’art. En un
véritable parcours au fil des siècles illustré par les plus grandes œuvres
d’art, « Art & médecine » explore en effet pour la première fois en langue
française les liens entretenus entre les deux arts. Le corps humain, tour
à tour secret puis dévoilé au gré des découvertes anatomiques, n’a cessé
de fasciner les artistes qui ont cherché à en capter les mystères dans
leurs créations. Le lecteur apprendra ainsi que des scènes de dissection
avaient déjà été saisies par des artistes dès l’Antiquité et bien avant
les fameuses études de Léonard de Vinci…
L’œuvre d’art n’a pas qu’une fonction esthétique dans ses
rapports à la médecine et bien souvent elle a été un moyen de consigner
les connaissances et d’en diffuser les savoirs. Rivalisant de dextérité
avec les médecins, ces artistes œuvrent, pour certains d’entre eux, selon
une véritable démarche scientifique dans leurs représentations du corps
humain, même si les sciences invalideront seulement ultérieurement
certaines de leurs conclusions. Ce sont toutes les disciplines médicales
dont nous pouvons ainsi suivre les évolutions au fil des dessins,
gravures, peintures et autres écorchés en cire… Les pathologies s’invitent
également en ces pages parfois dérangeantes, mais révélant les progrès des
sciences. Que de chemin parcouru en effet entre les redoutables saignées
de l’Ancien Régime et nos transplantations cardiaques !
L’un des multiples intérêts de cet ouvrage passionnant sera d’offrir une
sélection des plus inspirées des œuvres maîtresses de l’histoire de l’art,
l’auteur étant sur le sujet intarissable qu’il s’agisse de Léonard de
Vinci ou de Damien Hirst, d’Erasistrate de l’école d’Alexandrie ou des
leçons d’anatomie sous le pinceau de Rembrandt. Chaque siècle témoigne de
son rapport au corps et à ses pathologies – une mise à jour des plus
actuelles inclut même la terrible Covid-19, l’acuité du regard de
l’artiste n’étant souvent pas moindre que celui de l’homme de sciences
ainsi qu’en témoigne ce bel et riche ouvrage qui n’aurait probablement pas
déplu à Nicolas Bouvier, fasciné par de telles représentations, ni au
grand historien de la pensée, Jean Starobinski, qui sut si brillamment
lier les arts.
« The Magic of Japanese Zen
Gardens » de Thomas Kierok ; Avant propos de Shunmyo Masuno ; 160 p., 110
Illustrations, 23,5 x 23,5 cm, Editions Benteli, 2022.
C’est bien de « magie », de notre point de vue occidental, dont il s’agit
lorsque nous contemplons la perfection d’un jardin zen japonais. Cette
harmonie conjuguée à une précision infaillible de chaque détail conduit à
une sérénité difficilement comparable aux créations paysagistes
occidentales. Il est vrai que vu d’un esprit japonais, tel celui du grand
moine bouddhiste zen japonais Shunmyo Masuno qui signe la préface de ce
bel ouvrage, il ne suffit pas de dresser quelques pierres entourées de
sable ratissé et bordées d’érables pour parler de jardin zen… Cela demeure
plus complexe que cela et c’est tout le mérite de cet ouvrage et de son
auteur, le photographe Thomas Kierok d’avoir perçu cette dimension
spirituelle et d’avoir su la restituer avec bonheur et beaucoup de talent
sur la pellicule.
En conjuguant philosophie japonaise et aménagement paysager, le jardin zen
cherche à atteindre cette pleine conscience et accomplissement que l’on
retrouve dans la méditation zen sur un zafu. Au fil des saisons, Thomas
Kierok s’est imprégné de ces véritables jardins zen à Kyoto pour en
suggérer les impermanences et variations subtiles chères à tout méditant
zen. La nature pour le bouddhisme est censée contenir Bouddha lui-même
ainsi que ses enseignements, ce qui laisse une petite idée de l’importance
de leur ordonnancement… En rapprochant ces photographies des plus
inspirantes d’un florilège délicat de la poésie zen, et grâce à une
conception tout autant irréprochable du livre relié japonais, Thomas
Kierok parvient à nous faire partager cette « magie » des jardins zen
d’une splendide manière !
« Textiles africains » de Duncan
Clarke, Vanessa Drake Moraga et Sarah Fee, traduit de l’anglais par
Jean-François Allain et Christian Vair, Éditions Citadelles & Mazenod,
2022.
Absolument magnifique ! Tel est ce superbe volume consacré aux « Textiles
africains » paru aux éditions Citadelles et Mazenod. Avec son large
format, ses plus de 440 pages et ses 300 illustrations pour beaucoup
pleines pages, l’ouvrage sous la direction de Duncan Clarke avec Vanessa
Drake Moraga et Sarah Fee offre une réelle mise en lumière de cet art du
textile inégalé. Une mise en lumière inédite et de toute beauté qui ne
pourra que réjouir et combler collectionneurs et curieux. Des textiles
présentés géographiquement tous plus époustouflants les uns que les autres
issus de collections publiques ou privées et pour beaucoup d’entre eux
jamais montrés. On s’émerveille de tant de couleurs si chatoyantes, de
tant de motifs, de variété de matières et de techniques…
Mais cet ouvrage à nul autre pareil ne se limite pas par son incomparable
iconographie à flatter l’œil et les sens, il livre aussi au lecteur une
belle analyse appuyée par des notices, photographies et cartes, que ces
textiles soient anciens, de collection ou plus récents, que ce soient des
vêtements du quotidien, des parures talismaniques ou encore des tentures
nuptiales… Parcourant l’Afrique d’ouest en est jusqu’à Madagascar, ce sont
les particularités de tissage de chaque région, de chaque peuple, qui y
sont ainsi, page après page, dans toute leur beauté déployées.
Coton, laine, soie, mais aussi perles ou écorces, couleurs et matières les
plus diverses se font, ici, tableaux. Une créativité ayant influencé bien
des artistes peintres ou plasticiens - on songe à Klee, bien sûr, ou
encore à Matisse, mais aussi et surtout aux plus grands couturiers…
Un art du tissage africain unique et éblouissant que l’on parcourt et
découvre émerveillé de tant de créativité, de couleurs et de motifs.
« Poussin & l’amour - PICASSO |
bacchanales | POUSSIN » ; Catalogue sous la direction de Nicolas
Milovanovic, Mickaël Szanto, et Ludmila Virassamynaïken, In Fine Editions,
2022.
Le catalogue « Poussin & l’amour » paru aux éditions In Fine est
assurément à la hauteur du peintre et de l’exposition qui lui est
actuellement consacrée au musée des Beaux-Arts de Lyon. Cette monumentale
somme dirigée par les trois commissaires fait, en effet, l’objet d’une
présentation originale avec sa conception recto verso.
D’un côté, le lecteur découvrira la remarquable exposition « Poussin &
l’amour », exposition qui a retenu un angle original et pourtant
omniprésent dans l’œuvre du peintre français. En effet, dès son arrivée à
Rome en 1624 - et même quelques années auparavant – Poussin vouera une
part importante de son art à de majestueuses toiles développant tous les
thèmes possibles de l’amour, certains dépassant largement les standards de
la morale de l’époque au lendemain de la Contre-Réforme. Nicolas
Milovanovic, Mickaël Szanto, et Ludmila Virassamynaïken, les auteurs de ce
riche catalogue et commissaires de l’exposition ont entendu retracer de
manière éclairante toutes ces facettes méconnues et sous-estimées du
peintre souvent présenté comme le peintre philosophe. Si cette dimension
initiale ne saurait lui être enlevée, il s’avère à la lecture des
captivantes contributions réunies en ces pages que Nicolas Poussin tout en
approfondissant œuvre après œuvre l’analyse de ses sujets a su également
se saisir d’une certaine légèreté appréciée de ses richissimes clients
romains dont certains d’entre eux comptaient de prestigieux princes de
l’Église… C’est ainsi un Poussin dévoilé que Pierre Rosenberg commente
dans sa contribution soulignant qu’avec cette dimension méconnue le
peintre entendait tout de même renouer avec le monde du passé, mythologie
et éros réunis ! Cette toute puissance de l’amour intègre ainsi une
palette étendue d’affects allant de l’érotisme des corps lascifs livrés au
regard jusqu’à la passion folle conduisant à la mort. Le catalogue analyse
tour à tour ces multiples facettes de l’œuvre de Poussin avec ces corps
désirés, l’ivresse dionysiaque, l’amour et la mort, un voyage étonnant et
palpitant au cœur même de l’atelier de l’un des plus grands peintres dont
ce remarquable ouvrage dévoile un pan méconnu de la créativité.
Le revers de ce monumental catalogue, comme un « autre côté du miroir »,
est consacré à la seconde exposition du musée des Beaux-Arts de Lyon , «
PICASSO | bacchanales | POUSSIN ». Un regard mettant en lumière
l’influence majeure qu’eut le peintre du XVIIe siècle, Poussin, sur le
peintre espagnol du XXe s. Un prolongement offrant une belle ouverture et
réflexion.
« Raphaël. L’œuvre complet.
Peintures, fresques, tapisseries, architecture » de Michael Rohlmann,
Frank Zöllner, Rudolf Hiller, Georg Satzinger ; Relié, avec pages
dépliantes, 29 x 39,5 cm, 720 pages, Editions Taschen, 2023.
Raphaël (1483-1520), surnommé le « Prince des peintres » par Giorgio
Vasari, fait l’objet d’une exceptionnelle parution dans la collection XXL
des éditions Taschen. Il fallait en effet une publication de taille pour
rendre le plus bel hommage qui soit à cet artiste italien réputé pour le
raffinement de son trait et la précision de ses dessins. Après avoir
bénéficié de l’apprentissage de deux maîtres de choix, Le Pérugin et
Pinturricchio, ainsi que de son propre père Giovanni Santi, le jeune
Raphaël, disparu trop tôt à l’âge de 37 ans, allait participer à la
transformation de l’art de la Renaissance par des œuvres éclatantes. Très
rapidement, Raphaël saura, en effet, se distinguer de ses sources
d’inspiration notamment de son maître Le Pérugin, mais aussi de Léonard de
Vinci et de Pinturicchio, pour être la source première de lignes
harmonieuses d’inoubliables « Vierge à l’enfant », et ce dès son séjour
florentin ; Des représentations qui contribueront à bâtir sa réputation.
Le génie de Raphaël allait s’exprimer en effet durant toute sa vie
d’artistes auprès des plus grands mécènes et protecteurs avec cette quête
incessante de perfection de dessins soignés ce dont témoignent les œuvres
réunies par cette exceptionnelle édition grand format.
Des plus grands formats avec ses immenses décors romains
pour le pape Jules II, puis Léon X, dans les chambres du Vatican réalisées
à la fin de sa vie jusqu’au plus petit tableau tel les « Les Trois Grâces
» (17 x 17 cm) du musée Condé de Chantilly, chaque création de l’artiste
met en œuvre un processus inlassable d’essais successifs pour parvenir à
la composition future. Pour ces raisons, Raphaël gagnera la réputation
d’être le peintre du détail par excellence dont le génie resplendira par
cette harmonie irréprochable née de cette combinaison du trait, de la
géométrie, de l’espace et de la lumière.
Cet équilibre caractérise cette grâce inimitable et ce
style Raphaël identifiable immédiatement, et qui devait à jamais marquer
l’histoire de l’art. Incontestablement l’un des artistes majeurs de la
Renaissance italienne, Raphaël fait ainsi l’objet d’une parution tout
aussi exceptionnelle qui fera date avec la réunion en un seul volume de
toutes ses peintures, fresques, projets architecturaux et tapisseries.
Cet ouvrage XXL, rend ainsi hommage au créateur de la
fameuse Madone Sixtine, et autres inoubliables fresques du Vatican, un
catalogue raisonné établi par une équipe d’experts de l’œuvre de l’artiste
replacé dans le contexte de la Renaissance italienne. Incontournable !
« Intérieurs : chez les plus
grands décorateurs et architectes d’intérieur » ; Collectif sous la
direction de William Norwich ; Relié, 250 ill. couleur, 25 x 29 cm, 272
pages, Editions Phaidon, 2022.
Passionnant ! Qui n’a jamais, en effet, rêvé d’entrer subrepticement chez
les plus grands décorateurs et architectes d’intérieur de notre époque? Ce
souhait, c’est William Norwich qui l’exhausse en dirigeant cet ouvrage
dénommé « Intérieurs » aux éditions Phaidon. Sous sa direction et
introduction, ce sont, en effet, pas moins de soixante intimités de
décorateurs ou architectes d’intérieurs contemporains réputés
internationalement qui sont dévoilés ainsi au lecteur.
De Jacques Garcia, chez lui, à Paris, à Teo Yang en passant par Charlotte
Moss ou encore Joy Moyler ou Joseph Dirand, que d’idées, créations et
inventivité ! Une diversité de personnalités et de lieux inouïs propices
assurément à l’inspiration que l’on soit professionnel, amateur de
décoration ou tout simplement curieux… Avec plus de 250 illustrations
couleur, c’est en effet une multitude d’art de vivre, d’élégance et
d’intimité que ce bel ouvrage livre au regard indiscret du lecteur.
Camaïeux et foisonnement d’objets à Los Angeles chez Jeef Andrews,
foisonnement de matières chez Paola Navone à Milan, matériaux nobles et
style épuré chez Teo Yang ou à Milan encore chez Vincenzo de Cotiis…
Maisons de rêve ou rêvées telle celle de Michèle Nussbaumer, chaque
découverte d’intérieur s’accompagne pour plus de précisions d’opportuns
éléments biographiques, d’analyses ou commentaires. Qu’il s’agisse
d’appartements ou de Palazzo, de lofts ou vieilles bâtisses, chaque
intérieur offre en ces pages curieuses et indiscrètes son intimité et ses
secrets… Styles, couleurs et goûts se côtoient dans une impressionnante et
passionnante palette. Monocouleur, blanc pour Will Cooper (ASH NYC), noir
chez William Sofield à New York, ou chatoiement des couleurs chez Laura
Sartori Rimini à Londres. Lieu secret ou ouvert, expérimental, laboratoire
ou strictement privés, surprenants ou prévisibles, chaque personnalité,
chaque architecte et décorateur de notre siècle se révèle au travers de
ses choix de style, de couleurs, d’objets et associations.
Un réel régal d'intimité !
Meret Oppenheim : « Mein Album", broché, 324
pages, 22 x 33 cm, Version All. /Anglais, Editions Scheidegger, 2022.
Si l’artiste suisse-allemande Meret Elisabeth Oppenheim (1913- 1985) est
mondialement connue pour ses œuvres créées à partir de détournement
d’objets, sa vie et intériorité – pourtant d’une richesse incroyable –
sont demeurées plus secrètes jusqu’à la publication de ce bel ouvrage par
les éditions Scheidegger à partir d’un album que tint l’artiste intitulé «
Depuis l’enfance jusqu’à 1943 » ainsi que de quelques notes privées.
Ce document
exceptionnel reproduit avec soin pour cette édition permet d’entrer dans
le laboratoire de la création d’Oppenheim, cette plasticienne issue du
mouvement surréaliste aux côtés d’André Breton à partir des années 1920 ;
un laboratoire composé de situations du quotidien tel « Le déjeuner en
fourrure », fameuse sculpture surréaliste passée à la postérité. La
présente publication tient à la fois du journal et de l’œuvre d’art en
tant que telle. En ces pages labyrinthiques, l’artiste réunit
photographies, objets et notes en compagnie de pensées et de concepts qui
préluderont à de nouvelles créations. Cet atelier en album permet d’entrer
pleinement dans la pensée créatrice de cette femme hors du commun.
Reproduit dans son intégralité et dans son format original, cet album a
fait l’objet d’une traduction en langue anglaise pour cette édition. De
touchantes évocations des premières années de jeunesse, les premiers
dessins enfantins avant ceux d’une artiste en devenir, et déjà cette
propension à questionner les formes et à remettre en question les
conventions… Puis viennent les premières rencontres à Paris avec André
Breton, Max Ernst avec qui elle entretiendra une liaison pendant une
année, la découverte du haschich et de la vie d’artiste durant son séjour
à l’hôtel d’Odessa…
Chaque page remarquablement reproduite en fac-similé redonne vie à ces
années de créativité sans limites, un document vibrant et essentiel à la
compréhension de cette artiste jusqu’alors secrète.
Leonhart Fuchs : « Le Nouvel Herbier » ; Relié
avec livret, 23 x 37 cm, 892 pages, Editions Taschen, 2022.
Exceptionnelle que cette nouvelle édition du mythique Herbier de Leonhart
Fuchs en un impressionnant format (23 x 37) livrée par les éditions
Taschen ! Le célèbre botaniste bavarois avait en effet réalisé une
véritable somme en réunissant pas moins de 1543 plantes décrites par le
détail et illustrées par des planches inoubliables, aujourd’hui
disponibles grâce à cette édition de près de 900 pages. Soulignons encore
que cette luxueuse réédition à partir de l’original possédé par Fuchs en
personne et mis en couleurs à la main réunit plus de 500 illustrations,
unique témoignage de cet inventaire fabuleux réalisé par le botaniste
présentant notamment des plantes et fleurs encore inconnues du Nouveau
Monde tel le fameux tabac appelé à un avenir certain en occident…
Dans un opuscule joint au fac-similé du Nouvel Herbier, Klaus Dobat
introduit l’apport de Fuchs pour la science en montrant combien son
travail méticuleux fait de lui le précurseur de la botanique moderne tout
en soulignant son rôle essentiel pour la médecine de son temps, Fuchs
ayant été un professeur de médecine réputé. Gagné aux thèses de la
Réforme, il dut quitter la ville de Munich où il exerçait pour se réfugier
à Ingolstadt. Son œuvre maîtresse, Das Kraüterbuch, conjugue botanique et
médecine, les deux disciples étant considérées alors comme proches.
Werner
Dressendörfer analyse quant à lui l’apport des plantes médicinales
décrites par Fuchs au regard de la médecine des plantes modernes. Mais le
plaisir le plus manifeste résidera sans conteste pour le néophyte à
feuilleter page après page cette somme incomparable pour la beauté de ses
planches, l’harmonie des couleurs apposées par la main de l’auteur et le
soin apporté à chaque infime détail des plantes décrites, faisant de cet
Herbier non seulement l’auguste témoin d’une époque mais également une
œuvre d’art à part entière…
Stephane Mirkine : « Mirkine par Mirkine -
Photographes de cinéma », 400 pages, 251 x 317 mm, Editions Flammarion,
2022.
Lorsque le 7e art rencontre l’art de la photographie, cela donne un beau
livre, celui de Stéphane Mirkine parti à la redécouverte de son grand-père
Léo, le photographe des stars, sans oublier son père Yves ayant repris
lui-même l’héritage de Léo en poursuivant son travail. C’est cette belle
affaire de famille qui se trouve à la une d’une exposition au Musée
Masséna de Nice et de cette œuvre unique élaborée à partir de près de 200
films des années 30 aux années 80.
Les portraits des stars les plus en vue pris sur le vif comme sur les
plateaux font revivre les grandes heures du cinéma au XXe siècle. Après
avoir rappelé le parcours de cet émigré russe parvenu en France à l’âge de
9 ans, ce sont les années 30 qui verront les débuts de la carrière de Léo
Mirkine avec Abel Gance, Autant-Lara, Duvivier et autres Jean Renoir. Les
grands noms du cinéma commencent à imprimer sa pellicule à un rythme
effréné, von Stroheim, Michel Simon, Mistinguett… Chaque décennie
apportera son lot de clichés de légende, le photographe ayant une capacité
à saisir non seulement la beauté rayonnante de nombre de ses actrices et
acteurs mais surtout d’en révéler les multiples facettes qui inscriront
leur nom en lettre d’or au grand écran.
Ce beau livre de 400 pages réserve ainsi d’inoubliables pleines pages avec
des photographies remarquables pour leur maîtrise du noir et blanc et des
contrastes. Qu’il s’agisse de portraits étudiés ou de clichés pris sur le
vif, l’art des Mirkine, père et fils, rayonne tout au long de ces pages
dont leur descendant peut s’enorgueillir d’avoir honoré la mémoire !
« Face au soleil – Un astre dans les arts » ;
Collectif, catalogue officiel de l’exposition « Face au soleil » du 14
septembre au 29 janvier 2023 au musée Marmottan Monet, Paris ; Relié, 22 x
25.5 cm, 140 ill., 240 pages, Editions hazan, 2022.
Voilà un bel ouvrage d’art propice à illuminer et réchauffer notre hiver !
Le catalogue « Face au soleil – un astre dans les arts » paru aux éditions
Hazan et qui accompagne l’exposition éponyme actuellement au musée
Marmottan Monet propose, en effet, ainsi que son titre le suggère, de
contempler le soleil dans la vaste galaxie des arts. Un programme
ambitieux remontant le temps depuis l’antiquité jusqu’à nos jours et
livrant les multiples représentations de cet astre à nul autre pareil.
Avec une présentation d’Érik Desmazières, directeur du musée Marmottan
Monet, et sous la direction de Marianne Mathieu, directrice scientifique
du musée Marmottan Monet de Paris, et de Michael Philippe, conservateur en
chef du musée Barberini de Posdam, l’ouvrage collectif nous entraîne dans
un voyage interstellaire inédit. Marianne Mathieu retrace cette
représentation dans le cours du temps et des siècles de l’art et souligne
combien c’est une « longue histoire qui lie les artistes à l’astre qu’ils
n’ont cessé de représenter, pour de multiples raisons depuis la plus haute
antiquité. » Et effectivement, de l’Égypte au XXIe siècle que
d’années-lumière parcourues !
Mikael Philipp s’arrête en introduction précisément sur cette «
Physionomie du soleil de l’antiquité au XVIIIe siècle ». Proposant de
riches contributions et analyses, l’ouvrage souligne également, sous la
plume d’Hendrik Ziegler, combien la métaphore solaire a pu revêtir bien
des dimensions politiques avant que Michael F. Zimmermann laisse le
lecteur voir tout de face le soleil avec pour point d’orgue, bien sûr, la
célèbre et incontournable toile de Monet, « Impression, soleil levant »
datée de 1872. Un tournant majeur dans l’histoire de l’art et du soleil
que Marianne Mathieu approfondira également avec cette approche spécifique
- « Monet / Fromanger, poétique de la couleur » - ou encore Marianne
Alphan avec un focus tout particulier sur l’artiste contemporaine
américaine Vicky Colombet.
L’ouvrage offre ainsi une belle place à la représentation du soleil au XXe
siècle. Un éblouissement notamment au tournant du XXe siècle que le
lecteur retrouvera développé sous la plume d’Oliver Schuwer, mais aussi
sous celle de Sarah Wilson avec des noms aussi prestigieux que Signac,
Derain, Maurice Denis, Munch, Miro, mais aussi Kupka, Sonia Delaunay,
Calder…
Un beau et riche catalogue d’art complété par des pages consacrées à «
L’évolution de l’astronomie et système solaire du XVIe siècle à nos jours
» signées Donald W. Olson et Marilynn Olson.
« Faces Of Africa », Photographies de Mario
Marino ; 27.5 x 34 cm, Editions teNeues, 2021.
Avec ce dernier ouvrage, le photographe Mario Marino, internationalement
primé, livre au plaisir du regard de splendides et époustouflants visages
de l’Afrique. Non un visage, mais bien des visages au pluriel, « Faces of
Africa », révélant toute la spécificité et beauté de régions reculées de
l’Afrique, d'Éthiopie, de Tanzanie, du Soudan et du Kenya. Des corps
magnifiques ornés de bijoux, habillés de peintures, des visages aux
regards saisissants… C’est un travail de longue haleine que nous offre
Mario Marino avec cet ouvrage ayant exigé de nombreux voyages sur plus de
huit ans ; Chaque peuple que ce soit d’Ethiopie, du Kenya, qu’il s’agisse
des Karo, des Arbore ou encore des Borana, offre à chaque fois pour le
photographe une véritable rencontre, une rencontre singulière avec
l’Afrique.
Pas moins de 200 photographies, couleurs ou en noir et blanc ainsi
rassemblées viennent souligner de la plus belle manière les traditions et
cultures de ces peuples et tribus d’Afrique aujourd’hui toujours plus
menacés par le tourisme et le monde moderne. Des portraits pour la
majorité pleine page et révèlant cette beauté altière à nulle autre
pareille. On y retrouve ce merveilleux dialogue entre cette Afrique,
berceau de l’humanité, et le photographe Mario Marino ; L’objectif de ce
photographe hors pair sachant mieux que quiconque capter ces sourires,
regards, visages, corps et silhouettes de cette Afrique encore vivante. Un
dialogue, érigé en signature, et que le talentueux photographe entend en
ces magnifiques pages partager. Un plaisir inégalé.
« Fernand Léger ; La vie à bras-le-corps » » ;
Collectif, Catalogue officiel de l’exposition éponyme du musée Soulages
Rodez, Editions Gallimard, 2022.
Avec sa couverture jaune, le catalogue d’exposition consacré à Fernand
Léger (1881-1955) attire immanquablement et à juste titre l’attention! En
effet, c’est un beau et riche catalogue qui accompagne en cette année 2022
l’exposition consacrée à ce grand peintre de la révolution cubiste par le
musée Soulages à Rodez. Divisé en trois judicieuses et porteuses
thématiques, l’ouvrage offre une belle mise en perspective de l’œuvre
peint de cet artiste hors-norme ayant marqué le XXe siècle.
En premier lieu, « La ville moderne » avec son machinisme retiendra, bien
sûr, l’attention avec ces grandes toiles incontournables du peintre des
années 20, lui qui découvrit la capitale en pleine effervescence de ce
début de siècle. Un attrait et une époque analysés par Julie Guttierez. Le
deuxième volet de ce catalogue largement illustré de reproductions et
photographies revient sur les liens rattachant Fernand Léger au « Monde du
travail » et à son engagement. « Mécanicien », ainsi que le souligne
Ariane de Coulondre dans sa contribution en référence à la célèbre toile
du peintre de 1918 ; « Un chef d’œuvre de composition synthétique, buste
arrondi et tubulaire, géométries en aplats de couleurs, expression
décomplexée du travailleur de force » écrit dans sa préface Alfred Pacquement, Président du musée Soulages. Fernand Léger est effectivement
avant tout le peintre de son temps, lui qui réalise la célèbre affiche de
l’exposition de 1951 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, « Les
constructeurs ».
Le troisième tempo du catalogue est, quant à lui, consacré aux loisirs, «
Au temps des loisirs » pour reprendre le titre de l’écrit de Maurice
Fréchuret, un riche chapitre très largement appuyé par les œuvres de
l’artiste avec notamment le thème récurrent du cirque ou encore celui des
cyclistes…
Enfin, cette riche étude se poursuit avec une analyse signée Benoit Decron
et mettant judicieusement en parallèle les œuvres de Fernand Léger et de
Pierre Soulages. Deux artistes majeurs qui se sont rencontrés à la sortie
de la Seconde Guerre mondiale et dont les œuvres – ainsi qu’en témoigne ce
catalogue, traversent le temps, nous étonnant toujours par leur force et
leur modernité. Une belle mise en perspective qui se referme sur la vie et
le parcours du peintre normand qui gagna la capitale à dix-neuf ans,
s’exilera aux États-Unis avant de revenir en France… Une vie aux «
Couleurs de la vie », ainsi que le souligne Nelly Maillard, ou « La vie à
bras-le-corps », titre évocateur de ce riche catalogue.
Jacques Mercier : « L'Art de l'Éthiopie » ; 334
pages, 26,5 x 31,2 cm, Editions Place des Victoires, 2021.
Alors qu’ils sont incontournables et remontent à l’aube du christianisme,
les arts de l’Éthiopie ne disposaient curieusement pas de monographie
retraçant de manière exhaustive leur importance. C’est chose faite – et
bien faite – dorénavant avec l’ouvrage réalisé par Jacques Mercier.Ce
spécialiste a en effet mené depuis plus d’un demi-siècle des études sur
plus de 350 églises, sans oublier les riches collections de ce pays
souvent méconnues de l’occident. Le résultat s’avère éblouissant dans tous
les sens du terme et étonnera très certainement plus d’un lecteur. Toute
personne ayant eu la chance de se rendre dans ce beau pays a pu se re
rendre compte de la prégnance et de la force du christianisme dans cette
société.
Associant origines légendaires et avérées, cette riche histoire se
conjugue à une foi toujours aussi fervente puisant à des racines
millénaires notamment celles de la légendaire reine de Saba à la source de
la Bible éthiopienne. Entre légende et histoire, l’Ancien Testament évoque
ainsi le fameux épisode de la reine de Saba, nommée Melket Hava (1 Roi 10,
1-13), Reine de Midi dans l’Évangile de Luc (11, 31), et Balkis dans le
Coran. Conquise par la sagesse du légendaire roi Salomon, cette reine
décida d’abandonner les dieux qu’elle vénérait jusqu’alors et rapportera
dans son pays, la future Éthiopie, le culte du Dieu d’Israël et peut-être
même l’Arche de l’Alliance. La légende veut, par ailleurs, qu’elle eut un
enfant de Salomon nommé Ménélik 1er, premier empereur d’une longue
dynastie qui ne s’éteindra qu’au XXe s.
Mais, c’est véritablement au IVe siècle de notre ère que le christianisme
deviendra en cette contrée africaine la religion prédominante. Au milieu
du IVe siècle, l’empereur Constance II demanda, en effet, aux rois d’Axoum
de présenter officiellement leur évêque nommé Frumentius à Alexandrie afin
de vérifier que leur foi était bien conforme au reste de l’Empire romain.
Le royaume d’Axoum se situait sur les hautes terres du plateau abyssin, à
la croisée des riches routes commerciales entre l’Inde et la Méditerranée.
L’hellénisme et
la langue grecque étaient parvenus jusqu’en ces lieux au sud de l’Égypte
et des croix retrouvées datant du IVe siècle confirment le développement
de la religion chrétienne en ces terres reculées, même si les divinités
traditionnelles resteront cependant toujours présentes, soit concurremment
ou le plus souvent associées à la nouvelle religion. Depuis cette époque,
bien que l’histoire du développement du christianisme en Éthiopie demeure
quelque peu méconnue, l’Église chrétienne éthiopienne fut rattachée à
l’Église d’Alexandrie, un rattachement qui perdurera jusqu’au XXe s. La
langue éthiopienne conservera jusqu’à nos jours cette mémoire biblique et
sera souvent à l’origine de nombreux traits culturels de ce pays africain
riche de légendes et d’histoire en nourrissant largement l’inspiration
d’artistes offrant de splendides peintures religieuses abondamment
illustrées dans cet ouvrage d’art (la période couverte allant des origines
jusqu’au Siècle d’or). De nos jours encore, le christianisme en Éthiopie
demeure très actif, particulièrement depuis la fin de la dictature
militaire en 1991, et représente 60 % de la population. À ce titre seul et
sans oublier la remarquable somme réunie par Jacques Mercier, cet ouvrage
ne peut que prendre place parmi les sources de référence sur l’Éthiopie.
« The Jaguar Book » de René Staud ; 304 pages,
Editions teNeues Verlag, 2022.
C’est un hommage mérité adressé à l’une des marques iconiques des voitures
de luxe que publient les éditions teNeues avec cet ouvrage somptueux. Le
seul nom de Jaguar évoque, en effet, instantanément des carrosseries
rutilantes, des intérieurs feutrés aux fragrances de cuir… Depuis cent
ans, la marque britannique est synonyme d’élégance et de raffinement, un
raffinement discret et non ostentatoire.
Le photographe René Staud retrace ainsi cette incroyable histoire marquée
par des dates clés avec la fameuse Type E des années 30 sans oublier
d’autres voitures toutes aussi réputées que la XK 140 ou encore la SS90.
Cette aventure relatée par ce passionné de voitures de luxe se trouve mise
en scène de manière époustouflante par 175 illustrations aussi somptueuses
les unes que les autres, faisant participer le lecteur à cette fascination
toujours renouvelée pour la marque Jaguar jusqu’à notre époque
contemporaine avec le dernier modèle tout électrique. Dimension sportive
et univers du luxe se côtoient dans ces pages de rêves où les fameuses
icônes du grand écran avec James Bond viennent encore ajouter au mythe
Jaguar.
C’est toute l’aventure de la marque au fameux félin qui se trouve ainsi
racontée dans ce livre d’art qui marquera l’histoire de l’édition
consacrée au monde automobile.
Texte en anglais et allemand.
« Emma Kunz Cosmos - A Visionary in Dialogue with
Contemporary Art » de Yasmin Afschar; Version Anglais / Allemand ; Relié,
248 pages, en collaboration avec the Aargauer Kunsthaus, Aarau, Editions
Scheidegger & Spiess, 2021.
C’est à l’univers fascinant de l’artiste suisse Emma Kunz (1892-1963)
auquel convie ce remarquable ouvrage paru aux éditions Scheidegger &
Spiess et qui a reçu le prix récompensant le plus beau livre allemand de
2021. Ce personnage singulier fut à la fois une artiste et une guérisseuse
reconnue pour ses dons de télépathie en Suisse. Cette singularité l’a
conduite à exprimer sa sensibilité en d’étonnants dessins géométriques, à
l’architecture envoutante et conduisant à une vision dépassant celle du
monde sensible. Aux frontières des mandalas ayant inspiré son compatriote
et psychanalyste Carl Gustav Jung, son travail ne saurait laisser
indifférent. L’iconographie soignée pour ce beau livre réalisé à
l’occasion de la grande exposition qui lui a été consacrée à l’Aargauer
Kunsthaus en Suisse met en rapport le travail d’Emma Kunz avec celui de
nombreux artistes contemporains livrant parallèlement leurs propres
créations. Le personnage, secret et vivant retiré à l’écart de la scène
artistique a ainsi exploré de multiples sujets dont la médecine, la
nature, le surnaturel, l’animisme… Cet intérêt décloisonné l’a conduit à
élargir encore ses perceptions et à les traduire en d’étonnantes
architectures renvoyant à l’organisation du cosmos tout autant qu’aux
méandres de nos cerveaux.
L’ouvrage propose un véritable dialogue entre le travail de l’artiste et
celui d’artistes contemporains réunis pour l’occasion tels Agnieszka
Brzezan´ska, Joachim Koester, Goshka Macuga, Shana Moulton, Rivane
Neuenschwander et Mai-Thu Perret. Accompagné d’essais sur l’ésotérisme
dans l’art contemporain, cet ouvrage ouvrira assurément de nouveaux
horizons pour le lecteur dans cette remarquable publication.
« Pierre Decker – Médecin et collectionneur » de
Gilles Money, Camille Noverraz et Vincent Barras, Édition BHMS, 2021.
C’est un splendide ouvrage – entre biographie, monographie et catalogue –
consacré au célèbre collectionneur d’art suisse Pierre Decker (1892-1967)
qui vient de paraître aux éditions BHMS. Pierre Decker, chirurgien et
professeur d’université de renom qui donna et donne encore aujourd’hui son
nom à de nombreux hôpitaux, sût, également et parallèlement à sa carrière,
réunir avec passion et un goût très sûr une prestigieuse collection
essentiellement constituée d’estampes de Dürer et de Rembrandt. Léguée à
sa mort à la Faculté de médecine, cette exceptionnelle collection a été
transférée et est aujourd’hui au Cabinet cantonal des estampes de Vevey.
Réalisé par des historiens, Gilles Monney, historien d’art, Camille
Noverraz, historienne de l’art et Vincent Barras, historien et médecin,
l’ouvrage livre non seulement un catalogue inédit et complet des estampes
de cette fabuleuse collection, mais donne aussi un beau portrait de ce
personnage hors pair, élégant aux petites lunettes rondes. Ainsi, après
avoir fait « Entrer dans la collection », confiant au lecteur notamment la
conception de l’art de Decker, une conception inséparable de la beauté, le
lecteur pourra-t-il découvrir au travers de nombreux documents pour
certains inédits l’extraordinaire fonds Pierre Decker. Car, le
collectionneur ne réunit pas seulement de son vivant des œuvres de Dürer
et de Rembrandt, mais aussi des artistes contemporains. Cependant, c’est
l’ensemble des estampes que le lecteur pourra surtout en ces pages
découvrir et admirer en leur format original.
Appuyé également par de riches analyses allant de l’histoire de l’art à
l’histoire de la médecine, des études transversales qui assurément
n’auraient pas déplu au célèbre et regretté historien de la pensée que fut
Jean Starobinski, l’ouvrage offre parallèlement une belle mise en
perspective des relations étroites que peut entretenir la médecine avec
les collectionneurs et inversement.
Ce sont ainsi de riches et captivants thèmes - « Philosophie de la
chirurgie », « La chirurgie, art ou science ? » ou encore « La culture
fondement d’un humanisme médical » - que cet ouvrage propose à la
curiosité et à la réflexion.
Une analyse faisant de ce bel ouvrage, bien plus qu’un catalogue des
estampes de la collection Pierre Decker. Au-delà de cette riche et
passionnante étude, l’ouvrage constitue assurément l’un des plus beaux
hommages qui puissent être rendus à ce grand homme d’art et de sciences.
« Vincent Peters – Selected works » ; Relié, 160
pages, 177 photographies noir et blanc, Éditions teNeues, 2021.
On ne présente plus le célèbre photographe de mode Vincent Peters. Ses
photographies pour Vogue, Dior, Yves Saint-Laurent, Glamour, etc., ont
fait depuis longtemps sa renommée. Aussi faut-il saluer l’initiative des
éditions teNeues de publier ce splendide ouvrage réunissant une sélection
des meilleurs travaux de Vincent Peters. C’est avec un souci méticuleux du
détail, de la précision et de l’éclairage que ses photographies ont su non
seulement séduire, mais également s’imposer sur la scène internationale.
Photographiant les plus grandes stars dont Monica Bellucci, Scarlett
Johansson ou Penélope Cruz, recourant parfois à la photographie
analogique, ses réalisations sont aujourd’hui incontournables et présentes
sur le marché de l’art.
Mais, au-delà de la diversité de ses réalisations, l’intemporel est
probablement ce qui caractérise le mieux l’œuvre du photographe. Aussi
n’est-ce pas un hasard si ce magnifique et unique volume regroupe des
clichés en noir et blanc, un choix de sélection qui vient accentuer plus
encore la signature du photographe Vincent Peters. On songe notamment aux
portraits de Laetitia Casta ou d’Emma Watson... Des portraits grand
format, dont certains ont marqué les mémoires à jamais. Rien de répétitif,
mais une recherche toujours renouvelée pour chaque star avec cette
distance intimiste, cet éclairage choisi qui ont fait ses meilleurs
clichés. Charlize Theron, Carolyn Murphy quelques portraits d’hommes
aussi, dont John Malkovich ou encore Edward Burns, un choix de portraits
noir et blanc qui témoignent de l’immense talent du photographe Vincent
Peters.
C’est une réelle splendide mise en perspective, un angle par lequel le
photographe Vincent Peters se révèle dans toute son exigence et rigueur de
travail qu’offre cet album. Cette œuvre où « L’inconscient rencontre la
conscience dans l’acte même de photographier » souligne Vincent Peters en
exergue de cet exceptionnel ouvrage.
« Les Toits de Paris » du photographe Laurent
Dequick, 32 x 25 cm, 120 pages, Éditions Chêne, 2021.
On ne résiste pas à ce superbe livre dans son coffret aux pages pliées en
accordéon et offrant au regard les plus belles vues sur les « Toits de
Paris ». On pourrait passer des heures à les observer, les détailler, les
scruter. Entre ciel et terre, « Les toits de Paris » sont inimitables et
le photographe Laurent Dequick dans des panoramas grandioses et
époustouflants nous les laisse admirer de l’aurore au crépuscule. Des
toits bleu-gris, en zinc faisant miroiter leurs reflets sous la pluie ou
le soleil, en ardoise se confondant avec l’horizon, les « Toits de Paris »
ont inspiré les plus belles chansons et poésies… Il est vrai que « Les
Toits de Paris » sont si reconnaissables sans jamais pourtant être tout à
fait les mêmes, laissant deviner, çà et là les monuments incontournables
de la capitale. Un régal !
« Antoine Coysevox – Le sculpteur du Grand Siècle
» d’Alexandre Maral et Valérie Carpentier-Vanhaverbeke ; Relié, 24 × 32
cm, 580 pages, 976 illustrations, Arthena Éditions, 2021.
Antoine Coysevox (1640-1720), d’origine lyonnaise, compte assurément parmi
les plus grands noms de la sculpture française du Grand Siècle. À la tête
de l’Académie royale de peinture et de sculpture dès 1703, son riche
parcours émaillera de ses inoubliables créations les célèbres châteaux de
Versailles et de Marly. Au service du roi Louis XIV dont il contribuera à
célébrer l’aura par le truchement des arts, Coysevox fait aujourd’hui
l’objet d’une superbe monographie sous la plume d’Alexandre Maral et
Valérie Carpentier-Vanhaverbeke aux éditions Arthena.
L’ouvrage est en effet à la hauteur de l’artiste avec ses 580 pages et 976
illustrations, pour nombre d’entre elles pleine page. Ainsi que le relève
Laurent Salomé en avant-propos, cet ouvrage magistral qui célèbre le trois
centième anniversaire de la disparition du sculpteur réussit le tour de
force de présenter à la fois l’artiste de la Cour et de la ville, le
monumental et le portrait intime. Car Coysevox excelle dans cette
diversité, son art ne se limitant pas aux fastes de la couronne et du
pouvoir dont il parvient même dans cette magnificence à capter
subrepticement certains instants d’intimité (Louis XIV agenouillé à
Notre-Dame portant sa main devant son cœur en signe de piété). Geneviève
Bresc-Bautier, directrice honoraire du département des Sculptures du musée
du Louvre, met en avant dans sa préface cette propension de Coysevox à
être le sculpteur de l’art officiel, mais non pas un « sculpteur officiel
». Après François Girardon, c’est ainsi au tour d’Antoine Coysevox de
bénéficier d’une étude non seulement exhaustive, mais également
passionnante, les auteurs réussissant à saisir et à exposer cette latitude
qu’eut le sculpteur à développer son génie tout en s’insérant dans des
cadres classiques. Cette liberté étonnante pour l’époque et encouragée par
le monarque se développera notamment par le truchement des nymphes et
autres faunes de Marly, ces portraits intimes que l’on jugerait animés
d’un souffle encore perceptible. Coysevox sait rendre la grandeur du faste
royal et des puissants de son temps, mais il parvient aussi à se saisir de
ce « je-ne-sais-quoi » qui insuffle vie à ses créations.
« La
Genèse de la Genèse », Illustrée par l’abstraction, de la création du monde
à la tour de Babel ; Les onze premiers chapitres de la Genèse présentés en
français, en hébreu et en translittération. Nouvelle traduction de l’hébreu,
notes et commentaires de Marc-Alain Ouaknin ; Introduction de Marc-Alain
Ouaknin ; Préface de Valère Novarina, 1 volume relié, 384 pages, 19 x 26 cm,
La Petite Collection, Éditions Diane de Selliers, 2022.
Le livre de la Genèse, primus inter pares, jouit depuis les temps les plus
anciens de cette importance, prééminence constitutive de la naissance de
l’univers, une naissance ou Genèse qu’évoquent en une beauté inouïe ces
pages. Premier livre de la Torah et de la Bible, sa poésie n’a d’égale que
ses principes qui pendant longtemps ont pris une valeur littérale
d’explication du monde. Si, cette conception n’est, certes, plus prise à la
lettre (à l’exception de certains regrettables mouvements contemporains
créationnistes), ses récits et enseignements demeurent néanmoins enracinés
dans l’inconscient collectif de nos contemporains et la source d’eau vive de
millions de croyants, Juifs, Chrétiens d’occident et d’orient. Il suffira
pour s’en convaincre de revenir à l’étymologie même du mot Genèse, Beréshit
ou « Entête » pour les Hébreux, et que saint Jérôme traduira, pour sa part,
par « In principio ». Le monde ne se conçoit que par ces principes premiers
« à la tête » de toute autre chose ou être…
Aussi, quelle belle et heureuse idée de faire dialoguer ce mystère,
inexplicable pour la raison, avec la peinture abstraite, un choix inspiré
retenu pour cette exceptionnelle édition de la Genèse à partir d’une
nouvelle traduction de l’hébreu signée Marc-Alain Ouaknin.
Ce splendide livre d’art et de foi maintenant disponible
dans La Petite Collection des éditions Diane de Selliers rend témoignage à la magnificence du récit
unique de La Genèse. La Genèse, texte fondateur des traditions juives et
chrétiennes, comprend précisément sept jours pour la création du monde. Si
le style et la diversité de ces chapitres laissent plutôt penser à une
pluralité de rédacteurs s’échelonnant du VIIIe s. au IIe siècle av. J.-C.,
la tradition aime à en attribuer la paternité à Moïse… La présente édition a
retenu les onze premiers chapitres, un choix judicieux dans la mesure où la
composition comme souvent dans la littérature hébraïque part du général vers
le particulier avec la création de l’univers, l’humanité, les luttes
fratricides, le déluge et le recommencement… Les influences culturelles ont
été fort grandes pour la genèse de cette Genèse, s’inspirant de sa proximité
avec la culture du Proche-Orient, et dont la Bible recueillera de nombreux
traits revisités par l’inspiration de ses rédacteurs, on songe notamment au
Déluge trouvant leur antériorité dans la culture sumérienne et l’épopée d'Atrahasis
reprise par celle de Gilgamesh.
Fort de cet héritage immémorial, Marc-Alain Ouaknin, philosophe et rabbin,
propose pour cette publication d’exception une nouvelle traduction à partir
de la langue hébraïque en associant rigueur de la langue et poésie, syntaxe
hébraïque et authenticité de la langue biblique.
Cette poésie biblique est encore accentuée par la mise en
page retenue et la reproduction du texte hébreu et de la translittération au
regard du texte français. Une présentation pensée et des plus soignées
offrant une nouvelle poésie, celle de la lettre et de sa graphie, les plus
grands calligraphes témoignant qu’il n’est pas nécessaire de connaître une
langue pour en apprécier sa poésie… L’impression de dialogues et de liens
inextricables qui dépassent leurs auteurs se trouve enfin sublimée par les
choix au soin tout aussi méticuleux d’œuvres de l’abstraction, telles ces
Constellations de Picasso, Une courbe libre vers un point de Kandinsky,
Braque et L’oiseau noir et l’oiseau blanc, Mondrian, Poliakoff et bien
d’autres dont, étrangement, les œuvres semblent être « éclairées » par le
texte de la Genèse « révélant » ainsi un dialogue des plus féconds .
Régulièrement, s’imposent aussi dans cette belle partition des « silences »
avec des textes non moins inspirants de philosophes ou d’artistes dont,
notamment, Vladimir Jankélévitch ou encore Marcel Duchamp ; Des « reprises
de souffle » venant approfondir encore l’appréhension et la lecture du Livre
de la Genèse ouvrant ainsi à une des plus belles méditations…
Une « Symphonie biblique », ainsi que la nommait autrefois le grand André
Chouraqui et qu’introduit Valère Novarina dès sa préface. Amoureux du mot et
de la langue, Valère Novarina explore avec le lecteur ces intrications
secrètes qui nourrissent le premier des premiers livres de la Bible. Une
lecture par une autre porte, celle de la Parole comme rythme, pulsation
universelle qui irradie ce texte premier. Un ravissement !
Philippe-Emmanuel Krautter
« Bonnard – Les couleurs de la lumière » ; sous
la direction d’Isabelle Cahn, de Guy Tossatto et Sophie Bernard ;
Cartonné, 175 illustrations, 320 pages, Editions In Fine, 2021.
À souligner, la parution à l’occasion de l’exposition au musée de Grenoble
consacrée au célèbre peintre Pierre Bonnard d’un fort et beau catalogue
intitulé « Bonnard – Les couleurs de la lumière » aux éditions In Fine.
Ce titre approprié « Les couleurs de la lumière » tisse - à l’image du
bonheur qui caractérise le peintre - le fil conducteur de cet ouvrage
réalisé sous la direction d’Isabelle Cahn, de Guy Tossatto et Sophie
Bernard. Appuyé d’une vaste iconographie, reproductions, affiches et
photographies, l’ouvrage offre en première partie de riches essais livrant
de belles clés de lecture pour appréhender l’œuvre de Bonnard. On songe à
ces célèbres toiles aux intérieurs intimes et aux fenêtres ouvertes, aux
nus féminins ou encore à ses fameux chats…
Bonnard fut un peintre ayant toujours eu, par le prisme de la lumière et
des couleurs, un rapport très subjectif au temps et à l’espace ainsi que
le soulignent dans leur écrit tant G. Tosatto qu’Isabelle Cahn avec cet «
arrêt du temps » qui le caractérise. Y sont également abordés les thèmes
des objets ou du jaune si chers à l’artiste, « Un art du paradoxe » que
développe dans sa contribution S. Bernard.
Des textes révélant toute la singularité de Pierre Bonnard, cet artiste
qui fut un temps Nabis et qui admirait tant Claude Monet. C’est
d’ailleurs, à quelques kilomètres de Giverny - Giverny où il rencontrera à
plusieurs reprises le père de l’Impressionnisme, que le peintre achètera
une propriété en 1912, à Vernonnet précisément.
L’ouvrage se poursuit, en seconde partie, par le catalogue des œuvres de
Bonnard selon « Les couleurs de la lumière » propres aux lieux de sa vie.
Ainsi, retrouve-t-on le Grand Lemps et les couleurs pour le peintre des
étés en famille, mais aussi bien sûr, les « Lumières de Normandie » ou
encore celles « Sous le soleil du midi » notamment du Cannet où le peintre
s’établit en 1926. Le Cannet que le lecteur pourra découvrir grâce au
porte-folio réalisé par Bernard Plossus.
Lumière, reflets, diffractions et couleurs nimbent, scintillent ou
miroitent dans l’œuvre de Pierre Bonnard comme autant de sensations,
vibrations et émotions.
Un beau et riche catalogue qui viendra compléter toute bonne bibliothèque
d’art.
« Paravents japonais » sous la direction
scientifique d'Anne-Marie Christin, édité par Claire-Akiko Brisset et
Torahiko Terada ; 35 x 25 cm, 280 pages, 250 illustrations couleur,
Reliure japonaise, impression métallisée dorée pour l'illustration de
couverture et le coffret à rabats illustré, Citadelles & Mazenod, 2021.
Véritable évènement éditorial, la parution des éditions Citadelles &
Mazenod consacrée à l’art des byobu, plus connus sous le terme occidental
de paravents devrait non seulement séduire les spécialistes de l’art
japonais traditionnel, mais également susciter l’admiration de tout
amateur d’art. L’ouvrage réalisé sous la direction scientifique
d'Anne-Marie Christin et édité par Claire-Akiko Brisset et Torahiko Terada
bénéficie en effet d’une véritable recherche scientifique faisant de cette
somme en langue française une référence en la matière. Pour cela, ce sont
plus de cent chefs-d’œuvre qui ont été réunis en une splendide
iconographie afin de présenter dans toute sa beauté cet art ancestral du
Japon.
Cet ouvrage à la présentation luxueuse avec sa couverture métallisée
dorée, fruit de l'expertise scientifique d'une équipe franco-japonaise
explore, en effet, cet art étonnant qui n’a pas d’équivalent en d’autres
pays. À l’image des nombreux arts traditionnels du Japon, le savoir-faire
et la minutie des meilleurs artisans ont été convoqués afin d’ériger cet
objet initialement pratique en une véritable œuvre d’art, support de la
créativité des artistes les décorant. La conception même du paravent offre
cette alternance entre plis et déploiements, faces cachées ou visibles,
suggérant ainsi tout un jeu de renvois et références complexes.
Dès l’époque Nara au VIIIe siècle jusqu’à nos jours, le paravent au Japon
a fait l’objet d’une réflexion à part, bien distincte de celle de la
peinture, de la calligraphie ou de l’estampe. Objet incontournable des
temples et demeures aristocratiques, le paravent masque autant qu’il
suggère en une variété presque infinie de motifs et de représentations au
fil des siècles ainsi qu’en témoignent les superbes illustrations
présentées en un généreux format 35 x 25. Sur ces mobiliers fruits d’un
assemblage de châssis de bois recouverts de papier, les plus grands
artistes apposeront leur signature tels Sôtatsu, Kôrin, Rosetsu ou encore
Hokusai…
Cet art sera l’occasion également de déployer sur ces larges surfaces de
plusieurs mètres parfois de longues évocations d’œuvres littéraires
incontournables du Japon tel Le Dit du Genji en une multitude de scènes
familières aux lettrés les admirant. Cet art permettra également d’évoquer
à l’envi les thèmes favoris du bouddhisme japonais avec ces scènes épurées
où pins, bambous, prunus, monts enneigés ou encore de stoïques hérons
posent les jalons d’une culture où chaque détail fait signe. Un ouvrage
clé afin d’entrer dans l’art du Japon.
« Leyli et Majnûn » de Jâmi ;
Illustré par les miniatures d’Orient ; Traduction du persan, notes et
introduction de Leili Anvar ; Direction scientifique de l’iconographie et
introductions d’Amina Taha-Hussein Okada et Patrick Ringgenberg ; 180
miniatures persanes, mogholes, indiennes, ottomanes et turques du XIVe au
XIXe siècle ; Glossaire et repères chronologiques ; 1 volume, relié, sous
coffret. 24,5 × 33 cm, 432 pages, Éditions Diane de Selliers,2021.
C’est à l’univers fascinant de la plus belle poésie persane auquel nous
convie ce merveilleux volume « Leyli et Majnûn » de Jâmi publié par les
éditions Diane de Selliers. Cet ouvrage, véritable livre d’art, s’avère
dès les premières pages plus qu’un beau livre. Puissante ode à l’amour, ce
texte connu des spécialistes et amoureux de la poésie persane se trouve
désormais proposé par cette splendide édition à un plus large public, un
public qui devrait spontanément tomber sous le charme de la beauté de ce
récit amoureux perdu dans les sables d’Arabie…
Le récit trouble en effet le lecteur car à l’image des quêtes éperdues qui
ont jalonné la littérature occidentale, l’aveu public de son amour pour
une jeune fille va conduire un jeune poète à un désespoir que certains
qualifieront de folie, « majnûn » en persan. Folie d’amour, quel thème
inspirant de nos jours où calcul et raison prévalent si souvent. En ces
pages admirablement enluminées d’une iconographie des plus inspirantes
avec ces miniatures d’orient, la poésie se décline en autant de grains de
sable du désert. Fluides, passionnées, insaisissables et pourtant
omniprésentes, ces amours métamorphosent Majnûn au point que son être, à
l’image de son âme, s’en trouve bouleversé.
Tels les fous de Dieu qui quittaient la société pour
l’isolement du désert, le poète à qui l’amour de Leyli se trouve interdit
se réfugie dans les sables d’Arabie où il guettera les reflets de sa
bien-aimée. Cette absence conduit au fil des jours à une présence, cette
présence absolue de l’amour qui s’apparente rapidement à l’amour divin
avec lequel il se confond. Ainsi que le souligne Leili Anvar dans sa
préface « La poésie de Jâmi est douce parce qu’elle a pour vocation de se
mêler au souffle de la vie, murmurant à l’oreille de l’âme une mélodie à
nulle autre pareille. C’est aussi pourquoi l’on ne peut parler d’amour
qu’en termes poétiques et que le chant le plus suave est celui de l’Amour.
»
A l’image du Cantique des Cantiques dans la Bible, ce récit bouleverse le
lecteur car il le conduit dans les tréfonds de ses émotions les plus
intimes, se demandant qu’est-ce qui détermine une vie ? Cette dernière
peut-elle être conditionnée à l’amour de l’autre ? Toutes ces questions
qui interrogeront l’homme, jusqu’à ce que la psychanalyse ne s’en
saisisse, se trouvent au cœur de cette poésie persane mémorable, telle
cette gouache du début du XVIe siècle évoquant Majnûn dans les bras de
Leyli, le jeune homme apparaissant sous les traits d’un ascète au visage
et au corps émaciés par sa retraite. Le pouvoir de l’amour transcende
ainsi toutes les contingences de la vie, y compris celles de la beauté, de
la richesse et des honneurs du monde.
« Georges de La Tour » de Jean-Pierre Cuzin ;
Relié sous jaquette et coffret illustrés, 32.5 x 27.5 cm, 390 ill.
couleur, 384 pages, Editions Citadelles &t Mazenod, 2021.
La vie de Georges de La Tour est toujours demeurée, pour les historiens,
lacunaire. Encore aujourd’hui sa vie et son œuvre demeurent un mystérieux
puzzle. Mais quel merveilleux mystère cependant ! Aussi n’est-ce pas
étonnant que Jean-Pierre Cuzin, historien de l’art réputé, ait souhaité
proposer dans ce splendide ouvrage paru aux éditions Citadelles et Mazenod
un pertinent et nouvel éclairage sur l’œuvre de ce fantastique peintre. Et
comme on le comprend ! Comment ne pas être en effet fasciné par ces
éclairages, ces ambiances, ces clairs obscurs ? on songe à « La Madeleine
pénitente » qui orne le coffret de l’ouvrage ou encore au « Saint Joseph
charpentier ». Des œuvres dont l’auteur nous donne également à voir de
beaux détails ou des radiographies pour mieux appuyer ses thèses et
analyses.
Oublié à sa mort au XVIIe, pendant presque trois siècles, Georges de La
Tour est assurément un « rescapé ». Il y a un siècle encore, aucune
histoire de la peinture ne le mentionnait, souligne Jean- Pierre Cuzin en
son introduction. La reconnaissance de Georges de La Tour relève donc d’un
miracle ou plus exactement d’une chaine ininterrompue de miracles dus à de
géniales et multiples audaces, intuitions, persévérances et hasards. Une
incroyable redécouverte qui se poursuit encore aujourd’hui avec bonheur
grâce à ce riche ouvrage. C’est véritablement à une enquête alerte,
vivante et passionnante à laquelle le lecteur est convié.
Appuyé par une vaste et magnifique iconographie, l’auteur réévalue en
effet en ces pages œuvres et archives, réexamine celles attribuées et les
copies, et livre au regard des dernières recherches, chapitre après
chapitre, une passionnante biographie renouvelée de l’artiste. Sous la
plume de Jean-Pierre Cuzin, Georges de La Tour nous apparaît, retrouve
ainsi vie dans son époque, ses œuvres reprennent place dans cette vie
d’artiste qui peignit pendant une quarantaine d’années. Ainsi, après les
années de jeunesse et de formation, le lecteur pourra suivre le peintre de
son début de carrière à sa venue à Paris et reconnaissance dans les années
1630-1640. Les grandes toiles de l’artiste de 1640-1645 y sont également
largement analysées notamment la célèbre « Adoration des bergers » avant
que Jean-Pierre Cuzin n’aborde les dernières années du peintre.
Si ses œuvres nocturnes sont les plus connues, ses œuvres diurnes ne
sauraient cependant être oubliées. Car, ainsi que le souligne l’auteur, la
carrière du peintre n’est pas sans évolution ni volte-face ou
contradictions avec des œuvres extrêmement variées et déconcertantes.
N’évitant aucune difficulté, fort de nombreuses études de toiles ou
détails, Jean-Pierre Cuzin n’hésite pas à souligner incohérences et
contradictions, problèmes et incertitudes que soulèvent encore de nos
jours l’œuvre et la biographie d’un tel artiste. Mais, conscient de ces
incontournables difficultés – du caractère périlleux de l’entreprise,
écrit-il -, Jean-Pierre Cuzin a su par cet ouvrage de référence relever ce
beau défi de redonner à Georges de La Tour toute sa grandeur. Une gloire
longtemps oubliée, mais pourtant incontestable en ces pages !
« Jésus dans l'art et la littérature » de
Pierre-Marie Varennes ; coédition Magnificat et Éditions de la Martinière,
2021.
Pierre-Marie Varennes a su se saisir dans ce beau livre coédité par
Magnificat et les éditions de La Martinière du mystère de l’Incarnation ;
un thème fort mis ici en perspective par le filtre de l’art et de la
littérature. Grâce à une belle iconographie de 150 chefs-d’œuvre d’art
sacré et 50 grands textes de la littérature, cet ouvrage, en touches
successives, nous rapproche page après page à la fois de la richesse des
images du Christ livrées par les plus grands artistes tout en proposant au
lecteur d’approfondir son propre regard grâce à d’inspirantes méditations
et lectures. Si la lectio divina est bien connue des fidèles épris
de la richesse des Écritures, l’exercice suggéré par Pierre-Marie Varennes
s’en rapproche quant à lui grâce à l’art. Quelle âme n’a en effet ressenti
une émotion certaine face à ce regard puissant du Rédempteur ni tremblé
face à la douleur du Christ en Croix ? L’ouvrage guide le lecteur dans ce
chemin de l’art en rappelant les grands courants artistiques, mais aussi
leur singularité quant à l’art sacré. Ainsi que le souligne l’historien de
l’art Edwart Vignot dans sa préface, cet ouvrage réunit à lui seul un
florilège d’images porteuses de sens, la reproduction en vis-à-vis du
tableau « Le Portement de croix » du peintre Le Greco en témoigne. Un bel
et riche ouvrage qui guide, suggère et accompagne le lecteur dans sa
propre réflexion de la transcendance sous l’angle de la beauté.
« Pour un Herbier » de Colette, illustré par
Raoul Dufy ; Relié, couverture cartonnée pleine toile, marquage et
vignette Grand in-quarto, 33 x 23 cm, 96 p., Éditions Citadelles &
Mazenod, 2021.
Les amoureux des lettres, des arts et de la nature ne pourront que saluer
cette belle et heureuse initiative des éditions Citadelles & Mazenod de
rééditer aujourd’hui le splendide ouvrage écrit par Colette et illustré
par Raoul Dufy. « Pour un herbier » fut initialement publié en 1971 dans
une édition de luxe par les célèbres éditions Mermod.
Grâce à cette belle publication à l’identique, nous pouvons aujourd’hui
redécouvrir toute la finesse et l’amour de Colette pour la nature et les
herbiers. Un herbier consacré aux fleurs et dialoguant, ici, avec toute la
délicatesse des formes et couleurs de Raoul Dufy. Un fac-similé enchanteur
réalisé à partir de l’édition originale conservée à la bibliothèque de
l’Institut national d’histoire de l’art, plus précisément à partir de
l’exemplaire réservé à l’artiste et aux collaborateurs appartenant à la
collection Jacques Doucet.
Colette aimait cet ouvrage réjouissant les sens et dont chaque page est un
émerveillement. Une délicatesse et une fraîcheur offertes dans une édition
soignée aux dessins à la mine de plomb et aux aquarelles pleines pages.
Les fleurs s’y épanouissent sous la palette du peintre et trouvent sous la
plume de l’écrivain leur plus délicat parfum.
Le
lecteur dans cette promenade printanière y découvrira au détour des pages
la douceur d’un vase du muguet ou la fraîcheur des lys, des pavots, d’un
gardénia en un monologue à nul autre pareil ou encore ces anémones
devenues si rares de nos jours…
Lorsque l’une des plus célèbres femmes des lettres françaises rencontre
pour le plus grand plaisir des sens l’un des plus enchanteurs des
aquarellistes… une merveille !
« À la table de Flaubert » de Valérie Duclos avec
les photographies de Guillaume Czew ; 21 x 28 cm, 128 p., Éditions des
Falaises, 2021.
C’est à une jolie promenade à la fois littéraire et gourmande à laquelle
nous convie Valérie Duclos avec cet ouvrage « À la table de Flaubert »
paru aux éditions des Falaises. Accompagné et superbement illustré par les
photographies de Guillaume Czew, ce sont les goûts et l’appétit de vie du
célèbre écrivain et tout l’art de vivre normand qui sont ainsi mis à
l’honneur.
Le lecteur pour son plus grand plaisir y retrouvera ainsi des recettes
données dans les œuvres de Gustave Flaubert, et dont certaines ont été
pour l’occasion créées ou revisitées par des chefs contemporains normands.
Ainsi, dégusterons-nous la « Tourte de caille » de Madame Bovary, le «
Rumsteack au caramel de framboise » de Salammbô ou encore la « Soupe à
l’oignon » de Bouvard et Pécuchet. Recettes, repas, dîners, tables et
scènes de vie, tous ces savoureux moments flaubertiens revivent, en ces
pages, comme par magie.
Valérie Duclos souligne en son introduction qu’elle entend bien convier
ses lecteurs non seulement à une escapade gourmande mais aussi « à une
ballade littéraire, culturelle, architecturale, normande (…) » Des
ambiances où vécut l’écrivain, Rouen, Croisset, ou des lieux normands
décrits par Flaubert lui-même. Références littéraires, paysages et style
normand, recettes plus tentantes et alléchantes les unes que les autres,
le lecteur ne peut que se laisser agréablement entraîné dans cette
escapade épicurienne.
Des plaisirs de table en compagnie de Flaubert aussi joliment présentés
que savoureux. Comment y résister ?
« La Normandie de Flaubert », Collectif,
Association des Amis de Flaubert et de Maupassant, Photographies d’Éric
Bénard, Éditions des Falaises, 2021.
En cette année qui marque le deux centième anniversaire de la naissance de
Gustave Flaubert, comment ne pas parcourir la Normandie, sa Normandie ?
Normand de par sa mère, né à Rouen, il passa principalement sa vie au
Croisset où il mourut en 1880. Certes, le célèbre écrivain fit de
multiples allers-retours à Paris, mais il préférait s’enfermer dans cette
maison du Croisset, lieu de prédilection où il écrivit ses œuvres. C’est
d’ailleurs, en cette Normandie natale, que Flaubert plaçât ses œuvres
majeures, que ce soit « Madame Bovary », d’« Un cœur simple » situé à
Pont-L'Évêque jusqu’à « Bouvard et Pécuchet » ayant également pour cadre
le Calvados… A Croisset en Normandie, il aimait aussi y inviter ses amis,
le jeune Maupassant ou encore Tourgueniev qui se fit souvent attendre.
Ainsi que le souligne Yves Leclerc, président des Amis de Flaubert et de
Maupassant, en son introduction l’écrivain fut « trois fois normand ». A
ce titre, un ouvrage dédié à « La Normandie de Flaubert » s’imposait !
Paru aux éditions des Falaises sous l’égide de l’Association des amis de
Flaubert et de Maupassant, c’est un plaisant ouvrage collectif, riche et
joliment illustré par les photographie d’Éric Bénard, que le lecteur
pourra découvrir. De « La Normandie au temps de Flaubert » aux lieux de
mémoire d’aujourd’hui en passant par cette Normandie littéraire qui habite
ses œuvres ou encore la visite du « Pavillon de Flaubert à Croisset »,
seul vestige de la propriété de Flaubert, l’ouvrage se parcourt aussi
agréablement qu’une belle escapade ou un roman.
« Le Renouveau de la Passion - Sculpture
religieuse entre Chartres et Paris autour de 1540 » ; Catalogue
d’exposition au Musée national de la Renaissance - Château d'Écouen sous
la direction de Guillaume Fonkenell, Editions In Fine éditions, 2020.
Le catalogue de l’exposition du Musée de la Renaissance propose une
passionnante évocation de l’univers de la sculpture gothique au milieu du
XVIe siècle. Au tournant de la Renaissance une véritable mutation de la
sculpture religieuse s’accomplit en effet entre Paris et Chartres. Face à
la persistance de l’art gothique en France, des artistes vont ainsi
développer un nouveau langage formel qui sera qualifié de « classique ».
Des artistes comme Jean Goujon souhaitent dès lors renouveler l’art sur un
plan formel ainsi que ses trois œuvres commandées pour
Saint-Germain-L’Auxerrois, les décors de la façade du Louvre et pour la
fontaine des Innocents à Paris en témoignent. Une certaine distance
temporelle se trouve marquée, avec un retour aux standards de l’Antiquité
et le souhait de représenter les Évangélistes au temps des Romains.
Le catalogue montre bien comment un autre artiste comme François Marchand
a su également illustrer cette évolution, de Chartres où il commença sa
carrière, jusqu’à Paris en sculptant le tombeau de François Ier. En un
retour à l’antique et une proximité avec la Renaissance italienne, une
violence passionnelle et une véritable virulence émotive peuvent être
perceptibles dans les œuvres de cet artiste, signe de cette profonde
mutation.
Ce catalogue richement illustré fait la brillante démonstration que ces
sculpteurs du XVIe s. ont su par la puissance plastique de leurs œuvres
conjuguer d’une manière repensée la dignité et le drame de la Passion du
Christ.
« Alfred Sisley - Catalogue raisonné des
peintures et des pastels » de Sylvie Brame et François Lorenceau ; 560 p.,
25 x 32 cm, Illustrations : env. 1100, relié sous jaquette couleur,
Bibliothèque des Arts, 2021.
Les éditions La Bibliothèque des Arts viennent de consacrer un catalogue
raisonné de l’œuvre du peintre Alfred Sisley appelé à faire date. Les
auteurs, Sylvie Brame et François Lorenceau, offrent en effet avec cette
somme bénéficiant des dernières recherches sur le peintre un ouvrage
essentiel non seulement pour les spécialistes mais également pour tout
amoureux de l’Impressionnisme. En renouvelant et amplifiant l’édition
originelle parue en 1959 par François Daulte avec le concours de Charles
Durand-Ruel, le présent ouvrage réunit en 560 pages pas moins de 1012
tableaux et pour la première fois les 71 pastels du maître
impressionniste.
Anglais de naissance et français de cœur, Alfred Sisley décide de poser
son chevalet à l’extérieur pour livrer ces tonalités fraiches et
évanescentes d’une nature qu’il ne cessera d’observer notamment en Ile de
France. Il ressort de ces évocations intimes des rives de la Seine, à
l’ouest de la capitale, une attraction secrète qui le ramènera toute sa
vie durant sur ces lieux où l’harmonie se conjugue à la vibration de
l’air. Sylvie Patin, conservateur général honoraire au musée d’Orsay,
souligne en introduction que si Sisley n’avait pas rencontré le succès
escompté de son vivant alors même que son talent était apprécié de ses
pairs, sa notoriété viendra après sa mort.
Les témoignages abondent en effet après sa disparition de la gaieté, de
l’entrain et fantaisie du personnage qui allait connaître très tôt cette
attraction inexorable du paysage et de la nature notamment à Bougival et
Louveciennes où il résida. Lui qui commençait toujours une toile par le
ciel ne cessa d’en admirer les incessants reflets sur les ondes du fleuve
jouxtant sa résidence. Souvent associé à Monet pour cette magie des flots
qu’il sut rendre avec une rare acuité dans ses multiples peintures à
l’huile mais aussi ses pastels, la magie Sisley opère spontanément en
feuilletant les pages de ce somptueux catalogue critique. Surgissent en
effet comme par enchantement des paysages encore vierges des ravages
opérés par la modernité dont il reste encore quelques rares bribes dans
les boucles de la Seine. Ces paysages surpris sur le vif consentent à
livrer dans ces compositions ce témoignage sensible qui anima le peintre
tout au long de sa vie, même lorsque cette dernière l’éloignera de cette
région pour d’autres horizons notamment à Moret-sur-Loing où il terminera
ses derniers jours dans la gêne matérielle et avant même d’avoir été
naturalisé par l’État français…
« Salammbô » ; Catalogue, cartonné, 352 pages,
ill., 240 x 320 mm, Gallimard, 2021.
L’incipit du roman « Salammbô » de Gustave Flaubert « C'était à Mégara,
faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar. » est passé à la
postérité pour des générations de lecteurs depuis sa date de publication
en 1862… Fruit d’un travail titanesque qui demanda des années de
préparation à son auteur, « Salammbô » fut non seulement l’occasion de
redonner vie à la cité antique, source de tous les rêves de
l’orientalisme, mais aussi d’explorer en profondeur les passions humaines.
Le catalogue qui vient d’être publié par les éditions Gallimard est à la
hauteur de cette immense fresque à l’occasion de l’exposition qui va se
tenir au MUCEM à partir de cet automne.
Ainsi que le souligne Sylvain Amic en introduction à cette somme
abondamment illustrée de plus de 350 pages, Flaubert présente son dernier
roman cinq après le scandale de « Madame Bovary » qui valut un procès à
son auteur. L’écrivain partit sur place en 1857 et récolta une masse
impressionnante de matériel pour une histoire qui allait se dérouler trois
siècles avant Jésus-Christ. L’auteur souhaita visiblement quitter son
siècle après les tourments occasionnés par « Madame Bovary », pour mieux
plonger dans les arcanes de l’Histoire, une fois de plus, méticuleusement
explorées. Son ami Guy de Maupassant s’interrogeait : « Est-ce là un roman
? N’est-ce point plutôt une sorte d’opéra en prose ? »… La question mérite
d’être posée tant Flaubert déploie dans « Salammbô » à la fois la voix de
ses protagonistes et les couleurs de la scène en un tourbillon proche de
l’art lyrique, ce dernier lui rendant par la suite hommage en étant la
source d’inspiration de nombreuses créations.
Le présent catalogue explore toutes les facettes de cette gigantesque
œuvre qui épuisa son auteur au point de le décourager. Flaubert fait œuvre
d’historien en travaillant sur les sources historiques à sa disposition,
et ira même jusqu’à lire les études médicales les plus poussées de son
temps sur les effets de la faim et de la soif pour ses protagonistes dans
le défilé de la Hache…
Après avoir rappelé la situation historique de Carthage avant Flaubert et
la genèse de l’ouvrage, le catalogue offre de passionnantes sections sur
l’influence du roman sur les arts, notamment pour la peinture, mais aussi
la musique sans oublier le cinéma. Illustré par une foisonnante
iconographie témoignant des liens étroits entre l’œuvre et les arts, ce
catalogue vient ainsi souligner le génie littéraire de Flaubert, et ce, de
la plus belle manière.
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Architecture |
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“Shigeru Ban. Complete Works 1985 –Today” de Philip Jodidio, édition:
Multilingue (Allemand, Anglais, Français) ; Relié, 30.8 x 39 cm, 696 p.,
Editions Taschen, 2024.
L’architecte japonais Shigeru Ban est connu internationalement pour ses
créations originales à base de carton permettant la réalisation
d’habitations d’urgence destinées notamment aux réfugiés de catastrophes
(Fukushima, Ukraine…). Alliant engagement certain et véritable implication
dans l’architecture urbaine contemporaine, le travail de Shigeru Ban dépasse
très largement ces quelques clichés réducteurs de son immense création ainsi
qu’en témoigne cette somme inédite qui vient de lui être consacrée. Les
éditions Taschen sous la plume de Philip Jodidio rendent hommage en effet au
grand architecte avec un ouvrage aussi imposant qu’inspirant. Couvrant tous
les travaux de Shigeru Ban de 1985 à nos jours, cet ouvrage explore cette
pensée altruiste récompensée par le Pritzker Prize pour «sa curiosité, son
engagement, son esprit infiniment novateur, son œil infaillible et sa
sensibilité aiguë.»
Car, en effet, l’architecte japonais parvient à entrecroiser beauté et
nécessités essentielles, fait rare dans le domaine de l’architecture où les
ego prennent souvent le dessus. Shigeru Ban depuis ses premiers travaux
parvient à se saisir de l’essence des matériaux pour en restituer non
seulement les lignes primordiales mais également essentielles à la vie
souvent malmenée par la modernité. Il suffit pour s’en convaincre d’admirer
ces vues imprenables sur la nature, ses architectures alliant bois et
carton, l’omniprésence des lignes primordiales à toute vie… À la fois solide
comme un chêne et souple comme le roseau, chaque structure d’une
architecture signée Shigeru Ban manifeste cette adaptation au réel,
l’architecture redonnant souvent vie à des matériaux jusqu’alors dédaignés
par ses pairs.
En feuilletant les pages de cette remarquable édition, nous découvrons alors
un univers fascinant composé de transparences, de constructions en tubes de
papier, de maisons dont les structures traditionnelles s’estompent à l’image
de la Curtain Wall House à Tokyo et la Wall-Less House dans la campagne de
Nagano… L’ouvrage met en évidence cette extrême créativité au fil des années
allant du Campus Swatch-Omega en Suisse à l’Île Séguin en France sans
oublier Haesley Hamlet en Corée du Sud et surtout ces toilettes
transparentes de Tokyo rendue célèbres par le film Perfect Days ( film
chroniqué dans ces colonnes). Shigeru Ban transcende les éléments pour mieux
en sublimer leur essence en harmonie avec l’espèce humaine notamment les
plus fragiles d’entre eux. Une démarche rare, un esprit inspiré…
À noter le 10 juillet 2024 la venue exceptionnelle de
l’architecte Shigeru Ban au Taschen Store de Paris pour la signature de son
livre de 18h30 à 19h30 au 2 rue de Buci 75006 Paris. |
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« Atlas de l’Architecture
contemporaine » sous la direction de Chris van Uffelen ; Traduit de
l’anglais par Jean-François Cornu ; Editions Citadelles & Mazenod, 2022.
Splendide et impressionnant ! Tels sont assurément les meilleurs
qualitatifs pour cet « Atlas de l’architecture contemporaine » paru aux
éditions Citadelles et Mazenod. Une nouvelle édition, dix ans après la
première, toujours plus attendue dans le domaine tant de l’architecture
que de l’édition et qu’il convient de saluer.
Couvrant les cinq continents regroupés, ici, en trois grands chapitres, de
l’Europe-Afrique aux Amériques en passant par l’Asie et l’Australie, cette
cartographie de l’architecture contemporaine offre non seulement une vue
d’ensemble mais aussi et surtout une riche réflexion sur l’évolution en
une décennie de la manière dont l’homme moderne entend habiter la planète
terre. « On y retrouve une même diversité de projets et de techniques mais
on y retrouve aussi les questions essentielles qui se posent actuellement
» souligne Chris van Uffelen en sa préface.
Avec une extraordinaire iconographie, photos, plans et pas moins de 280
projets, ce sont ainsi l’évolution, centres d’intérêt, matériaux de nos
habitats, lieux publics, religieux ou culturels, mais aussi espaces de
travail qui sont, en ces chapitres, exposés et analysés. Soulignons
notamment le « 175 Haussmann », cet impressionnant complexe réunissant
derrière une façade Haussmann deux immeubles des plus modernes, et ce, à
quelques mètres de l’Étoile à Paris. Des réalisations architecturales à la
fois spectaculaires, étonnantes ou déroutantes mais reflétant également
notre environnement et notre quotidien. Un panorama instructif et
époustouflant ! On songe à l’Arena d’Aix-en-Provence, au nouveau campus
urbain de l’Université Bocconi à Milan ou encore au Centre culturel de
Kadokawa au Japon… (Pour une fonctionnalité optimale, outre un index des
architectes en fin d’ouvrage, sont précisés pour chaque réalisation, en
haut de page, l’architecte ou bureau d’étude, sa destination, son année de
réalisation, ville et pays.)
Parcourant ainsi la planète monde et offrant au regard sous la direction
de Chris van Uffelen les plus splendides réalisations architecturales de
ces dix dernières années, cet « Atlas de l’architecture contemporaine »
dans sa nouvelle parution constitue indéniablement une somme
incontournable, un ouvrage de référence qui réserve aux lecteurs,
professionnels, amateurs, passionnés ou tout simplement curieux de notre
monde de bien belles découvertes et surprises.
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« L’architecture moderne de A à Z » ; 696 pages,
version française, Editions Taschen, 2022.
Incontournable ! Tel est assurément le qualificatif qui sied le mieux à ce
fort ouvrage entièrement consacré à l’architecture moderne et paru aux
éditions Taschen. Appuyé par une splendide iconographie, l’ouvrage offre
aux architectes, professionnels, mais aussi à tout passionné ou amateur
d’architecture une vaste connaissance de l’architecture des XIX et XXe
siècles.
Avec plus de 300 entrées, ce sont en effet à la fois les plus grands
mouvements de l’architecture moderne, mais aussi les plus grands
architectes des deux derniers siècles que le lecteur retrouvera ou
découvrira en ces pages rangés pour une efficacité accrue selon un ordre
alphabétique. Et que de découvertes tant pour les yeux que l’esprit !
Cette somme offre, ainsi, pour chacune des figures majeures de
l’architecture, une brève biographie et surtout une description des œuvres
emblématiques. Des noms internationalement reconnus, mais aussi parfois
injustement moins connus. On y découvre aussi avec curiosité pour nombre
d’entre eux leur photographie ou portrait. C’est l’architecte Aalto qui
ouvre cette bible se refermant presque 700 pages plus loin avec Zumthor
Peter. Chaque nom nous entraîne de par ses réalisations d’une capitale
l’autre ou encore vers une autre région du monde…
Mais le lecteur pourra également se référer selon les différentes entrées
aux nombreux courants ou styles ayant marqué l’histoire de l’architecture
durant ces deux derniers siècles. Bâtiments publics, institutions, églises
ou encore résidences privées cohabitent, ici, soulignant l’extraordinaire
essor et dynamisme de l’architecture moderne. Art nouveau,
constructivisme, expressionnisme…
Des pages magnifiques présentant le plus souvent sur de pleines pages les
plus grandes créations architecturales modernes de notre monde.
Extraordinaire !
Un ouvrage aussi splendide que complet qui ne pourra que trouver sa place
dans toute bonne bibliothèque.
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Jean Dethier et Jean-Louis Cohen : « Habiter la
terre L'art de bâtir en terre crue : traditions, modernité et avenir »,
Nouvelle édition compact - 512 pages, 216 x 279 mm, Couleur, Flammarion, 2022.
Le retour à la terre pour la construction de nos habitats ne relève plus
d’espoirs, de doux rêveurs et autres post-soixante-huitards en mal
d’écologie… Ces aspirations naguère moquées se trouvent fort heureusement
depuis plusieurs années enfin prises au sérieux en raison de la prise de
conscience des réalités écologiques qui s’imposent, avec plus de nécessité
et d’urgence que jamais, à notre époque.
Il s’agit toujours d’une action militante qui anime les auteurs Jean
Dethier, essayiste, architecte et activiste, et Jean-Louis Cohen,
historien de l’architecture, professeur au Collège de France et à la New
York University. Certains lecteurs se souviendront de l’impressionnante
exposition que Jean Dethier avait consacrée à ce thème en 1981 au Centre
Pompidou, mais pour les plus jeunes et curieux ou convaincus, c’est une
admirable synthèse de référence qui est aujourd’hui proposée avec ce livre
d’art de plus de 500 pages et 800 photos et dessin au format généreux 24 x
31 cm.
Le propos est décloisonné, si l’on peut dire, aux cinq continents et à
travers les temps puisqu’un chapitre entier est consacré à l’histoire des
logiques constructives au fil des siècles. C’est un véritable plaidoyer
qui est en ces pages inspirantes ainsi proposé au lecteur, une réflexion
qui ne fait pas pour autant l’impasse des difficultés et limites de cet
art traditionnel. Car nous réalisons bien rapidement en découvrant ces
réflexions que notre époque « moderne » a étonnamment fait l’impasse d’une
des techniques les plus anciennes de l’homme pour édifier son habitat,
suivant en cela le modèle laissé par un grand nombre d’espèces du monde
animal.
Or, nos deux
auteurs entendent bien réconcilier nos contemporains avec ce génie créatif
qui outre ses qualités techniques, esthétiques et économiques, témoigne
d’une approche écologique incontestable pour celles et ceux en ayant fait
l’expérience.
Il suffira pour
s’en convaincre d’avoir un jour édifié un mur en torchis au lieu et place
de parpaings… Isolant, respirant, recyclable et solide, la terre ne se
limite pas à des architectures « frustes » et sommaires, mais s’offre à la
créativité des architectes qui ont fait la preuve de leurs créativités
contemporaines rappelées dans ces pages superbement illustrées.
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« Carlo Mollino - Architect and
Storyteller » ; 24 x 32 cm, 456 pages, 502 color and 45 b/w illustrations,
Park Books, 2021.
Designer d’intérieur, photographe et architecte réputé, Carlo Mollino a
inscrit son nom en lettres d’or dans le design du siècle passé. Le fort et
riche volume publié par les éditions Park Books présente la synthèse de
son travail en tant qu’architecte sous la plume de Napoleone Ferrari et
Michelangelo Sabatino. Enrichi de contributions par Guy Nordenson et
Sergio Pace, ce beau livre se veut non seulement instructif sur cette
personnalité légendaire mais également des plus esthétiques grâce aux
photographies inspirées de Pino Musi.
Né en Italie avec le début du siècle en 1905, Carlo Mollino a laissé son
nom à la postérité grâce à ses nombreuses créations de meubles de nos
jours très recherchées. Ses polaroïds aux photos osées pour l’époque
constituent également une autre facette du personnage… Mais le présent
ouvrage s’attache à un aspect de la production du designer plus méconnu
avec ses multiples contributions à l’architecture. Si l’homme n’a réalisé
que peu de projets, ses idées sur l’architecture et ses nombreuses œuvres
sur papier laissent imaginer la fertilité de sa pensée créatrice.
Grâce à une superbe mise en page et une iconographie impressionnante, la
créativité Mollino se dessine page après page et laissera pantois tout
amoureux d’architecture. Que dire en effet sinon son admiration pour le
fameux Teatro Regio et la Chambre de commerce de Turin ? Mais aussi le
Torino Horse Riding Club sans oublier la station Lago Negro dans les Alpes
italiennes ? Toutes ces novations surprennent non seulement pour leur
modernité, l’architecte appartenant manifestement au courant moderniste,
mais aussi pour leurs prouesses témoignant des affinités de Mollino avec
le surréalisme. Le lecteur se délectera de ces créations toutes plus
étonnantes les unes que les autres si l’on songe aux époques qui les
virent naître. À la découverte de ces admirables créations, on ne pourra
regretter qu’une chose, que bien de ces projets soient restés à l’état de
croquis et de papiers si prometteurs…
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"Archetypes" de David K. Ross ;
Photographies de David K. Ross, Sous la direction de Reto Geiser avec les
contributions de Reto Geiser, Sky Goodden, Ted Kesik et Peter Sealy ;
Relié, 120 pages, 21 x 28 cm, Éditions Park Books, 2021.
Les archétypes ne sont plus l’apanage de la psychologie et de la pensée
jungienne ainsi que le démontre ce brillant ouvrage réalisé par l’artiste
canadien David K. Ross et agrémenté de superbes photographies de l’auteur.
Au croisement de la photographie, du film et de l’installation, son
travail conduit en effet à la création d’étonnantes maquettes
architecturales sublimées par un éclairage nocturne des plus
spectaculaires… La pénombre révèle en effet les détails des structures,
souligne les effets de matière pour en dégager des signes infimes
conduisant à une autre vision primordiale de l’architecture.
Ce travail passionnant se trouve ainsi présenté en ces pages étonnantes,
des pages qui suscitent l’envie de découvrir ces créations dans la réalité
de leur installation. Ces fragments architecturaux constituent dès lors un
véritable laboratoire de proto-architecture, témoins silencieux mais
néanmoins évocateurs de tout ce que l’homme a su mettre en œuvre dans
l’édification de bâtiments liés à son environnement.
De manière plus pragmatique, ce travail créatif offre également l’avantage
de pouvoir isoler une part infime d’une future réalisation architecturale
et d’en présenter les grandes lignes avant sa mise en œuvre. Ces
instantanés architecturaux deviennent ainsi autant de réalités en devenir,
en alternative aux créations virtuelles qui dominent de nos jours les
cabinets d’architecture. Aux confins de l’art et de l’architecture, ces
maquettes en préludant aux réalisations à venir constituent de véritables
objets de création à part entière, à découvrir dans cet ouvrage assurément
novateur.
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Bjarne Mastenbroek : « Dig it!
Building Bound to the Ground » ; Relié, 19,3 x 27,1 cm, 1390 pages,
Éditions Taschen, 2021.
Le rapport étroit et presque intime entretenu entre le sol, les fondations
et l’édifice architectural fait l’objet d’une publication remarquable de
la part des éditions Taschen sous la plume de l’architecte néerlandais
Bjarne Mastenbroek explorant au sens propre et figuré les liens unissant
l’architecture et le site qui l’accueille.
Partant du principe fondamental de la rareté de la terre, ce dernier
demeure persuadé que l’avenir passera par une conception et gestion plus
éclairées de cette ressource limitée pour l’avenir de l’humanité. Cette
dimension rarement abordée avec une telle acuité conduit ainsi cet esprit
résolument tourné vers une architecture écologique à une approche fine et
sensible non seulement du sol, mais aussi de son environnement, sa
configuration et ses interactions avec le milieu.
C’est son riche parcours qui a ainsi conduit Bjarne Mastenbroek à
l’écriture de cette somme impressionnante de 1390 pages et 2,5 kg,
véritable roc sur lequel l’auteur développe son approche à partir des
origines de la construction dans l’humanité. Appuyé par une iconographie
tout aussi exceptionnelle grâce aux photographies d’Iwan Baan, cet ouvrage
accompagne le lecteur dans cette compréhension globale de l’acte d’édifier
que l’homme a depuis l’aube des civilisations initié dans des
environnements parfois hostiles ou singuliers.
Au fil des pages, quelle que soit la configuration du sol et des lieux,
nous réalisons que les architectures du passé ont rarement fait l’impasse
de ces « fondations » naturelles que représente l’environnement, tirant
parfois profit de situations naturelles défavorables. C’est certainement
là, l’apport de cet ouvrage essentiel que de montrer au lecteur du XXIe s.
combien l’histoire récente des dernières décennies semble prouver qu’en
occultant ou ignorant cette dimension incontournable, l’architecture peut
conduire aux pires impasses, si ce n’est à des désastres. En renouant avec
cette harmonie des sols et environnements, Bjarne Mastenbroek démontre
ainsi avec maestria comment l’architecture de demain pourra renouveler ce
lien toujours ténu entre l’homme, son habitat et la terre qui les abrite.
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« Duplex Architects - Rethinking
housing » ; 416 pages, Park Books Éditions, 2021.
À souligner, en matière d’architecture, la parution d’une riche
monographie entièrement consacrée aux conceptions et réalisations des
bureaux d’études « Duplex Architects » situés en Suisse et en Allemagne.
L’ouvrage sous la plume de Nele Dechmann offre un focus des plus
intéressants sur le projet de cinq logements en Suisse, allant du « Studen
Housing » au « Living at the Edge of Town » de Limmatfeld en passant par «
Vivre avec le Bruit » dans le quartier de Buchegg ou encore « Bien plus
que le logement » de l’aire Hunziker. L’approche et la conception
particulières propres au bureau d’études « Duplex Architects » créé en
2007 initialement à Zurich sont ainsi, en ces pages, au travers de ces
cinq réalisations, largement exposées et détaillées.
Appuyée par de nombreuses photographies dont celles de Ludovic Balland
auxquelles s’ajoutent de multiples plans et visualisations, l’étude livre
au lecteur à la fois une vision globale, précise et innovante de
l’approche urbanistique retenue par « Duplex Architects ».
À cette approche première de développement urbain, « Duplex Architects »
apporte également une forte attention et exigence aux nouvelles formes de
vie en commun. Importance de la communauté, importance des lieux de
collaborations et de partages jalonnent ainsi les conceptions
architecturales résidentielles.
Des exigences de conception que viennent avec pertinence souligner de
nombreuses contributions d’experts et architectes, dont celles des
associés fondateurs du cabinet Anne Kaestle et Dan Schürch. Un ouvrage qui
ne peut que retenir l’attention.
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« Contemporary Japanese Architecture » de Philip
Jodidio Relié, Édition multilingue: allemand, anglais, français, 24,6 x
37,2 cm, 448 pages, Éditions Taschen, 2021.
Le pays du Soleil Levant a démontré depuis plus d’un demi-siècle que son
architecture avait su suivre et anticiper les tendances les plus
contemporaines de l’architecture moderne. Si l’Exposition universelle
d’Osaka en 1970 a en quelque sorte accéléré ce processus, on ne compte
plus depuis le nombre d’architectes majeurs japonais ayant signé les plus
belles créations tels Tadao Ando, Shigeru Ban, Kengo Kuma ou encore Junya
Ishigami… Pas moins de sept architectes japonais ont remporté le Pritzker
Prize, signe de la vitalité de l’architecture japonaise contemporaine.
Les
éditions Taschen publient aujourd’hui un splendide ouvrage signé Philip
Jodidio, ouvrage à la hauteur de ces réalisations ambitieuses, véritables
traits d’union entre passé et modernité, nouvelles technologies et
écologie. Riche d’une créativité qui surprend à chaque réalisation, le
Japon fascine toujours autant lorsque l’on fait défiler les pages de ce
livre d’art aux généreuses dimensions. Philip Jodidio rappelle les grandes
lignes artistiques qui caractérisent les créations de Tadao Ando,
appréciées dans le monde entier pour leur synthèse réussie entre orient et
occident, de Kengo Kuma (Stade national du Japon pour les derniers JO),
Kazuyo Sejima (Musée Kanazawa d’art contemporain du 21e siècle) et bien
d’autres jeunes architectes associant avec une créativité désarmante
virtuosité et écoresponsabilité.
Trouver et exploiter l’espace au Japon, pays dont la majeure partie du
territoire est occupé par les montagnes, a toujours été un défi lancé par
l’homme. A l’heure de la mondialisation et de la crise écologique, ce
questionnement est plus que jamais au cœur de la réflexion des architectes
japonais. Une interrogation redoublée par les nombreux désastres qu’a
connu le Japon ces dernières décennies, qu’il s’agisse sur le plan
sismique tout autant que nucléaire. Comment concevoir de nouvelles
architectures en un pays si densément peuplé et touché par la force des
éléments ? Tel est le défi relevé avec intelligence et art par ces
créateurs des temps modernes et que ce magnifique livre d’art à
l’iconographie soignée célèbre de la plus belle manière !
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PHILOSOPHIE - SOCIETE - ESSAIS - PSYCHANALYSE |
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«
Contre-offensive - Agir et résister dans la complexité » de Miguel Benasayag
et Bastien Cany, Le Pommier éditions, 2024.
Comment agir dans la complexité ? Résister lorsque les fondements des
sociétés dans lesquelles nous avons eu l’habitude de vivre longtemps sans
orages vacillent ? C’est à ces questions et à bien d’autres encore
auxquelles cet ouvrage tente d’apporter sinon des réponses définitives –
impossibles à poser – tout au moins des pistes d’engagement. Le philosophe
et psychanalyste Miguel Benasayag avec Bastien Cany montre combien notre
époque se trouve marquée par une complexité qui ne parvient plus à reposer
sur le seul postulat du progrès mis à mal ces dernières années. Le chaos
tente de se substituer au toujours plus, et le relativisme ambiant ne
propose plus de solutions… « La solution devient partie intégrante du
problème » soulignent les auteurs alors que l’humanisme hérité de la
Renaissance occidentale bute sur de nouvelles concurrences : monde animal,
nature, migrations, etc. Face aux relectures souvent masquées d’un
capitalisme vertueux épris soudainement d’écologie, une radicalité nouvelle
défend une vision plus complexe dans laquelle l’individu ne peut plus être
conçu sans les liens dont il dépend.
En partant de la proposition du philosophe Rodolfo Kusch sur la manière d’«
habiter le présent » ou Estar siendo, l’ouvrage pose la question «
Au nom de quoi résister ? », non point dans l’optique d’une
contre-offensive révolutionnaire de plus ayant montré ses limites - Miguel Benasayag est bien placé pour les avoir vécues dans sa chair (lire
nos entretiens) – mais plutôt d’un « décentrage » sans recherche d’une
justice finale. Écartant les courants militants depuis les campus américains
pour une déconstruction de l’universalisme colonial, posant ainsi un
relativisme culturel caricatural de plus, Benasayag cherche ailleurs les
voies de l’agir qui abandonneraient le mythe de l’homme « normal » dont le
désir est continuellement marqué par le manque. Son regard le conduit alors
à s’écarter de cette pensée de l’ingénieur omnipotent créant encore de nos
jours les prisons « sans barreaux » dans lesquelles nous nous jetons
volontairement (I.A, smartphones, algorithmes, etc.) pour leur préférer une
puissance des savoirs et des expériences situées, à savoir une pensée locale
et un agir également local. Nous retrouvons ainsi ce thème fertile chez le
philosophe de l’Agir dans la complexité qui écarte toute pensée globale au
profit d’une territorialisation des savoirs et des situations concrètes
alors que « le scientisme prétend faire de la science une dimension
abstraite et déterritorialisée ».
Sans adhérer pour autant au mythe du « bon sauvage », Miguel Benasayag
souligne combien la situation est beaucoup plus complexe que cette vision
béate réductrice. Le cœur de l’action s’articule à partir de micro-résistances au caractère restreint et sans programme global, « ce qui
signifie concrètement lutter contre la destruction, sans recours à
l’imaginaire d’un modèle alternatif et sans tomber dans l’illusion de
vouloir maîtriser le devenir des situations » (p. 141). Se décentrer
afin de tenir compte de l’altérité du réel – sans pour autant suivre des
cours de chamanisme en 10 leçons – la véritable puissance résidant sur le
plan horizontal de la base, à partir d’expériences et projets ainsi que le
démontrent le vécu des occupations des terres au Brésil et en Argentine ou
encore le troc en pleine crise argentine de 2001. Faire l’expérience
d’autres rapports au monde, ici et maintenant, plutôt que de s’enfermer dans
les tours de cristal de l’analyse rationnelle, telles sont les pistes de
réflexion avancées par cet ouvrage qui propose de « s’engager sans y croire
» pour un réel engagement, une « Contre-offensive » et un « Agir dans la
complexité »…
Philippe-Emmanuel Krautter |
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Carl
Gustav Jung : « Sur l’interprétation des rêves » et « Rêves d’enfants –
Séminaire de 1936-1941 », Collection « Espaces libres », Editions Albin
Michel, 2024.
A noter dans la collection « Espaces libres » aux éditions Albin Michel ces
deux ouvrages consacrés à l’interprétation des rêves issus de séminaires
dirigés par Carl Gustav Jung (1875-1961) dans les années 1936-1941 à Zurich.
Dans le premier volume présenté par le regretté Michel Cazenave, dénommé «
Sur l’interprétation des rêves », l’analyste suisse revient lors de ces
séminaires sur l’importance des symboles et des mythes pour l’interprétation
des rêves, mais aussi sur sa divergence de méthode d’interprétation quant à
celle de Freud. Sans jamais, cependant, rejeter la méthode freudienne qu’il
connaissait particulièrement bien pour avoir été le disciple de l’analyste
autrichien, ni même celle de son confrère Adler, C. G. Jung précise la
sienne en termes de méthode concentrique et par « amplificatio ». Le
lecteur retrouvera dans ce volume des parties de séminaires consacrés plus
particulièrement aux rêves de personnages antiques dont nous avons encore
traces notamment « Le commentaire sur le songe de Scipion » de Macrobe, mais
aussi ceux du savant italien Jérôme Cardan à la Renaissance ou encore de la
martyre sainte Perpétue. Dans un fructueux dialogue entre ses meilleurs
élèves dont Madame Marie-Louise von Franz, le grand analyste affine sa
réflexion et méthode tout en constatant et soulignant l’importance déjà
également accordée aux mythes et symboles dans l’antiquité jusqu’au XIXe et
début XXe siècle pour interpréter des rêves et visions. C’est donc autant
une riche étude comparative des méthodes qu’une féconde histoire de
l’interprétation des rêves que le lecteur pourra découvrir dans ce volume.
Le second volume, également présenté par Michel Cazenave, est quant à lui
plus particulièrement centré, ainsi que l’annonce son titre, sur
l’interprétation des rêves d’enfants. Réuni pour la première fois en un seul
et même volume, l’ouvrage offre une réflexion et analyse également menées
par Carl Gustav Jung durant ses séminaires à Zurich de 1936-1941 et mettant
en évidence l’importance dès le plus jeune âge des mécanismes et dynamisme
de l’inconscient et de l’imagination dans les rêves d’enfant. Le lecteur y
retrouvera ainsi analysée selon l’approche jungienne toute la puissance de
l’inconscient et des rêves. Un ouvrage ouvrant bien des portes et battant en
brèche le présupposé et malentendu selon lequel l’analyste suisse ne se
serait occupé que très peu des enfants.
L.B.K. |
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« René
Girard – Quand les Choses commenceront… » - Entretiens avec Michel Treguer,
Editions Arléa, 2023.
C’est à un riche, passionnant et long dialogue avec l’un des plus grands
penseurs, René Girard (1923-2015), auquel nous convie Michel Treguer. Un
ouvrage dans lequel le lecteur retrouvera, certes, les thèses majeures du
penseur, sa théorie du mimétisme ou celle du bouc émissaire, bien sûr, mais
aussi et surtout René Girard en tant qu’homme et croyant. Michel Treger mène
à bâtons rompus cette rencontre unique réunissant pour cela deux entretiens
qu’il avait lui-même réalisés du vivant du philosophe et qu’il a pour
l’occasion récrits, entretiens auxquels ont été ajoutés « d’autres
conversations entre René Girard et Jean-Claude Guillebaud » et pour plus de
lisibilité encore « des textes (reformulés) anciens ou récents » de René
Girard.
Au fils des pages, presque trois cents, René Girard accepte volontiers de
préciser, nuancer ou encore d’affiner sa pensée, et par là même de se
dévoiler – avec, cependant, toujours cette retenue et cet humour qui le
caractérisent. Ainsi, revient-il sur les mythes fondateurs, sur le
christianisme, le religieux, la transcendance ou la foi, mais aussi sur les
victimes, la victimisation, le racisme, etc., explicitant ou ajustant ses
thèses au plus près de notre siècle et de l’actualité. Car, Michel Treger,
avec courtoisie mais aussi persévérance, le pousse parfois dans ses
retranchements… Ainsi, ose-t-il lui demander : « J’insiste : pourquoi votre
thèse demande-t-elle l’hypothèse de Dieu ? Je ne suis pas loin de penser
qu’elle l’affaiblit ! » Et René Girard s’excusant presque d’avoir peut-être
mal formulé sa pensée, reprenant et poursuivant inlassablement son
raisonnement, expliquant notamment sa position quant à la Révélation et sa
croyance en tant que chrétien catholique… Et c’est bien, au-delà du grand
penseur, un René Girard intime, que le lecteur découvrira ; un René Girard
acceptant d’éclairer et d’exposer au plus près de sa pensée ses thèses et
positions et, plus que tout, de proposer une lecture qui « pourrait se
révéler utile le jour où se dissiperont les malentendus dont elle fait
l’objet. » ; ce que tente assurément d’atteindre ou de provoquer ce
captivant ouvrage, fruit de longs entretiens menés avec René Girard.
L.B.K. |
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Stephen
R. Covey : « Les 7 habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu’ils
entreprennent », édition enrichie, First Éditions, 2024.
Est-il encore besoin de présenter « Les 7 habitudes » de
Stephen R. Covey, cet ouvrage best-seller avec plus de 40 millions de
lecteurs et qui compte parmi les livres les plus vendus au monde ? Au-delà
du succès éditorial et de la reconnaissance internationale de l’auteur, il
peut sembler néanmoins nécessaire, voire urgent, de se replonger au cœur de
la pensée de Stephen Covey à l’occasion de cette édition anniversaire –
trente années déjà ! - enrichie de textes inédits de son fils Sean Covey qui
a eu à cœur de prolonger le travail de son père.
L’ouvrage part du postulat que nous pouvons en partie diriger notre vie et
rendre celle des autres meilleures à partir de la fameuse approche
gagnant/gagnant, une approche pas toujours facile à mettre en œuvre, surtout
de ce côté-ci de l’Atlantique… Comment se concentrer sur ce qui importe le
plus à toute vie ? De quelle manière mener une vie de services tant sur le
plan professionnel que privé ? Comment gérer l’adversité sans pour autant
perdre sa propre identité ? Toutes ces questions trouvent réponses dans cet
ouvrage qui offre une synthèse de pensées souvent millénaires, laïques et
religieuses, à partir desquelles l’auteur a proposé une démarche positive et
exigeante sur la construction de soi.
Tout commence par la détermination de sa mission (le but de chaque vie), la
détermination de ses rôles et la conduite de ses priorités en une approche
gagnant/gagnant, afin de passer de la dépendance à l’indépendance pour
finalement atteindre l’interdépendance. L’auteur nous explique chacune de
ces étapes, conciliables avec n’importe quelle conviction religieuse ou
laïque, nous offrant de nombreux exemples sur la manière de contrôler notre
vie tout en laissant place à la fantaisie et aux découvertes non
programmées.
Une démarche rigoureuse, certes, mais indispensable à une pleine liberté
retrouvée, celle de notre vie… |
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«
Friedrich Nietzsche - Œuvres - Tome III - Ainsi parlait Zarathoustra et
autres récits" ; Édition publiée sous la direction de Marc de Launay avec la
collaboration de Dorian Astor ; Bibliothèque de la Pléiade, n° 668, 1376
pages, rel. Peau, 104 x 169 mm, Editions Gallimard, 2023.
Il faut (re)découvrir la pensée de Friedrich Nietzsche (1883-1885), ce
philosophe trop souvent incompris – voire trahi, cette pensée complexe
reposant sur les origines tout en souhaitant se départir des carcans de
l’Histoire. Considéré souvent comme antisémite en raison de sa récupération
posthume par le régime nazi et des torts causés par sa sœur cédant à ces
sirènes brunes, Nietzsche ne cessa pourtant de s’opposer aux ennemis du
peuple juif, sa rupture avec Wagner en témoigne ainsi que cette analyse
d’une lucidité impressionnante en 1878 : « dans presque toutes les
nations actuelles – et cela d’autant plus qu’elles adoptent à leur tour une
attitude plus nationaliste – se propage cette odieuse littérature qui entend
mener les Juifs à l’abattoir, en boucs émissaires de tout ce qui peut aller
mal dans les affaires publiques et intérieures » (Humain, trop humain).
Le philosophe est de tous les combats : contre l’héritage platonicien tout
en étant un farouche opposant au christianisme et plaidant la « mort de Dieu
»… Nous le voyons, cette pensée originale ne se laisse pas appréhender
facilement au risque de passer à côté de sa richesse ; c’est justement tout
le mérite de ce troisième et dernier volume des œuvres de Nietzsche de la
collection La Pléiade sous la direction de Marc de Launay avec la
collaboration de Dorian Astor que de nous inviter à ce trésor plus souvent
cité que lu.
C’est un héritage dont nous n’avons pas encore fini d’apprécier la
profondeur ainsi que le souligne Marc de Launay qui dirige cette édition : «
Ainsi parlait Zarathoustra inaugure la dernière période de l’évolution
philosophique de Nietzsche, et entend être l’amorce d’un nouveau style où
l’exposé théorique ne rechigne plus à s’acquitter d’une dette enfin reconnue
à l’égard de l’élément poétique qui fait la substance même du langage ».
C’est, en effet, le célèbre ouvrage « Zarathoustra » qui ouvre ce volume, un
texte majeur du philosophe dont les origines remontent à l’époque de son
séjour à Bâle au début des années 1870 avant sa conception dix ans plus tard
de 1883 à 1885 après avoir conclu Le Gai Savoir où l’auteur avait
pris date avec ses lecteurs sur cet énigmatique Zarathoustra et le concept
de l’Éternel retour. Ce texte jugé comme essentiel par Nietzsche lui-même
avait été longuement mûri lors de marches interminables, même si sa
rédaction témoigne d’une tension et d’une force qui ne pourront que
surprendre alors même que ce livre sortit quasiment dans l’anonymat lors de
sa parution. Le très vif succès rencontré par « Ainsi parlait Zarathoustra »
ne surviendra, en effet, qu’après la mort du philosophe allemand (un texte
qui inspirera d’ailleurs Richard Strauss pour son sublime poème
symphonique). Anecdote surprenante, Nietzsche aurait achevé sa première
partie alors même que son ancien ami avec qu’il s’était violemment brouillé,
Richard Wagner, rendit son dernier souffle à Venise… Le présent volume
inclut, par ailleurs, concernant cette relation passionnelle deux écrits de
Nietzsche : « Le Cas Wagner » et « Nietzsche contre Wagner ».
Le « poète-prophète » qu’il souhaitait établir avec le personnage de
Zarathoustra fruit d’une « pensée la plus abyssale » selon les termes de
Nietzsche fut malgré tout un échec malgré les concepts essentiels qu’il
lèguera du « Surhomme », tristement détourné et de l’ « Éternel retour »,
souvent incompris.
Un volume essentiel mettant en valeur toute la richesse des œuvres du
philosophe allemand comprenant également : « Par-delà bien et mal », « Pour
la généalogie de la morale », le « Crépuscule des idoles », « L’Antéchrist
», « Ecce homo ». |
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Jean
Cottraux : « Sortir des émotions négatives », Editions Odile Jacob, 2023.
C’est un véritable et redoutable vadémécum que nous propose Jean Cottraux,
auteur déjà d’une vingtaine ouvrages dont le fameux « La force avec toi »,
avec cette dernière parution « Sortir des émotions négatives » aux éditions
Odile Jacob. Dans un premier temps, Jean Cottraux distingue pour plus de
clarté et compréhension les émotions des sentiments ; une distinction
souvent négligée et qui lui permet de préciser que « le côté obscur des
émotions est celui où sont tapis les mauvais sentiments : ceux qui
pourrissent la vie et que l’on préfère cacher (…) ». Après avoir ainsi
rappelé ce que sont les émotions, les sentiments, passions et humeurs,
l’auteur livre au lecteur un réel programme en huit points de gestion des
émotions négatives. Dénommé PAEN, ce dernier opte pour une approche
dynamique en proposant un programme d’autogestion de nos émotions négatives.
Appuyé par de nombreux tableaux clairs et précis, Jean Cottraux précise que
ce programme « vise à ce que chacun d’entre vous puisse devenir son propre
thérapeute en puisant dans les méthodes bien validées de la thérapie
cognitive et comportementale. »
Jean Cottraux prend soin de compléter et d’illustrer ce programme par deux
autres chapitres, tout aussi majeurs et d’une efficacité certaine exposant,
une à une, « les émotions destructrices pour soi » (angoisse, culpabilité,
la tristesse, etc.) , ainsi que « les émotions négatives pour les autres »
(la colère, l’envie, le mépris, etc.), une approche non autocentrée, donc,
et des plus appréciables distinguant notamment l’envie de la jalousie. Dans
un style clair et concis et au gré de ces chapitres, le lecteur pourra ainsi
pour chaque situation négative envisagée appréhender pleinement point par
point la force de celle-ci, son origine, ses conséquences, et surtout les
solutions et conseils pratiques et efficients pour y faire face. Car, c’est
bien de « Sortir des émotions négatives » dont il s’agit pour pouvoir enfin
se tourner et développer de réelles émotions positives telles que la joie,
le bien-être, la sérénité, mais aussi la créativité...
Un ouvrage qui permettra à chacun de comprendre ses propres émotions
négatives - que celles-ci soient strictement personnelles ou suggérées
collectivement par des jeux de pouvoir et de manipulation - afin de trouver
de nouveaux ancrages, socles d’émotions positives. |
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René
Girard : « La Conversion de l’art » ; Préface de Benoît Chantre et Trevor
Cribben Merril ; Editions Grasset, 2023.
Cet ouvrage regroupe des textes du grand et regretté penseur Renée Girard
disparu en 2015 ; Huit textes précisément - dont cinq de jeunesse, allant de
1950 à 1980 complétés par deux entretiens (extraits) qu’il accorda.
Initialement ce recueil dont R. Girard signa l’avant-propos en 2008
accompagnait une conversation filmée avec Benoît Chantre – « Le sens de
l’histoire », réalisée à l’occasion de l’exposition « Traces du sacré » au
centre-Pompidou de Paris et envers laquelle l’auteur de « Mensonge
romantique et vérité romanesque » entendait se démarquer et opposer une
forte réserve. R. Girard souhaitait par cet ouvrage faire entendre, et
surtout, comprendre « sa méfiance originaire à l’égard de l’art moderne »
dont l’épuisement reposait, selon lui, sur la violence du sacrifice, à
l’instar du religieux archaïque. Pour cela, il retint ces huit textes
marquant la progression de sa pensée, des écrits pour la majeure partie
consacrés à la littérature et allant de son départ d’Europe en 1947 et son
arrivée aux États-Unis jusqu’à la fin des années 80.
Si avec le texte « Où va le roman ? » publié en 1957, R. Girard semble
encore croire à un renouvellement du roman, et au-delà des textes de 1953
consacrés à Saint-John Perse qu’il admire et comprend en arrivant aux
États-Unis ou encore celui consacré à André Malraux, le lecteur retrouvera
déjà en germe dans ces écrits toute la puissance de sa pensée et de sa
théorie mimétique. En ce sens est évocateur ce texte de 1957 consacré à Paul
Valéry et à Stendhal dans lequel le penseur souligne déjà ce « Moi-pur » de
Valéry et sa préférence pour l’égotisme stendhalien.
Girard refuse tout snobisme littéraire ou artistique et, pour l’auteur de «
La violence et le sacré », l’artiste moderne est rongé par la rivalité.
L’article de 1978 consacré à Proust en fait l’éclatante illustration tant
l’auteur de la Recherche est pour Girard « le plus grand théoricien des
miroitements du Moi ». Narcissisme, désir et rivalité imprègnent ces pages,
mais ce sera, surtout, avec des études consacrées à Hölderlin, à Nietzsche
ou encore à Wagner que le penseur confirmera ses intuitions et affirmera sa
théorie. « Leur instabilité - étant selon R. Girard, symptomatique de la
conscience moderne dans son rapport ambivalent au sacré. » On songe, ici, à
l’article de 1986 « Nietzsche et la contradiction ».
La littérature romanesque suppose, pour Girard, afin de se détacher de
l’esthétique, une « conversion romanesque ». Cette dernière étant, dira R.
Girard en 1998, « au cœur de son parcours intellectuel et spirituel ».
Celui-ci avait d’ailleurs tenu à refermer son avant-propos en 2008 en ces
termes : « Je ne voudrais pas qu’on prenne ce livre pour un simple essai
d’esthétique. Cette jouissance m’est étrangère. » Car, ce qui importe à
l’auteur de « Mensonge romantique et vérité romanesque », c’est bien cette «
conversion de l’art », et ce dernier ajoutera : « L’art ne m’intéresse en
effet que dans la mesure où il intensifie l’angoisse de l’époque. Ainsi,
seulement il accomplit sa fonction qui est de révéler. » Un propos qui
structure toute sa pensée et par lequel Bernard Chantre et Trevor-Cribben
Merril ouvrent aujourd’hui la riche préface de cet ouvrage indispensable à
la compréhension de l’élaboration et formation de la pensée de ce grand
penseur que fut René Girard.L.B.K. |
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Bernard
Perret : « Violence des dieux, violence de l’homme ; René Girard, notre
contemporain », Coll. Seuil La couleur des idées, 368 p., 2023.
Un ouvrage incontournable aux éditions du Seuil, tel est assurément
l’ouvrage de Bernard Perret, « Violence des dieux, violence de l’homme »,
consacré au grand penseur Français René Girard (1923-2015), ainsi que
l’indique son sous-titre « René Girard, notre contemporain ». L’auteur,
auteur déjà de « Penser la foi chrétienne après Girard » (Ad Solem ),
conscient de l’immense apport de René Girard, mais aussi de ses limites, n’a
nullement souhaité par cette parution proposer une pure synthèse ou même un
essai consacré à l’œuvre du penseur, mais bien une réelle mise en perceptive
des apports majeurs de Girard que ce soit sa thèse centrale de la théorie du
désir mimétique, de la rivalité, de la violence ou encore du sacré… Bernard
Perret a opté pour cela pour une approche dynamique par le prisme de la
violence en cinq parties, la première étant consacrée, comme il se devait
pour une telle étude, à un rappel clair et concis d’une centaine de pages à
la progression de la pensée de Renée Girard. Une évolution mise en lumière
suivant la chronologie des publications majeures du penseur, allant de «
Mensonge romantique et vérité romanesque » (1961) au « Bouc émissaire » de
1982 ou de « Les origines de la culture » de 2015 en passant, bien sûr, par
« La violence et le Sacré (1972) ou encore « Des choses cachées depuis la
fondation du monde » de 1978 ; Une première approche qui n’entend nullement
être une simple brève synthèse des théories girardiennes, mais qui en
souligne d’ores et déjà les avancées, revirements ou rejets mais aussi les
zones d’ombre ou se prêtant à la critique.
Ce n’est qu’après ces mises au point que l’auteur revient sur les points de
contact de la pensée de Girard avec d’autres domaines ou sciences, relevant
autant les influences du penseur, ses refus ou ses distorsions. Une nouvelle
approche avec pour axe la violence et permettant à Bernard Perret
d’approfondir ou de préciser certaines prises de position ou nuances de
Girard face au jeu des questionnements ou critiques et de proposer une «
anthropologie de la théorie mimétique au-delà de Girard ». Balayant les
neurosciences avec notamment les neurones miroirs, la psychanalyse et le
rejet de la conception objectale du désir de Freud, ou encore la sexualité,
l’auteur s’arrête plus spécifiquement sur les grands thèmes girardiens :
Ainsi, de la violence du Sacré et de la culture ouvrant un riche dossier
ethnologique, « Girard contre le structuralisme » ou encore de la
transformation du sacré violent en valeurs transcendantes, un thème
également cher à Girard, qui le conduira à souligner toute « la singularité
judéo-chrétienne » et à adopter une pensée apocalyptique ; une conversion,
critiquée ou dénoncée, mais parfaitement assumée par le penseur, et qu’il
convient d’apprécier dans toutes ses acceptions.
L’ouvrage se « referme », enfin, sur un dernier et cinquième chapitre
soulignant l’actualité et portée de la théorie mimétique girardienne tant
pour aujourd’hui que pour demain ; Un chapitre conclusif des plus porteurs….
L.B.K. |
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«
Jankélévitch », Cahier de L’Herne dirigé par Françoise Schwab, Pierre-Alban
Gutkin-Guinfolleau et Jean-François Rey, Editions L’Herne, 2023.
C’est un dense et captivant Cahier que nous proposent les éditions de
L’Herne avec cette dernière livraison consacrée au philosophe Vladimir
Jankélévitch (1903-1985). On y retrouve dès les premières pages un beau
portrait « grandeur nature » de celui que ses intimes appelaient « Janké »,
cet homme à la mèche folle et au timbre de voix si inimitable ; un portrait
appuyé par des textes évocateurs signés notamment Mauriac, Françoise Schwab,
Pascal Bruckner ou encore Edgar Morin, mais aussi des écrits du philosophe
lui-même ou entretiens que viennent également appuyer de nombreuses lettres.
Indissociable de l’homme, le lecteur y redécouvrira également le professeur
de philosophie qu’il fut et qui marqua cette génération qui aimera tant
l’appeler « Maître » ; on songe avec délices au regretté Lucien Jerphagnon
dont quelques lettres, aussi courtes que savoureuses, viennent témoigner de
ce mélange de respect, de fidélité et de malice qu’ils partageaient…
Homme, Professeur, ami, et bien sûr, philosophe : philosophe « des marges ou
des à-côtés » ainsi qu’il le soulignait lui-même, parfois donné pour
initiés, mais devenu aujourd’hui incontournable tant son absence désole et
laisse un vide irrémédiable. Découvrir ou relire Jankélévitch demeure
toujours un plaisir inépuisable dont ce Cahier de l’Herne témoigne. C’est ce
philosophe de morale aux mille paradoxes, ce philosophe de l’insaisissable,
de l’ineffable, du « Je ne sais quoi » et du « Presque rien » que le lecteur
découvrira par le prisme de ses thèmes majeurs et privilégiés : la musique,
« la moitié de ma vie » dira-t-il – et comment ne pas citer son « Fauré »,
son « Liszt » ?, mais aussi le temps, l’irrévocable et irrémédiable,
l’ironie, la mort, le pardon sans oublier, surtout, l’amour… Des thèmes
forts ayant marqué cette vie faite de convictions, de mémoire, de «
conscience juive » et d’engagement.
Un Cahier de L’Herne qui se laisse dévorer de A à Z ou picorer telle une
gourmandise au grès de ses attentes, questionnements ou humeurs. Lui, qui
aimait à rappeler que « la vérité est équivoque, contradictoire, elle se
dément elle-même. On ne peut l’atteindre, très partiellement, fugitivement,
qu’à demi-mot, grâce à une illusion, à une influence de la voix. » Et
comment ignorer ou manquer, justement, cette voix inoubliable ?
L.B.K. |
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« Vivre
crescendo » de Stephen R. Covey et Cynthia Covey Haller, First éditions, 2023.
Le parcours de Stephen R. Covey peut être synonyme de son approche
gagnant/gagnant qu’il a contribué à diffuser dans le monde entier. Sa vie
professionnelle tant que personnelle repose en effet sur cette idée que nous
pouvons en partie diriger notre vie et rendre celle des autres meilleures. À
la fin de sa vie, cet auteur prolifique et mondialement reconnu (lire notre
interview) souhaitait parfaire encore sa pensée en abordant quelques
questions qui lui tenaient à cœur. C’est le résultat de ces interrogations
menées par Stephen R. Covey et complété aujourd’hui par sa fille Cynthia dans «
Vivre crescendo ».
Un ouvrage comportant de nouveaux paradigmes sur notre retraite de la vie
professionnelle qui ne doit jamais être synonyme d’un retrait de la vie.
Comme à son habitude, l’auteur part de cas concrets qu’il soumet dans ces
pages à notre analyse, des cas qui permettent de se concentrer sur ce qui
nous importe le plus à toute vie, à savoir mener une vie de service de la
même manière, avec la même implication que celle menée dans une vie
professionnelle. Cela ne va pas de soi à l’heure où de nombreux salariés se
trouvent « débarqués » la cinquantaine atteinte, engendrant ainsi le
sentiment de ne plus servir à rien. Comme à l’accoutumée, Stephen R. Covey
nous enseigne qu’il faut avoir une nouvelle vision que l’auteur décrit pour
chaque âge et étape de la vie.
Le titre même de l’ouvrage est d’ailleurs dérivé de son propre énoncé de
mission : « Live Life in Crescendo » c’est-à-dire vivre pleinement sa vie,
rejoignant ainsi en quelque sorte le précepte phare des stoïciens. Cette
idée de crescendo s’oppose à la tendance commune de repli et d’égoïsme
souvent constatée l’âge venant. À l’image des sociétés traditionnelles, les
années passant deviennent alors une richesse à faire partager au plus grand
nombre. Quels que soient nos compétences et savoir-faire, il est toujours
loisible et souhaitable, selon l’auteur, de les partager au plus grand
nombre, dans son environnement familial, personnel ou professionnel. C’est à
un véritable plaidoyer pour la vie auquel se livre dans ce dernier ouvrage
posthume Stephen R. Covey (ici, avec sa fille Cynthia Covey Haller), une
belle leçon de vie à partager au plus grand nombre ! |
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L'analyse des rêves : notes du séminaire de 1928-1930. Vol. 1 & 2 » de Carl
Gustav Jung, collection poche Espaces libres, Albin Michel, 2022.
Un petit trésor - étonnement indisponible en français jusqu’à la présente
édition - vient de paraître chez Albin Michel : « L’analyse des rêves »
notes du séminaire de 1928-1930 » de Carl Gustav Jung. Dans cette somme en
deux volumes réunis ici, préfacée et traduite de l’anglais par Jean-Pierre
Cahen, la matière vivante du grand psychiatre suisse sur les rêves se trouve
livrée sans retenue grâce aux notes réunies et rassemblées par les
participants lors de ce séminaire ; notes que Jung accepta de voir
reproduites dans un premier temps dans le cercle restreint du Club
psychologique qu’il avait créé à Zurich.
Alors que le célèbre psychiatre suisse était au fait de sa maturité à l’âge
de 53 ans en 1928, ce séminaire fait à la fois figure d’une réflexion « sur
le vif » - le grand analyste encourageant son auditoire à s’impliquer dans
les commentaires et à apporter à son propre témoignage – mais aussi très
aboutie. Aboutie car, une fois de plus, Jung témoigne dans ces pages de sa
grande perspicacité et culture dans la manière d’aborder l’analyse des
rêves, et ce d’une autre manière que celle qui était jusqu’alors menée sous
l’angle freudien.
Avec ces deux volumes, le lecteur comprendra progressivement, page après
page, la valeur non seulement intrinsèque de chaque rêve, mais surtout sa
mise en rapport avec son symbolisme, ses liens avec la mythologie et les
religions. Il s’agit, ainsi que le souligne Jean-Pierre Cahen dans
l’introduction, « d’un enseignement clinique, pratique, concert, continu,
d’une densité exceptionnelle ». Les maladresses des participants, les
hésitations et parfois même les impasses ne sont pas expurgées de son
contenu, témoignant ainsi de la confiance en soi du grand penseur qui
n’avait pas souhaité reprendre la rédaction de ces pages spontanément
réunies.
Les pages et les pensées défilent ainsi à partir de l’analyse « en direct »
des rêves successifs d’un patient suisse que Jung suivait. Se profile alors
une évolution, non seulement chez ce même patient, mais également chez les
participants du séminaire, preuve s’il en était besoin du bien-fondé de la
démarche jungienne démontrée en ces pages de la plus éclairante manière. Une
lecture stimulante et déterminante pour toute réflexion sur les fonctions du
rêve. |
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Gilles
Antonowicz : "Isorni - Les procès historiques », 208 pages, Éditions Les
Belles Lettres, 2021.
Si le nom d’Isorni est quelque peu sorti de la mémoire collective en France,
ce défenseur des causes politiques et avocat des communistes sous
l’Occupation a pourtant tenu une place privilégiée dans l’univers judiciaire
de notre pays. Gilles Antonowicz, lui-même avocat réputé, a su se saisir de
cette personnalité hors normes qui accepta tout aussi bien de défendre un
personnage comme Brasillach ou Pétain à la Libération que les causes perdues
d’avance des minorités pendant la Seconde Guerre mondiale.
Jacques Isorni n’a pas cherché le sensationnel en défendant les causes
impossibles, mais s’est surtout attaché à se placer « du côté des
prisonniers ». Après Maurice Garçon à qui l’auteur a consacré une biographie
remarquée en 2019, c’est au tour d’un autre ténor du barreau en la personne
d’Isorni de nourrir cet essai haut en couleur qui transportera le lecteur
dès les premières pages aux heures sombres de l’Occupation… Au lendemain de
la guerre, les difficultés sont loin d’être terminées et le brillant avocat
déplacera son champ d’action « de l’autre côté » en prenant la défense de
personnalités jusqu’alors victorieuses et soudainement placées au rang
d’accusés présumés coupables. Une fois cette période trouble passée, la
tension ne se relâchera pas avec les années de décolonisation et la guerre
d’Algérie. Chaque décennie offre à Jacques Isorni de plaider les causes
impossibles grâce à ses plaidoiries inoubliables et cette conviction
indéfectible soulignée même par ses détracteurs. Ce sont ces grandes heures
du barreau que Gilles Antonowicz nous fait revivre de manière passionnante,
lui qui les connaît de l’intérieur et parvient à les éclairer d’une plume
captivante.Philippe-Emmanuel Krautter |
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« Héraclite »
de Jean-François Pradeau, Collection Qui es-tu ? 136 pages, Éditions du
Cerf, 2022. La didactique collection « Qui es-tu
? » des éditions du Cerf parvient à faire revivre en à peine plus d’une
centaine de pages Héraclite, un des philosophes antiques dont la pensée ne
nous est parvenue que sous forme fragmentaire. L’auteur, spécialiste
incontesté du philosophe présocratique, nous fait remonter le temps à une
vitesse vertigineuse, près de vingt-six siècles, afin de mieux découvrir ce
« marginal illustre » ainsi qu’il le nomme en introduction.
Si seule une centaine de phrases d’Héraclite ont pu parvenir jusqu’à nous,
ses contemporains, puis les auteurs anciens qui transmettront par la suite
son oeuvre, soulignaient déjà la force de sa pensée mais également la
complexité de certains de ses discours. Les quelques rares informations dont
nous disposions encore de nos jours sur Héraclite proviennent de Diogène
Laërce dans ses « Vies et doctrines des philosophes illustres » et qui ouvre
ce petit ouvrage d’une clarté remarquable, l’auteur étant professeur de
philosophie ancienne à l’université Jean-Moulin de Lyon (Lyon-3) et ayant
publié une trentaine de traductions commentées et une dizaine de
monographies savantes sur le sujet. Mais que le béotien se rassure, avec ce
petit ouvrage, nul hermétisme universitaire, mais une présentation aussi
claire que possible sur la nature de l’âme et du primat du feu, essentiel
dans la pensée du philosophe ermite, guère compris de ses contemporains.
Au terme de cette riche évocation de la pensée d’Héraclite, le lecteur
s’approchera au plus près de cette tentative de connaissance totale de la
réalité qu’avait recherchée toute sa vie le philosophe, une fin en soi, mais
également un moyen à garder tout au long de sa vie afin de vivre au sens
plein du terme. Une belle initiation à la sagesse antique ! |
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Lucrèce ; La naissance des choses » ; Edition bilingue établie par Bernard
Combeaud ; Préface de Michel Onfray ; Editions Mollat / Bouquins, 2021.
Plaisir que de lire « La Naissance des choses » ou « De rerum natura » du
poète Lucrèce dans cette édition bilingue établie par le regretté Bernard
Combeaud (1948-2018) et parue aujourd’hui dans la collection Bouquins. Texte
majeur de la littérature antique, Bernard Combeaud a souhaité pour cette
édition revenir à sa version originelle et retenir la rigueur de traduction
de la métrique latine. Un choix tout à son honneur et qui a reçu le prix
Jules-Janin de l’Académie française en 2016. « La Naissance des choses » ou
« De la Nature des choses », seul et unique livre connu du poète latin
comporte plus de sept milles vers. Bernard Combeaud, bien que reconnaissant
qu’il existe de très talentueuses traductions, avoue cependant que « fasciné
depuis longtemps par ce génie si proche de Dante ou d’Hugo, j’avais caressé
l’idée de traduire sur frais le poème de La Nature », ajoutant : « Rendre en
prose un poème étranger est une opération du même ordre qu’adapter un roman
pour le cinéma ou que transposer une partition pour un autre instrument que
celui pour lequel elle avait d’abord été composée : dans les deux cas, on
change alors non de langue seulement, mais bien de langage ». Comment ne pas
acquiescer ?
De Lucrèce, lui-même, poète-philosophe du 1er siècle avant notre ère, on ne
connaît que très peu de choses, si ce n’est qu’il eut pour maître Épicure et
que cela est donc toujours une réjouissance extrême que de lire et relire en
ces vers les principes d’un monde épicurien selon le poète latin. Une
philosophie « praticable » ainsi qu’aime à le rappeler Michel Onfray qui
signe, ici, la présentation de cette édition. Une présentation sous forme
d’un échange « A bâtons rompus » entre le philosophe normand et Bernard
Combeaud, mais interrompu malheureusement par la disparition de ce dernier.
Un échange fécond revenant sur les sources, sur Epicure et Lucrèce, sur le
poète et les Dieux…
Un seul, long et inachevé, poème condamné par saint Jérôme et autres pères
de l’Eglise mais qui fut, souligne Bernard Combeaud en son avant-propos,
célébré par Cicéron lui-même : « Les poèmes de Lucrèce sont bien ce que tu
m’écris : ils brillent de toutes les lumières du génie, sans que l’art y
perde, tant s’en faut » écrivait l’orateur romain à son frère. Ce qui
conduit Michel Onfray à penser que « La volonté de recourir au miel du vers
pour faire passer le vinaigre de la sagesse épicurienne fait
philosophiquement sens : Lucrèce s’adresse au plus grand nombre, ce faisant,
il élargit avec bonheur le public de la philosophie. » Un bonheur que
Bernard Combeaud a par cette traduction su si bien renouveler. Bernard
Combeaud a qui nous devons également les « Œuvres complètes » du poète
Ausone.L.B.K. |
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Frédéric Lenoir « Jung – Un voyage vers soi »,
Albin Michel, 2021.
Frédéric Lenoir signe chez Albin Michel une biographie consacrée au célèbre
psychanalyste suisse Carl Gustav Jung (1875-1961) alerte, informée, et
surtout, bien venue en France, pays longtemps dominé par le courant freudien
grâce notamment à Marie Bonaparte, puis majoritairement lacanien. Au-delà
des prises de position, malentendus – et bien qu’un vaste travail d’édition
ait été entrepris par le regretté Michel Cazenave, il est heureux que
Frédéric Lenoir offre de nouveau aujourd’hui les clés d’entrée nécessaires à
l’œuvre de Jung. Car si certains apports du psychanalyste sont connus – on
pense notamment aux archétypes, à l’inconscient collectif, son legs demeure
cependant riche et complexe, voire ésotérique. C’est là, cependant,
confondre ses recherches personnelles et ses découvertes et apports en
matière de psychanalyse, alors que le célèbre psychanalyste fut ainsi que
l’écrit l’auteur dès son introduction un fantastique « éveilleur et
visionnaire », soulignant que « Jung n’a cessé de rappeler que c’est de
l’intérieur de la psyché humaine que se trouvent à la fois les solutions
d’un avenir meilleur et les pires dangers pour l’humanité et la planète ».
Or, en notre période troublée par tant de crises sanitaire, économique,
sociale…, les apports et découvertes du célèbre psychanalyste gardent sur
nombre de points toute leur pertinence et actualité.
Frédéric Lenoir livre, ici, une biographie didactique, distinguant selon les
parties et les chapitres les grandes périodes de la vie du psychanalyste, sa
rencontre et rupture avec Freud, ses voyages, amours et amitiés, et les
points sensibles ou grandes notions de la psychologie analytique : Le Moi et
le Soi, l’individuation, l’homo religiosus, synchronicité, des
notions également chères à Mircea Eliade. Jung en consommant sa rupture avec
Freud fut l’un des premiers psychanalystes à prendre en compte la dimension
spirituelle. Cependant, bien que renonçant à être le dauphin de Freud,
considérant que la libido ne saurait être réduite à la sexualité, Jung ne
reniera jamais – contrairement à ce que l’on pense souvent, pour autant
l’apport du père de la psychanalyse.
Qui plus est, Frédéric Lenoir n’élude en ces pages aucun point délicat
notamment la question de la position de Jung durant la Seconde Guerre
mondiale et plus particulièrement durant les années 1933-1939 ; une position
demeurée floue et ayant conduit nombre d’analystes à écarter l’apport et
l’œuvre de Jung. Indéniablement, Frédéric Lenoir a entendu s’impliquer dans
cette biographie n’hésitant pas à plusieurs reprises à donner son opinion et
à utiliser le « je ». Tant l’œuvre du psychanalyste que l’homme – et ses
indissociables lieux de prédilection, Küsnacht, Bolligen, y sont présentés
avec un réel intérêt et une jolie affinité.
Un ouvrage plaisant et didactique offrant les clés indispensables pour
aborder la pensée du grand psychanalyste Carl Gustav Jung et proposant,
ainsi que l’indique son titre, « Un voyage vers le soi ».
Parallèlement à cette publication, deux œuvres de Carl Gustav Jung
paraissent dans la collection de poche Espaces libres Psychologie des
éditions Albin Michel « L’Âme et le soi – Renaissance et individuation »
ainsi que « Aiôn – Etudes sur la phénoménologie du soi ».
L.B.K. |
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Focus
Le regard des photographes de l'AFP édition spéciale 2020, La Découverte,
2021.
Chaque année l’Agence France Presse rassemble ses photographies les plus
marquantes afin de résumer une année. Mais cette année passée n’est
assurément pas à l’image des autres années puisque 2020 a connu l’incroyable
pandémie du Coronavirus qui sévit encore aujourd’hui.
Aussi n’est-il pas étonnant que les premiers clichés marquants soient
consacrés à ce qui allait mobiliser la planète entière. Un homme en train
d’agoniser sur un trottoir en Chine alors que personne ne souhaite le
toucher du fait du virus, le marché « maudit » de Wuhan d’où tout serait
parti, un hôpital de campagne « sorti de terre » en quelques jours comme
seul peut le faire le pouvoir chinois…
Dans ces photos des plus grands photographes de l’AFP, c’est le tragique qui
se dispute à la démesure ; des barricades tentent, en vain, de confiner les
quartiers, une autre vie s’organise, de manière futuriste sur une planète en
apnée, mais devenue pourtant notre quotidien depuis… Alors que se comptent
les morts et destins tragiques, la vie continue néanmoins avec parfois ses
représentations théâtrales presque surréalistes dans une maison de retraite,
des balcons qui dans le monde entier deviennent des lieux de sociabilisation…
Esthétiques, éloquentes, étonnantes, stupéfiantes, les qualificatifs pour
ces clichés pris par les plus grands photographes de l’AFP ne manquent pas
pour cette information en images de tout premier plan d’une année qui aura
marqué la planète entière. |
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Grand
Atlas 2021 sous la direction de Frank Tétart, cartographie : Cécile Marin,
éditions Autrement, 2020.
Impression d’être perdu dans la multitude des rapports de puissance au
niveau planétaire ? Sensation de ne plus percevoir les enjeux de la
mondialisation à l’heure du COVID-19 ? Ce Grand Atlas réalisé sous la
direction de Frank Tétart apportera bien des éclaircissements et réponses à
ces questions légitimes. Avec l’aide de plus de 100 cartes, 50 infographies
et documents pour comprendre le monde, ce Grand Atlas va au-delà des
ouvrages de ce genre en ajoutant une dimension analytique indéniable afin de
mieux discerner les tensions, enjeux et défis internationaux. Réalisé en
partenariat avec Courrier international et franceinfo, ce Grand Atlas permet
non seulement de comprendre le monde du XXIe siècle mais offre également des
rappels précieux sur l’Histoire telle cette rubrique consacrée à la peste
noire qui toucha l’Europe au XVe siècle, la guerre de Sécession, la
naissance de l’État libre d’Irlande, de l’Europe ou encore la construction
du mur de Berlin… Réunissant les analyses des meilleurs spécialistes
français dans diverses disciplines (géographes, économistes, politologues…),
ce livre abondamment illustré par de remarquables cartes adaptées par Cécile
Marin conjugue graphisme didactique et développements analytiques afin de
mieux comprendre le monde d’aujourd’hui et de demain. |
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« Les
nouvelles figures de l'agir - Penser et s'engager depuis le vivant » Miguel
BENASAYAG, Bastien CANY, Editions La Découverte, 2021.
Le philosophe et psychanalyste Miguel Benasayag vient de publier avec le
journaliste Bastien Cany un ouvrage sur « Les nouvelles figures de l’agir »
à l’heure des biotechnologies et autres pandémies. Ce thème de l’agir occupe
le philosophe depuis longtemps déjà, mais cette notion délicate se trouve
posée de nouveau à l’acmé d’un environnement conflictuel. Paradoxalement,
alors que les situations qui nous entourent obscurcissent notre ciel de
menaçants nuages, nos contemporains semblent pris d’un vent de panique qui
les conduit à une paralysie certaine empêchant toute action. Ce n’est
pourtant pas les informations – la surinformation même – qui manquent pour
éclairer tant soit peu notre entendement. Alors quelle sorte d’entrave
retient l’action ? C’est à cette question à laquelle s’attache cet ouvrage
exigeant et stimulant, une réflexion qui implique notre manière de percevoir
le monde et nos représentations de la réalité, souvent masquées au profit
d’une prétendue connaissance technologique et omnisciente. Ni technophobes
ni technophiles, c’est une voie médiane pensée que nous suggèrent les
auteurs. La voie, non point d’une issue, illusoire, mais d’une réaction à
cette paralysie passe par notre rapport aux autres, à la nature et à la
culture afin d’accepter la complexité pour mieux composer à partir d’elles.
Les liens tissés dans ce paysage sont la plupart du temps ignorés, si ce
n’est niés par nos contemporains. Allant au-delà de l’universalisme, mais
aussi de tout relativisme, il y urgence à excentrer l’humain ; il y a
urgence selon Miguel Benasayag et Bastien Cany à s’engager dans cette
démarche au risque de passer à côté de l’humain dans les années à venir.
Replaçant sa philosophie de la situation et de l’action dans le contexte
exacerbé que nous connaissons ces dernières années, les auteurs démontrent
la différence que nous ne faisons pas toujours au quotidien entre
information et compréhension, cette dernière impliquant le corps entier,
avec toutes ses fragilités. Passant allègrement de la philosophie à la
neurobiologie, deux disciplines dans lesquelles l’auteur offre depuis
longtemps des analyses aussi vivifiantes que stimulantes, Miguel Benasayag
n’est jamais là où on l’attend. Et nous devrions peut-être retenir cette
agilité de dépasser les paradoxes pour atteindre cette flexibilité évitant
la résignation actuelle. Le progrès n’est plus le maître mot de nos sociétés
contrairement à ce que les intégristes des technologies clament de leurs
chapelles… Entre catastrophisme convaincu et foi aveugle en un avenir
improbable, il existe une voie médiane, transversale, qui passe par une
nouvelle prise de conscience de nos corps, avec toutes leurs imperfections,
non point par une pleine conscience illusoire, mais en conciliant toutes nos
contradictions en une puissance d’agir. Afin d’éviter la dislocation de
l’humain, l’écrasement du présent par la tyrannie du smartphone,
l’infatuation du je en d’infinis selfies, la voie est loin
d’être rectiligne, mais l’incertitude omniprésente de nos quotidiens vaut
bien ces stimulants détours !
Philippe-Emmanuel Krautter |
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Carl G.
Jung : « Les sept sermons aux morts », Coll. Carnets, Éditions de l’Herne.
Cet opuscule, « Les sept sermons aux morts », du psychanalyste suisse Carl
G. Jung est un écrit personnel s’inscrivant « en marge » de ses ouvrages
théoriques sur la psychanalyse. Daté de 1916 et rédigé en trois nuits dans
un état extatique, le psychanalyste y décrit ou consigne pour lui-même une
expérience intérieure qui fut pour lui d’une force inouïe et qu’il gardera
secrète. C. G. Jung écrira à son sujet dans sa biographie « Ma vie » : « Il
faut prendre cette expérience comme elle a été ou semble avoir été. Elle
était probablement liée à l’état d’émotion dans lequel je me trouvais alors
et au cours duquel des phénomènes parapsychologiques peuvent intervenir. Il
s’agissait d’une constellation inconsciente et je connaissais bien
l’atmosphère singulière d’une telle constellation en tant que numen d’un
archétype (…) »
Cette expérience d’une force intérieure particulière intervint deux ans
après la rupture de Jung avec Freud qui l’amena à faire un important et
profond retour sur lui-même et à affronter rêves et inconscient. Dans « Les
sept sermons aux morts », Jung relate une vision qu’il eut par le biais d’un
philosophe du IIe siècle, Basilide, lui révélant ce qu’est le plérôme ou
monde céleste.
« Les sept sermons aux morts » peuvent donc apparaître extrêmement étranges
et déroutants à celui qui découvre l’œuvre du psychanalyste par ce texte.
Ainsi que le souligne l’avant-propos, « De fait, on ne saurait nier qu’ils
posent à la compréhension maintes énigmes. » Pourtant, nul doute que cette
expérience intérieure, si étrange soit-elle, fut l’une des pierres
angulaires de l’élaboration de la psychanalyse analytique.
Ce texte fut longtemps considéré à tort comme un écrit d’inspiration
purement gnostique. Or, s’il est vrai que C. G. Jung s’intéressera de près
aux sources gnostiques (comme à de nombreuses autres sources), cette
expérience intime marquera bien au-delà tant l’homme que le théoricien et
père de la psychanalyse analytique. En témoigne ce qu’écrivit Jung lui-même
au sujet des « Sept sermons aux morts » dans « ma vie » : « Car les
questions auxquelles, de par mon destin, je devais donner réponse, les
exigences auxquelles j’étais confronté, ne m’abordaient pas par l’extérieur
mais provenait précisément du monde intérieur. C’est pourquoi les
conversations avec les morts, les « Sept sermons aux morts », forment une
sorte de prélude à ce que j’avais à communiquer au monde sur l’inconscient ;
ils sont une sorte de schéma ordonnateur et une interprétation des contenus
généraux de l’inconscient ».
A ce titre, cet écrit personnel ne saurait être aujourd’hui, 60 ans après la
mort de Carl G. Jung, occulté de toute approche de la psychanalyse
analytique, et il faut saluer les éditions de l’Herne d’avoir eu
l’initiative de publier cet écrit. Un texte comportant par ailleurs deux
autres écrits « Le problème du quatrième » et « La psychanalyse analytique
est-elle une religion ? » également insérés dans cette nouvelle édition.
L.B.K. |
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«
Arthur Schopenhauer – La fin du monde, voilà mon salut. – entretiens » ;
Coll. Du côté des auteurs, Editions établie et présentée par Didier Raymond,
Editions Le Passeur, 2021.
Schopenhauer au faîte de sa notoriété accorda un certain nombre
d’interviews. Certes, si elles demeurent moins connues que ses œuvres
majeures – « Le monde comme volonté et comme représentation », elles
méritent pourtant qu’on s’y arrête. À ce titre, il faut saluer l’initiative
des éditions Le Passeur d’avoir publié dans sa collection « Du côté des
auteurs » ces savoureux entretiens augmentés de mémoires ou souvenir
rapportés par ses disciples ou admirateurs. Ces entretiens et portraits sont
d’autant plus intéressants qu’ils offrent au lecteur un autre éclairage,
parfois très inattendu, sur la personnalité du philosophe. En ces pages,
transparait en effet plus l’homme que le philosophe. Or, ainsi que le
souligne Didier Raymond dans sa préface : « Tout ce que l’on peut apprendre
sur la personnalité de Schopenhauer peut éclairer certains aspects de son
œuvre ». Un point de vue que partageait le philosophe lui-même, la
biographie ne pouvant être, selon lui, séparée d’une œuvre. Ainsi, ce
dernier écrira-t-il notamment « On peut tout oublier excepté soit même,
excepté son propre être. En effet, le caractère est incorrigible. » Un
jugement qui influencera Nietzsche, mais que Schopenhauer ne s’appliquera
cependant guère à lui-même. Or, ce sont justement des portraits, attitudes
et postures au travers d’entretiens et souvenirs rassemblés et révélant
chacun à leur façon la personnalité et certains traits de caractère de
Schopenhauer que nous donne à découvrir cet ouvrage.
Schopenhauer, la célébrité enfin venue, accorda volontiers des interviews et
y prit même un certain plaisir. Étudiant ses gestes et effets, il prenait un
malin plaisir parfois à effrayer ou choquer ses interlocuteurs. Des postures
et prises de position que le lecteur retrouvera dans trois entretiens,
accordés deux ans avant sa mort, en 1858. Celui avec C. Challemel-Lacour,
tout d’abord, professeur, d’un pessimiste tout schopenhauerien, lors d’une
rencontre avec le philosophe à Zurich, suivi de ceux accordés à Fréderic
Morin et au conte L.-A. Foucher de Careil. Schopenhauer s’y montre
volontiers loquace, alternant entre séduction et provocation et livrant des
réponses parfois cocasses ou inattendues.
À ces trois entretiens, le lecteur pourra également retrouver avec bonheur,
en seconde partie, les mémoires concernant le philosophe de son principal
disciple, Frauenstoedt. Ce dernier fut très proche de Schopenhauer,
entretient avec lui une correspondance suivie jusqu’à la mort du maître, fit
connaître et divulgua largement sa pensée avant que Schopenhauer ne lui
lègue l’ensemble de ses manuscrits et lui donne tout pouvoir sur les
éditions à avenir. Viennent s’ajouter à ces souvenirs ceux de Karl Boehr,
fils d’un ami du philosophe, qui le rencontra à deux reprises en 1856 et 58,
et ceux d’un étudiant – Beck – lui ayant rendu visite en 1857.
Enfin, des vers inédits du philosophe viennent clore cet ouvrage offrant
ainsi bien des facettes, parfois fort méconnues ou inattendues, du célèbre
philosophe.L.B.K. |
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Platon
: « Œuvres complètes » ; Edition sous la direction de Luc Brisson, 2200 p.,
168 x 245 mm, Broché, Éditions Flammarion, 2020.
Proposer une édition réunissant la totalité des dialogues de Platon est une
entreprise suffisamment audacieuse et rare pour être soulignée. Lorsqu’en
plus, ces sources essentielles de l’Antiquité et de la culture classique se
trouvent être introduites et commentées par un appareil critique de toute
première qualité, c’est alors un argument supplémentaire pour faire de cette
édition le texte de référence qui fera assurément date en français.
Luc Brisson, directeur de recherche au CNRS n’est plus à présenter et ses
travaux sur Platon ont contribué à mieux faire connaître le grand philosophe
de l’antiquité souvent plus cité que lu… Or, justement, grâce à cette
monumentale édition des œuvres complètes de Platon, c’est le geste
philosophique par excellence qui se trouve au cœur de ces 2200 pages, à
savoir le questionnement incessant sur ce qui constitue l’homme et la cité,
ainsi que l’abandon de toutes idées reçues et une critique de la
sophistique.
À partir de la figure centrale de Socrate qui le conduira à la philosophie -
notamment avec son dernier geste face à ses accusateurs - Platon encourage
son lecteur à la méthode dialectique, une interrogation et un dialogue
ininterrompus sur ce qui semble être acquis. Ainsi que le souligne Luc
Brisson en introduction, Platon est « le philosophe par excellence » celui
qui donna au terme « philosophie » le sens qu’il a encore de nos jours.
L’autonomie de la pensée, l’amour de la sagesse comme quête essentielle de
l’individu et fondement de la cité, le dualisme de l’âme et du corps… autant
d’idées essentielles parvenues jusqu’à nous et qui trouvent leurs fondements
dans la pensée platonicienne.
Cette édition réunit non seulement la totalité des dialogues de Platon, mais
a également intégré la traduction inédite des œuvres apocryphes et
douteuses, des sources également précieuses afin de mieux comprendre comment
s’est constituée la tradition platonicienne après la disparition du
philosophe en 348/7 alors qu’il travaillait à la rédaction des « Lois ».
Soulignons, enfin, que cette édition, loin d’être réservée aux seuls érudits
et spécialistes de la philosophie antique, a été conçue, grâce aux
introductions à chacune des œuvres, pour s’adresser également à nos
contemporains, celles et ceux pour qui l’interrogation sur l’homme et la
cité demeure au cœur de leurs préoccupations, une question toujours
d’actualité !
Philippe-Emmanuel Krautter |
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Jacques
Attali : « L’économie de la vie », Éditions Fayard, 2020.
C’est un ouvrage d’actualité, comme toujours très informé, des plus
instructifs et d’une urgente nécessité que nous propose Jacques Attali avec
« L’économie de la vie ». Un ouvrage pour comprendre non seulement le monde
d’aujourd’hui, ce qui nous est arrivé, mais aussi et surtout celui de
demain, celui encore envisageable ou ceux malheureusement également
probables si…
Après avoir dressé, de manière concise, l’histoire des épidémies et
pandémies d’hier à nos jours, et souligné la multiplication croissante de
celles-ci ces dernières décennies faisant non présager, mais bien prévoir
une pandémie mondiale – ce que l’auteur avec d’autres n’avait précédemment
pas manqué d’avertir – Jacques Attali revient sur ce que l’humanité entière
en cette année 2020 a vécu ; sur ce que nous avons réellement vécu, la crise
sanitaire, le confinement, et sur un plan économique, cet arrêt brutal et
décidé quasi mondial de l’économie et qui aurait pu être selon lui évité à
l’exemple de la Corée du Sud, si nombre de gouvernants n’avaient, avec plus
ou moins de sincérité, opté pour suivre celui de la Chine.
Mais après ? C’est à cette interrogation essentielle, celle du choix encore
possible du monde de demain, celui de nos enfants, qui demeure au cœur de
cet ouvrage et des préoccupations de l’auteur. Car, s’il est nécessaire de
tirer les leçons de cette pandémie ayant bouleversé nos vies, écrit-il,
encore faut-il également comprendre ce qui nous attend ; « Une crise
économique, philosophique, idéologique, sociale, politique, écologique,
stupéfiante, presque inimaginable ; plus grave en tout cas qu’aucune autre
depuis deux siècles », souligne Jacques Attali.
Il y a dès lors plus que jamais urgence à comprendre les enjeux de ce qu’il
nomme « L’économie de la vie ». Ces enjeux qu’impose et imposera le choix –
peut-être encore possible - d’un monde vivable ou du moins plus vivable que
d’autres. Livrant une vue d’ensemble, il y développe les multiples défis et
choix - santé, eau, éducation, choix écologiques… - que suppose dès
maintenant ce passage d’une « économie de survie » à une « économie de la
vie », de l’économie au social, de l’éducation à la culture, de la
nourriture à l’habitat, peu de points essentiels n’échappent à l’acuité de
l’auteur. À défaut, ce sont d’autres mondes qui malheureusement sauront
inexorablement s’imposer. Jacques Attali n’ignore pas, en effet, ni ne cache
ou sous-estime, ce qui nous attend si nous ne prenons conscience de
l’extrême urgence de ces choix vitaux, climatiques, économiques, sanitaires
et sociaux… de cette « Économie de la vie ».
Et « Se préparer à ce qui vient », annonce le bandeau de l’ouvrage, qui
peut, en effet, sciemment y renoncer ?
L.B.K. |
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«
Arthur Schopenhauer – Parerga et Paralipomena » ; Edition établie et
présentée par Didier Raymond ; Traduction de l’Allemand par Auguste Dietrich
et Jean Bourdeau, 1088 p., Collection Bouquins, Éditions Robert Laffont, 2020.
S’il y a bien un philosophe qui bouscule, c’est assurément Arthur
Schopenhauer. Rares sont ceux qui n’y ont trouvé réponses, échos,
oppositions ou franches réfutations à leurs pensées, doutes ou
questionnements. Pourtant, la renommée de ce grand philosophe allemand qui
ne saurait laisser indifférent, fut, de son vivant, bien tardive. Il lui
faudra, en effet, affronter une longue traversée du désert, bien qu’ayant
déjà publié la majorité de ses grands ouvrages, avant que le succès ne soit
au rendez-vous. Celui-ci lui sera donné, moins d’une dizaine d’années avant
sa disparition survenue en 1860, lors de la parution de «Parerga et
Paralipomena », soit plus de trente ans après celle sans succès du « Monde
comme volonté et représentation ». Ce ne sera, en effet, qu’en 1851, avec la
publication de ces deux volumes, sa dernière œuvre, qu’Arthur Schopenhauer
sera enfin salué et reconnu à sa juste valeur par ses contemporains. Or,
c’est justement cette œuvre foisonnante aux multiples thèmes que nous donne
aujourd’hui à lire la Collection Bouquins dans cette édition établie et
présentée par Didier Raymond, professeur à l’Université Paris VIII et
spécialiste de Schopenhauer. Et si la traduction littérale du titre grec
signifie « Accessoires et Restes », il faut avouer qu’il s’agit là de très
savoureux suppléments venant compléter son œuvre maîtresse !
« Parerga » s’ouvre par trois livres majeurs – « Les écrivains et le style »
; « La langue et les mots » ; « La lecture et les livres ». D. Raymond
souligne combien ces textes « ont exercé une énorme influence sur des
auteurs aussi différents que Nietzsche, Proust ou Wittgenstein. ». Suivent
les grands thèmes schopenhaueriens, la religion, la philosophie, le droit et
la politique, la métaphysique, le beau et l’esthétique… Une philosophie à la
fois éthique et métaphysique, « deux choses que l’on a à tort – pour le
philosophe – séparées jusqu’ici… » Des thèmes dans lesquels se glissent
pêle-mêle des considérations sur le suicide ou sur l’éducation, des pages
parfois surprenantes notamment sur le bruit qui lui était insupportable ou
encore ce bref « Essai sur les apparitions et les faits qui s’y rattachent
».
C’est une philosophie qui se veut praticable – « pour bien s’en tirer »
aimait-il à écrire - exposée dans un style clair et accessible que nous
propose en ces pages, comme toujours, Schopenhauer en opposition avec les
philosophies conceptuelles de ses prédécesseurs. Une philosophie de la vie
comme subsistance ou survie pour ce philosophe d’un pessimisme radical et
ayant fait sienne la célèbre phrase de Bichat « La vie est l’ensemble des
forces qui résistent à la mort ». Schopenhauer offre cette pensée mûrement
réfléchie, ne craignant ni les critiques ni les oppositions, en témoignent
ces « Remarques de Schopenhauer sur lui-même ». Bataillant contre la haine,
la bêtise, l’égoïsme, le désir ou encore la vengeance source d’une plus
grande souffrance que celle du repentir, des thèmes forts que l’on
retrouvera au XXe siècle brillamment développés par Vladimir Jankélévitch.
Certes, si certaines de ses positions peuvent susciter opposition, voire
indignation, tel son « Essai sur les femmes », d’une misogynie peu
acceptable de nos jours, bien d’autres de ses réflexions demeurent, en
revanche, pour cet homme né à la fin du XVIIIe siècle (1788), d’une profonde
pertinence, notamment ses prises de position contre l’esclavage et la traite
des Noirs ou encore contre la maltraitance des enfants. Rien n’interdit au
lecteur, selon les fragments, de hurler, sourire ou de rire aux éclats. Si
Schopenhauer est un philosophe génial, nul n’a dit pour autant « parfait » !
Misanthrope à l’excès – il est vrai – (pour qui « l’homme n’est pas
seulement un animal méchant par excellence », mais bien une espèce non
seulement bestiale mais démoniaque), mais aussi colérique, pessimiste à
souhait, intransigeant, méfiant à l’extrême… il a surtout pour lui, en
contre point, cette curiosité insatiable et cette fantastique énergie
intellectuelle qui en font son charme et en fondent toute sa valeur ; Cette
lucidité implacable et sans concessions, fruit d’une féconde réflexion
soumise jusqu’à la limite de la contradictio. D’une lucidité tragique mais
ne se complaisant nullement dans le malheur, sa philosophie est comme sa «
vie dans le monde réel – écrira-t-il – une boisson douce-amère ».
Schopenhauer était conscient de sa valeur, celle-là même que nul ne lui
conteste aujourd’hui, celle d’être un des plus grands philosophes. Surtout,
Arthur Schopenhauer demeure de par la réflexion et les confrontations qu’il
peut susciter, un des philosophes les plus stimulants. Comment, dès lors, en
ces temps de confinement, y résister ?!
L.B.K. |
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Jean-Louis Servan-Schreiber : « Avec le temps… », Dessins de Xavier Gorce,
Éditions Albin Michel, 2020.
Le temps aura toujours été une composante importante dans la vie du patron
de presse et essayiste Jean-Louis Servan-Schreiber et, ses 80 ans dépassés,
cette acuité ne s’est pas estompée mais affinée. À l’heure où les projets
d’avenir ne sont plus la priorité, c’est la vie dans l’instant présent qui
compte maintenant dans le quotidien de l’auteur. Cette vie a d’ailleurs
toujours été au centre des priorités de Jean-Louis Servan-Schreiber, lui
conférant une certaine sacralité et lui faisant détester tout ce qui est
susceptibilité de la menacer, ou pire, de la nier. À défaut d’embrasser une
transcendance qui lui a semblé toujours lointaine, l’auteur a donc tout misé
sur la vie et son pari, c’est de la vivre jusqu’à son terme, bel impératif
philosophique ! Pour mener cette mission de tous les instants, rigueur et
discipline sont au programme, une exigence que certains pourront trouver
certes peut-être trop contraignante, c’est une question de priorités… Car en
lisant « Avec le temps… », le lecteur comprendra qu’il faut s’exercer à
vivre de peur de laisser ces instants filer inexorablement, sans s’en rendre
compte. Or cette leçon ne s’apprend guère sur les bancs de l’école ni dans
les universités, mais au quotidien, démarche philosophique s’il en faut.
L’injonction socratique « Connais-toi toi-même » invite à prendre le temps
de ce discernement. Sénèque ne dit pas autre chose lorsqu’il rappelle : «
Être heureux, c'est apprendre à choisir. Non seulement les plaisirs
appropriés, mais aussi sa voie, son métier, sa manière de vivre et d'aimer
». Jean-Louis Servan-Schreiber n’a pas oublié ces leçons du passé, tout en
s’imposant de vivre au présent, aujourd’hui encore plus qu’auparavant. Face
au relativisme ambiant amplifié par les réseaux sociaux et les réactivités
de tout bord, et aux processus de déconstruction sapant toutes les repères
jugés intangibles jusqu’à récemment, il importe de se retrouver, cultiver
cette intimité avec soi-même pour mieux se comprendre ainsi que nos
semblables. Distance avec tout ce qui trouble la vie et proximité avec tout
ce qui la nourrit, telle est l’attitude encouragée par Jean-Louis
Servan-Schreiber à la veille du grand âge, une réflexion livrée avec
humilité et qui pourra retenir l’attention de celles et ceux qui n’auront
pas encore atteint ce stade de la vie.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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Pier
Paolo Pasolini : « Entretiens (1949-1975) », Édition établie par Maria
Grazia Chiarcossi, traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio,
présentation éditoriale par Aymeric Monville, Éditions Delga, 2019.
Les passionnés de l’écrivain Pier Paolo Pasolini se réjouiront de découvrir
cette sélection d’entretiens pour la plupart inédits en français dans cette
édition établie par Maria Grazia Chiarcossi, grande spécialiste de
l’écrivain, ayant notamment préparé son œuvre complète en Italie. Mais ce
livre pourra également être une belle porte d’entrée dans l’univers
pasolinien pour les néophytes, ces pages abordant les très nombreux thèmes
récurrents de son œuvre. Car Pasolini, et c’est un aspect souvent méconnu en
France, était très attaché à son statut de journaliste, il contribua
d’ailleurs jusqu’à la veille de son assassinat en 1975 à collaborer à de
nombreux journaux et revues culturelles, n’hésitant pas à prolonger dans ces
articles sa vision engagée du monde et de la société, allant jusqu’à la
polémique si nécessaire. Le cinéma sera bien entendu omniprésent dans la
première partie, ce qui permettra au lecteur français de placer quelques
jalons supplémentaires dans sa connaissance du cinéaste. Mais la politique,
sans oublier la poésie, constituent les fils directeurs de sa pensée, une
action militante et de résistance face au rouleau compresseur de la pensée
unique consumériste qu’il ne cessa sa vie durant de dénoncer et qui lui
coûta peut-être la vie. Contrairement à ce qui a souvent été avancé, le
polémiste fait preuve d’un grand respect pour son contradicteur, allant même
jusqu’à accepter de se mettre à sa place, Pasolini ayant toujours reconnu
qu’il était issu d’un milieu petit-bourgeois bien différent des petites gens
qu’il décrivit dans ses films et romans. Pasolini surprend, choque, et
surtout bouscule nos idées reçues, n’hésitant pas à se placer là où on ne
l’attendait guère comme lorsqu’il défendit les policiers d’origine
prolétaire agressés par les étudiants bourgeois en 1968… Marxiste et
parallèlement fasciné par une certaine transcendance diluée dans les milieux
pauvres qu’il décrivit, amoureux du verbe et de la poésie et apôtre de
l’argot le plus rude des banlieues romaines, Pasolini suggère une attitude
face à ce « rouleau compresseur impérialiste », des interrogations trouvant
une actualité la plus sensible aujourd’hui encore, plus de 45 ans après,
ainsi que le souligne Aymeric Monville dans sa présentation de l’ouvrage.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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"Dictionnaire amoureux de l'Allemagne" de Michel MEYER, format : 132 x 201
mm, 880 p., Plon éditions, 2019.
À l’heure du trentième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, il
manquait assurément un Dictionnaire amoureux de l’Allemagne. C’est chose
faite sous la plume inspirée de l’écrivain et journaliste Michel Meyer.
Auteur de nombreux ouvrages sur un pays souvent plus méconnu que réellement
familier, Michel Meyer suggère de découvrir « son » Allemagne, celle qu’il a
eu l’occasion tout au long de sa riche carrière de parcourir, commenter,
dialoguer ; Une Allemagne avec laquelle il a su nouer une histoire de cœur
qui débute non loin de ses frontières en France à Schirmeck, petite ville de
la vallée vosgienne où il naquit en 1942. Hölderlin et Goethe sont cités en
exergue, comme invitation inspirée pour découvrir cette nation à la croisée
des chemins depuis la plus haute antiquité. Une Allemagne plurielle,
assurément, par ses nombreuses identités remontant bien au-delà des peuples
germaniques décrits par Tacite, mais aussi par ses paradoxes et les
tourments de sa longue Histoire. Impossible d’échapper aux repères initiaux
de l’auteur notamment la Seconde Guerre mondiale vécue en un espace
géographique plus que sensible à quelques kilomètres d’un camp de
concentration visité quelques années après la chute du nazisme. Malgré cela,
l’attraction est intacte. Car même si Michel Meyer s’est posé la question au
tournant du dernier millénaire « le démon est-il allemand ? », la sirène de
la Lorelei continue à fasciner et à attirer inexorablement vers elle, tous
ceux qui cèdent à son chant… Alors consentons sans entraves à découvrir en
amoureux cette Allemagne suggérée par Michel Meyer, en commençant cette
escapade par l’entrée « Adenauer », premier chancelier d’après-guerre, une
lourde responsabilité si l’on songe à ce que l’Europe avait subi du fait de
son sinistre prédécesseur. Suivent les fameuses « Affinités électives »
chères à tous les lecteurs de Goethe qui sut saisir comme nul autre ce qui
fait et défait les unions entre les êtres, des liens ténus et
indéfinissables et qu’il parvint pourtant à si bien évoquer. Le lecteur
pourra, selon son humeur, poursuivre page après page, avec les « Allemandes
» célèbres comme Gretchen, singulière comme Lou Andreas von Salomé. Il
pourra aussi ouvrir ce volumineux dictionnaire au gré de son inspiration ou
du hasard, et redécouvrir cette incroyable « Chute du Mur » vécue en direct
par le journaliste dans la nuit du 9 novembre 1989… Le Dictionnaire amoureux
de Michel Meyer réserve également de beaux développements aux artistes,
poètes et écrivains qu’il chérit : Hölderlin, Goethe – nous l’avons
souligné, mais aussi Rilke ou encore des noms plus proches de nous comme
Karl Lagerfeld récemment disparu. Chaque entrée peut être considérée comme
une proposition d’appréhender une nation, une civilisation, une culture,
avec avant tout cet esprit allemand que ce Dictionnaire amoureux célèbre
avec passion.Philippe-Emmanuel
Krautter |
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Miguel
Benasayag « La théorie des algorithmes » conversation avec Régis Meyran,
Éditions Textuel, 2019.
Ainsi que le souligne Régis Meyran en ouverture de cette conversation avec
le philosophe et psychanalyste Miguel Benasayag (voir
notre entretien), il existe une autre alternative au « pour » ou «
contre » la machine infernale qui s’introduit, aujourd’hui, de plus en plus
dans le discours actuel. C’est cette direction d’une autre alternative vers
laquelle le philosophe s’oriente, une autre direction, plus urgente encore
et sans concessions sur les risques encourus par l’aveuglement du tout
technologique, le nouvel âge de l’IA, l’Intelligence Artificielle. Préférant
la pensée rhysomique chère à Deleuze et Guattari et les chemins de traverse
pour aborder ces questions essentielles, l’entretien part du postulat
qu’être pour ou contre est déjà dépassé, les algorithmes étant déjà
omniprésents aujourd’hui dans notre quotidien et dictent déjà, moins
sournoisement qu’impérieusement, un grand nombre de traits de notre vie…
Miguel Benasayag n’hésite pas à rappeler que des études scientifiques ont
déjà démontré une « atrophie » de la zone du cerveau correspondant à
l’orientation du fait de l’usage intensif du GPS par des chauffeurs de taxi
! La question serait plutôt : que devons-nous faire, à partir de cette
réalité, pour préserver notre dimension humaine et celle des générations à
venir dans les prochaines années ? Comment ne pas perdre ce qui fait
l’humain, fonctionner ou exister ?
Le philosophe avertit tout d’abord le lecteur de l’inanité de considérer «
intelligent » ce qui n’est que le fruit de calculs programmés. La complexité
humaine est ailleurs que dans cette « puissance » élevée au rang de la
performance, alors que le propre de l’humain (et du vivant) se situe bien
au-delà, avec le désir, l’erreur, les hésitations, passions, sans oublier la
conscience et l’inconscience, tout cela s’inscrivant dans un corps, notre
corps. « C’est le vivant qui crée du sens, pas le calcul », rappelle Miguel
Benasayag. Cette mathématisation du monde est, certes, ancienne dans nos
sociétés et s’est introduite avec le rationalisme et les mathématiques
concurrençant à l’époque le projet divin. Le philosophe avertit cependant
que la complexité du vivant ne saurait être réductible au plus complexe des
calculs. Aussi savants et perfectionnés que soient ces algorithmes, il leur
manquera toujours une dimension masquée qui leur résistera, cette dimension
humaine, singulièrement humaine ; Ce que démontrent et confirment dès à
présent déjà un grand nombre d’erreurs reconnues par la médecine moderne
notamment dans le domaine des antibiotiques. « Ne pas confondre la carte
avec le territoire ! », souligne Miguel Benasayag et jeter à la poubelle 90
% de l’ADN considéré comme inutile car non réductible ou résistant au
codage, tel que le souhaitent un grand nombre de biologistes aujourd’hui. Au
risque, un jour, de se réveiller et de comprendre (trop tard ?) que cette
part « irréductible » de notre ADN avait une utilité, son utilité…
Loin de toute pensée organiciste, le lien, la relation et l’interaction sont
au cœur du vivant, cette « singularité du vivant » chère à Miguel Benasayag
et que n’appréhende pas l’IA aujourd’hui. « Nous sommes les contemporains de
la centralité de la complexité […] il nous est impossible de prétendre à une
prévision complète », souligne-t-il.
Or, aujourd’hui, des responsables de tout bord (économie, science, finance,
politique…) sont sur le chemin de déléguer consciemment les fonctions de
toute décision à la machine. Or, le présent immédiat n’occupe qu’à peine 10
à 15 % de nos pensées (une latitude qui laisse une grande place au passé et
à l’avenir), alors que l’IA promet une efficacité de présence à 100 %, une
performance qui ne peut que plaire aux marchés boursiers et aux partisans de
l’efficacité à tout prix. Le corps se trouve dès lors pris dans l’engrenage
d’un régime immatériel qui lui dicte et impose ses règles. Celles d’un
individualisme exacerbé et de relativisme reposant sur l’idée de plaisir
poussé à l’extrême. Le danger ne concerne pas seulement que le corps et le
vivant, mais aussi le politique et le social, ces domaines étant désormais
de plus en plus soumis aux diktats des algorithmes à la disposition du
politique et des décisionnaires. À terme, la démocratie se retrouve remise
en cause par ce schéma algorithmique donné pour infaillible au profit d’une
tyrannie résultante de ce tout pouvoir algorithmique.
Les prochains combats à mener par des multiplicités agissantes ne seront
peut-être plus sur les barricades, mais dans les arcanes des
microprocesseurs de nos ordinateurs…
Philippe-Emmanuel Krautter |
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Denis
Ramseyer : « Les Kouya de Côte d’Ivoire, un peuple forestier oublié. »,
Co-édition Musée Barbier-Mueller / Editions Ides et Calendes, 2019.
C’est au cœur de la forêt ivoirienne à la rencontre du peuple Kouya que nous
entraîne avec cet ouvrage enrichissant, et présentant un intérêt
ethnologique des plus vifs et urgent, Denis Ramseyer, ethnologue-archéologue
et historien, chargé d’enseignement à l’Université de Neuchâtel.
Le peuple Kouya est un petit peuple forestier de Côte d’Ivoire. Petit par sa
taille, car il ne comporte que vingt milles individus et encore. Mais, petit
que par sa taille seulement ! Car s’il demeure peu connu du reste du monde,
cette ethnie de Côte d’Ivoire mérite pourtant de l’être tant ses modes de
vie, croyances et traditions offrent une belle découverte et étude
ethnologique. Fiers de leurs traditions, les Kouya sont avant tout un peuple
de forestiers, un peuple parlant une langue comptant parmi les plus
menacées, et à ce titre déclarée telle en 2001.
Car, l’alerte est donnée. En effet, si le monde fascinant des Kouya a déjà
malheureusement en grande partie disparu, ce dernier est aujourd’hui plus
encore menacé. Confronté à de nombreuses situations inextricables, ce peuple
risque, si nous n’y prenons garde, non plus seulement d’être oubliés, mais
bel et bien de disparaître à jamais…
Après avoir, en effet, subi l’arrivée des missionnaires chrétiens, les Kouya
doivent depuis le début du XXIe siècle, affronter les changements
climatiques. À ces changements viennent s’ajouter les nombreux conflits
ayant marqué, chaque décennie de notre siècle, la Côte d’Ivoire et plus
particulièrement la région au cœur de laquelle vivent les Kouya. À tout
cela, s’ajoute, qui plus est, une déforestation dévastatrice due au
développement de la culture du cacao, elle-même s’accompagnant de l’arrivée
de migrants bouleversant l’équilibre social déjà fragile. Ethnie de
forestiers menacée de toute part pour laquelle l’auteur tire depuis de
nombreuses années déjà la sonnette d’alarme. Depuis 1971, en effet, année
lors de laquelle Denis Ramseyer découvre ébahi la Côte- Ivoire et cet
attachant peuple Kouya, ce dernier n’a cessé de réunir, assembler notes,
enquêtes, reportages photographiques, des travaux que ce dernier ouvrage
donne largement à voir et à découvrir. Aussi, est-ce à une enrichissante,
mais aussi urgente rencontre ethnologique à laquelle nous invite l’auteur.
Une étude approfondie, richement étayée et illustrée de 150 illustrations
couleur, qui ne pourra qu’intéresser ethnologues ou spécialistes de
l’Afrique, mais aussi séduire tout amoureux de Côte-d'Ivoire, des Kouya… ou
de la terre et de ses habitants tout simplement !
À noter que ce dernier ouvrage vient compléter les précédents travaux de
Denis Ramseyer : Reportage photographique en 1972, enquête ethnologique en
1975, étude ethnoarchéologique 1998, étude sur la transformation de la
société et de son environnement en 2016.
L.B.K. |
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Jean-Michel Oughourlian : « Optimisez votre cerveau ! ; Neurones miroirs :
le mode d’emploi », Edition Plon, 2019.
Un livre instructif, accessible et passionnant, pour ne pas dire
indispensable !, sur nos relations personnelles, familiales ou
professionnelles, écrit par le Professeur Oughourlain, neuropsychiatre et
professeur de psychologie à la Sorbonne.
Dans ce livre, tout part du mimétisme. Rien d’étonnant à cela lorsqu’on sait
que le Professeur Oughourlian est spécialisé dans la psychologie mimétique.
Collège et ami de René Girard, il nous explique dans un langage clair le
rôle déterminant du mimétisme (notre cerveau reptilien) en son rapport avec
nos deux autres cerveaux, que sont le cerveau émotionnel et le cerveau
cognitif.
Le cerveau mimétique par un automatisme déconcertant n’a de cesse d’imiter –
modèle/rival /rival-obstacle. Qui plus est, ce cerveau mimétique se met en
branle au moindre signal perçu, des neurones-miroirs infaillibles et
incessants, donc, qui ne nous quittent pas d’un pouce avec plus ou moins
d’heureux bonheurs. Une imitation à laquelle notre deuxième cerveau
émotionnel, par une impressionnante fidélité, viendra au plus vite emboiter
le pas, et renforcer en ajustant notre humeur, nos sentiments et émotions.
Notre cerveau cognitif, ce troisième cerveau, viendra, enfin, coiffer le
tout. C’est simple.
C’est simple, mais n’allons pas si vite pour autant ! Et si on
court-circuitait ce processus de base ? Le Professeur Oughourlian nous
explique, en effet, que s’il est certes difficile de déconnecter
l’automatisme mimétique de notre premier cerveau, reste que « l’on peut
toujours choisir le chapeau que prend notre cerveau cognitif ! » ; Haut de
forme, casquette de hooligan ou chapeau du rire ? Tel est l’enjeu de cet
ouvrage plus que passionnant et que clôt une poste-face d’Emmanuel Gavache
tout aussi convaincante…
C’est, en effet, par une meilleure compréhension du mimétisme et de son
ressort sur l’inter-individualité que l’auteur, en sa qualité de
neuropsychiatre, nous explique comment fonctionne le cerveau lors des crises
et conflits qu’ils soient familiaux ou professionnels, individuels ou de
groupe. Le premier pas consistera à comprendre et démêler ce mimétisme ayant
déterminé en quelque sorte les cartes et règles avec lesquelles chacun de
nous avance ; Sachant que tout mimétisme ne saurait être, bien sûr, négatif
et que les exemples positifs ne manquent heureusement pas.
A la base de tout, on l’aura compris, il y a le désir, ce désir mimétique de
ce que l’autre a, possède, est, ou même et surtout de ce que l’autre désir.
Dans la lignée de René Girard qu’il aime à citer ou de Jean-Pierre Dupuy («
La jalousie ; une géométrie du désir », Seuil, 2016), Jean-Michel
Oughourlian nous démêle, de chapitre en chapitre, cet impressionnant
écheveau tissé de liens mimétiques. Pouvoir, influence, suggestion, pub,
réseaux sociaux, etc., et même mimétisme inversé, jalonnent cet essai. Des
mimétismes positifs ou négatifs auxquels personne n’échappe, certes, mais
que l’on peut approcher et quelque peu appréhender afin de « supprimer la
suggestion, l’asservissement au mimétisme rival », souligne l’auteur.
Cela passe avant tout par accepter l’idée que les conflits, maladies,
névroses, proviennent de ce mimétisme /rivalité directe ou inavouée avec «
son rival », ce modèle inversé qu’il convient de démasquer, et qui n’est pas
pour autant et toujours en tant que tel un « ennemi ». Le mimétisme le plus
universel engendre, quoique certain en dise, la jalousie avec pour
pathologie l’envie lorsque « le rival devient ennemi », suivie de sa mise à
mort dans son exacerbation extrême, souligne encore Jean-Michel Oughourlian.
Notre cerveau mimétique est, en effet, imperméable, et seule l’intervention
raisonnée de notre cerveau cognitif ralliant à lui le cerveau émotionnel
parviendra à le canaliser. De là, l’apport essentiel de cet ouvrage : rendre
accessible une meilleure compréhension de ce processus mimétique et de ce
qui se joue, permettant de dompter ou d’apprivoiser ce fameux cerveau
mimétique.
Un ouvrage qui se lit d’un trait, et auquel on ne peut souhaiter qu’un
mimétisme de bon aloi ; Alors, bonne lecture !
L.B.K. |
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«
L'Absolue Simplicité » Lucien JERPHAGNON, Michel ONFRAY (Préface),
Collection : Bouquins, Robert Laffont éditions, 2019.
Faisant suite aux deux précédents volumes parus dans la collection Bouquins,
« L’absolue simplicité » offre au lecteur quelques-uns des autres
plus beaux livres de l’historien de la philosophie (lire
notre interview) bien connu pour la fulgurance de ses analyses et la
vivacité de son jugement. Michel Onfray livre en ouverture à ce troisième
volume un témoignage sensible et poignant sur son « vieux maître » et sur la
magie des enseignements dont il reçut chaque parole comme un legs précieux.
La fausse désinvolture des cours de ce grand maître permettait, en effet, de
toucher à cœur de jeunes âmes peu versées sur l’Antiquité et ses leçons.
C’est ainsi que cette magie Jerphagnon opéra chez tous celles et ceux qui
ont eu le privilège de rencontrer ce bel esprit – un brin malicieux parfois
!, et que Michel Onfray évoque avec émotion en ouverture à ce beau et riche
nouveau volume de la collection Bouquins. La diversité de ses enseignements
ne changea en rien la limpidité de ces changements, les saillies de ses
analyses et la sagacité de ses témoignages sur cette Antiquité qu’il
chérissait tant, jusqu’à ses péplums qui le faisaient éclater d’un rire
complice…
« L’absolue simplicité » regroupe certains des titres incontournables
de Lucien Jerphagnon, tels Julien dit l’Apostat, Les Dieux ne sont
jamais loin, Augustin et la sagesse, mais aussi des textes moins
connus comme ces transcriptions de certains de ses cours, notamment au Grand
Séminaire de Meaux ou encore des conférences ou émissions de radio qui
témoignent de l’absence de frontières dans les domaines appréhendés par
cette pensée fertile. Sa fidélité indéfectible à son maître le philosophe
Vladimir Jankélévitch force également le respect dans ces pages d’«
Entrevoir et vouloir » réunies en 1969 et augmentées en 2008 ; des pages
magnifiques révélant, à elles seules, tout l’art de son auteur de « livrer »
sans altérer une pensée dans toute sa richesse et complexité comme pouvait
l’être celle de Vladimir Jankélévitch ; Ce « métaphysicien mystique,
comme je suis devenu un agnostique mystique ! » - souligne Lucien
Jerphagnon, et de poursuivre : « Peut-être était-ce pour cela que j'avais
énormément apprécié « Janké » comme nous l'appelions ! » (entretiens
Lexnews)…
Peut-on encore être surpris par cette pensée hors-norme et fulgurante de
Lucien Jerphagnon ? Une telle question se pose-t-elle en ces décennies d’un
nouveau siècle, d’un nouveau tournant ? Les lecteurs de ses chroniques
politiques pour la Revue des Deux-Mondes des années 1990 ne pourront, en
effet, que retrouver ce rare bonheur de percevoir de nouveau ce léger accent
que ce Bordelais impénitent aimait à accentuer d’un clin d’œil complice. Une
complicité offerte au lecteur entre deux jugements assénés toujours avec
justesse, s’amusant des galipettes de Greenpeace, des gamineries de la
presse, et des impôts que le penseur n’a jamais vu baisser de toute sa
longue vie… sans oublier cette interminable nuit dont parlait Catulle et que
nous fait revivre ce grand maître que fut Lucien Jerphagnon; Un esprit
toujours sur la brèche qui poursuit sa quête, ne cessant de susciter de
nouvelles interrogations chez ses lecteurs, des questionnement toujours
aussi actuels, nécessaires, et peut-être plus urgents que jamais.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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Roland
Jaccard : « L’enquête de Wittgenstein. », Éditions Arléa, 2019.
Avec « L’enquête de Wittgenstein », le philosophe Roland Jaccard
signe un opuscule, ô combien ! vivifiant, voire décapant. Wittgenstein,
philosophe viennois (1889-1951), contemporain de Freud, demeure – il est
vrai, plus connu en théorie des sciences pour ses ouvrages en logique
mathématique qu’en philosophie pour son « Tractatus-logico-philosophicus
». Cependant, bien qu’injustement boudé de nos jours, il n’est pourtant pas
sans attraits et un intérêt piquant à le redécouvrir ; Une incitation à
laquelle Roland Jacquard s’est employé, en ces pages, avec toute la vigueur
et la justesse qu’exige le philosophe viennois. Il faut avouer que tant
l’homme que le penseur, ayant étudié à Cambridge auprès de Russell, ne sont
pas si simples ; Qu’on en juge : Influencé par Schopenhauer, Nietzsche,
Weininger, Krauss, il a gardé du premier un nihilisme de génie, et du
second, cette puissance de volonté qui lui évitera à maintes reprises de
commettre l’irréparable ; le tout avec un singulier mélange de Kierkegaard
qu’il lira, appréciera et dont il partagera un temps la Norvège. Toute sa
vie durant, avec cette espèce de fougue nihiliste qui le caractérisa,
Wittgenstein se demandera : « Qu’est-ce qu’un homme ? » Une quête
philosophique qui le poursuivra et qui justifie pleinement le titre de cet
ouvrage : « L’enquête de Wittgenstein ».
Intransigeant à l’extrême, sans concession envers lui-même, n’aimant et ne
comprenant que l’excellence, sa devise sera – pour reprendre encore un des
titres de Roland Jacquard, « Le néant ou le génie ». Et si cela est
clairement dit et énoncé, reste que... car, il faut avouer que la complexité
de la pensée de Wittgenstein est de génie, et derrière l’enquête du
philosophe, c’est bien Roland Jacquard lui-même qui mène pour son lecteur
celle-ci ; une entreprise audacieuse en si peu de pages, mais Roland
Jacquard sait lui aussi frapper fort, là où cela répond. N’épargnant ni les
qualités ni les faiblesses du philosophe (ni celles de son lecteur), ce
dernier trace à coup d’énergiques traits de plume les entrelacs de la vie et
de la philosophie de Wittgenstein. Ayant fréquenté les mêmes bancs de lycée
qu’Adolf Hitler qu’il haïra, il affichera un certain antisémitisme bien
qu’ayant lui-même une ascendance juive ; Snob, aristocrate, solitaire, il
n’aura de cesse pourtant de se reprocher son manque d’empathie pour le
peuple ; Homosexuel aimant les bas-fonds, mais méprisant ses penchants ; Il
sera toute sa vie tiraillé entre « les brûlures de l’enfer et les délices
du paradis » ; une aimantation des extrêmes en un mélange d’Oscar Wilde
et Pier Paolo Pasolini…. Se jugeant un véritable monstre lui-même, l’usage
répété du mot « diable » semble en ces pages presque digne d’un traité de
démonologie ! Certes, les prises de position de ce philosophe grand joueur
d’échecs ne sauraient être, bien sûr, prises telles quelles ; Mais, n’est-ce
pas ce que Wittgenstein aurait exigé lui-même, lui, qui entendait tout
critiquer et doutait tout autant de tout… Certes, l’exigence d’excellence de
Wittgenstein n’est pas à simple portée de main en notre époque où la
médiocrité s’affiche sans complexe, ni même peut-être enviable, reste que
cet ouvrage donne, en un tour de force, les clefs de « L’Enquête de
Wittgenstein ».L.B.K. |
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Friedrich Nietzsche « Œuvres » Tome II Trad. de l'allemand par Dorian Astor,
Julien Hervier, Pierre Klossowski, Marc de Launay et Robert Rovini. Édition
publiée sous la direction de Marc de Launay avec la collaboration de Dorian
Astor, Bibliothèque de la Pléiade, n° 637, 1568 pages, rel. Peau, 105 x 170
mm, Gallimard, 2019.
Après un premier volume réunissant « La naissance de la tragédie » et
« Considérations inactuelles », la collection de La Pléiade vient de
publier le deuxième volume consacré aux œuvres du philosophe allemand
Friedrich Nietzsche comprenant notamment deux écrits majeurs, « Humain
trop humain » et « Le Gai Savoir » sous la direction de Marc de
Launay avec la collaboration de Dorian Astor. De 1876 à 1882 s’ouvre pour le
philosophe une période féconde sous fond de crise profonde. Cette crise,
prélude à la disparition totale de sa conscience dans les dernières années
de sa vie, n’affectera paradoxalement pas la créativité de l’auteur, comme
si elle constituait un rappel permanent de sa fragilité et donc de l’urgence
de la transcender par une intense réflexion. Nietzsche a toujours cherché à
réduire cette fracture antique entre âme et corps et ne pouvait alors
sous-estimer justement les affections dont il était sujet ainsi qu’il le
souligne dans Aurore : “Aussi loin que quelqu’un puisse pousser la
connaissance de soi, rien pourtant ne peut être plus incomplet que son image
de l’ensemble des pulsions qui constituent son être. A peine s’il peut
nommer les plus grossiers par leur nom. » Durant cette période
déterminante de sa vie, Nietzsche se libère de ses déterminismes, tout au
moins de l’emprise de Wagner et des contraintes de la philologie, discipline
dans laquelle il excellait pourtant. « Tuant le père » et abandonnant
ses doux rêves de musicien, c’est au « métier » de philosophe qu’il
consacre alors toutes ses fragiles forces, renonçant pour cela à ses
obligations professionnelles en tant qu’enseignant. « Humain trop humain
» cristallise en ses pages ce « monument d’une crise » vécu par le
philosophe. Véritable passage initiatique, l’abandon du mouvement wagnérien
ouvre à de nouveaux horizons, bien éloignés de cette régénération pourtant
tant espérée de la culture allemande par le génie du musicien. Le voyage à
Sorrente, et la maladie, encouragent le penseur à un repli sur soi, à une
attitude plus philosophique que théoricienne, reléguant ainsi le mythe et la
métaphysique loin de ses préoccupations. Une attitude fondée sur l’histoire
et l’immanence prélude à la publication de « Humain, trop humain »
dont la dédicace à Voltaire est significative, ce livre marquant
définitivement la rupture avec ses relations wagnériennes dès lors
radicalement hostiles. Les convictions et la métaphysique se lézardent au
profit d’une recherche effrénée de la vérité qui passe par le scepticisme,
et donc les révisions du jugement, sous forme d’aphorismes passés à la
postérité. Nietzsche observe en effet : « Ce n’est pas le monde comme
chose en soi, mais le monde comme représentation (comme erreur), qui est si
riche de sens, si profond, si merveilleux, portant dans son sein bonheur et
malheur ». 1882 marque la première édition du « Gai Savoir », son
titre puisant aux sources médiévales des troubadours et ménestrels pour un
esprit libre. Convalescent et heureux de l’hiver passé à Gênes, Nietzsche se
sent prêt à produire une pensée élevée, servie par un style ciselé. Mais il
ne faut pas faire du Gai Savoir une réflexion hédoniste et encore
moins paisible, le philosophe au marteau fait preuve d’un travail critique à
l’encontre des préjugés et autres morales idéalistes qui témoigne de sa
puissance. Ce livre préfigure également l’annonce de la mort de Dieu et du
nihilisme : « Gardons-nous de penser que le monde serait un être vivant.
» C’est ainsi à un nouvel infini auquel appelle le philosophe : « Le
monde au contraire nous est redevenu infini une fois de plus : pour
autant que nous ne saurions ignorer la possibilité qu’il renferme une
infinité d’interprétations ». Avant que des nuages ne viennent jeter un
voile sur cette pensée singulière de la fin du XIXe siècle, ces pages
resplendissent de cette volonté de puissance caractéristique du philosophe
allemand et si souvent mal interprétée, c’est un, parmi les nombreux
attraits, qui encouragera les lecteurs à découvrir ou relire cette pensée
fertile grâce à cette édition traduite de l’allemand par Dorian Astor,
Julien Hervier, Pierre Klossowski, Marc de Launay et Robert Rovini, et
servie par un appareil critique facilitant sa lecture. |
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Friedrich Nietzsche Correspondance, tome V : Janvier
1885 - Décembre 1886 trad. de l'allemand par Jean Lacoste. Édition de
Giorgio Colli et Mazzino Montinari, Notes du traducteur Collection Œuvres
philosophiques complètes, Série Correspondance, Gallimard, 2019.
Poursuivant la remarquable entreprise de l’édition de la correspondance de
Nietzsche, le dernier volume paru couvre deux riches années 1885 et 1886.
Traduit de l’allemand par Jean Lacoste, cette édition établie par Giorgio
Colli et Mazzino Montinari fait défiler les jours et les mois qui pour le
philosophe ne se ressemblent pas, avec au début de cette année 1885 un 1er
janvier passé au lit, et la hantise des nausées avant chaque repas… Le corps
souffrant de Nietzsche est à considérer dans le contexte de la solitude qui
le touche, mais celle-ci n’entame pourtant pas la production de son œuvre
avec le livre IV de Ainsi parlait Zarathoustra et Par-delà bien et
mal, sans oublier de nombreuses rééditions… Nice, Bâle, Venise qu’il
retrouve avec un plaisir non caché même si le froid et son estomac sont
encore des motifs de tracas. Les inquiétudes du grand penseur sont
touchantes parfois entre sa chemise de nuit trop courte ou ses chaussettes
qui ne vont pas ! « Ce n’est qu’entre gens partageant les mêmes idées que
l’on peut s’épanouir, telle est ma conviction ; mon malheur est que je n’ai
personne de ce genre et ce n’est pas pour rien que j’ai été si profondément
malade et le suis en moyenne toujours ». Nietzsche souhaite ardemment la
compagnie – toujours trop rare à ses yeux – d’esprits libres et ce n’est
qu’un petit cercle de familiers qui entretiendra une correspondance nourrie
avec le philosophe allemand. Ce sont aussi des années de deuil avec la mort
du grand musicien Franz Liszt qui lui rappelle cruellement l’univers
wagnérien, Cosima sa fille ayant épousé Richard Wagner. Nous quittons le
philosophe à la fin de cette année 1886, il ne lui reste plus que deux
années avant que la folie ne le gagne, ce 3 janvier 1889 à Turin… |
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Vladimir Jankélévitch : « Philosophie morale », édition réalisée par
Françoise Schwab, Coll. Mille et une pages, Éditions Flammarion, 2019.
Le philosophe Vladimir Jankélévitch, disparu il y a maintenant 34 ans, est à
l’honneur cette année ; après une exposition à la BnF François Mitterrand à
Paris, c’est au tour des éditions Flammarion de lui consacrer un fort volume
dans la collection « Mille et une pages » regroupant des textes du
philosophe sur la morale, dont certains peu connus. Vladimir Jankélévitch a
laissé une immense œuvre dont certains ouvrages ont à jamais marqué une
génération ; De « L’Ironie » jusqu’au « Le je-ne-sais-quoi et Le
presque rien » paru en 1980, le philosophe avec son énergie a su
interroger bien des postures et démasquer plus encore peut-être nombre
d’impostures. Mais dans cette immense œuvre, nombreux sont les textes
demeurés plus confidentiels ou connus d’un cercle d’initiés. Aussi, une
telle somme consacrée à ces écrits sur le thème de la morale, tel qu’elle a
sous-tendu l’ensemble de son œuvre philosophique, vient-elle idéalement
compléter les écrits plus classiques publiés et réédités du philosophe.
Cette édition établie par Françoise Schwab a fait choix de retenir des
textes allant des premiers livres de morale du philosophe dont sa thèse
complémentaire consacrée à « La valeur et signification de la mauvaise
conscience » de 1933 jusqu’à celui consacré au « Pardon » paru en
1967. Plus de 30 ans d’une intense réflexion dans lesquels sont venues
s’engouffrer les plus profondes blessures et douleurs. Laissant au fil des
années et des textes derrière lui en retrait les idéologies empreintes de
romantisme et d’irrationalisme, c’est une pensée d’une profondeur
fulgurante, incomparable, profondément voire viscéralement liée à l’action,
à la volonté de l’action qui se révèle dans ces écrits. Une pensée poussée
par le philosophe du «devenir » jusqu’à ses derniers retranchements,
les plus imprévisibles et infimes jusqu’à « l’impensable » ou ce «
presque rien ». Une construction de « l’irréversible » ne
laissant rien passer dans le tamis de cette réflexion serrée sur la morale,
aucun préjugé, aucune posture, et laissant la pensée à jamais autre, là où
le temps, la mort, et surtout l’amour se rejoignent. Un recueil incluant : «
La mauvaise conscience » ; « Du mensonge » ; « Le mal » ;
« L’Austérité et la vie morale » ; « Le pur et l’impur » ; «
L’Aventure, l’ennui, le sérieux » ; « Le Pardon », à
l’exclusion de « L’ironie », de « L‘alternative » et « Du
traité des vertus ». Sept livres de philosophie morale où idéologie,
généralisation ou synthèse n’ont pas leur place, mais livrant une pensée
paradoxale dont témoigne plus encore peut-être le dernier livre sur le «
Pardon », déjouant vaines certitudes et compromis, et donnant primauté à
la conscience et à la vie. Des écrits où les prédilections du philosophe
pour la poésie et la musique dont celle du tout aussi virtuose et fougueux
Franz Liszt, trouvent également un terrain fertile. Certains de ces écrits
sont plus connus, d’autres ont été remaniés ou augmentés par le philosophe
notamment à l’occasion de conférences, mais tous nous parlent de l’homme, de
« l’homme comme être moral », de cet « être-limite qui n’a pas de limite,
mais franchit celle que l’instant lui impose. »
Et pour ceux qui redouteraient d’ouvrir ce fort volume, on ne peut que
laisser entendre la voix inimitable de cet immense philosophe que fût
Jankélévitch : « En somme la conscience ne dit pas autre chose que ceci :
tout ne peut pas se faire ; certaines actions, en dehors de leur utilité,
parfois même contre toute raison, rencontrent en nous une résistance
inexplicable qui les freine ; quelque chose en elles ne va pas de soi. Telle
est l’hésitation de l’âme scrupuleuse devant la solution scabreuse. La
conscience est l’aversion invincible que nous inspirent certaines façons de
vivre, de sentir ou d’agir ; c’est une répugnance imprescriptible, une
espèce d’horreur sacrée. Mais on ne fait pas sa part au démon du scrupule
une fois qu’il a pris possession de notre âme : « Le diable a tout
éteint aux carreaux de l’auberge ! » »
L.B.K. |
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Miguel Benasayag « Fonctionner ou exister ? »
Éditions Le Pommier, 2018.
Quelques jours avant sa mort, le 2 novembre 1975, Pier Paolo Pasolini avait
accordé un dernier entretien au journaliste Furio Colombo, article que l’écrivain-poète-cinéaste
italien avait souhaité terminer par écrit et auquel il avait donné pour
titre « Nous sommes tous en danger ». « Les quelques personnes qui ont
fait l’Histoire sont celles qui ont dit non, et non les courtisans et les
valets des cardinaux. Pour être efficace, le refus doit être grand et non
petit, total, et non pas porter sur tel ou tel point, « absurde », contraire
au bon sens ». À plus de quarante années de distance, Miguel Benasayag
dresse une situation qui a pris acte de cette prescience qui est devenue
réalité. Sommes-nous condamnés à ne plus que fonctionner ? L’altérité chère
à Miguel Benasayag ne peut subsister que par une unité complexe de
l’existence et du fonctionnement, et non de l’hégémonie de cette dernière. À
l’heure où les algorithmes visent à modeler le vivant, les Anciens sont
devenus des vieux inutiles que l’on cache, ce qui faisait jusqu’alors la
valeur constitue aujourd’hui une déficience, faute de bien « fonctionner »…
Nous entrons depuis plusieurs années dans une vision manichéenne du monde,
en une alternance binaire gagnant / perdant, sans intermédiaires ou autre
possibles. Nos vies présentes sont faites de raccourcis, autant sur les
bureaux de nos ordinateurs que vis-à-vis de nos valeurs, de nos existences,
de la vie tout simplement. Réactionnaire et technophobe Miguel Benasayag ?
Pour les partisans du transhumanisme et de l’utilitarisme du vivant,
probablement, mais dans une situation de complexité et d’union des
contraires, assurément pas.
Il est vrai que le tragique s’est tari en oubliant que le singulier ne
saurait se concevoir sans ses interactions avec l’ensemble. En un monde où
les relations sont de plus en plus stérilisées à l’image des couloirs
d’hôpitaux, on se sent concerné ou pas, on like ou pas, la pleine
conscience (mal) comprise par les occidentaux n’a que faire d’une
catastrophe climatique ou humaine lorsque sonne l’heure dite de sa
méditation quotidienne… Pour éliminer cette négativité qui fait partie
intégrante du tragique de la vie, l’homme a la solution : lui substituer le
transhumanisme des sociétés postorganiques, plus de vague à l’âme, plus de
bleu au cœur, mais la promesse virtuelle d’un monde sans faille et d’une
immortalité assurée. Conjoint écarté car ne « correspondant » plus, familles
oubliées pour passer à autre chose, liens rompus pour soigner son petit soi
ronronnant, nous ne sommes plus en danger, le mal est déjà fait et
constatable quotidiennement. Miguel Benasayag ne souligne pas les risques
mais les réalités déjà présentes, la tendance à l’artefactualisation
du vivant ne concernent pas seulement que des prothèses, certes utiles, mais
touchent bien plus encore de plein fouet le vivant à part entière, une
initiative qui plus est laissée aux bons soins des machines et des
logiciels. Il faut suivre l’auteur dans ces pages inspirées qui à l’image du
film Soleil Vert laisse entrevoir ce vers quoi nous allons et que
nous sommes en train d’oublier, Big data s’occupant déjà de nos mémoires.
Cauchemar ? Certainement. Des solutions ? Une résistance de tous les
instants afin de sortir de notre petit moi, tout en acceptant notre
fragilité, nos failles, qui élargissent contrairement ce qu’on en pense trop
souvent - notre cercle et constitue notre richesse, notre singularité, «
nous sommes les mêmes tant que nous changeons », rappelle le philosophe
dans l’un de ses (apparents) paradoxes dont il a le secret. La situation
exige le courage de l’existence, un agir situationnel dans le cadre d’une
singularité du vivant chère à l’auteur, qui n’est pas reproductible,
sauf à la nier. Nous sommes prévenus, n’attendons pas encore.
Philippe-Emmanuel Krautter
A lire
l'interview de Miguel Benasayag |
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Ok-Kyung Pak : « Les plongeuses Jamnyo de Jeju en Corée », Éditions Ides et
Calendes, 2019.
« Les plongeuses Jamnyo de Jeju en Corée » est une étude
anthropologique singulière puisqu’elle nous invite à découvrir l’univers
secret et peu connu de l’extrême sud-ouest de la péninsule coréenne, et plus
précisément l’île de Jeju. Cette dernière est également appelée l’île aux
trois abondances - les vents, les pierres et les femmes, une appellation
trouvant sa justification en ces lieux arides où curieusement les hommes
sont peu nombreux. Pour affronter le sol volcanique et les vents puissants,
il fallait la force d’âme de femmes courageuses, début d’une légende
matrilinéaire et d’une réalité constatée au fil des temps. C’est dans cet
environnement atypique que l’anthropologue Ok-Kyung Pak a ainsi entrepris,
en 2016, une étude de terrain qui l’a conduite à étudier plus
particulièrement ces plongeuses en apnée, une activité habituellement
réservée aux hommes dans les autres sociétés. C’est ainsi l’univers
singulier de cette Île, de ses habitants, et surtout de ses plongeuses
nommées Jamnyo que Ok-Kyung pak nous offre de découvrir, une analyse
appuyée par plus de 130 illustrations, cartes, schémas et photographies
couleur.
Or, ici, c’est par leur seul souffle et une ceinture lestée de plomb que ces
femmes risquent leur vie à chaque plongée pour pêcher 15 jours par mois
ormeaux, conques, varech… Chaque journée compte 4 à 7 heures de plongée,
chacune durant près de 2 mn jusqu’à 20 mètres de profondeur, ce qui est un
exploit physique étonnant et pourtant anonyme. Car en ces lieux, il n’est
point question de compétition ou de grand bleu, mais de l’intime conviction
d’appartenir à un ancêtre commun, la déesse-mère Seolmundae Halmang pour qui
chaque plongeuse réalise un rituel chamanique lors des plongées. Leur vie
est d’ailleurs entendue également en un sens collectif puisque le fruit de
chaque plongée est partagé et toute idée de pêche intensive écartée. Cette
approche communautaire, étroitement liée aux éléments naturels dont la mer
constitue la force la plus manifeste, offre un rare témoignage de ces temps
anciens où l’homme n’avait point comme seul horizon le profit intensif. Au
XXIe siècle à des milliers de kilomètres de nous existe encore une société
malheureusement en déclin en raison de la pollution des mers et du
développement industriel qui perpétue cet étonnant héritage ainsi qu’en
témoigne cette belle étude ! |
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Metin
Arditi Dictionnaire amoureux de l’Esprit français éditions Plon & Grasset,
2019.
Audacieux et téméraire en nos temps troublés que d’aborder le thème de l’Esprit
français illustré en page de couverture d’un Cyrano arborant la cocarde
multicolore ! Et pourtant cette initiative n’a rien de politique puisqu’elle
est le fait de l’écrivain suisse d’origine turque Metin Arditi, envoyé
spécial de l’UNESCO pour le dialogue interculturel, ce à quoi cette plume
s’adonne avec un plaisir jubilatoire dans ce Dictionnaire amoureux
des éditions Plon & Grasset. Partant de cette idée de séduction dont on
affuble souvent les Français, l’écrivain talentueux ayant signé de nombreux
romans dont Le Turquetto, La Confrérie des moins volants, L’enfant qui
mesurait le monde… transporte les lecteurs de ce Dictionnaire dans des
entrées qui ne manquent pas d’audace, telles les entrées proches -
alphabétiquement s’entend – comme Céline et Dreyfus avec
l’antisémitisme en toile de fond… Quel que soit le choix effectué par
Metin Arditi, le plaisir manifeste demeure non point de cerner, mais de
révéler par petites touches l’Esprit français, ce dernier se matérialise par
une mosaïque de points de vue, indispensables selon l’auteur pour répondre
au vœu de Molière : « Je voudrais bien savoir si la grande règle de
toutes les règles n’est pas de plaire ». La beauté compte certainement
parmi cette identité, beauté multiple et variable qu’elle se manifeste dans
l’art d’Édith Piaf ou de Marcel Proust, des Jardins à la française ou de
Brassens. Les grands écarts certes ne manquent pas avec l’entrée
Jambon-beurre qui suit celle du Jacobinisme et précède
Jankélévitch. Ce sont justement dans ces contrastes que le tableau de
cet Esprit insaisissable peut certainement le plus facilement se laisser
dévoiler, la France aime et cultive les contrastes jusqu’aux conflits et
oppositions comme l’avait déjà relevé Jules César dans sa Guerre des
Gaules, et plus récemment le Général de Gaulle dans ses Mémoires…
En découvrant au fil des pages et de ses thèmes ce Dictionnaire amoureux vu
par un « étranger » si familier de la France, l’envie prend immédiatement de
prolonger chacune de ces entrées, d’en faire des pistes de lectures et
découvertes supplémentaires pour ne point passer à côté de cet Esprit
français que restitue si admirablement Metin Arditi dans ces pages
truculentes ! |
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Pier
Paolo Pasolini « Écrits corsaires » traduction de Philippe Guilhon 288 pages
- 140 x 200 mm, collection Champs arts Flammarion, 2018.
Pier Paolo Pasolini a assurément pris au pied de la lettre le titre donné à
ces articles réunis dans un livre « Écrits corsaires » et aujourd’hui
publiés en français dans la collection Champs arts Flammarion avec une
traduction de Philippe Guilhon. Corsaire est, en effet, bien
l’attitude adoptée par l’écrivain italien et pour l’occasion essayiste
polémique, dans ces articles sans concessions parus dans la presse jusqu’aux
derniers mois avant sa mort. Le lecteur retrouvera dans certaines
contributions le regard lucide de celui qui n’écarta pas les paradoxes les
plus inattendus ; le poète hors convention avoue ainsi, bien que n’aimant
pas ces jeunes gens aux cheveux longs qu’il décrit, se rallier finalement à
leur cause lorsqu’ils font l’objet d’une attaque de la part de la société
bourgeoise bien pensante de son époque. Pasolini ne choisit pas la voie
facile, n’est en aucune manière partisan du choix médian, mais adopte le ton
de la polémique, du combat même, avec sa plume acérée qui lui a valu tant
d’inimitiés jusqu’à sa mort, dans l’opposition politique à ses idées jusqu’à
la gauche italienne… Adepte de la microrésistance, apôtre des arts dans
lesquels il excelle avec une facilité déconcertante, Pasolini pointe et fait
mouche en bien des domaines qu’il aborde dans ces pages. Du fameux article
sur La disparition des lucioles, métaphore de l’extinction du parti
communiste, jusqu’au fascisme des antifascistes, Pasolini se trouve
là où on l’attend le moins, décalage toujours fécond qui invite à de
nouveaux points de vue, un regard lavé des conventions. Si certains textes
sont conjoncturels, la réflexion mise en œuvre peut la plupart du temps être
reprise dans bien d’autres contextes actuels, dont Pasolini avait si
distinctement prévu l’évolution de manière confondante. Pointent
régulièrement dans ces pages alertes, non seulement l’analyste de son temps,
mais aussi le poète qu’il ne cessa d’être, l’écrivain parfois, le cinéaste
dans d’autres contextes encore, car pour Pasolini, les arts n’étaient en
rien questions de disciplines, mais de vie, cette vie qu’il mena intensément
jusqu’à son terme pour mieux en explorer les confins. |
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Nietzsche
« Sur l’invention de la morale » présentation par Arnaud Sorosina, édition
avec dossier, Garnier Flammarion, 2018.
Quel rapport entretenons-nous avec les valeurs comme le bien, le mal, la
bonté, la justice ? Nietzsche invite le lecteur à s’interroger à leur
sujet et à mieux considérer leur origine, moins naturelle qu’elle ne
pourrait paraître selon le philosophe. La religion, bien entendu, apparaît
vite au banc des accusés pour le philosophe critique de la culture
occidentale. La faute et la culpabilité sont responsables des maux de
l’homme moderne qui cherche l’oubli dans le remords et la veulerie, une
approche qui ne sera pas étrangère à la psychanalyse quelques décennies
plus tard. Arnaud Sorosina, par sa présentation, accompagne le lecteur
dans sa découverte de ce livre de Nietzsche. Le texte est ainsi précédé
d’une introduction éclairante quant à l’évaluation faite par le philosophe
des valeurs : leur origine, leurs développements au cours de l’Histoire
par la religion, ainsi que leurs méfaits sur l’homme qui a perdu à cause
d’elles sa noblesse et sa santé. Peut-on se libérer de la morale ? Belle
interrogation qui accompagnera le lecteur tout au long de ce texte à
redécouvrir en nos temps troublés. |
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Jean-Jacques Bedu : « Les Initiés ; De l’an mil à nos jours », Collection
Bouquin, Robert Laffont, 2018.
Somme considérable, incontournable ! L’ouvrage « Les Initiés de l’an mil
à nos jours » signé Jean-Jacques Bedu ne peut, en effet, que faire date
et s’imposer, de par l’imposant travail présenté, en ouvrage de référence.
Un joli défi relevé, et ce à bien plus d’un titre.
Audacieux, en premier lieu, l’ouvrage, dans un style volontairement
accessible, propose au lecteur pas moins de 2000 ans d’histoire d’initiés,
de courants et traditions initiatiques avec plus de 115 entrées ou noms
d’initiés, avec pour chacun, sa vie et son parcours condensés, certes, mais
jamais de manière lapidaire. On y trouve, bien sûr, Avicenne, Hildegarde,
Ibn d’Arabi, Maître Eckhart, Léonard de Vinci, Swedenborg, Papus et Péladan
ou encore Krishnamurti, et bien sûr, pour un tel ouvrage, René Guenon…
Retenant, par souci de clarté, un ordre chronologique, regroupant ces
initiés en 4 grandes périodes – L’an mil ; La Renaissance ; Le Grand Siècle
au Siècle des Lumières ; le XIXe siècle ; et le XX siècle débordant sur le
XXIe siècle, soit de leur éclosion à aujourd’hui. L’auteur balaye tant
l’occident que l’orient ou l’extrême orient, mettant ainsi en évidence les
grands courants dans lesquels viennent s’inscrire ces initiés de tous les
temps et époques : alchimie, magie, kabbale, Soufisme, Théosophisme,
Templiers, Rose-croix, Franc-maçonnerie, occultisme, etc. Courants
entremêlant tant les grandes religions et ses différentes doctrines que les
sociétés secrètes ou l’occultisme, hermétisme, prophétisme, etc.
Audace, aussi, d’avoir su allier dans ce dédale d’initiés, de sensibilités
multiples et croisées ,un riche travail de qualité à une approche accessible
et claire dans un style fluide fort plaisant, faisant de cette somme un
ouvrage se lisant comme un roman, enchaînant aventures, légendes et destins
hors normes. Que de vies, de destins… d’initiés ! On songe à Blake, à
Nicolas de Flamel et « son » livre si cher à C.G. Jung.
A ces titres, l’ouvrage ne peut que séduire un large public, chercheurs,
universitaires, lecteurs souhaitant être initiés ou tout lecteur curieux ou
avide de vies romanesques. Dans ces initiés, un grand nombre de noms
séduira, aussi, les littéraires tels Rabelais, Cyrano de Bergerac, Novalis,
Goethe, Gérard de Nerval, Victor Hugo, Villiers de l’Isle-Adam, Huysmans, ou
encore les amateurs d’art avec notamment William Blake, Joséphin de Péladan
ou de musique avec Mozart.
Non dénué d’humour, Jean-Jacques Bedu n’hésite pas, d’ailleurs, à ouvrir son
ouvrage avec Gerbert d’Aurillac, un non-initié, et à terminer cette longue
histoire d’initiés à travers les âges et les siècles avec Steve Jobs ! Mais,
l’auteur ne manque pas, non plus, avec pertinence de sens critique et de
prises de position souvent bien venues. Le texte consacré à Louis Massignon
est très beau et très justement présenté. Jean-Jacques Bedu n’hésite pas,
également, à douter, à souligner, mettre à plat ou purement et simplement
écarter. Eh ! oui, parmi ces initiés se cachent parfois quelques imposteurs
ou légendes inopportunes ; on songe notamment à Rabelais ou à Victor Hugo.
Soucieux cependant d’objectivité, l’auteur sait aussi mettre en balance son
scepticisme avec le poids des légendes, mythes ou à renvoyer les
controverses entretenues dos à dos, notamment pour Nostradamus, invitant par
là même ses lecteurs à se tourner vers la biographie informée donnée pour
chaque entrée. L’ouvrage comporte, par ailleurs, en fin de volume de très
riches orientations biographiques thématiques, ainsi qu’un très complet
index des noms fort utile ou encore un glossaire.
Y a-t-il encore des initiés en 2018 ? Nous l’avons souligné, l’auteur
termine par un clin œil avec Steve Jobs ; que l’on soit séduit ou non par ce
dernier choix (n’a-t-il pas plus initié qu’il n’a été initié ?), il demeure
que la question reste entière et d’actualité, révélant tout l’intérêt et le
mérite de cet ouvrage consacré aux « Initiés de l’an mil à nos jours
».
L.B.K. |
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Pasolini's Bodies and Places (en anglais) Michele Mancini and
Giuseppe Perrella N° 241, relié, 640 pages, 22 × 21 cm, anglais, Benedikt
Reichenbach, Editions Patrick Frey, 2017.
Pasolini's Bodies and Places est un ouvrage à la fois savant mais
parfaitement accessible à tout amateur du cinéma et de l’univers pasolinien.
À partir d’hypothèses de travail exprimées au début du livre par l’écrivain,
poète et cinéaste Pier Paolo Pasolini, les auteurs de cet ouvrage, Michele
Mancini et Giuseppe Perrella, ont réuni 1734 reproductions de scènes de ses
films, archivées et analysées à partir de thématiques centrées sur les corps
et les lieux. Véritable cartographie anthropologique s’étendant sur trois
continents (Europe, Afrique et Asie), cette réflexion retient cette attitude
chère à Pasolini d’établir des chemins et des correspondances entre les
borgate de Rome, le Tiers-Monde et les villes soumises au développement
néocapitaliste. Ces archives offrent ainsi un témoignage unique sur de
véritables univers disparus ou appelés à disparaître et fixés à jamais par
la caméra et le regard critique de ce visionnaire que fut Pasolini. À partir
de classifications détaillées de postures, expressions du visage, gestes,
grimaces, sourires, rires et bien d’autres encore, c’est un véritable
laboratoire d’analyses anthropologiques que proposent les auteurs à partir
des films du cinéaste. Le lecteur habitué à l’univers pasolinien retrouvera
alors bien des correspondances avec les écrits majeurs de Pasolini, les
frontières entre les arts s’effaçant sous son regard. Les cultures des
périphéries émergent alors, subrepticement, au détour d’un cadrage, ici pour
souligner un détail ethnique, là, pour évoquer une attitude à jamais
révolue. Les lieux si importants pour Pier Paolo Pasolini rythment la caméra
et ses mouvements, qu’il s’agisse d’un environnement fermé comme une prison,
un hôpital ou un bar, ou encore ouvert comme le désert ou le mont des
Oliviers… Une fois de plus, les mutations imprègnent la pellicule, de
manière express ou sous-entendue selon les films. L’aliénation culturelle
broyée sous la mondialisation conduit à une uniformité des corps et des
lieux, une tendance à l’extrême opposé au cinéma et à l’œuvre de Pasolini,
tel est le mérite de l’analyse de ces pages. Une bibliographie et
filmographie complètent cette somme incontournable pour tout passionné de
l’œuvre de Pasolini. |
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Élisabeth Roudinesco « Dictionnaire amoureux de la Psychanalyse », Édition
Plon/Seuil 2017.
L’historienne et psychanalyste Élisabeth Roudinesco signe le «
Dictionnaire amoureux de la Psychanalyse » aux éditions Plon. Après son
célèbre « Dictionnaire de Psychanalyse » dont on ne compte plus les
rééditions qu’elle rédigea avec Michel Plon en 1997, l’auteur précise avoir
hésité pour cette nouvelle et autre entreprise. Mais, Élisabeth Roudinesco
avoue également avoir « toujours aimé les dictionnaires. Ils recèlent un
savoir qui ressemble à un mystère », écrit-elle en incipit de son texte
introductif à ce « Dictionnaire amoureux de la Psychanalyse ». Et
effectivement, Élisabeth Roudinesco nous livre par cet ouvrage un véritable
dictionnaire amoureux, empreint de toute la subjectivité de l’auteur, et
dont les mots-clés ou entrées surprendront agréablement le lecteur. Pas de
mots classico-magiques de la psychanalyse, pas de grands concepts ou noms
trop incontournables pour liste d’entrées, mais des noms de ville, beaucoup
de villes, Berlin, Buenos Aires, Francfort, Rome, Vienne, Zurich, etc., dans
lesquelles s’inscrivent des choix et enchaînements révélant toute la
distance et l’audace de l’auteur. « Des territoires réunis de façon
arbitraire », souligne Élisabeth Roudinesco, abordant ce vaste
territoire de la psychanalyse par des thèmes aux prises directes avec la
société de ce début de siècle : éros, amour, famille, désir, bonheur, les
animaux et, bien sûr, l’argent avec celui notamment qui fâche, contre ou
entre psychanalystes, et si ce n’est Freud, c’est donc Lacan… Et même si
Jung n’a jamais en tant que tel acquis sa maison de Bolligen mais l’a bel et
bien bâtie, ce qui l’eut privé de nombre d’analyses et inspirations, le
lecteur sourira à l’évocation de certaines entrées telle « Sherlock Holmes
», surprenantes avec « Philippe Roth » ou les « Présidents américains ».
Parfois les mots s’assombrissent sous les destins notamment de « Marylin
Monroe » ou deviennent graves. La femme y trouve une belle place avec des
entrées telles que le « Deuxième sexe » ou tout simplement « femmes » pour
celle qui avoue n’avoir – en partie grâce à sa mère – accordé la place qui
se devait à Beauvoir que tardivement. L’enfance, enfin, ne pouvait être
omise, et lui sont accordées de nombreuses pages de ce territoire aux
multiples rives. C’est bien à un voyage d’une subjectivité tout amoureuse en
ce territoire parfois choisi, parfois rejeté ou maudit, mais toujours
fascinant de la psychanalyse auquel nous convie Élisabeth Roudinesco, «
un voyage au cœur d’un lac inconnu situé au-delà du miroir de la conscience.» |
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Jean-Louis Servan-Schreiber "L'Humanité, apothéose ou apocalypse ?" Fayard,
2017.
Jean-Louis Servan-Schreiber réfléchit depuis des décennies au sens de nos
vies et de la vie, qu’il s’agisse de l’emploi du temps que nous lui
réservons, tout aussi bien que du sens que nous lui assignons. Avec ce
dernier livre « L’humanité », l’auteur prend encore plus de recul, une
distance facilitée par l’âge et ce sentiment que notre époque est plus que
jamais touchée par le « court-termisme » comme il le nomme. N’ayant plus le
temps de réfléchir au passé, souffrant du présent et redoutant d’envisager
le futur, nous sommes de nouveau dans la situation que soulignait déjà en
son temps Sénèque dans son De Brevitate Vitae, malades de notre temps
et de nos vies. Et pourtant, Jean-Louis Servan-Schreiber ne compte pas parmi
ces pessimistes invétérés qui inondent de leurs prédictions tragiques
l’environnement médiatique. Relevant, avec raison, combien le XXe siècle a
pu être à l’origine de formidables progrès pour une grande partie de
l’humanité, sans pour autant oublier ses laissés-pour-compte et tout en
soulignant l’individualisme galopant qui en a résulté, jamais l’humanité
jusqu’à aujourd’hui n’a eu autant d’impact sur son environnement et ses
semblables. Faut-il s’en inquiéter, faut-il s’en réjouir ? Apothéose ou
apocalypse ? Telles sont les interrogations soulevées avec humilité par cet
éternel scrutateur de notre société, un questionnement nourri par le
témoignage d’un certain nombre de personnalités telles Jacques Attali, André
Comte-Sponville, Roger Pol Droit, Marcel Gauchet, Pascal Picq ou encore
Edgar Morin…
L’accélération des moyens technos-scientifiques laisse l’impression d’une
accélération du temps dont nos contemporains ne cessent de souffrir, ce dont
a témoigné avec acuité l’auteur dans ses précédents ouvrages. Mais,
aujourd’hui, se posent de nouveaux problèmes : que faisons-nous de ces
progrès ? Ne sont-ils pas susceptibles d’aller jusqu’à la transformation de
l’humain si l’on pense aux avancées de la génétique et du transhumanisme ?
Saurons-nous faire face à cet écart grandissant entre une partie de
l’humanité ayant plus que le nécessaire, et une partie plus grande encore de
cette même humanité qui réclame de n’être pas exclue de ce progrès ? Sans
prétendre avoir les réponses à ces questions de fond, l’ouvrage invite à
élargir notre regard sur notre époque, dépasser le rythme effréné des
news alarmistes qui empêchent le recul et la réflexion, prendre une
partie de ce temps si cher à Jean-Louis Servan-Schreiber pour penser à notre
avenir, au-delà d’un clivage optimistes-pessimistes.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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Lucien Jerphagnon « L’au-delà de tout » préface du
cardinal Poupard, Collection Bouquins, Robert Laffont, 2017.
Six ans déjà que Lucien Jerphagnon nous a quittés, et pourtant son sourire
malicieux et son regard pétillant semblent encore si présents ! Ce grand
spécialiste de la philosophie antique et médiévale aimait à se présenter
comme un historien de la philosophie, et non en philosophe, n’ayant pas de «
jerphagnonisme » à proposer comme il le rappelait d’un clin d’œil
complice. Né en 1921, Plotin et saint Augustin, entre autres, n’avaient
aucun secret pour lui. La collection Bouquins, après le premier
volume Les Armes et les Mots réunissant les titres les plus connus de
l’auteur vient de lui consacrer un deuxième volume intitulé « L’au-delà
de tout » et réunissant des titres méconnus s’inscrivant dans la période
1955-1962. C’est la pensée intime d’un esprit à la fois jaillissant et
secret qui se révèle au fil de ces pages à la saveur incomparable. Ainsi que
le rappelle le cardinal Poupard qui signe la préface de ce fort volume, si
la pensée et les convictions spirituelles de Jerphagnon ont pu évoluer au
cours de son riche parcours, il demeure certaines convictions de fond,
immuables, et que résume à elle seule, de manière évocatrice, la phrase
d’André Malraux mise en exergue par Jerphagnon lui-même de son essai « Le
Mal et l’Existence » : « Tous les grains pourrissent d’abord, mais il
y a ceux qui germent… Un monde sans espoir est irrespirable. » André
Malraux, L’Espoir, ouvrage qui ouvre aujourd’hui ce recueil.
Le thème du mal et de la souffrance qu’il engendre est récurrent depuis
l’aube de l’humanité croyante, et bien souvent un argument avancé pour
critiquer l’idée même de transcendance. Si Dieu est amour, comment peut-il
accepter que sa création subisse le mal ? Plutôt que de partir de cette
traditionnelle opposition amour / mal, Lucien Jerphagnon souligne combien il
s’agit là d’un mystère qui ne saurait être réduit à une « explication
» rationnelle, mais à une interrogation sur la propension de l’homme à se
diviser. L’auteur développe le fameux exemple de Job dans la Bible, comme
l’illustration de l’impuissance de l’homme à comprendre les maux qui peuvent
s’abattre sur lui, des épreuves souvent initiatiques qui invitent à un
rapprochement de la source transcendante, au lieu de l’en éloigner, ce qui
arrive parfois. Prolongeant sa réflexion sur le mal, Lucien Jerphagnon étend
son analyse notamment au philosophe Pascal auquel il consacrera un premier
essai « Pascal et la souffrance », complété par un autre titre «
Pascal », et enfin « Le Caractère de Pascal », chacun de ces
ouvrages explorant la position philosophique de celui qui estimait que
l’homme est inévitablement malheureux en raison de sa nature même mue par un
mécanisme absurde le poussant à être inconstant et misérable. Seule la
rencontre du Crucifié, le Dieu humilié, peut confondre le mal et réduire à
néant les misères de l’homme. La lecture de ces essais ne peut être
dissociée de cette période bien particulière de l’auteur – longtemps tue et
ignorée du public, période durant laquelle il fut ordonné prêtre en 1950
avant de quitter les ordres dix ans plus tard, une parenthèse de vie sur
laquelle il garda un silence absolu. Ce deuxième recueil démontre, s’il en
était encore besoin, que l’on a encore beaucoup à apprendre sur et de ce
grand maître, Lucien Jerphagnon.
Philippe-Emmanuel Krautter
(à
lire notre interview
de Lucien Jerphagnon)
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Histoire, Ethnologie,
Essais... |
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Mathieu
Lours : « Les Cathédrales dans le monde – Entre religion, nation et pouvoir
», Folio histoire n°338, 352 p., 2024.
C’est une passionnante et riche étude consacrée aux « Cathédrales dans le
monde » que livre Mathieu Lours dans ce Folio histoire inédit. L’auteur,
spécialiste des cathédrales, de l’histoire des religions et du patrimoine
religieux, dresse en ces pages un tableau transversal et complet des
fonctions et pouvoirs des cathédrales de par le monde, d’hier à aujourd’hui.
Une histoire non seulement religieuse, mais aussi et surtout géopolitique.
Si, en tant qu’édifice, la cathédrale trouve ses fondements dans l’antiquité
tardive, étrangement, le mot même de « cathédrale » désignant la principale
église d’un diocèse n’est apparu dans la langue française que tardivement,
bien après ce temps que l’on nomme aujourd’hui « le temps des cathédrales ».
Le nom, proprement dit, tel que nous l’employons de nos jours apparaît, en
effet, seulement au XVIIIe siècle, et ce n’est qu’à la fin de l’époque
moderne que la cathédrale devient un « édifice mémoriel et identitaire »,
ainsi que le souligne Mathieu Lours dès son introduction. « Dès » et non «
dans » son introduction, car l’ouvrage va bien plus loin en déroulant de
manière claire et accessible toute l’évolution, le rôle et le poids des
cathédrales au fil de l’Histoire et des continents. Que sait-on en effet des
cathédrales aujourd’hui au XXIe siècle ? S’élèvent-elles encore ?
Reconstruction de Notre-Dame de Paris mise à part, qu’en est-il ailleurs, en
Afrique, en Russie ou au Moyen-Orient ? Au-delà du pouvoir et des nations,
c’est toute la captivante question de la mondialisation des cathédrales qui
se trouve ainsi posée et analysée, un terrain d’étude fructueux et peu
exploré jusqu’à maintenant. Le lecteur appréciera tout particulièrement le
riche et documenté chapitre venant clore l’ouvrage : « Cathédrale et nations
à l’heure des défis du monde contemporain ».
L.B.K. |
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Patrick
Boucheron : « Les colonnes de San Lorenzo », Collection Fléchette, sun/sun
éditions, 2024.
La collection Fléchette des éditions sun/sun inaugure une série de petits
ouvrages, véritables instantanés dans lesquels dialoguent en une mise en
page soignée et esthétique des images tirées des Archives de la Planète
créée par le célèbre collectionneur Albert Kahn au tournant du XXe siècle et
des auteurs contemporains.
L’historien Patrick Boucheron déjà présenté dans ces colonnes, notamment
pour ses brillantes recherches sur Ambroise de Milan, converse ainsi en ces
pages avec cette autochrome des colonnes de la Basilique San Lorenzo au sud
de Milan. Cet entretien entre l’image et l’historien tient à la fois de la
confession, du dialogue amoureux et de la mémoire.
Entrelaçant souvenirs personnels et réminiscences
échappées de l’Histoire, Patrick Boucheron fait en effet preuve une fois de
plus d’une virtuosité déconcertante, déplaçant son lecteur en ces lieux que
l’auteur arpenta tant de fois, lui donnant presque à revivre ces espaces
naguère foulés par Ambroise de Milan et Augustin d’Hippone… Au fil des pages
quelques portraits s’esquissent, avec délicatesse, tel ce personnage de
Rosetta dont nous apprendrons l’identité qu’au terme de ce parcours dans la
permanence des lieux malgré les disparitions…
Philippe-Emmanuel Krautter |
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« Une autre
histoire des samouraïs - Le guerrier japonais entre ombre et lumière » de
Julien Peltier, 368 pages, Perrin Editions, 2023.
Bushido, seppuku, ronin et autres chanbara n’ont guère de
secrets pour Julien Peltier, grand spécialiste reconnu de l’histoire des
guerriers japonais samouraïs. Si ces termes peuvent nous paraître bien
abscons, l’auteur se fait fort dans cette somme de 368 pages de nous initier
à leur compréhension en une étude à la fois complète et didactique. Julien
Peltier a retenu comme sous-titre « entre ombre et lumière » alors que nous
pouvions penser à tort que ces héros du pays au Soleil Levant n’avaient
connu que la gloire du fait de leur courage et de leurs nombreux faits
d’armes. Mais cette étude a choisi de lever certains mythes et a privilégié
une analyse plurielle pour ces soldats d’élite qui pouvaient tout aussi bien
servir les volontés autocratiques du shogun que terminer comme d’obscurs
hommes de main…
L’auteur débute son ouvrage par une très utile chronologie ainsi que par les
origines de ces redoutables guerriers, avec Tairan no Masakodo (900 ?-940)
que certains considèrent comme le « premier samouraï ». Bras armé de
l’empereur, personnage souvent indiscipliné et pourtant doté d’un code de
l’honneur infaillible, le samouraï accompagnera longtemps le pouvoir en
concentrant en sa personne bien des moyens de contrainte. Si nous avons en
mémoire les fameux samouraïs évoqués dans l’inoubliable film de Kurasawa, le
cinéma japonais et plus tard le manga présenteront d’autres facettes moins
reluisantes de ces guerriers d’élite qui pourront parfois servir aux basses
œuvres. Qu’il s’agisse de leur sexualité, souvent masculine, ou de la
renaissance le temps bref d’un coup de force tel celui de l’écrivain Yukio
Mishima, le mythe du samouraï a encore de beaux jours devant lui ainsi qu’en
témoigne cette belle et riche étude proposée Julien Peltier aux éditions
Perrin. |
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Pindare
: « Œuvres complètes » ; Traduction, annotation, présentation et préface de
Jean-Paul Savignac ; 564 p., relié 18 x 25 cm, Français, Grec ancien, coll.
Classiques favoris N° 10, Éditions Les Belles Lettres, 2023.
Qui connaît encore l’œuvre de Pindare, ce poète naguère loué de toute la
Grèce, avant d’inspirer la Renaissance ? Les éditions Les Belles Lettres ont
confié au grand spécialiste des lettres classiques Jean-Paul Savignac - déjà
présenté dans ces colonnes pour ses travaux sur les Gaulois - le soin
d’établir les Œuvres Complètes dans la belle édition sur papier bible « Les
Classiques favoris » dirigée par Maxence Caron. À l’approche des Jeux
olympiques de 2024, il ne sera pas inutile de (re)découvrir ses Odes
Victoriales adressées aux vainqueurs des Jeux. Cette poésie lyrique chorale
dont Pindare fut l’un des maîtres incontestés plongera le lecteur dans le Ve
siècle av. J.-C. de sa Béotie natale aux portes de Thèbes en – 518, puis
dans toute la Grèce dont il parcourra les hauts lieux, devenant notamment
l’hôte des princes de Thessalie et du roi de Macédoine.
C’est l’art du traducteur que de restituer ce souffle antique qui associa
naguère le poète à un dieu. L’exercice est plus que périlleux pour celles et
ceux connaissant le grec ancien, il relève de la gageure. Comment transcrire
vers à vers le texte du poète ? Jean-Paul Savignac a pris le parti de
renouveler les précédentes traductions en recourant à toutes les subtilités
de la langue française, quitte à bousculer quelque peu l’approche classique
et suivre avec quelques hardiesses la progression du discours dans le grec
même. C’est ainsi par le truchement d’images qui, pour certains, seront
provocations et pour d’autres la « langue du songe » qu’il tente d’approcher
au plus près la langue du poète, réputée pour sa complexité. Que
découvrirons-nous dans ces pages singulières portées par le souffle de la
parole ? La valeur de l’athlète se conjugue à celle des dieux. Plus que la
prouesse sportive, les qualités morales du vainqueur l’emportent, ainsi
qu’en témoignent ces vers :
« Sauveur Haut-nuageux Zeus qui hantes la crête ktonienne
et bénis l’Alphée large coulant et la sainte caverne idéenne,
suppliant de Toi, je viens à même les lydiennes Te Héler, les flûtes,
Te demandant d’armorier de nobles cœurs cette cité,
et que toi, Vainqueur Olympique, que les chevaux poseidâniens
réjouissent, tu portes ta vieillesse allègre jusqu’à la fin,
tes fils, Psaumis, à tes côtés. Que celui qui abreuve bonheur et santé
et, content de ses biens, y ajoute l’éloge,
Ne cherche pas à devenir Dieu ».
Au terme de la lecture de cet ouvrage, jouissive parce que nourrie à ces
heures glorieuses où les Jeux n’étaient pas encore devenus ce qu’ils sont
depuis un siècle, le lecteur ne pourra que comprendre pourquoi Pindare
inspira tant de poètes et fins lettrés tel Ronsard qui le prit pour modèle.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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« Atlas
des guerres – Moyen-Âge, Occident, Byzance et Orient du Ve au XVe siècle »
de Loïc Cazaux, Coll. « Atlas des guerres », Tome 2, 192 pages, Editions
Autrement, 2024.
On retiendra volontiers pour ses atouts et qualités cet « Atlas des guerres
au Moyen-Âge » signé Loïc Cazaux, agrégé, docteur et professeur en histoire
médiévale, et paru aux éditions Autrement. Deuxième titre de cette nouvelle
série dénommée « Atlas des guerres », l’ouvrage offre une féconde analyse
transversale et comparative pour aborder au mieux cette période allant du Ve
siècle au XVe siècle. Prenant appui – comme son titre l’indique, sur de
nombreuses cartes, schémas et focus clairs et pédagogiques, l’ouvrage
s’ouvre sur « Les nouveaux royaumes germaniques en Europe occidentale à
partir du Ve siècle », puis traverse « Les royaumes européens face aux
guerres féodales du Moyen-Age central », avant d’envisager « L’expansion de
l’Empire turc ottoman du XIIe siècle au début du XVIe siècle » pour se
refermer sur la fin de la guerre de Cent Ans.
Évitant bien des écueils ou idées préconçues sur cette période
incontournable de l’histoire, ni image d’Épinal ni moyen Âge obscur, c’est
une analyse, en effet, globale ayant pour clef de lecture la guerre, les
batailles et les conflits que ce dernier livre au lecteur. La bataille de
Roncevaux, les Vikings, les croisades, la bataille de Bouvines, les
chevaliers Teutoniques, la guerre des Deux-Roses, pour ne retenir que
quelques titres témoignent et révèlent l’évolution du monde sur plus de dix
siècles. Distinguant le haut, moyen et bas moyen Âge, c’est tout autant en
effet l’évolution de l’Occident latin, de l’Orient ou encore de Byzance qui
se dévoilent ainsi à la compréhension. L’ouvrage propose ainsi véritablement
une géopolitique comparée des espaces médiévaux, une approche claire et
didactique permettant une meilleure compréhension du monde non seulement
d’hier, du Moyen-Âge, mais aussi de celui d’aujourd’hui. |
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«
Pompéi » de Pascal Charvet, Stéphane GOMPERTZ, Annie Collognat, Bouquins,
2023.
Au lecteur qui penserait tout connaître de la légendaire ville sortie des
cendres, cet ouvrage lui est destiné ! Les très nombreuses découvertes
archéologiques réalisées ces dernières années grâce aux grands travaux
entrepris par l’État italien et l’Union européenne révèlent en effet de
nombreuses et nouvelles facettes de cette cité plurielle au carrefour de
Rome et de l’Orient. La date fatidique du 24 octobre 79 et le témoignage de
Pline le Jeune évoquant l’éruption fatale du Vésuve pour la cité romaine,
témoignage rappelé en avant-propos de l’ouvrage sont éloquents quant à
l’ampleur de la catastrophe : « On voyait des hommes à qui la peur de la
mort faisait supplier la mort elle-même »…
La luxuriance du paysage idyllique de Pompéi, sa douceur et la clémence de
son climat contrastent avec cette tragédie digne de la fin des temps ainsi
que la perçurent les contemporains de cette dramatique éruption mettant un
terme à l’histoire de Pompéi. Un terme remis fort heureusement en question
par ce stimulant ouvrage collectif qui redonne vie à ces habitants et à leur
vie quotidienne, à ces ruelles, jardins, thermes et même lupanars dans
lesquelles nous pouvons encore déambuler grâce à ces fabuleuses promenades
proposées dans cet ouvrage, 37 promenades précisément sans oublier le
dictionnaire de vies des Pompéiens qui ajoute encore à cette « proximité »
malgré les siècles qui nous séparent d’eux.
Vie et non point désastre, vitalité et non destructions, voici ce qu’offre
ce fort volume de 1152 pages abondamment illustré et nourri des analyses des
meilleurs spécialistes sur la célèbre cité antique. Une promenade hautement
dépaysante et instructive dans l’Histoire et la géographie antiques. |
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Henri
Pirenne : « Histoires de l’Europe - Œuvres choisies », Quarto Gallimard,
2023.
Le nom d’Henri Pirenne (1862-1935) est étroitement associé à l’étude des
origines de l’Europe et de sa lente construction. Cet éminent historien
belge compte parmi les chercheurs incontournables de la fin du XIXe et début
du XXe s., ce pourquoi la collection Quarto des éditions Gallimard vient de
lui consacrer un fort volume réunissant ses œuvres principales. Médiéviste
réputé, formé à l’historiographie allemande, sa méthode l’a porté à
renouveler le champ de ses recherches notamment à partir de deux axes
essentiels : l’histoire urbaine et la part grandissante de l’Islam à partir
du VIIe siècle. À l’image d’un Marc Bloch ou d’un Lucien Febvre, ses
contemporains, Pirenne explore avec une puissance de travail phénoménale
l’Europe médiévale dans son ouvrage – probablement le plus connu - «
Histoire de l’Europe » publié au terme de la Première Guerre mondiale,
partant de la fin du monde romain et des royaumes barbares jusqu’à la
Renaissance et la Réforme.
Avec « Les villes du Moyen Âge » rédigé en 1927, Henri Pirenne retrace en
une synthèse particulièrement éclairante l’émergence des villes du Moyen Âge
avec ses cités et ses bourgs, la renaissance du commerce avec ses marchands
avant la formation des plus grandes villes et l’essor de la bourgeoisie.
Mais, le maître ouvrage de Pirenne demeure certainement son « Mahomet et
Charlemagne » publié après sa mort en 1937. Avec un angle plus que novateur
à l’époque, l’historien étudie un domaine souvent sous-estimé à l’époque à
savoir l’expansion de l’Islam dans toute la Méditerranée…
D’autres ouvrages complètent ce Quarto notamment « Méthodologie de
l’Histoire » réunissant des articles et discours de l’historien allant de
1886 à 1931, « Économie et Société » avec des textes de maturité sur le
capitalisme, l’Instruction des marchands au Moyen Âge, les vins de France…
Pour finir, des articles et discours sur la Nation belge ont été réunis,
témoignant également de l’engagement de l’historien dans son temps. |
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«
L’envers du Grand Siècle – Madame Palatine, le défi du Roi-Soleil » de
Thierry Sarmant, 350 p., Coll. « Au fil de l’Histoire », Editions
Flammarion, 2024.
Comment ne pas souligner la parution chez Flammarion de ce captivant ouvrage
« L’envers du Grand Siècle – Madame Palatine, le défi du Roi-Soleil » signé
Thierry Sarmant, historien, conservateur général du patrimoine aux Archives
nationales et auteur déjà de plusieurs biographies remarquées. Prenant appui
sur les destins croisés de Louis XIV et de Madame, sa belle-sœur, la
princesse palatine, l’auteur nous offre un éclairage aussi plaisant
qu’instructif. Car, des plus informés, mais loin d’être rébarbatif et non
dénué d’humour et de clins d’œil, cet ouvrage livre au lecteur une multitude
de précisions et détails sur la vie de Cour sous le règne du Roi-Soleil.
Lignées, protocole et intrigues… allant des plus grandes questions du
pouvoir et de la puissance du royaume jusqu’aux menus détails des sentiments
et vies intimes, nous découvrons en effet par le jeu des destinées et liens
croisés du Roi-Soleil et de Madame Palatine bien des enjeux et par, là-même,
« L’envers du Grand Siècle ».
Mœurs, goûts et divertissements, art, lecture et bibliothèques ou religions,
Louis et sa belle sœur, bien que très proches, ont peu de goût ou points de
vue communs, sans directement s’opposer, leurs opinions divergent le plus
souvent… La seconde épouse de Philippe, duc d’Orléans, frère cadet du roi,
est en effet une princesse franche, directe et spontanée ainsi que l’atteste
sa correspondance qui fait d’elle l’un des témoins privilégiés de ce règne.
Et, si le roi apprécie sa compagnie et aime surtout chasser avec elle, il
n’en sera pas toujours ainsi et bien des turbulences et ombrages marqueront
cette relation de plus de quarante années…
De cette fructueuse confrontation entre les prises de position du monarque
français et celles souvent plus tranchées de l’Allemande Élisabeth-Charlotte,
c’est véritablement la vie de Cour, de Versailles, Marly ou encore
Fontainebleau, celle des salons dorés jusqu’aux antichambres et couloirs
dérobés, du faste du règne de Louis XIV aux facettes moins connues de ce
XVIIe siècle finissant qui revivent sous la plume de Thierry Sarmant. |
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« 30
ans après… Soljenitsyne en Vendée », Philippe de Villiers, Dominique
Souchet, Hervé Louboutin et Benoît Castillon du Perron, Éditions L’Enchanteur,
2023.
Il y a des moments où l’Histoire elle-même rencontre la Grande Histoire ;
tel fut assurément le cas lorsque, Il y a trente ans, en 1993, Soljenitsyne,
« l’homme du Goulag », après des années d’exil aux USA, vint en France.
Réhabilité quelques années auparavant par Gorbatchev, il rentrera en Russie
au printemps 1994. Mais, auparavant, en ce mois de septembre 1993, l’auteur
de « L’Archipel du Goulag » et du « Pavillon des cancéreux », fut l’invité
d’honneur de Philippe de Villiers en Vendée, alors même que l’ancienne
région du Bas-Poitou commémorait le bicentenaire du soulèvement des Vendéens
de 1793 ; 1793, rappelons-nous : la Terreur ! En Vendée, la rébellion
s’organise autour de l’ancien officier de la Marine Royale, Charrette. Elle
sera réprimée dans le sang, un effroyable massacre qui hante encore les
mémoires et dont témoignent les vitraux de l’Église des Lucs-sur-Boulogne.
Soljenitsyne avait enfant lu l’histoire de ces Vendéens, de la révolution et
de la terreur, et c’est avec émotion qu’en cette année 1993, alors âgé de
presque 75 ans, il visite la Vendée, découvre la ville du Puy-du-Fou et
inaugure, le 25 septembre 1993, le Mémorial des Lucs-sur-Boulogne… Dans son
discours, le Prix Nobel de littérature soulignera tout le symbolisme et les
parallèles qu’évoque pour lui cette révolte paysanne vendéenne ; un discours
qui marqua les esprits…
Aujourd’hui, en 2023, « 30 ans après… », Philippe de Villiers, Dominique
Souchet, Hervé Louboutin et Benoît Castillon du Perron se souviennent de ce
jour où l’Histoire s’entrechoqua et où les mémoires se firent plus encore
Mémoire… Le lecteur retrouvera dans cet ouvrage, largement illustré de
photographies, le discours d’Alexandre Soljenitsyne, mais aussi ceux d’Alain
Decaux et de Philippe de Villiers, suivis pour cette édition de plusieurs
textes témoignant aujourd’hui de cette rencontre, de ces rencontres avec
l’Histoire.L.B.K. |
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Caroline Fourgeaud-Laville : « Grec ancien express » ; Illustrations de
Djohr, Révisions d’Adrien Bresson et de Dorian Flores, Coll. « La vie des
Classiques », Éditions Les Belles Lettres, 2023.
Avec cet ouvrage « Grec ancien express », la langue d’Homère et d’Eschyle
retrouve en quelque sorte vie grâce à une méthode aussi plaisante que
rigoureuse. En revisitant l’aspect souvent austère et rebutant de nos
grammaires d’antan, l’auteur, Caroline Fourgeaud-Laville, Docteur ès
lettres, promouvant l’apprentissage du grec ancien en classes primaires,
offre une véritable méthode associant parole et fondamentaux grammaticaux.
Progressive et sous forme de leçons (pouvant être menées seul ou avec un
enseignant), cette méthode initie également à la culture grecque antique
souvent indissociable de la langue même.
En 24 étapes de 50 minutes chacune, cet apprentissage répondra aux diverses
attentes, qu’il s’agisse d’une démarche de culture générale, d’apprentissage
scolaire ou d’une révision de connaissances anciennes.
Zoé, Ulysse et Socrate seront les interlocuteurs privilégiés pour des
dialogues vivants conçus par l’auteur pour chaque leçon grammaticale, une
manière ludique et efficace de se (re)mettre au grec ancien dans la bonne
humeur ! |
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Démosthène : « Discours » sous la direction de Pierre Chiron avec la
collaboration de Vincent Azoulay, Matthieu Fernandez, Camille Rambourg et
Frédérique Woerther, 1344 pages, Editions Les Belles Lettres, 2023.
Beaucoup d’idées préconçues ont circulé - et circulent encore - sur le grand
orateur grec Démosthène (384-322 av. J.-C.) La monumentale édition de ses «
Discours » qui vient de paraître aux Belles Lettres ( 1 344 pages) sous la
direction de Pierre Chiron devrait assurément contribuer à une plus juste
évaluation de la place tenue non seulement par l’éminent orateur athénien,
mais aussi de son rôle politique, reconsidéré, sans oublier sa dimension
philosophique également présente dans son important corpus. Les auteurs ont
pour cette nouvelle édition entrepris un important travail de traduction,
l’option inédite retenue étant notamment de rendre plus lisible et surtout
plus audible le style et la pensée de celui dont l’éloquence est passée à la
postérité depuis le IVe siècle avant notre ère. Choix a également été fait
de présenter pour cette édition l’intégralité des 63 discours selon un ordre
chronologique.
Cet angle judicieux présente l’immense mérite de rendre beaucoup plus
lisible l’évolution de la pensée de Démosthène, une pensée forcément
influencée par les succès mais aussi les vicissitudes qui parsemèrent son
parcours. Farouche partisan de la liberté, Démosthène usa de l’éloquence non
point comme une fin en soi mais comme moyen de préserver cet espace menacé à
l’heure de la conquête de son pays par Philippe de Macédoine auquel il
s’oppose dès son premier discours. Contre la servitude et la soumission du
peuple, l’orateur souligne les failles de la démocratie à Athènes au IVe
siècle. Il est vrai que dès son jeune âge, orphelin, Démosthène eut à lutter
contre l’adversité et ses tuteurs qui dilapidèrent ses biens. Il fallut
cette pugnacité précoce pour lui permettre de forger progressivement de
nouvelles armes sur l’art de convaincre les Athéniens de sortir de leur
apathie face au péril macédonien grandissant.
Rien n’échappe à sa vigilance et le citoyen lucide incite et encourage ses
contemporains à renforcer une armée en déshérence et à combattre la
corruption qui gagne même les rangs athéniens. Sa célèbre opposition face à
un autre grand et célèbre orateur, Eschine, acquis à la cause macédonienne,
demeure un morceau d’anthologie, ce qui n’empêchera pas la défaite des
armées grecques à Chéronée.
Cet esprit combatif qui fut sa force sera, cependant, également cause de sa
chute : Démosthène, alors qu’Athènes subit une défaite cuisante, reconnaît
lui-même, en effet, sa part de responsabilité dans le fameux Discours sur la
couronne daté de 330, exigeant d’être lu pendant trois heures d’affilée…
Le lecteur de cette dernière et remarquable édition pourra à loisir retenir
une lecture chronologique ou passer d’un sujet à l’autre. Par ces célèbres
Discours, Démosthène a couvert non seulement les thèmes politiques et
judiciaires qui ont bâti sa réputation mais également des discours de
cérémonies et autres développements philosophiques (grandeur de l’homme et
de ses valeurs morales) témoignant ainsi de la richesse de l’oralité de leur
auteur. La profondeur de sa pensée n’a d’égal que cet amour fou qu’il ne
cessa de porter à sa cité dont la grandeur reste indissociable de la
liberté. |
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« Aux
origines de la monnaie » ; Sous la direction d’Alain Testart, Éditions
Errance & Picard.
Les éditions Errance & Picard ont eu l’heureuse initiative de publier une
réflexion collective à la fois ardue et néanmoins nécessaire sur les
origines de la monnaie. Cet élément du quotidien, ô combien trop présent
dans nos vies, n’a pas été depuis l’aube de l’humanité de soi, tant s’en
faut, et son apparition pose encore aujourd’hui de multiples questions sur
son rôle et place.
Ainsi que le souligne Alain Testart en introduction, la monnaie a une double
nature : son aspect « sonnant et trébuchant », tout d’abord, qui nous est
familier et qui l’assimile aux pièces de métal plus ou moins précieuses
selon les époques et les lieux. Mais la monnaie peut également prendre la
forme des matériaux les plus divers servant à quantifier les échanges entre
les hommes, cette dernière forme étant celle qui intéresse plus
particulièrement ce passionnant dossier. Nos sociétés modernes ont en effet
du mal, même à l’heure des cryptomonnaies, à abandonner toute référence aux
valeurs « matérielles » qu’elles fassent référence à l’argent ou à l’or. Ces
étalons demeurent ancrés dans nos consciences, signe de la prégnance de la
monnaie et de son origine.
Cette dernière sous la forme de pièces semble être apparue au VIe av. J.-C.
en Lydie en Asie Mineure pour rayonner rapidement en Perse, en Grèce et
jusqu’en Gaule. Mais l’ouvrage cherche surtout à explorer ce qu’était la
monnaie avant « les monnaies » dites « en pièces », une longue histoire qui
se perd dans la nuit de temps et que cette réflexion collective entend
remonter. Alain Testart analyse ainsi dans le détail la monnaie non
métallique comme moyen d’échange et de paiement dans les sociétés
primitives. Jean-Jacques Glassner s’intéresse, pour sa part, à la question
d’une monnaie en Mésopotamie au IIIe millénaire avant notre ère, alors que
Bernadette Menu étudie sa place dans la société égyptienne sous les
pharaons. Un dernier développement sur la monnaie chinoise clôt cet ouvrage
passionnant qui nous fera porter un autre regard sur les petites pièces de
notre porte-monnaie ! |
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«
Histoire Auguste et autres historiens païens » ; Édition et traduction du
latin par Stephane Ratti, 1328 pages, 104 x 169 mm, Collection Bibliothèque
de la Pléiade (n° 665), Gallimard, 2022.
Le IVe siècle romain de notre ère connaît un tremblement jusqu’à ses
fondations. La religion minoritaire, naguère combattue jusqu’en ses
catacombes, deviendra l’unique religion officielle de l’empire par volonté
de l’empereur Théodose le 8 novembre 392. De Constantin à Théodose près d’un
siècle suffira, en effet, à bouleverser les piliers de la culture romaine.
C’est dans ce contexte pour le moins troublé que s’inscrivent les historiens
antiques du présent volume traduits et édités par Stéphane Ratti, lui-même
historien et que nos lecteurs connaissent bien pour avoir collaboré à notre
revue.
D’emblée, le spécialiste de l’antiquité donne le ton : « Les historiens
réunis dans ce volume sont tous païens », une indication précieuse
permettant de mieux apprécier le regard et témoignages d’hommes concernés au
premier plan par le vacillement des traditionnelles valeurs romaines. Alors
que ces lettrés ont été nourris au fond antique de la Rome éternelle, le
nouvel ordre chrétien leur impose de nouvelles valeurs et un fondement
sensiblement différent de ce qu’ils avaient connu jusqu’alors. C’est sous
ces empereurs nouvellement chrétiens – par choix stratégique ou par vertu –
que les auteurs antiques réunis dans cet ouvrage occuperont des postes
officiels et « s’avancent masqués » ainsi que le souligne Stéphane Ratti en
sa présentation.
Depuis Hermann Dessau à la fin du XIXe siècle, ce texte énigmatique de
l’Histoire Auguste a fait couler beaucoup d’encre, l’élève de Mommsen
estimant, en effet, que derrière ces différents auteurs de biographies des
empereurs se cacherait un seul et même historien ayant emprunté différents
pseudonymes… Stéphane Ratti rappelle que parmi tous les prétendants à la
paternité de l’Histoire Auguste, Nicomaque Flavien l’Ancien, aristocrate,
préfet du prétoire d’Italie, figurerait en première place, cette plume
acerbe et souvent ironique n’hésitant pas à se lancer dans de sévères
diatribes, moquant tour à tour les Pères de l’Église et même les Évangiles !
Et c’est peut-être l’un des charmes de ce recueil atypique que d’offrir un
regard décentré et critique sur son temps, exercice toujours périlleux pour
l’époque. A l’évidence et pour conclure, il ne faudra pas prendre l’ «
Histoire Auguste et autres historiens païens »pour un livre d’Histoire au
risque de sévères déconvenues, tant les incohérences et anachronismes sont
nombreux. Cependant, l’un des attraits d’une lecture contemporaine de cette
somme réside certainement – pour les non spécialistes – dans le style
littéraire et les frontières ténues entre histoire et écrit romanesque que
révèlent ces pages toujours passionnantes qu’a su rendre vivantes et alertes
Stéphane Ratti dans cette nouvelle traduction.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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Donatien Grau : « La mémoire numismatique de l’Empire romain », Editions Les
Belles Lettres, 2022.
Avec cette riche et volumineuse étude, Donatien Grau nous introduit à la
découverte d’un monde merveilleux et insoupçonné, celui de l’histoire de
l’Empire romain à partir de ses monnaies, véritable source rarement visitée.
Alors que les textes littéraires et épigraphiques s’avèrent souvent
fragmentaires et sujets à discussion, cette masse monétaire qui dort
injustement dans nos musées a pourtant tant à nous dire ainsi que le
démontre cette somme d’une remarquable clarté pour un sujet aussi aride.
Le grand historien de cette période, Alexandre Grandazzi, qui signe la
postface ne s’est pas trompé en relevant combien Donatien Grau, par cette
quête historique d’une rare ampleur, parvient à faire « parler » ces
multiples pièces de monnaie en un véritable ensemble à considérer dans sa
globalité. Fruit de la rigueur romaine, le monnayage provient en effet
directement de l’autorité étatique en un temps et un espace donnés évoluant
selon les chronologies des conquêtes. Cet ensemble unique peut grâce à
l’éclairage donné par l’auteur nous parler et nous apprendre ou confirmer
une multitude d’enseignements à la fois économiques, sociaux, mais aussi
politiques ou encore culturels.
Il apparaît ainsi que la monnaie impériale romaine peut être perçue comme un
discours de ce même pouvoir impérial avec ses instruments rhétoriques, tout
comme un instrument de mémoire. Conviant pour cela de multiples disciplines
telles la philologie, l’iconographie ou encore l’analyse littéraire, cet
immense corpus des monnaies impériales, qui à n’en pas douter fera date,
livre de nouvelles pages d’histoire avec ses vicissitudes (damnatio memoriae)
comme ses heures de gloire (victoires et conquêtes).
Un ouvrage qui offre un nouveau et passionnant regard sur les monnaies
antiques romaines impériales. |
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« Le
Grand Atlas des dragons et Chimères » ; Collectif ; Cartonné, 21.5 x 29.3
cm, 176 pages, Coll. Histoire, Editions Glénat, 2021.
Les dragons et autres chimères ont de tout temps fasciné les hommes et
habité leur imaginaire. Aussi est-ce une heureuse découverte que de
parcourir les pages de ce « Grand Atlas » dédié à ces mythiques créatures
aux éditions Glénat.
Extraordinaires ou réels, les dragons et chimères présents dans la
quasi-totalité des civilisations sont multiples, extrêmement variés et
sources dès lors de bien des malentendus. Comment les connaître et les
reconnaître ? Certains semblent même avoir mis leur légende au service de la
ruse pour mieux encore nous tromper et nous dérouter. Ainsi connaissez-vous
Le Dragon de Beowulf ou encore le Quetzacoaltl ?
L’ouvrage, appuyé par une vaste iconographie, fourmille de légendes et
d’informations sur ces fantastiques créatures que sont les dragons et
chimères. Mais, ce « Grand Atlas » ne se limite pas à cette seule approche –
déjà riche – et a également étendu son étude aux relations étroites qu’ont
toujours entretenues les dragons et les hommes. Une deuxième partie
instructive dans laquelle on pourra découvrir « Le dragon médecin », mais
aussi ceux de la peinture ou encore plus proche de nous « Les dragons de l’heroic
fantasy ». Le lecteur pourra même découvrir que certains dragons existent
peut-être même pour de vrai !
La dernière partie, enfin, de ce fantastique ouvrage est consacrée à cette
histoire souvent méconnue, celle de la « dragonologie ». Eh, oui, les
dragons et autres chimères, c’est toute une histoire, une histoire qui
méritait bien un « Grand Atlas » ! |
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Marcel
Detienne : « La notion de Daïmon dans le pythagorisme ancien », Les Belles
Lettres éditions, 2021.
En offrant une nouvelle édition de cet ouvrage désormais classique paru pour
la première fois en 1963, les Belles Lettres rendent un hommage mérité au
célèbre et regretté helléniste Marcel Detienne disparu en 2019. Cet
historien anticonformiste fut très tôt remarqué en analysant la notion de «
daïmon » successivement en une dimension initiale religieuse puis
philosophique. Cette étude exigeante se trouve être la plus parfaite
démonstration de la méthode de l’auteur qui n’hésitait pas à reconnaître la
dette qu’il avait contractée auprès de chercheurs guère en vogue dans
l’université tel Georges Dumézil. Croisant, comparant et rapprochant des
domaines souvent éloignés au regard des disciplines habituellement plus
rigides, l’historien et anthropologue comparatiste sut briser les barrières,
ce qui lui fit apprécier très tôt la démarche structuraliste adoptée par
Claude Lévi-Strauss.
En recherchant ce qui rapproche les notions primitives du daïmon – que l’on
traduira par facilité par « démon » - de celles du pythagorisme, Marcel
Detienne rappelle tout d’abord que cette notion recouvre différentes
significations pouvant aller du domaine agricole à celui des rêves en
passant par celui de la vengeance, différentes facettes d’une expérience
religieuse des vivants à l’égard du monde invisible. L’helléniste dans ces
pages érudites analyse cette transition entre un premier plan « mythique » à
un stade philosophique et rationnel qui sera le fait des premiers
pythagoriciens. Plus que Xénocrate, disciple de Platon et auteur d’un essai
sur la démonologie rationnelle, Marcel Detienne souligne combien la pensée
religieuse du pythagorisme apportera des développements décisifs sur la
question en passant d’une notion équivoque à un concept univoque. Les VIIe
et VIe siècles connaitront ainsi une mutation décisive de la conscience
religieuse selon l’auteur avec Pythagore et ses disciples. Grâce à ces
penseurs, il sera possible de distinguer des démons « bons et pleins d’amour
pour les hommes », esprits provenant d’hommes ayant eu de leur vivant une
vie vertueuse. Cette pratique de la vertu confèrera à ces entités
intermédiaires une force inférieure à celle des dieux mais supérieure à
celle des hommes qu’ils pourront guider et aider.
Cet essai, incontournable, démontre de manière éclatante comment une pensée
philosophique peut s’élaborer à partir d’une pensée religieuse et ainsi
modifier « substantiellement » le concept initial. |
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John
Scheid, Nicolas Guillerat et Milan Melocco : « Infographie de la Rome
antique » ; 23 x 29, 128 p., Éditions Passés /Composés, 2020.
Impressionnant, tel est le premier sentiment qui gagne le lecteur de cette
monumentale « Infographie de la Rome antique » ! En 128 pages, cet ouvrage
nourrit l’ambition d’appréhender des milliers de km2 de territoire, des
millions d’habitants, ainsi qu’une succession de régimes allant des
premières royautés jusqu’à l’empire implosant de son poids à la fin du Ve
siècle en passant par la République… Un tel exploit n’eut été possible sans
la science du grand historien de la Rome antique John Scheid accompagné pour
cette tâche immense par Milan Melocco, et conjugué au génie graphique de
Nicolas Guillerat. Combien de générations soupireront de ne pas avoir eu
plutôt un tel outil en classe…
Fort heureusement, cette didactique entreprise est désormais accessible
grâce à ce que l’on nomme la datavisualisation. Derrière ce terme un brin
barbare se cache une réalité bien connue, celle des organigrammes et autres
représentations graphiques permettant de mettre en évidence les multiples
données chiffrées de manière organisée, sous forme de cartes, organigrammes,
plans, cartes… L’effet visuel est une réussite, le monde romain lève
progressivement le voile de sa complexité, et cette succession de faits et
d’évènements trouve une cohérence et un fil évolutif grâce à l’érudition des
auteurs. Le plan de la Rome antique laisse apparaître ses monuments les plus
célèbres en une vue détaillée, les multiples régimes politiques se trouvent
schématisés, alors que les complexes institutions politiques, juridiques et
administratives, dont nous avons en grande partie héritées, sont présentées
avec clarté.
L’ouvrage limité pourtant à 128 pages parvient à entrer dans l’explication
détaillée de la composition des fameuses légions romaines, équipements et
tactiques. Les commentaires clairs et incisifs soulignent l’essentiel et
accompagnent la lecture des données graphiques, page après page.
Après une telle lecture, le monde romain antique malgré la complexité du
long terme et de ses différentes facettes semble presque familier, une
réussite à mettre au crédit des auteurs manifestement inspirés par l’ampleur
de la tâche !Philippe-Emmanuel
Krautter |
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« Atlas
historique du Proche-Orient ancien », sous la direction de Martin Sauvage,
XXII + 218 pages, Relié, 30.6 x 38.3 cm, Belles Lettres éditions, 2020.
Au regard de la richesse et de l’importance du thème traité, le
Proche-Orient, il fallait assurément un ouvrage en conséquence. Un pari que
relève avec brio cet « Atlas historique du Proche-Orient ancien » ! Près de
20 000 ans déterminants pour l’humanité sont, en effet, couverts par cet
Atlas d’envergure, aussi bien sur la forme que le fond. D’un format généreux
(30,6 x 38,3 cm) afin de profiter de la clarté des cartes représentées,
mettant en valeur le relief, soulignant les fleuves et frontières, cet Atlas
historique fait en quelque sorte revivre l’histoire des hommes et des
civilisations dans cette région clé du monde antique.
Les sujets de fond abordés sont également à la hauteur de cette
présentation, avec le concours d’une cinquantaine de contributeurs, experts
reconnus et jeunes chercheurs mettant en commun une somme impressionnante de
connaissances, et livrant ainsi le dernier état de la recherche sur ces
thématiques riches et fertiles. Il est bien connu de nos jours combien des
éléments clés de toute civilisation, telle notamment l’écriture, sont nés
dans cette région même du monde, au sud de l’Irak. Ces premiers signes
cunéiformes furent en effet conçus afin de comptabiliser notamment les
récoltes de céréales, dont le fameux épeautre, nées de la sédentarisation
des hommes dans ces régions.
Géographie, géologie, météorologie et végétation, tous ces facteurs ont
concouru et concourent aux faits historiques et aux développements
ultérieurs. C’est l’une des leçons d’ailleurs les plus fascinantes de cet «
Atlas historique du Proche-Orient ancien » - en plus de livrer de
somptueuses cartes – que d’offrir une réelle mise en relation de disciplines
souvent distinctes et encore trop cloisonnées pour le néophyte. À partir de
ces fondamentaux parfaitement représentés en des cartes d’une lisibilité
exemplaire, le lecteur pourra découvrir la lente constitution de
civilisations bâtisseuses avec ses premières grandes villes entraînant
conquêtes et empires, dynasties et royautés.
Tour à tour macroscopiques ou faisant un focus sur une région bien précise,
les cartes de cet Atlas font défiler une à une les pages de l’humanité dans
cette région clé du monde, une belle leçon d’histoire et de géographie. |
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Susan
Woodford : « Comprendre l'art antique » ; Traduction de l’anglais par
Camille Fort, Coll. L'art en poche, 176 p., 140 x 216 mm, Couleur, Broché,
Éditions Flammarion, 2020.
Dans la collection « L’art en poche », Susan Woodford est parvenue avec «
Comprendre l’art antique » à concentrer plus de deux mille ans d’art
antique, partant des Grecs jusqu’aux Romains. Jetant les bases de
l’occident, ces deux civilisations apporteront, en effet, jusqu’à la
Renaissance qui s’en réclamera, des créations artistiques incontournables
dans l’histoire de l’art. Ainsi que le souligne l’auteur dès l’introduction
de cet opuscule très pédagogique, l’art en ces périodes se doit de prendre
en compte des nécessités pratiques extrêmement coûteuses, notamment celles
qu’imposent la sculpture et la peinture, aussi l’art antique se voit-il
réservé à des fonctions importantes liées au pouvoir. L’auteur, Susan
Woodford entend surtout démontrer que l’art antique romain ne saurait être
ramené sans nuances à l’art grec, un art ayant lui-même emprunté à l’art
égyptien... C’est cette compréhension de l’art antique que le lecteur pourra
au fil des pages découvrir.
Si les Grecs empruntent, en effet, aux Égyptiens leur technique pour
sculpter la pierre, c’est cependant pour mieux s’en départir.
Progressivement, les formes sculptées s’animent comme pour ces statues de
femmes drapées d’étoffes souples, les décors s’organisent pour constituer
une narration de plus en plus complexe où l’architecture tient sa place. La
peinture s’invite également dans l’art grec, les artistes étant à l’origine
de représentations sous la forme de tableaux avec leurs formes arrondies. De
nouvelles narrations sont inventées sur les amphores, se faisant souvent
l’écho de la poésie orale…
Même si certains auteurs ont contesté l’idée d’un art romain en tant que tel
en raison de l’importante reprise du modèle grec, il demeure que
progressivement, les artistes romains parviendront à imposer de nouvelles
créations soulignant les vertus romaines. L’art est en effet accepté chez
les Romains à partir du moment où il possède un usage social et moral. De
Fabius, premier artiste romain au IIIe s. av. J.-C., aux sculptures de
qualité de plus en plus dégradées du IIIe s. de notre ère, l’ouvrage retrace
les évolutions, influences et dérives d’un art contrasté selon sa finalité
officielle ou privée avec la nobilitas. Dans ce dernier cas, les peintures
ornant les villas romaines rivalisent de beauté et de décors somptueux, et
dont certaines sont parvenus intacts jusqu’à nous (Pompéi, musée national de
Rome,…).
De tous les débris occasionnés par les ravages du temps depuis la fin de ces
civilisations, il serait trompeur de penser que l’art antique se résume à
quelques colonnes ou sculptures, et ce petit ouvrage clair et accessible en
fait la plus parfaite démonstration ! |
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Alain
Schnapp : « Une histoire universelle des ruines - Des origines aux Lumières
» ; 744 p., Colle. La Librairie du XXIe siècle, Editions Seuil, 2020.
Les ruines, pour Alain Schnapp, l’auteur de cet excellent ouvrage, ne sont
pas synonymes de désolation, tant s’en faut pour cet historien et
archéologue réputé. Le questionnement sur les ruines de l’auteur également
d’une remarquable « Histoire des civilisations » présentée dans ces
colonnes, trouve son prolongement avec ce fort et beau volume pour le monde
ancien.
« Une histoire universelle des ruines » explore cette attraction pour notre
passé suscitée par ces vestiges de civilisations disparues et dont le
rayonnement transparaît encore à partir de ces restes laissés en témoignage.
Le goût pour les ruines est fort ancien, et même si le philosophe stoïcien
Sénèque avouait au Ier siècle de notre ère un mépris certain pour cette
attirance qu’il jugeait inutile. Notre société occidentale dès les
humanistes et les siècles suivants voueront, en effet, un culte certain à
leur encontre, tel Diderot dans son poème en prose, ou encore les
inoubliables descriptions laissées par Chateaubriand.
Que nous racontent ou murmurent ces témoignages du passé, souvent rongés par
le temps ? En un curieux retour de la culture à la nature, déjà relevé par
Georg Simmel, lorsque ces matériaux s’effritent et se confondent aux
éléments, les ruines révèlent l’impermanence de notre condition humaine et
de ses créations. Le rapport entretenu par les civilisations avec leurs
ruines sont sources d’autant de significations et constitue alors un objet
de recherche infini pour Alain Schnapp.
Ces assemblages de pierre et autres matériaux ont souvent plus à nous dire
que leur seule architecture. La ruine ne peut se concevoir que selon le
regard que l’on porte sur elles souligne Alain Schnapp, et l’exemple des
pyramides d’Égypte ou des alignements de Stonehenge, indépendamment de leur
monumentalité, n’ont de sens qu’à partir du moment où il est encore possible
de les interpréter. Les différents monuments étudiés dans cet ouvrage aux
magnifiques illustrations provoquent chez ceux qui les regardent tout un
réseau de dialogues plus ou moins étendus selon leur état. De la ruine aux
décombres, en passant par les vestiges, ce sont ces voix si chères à Malraux
qui demeurent alors plus ou moins audibles, et que l’historien et
archéologue Alain Schnapp explore dans ces pages en de lumineux
développements. Chaque époque révèle ainsi, selon le sort qu’elle réserve à
ses ruines, son identité.
Du Néolithique jusqu’aux confins de la terre, cet ouvrage fait défiler ces
témoignages, parfois fugaces, à peine lisibles ou au contraire monumentaux,
en soulignant ce qu’ils ont encore à transmettre, un souvenir adressé aux
temps présents et futurs. Ce dialogue avec les ruines donne lieu à des
paradoxes saisissants comme pour cette première image d’une vue d’un temple
d’Angkor enserré par les lianes d’un ficus plus géant que l’édifice, ou
encore ces « Méditations sur les révolutions des empires » proposées par
Volney en une prière laïque.
Cette belle aventure universelle des ruines ne pourra que combler le
lecteur, tant pour sa science que sa poésie, un parcours sur le long terme
qui suscitera à n’en pas douter à un questionnement quant à notre propre
rapport aux ruines, et à celles que nous laisserons aux générations futures…
Philippe-Emmanuel Krautter |
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«
L'Antiquité retrouvée », 4e édition, revue et augmentée, de Jean-Claude
Golvin, Aude Gros de Beler, Éditions Errance, 2020.
Le travail de Jean-Claude Golvin n’est plus à présenter, lui, ce talentueux
architecte et directeur de recherche au CNRS qui a su majestueusement
redonner vie de la plus belle manière qui soit à l’Antiquité grâce à ses
aquarelles soignées. Il ne s’agit point là de vues d’artistes, plus ou moins
romantiques, auquel le passé nous avait habitués. C’est en une véritable
connaissance intime et scientifique du terrain – Jean-Claude Golvin a dirigé
pendant dix ans le Centre franco-égyptien de Karnak – que son travail trouve
ses sources. Alliant rigueur archéologique au talent de dessinateur,
l’Antiquité reprend vie sous la plume aquarellée de l’auteur.
Approfondissant le concept de « restitution », Jean-Claude Golvin souligne
que proposer au XXIe siècle une image la plus fidèle possible du site de
Delphes, du temple d’Amon à Karnak ou encore du Colisée de Rome ne peut se
réaliser qu’à l’aide de sources fiables et nombreuses telles que des
dessins, textes anciens, mosaïques et bas-reliefs, sans oublier les vestiges
archéologiques parvenus jusqu’à nous.
C’est dans l’appréhension et le traitement de ces milliers de données,
forcément parcellaires et souvent dispersées, que réside l’art de synthèse
et de rigueur de l’auteur pour ces magnifiques dessins. Sans se perdre dans
les méandres des ruelles de la Rome antique, Jean-Claude Golvin parvient
cependant à en rendre la richesse. Et si les personnages n’apparaissent que
très rarement, et en taille à peine visible, c’est pour mieux mettre en
évidence la vie des édifices et des sites qui livrent un témoignage
suffisamment évocateur du génie de ces civilisations.
« L’Antiquité retrouvée » mérite bien son titre en redonnant vie
admirablement à une centaine de sites parmi les plus fameux de l’Antiquité
sur près de trente siècles, de 2500 av. J.-C au Ve siècle de notre ère. Le
talent de Jean-Claude Golvin, appuyé par les textes éclairants d’Aude Gros
de Beler, réside assurément dans cette vision d’ensemble rendant
immédiatement lisible la complexité de ces architectures antiques.
C’est un fabuleux voyage dans le temps et dans l’espace que nous offre ce
passionnant ouvrage !
Philippe-Emmanuel Krautter |
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« Tout
César - Discours, traités, correspondance et commentaires » Jules CÉSAR,
Alessandro GARCEA (Traducteur, Directeur d'ouvrage), Collection Bouquins,
Robert Laffont éditions, 2020.
Assurément cette dernière publication aux éditions Robert Laffont fera date
en langue française car, étonnamment, il n’était pas possible jusqu’à
présent de disposer en édition bilingue de tous les écrits de l’un des plus
grands stratèges et personnalité politique de l’Antiquité, Jules César.
On oublie trop souvent qu’en plus d’avoir été le conquérant de la Gaule et
d’une grande partie du monde méditerranéen, à l’image de son illustre
prédécesseur Alexandre le Grand, Jules César fut également un historien dont
les écrits sont également passés à la postérité. Et, c’est justement l’objet
de ce volume de la prestigieuse collection Bouquins que de rassembler en 960
pages l’intégralité des écrits de Jules César, et ce, en version bilingue
latin et français.
Le lecteur sous la conduite éclairée d’Alessandro Garcea, grand spécialiste
de la littérature latine, aura grand intérêt de débuter sa lecture par
l’éclairante introduction résumant en une vingtaine de pages les grands
traits de celui qui atteint non seulement la magistrature suprême au sommet
de l’État, mais eu également l’intuition d’en dépasser les limites. La
politique de la ratio anime en effet l’action de Caius Iulius Caesar, né le
12 juillet 100 av. J.-C. d’une famille d’ancienne noblesse. Curieusement,
son action sera largement critiquée par des auteurs latins tels Tite-Live,
Plutarque, Suétone ou encore Dion Cassius. La personnalité et l’ampleur de
l’action de ce personnage hors-norme ne pouvaient, en effet, que susciter
l’inquiétude de ses contemporains à l’encontre de celui qui bouleversera non
seulement les frontières de l’Empire romain, mais également ses structures
politiques et culturelles. Contrairement à l’image laissée par ses
détracteurs, César eut aussi à cœur d’ouvrir la connaissance au plus grand
nombre et non plus à une seule élite, faisant de Rome un grand centre
intellectuel, nous sommes loin de l’image moderne – et trompeuse – d’un
dictateur.
Ce vaste ensemble réunit, enfin, les Commentaires, extraits des discours,
traités et correspondance conservés par les Anciens. Le lecteur pourra bien
sûr goûter aux charmes intrinsèques de la « Guerre des Gaules » dépassant en
ampleur les plus grandes fresques du cinéma hollywoodien, mais surtout y
découvrira la dimension littéraire de celui qui ne fut pas qu’un stratège
politique et militaire, en un parallèle saisissant avec le général de
Gaulle.
La traduction d’Alessandro Garcea met en évidence ce style césarien qui
transcende les formules historiques pour atteindre un genre révélant une
éthique et une rigueur à la source d’une éloquence stylistique remarquable,
ainsi qu’en témoigne cette belle édition.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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"Aux
origines, l’archéologie - Une science au cœur des grands débats de notre
temps" de Jean-Paul DEMOULE, La Découverte, 2020.
Jean-Paul Demoule offre avec ce dernier essai une porte d’entrée idéale et
accessible au monde à la fois circonscris mais aussi ouvert de
l’archéologie. Circonscris, car l’archéologie est de nos jours une science
aux frontières bien précises et aux méthodologies rigoureuses et éprouvées,
loin des approximations des siècles précédents. Ouvert également par son
champ d’investigation considérablement vaste, étendu à l’exploration et
compréhension de notre passé et des sociétés qui l’ont caractérisé.
Archéologue réputé, ancien président de l’INRAP et professeur à la Sorbonne,
Jean-Paul Demoule milite depuis longtemps pour que sa discipline soit
comprise par le plus grand nombre grâce à des publications et interventions
toujours saluées pour leur pédagogie et leur engagement. C’est cette même
implication qui se trouve au cœur de cet essai passionnant qui intéressera
non seulement les puristes de la discipline, mais aussi par son propos
élargit un vaste public cultivé qui appréciera cette mise en relation avec
les nombreuses problématiques sociétales, y compris idéologiques. Le
sous-titre de ce livre s’avère d’ailleurs des plus évocateurs : « une
science au cœur des grands débats de notre temps ».
Dès l’introduction, Jean-Paul souligne cette double fonction de
l’archéologie : scientifique et idéologique. Alors que la théologie n’est
plus guère présente que dans les Séminaires et Instituts spécialisés,
l’archéologie a été convoquée – souvent même manipulée – à des fins
idéologiques et rhétoriques pour mieux justifier tel passé ou telle «
identité nationale »… L’auteur, dans un premier temps, s’attache à cette
absence de neutralité axiologique manifeste à certains stades de
l’archéologie lorsqu’il s’est agi de « manipuler » l’histoire notamment en
France avec l’identité nationale, les fameux Gaulois et autres invasions
barbares intéressant certains présidents de la République et responsables
politiques. À l’image de certaines sciences dures telles la génétique et la
médecine qui en d’autres situations plus tragiques ont pu être « manipulées
» par des régimes iniques afin de justifier l’idée de race et d’inégalité
entre elles, l’archéologie peut également servir des desseins moins nobles
que la seule connaissance, ainsi qu’il ressort des nombreux exemples
détaillés rapportés par l’auteur.
Jean-Paul Demoule élargit son propos également au-delà de nos frontières
nationales, en soulignant combien sa discipline peut se trouver déviée de sa
mission première par des idéologies ultralibérales mettant souvent en péril
non seulement une archéologie préventive manquant la plupart de moyens
financiers, mais menaçant également la préservation d’un patrimoine
fragilisé par des enjeux qui la dépassent tel qu’il ressort de cet essai vif
et engagé.
Mais, il n’est pas trop tard pour être optimiste, conclut cependant
Jean-Paul Demoule. Et tel est bien le grand mérite de cet ouvrage,
soulignant et alertant pour mieux prévenir et enrayer les mauvais usages
faits de l’archéologie. |
Art, Culture, Essais... |
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Jean-Pierre Luminet : « Les Nuits étoilées de Vincent van Gogh », 160 p.,
2023.
C’est un petit livre carré absolument passionnant signé Jean-Pierre Luminet
que nous proposent les éditions Seghers. Un ouvrage mené telle une enquête
et entraînant son lecteur sur les traces de Vincent van Gogh et du
firmament. Eh, oui, rien que cela ! L’auteur a, en effet, souhaité en
partant des chefs d’œuvre du peintre célébrant les étoiles tout simplement
remonter le temps et retrouver les étoiles de la célèbre « Terrasse de café
le soir » ou encore celles de la non moins célèbre « Nuit étoilée », des
toiles réalisées à Arles en 1888…
Pour ce beau défi, s’appuyant sur la correspondance de l’artiste, l’auteur
est retourné sur les lieux mêmes où le peintre avait posé son chevalet,
Arles, Saint-Rémy-de-Provence, le Rhône… juxtaposant œuvres, plans et
photographies. C’est en 1888 que van Gogh part, en effet, s’installer en
Provence. Là, il s’émerveille tant de la lumière du sud que de celle du ciel
étoilé de Provence.
Mais surtout, et là réside tout l’attrait de cet ouvrage, Jean-Pierre
Luminet n’a pas hésité à solliciter le concours de la science et des
logiciels pour retrouver les « vrais » ciels que l’artiste a pu contempler
et lui ayant inspiré ses plus grands chefs d’œuvres ; d’où le titre de ce
captivant ouvrage « Les Nuits étoilées de Vincent van Gogh » ! Il faut dire
que l’auteur a plus d’un atout pour surprendre et réjouir son lecteur :
astrophysicien, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, il sait de quoi il
parle… Mais c’est aussi en poète, avec cette poésie des étoiles et de
l’infini, que Jean-Pierre Luminet nous dévoile ces fameuses « Nuits étoilées
de Vincent van Gogh ». |
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«
Modigliani – Un peintre et son marchand » ; Catalogue officiel de
l’exposition éponyme au musée de l’Orangerie, Co-édition Musée de
l’Orangerie/Flammarion, 2023.
Catalogue officiel de l’exposition « Modigliani – Un peintre et son marchand
» au Musée de l’Orangerie - Paris, l’ouvrage par son riche contenu réjouira
tout autant ceux n’ayant avec regret pu se rendre à cet événement que ceux
désirant en garder mémoire et souvenirs. Ainsi, outre le catalogue complet
des œuvres exposées et présentées, ici, sur de pleines pages, des portraits
essentiellement, le lecteur pourra également découvrir quatre fructueux
essais mettant en lumière tant les œuvres de cette période réalisées par
l’artiste que sa rencontre et relation avec son marchand, Paul Guillaume, en
1914. Modigliani est arrivé six ans auparavant à Paris et s’est consacré à
la sculpture après avoir rencontré Constantin Brancusi. Mais, sous
l’influence et les encouragements de P. Guillaume, Modigliani reviendra en
fin de compte à la peinture pour s’y consacrer dorénavant exclusivement…
Cécile Girardeau, conservatrice au musée de l’Orangerie, revient dans sa
contribution « Amadeo Modigliani, un peintre à Paris » sur les débuts de
Modigliani et l’influence de l’effervescence artistique parisienne de cette
époque, avant que Simonetta Fraquelli, historienne de l’art et commissaire,
souligne, pour sa part, les liens privilégiés unissant l’artiste et son
marchand. Il est vrai que nombre d‘intérêts artistiques communs liaient les
deux hommes notamment la poésie, la littérature ou encore les arts africains
auxquels Yaëlle Biro consacre son essai. C’est en 1918 et avec Guillaume
Apollinaire que Paul Guillaume lancera la revue « Les Arts à Paris » dont le
lecteur retrouvera quelques couvertures et pages, et dans laquelle jusqu’à
sa mort, il promut artistes et écrivains. Enfin, dans une passionnante
recherche Marie-Amélie Senot a recours à la science pour éclairer et
appréhender le projet artistique de Modigliani.
Illustré également de photographies d’époque, ce catalogue trouvera à
l’évidence bonne place dans toute bibliothèque. |
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« Le
Musée absolu » ; Relié, 23,8 x 30,5 cm, 1 640 Ill., 584 p., Editions Phaïdon,
2023.
Ce n’est pas un musée imaginaire, mais bien plus puisque c’est un musée
absolu - « Le Musée absolu » que les éditions Phaïdon nous proposent dans
cette nouvelle édition ; un ouvrage remarquablement complet, ordonné et
idéal pour permettre à tout à chacun de choisir justement son propre musée
imaginaire ! Avec son grand format, ses plus de 500 pages et pas moins de 1
640 illustrations, l’ouvrage réalisé avec le concours de conservateurs,
d’historiens de l’art, d’artistes et critiques d’art, nous invite à visiter
la collection d’art la plus vertigineuse du monde, allant de « L’art de
l’âge de Pierre » à « L’art depuis le milieu du XXe siècle » en passant par
les arts de l’Asie, du Japon, les arts de l’Islam ou encore l’Afrique.
Divisé en sections selon les périodes ou les domaines, le lecteur pourra
parcourir bien des contrées, des espaces temps et des artistes : La Rome
antique, la Renaissance italienne ou du Nord, le baroque ou rococo, etc.,
aucun domaine ne gardera ses secrets et le lecteur aura tout à loisir de
choisir au gré des pages ses domaines de prédilection.
Avec un plan « de visite » présenté non en chapitres mais en galeries tel un
musée, chaque section ou galerie renvoie à une couleur déterminée que l’on
retrouvera sur le profil de l’ouvrage en onglet pour plus de facilité.
Chaque domaine abordé propose selon sa propre table des matières des
présentations et analyses détaillées des arts concernés ; ainsi sous
l’onglet rose, le lecteur retrouvera-t-il les arts de la Chine et de la
Corée avec des développements sur les bronzes rituels chinois antiques, les
bronzes mystérieux de Sanxingdui ou encore les Jades chinois ; au titre «
d’expositions » des focus y sont même régulièrement développés parallèlement
aux nombreuses œuvres et artistes présentés selon les domaines.
Un ouvrage soigné et didactique devenu un classique incontournable et
offrant au fil de ses pages ou des salles de ce fabuleux « Musée absolu »,
une porte d’entrée complète et idéale pour aborder l’histoire de l’art. |
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« Yao Jui-Chung » par Sophie McIntyre ; Version
anglais, 192 ill. couleur et 27 n&blc, 30 x 24 cm, Editions Scheidegger &
Spiess, 2023.
C’est une belle monographie consacrée à l’artiste taïwanais Yao Jui-Chung
que nous proposent les éditions Scheidegger and Speiss. Artiste aux
multiples expressions, mais aussi écrivain et conservateur, Yao Jui-Chung a
su s’imposer sur la scène internationale de l’art contemporain et de la
photographie ; pionnier dans tous les domaines, que cela soit la
photographie, la peinture ou encore les multiples installations, Yao Jui
Chung est devenu un artiste incontournable et indissociable de son pays dont
la renommée n’est plus à faire.
Dans son format allongé, l’ouvrage propose sous la direction de Sophie
Mcintyre, spécialiste de l’art taïwanais, une riche mise en perceptive sur
les trois dernières décennies de la carrière et de l’œuvre de l’artiste.
Avec plus de 200 illustrations et reproductions, le lecteur y retrouvera les
œuvres peintes réalisées par Yao Jui-Chung de 2007 à 2022, mais aussi son
œuvre photographique et visuelle pour la période 2000-2020, ainsi que nombre
de ses expositions.
Des œuvres qui retiennent immédiatement l’intérêt tant par leur singularité
que par leur engagement. Monde sociétal, politique, historique et religieux
jalonnent dans un esprit libre et critique l’ensemble de l’évolution
artistique de Yao Jui-Chung. Que ce soit dans son œuvre en noir et blanc, ou
dans celle aux couleurs luxuriantes, le regard ne cesse d’être surpris par
tant de diversité et de créativité. La dérision y est omniprésente et
s’invite dans une créativité aussi bien tournée vers le présent, le
politique et la société que vers le passé, la religion et les mythologies ou
encore un « pré-apocalyptique futur »… un regard artistique que le lecteur
retrouvera développé dans l’entretien de Yao Jui-Chung avec le critique
d’art et directeur artistique du MAXXI à Rome, Hou Hanru.
Un ouvrage qui ouvrira bien des horizons. |
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«
Rochus Lussi - Dûnne Haut thin skin » ; Relié, 400 p., 410 ill. couleurs et
34 en N&Blc, 21 x 26.5 cm, Version anglais/allemand, Editions Scheidegger &
Spiess, 2023.
C’est un fort et très bel ouvrage que les éditions Scheidegger et Spiess
consacrent à l’artiste suisse Rochus Lussi. Une œuvre singulière, ouverte,
tournée vers l’humain sous toutes ses formes, de la vie à la mort
pourrait-on dire. Certes, si quelques œuvres ou installations sont
consacrées au règne animal, l’angle de frappe de cet artiste, né en 1965,
réside dans la captation de l’humain, de l’existence de l'humain en tant
qu’animal grégaire ; L’humain, l’homme, la femme, l’enfant ou le nourrisson
pris dans les mailles de l’existence avec ses congénères. Avec une
sensibilité à fleur de peau propre à l’artiste, ces œuvres, sculptures,
dessins, installations extérieures ou intérieures ne sauraient laisser
indifférents. Y sont perceptibles tout autant la solitude, les faiblesses,
les désorientations, le mimétisme ou formatage, mais aussi la singularité de
ce qui fait l’humain. Personnages en série, visages vides, déshumanisés,
mais également divisés, écartelés, la mort y côtoyant la vie, la survie ou
l’absence…
Évoluant au fil du temps, Rochus Lussi questionne, interroge, scrute plus
que le spectateur ne le questionne. C’est un beau parcours ou voyage au sein
d’une œuvre de plus de trente années qui mérite amplement d’être connue que
nous propose cette belle monographie appuyée par de riches contributions et
analyses consacrée à Rochus Lussi. |
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« Monet
en pleine lumière » ; Collectif sous la direction de Marianne Mathieu,
Éditions Hazan, 2023.
Accompagnant l’exposition du Grimaldi Forum Monaco, l’ouvrage « Monet en
pleine lumière » a souhaité célébrer le père de l’Impressionnisme sous la
lumière du fameux rocher de Monaco et de la non moins renommée Riviera lors
de son premier séjour, il y a 140 ans. Et quel plaisir jamais tari de
retrouver Claude Monet dans cette période essentielle des années 1880 de sa
longue carrière, une trajectoire infaillible retracée également en ces pages
et offrant au lecteur une belle mise en perspective… Mais, ce sont surtout
les jeux de lumière, de bleus et d’azur, ces ambiances à nulles autres
pareilles de la Riviera qui retiendront l’attention. Loin déjà de la lumière
des plages de Deauville, de Trouville ou des bords de Seine, loin encore des
effets si magiques de Giverny, ces toiles des années 1880, quelques peu
moins connues, imposent pourtant leurs charmes, beauté et caractères… Sous
la direction de Marianne Mathieu, les œuvres de Monet de cette période se
laissent, en effet, pleinement apprécier ; des œuvres, en ces pages,
appuyées par de riches contributions, des documents d’archives ou encore des
photographies d’époque. De Monaco à Antibes en passant par Bordighera,
Dolceacqua ou encore Cap Martin, c’est un voyage en compagnie de « Monet en
pleine lumière » auquel nous convie ce bel et riche ouvrage. |
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«
Tiziano 1508. Agli esordi di una luminosa carriera » ; Catalogue de
l’exposition Venezia, Gallerie dell’Accademia, sous la direction de Roberta
Battaglia, Sarah Ferrari et Antonio Mazzotta, (italien), Editions Mandragora,
2023.
La Gallerie dell’Accademia de Venise consacre au peintre Le Titien une
exposition majeure quant à ses œuvres de jeunesse. Le catalogue de cet
évènement publié aux éditions Mandragora permettra de se faire une idée de
l’importance de cet angle original retenu par Sarah Ferrari, Antonio
Mazzotta et Roberta Battaglia à partir de l’œuvre emblématique du peintre «
l’archange Raphaël et Tobie » datant de 1508, une peinture déterminante pour
la suite du brillant parcours de l’artiste.
Ces quelques années du début du XVIe siècle à Venise font ainsi l’objet
d’analyses approfondies dans ce catalogue en écho avec l’exposition,
renouvelant le regard porté sur le jeune Tiziano par le filtre de 17 œuvres
autographes confrontées à celles de ses contemporains tels son maître
Giorgione, mais aussi Sebastiano del Piombo, Francesco Vecellio ou encore
Albrecht Dürer.
Ainsi que le soulignent les riches contributions réunies dans ce catalogue,
l’an 1508 marque assurément le point de départ de la carrière publique de
Titien qui le conduira en quelques années seulement à devenir le peintre
officiel de la Sérénissime. L’analyse des œuvres de jeunesse, la décoration
du Fondaco dei Tedeschi, les pérégrinations du jeune Titien entre Venise,
Ferrare et Padoue sont ainsi étudiées en début d’ouvrage avant de proposer
au lecteur des analyses des œuvres majeures présentées de l’artiste, telles
la Nativité, le Triomphe du Christ, la Madonna con il Bambino ou encore
Judith avec la tête d’Holopherne. |
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«
L’automne par les grands maîtres de l’estampe japonaise » réalisé par Anne
Sefriou ; Coll. « Chefs-d’œuvre de l’estampe japonaise », 17.2 x 24.6 cm,
Editions Hazan, 2023.
Les éditions Hazan célèbrent les saisons avec les grands maîtres de
l’estampe japonaise. L’ouvrage consacré à « L’Automne » offre
particulièrement un plaisir inégalé ! Avec son coffret et sa reliure en
accordéon, celui-ci livre en effet par le prisme de soixante œuvres signées
des plus grands maîtres japonais, non seulement toutes les couleurs
chatoyantes de l’automne, mais aussi toute la poésie et symbolique
extrême-orientales attachées à cette saison à nulle autre pareille. Les plus
grands maîtres de l’estampe, Hokusai, Hiroshige, mais aussi Hasui ou encore
Harunobu, signent ces estampes uniques où les couleurs et les « Rafales
d’automne », pour reprendre un titre de Sôseki, nous entraînent en une
rêverie infinie… Lorsque les érables se parent de rouge ou de jaune, lorsque
les kimonos des jeunes femmes se teintent des couleurs des chrysanthèmes et
que le vent d’octobre fait ployer les bambous… C’est toute la poésie des
songes d’automne que le lecteur retrouvera dans ces pages aux soixante
estampes… L’ouvrage est accompagné d’un livret explicatif réalisé par Anne
Sefriou, auteur de nombreux livres d’art notamment consacrés au domaine des
estampes japonaises. |
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PAOLO
PORTOGHESI Sguardo, parole, fotografie edizioni dell’Accademia Nazionale di
San Luca, 2023.
Le catalogue officiel de l’exposition à l'Accademia Nazionale di San Luca
sous la direction de Francesco Cellini et Laura Bertolaccini permet de
découvrir et d’apprécier les liens intimes qu’entretenait Paolo Portoghesi,
grand architecte italien disparu en mai 2023, théoricien et professeur
d'architecture de l'université La Sapienza de Rome, avec la culture
architecturale internationale, et plus précisément ici son admiration pour
le grand architecte baroque Francesco Borromini dont il était l’un des
éminents spécialistes.
Dès son plus jeune âge, Portoghesi a en effet exploré par ses photographies
en noir et blanc - dont 72 sont reproduites dans l’exposition et le
catalogue - l’œuvre de Borromini en une passionnante enquête critique. C’est
dans les années 60 que Portoghesi débute cette vaste exploration en un
nombre impressionnant de clichés à travers de multiples lieux emblématiques
tels Sant'Ivo alla Sapienza, San Carlo alle Quattro Fontane, San Giovanni in
Laterano, la Casa dei Filippini, Sant'Agnese in Agone, Palazzo Falconieri,
le Collegio di Propaganda Fide ou encore l’église de Sant'Andrea delle
Fratte…
Avec des appareils Rolleiflex ou Hasselblad tenus à la main sans trépied,
Portoghesi sut saisir des angles inédits qui étonnent encore de nos jours
ainsi qu’il ressort des pages de ce catalogue avec ces contrastes lumineux
accentués par les jeux d’ombre. Dans cet ouvrage richement illustré par ces
photographies extraordinaires, le lecteur pourra également découvrir
l’écriture de Portoghesi révélant toute la richesse de son vocabulaire et la
magie opérée par le baroque de Borromini.
Une exploration dans l’univers fascinant de la pierre et de l’architecture
baroque transfigurée par un de ses plus passionnants analystes !
(Exposition organisée par Francesco Cellini et Laura Bertolaccini, avec la
collaboration de Maria Ercadi, sous le Haut Patronage du Président de la
République italienne. Toutes les photographies et reproductions du livre
Paolo Portoghesi de Francesco Borromini exposées ou publiées dans le
catalogue ont été aimablement fournies par Giovanna Massobrio Portoghesi). |
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« All
Under One Roof - Revolutionising Basel’s Military Barracks” sous la
direction de Claudia Mion ; 22.5 x 33 cm, 224 p.; 181 illus. couleur et 50
b/w; Version Allemand / Anglais, Editions Park Books, 2023.
Les éditions Park Books livrent avec « Die Revolutionierung der Basler
Kaserne » ou « All Under One Roof - Revolutionising Basel’s Military
Barracks » une étude complète de la récente reconversion de la caserne
militaire de Bâle sur les rives du Rhin par le jeune cabinet d’architectes
bâlois Focketyn del Rio.
Appuyé par une vaste iconographie, l’ouvrage offre en effet une riche
analyse de cette réhabilitation de l’ancienne caserne de Bâle en un centre
culturel dynamique et vivant. Achevé en 2022, le kHaus propose aujourd’hui
plus de 3 000 m2 qui ont ainsi été aménagés en salle de théâtre, espaces et
salles de travail... Une reconversion décidée il y a une dizaine d’années,
en 2013 précisément, et menée sous l’élan créatif et dynamique de jeunes
architectes, ceux du Focketyn del Rio Studio à Bâle, ce jeune cabinet
d’architecture ayant en effet remporté le concours pour cette réhabilitation
en 2013, soit tout juste six mois après son ouverture !
Le lecteur pourra par cet ouvrage au format idéalement allongé découvrir
l’ensemble du process année après année de cette vaste et belle réalisation
architecturale ; Plans d’études, plans extérieurs et plans intérieurs étage
par étage, étapes de réhabilitation, photographies et interviews rythment
les différents chapitres de cette féconde étude.
Aujourd’hui, parfaitement intégrée à la ville de Bâle, cette reconversion
offre aussi une belle illustration de ce que peuvent apporter, bien au-delà
de Bâle et du Rhin, les diverses réhabilitations urbaines. À ce titre, cette
riche étude offre autant une fructueuse mise en valeur qu’une belle mise en
perspective. |
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Didier
Ben Loulou : « Judée », Éditions La Table ronde, 2023.
A la seule évocation du mot « Judée », la mémoire se libère avec ces
paysages brulés par le soleil, ces peuples de la Bible, Ammonites, Edomites,
Samaritains, pour certains disparus, d’autres encore présents, ayant tracé
en lettres d’espérance une partie de son histoire… Ce sont ces déserts de
Judée où l’ocre se dispute au beige, terre d’ombre, terre de Sienne que le
photographe Didier Ben Loulou nous propose de parcourir avec ce dernier
album dans lequel la vie, la mémoire, les angles et ces couleurs inimitables
font la signature, aujourd’hui internationalement reconnue, du photographe.
La pierre omniprésente dans ces espaces comme dans l’œuvre artistique du
photographe constitue le sceau du secret, celui qu’il appartient patiemment
de comprendre pour mieux saisir le destin de tant de civilisations en ces
terres. Un chemin en apparence esseulé, des graminées tendant leurs tiges
vers le ciel comme des orants, des ciels chargés annonciateurs de présages,
partout une végétation calcinée des attentes des hommes… Et pourtant,
parfois, au détour d’un chemin, le photographe capte l’improbable couleur
pourpre d’une tunique antique abandonnée, non partagée… Nombreux seront en
effet les symboles laissés avec parcimonie par ces photographies inspirées
de Didier Ben Loulou, telle cette grenade à la fois synonyme de fertilité et
de charité dont les grains se dispersent aux quatre vents. Les éléments sont
omniprésents dans ces pages parfois rudes et austères tels ce feu qui dévore
les broussailles ou ce vent que l’on devine sur les ramures de ces
vénérables oliviers.
La Judée ne fait pas que marquer le paysage mais cisèle aussi les corps de
celles et ceux qui y vivent depuis l’aube des temps. Peaux craquelées de
soleil, regards songeurs en pleine lumière, pieds momifiés par la terre.
C’est une Judée habitée, vivante, que nous livre au regard le photographe,
terre habitée d’hommes et de femmes, de chèvres, de nuages, du souffle du
vent ; terre, surtout, de mémoire, cette mémoire des pierres, quête patiente
et inlassable…
La Judée de Didier Ben Loulou transporte ses lecteurs plus loin encore que
les vastes horizons car l’artiste nous propose par ses photographies un
véritable voyage intérieur, quelques fruits sur l’étal d’une marchande, et
partout cette vie qui se passe de discours… |
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« John
Ruskin – Turner » ; Traduction et présentation de Philippe Blanchard, Coll.
Studiolo, Éditions de L’Atelier contemporain, 2023.
Les passionnés d’art et de littérature, les amoureux de Proust et d’Oscar
Wilde, savent combien sont d’une richesse aussi incomparable qu’intemporelle
les écrits de John Ruskin (1819-1900) notamment ses écrits sur Turner. Mais
comment retrouver ces derniers dans cette incommensurable somme que nous a
léguée l’écrivain et critique d’art anglais, auteur des célèbres « The
stones of Venice - Les Pierres de Venise » ? Aussi faut-il saluer cette
heureuse initiative des éditions de l’Atelier contemporain d’avoir regroupé
et agencé en un seul et même volume l’ensemble des écrits de Ruskin
consacrés exclusivement à Joseph Mallord William Turner, l’un des plus
grands artistes anglais du XIXe siècle avec John Constable.
Rappelons que Ruskin voua toute sa vie une passion sans faille pour le
célèbre artiste anglais qu’il découvrit à l’âge de treize ans lorsqu’on lui
offrit pour son anniversaire un livre de poèmes de Rogers principalement
illustré par Turner. Une passion précoce qui fit de lui un collectionneur
insatiable ; « Mes folies turnériennes » écrira Ruskin lui-même cinquante
ans plus tard dans « Praeterita » ! Et comment ne pas le comprendre face à
ces œuvres - dont une trentaine de reproductions jalonne ce « Studiolo » -
reconnaissables entre toutes, mais si fugaces ou évanescentes qu’elles en
demeurent pour le commun des mortels, au-delà de l’émotion visuelle,
indescriptibles…
Dans cet ouvrage intitulé simplement « John Ruskin / Turner », le lecteur
retrouvera avec ce plaisir toujours renouvelé, bien sûr, de larges passages
issus des « Modern Painters – Les peintres modernes », cette somme majeure
et unique que Ruskin entreprit initialement pour défendre l’artiste et qu’il
n’aura de cesse de compléter, de parachever sa vie durant, mais le lecteur
découvrira aussi des textes moins connus, extraits d’essais ou de catalogues
également consacrés au peintre. À noter que chaque chapitre, texte ou
extrait est introduit, présenté et replacé dans son contexte par Philippe
Blanchard préfacier et traducteur des écrits de Ruskin pour cette édition.
Agencés, selon un ordre choisi, judicieux, le lecteur percevra ainsi au
travers des thèmes de prédilection de Ruskin, la vérité, la nature,
l’imitation, le paysage, la mer et les bateaux…, cette spécificité,
subtilité et sensibilité qui ont fait le génie du célèbre peintre,
aquarelliste, dessinateur et graveur anglais, J.M.W. Turner.
Ruskin, lui-même très bon dessinateur, partagea bien des points communs avec
Turner : outre leur goût pour les voyages, tous deux présentaient surtout
une curiosité insatiable doublée d’une acuité des plus aiguisées. Aussi
n’est-il pas étonnant que le critique d’art ait si bien compris la
sensibilité du célèbre peintre et qu’il demeure encore aujourd’hui
incontestablement, ainsi que le souligne dans sa riche préface Philippe
Blanchard, « la voie royale pour accéder à la peinture de Turner ».
L.B.K. |
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« 300
Femmes peintres – Cinq siècles de femmes peintres » ; Collectif ; Préface de
Rebecca Morrill, Simon Hunegs et Maia Murphy ; Editions Phaidon, 2022.
Les éditions Phaidon ont eu l’heureuse idée de regrouper en un seul et même
volume pas moins de trois cents artistes peintres femmes ayant, chacune à
leur manière, marqué l’histoire de l’art !
Couvrant cinq siècles et traversant plus de soixante pays à travers le
monde, cet ouvrage demeure une somme unique. Alison M. Gingeras, écrivain,
commissaire d’exposition et conservatrice que l’on ne présente plus, se
réfère dans son introduction, bien sûr, pour appréhender le rôle et la place
des femmes - que cela soit en littérature et surtout en art - à l’une des
premières femmes de lettres Christine de Pizan au Moyen-âge ou encore plus
proche de nous, au XXe siècle, à l’historienne de l’art Linda Nochlin,
auteur notamment, en 1971, du fameux ouvrage « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de
grands artistes femmes ? ».
Issue ou représentant des mouvements ou courants très divers, chaque artiste
peintre est présentée en ces pages par un texte clair et concis et une œuvre
majeure. On songe ainsi à Mary Cassatt, à Marie Laurencin, à Judith Leyster
ou encore Frida Kahlo… Mais, le lecteur découvrira aussi aux côtés de ces
femmes peintres célèbres, des artistes reconnues plus tardivement, voire peu
connues ou injustement méconnues. Des femmes peintres d’hier qui nous disent
par leurs œuvres et vie leur siècle, mais aussi des artistes contemporaines,
d’ici ou de l’autre côté du globe, pour certaines à valeur montante et qui
nous entrainent à regarder vers demain et l’avenir…
Pour plus de facilité, l’ouvrage a retenu un ordre alphabétique complété
d’un glossaire par styles, mouvements et termes techniques. Le lecteur sera
étonné en découvrant au fil des pages la diversité et créativité ayant animé
ces femmes peintres d’hier et d’aujourd’hui, chacune ayant participé et
contribué de par son origine, son époque et style à écrire l’extraordinaire
histoire de la peinture. |
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Soliloques d’un peintre » ; Édition établie et présentée par Christine Gouzi
; 16 x 20 cm, 1104 p., L’Atelier contemporain Éditions, 2022.
Véritable somme réunie par Christine Gouzi sur le peintre Georges Rouault
(1871-1958), « Soliloques d’un peintre » prendra une place de choix dans la
bibliographie consacrée à celui qui fut le contemporain de Matisse, Derain,
Camoin et Manguin, ces « fauves » du Salon d’Automne de 1905. Ce mouvement
nommé fauvisme marquera en effet les esprits en ce début du XXe siècle en
donnant la primauté à la couleur sur le dessin. Artiste complet, peintre,
dessinateur, céramiste, graveur, illustrateur, Rouault sut également tenir
une plume et a laissé une production littéraire souvent méconnue que cet
ouvrage réunit de manière exhaustive avec ces 1104 pages.
Celui qui avait un faible pour les laissés pour compte, les gens du cirque,
sans oublier l’univers sacré, a en effet livré de nombreux témoignages sur
ses contemporains ; Gustave Moreau, bien entendu qui fut son maître à
l’École des Beaux-Arts, mais également Léon Bloy, Suarès, Huysmans.
Théoricien de l’art mais aussi poète, cet artiste fut décidément doué en de
multiples disciplines où la sagacité de son regard savait dépasser les lieux
communs.
Christine Gouzi, avec la collaboration d’Anne-Marie Agulhon, a accompli pour
cette parution inédite un travail de titan en réunissant l’ensemble de ces
articles pour la plupart d’entre eux dispersés et couvrant une période
allant de 1896 à 1958. C’est une véritable « rage d’écrire » qu’évoque
Christine Gouzi en introduction rappelant que Georges Rouault tenait
l’écriture pour une nécessité presque aussi grande que la peinture, ce qui
laisse une petite idée de la place occupée par cette nécessité vitale.
Écrivant la plupart du temps la nuit alors qu’il était insomniaque, le
peintre cherchait ainsi à apaiser ses craintes et doutes grâce à cette
écriture cathartique. Laissant ses témoignages sur des papiers épars et de
diverses natures, la production littéraire de Rouault n’a pas facilité le
présent travail d’édition remarquablement réalisé. Replacés dans leur
contexte, ces écrits, dont de nombreux inédits, témoignent de l’engagement
protéiforme de cet homme épris d’absolu dont la poésie fut loin d’être la
portion congrue.
Ces « Soliloques d’une peintre » devraient passionner toute personne éprise
non seulement d’art, mais également de découvertes, telles celles qui
animèrent toute sa vie cet esprit curieux et engagé que fut Georges Rouault. |
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Jean-Gabriel Causse : « L’étonnant pouvoir des couleurs », Flammarion, 2022.
L’influence des couleurs sur nos humeurs est aujourd’hui bien connue, mais
en connaissons-nous pour autant tous les tenants et aboutissants ? C’est
pour répondre à nos multiples interrogations en ce mystérieux domaine que
Jean-Gabriel Causse nous livre analyses et découvertes les plus récentes
dans ce passionnant ouvrage « L’étonnant pouvoir des couleurs » aux éditions
Flammarion. L’auteur, designer, conseiller et membre du Comité Français de
la Couleur, a fait choix de proposer une riche approche thématique allant de
la relaxation à la mémorisation en passant par le marketing ou encore
l’apprentissage... De captivants thèmes savamment développés souvent avec
humour et confirmant « L’étonnant pouvoir des couleurs » sur nos
comportements et perceptions. Couleurs et pharmacologie, couleurs et odorat,
couleurs et vente en ligne sans oublier un chapitre entier consacré au choix
des couleurs même. Alors violet, bleu ou orange ? Harmonie, énergie, calme
ou liberté ? Eh ! Oui, « voir la vie en rose est une réalité
scientifiquement prouvée » et « on travaille mieux dans la couleur »
souligne Jean-Gabriel Causse.
Préalablement à ces thèmes, l’auteur nous invite à découvrir les couleurs,
leur perception, leur nombre et température, sans oublier ces étranges
illusions d’optique. Et même si les couleurs n’existent pas en tant que
telles, mais par notre regard, que ce soit de A à Z ou en zapping, ce livre
regorge d’informations et réflexions étonnantes, ludiques et instructives.
Êtes-vous sûr que le rouge soit une couleur chaude ? Et sommes-nous
réellement plus forts habillés en rouge ? Et le vert n’est-il pas
étonnamment la couleur la plus légère ?
Plus de 200 pages, un sommaire riche de plus 40 thèmes pour un captivant
ouvrage assurément haut en couleur… De quoi répondre à plus d’une
interrogation et bien plus encore ! |
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« Top
secret – cinéma & Espionnage » sous la direction de Matthieu Orléan et
Alexandra Midal, 288 p., 176 x 242 mm, Broché, La Cinémathèque française /
Flammarion, 2022.
Passionné et passionnées d’espionnage et du 7e art, cet ouvrage est pour
vous ! Innombrables sont, en effet, les films traitant de ce thème porteur
qui ont su réunir non seulement un nombre d’acteurs ahurissant depuis le
cinéma muet et noir et blanc jusqu’à nos jours mais également, de l’autre
côté de la toile, un nombre non moins croissant d’amateurs du genre… Fort de
ce constat, cette publication qui constitue le catalogue de l’exposition se
tenant actuellement à la Cinémathèque française jusqu’en mai 2023
transportera le lecteur dans les coulisses de ces films où agents secrets,
agents doubles et parfois même triples redoublent de sagacité pour tromper
l’ennemi et parvenir à recueillir les informations convoitées par les
puissances pour lesquelles ils travaillent en service commandé.
La palette du genre apparaîtra impressionnante en lisant ce catalogue plus
que complet et réunissant des textes passionnants signés notamment de
Pauline Blistène, de Luc Boltanski, Bernard Eisenschitz et bien d’autres
encore. « Top Secret » explore ainsi cet univers bien particulier qui
possède ses propres codes, parfois totalement fantaisistes au gré des
scénaristes, d’autres fois calqués sur la réalité. Impressionnante est la
liste des réalisateurs prestigieux qui se sont laissés convaincre par ce
genre, parfois considéré à tort comme mineur, Fritz Lang, Alfred Hitchcock,
Kathryn Bigelow, Brian De Palma, John Huston ou Laura Poitras feront la
preuve grâce à leur art du contraire à travers des films de légende.
À souligner enfin que ce catalogue à l’iconographie remarquable a retenu
fort à propos la forme d’un abécédaire avec des interviews inédites de
cinéastes et d’acteurs, des textes témoignant de la diversité de ces films
selon la situation géopolitique qui les a vus naître. Véritable bible du
film d’espionnage, « Top Secret » figurera assurément en bonne place dans
toute bibliothèque de cinéphile ! |
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« Dear
to Me - Peter Zumthor in Conversation” ; Edited by Peter Zumthor, 18
booklets in slipcase, 444 pages, 9 color illustrations, 12.5 x 21 cm,
Editions Scheidegger & Spiess, 2021.
Une importante exposition réalisée en 2017 intitulée « Dear to me » et
organisée par le célèbre architecte suisse Peter Zumthor a donné lieu à
l’édition de cet exceptionnel ouvrage publié par les éditions Scheidegger &
Spiess. Exceptionnel quant à la qualité tout d’abord des personnes qui y ont
concouru puisque Peter Zumthor a su s’entourer de personnalités aussi
diverses qu’avec Anita Albus, Aleida Assmann, Marcel Beyer, Hélène Binet,
Hannes Böhringer, Renate Breuss, Claudia Comte, Bice Curiger, Esther Kinsky,
Ralf Konersmann, Walter Lietha, Olga Neuwirth, Rebecca Saunders, Karl
Schlögel, Martin Seel, Rudolf Walli et Wim Wenders… Cette profusion
artistique a ainsi nourri cet ouvrage lui-même original quant à sa forme
avec pas moins de dix-sept livrets ou conversations réunies, ici, en un
luxueux boitier.
L’esthétique sobre et raffinée, enfin, qui préside à cette édition met
idéalement en valeur la remarquable qualité de ces conversations qui ont été
réunies convoquées, recueillies et rassemblées en ces pages par les soins de
Peter Zumthor. C’est dans le cadre alpin de l’atelier du célèbre architecte
que ces personnalités de tous horizons du monde de la culture sont venues
débattre de thèmes aussi divers que la philosophie, le cinéma, la
littérature, l’histoire, l’art, la photographie, etc. Ces dialogues révèlent
ainsi les grandes approches contemporaines des arts avec comme fil directeur
l’architecture reliant ces diverses disciplines. Les conversations libres et
passionnantes stimulent l’esprit et la créativité, ce qu’avait souhaité
avant tout le célèbre architecte pour ces rencontres dont le lecteur pourra
retrouver l’essence en ces ballades intellectuelles fascinantes servies par
une iconographie des plus inspirantes. |
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« Vita
Nuova - Nouveaux enjeux de l’Art en Italie 1960 – 1975 », MAMAC Snoeck
éditions, 2022.
La créativité de l’art italien de la deuxième partie du XXe siècle reste
encore à explorer en France où elle demeure quelque peu méconnue.
L’exposition qui vient de se tenir au musée d’Art moderne et d’Art
contemporain (MAMAC) de Nice est venue avec bonheur y contribuer ainsi que
le présent catalogue publié par les éditions SnoecK.
Deux décennies italiennes - du début des années 1960 jusqu’au milieu des
années 70 - ont connu en effet une rare effervescence dans les arts qu’il
s’agisse du cinéma, de la littérature, de la peinture sans oublier la
photographie et bien d’autres arts encore dont les pages de cet ouvrage
abondamment illustrées témoignent. Rome, Milan, Turin, Gênes sont autant de
pôles créatifs ayant réuni en ces années foisonnantes de nombreux artistes
qui tenteront, chacun à leur manière, de traduire les profondes mutations
vécues par la société italienne à cette époque. L’industrialisation, les
médias, la société de consommation opèrent en effet des changements radicaux
– pour certains irréversibles - dans le quotidien des Italiens, ce que
dénonça très tôt le grand intellectuel Pier Paolo Pasolini dans ses
multiples créations. Les corps, la nature font ainsi l’objet d’une relecture
d’un grand nombre de ces artistes qui proposeront de nouvelles approches
tout autant dans la photographie que la peinture, et autres multiples
installations qui tenteront d’appréhender ce modernisme envahissant.
Au-delà des instabilités politiques et sociales, ces créateurs persistent et
ouvrent les portes de la modernité tels Giosetta Fioroni, Mario Schifani,
Franco Angeli, etc. Cette vision pluridisciplinaire retenue par l’exposition
et le catalogue qui l’accompagne rend parfaitement compte de cette
complexité qui s’installe en ces années phares, complexité qui n’a pas fini
d’entrelacer ses questionnements… |
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«
Buchner Bründler—Buildings II » de Ludovic Balland, 528 pages, 295 color and
816 b/w illustrations and plans, 23 x 27 cm, Editions Park Books, 2022.
Les noms de Daniel Buchner et Andreas Bründler ont largement émergé dans le
monde de l’architecture suisse depuis que ces deux créateurs bâlois ont eu
l’heureuse idée de créer leur studio en 1997. Emblématique de la jeune
génération suisse d’architecture, Buchner Bründler Architects a su
rapidement se distinguer par d’impressionnantes créations, des créations à
nulles autres pareilles présentées et commentées dans ce deuxième volume
entièrement consacré à la décennie 2010-2020.
Une quinzaine de projets font ainsi l’objet d’une analyse détaillée dans ces
pages aussi inspirantes qu’instructives et agrémentées de près de 1500
photographies, croquis, plans et visualisations. Qu’il s’agisse de nouvelles
constructions ou de restaurations, le style Buchner Bründler se définit et
s’impose, page après page, par ses concepts propres aux deux architectes de
spiral of Infinity ou encore d’espaces virtuels posant de manière pertinente
la question des rapports entretenus par toute construction avec son
environnement.
Conçu à la manière d’un « cabinet de curiosités », ce fort volume concentre
en ses pages toute l’étendue de la créativité des deux architectes, qu’elle
s’exprime à petite échelle en des volumes réduits ou au contraire sur une
large échelle en Suisse comme en Allemagne. Cette analyse est également
complétée par l’étude d’une cinquantaine de projets non réalisés. Ces
projets restés à l’état de plans offriront à n’en pas douter une source
d’informations et d’inspiration à de nombreux architectes ainsi qu’à toute
personne cherchant une voie originale et créative pour un projet de
construction.
Enfin, ce beau livre sera assurément en tant que tel source d’inspiration et
d’esthétique à l’image de cette métamorphose entreprise sur la Casa Mosogno
en Suisse au cours des années 2014-2018.
Contributions de Tibor Joanelly, Urs Stahel, Franziska Schürch, Oliver
Schneider et Ludovic Balland. Préface de Daniel Buchner et Andreas Bründler. |
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«
Sumi-e » de Koike Shozo, Editions Nuinui, 2019.
Véritable bible de la peinture japonaise sumi-e, l’ouvrage consacré à cet
art par le maître japonais Shozo Koike (qui vit en Italie où il dispense son
art) s’avèrera incontournable à celles et ceux souhaitant s’initier à cette
pratique picturale.
Épurée et allant à l’essentiel, la peinture sumi-e rejoint les sources du
zen dans cet art minimaliste de l’évocation de la nature, faunes et autres
objets du quotidien. Pratiquée avec seulement un pinceau, une pierre d’encre
de Chine et du papier japonais, celle-ci se trouve en ces pages expliquée en
termes clairs et didactiques par l’auteur qui n’hésite pas à en rappeler les
étapes, planche après planche.
Quelques traits épurés évoquent spontanément une forêt de bambous sous la
neige, un prunus en fleurs ou encore des montagnes éloignées en autant de
sujets de cet art hérité de la Chine et de la dynastie Tang (618-907). Ce
sont les moines bouddhistes zen japonais qui introduisirent cette pratique
dans la culture de leur pays, et depuis à l’origine de merveilleuses
créations. Tout est question de souffle et de posture mais aussi de
tranquillité d’esprit, à l’image d’une méditation zazen. Une pression du
bras en trop et le trait s’épaissit excessivement, à l’inverse un
effleurement trop léger sera insuffisant pour suggérer le paysage souhaité.
Ce sont aux techniques de base de cet art subtil auquel nous convie cet
ouvrage très pédagogique et agrémenté de nombreuses illustrations
indispensables au pratiquant. |
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« L'Impressionnisme » de Valérie Mettais, Coffret
l'essentiel, 18,4 x 25,7 cm,
192 pages, Éditions Hazan, 2022.
Le coffret « L’Impressionnisme » réalisé par Valérie Mettais est parvenu à
concentrer en moins de 200 pages une belle synthèse aussi attractive que
didactique de ce courant majeur de la peinture né dans le dernier tiers du
XIXe siècle. Poursuivant la présentation originale de la collection en
format « accordéon » associant une sélection de 55 œuvres majeures
représentatives de l’art de l’impressionnisme, ce coffret est publié à
l’occasion de l’exposition « Le décor impressionniste - Aux sources des
Nymphéas » au musée de l’Orangerie.
Parvenant à évoquer les œuvres de personnalités aussi différentes que Monet
et Renoir, Pissarro ou Degas, cet ouvrage toujours agréable à déplier
permettra au lecteur de rapidement constater ce qui unit tous ces artistes
épris de nature et de couleurs ; Une attraction commune pour la libération
des formes et un désir partagé d’évoquer les sensations nées d’impressions
au contact de la nature. Ce livre est complété par une notice sous la forme
d’un cahier joint détaillant l’origine des œuvres et en rappelant les
notions essentielles.
Un beau voyage sous la forme d’une exposition temporaire chez soi. |
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"Le
bonheur dans la littérature et la peinture" de Pascal Dethurens ; 221 x 280
mm, 192 pages, Editions Hazan, 2022.
Vaste sujet que le bonheur ! Sujet fécond surtout lorsqu’il est recherché
tant dans la littérature que dans la peinture… Une quête pleine de couleurs
et de surprises dont s'est saisi Pascal Dethurens et qu’il nous fait
partager avec cet attrayant catalogue paru aux éditions Hazan.
Le bonheur, cette notion qui a animé les philosophes dès la plus haute
antiquité n’a, il est vrai, cessé d’inspirer aussi bien les artistes que les
historiens, écrivains, romancier ou essayistes… C’est à cette quête croisée
et belle aventure, tâche ardue, cependant, à laquelle s’est attaché Pascal
Dethurens, professeur de littérature comparée et spécialiste des liens entre
arts et littérature. Ce bel ouvrage servi par un long et riche texte et par
une iconographie aussi inspirante qu’évocatrice transporte le lecteur dans
ces liens ténus entre sentiment de plénitude prêté au bonheur et création en
occident. Convoquant Marc Aurèle, Roger Caillois, Mircea Eliade... en regard
de Matisse, Bonnard, Léger et tant d’autres, l’ouvrage s’égrène tel un
sablier empli de sable précieux…
Instant rare et souvent fugace, le bonheur fait tour à tour l’objet
d’adulation ou de méfiance selon les courants de pensée au fil des siècles.
La subjectivité entre ainsi au cœur de cet état délicat proche, parfois, de
la nostalgie. Réminiscences éparses d’instants précieux, états de plénitude
face à l’immensité de la nature, émerveillements du quotidien le plus
infime, chaque occasion – grande ou petite – peut ouvrir au bonheur ainsi
qu’en témoignent les œuvres d’art et extraits d’œuvres littéraires réunis
par l’auteur. Si le lecteur veut un exemple concret, qu’il s’attarde sur ce
premier tableau reproduit dès les premières pages de l’ouvrage, une œuvre de
Pierre Bonnard, peintre de l’hédonisme et qui parvient à saisir si justement
ces quelques fractions d’éternité sur « La Terrasse à Vernonnet » en 1939,
plénitude des couleurs et de la lumière dont « La fête de Saint-Nicolas » de
Jan Sten à la page suivante constitue l’habile contrepoint avec cette
adorable petite fille serrant sa poupée comme un trésor unique…
Bonheur d’aimer, plaisir des dieux, intimité ou extase, nature sublimée,
plénitude spirituelle, tels sont quelque un des thèmes abordés dans cette
réflexion délicatement menée par un auteur lui-même inspiré ! |
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«
Napoli – Super modern »; Sous la direction du LAN - Local Architecture
Network, de Benoit Jallon, d’Umberto Napolitano et du Laboratoire R.A.A.R. ;
24 x 30 cm, 232 pages, Éditions Park Books, 2020.
Avis aux amoureux de l’Italie, Naples, et bien sûr, aux architectes, la
parution aux éditions Park Books de ce riche ouvrage entièrement consacré à
l’évolution architecturale moderne de Naples dans les années 1930 à 1960. Un
angle de vue architectural rarement étudié et que cet ouvrage sous la
direction de Benoît Jallon, associé fondateur du LAN (Local Architecture
Network) à Paris et de Umberto Napolitano appartenant également au LAN,
révèle avec autant de passion que de précisions.
Avec une iconographie exceptionnelle, notamment les photographies du célèbre
photographe français Cyrille Weiner, cet ouvrage apporte bien des éclairages
sur la construction moderne de cette ville italienne à nulle autre pareille.
Ainsi si Umberto Napolitano revient sur la genèse de cette modernité, Cyril
Weiner souligne la « Douce assimilation » de cette évolution architecturale
des années 1930 à 1960. Avec ses nombreuses contributions, dont celles
également de Manuel Orazi et de Guianluigi Freda, ses plans et détails
architecturaux, c’est un regard et surtout une riche analyse que propose «
Napoli – super modern » sur cet aspect moderne moins connu de cette
métropole portuaire unique du sud de l’Italie.
Une féconde étude d’ensemble appuyée également par un « Atlas » de dix-huit
bâtiments majeurs de Naples datant de 1930 à 1960 comportant plans,
élévations et coupes notamment le fameux « Cube d’or » ou encore le Teatro
Mediterraneo ; Un « Atlas » accompagné et éclairé par les textes d’Andréa
Maglio qui signe également « Of a « Conciliatory » Modernity : Naples
1930-1960 ». |
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"
Camées et intailles, l’art des pierres gravées " de Philippe Malgouyres,
Hors série Découvertes, Gallimard / L’Ecole des Arts Joailliers, 2022.
A l’occasion de l’exposition consacrée à l’art des pierres gravées à L’École
des Arts Joailliers de Paris, les éditions Gallimard publient sous la plume
de Philippe Malgouyres une heureuse synthèse sur cet art trop souvent
méconnu. La pratique de tailler une pierre précieuse ou semi-précieuse
remonte à la plus haute antiquité et n’a cessé de gagner en raffinement
depuis ainsi qu’en témoigne ce numéro Hors-série Découvertes abondamment
illustré. L’auteur, conservateur en chef du patrimoine au département des
objets d’art du musée du Louvre et spécialiste de la glyptique – art de
graver les pierres – souligne combien ces pièces pour certaines
exceptionnelles sont nées du dialogue entre la pierre et la main de l’homme.
Relevant la difficulté quant à leur classement, souvent fantaisiste et moins
rigoureux que pour les espèces vivantes, l’ouvrage rappelle combien ces
imprécisions ont su nourrir une poésie certaine dont ces créations
témoignent au fil des siècles. Depuis le IIIe millénaire av. J.-C., ces
pierres provenant majoritairement d’Inde, feront l’objet de techniques, s’il
en était besoin, le degré de maîtrise et d’excellence atteint par de
nombreux graveurs. Rappelant les fonctions et usages de ces bijoux dès le
Proche-Orient antique, ce petit ouvrage aux inoubliables photographies
transportera le lecteur en un délicat voyage où poésie minérale et art ont
su composer les plus belles créations. |
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« Johan
Celsing – Buildings Texts » ; Sous la direction de Pamela Johnson avec les
contributions de Claes Caldenby, Johan Celsing et Wilfried Wang ;
Photographies de Ioana Marinescu ; Relié, Editions Park Books, 2021.
Johan Celsing a su s’imposer comme l’un des plus talentueux architectes
suédois contemporains. Une telle monographie entièrement consacrée à Johan
Celsing et à l’ensemble de son œuvre était donc vivement attendue. C’est
aujourd’hui chose faite avec ce fort volume de plus de 400 pages « Johan
Celsing – Buildings Texts » sous la direction de Pamela Johnson et publié
aux éditions Park books.
Johan Celsing, né en 1955, a, en effet, travaillé sur des créations très
diverses, allant de musées, bibliothèques, galeries, institutions publiques
à des habitats privés, et même des églises ou lieux de prières. Au fil des
pages de ce riche volume, le lecteur découvrira cependant une ligne
directrice et une conception homogène que le grand architecte n’a eu de
cesse de suivre. Il faut donc saluer cette belle et complète monographie
réunissant l’ensemble des travaux de Johan Celsing, aujourd’hui directeur du
Johan Celsing Architektkontor comprenant des studios basés à Stockholm et
Malmö. Johan Celsing est également professeur d'architecture au KTH Royal
Institute of Technology de Stockholm.
Appuyés par les photographies de Ioana Marinescu, plans, projets et
réalisations – plus de 600 illustrations, se succèdent au grès des
nombreuses contributions de ce fort beau volume dont celles de Claes
Caldenby et de Wilfried Wang soulignant le caractère intemporel des
créations de Johan Celsing. Le lecteur découvrira également des écrits
passionnants signés de Johan Celsing lui-même. Une riche monographie
incontournable qui devrait s’imposer en ouvrage de référence. |
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« L’Art
en Mouvement ; Immersion dans le réseau de transport parisien » d’Anaël
Pigeat ; Photographies de Philippe Garcia ; RATP / Éditions La Martinière,
2022.
Le métro parisien a fait entrer notamment ces dernières décennies l’art.
Mais, connaît-on pour autant ces œuvres d’art qui jalonnent, ici ou là, les
stations et couloirs de métro de la capitale ? A-t-on déjà pris le temps de
les regarder et d’en connaître l’histoire ? C’est pour répondre à ces
légitimes interrogations que la RATP en collaboration avec les éditions La
Martinière viennent de publier « L’art en Mouvement », un attrayant ouvrage
revenant sur une vingtaine d’œuvres présentes sur les lignes du métro d’Ile
de France. Des œuvres d’art du passé, emblématiques, telles ces entrées de
station dans le pur style Art nouveau signées Hector Guimard et encore
tellement aimées de nos jours... Mais, aussi des œuvres proposant « Des
dialogues avec la ville » d’artistes français et du monde entier ; on songe
à Françoise Schein à la station Concorde, au Nautilus de François Schuiten
pour la station des Arts et Métiers ou encore à Carlos Sarrabezollers à la
station Richelieu-Drouot. Appuyé par les belles photographies de Philippe
Garcia, chaque sous-chapitre consacré à un artiste revient sur plusieurs
pages sur l’œuvre, sa genèse et son histoire. Indiquant station et lignes de
métro, ces sont de véritables « Voyages intérieurs » et « Ouvertures sur le
monde », des mondes à explorer, que livrent au regard ces œuvres d’art
signées notamment Hugues Reip sur la ligne 4 ou les « Energies » de
Pierre-Yves Trémois dans la gare d’échange du RER de Chatelet-Les Halles ou
encore Philippe Baudelocque à la station du même nom.
Un séduisant ouvrage offrant une jolie et instructive immersion dans cette
culture toute métropolitaine. |
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« Milan
- Au coeur de la création contemporaine » de MARIE-ASTRID ROY ; Préface de
Béatrice Trussardi, Tommaso Trin ; collection 10+100, Ateliers Henry Dougier,
2022.
La Collection 10+100 des Ateliers Henry Dougier accueille un nouveau titre
consacré à la ville de Milan en Italie signé Marie-Astrid Roy. L’auteur,
passionnée d’Italie et vivant dans la capitale lombarde, a décidé pour le
plus grand bonheur des amoureux de la ville de la mode et de la culture de
nous faire profiter de ses adresses et lieux incontournables à partir de 10
artistes et 100 lieux iconiques de son choix ainsi que le veut le titre de
la collection.
Avec cet ouvrage passionnant et abordant autant de chemins de traverse que
la ville peut en susciter, nous découvrons une autre Milan au fil de ses
créateurs tels Stefano Boeri, Giacomo Moor, Anna Franceschini et bien
d’autres encore ayant accepté de livrer leur témoignage sur la ville ; des
visions non seulement d’artistes mais également de Milanaises et de Milanais
d’adoption ou de naissance.
Fort de ces témoignages, le guide propose cinq parcours afin de (re)découvrir
100 lieux, pour certains emblématiques tel le Mudec, pour d’autres plus
secrets notamment l’Armani/Silos… Dans tous les cas, c’est une autre ville
qui s’ouvre au lecteur avec sa modernité et ses traditions cohabitant en une
harmonie sans cesse revisitée, l’auteur sachant mieux que quiconque en faire
partager la magie et nous donner l’envie de découvrir son charme et ses
trésors qui pour certains remontent à la plus haute antiquité.
Un guide précieux à emporter sans faute avec soi pour son prochain voyage en
Lombardie ! |
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«
Claude Monet – fragments d’une vie » de Gérard Poteau ; Relié, 16 x 22 cm,
200 pages, Éditions des Falaises, 2021.
Avec « Claude Monet - fragments d’une vie » Gérard Poteau nous invite à
entrer dans l’intimité du Père de l’impressionnisme. L’ouvrage débute avec
les quatre-vingts ans de cette stature hors du commun, dans sa demeure, à
Giverny. Comment effectivement ne pas entrer dans l’intimité de Claude Monet
sans évoquer cette demeure rose ? Giverny avec sa salle à manger jaune, sa
cuisine bleue et surtout son jardin, ses ponts japonais et ses fameux
nymphéas, aujourd’hui célébrés dans le monde entier.
Dans un style très agréable, Gérard Poteau– déjà auteur de récits
biographiques, livre ici un intime portrait du peintre : Monet et « Camille
et Alice » ses épouses, ses amis et rencontres. Illustré de toiles du
maître, mais aussi par de nombreuses photographies, ce récit qui se veut
entre biographie et roman s’appuie notamment sur la vaste correspondance de
Claude Monet. Le lecteur retrouvera ainsi le peintre dans son atelier, dans
son jardin dont il dessina les allées et choisit les essences et presque
chaque fleur. On se surprend même à s’inviter à ce fameux « déjeuner » et «
à attendre les deux coups de gong qui annoncent l’heure du repas chez les
Monet »…
Une jolie immersion tant dans l’œuvre que la vie de l’un des plus grands
peintres de l’histoire de l’art. |
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« Paul
Signac – l’air du large » de Marina Ferretti Bocquillon ; Relié, 22 x 16.5
cm, 80 pages, Éditions des Falaises, 2021.
Dans le même esprit de jolies escapades, Marina Ferretti Bocquillon nous
convie avec ce petit ouvrage à une croisière maritime au grès des toiles et
marines de Paul Signac. L’auteur, spécialiste du célèbre peintre,
responsable notamment des Archives Signac, sait combien ces thèmes, les
ports, la mer et les bateaux ont été des thèmes chers à l’artiste. Un amour
de la mer et des couleurs que Paul Signac néo-impressionniste chérira pour
ses œuvres toute sa vie, de la Normandie à la Méditerranée, mais aussi la
Bretagne ou encore l’Italie et Venise. Fécamp, Port-en-Bessin, Saint-Briac,
Portrieux, Concarneau, Antibes ou Constantinople, chaque œuvre surprend par
ses variations, ses transparences et jeux de lumière. Antibes sous un arc en
ciel, Saint Tropez sous ou après l’orage… Ainsi que le souligne l’auteur : «
Apôtre de la pureté des teintes, Paul Signac a dédié son existence à l’étude
de la couleur ». Ce dernier signera d’ailleurs un essai et traité
chromatiques aujourd’hui conservé aux Archives Signac. Se révèlent ainsi au
regard, page après page, toile après toile, toute la subtilité et les
variations, reflets et couleurs de la palette de Paul Signac que ce soit en
qualité de peintre, d’aquarelliste ou dessinateur.
Un bel et agréable « Air du large » ! |
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« Julie
Manet – la Mémoire impressionniste » ; Catalogue de l’exposition éponyme -
musée Marmottan Monet sous la direction de Marianne Mathieu ; Relié, 22 x
28.5 cm, 324 pages, 250 illust., Editions Hazan, 2021.
« La mémoire impressionniste » ! Quel plus joli et pertinent titre pouvait
être retenu pour cette superbe et unique monographie consacrée à Julie Manet
(1878-1966), catalogue accompagnant l’exposition éponyme actuellement au
musée Marmottan Monet. Julie Manet se trouva en effet au centre même de ce
fabuleux mouvement dénommé « l’impressionnisme » qui allait bouleverser
l’histoire de l’art. Qu’on en juge ! Julie fut la fille unique de Berthe
Morisot et seule nièce d’Édouard Manet, frère de son père Eugène Manet. Elle
posera très tôt pour les plus grands peintres de Renoir aux peintres
impressionnistes dont Monet ou encore Degas sans oublier, bien sûr, sa mère
Berthe Morisot, avant de devenir elle-même une artiste accomplie et une
collectionneuse avertie. « Julie rêveuse » ou « Julie Manet au chapeau
liberty » peinte par sa mère, Berthe Morisot, en 1894 et 1895 ou par Pierre
Auguste Renoir, « Julie Manet à la robe rose et au chapeau à fleurs de
pommier » en 1899… « Un art naturel de la pose » que développe Dominique
D’Arnoult.
L’ouvrage sous la direction de Marianne Mathieu retrace au travers de riches
contributions la vie de cette figure incontournable de l’impressionnisme :
son enfance, orpheline à treize ans, son mariage, mais aussi sa vie
d’artiste et de femme. Julie Manet s’engagea à faire connaître les œuvres de
sa mère et de son oncle. Elle voua un amour immodéré à l’art, et c’est avec
passion qu’elle réunira une belle et vaste collection avec son mari Ernest
Rouart, fils d’Henri Rouart. Son journal qu’elle tiendra de 1893 à 1899
révèle, ainsi que le souligne Claire Gooden dans sa contribution, une belle
qualité de jugement. C’est cette vie faite de toiles, tableaux et de dessins
que le lecteur découvrira en ces pages. Julie Manet sera, en effet, toute sa
vie entourée des plus grands noms et œuvres de l’impressionnisme à commencer
par sa mère, Berthe Morisot, première peintre impressionniste. Que de
rencontres pour cette femme qui à la fin de vie, toute de noire vêtue,
n’aura quasiment jamais quitté l’immeuble familial de la rue Villejuste !
Avec plus de trois cents pages, ce sont ces années et tournant de siècle que
l’ouvrage traverse, livrant ainsi au lecteur mille et une facettes de Julie
Manet.
Appuyé par une vaste iconographie, de nombreux documents et photographies
pour nombre inédits, cet ouvrage offrant la première monographie dédiée à
Julie Manet ne peut indéniablement que s’imposer au titre d’ouvrage de
référence. Incontournable ! |
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«
Comment regarder un tableau » de Françoise Barbe-Gall, Éditions Chêne, 2021.
C’est un ouvrage fort utile, voire précieux, que signe Françoise Barbe-Gall
aux éditions Chêne : « Comment regarder un tableau ». Qui, il est vrai, ne
s’est jamais senti, un jour, dérouté devant une toile ? Or, partant du
postulat que regarder et appréhender une œuvre s’apprend, que l’œil et le
regard peuvent s’éduquer, l’auteur, historienne de l’art et enseignante,
livre en ce fort volume didactique et passionnant de plus de 300 pages une
multitude de clés pour mieux regarder et saisir un tableau. Une
problématique que l’auteur connaît mieux que quiconque puisque cette
dernière a fondé l’association CO.RE.TA , comprenez « COmment REgarder un
TAbleau », pour laquelle elle assure et donne de nombreuses conférences.
Françoise Barbe-Gall a en effet à cœur de transmettre et de rendre
accessibles ces clés de lecture permettant à tout un chacun d’aiguiser à son
rythme et selon ses expériences son regard. Car « apprendre à regarder un
tableau suppose, avant toute chose, que l’on veuille bien, littéralement, en
croire ses yeux. » souligne l’auteur. C’est cette expérience aussi féconde
qu’indispensable que nous livre ainsi l’historienne de l’art dans ce
captivant ouvrage. Appuyé par une riche iconographie, l’ouvrage propose, en
effet, une progression réfléchie en six chapitres allant d’« Une simple
réalité » à « La douceur d’un tableau » en passant par « Les déformations du
visible » ou encore « La confusion des apparences ».
L’auteur n’entend pas cependant, en ces pages, bannir nos impressions
premières, mais bien à partir de ces dernières nous apprendre à saisir
pleinement le sens d’une œuvre, notamment « Deviner ce qui n’est pas dit »,
« renoncer aux évidences » ou encore « Prendre le temps de se tromper »...
Pour cela, sur le fondement de plus de 40 tableaux et artistes majeurs de
l’histoire de l’art (Giotto, Botticelli, Raphaël, mais aussi Bacon, Soulages
ou Rothko, etc.), l’ouvrage livre une analyse claire et pédagogique de
chaque œuvre allant d’une vision d’ensemble à l’étude des détails
signifiants, offrant ainsi au lecteur une fructueuse mise en perspective
didactique ou une clé de lecture, tel que « Découvrir l’essence d’un
caractère », « Voir naître la lumière » ou « Apprendre l’attente »…
À ces thèmes-clés d’étude, viennent s’ajouter en correspondance pour chaque
point abordé 42 pages de « Post-scriptum » comprenant repères et tableaux
chronologiques, historiques ou culturels permettant au lecteur curieux
d’aller plus loin et d’aiguiser plus encore son regard.
Un ouvrage aussi riche que plaisant pour accompagner ses escapades
culturelles. |
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«
Impressionnisme ; De Giverny à la Norvège » de Hayley Edwards Dujardin,
Collection «Ça, c’est de l’art », éditions Chêne, 2021.
Pour une approche toujours plaisante et surprenante, il faut retenir dans la
fameuse collection « Ça, c’est de l’art » l’ouvrage « Impressionnisme ; De
Giverny à la Norvège. » d’Hayley Edwards Dujardin aux éditions Chêne. Un
ouvrage didactique relevant le défi de présenter en 40 notices les plus
grands peintres et œuvres de l’impressionnisme tout en offrant au lecteur
bien des surprises et étonnements. Hayley Edwards Dujardin, historienne de
l’art et de la mode, sait en effet plus que tout autre surprendre et capter
la curiosité. Anecdotes, détails, repère chronologique foisonnent à chaque
page faisant ainsi revivre l’un des plus grands mouvements artistiques de
l’histoire de la peinture. Sait-on par exemple que Pissarro sera le seul
impressionniste à participer aux huit expositions des impressionnistes ? En
revanche, Manet, bien que désigné par ces derniers de chef de file, ne se
considérait pas impressionniste et ne participera pour sa part à aucune de
leurs expositions…
Des incontournables aux plus inattendus, les thèmes privilégiés (les meules,
la plage, les cathédrales, etc.), les lieux (Giverny, La Montagne
Sainte-Geneviève, La Ciotat, etc.) et œuvres majeures défilent délivrant à
chaque page leurs secrets, précisions historiques, influences ou clins
d’œil. Ainsi si l’on retrouve en fin d’ouvrage, en 1895, Monet en Norvège,
le lecteur pourra aussi dans ces rendez-vous inattendus croiser dans la «
Loge aux Italiens » Eva Gonzalès ou encore à la « Gallery of HMS Calcutta »
Jacques Joseph devenu James Tissot…
On découvre ou redécouvre, l’œil s’enchante devant cette incroyable lumière
à nulle autre pareille, ces couleurs et impressions qui ont fait de ce
fantastique mouvement nommé impressionnisme, au-delà du foisonnement des
individualités, l’un des courants majeurs de l’histoire de l’art. |
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« Rouge
: de Pompéi à Rothko » de Hayley-Jane Edwards-Dujardin, collection « Ça,
C'est de L'art », Chêne éditions, 2021.
Avec ce dernier ouvrage paru aux éditions Chêne, Harley Edwards-Dujardin
enquête sur l’une des couleurs les plus anciennes, le rouge. Une couleur
associée aux premières représentations de l’homme sur les parois des
grottes.
Selon une formule déjà classique pour cette collection, grâce à 40 notices,
l’auteur retrace le parcours pour le moins singulier de cette couleur la
plus éclatante et repérable qui soit. Couleur des passions et des extrêmes,
elle fut l’apanage des empereurs romains à partir de la pourpre obtenue à
partir d’un coquillage, le précieux murex, tout comme celle des prostituées,
un destin décidément à part… Rares sont les artistes à n’avoir pas succombé
à ses charmes, qu’il s’agisse des décorateurs des villas pompéiennes ou,
plus proche de nous, Rothko. Ses nuances ont laissé des noms poétiques,
pourpre, garance, sépia, ocre, cinabre… Son aire géographique couvre le
Nouveau comme l’Ancien Monde, les divers continents ayant rapidement perçu
ses richesses et promesses. Neuf nuances de rouge sont en ces pages
rappelées : écarlate, magenta, vermillon, bordeaux, tomate, garance, carmin,
ocre rouge, et bien sûr le pourpre.
L’ouvrage abondamment illustré débute par les fameuses mains de Cueva de las
Manos en Patagonie qui transporteront le lecteur instantanément 11 000 ans
av. J.-C. ! Les belles coupes antiques de la Grèce au VIe siècle av. J.-C.
témoignent quant à elles de la virtuosité des artistes athéniens avec ces
figures rouges sur fond noir. La peinture plus proche de nous est également
abondamment illustrée dans ces pages avec Van Eyck, Van der Weyden, le
Titien, Bronzino, ainsi que Georges de La Tour, fameux pour ses rouges
flamboyants.
Pour chaque artiste, une double page présente l’œuvre retenue, une synthèse
complète ainsi que quelques anecdotes toujours instructives et attrayantes,
faisant de cet ouvrage une passionnante aventure dans le monde des couleurs. |
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"Les
Nymphéas de Claude Monet" de Cécile Debray, Collection Beaux Arts, 218 x 312
mm, 208 p., Éditions Hazan, 2020.
Porte incontournable afin d’entrer dans l’univers de la création de Claude
Monet, les nymphéas – plus communément nommés nénuphars – semblent à la fois
familiers et pourtant si complexes sous le regard du père de
l’impressionnisme. Cécile Debray s’est attachée à ce monument de la peinture
en partenariat avec le musée de l’Orangerie où se trouve conservée la
remarquable collection de Nymphéas de Monet. C’est à une vision d’ensemble
de ce cycle auquel convie cet ouvrage passionnant qui bénéficie d’une
iconographie tout spécialement réalisée à cette occasion. Par un savant jeu
d’agrandissements, le regard entre littéralement dans l’intimité de la
composition grâce au saisissant travail de Fanette Mellier. La fascination
suscitée par ce travail à la limite de l’obsession chez l’artiste a depuis
longtemps gagné le public qui ne cesse de se presser à la découverte de
cette rencontre à nulle autre pareille entre végétal et univers aquatique.
Le foisonnement des formes et des couleurs se confond avec celui de la
palette de l’artiste à un point tel qu’il devient difficile de percevoir qui
en a été le modèle…
Majesté de ces toiles monumentales où l’infime prend valeur de témoignage
lorsqu’il pointe à l’occasion d’une discrète floraison. Cécile Debray
parvient en introduction à faire partager cette abstraction dans des
analyses à la fois accessibles sans leur ôter leur complexité. Les infimes
vibrations de la lumière sur le végétal, ses échos sur l’onde et ses
innombrables reflets composent une litanie éternelle que le peintre n’aura
de cesse d’explorer tout au long de sa vie. Comment saisir cette fugacité ?
Par quel moyen interrompre le temps afin de capter ces frémissements
imperceptibles pour la plupart d’entre nous ? C’est à cette magie auquel
convie cet ouvrage remarquable, aussi beau qu’inspiré, une évasion à lui
seul à découvrir au plus vite. |
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«
Istanbul - Montparnasse ; Les Peintres Turcs de L’École de Paris » de
Clotilde Scordia avec une préface d’Annie Cohen-Sohal, Éditions Déclinaison,
2021.
Si les cercles des peintres parisiens des années de l’après-Seconde-Guerre
Mondiale sont connus pour leur extrême vitalité, plus méconnus demeurent
cependant - et à tort - « Les Peintres Turcs de l’École de Paris ». Une
lacune que vient combler aujourd'hui avec bonheur cet ouvrage intitulé «
Istanbul Montparnasse » signé Clotilde Scordia aux éditions Déclinaison.
Ces peintres de l’École de Paris, tous contemporains de l’arrivée au pouvoir
de Mustafa Kemal Atatürk et de la République de Turquie, furent pourtant
largement célébrés en Turquie dans ces années d’après-guerre. Clotilde
Scordia a fait choix de nous faire découvrir les œuvres de onze de ces
artistes turcs majeurs. Onze « Peintres en quête de modernité » ayant choisi
la France à la fin de la guerre, ainsi que le souligne l’auteur en son
premier chapitre, avant de revenir sur les œuvres respectives de chacun de
ces peintres.
Parmi eux, deux femmes retiendront l’attention pour leur dynamisme,
détermination et modernité ; Fahrelnissa Zeid, une « personnalité
flamboyante » aux œuvres colorées, et Tiraje Dikman, livrant une œuvre plus
abstraite sous influence surréaliste. Mais le premier à avoir quitté en ces
années d’après-guerre son atelier d’Istanbul pour venir s’installer à Paris
fut Fikret Moualla en 1939. Ce dernier, reconnu déjà dans son pays natal
ainsi que de l’autre côté de l’Atlantique à New York, fut remarqué pour ses
célèbres cafés parisiens dans lesquels sa vie nocturne sulfureuse trouva
inspiration. Il fut rejoint à Montparnasse en 1946 par Nejad, puis par d’Avni
Arbas, et en 1947 par Salim Turan…
Tous ces artistes quittèrent leur atelier d’Istanbul pour venir rejoindre
les peintres et les cercles créatifs et féconds de Montparnasse.
Participants aux expositions consacrées à l’art turc du Musée d’art moderne
de Paris et du musée Cernuschi, ces peintres surent, au-delà des critiques
de l’époque, rapidement s’imposer en peintres majeurs notamment grâces aux
galeristes et collectionneurs. Chaque chapitre consacré à ces onze «
Peintres Turcs de l’École de Paris » offre au regard des œuvres chatoyantes
ou d’une profondeur sombre.
Aujourd’hui, Clotilde Scordia nous propose, au travers ces onze monographies
richement illustrées, de (re)découvrir ces « Peintres Turcs de L’École de
Paris ». À ce titre, on ne peut, ainsi que le souligne Annie Cohen-Sohal
dans sa préface, que l’en féliciter. |
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«
Espagne abandonnée » de Fran Lens, Paco Quiles & Carlos Sanmillán, 208 p.
297mm x 210mm, Editions Jonglez, 2020.
C’est une Espagne désolée, moins connue, marquée par la mémoire du temps et
de l’histoire que nous livre au regard ce superbe ouvrage photographique, «
Espagne abandonnée », paru aux éditions Jonglez. Issu du travail
photographique de Paco Quiles, Fran Lens et Carlos Sanmillan, chaque
chapitre, page et photos offrent, en effet, une découverte d’une autre
Espagne, loin des clichés habituels, celle d’une Espagne dont la mémoire ne
veut pas mourir…
Les auteurs appartiennent tous au célèbre et fameux groupe « Abanbonned Span
», un groupe s’étant donné pour tâche de faire revivre et de garder traces
de ces villages, places ou autres lieux désertés, abandonnés, parfois
laissés en ruines. Le célèbre Don Quichotte aimait à voir d’autres réalités
que celles des autres mortels, sublimant ce qui était vulgaire, comme avec
la douce Dulcinée ou ses fameux moulins… Notre trio sans chercher cependant
querelle à des chimères s’éloigne des autoroutes touristiques pour prendre
des chemins de traverse, au détour d’une église abandonnée, d’une masure
esseulée, compagne de lierres envahissants. La beauté n’est pas la seule
conviée dans cet ouvrage remarquable par la qualité de son témoignage,
d’anciennes friches industrielles laissent encore percevoir les espoirs que
des femmes et des hommes plaçaient dans la modernité, et ce qu’il en est
resté, gravas, cheminées fort heureusement sans fumée…
Le constat, parfois quelque peu amer, n’est cependant pas toujours
pessimiste avec ces magnifiques photographies réunies dans cet ouvrage, la
voûte céleste laisse encore percevoir ses constellations d’étoiles, même sur
une masure abandonnée, des lieux somptueux n’attendent que le baiser d’un
prince charmant, peut-être celui d’un lecteur, de cet ouvrage inspiré. |
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« L’Eau
par les grands Maîtres de l’Estampe japonaise » par Jocelyn Bouquillard ;
Coffret avec cahier explicatif, 12 x 17.5 cm, 226 p., Éditions Hazan, 2021.
La fameuse collection « Les grands Maîtres de l’Estampe japonaise » aux
éditions Hazan s’enrichit d’un nouveau titre « L’Eau par les grands Maîtres
de l’Estampe japonaise » du XVIIIe siècle et XIXe siècle. Un thème
effectivement porteur et privilégié des Maîtres japonais ; qui ne songe dès
à présent à la célèbre vague d’Hokusai ? Ponts, rivières, cascades ou
simplement pluie sans oublier la neige, cet élément naturel a donné lieu aux
plus belles et célèbres estampes, des estampes signées notamment Hokusai, ou
encore Kuniyoshi. Dans son coffret et sa reliure japonaise en accordéon, cet
ouvrage sous la direction de Jocelyn Bouquillard, responsable des
collections d’estampes de la Bibliothèque Sainte-Geneviève et auteur
notamment de « Hiroshige en 15 questions » et de « Les trente-six vues du
Mont Fuji d’Hiroshige » également aux éditions Hazan, offre en effet au
regard toutes les expressions de cet élément omniprésent au pays du Soleil
levant, lacs, océan, cascades… Plus de soixante estampes célébrant chacune à
leur manière l’eau. Communion et spiritualité s’y mêlent que ce soit dans la
poésie des fines pluies, dans la puissance ou bouillonnements des flots et
vagues ou dans les courbes et arabesques des rivières. Chaque estampe
retenue révèle à elle seule toute la virtuosité des grands Maîtres japonais
des siècles passés. Accompagné d’un livret introductif et explicatif livrant
dates et précisions sur chacune des estampes représentées, ce coffret vient
compléter à merveille cette collection enchanteresse. |
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Loustal
: « Aux Antipodes » ; dessins, 180 p., Editions la Table ronde, 2020.
C’est un voyage « Aux antipodes » plein de charme et de poésie que nous
propose le dessinateur Loustal dans cet ouvrage aux pages enchantées dans
leur format paysage et paru aux éditions La Table ronde. Loustal nous conte
également chemin faisant sa découverte, enfant, de ces contrées lointaines,
son désir d’imaginaire et de dessin, et son aspiration enfin à voyager et à
acquérir son propre style. Les dessins de Loustal, passant du fusain aux
couleurs, ne sont pas seulement une belle invitation à voyager, ils
captivent et entraînent dans des rêves d’ailleurs et des songes infinis.
Rien d’étonnant à cela puisque le dessinateur sait plus que quiconque partir
de ses dessins au fusain pour laisser en fin de compte voguer sa propre
imagination et ses couleurs, aquarelle ou huile. Son style épuré offre en
ces paysages lointains bien plus qu’un pur dépaysement, il se colore en ces
pages une joie, une candeur, quelque chose de paisible, parfois nostalgique
voire d’esseulé…
Ainsi, glisse-t-on dans ces paysages de la « Terre de Feu », mélange de cap
lointain, de paysages marins, et d’épaves… On se surprend à rêver après
Brasilia, au soleil des plages de Floride, à la douceur des Îles Canaries
(hors saison, précise le dessinateur !). Et puis, le bleu se fait plus gris,
plus mélancolique lorsque l’on aborde l’Islande avant de retrouver les
couleurs éclatantes de soleil de l’Italie ou de la Grèce. A chaque dessin,
c’est une poésie singulière, épurée qui s’offre au regard, une poésie où
dominent le fusain et le bleu lointain des rivages d’un imaginaire infini.
Les dessins de Loustal sont une magie, ils racontent, disent, dévoilent,
laissent s’envoler souvenirs et voguer les rêves d’ailleurs aussi loin que
le souhaite le lecteur… |
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«
Histoire vivante de l’impressionnisme » de Valérie Mettais, Collection «
Beaux-Arts », Éditions Hazan, 2021.
C’est à une véritable « Histoire vivante de l’impressionnisme » que nous
convie Valérie Mettais, historienne de l’art. Rien de figé, en effet, dans
cet ouvrage paru aux éditions Hazan nous offrant toute l’aventure et la
diversité de couleurs des palettes de ces peintres qui furent désignés par
dérision « Les impressionnistes ». Un mouvement de fond, qui allait
bouleverser la trajectoire de la peinture. Pour capter ce formidable
foisonnement artistique, l’auteur a opté pour une approche chronologique,
décennie par décennie, de 1863 à 1905. Un choix judicieux qui permet à
Valérie Mettais de recontextualiser un mouvement artistique majeur trop
souvent à tort coupé de tout. Printemps 1863, c’est le salon dit « des
refusés », un succès et le début d’une longue et belle histoire… À la
Closerie des Lilas, Monet, Sisley, Renoir se rebiffent contre cet académisme
décidément trop académique. Ils sortent des ateliers pour le plein air ; ce
sera la Normandie, mais aussi les berges de la Seine, Chatou et sa
Grenouillère qu’immortalisera Renoir… S’appuyant sur une vaste iconographie,
les impressionnistes, au fil de l’eau et des pages s’affirment, se dévoilent
et s’imposent. Les années, les peintres et les destins se croisent. Ainsi
que le souligne Valérie Mettais en son avant-propos : « Cet ouvrage n’est
pas une histoire de l’impressionnisme en ce sens qu’il ne se concentre par
sur ses seuls et prétendus adeptes (…), mais accueille aussi ceux qui l’ont
accompagné et ceux qui ont croisé sa route, l’ont enrichi, suivi ou dépassé.
» Degas, Pissarro, Caillebotte ou encore Émile Bernard, Paul Sérusier, mais
aussi Manet, Cézanne et ses horizons. On y croise aussi Gauguin « Dans la
maison jaune » et les couleurs de Van Gogh. Le moulin de la galette enchante
Toulouse-Lautrec et le Moulin-Rouge tourne ses ailes et les têtes. Chacun de
ces peintres marquera à leur manière, de par leur singularité, leurs
perceptions et couleurs, ce que l’on appellera dorénavant l’impressionnisme…
En 1905, les impressionnismes enthousiasment et enthousiasmeront le monde
entier ouvrant ainsi leurs portes à l’avenir…
Un ouvrage riche et alerte qui fourmille de détails et d’anecdotes offrant
une réelle et belle « Histoire vivante de l’impressionnisme ». |
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«
Églises abandonnées » de Francis Meslet, Editions Jonglez, 2020 ».
Au-delà du triste constat que pose tout édifice en déshérence, l’ouvrage de
Francis Meslet nous place cependant au-delà, face à notre propre rapport à
l’égard de l’histoire et de la culture, indépendamment de nos convictions
religieuses. L’auteur a, pour cela, mené une véritable enquête sur huit
années, enquête qui l’a emmené aux quatre coins de l’Europe où il a pu
saisir avec son appareil photographique ces insolites et désolés instantanés
d’abandons et de pesants silences… Quoi de plus triste, en effet, qu’une
église vidée de tout son sens, celui de la réunion, de la fraternité et du
partage, même si cette église doit avant tout s’entendre en un sens plus
spirituel que matériel…
L’auteur et photographe a choisi avec cet ouvrage saisissant de livrer un
réel et beau témoignage éloquent, celui d’une Europe qui a depuis longtemps
perdu ses racines chrétiennes et se débat avec cet héritage que certains
jugent encombrant si l’on en juge l’incurie et l’inaction à l’égard de ces
bâtiments en totale déshérence. Au-delà du silence qui pourrait à la rigueur
encore convenir à des lieux sacrés, c’est surtout le péril de leur
disparition définitive qui interpelle. Ces lieux non entretenus prennent
l’eau, leur structure se fragilise et à terme s’écroulent d’eux-mêmes ou par
mesure de sécurité font l’objet de mesures radicales.
Curieusement l’actuelle pandémie nous a livré de tels spectacles de
désolation avec une place Saint Marc vidée de ses touristes… Soudain, la
question du sens prend toute sa valeur, surtout lorsqu’il s’agit de lieux de
foi. Les photographies de Francis Meslet parlent d’elles-mêmes, elles qui
prennent à témoin le lecteur lorsque le cœur et le toit d’une chapelle du
Piémont sont mis à nu, ouverts à quatre vents… Ces statues d’une église
bourguignonne semblent attendre les fidèles, en une patiente éternité… Le
végétal et la nature reprennent aussi leur droit sur ces pierres de la foi,
faut-il voir là un signe ?
On ne peut qu’espérer que cet ouvrage émouvant par son sujet, « Les Églises
abandonnées » contribue à apporter une nouvelle pierre, celle d’une réponse
respectueuse de l’Histoire et des cultures… |
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Alain
Vircondelet : « De l’or dans la nuit de Vienne selon Klimt », Éditions
Ateliers Henry Dougier, 2021.
« Le Baiser » du célèbre peintre autrichien Gustav Klimt, œuvre emblématique
d’une époque et d’un esprit, fait l’objet d’un essai séduisant d’Alain
Vircondelet, historien de l’art et biographe talentueux. Publié dans la
belle collection « Le roman d’un chef-d’œuvre » aux éditions Atelier Henry
Dougier, cet ouvrage sort des sentiers battus et offre un plaisant regard
transversal sur une œuvre d’art, roman à elle seule.
S’inscrivant dans le mouvement de l’Art nouveau et de la Sécession de
Vienne, Klimt a surpris indéniablement ses contemporains par ses toiles sur
fond d’or, véritables ponts entre tradition byzantine, Ravenne, Venise et
symbolisme de la fin du XIXe siècle. Par quelle alchimie, cependant, cette
œuvre envoûte-t-elle autant celles et ceux qui la découvrent ? Telle est la
quête passionnante que mène Alain Vircondelet sur cette icône souvent
réduite à un fougueux transport amoureux. Si l’amour semble bien en effet au
cœur de cette composition, l’or irradiant l’œuvre invite également à la
pureté et à l’absolu du désir inaltérable. Face à la fascination exercée par
ce tableau depuis un siècle, Alain Vircondelet cherche à lever les voiles
jetés sur « Le Baiser » et à en révéler les différents éclats. Les ors
sertissent la rencontre d’un homme et d’une femme au cœur d’une prairie
fleurie, cadre idyllique si ce n’est le vide qui commence à attirer les
amoureux à leur insu. Fragilité et insouciance cohabitent ainsi dans cet
espace plus sacralisé qu’il n’y paraît de prime abord.
Émilie Flöge, muse de Klimt, se trouve évoquée sur le tableau, une styliste
appréciée qui concevait les tissus représentés dans l’œuvre. Amour sacré,
amour profane, thème de prédilection de Titien et autres peintres de la
Renaissance, trouvent ici un écho repensé, loin des représentations
romantiques erronées de cette œuvre. L’or tente d’enchâsser pour l’éternité
l’évanescence des corps et de la vie à la veille de la pénombre qui guette
Vienne et le monde ; Une dimension religieuse possible du tableau, ainsi que
le suggère avec intelligence et passion Alain Vircondelet dans cet ouvrage
aussi attrayant que stimulant.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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«
Follement drôle – Wahnsinnig Komisch » ; Sous la direction du Dr Anne-Marie
Dubois et du Dr Thomas Röske ; Couv.cartonnée, 19 x 26.5 cm, 160
illustrations, 232 p., Bilingue français-allemand, Editions In Fine, 2020.
Voilà, enfin, un ouvrage qui vous mettra de bonne humeur ! Intitulé «
Follement drôle », ce dernier donne, en effet, à voir les collections du
Musée d’art et d’histoire de l’hôpital Sainte-Anne (MAHHSA) et la collection
Prinzhorn de l’hôpital universitaire allemand de Heidelberg. Réunies pour la
première fois en ces pages à l’occasion de l’exposition éponyme au MAHHSA
jusqu’au printemps 2021, ces collections viennent illustrer avec bonheur que
« la « folie »ne se conjugue pas nécessairement avec le « drame » ».
Ici, les œuvres présentées riment avec drôlerie, humour et plaisanterie,
voir avec caricature, et révèlent la distanciation que peuvent avoir
certains malades. Nez rouges, portraits caricaturés et sens du dérisoire
s’entremêlent. Des œuvres singulièrement drôles qui surprennent tant pas
leur identité propre que par leurs points de contact au-delà des époques. On
y retrouve ainsi comme des fils conducteurs la caricature, le grotesque, la
grivoiserie ou encore la distanciation à l’égard des institutions
psychiatriques. Des traits-unions ayant dicté la présentation des œuvres et
les chapitres de l’ouvrage. Sous la direction du Dr Anne-Marie Dubois,
directrice scientifique du MAHHSA et du Dr Thomas Tüske, directeur du
Prinzhorn Collection Museum, et appuyé par de nombreux textes et
contributions, l’ouvrage propose également une éclairante analyse tant des
œuvres que de ce « follement drôle » qui les anime.
À ce titre, les collections respectivement de Sainte-Anne réunie à partir
des années 1950 et Prinzhorn constituée en 1900 sont emblématiques de ce que
peuvent révéler et offrir à voir ces œuvres singulières et ici colorées de
drôleries. |
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Tim
Cornbill : « Le grand livre de la photo urbaine », 235 x 255 mm, 192 p.,
Éditions Dunod, 2020.
La photographie urbaine a acquis ses lettres de noblesse au siècle passé
grâce aux travaux précurseurs d’artistes comme Atget, Brassaï,
Cartier-Bresson. Mais connaît-on véritablement ce qui la compose, la
caractérise et la constitue ? C’est à cette délicate tâche à laquelle s’est
attelé avec rigueur et pédagogie Tim Cornbill dans cet ouvrage concis sur un
sujet pourtant sans frontières… Diurne ou nocturne, avec ou sans habitants,
noir et blanc ou couleur, la liste est quasi infinie des multiples
variations auxquelles se prête la ville pour le photographe ayant décidé
d’en faire son sujet. Tim Cornbill a choisi dans ces pages de dévoiler cette
passion qui l’anime depuis fort longtemps et qui le porte à braquer son
objectif de Paris à New York, en passant par Berlin, Dubaï ou Barcelone...
Chaque lieu possède son identité, et ce bien au-delà de la mondialisation
galopante. Une singularité urbaine peut fort heureusement poindre encore de
nos jours à la condition de respecter certaines règles que l’auteur rappelle
et détaille. Ainsi, comment choisir les bonnes focales, les lieux propices,
la météo pour la lumière et les couleurs ou encore gérer les perspectives ?
Cet ouvrage, riche d’enseignements, aborde tous ces points essentiels, et
bien d’autres encore, avec un nombre impressionnant de conseils pratiques
pour réussir ses plus belles photos urbaines. L’ouvrage offre au regard en
plus du travail de l’auteur commenté lui-même, les œuvres de huit autres
artistes majeurs de la photographie urbaine, tels Brassaï, Martin Parr,
Cartier-Bresson, Sebastien Weiss… Au-delà, et grâce à aux conseils pratiques
de Tim Cornbill, c’est une approche artistique nourrie par l’esprit même des
lieux urbains qui vient animer les œuvres des plus grands photographes.
Un ouvrage unique livrant une véritable philosophie de la photographie. |
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« Eyes
that Saw – Architecture After Las Vegas », Collectif; 14 x 21 cm, 197
illustrations, 504 p.; Stanislaus von Moos and Martino Stierli, Scheidegger
& Spiess Editions, 2020.
« Eyes that Saw » intéressera assurément plus d’un architecte, historien
d’art ou créateur puisque cet ouvrage propose une riche et instructive étude
sur l’héritage encore présent de nos jours du « Learning from Las Vegas ».
Ce dernier paru dans les années 1970, fruit du travail mené par Robert
Venturi et Denise Scott Brown, fut un immense et immédiat best-seller qui a
su imposer jusqu’à aujourd’hui au titre de référence incontournable en
matière d’architecture des années 70. Robert Venturi et Denise Scott Brown y
livraient, en effet, leur étude menée avec Steven Izenour sur le thème de
Las Vegas à la Yale School of Architecture.
Aujourd’hui, plus de quarante ans après, ce ne sont pas
moins de quatorze experts, architectes, historiens de l’art et artistes qui
livrent au lecteur dans ces quelque 500 pages de « Eyes that Saw -
Architecture After Las Vegas » leur analyse de cette influence incontestable
et incontestée du « Learning from Las Vegas » sur notre quotidien. Apportant
chacun leurs propres vues selon des angles différents appuyés par plus de
190 illustrations, c’est l’ensemble du vaste rayonnement du « Learning from
Las Vegas » qui se dévoile, ainsi, au lecteur que ce soit en matière
architecturale, de design mobilier urbain ou encore dans le domaine des arts
visuels.
Le lecteur y découvrira également des archives et documents provenant de
Venturi, Scott Brown & Associates de l'Université de Pennsylvanie, ainsi
qu’une chronologie médiatique illustrée de l’influence du « Learning from
Las Vegas » de par le monde entier.
Une étude collective riche et instructive offrant une réelle et belle mise
en perspective du rayonnement dans le monde du « Learning from Las Vegas »
depuis maintenant presque un demi-siècle. |
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«
Jean-Michel Wilmotte Muséographie, Architecture De Musée, Scénographie,
Galeries, Ateliers D’artistes » ; Contributions de Jean-Jacques Aillagon,
Taco Dibbits, Françoise Mardrus, Luis Monreal, Jean-Michel Wilmotte ;
Édition reliée et toilée, bilingue français/anglais, 22 x 30 cm, 376 p., 300
illustrations, Éditions SKIRA, 2021.
Jean-Michel Wilmotte compte assurément plusieurs casquettes à son actif.
Architecte, urbaniste, mais aussi designer, cet esprit insatiable de
curiosité surprend depuis le milieu des années 70 pour l’étendue, la
diversité et la qualité de ses réalisations dans des domaines aussi
différents que l’architecture, l’architecture d’intérieur, la muséographie,
le design, l’urbanisme… Électron libre, son esprit créatif n’a de cesse
d’étonner et de forcer l’admiration par ses réalisations imposantes comme
celles plus discrètes. Rien n’est acquis sauf l’ouverture d’esprit, sans
cesse remise sur le métier comme pour le stade Allianz Riviera. Le soin
apporté à chaque détail, même le plus infime, la conjugaison des sources
d’inspiration et des cultures et une attraction immodérée pour l’art
composent son univers ainsi qu’il ressort de ce bel ouvrage paru aux
éditions SKIRA et présentant les plus audacieuses réalisations de Wilmotte &
Associés. L’entretien de Jean-Michel Wilmotte avec Taco Dibbits (Directeur
du Rijksmuseum Amsterdam) permettra également de se faire rapidement une
idée de ce créateur impénitent. Les 300 photographies réunies offrent elles
aussi un bel aperçu de l’ampleur et de la qualité des créations réalisées
tel l’Hôtel Lutetia récemment rouvert à Paris, le siège londonien de Google,
le stade de Nice ou encore le Centre Spirituel et Culturel Orthodoxe Russe
sans oublier les innombrables muséographies réalisées.
Cet éclectisme ne doit pas cacher la griffe Wilmotte faite de cette délicate
alliance de sobriété et de transparence afin de valoriser les espaces et le
rapport entretenu entre le visiteur et les œuvres d’art notamment pour ses
réalisations pour le musée du Louvre dans l’Aile Richelieu et le département
des Arts premiers au Pavillon des Sessions. Tout visiteur de la collection
Pinault à La Dogana de Venise se souvient en effet de cette habileté à jouer
des contrastes entre l’espace, le volume, les ouvertures et la lumière. La
muséographie et la scénographie sont des arts à part entière et Jean-Michel
Wilmotte démontre par son inspiration que ses réalisations nourrissent de la
plus belle manière qu’il soit le rapport d’un objet à son espace. |
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Stefano
Zuffi : "Le Caravage par le détail", version compacte, 156 x 196 mm, 288 p.,
Éditions Hazan, 2021.
L’œuvre du Caravage s’avère être aussi foisonnante que complexe, à l’image
du peintre dont le destin tragique éclaire un grand nombre de ses
compositions. Aussi, Stefano Zuffi a-t-il conçu « Le Caravage par le détail
» comme un ouvrage clair et accessible, afin d’entrer au cœur de cette
création d’un des plus grands peintres de son temps.
Retenant une approche qui a fait le succès de la collection, c’est par le
détail d’œuvres aussi célèbres que Bacchus, Méduse, David et Goliath, Judith
décapitant Holopherne, et La Diseuse de bonne aventure, que le lecteur se
familiarisera avec l’univers de Caravage dès les premières pages de
l’ouvrage. La vie de Michelangelo Merisi, plus connu sous son nom d’artiste,
Le Caravage, s’apparente au clair-obscur dont il façonne ses toiles : une
lutte éternelle entre la lumière d’une inspiration foudroyante et la
pénombre des affres vécus par le peintre toujours en lutte avec lui-même et
ceux qui croiseront sa vie. Né en 1571 à Milan, la période romaine de
Caravage sera essentielle pour celui qui « …était venu au monde pour
détruire la peinture », souligna abruptement Nicolas Poussin. Si cette
appréciation témoigne de l’effet révolutionnaire que fit ce peintre sur ses
contemporains et ses successeurs au XVIIe siècle, elle révèle aussi
l’ampleur de la tempête artistique qu’initia, en effet, le jeune et fougueux
peintre sur la peinture italienne. Adepte du clair-obscur qui allait envahir
toutes ses toiles comme pour mieux révéler l’âme de ses représentations,
l’artiste s’imposera comme le plus grand peintre naturaliste de son temps,
avec cependant un naturalisme bien singulier pour l’époque.
Si l’artiste mena souvent un parcours solitaire, ce dernier ne sera pas
néanmoins sans relation avec les cercles intellectuels de son époque. Alors
que le fougueux peintre entretint des rapports souvent conflictuels avec
certains de ses contemporains, tel le peintre Annibal Carrache, Le Caravage
sut également nourrir des rapports fructueux avec les poètes et musiciens
qui viendront inspirer des œuvres comme celle du fameux Joueur du Luth. Les
mécènes notamment le marquis Giustiniani (1564 - 1637) et le cardinal
Francesco Maria del Monte (1549 - 1627) auront, eux aussi, une grande
importance dans le parcours du Caravage en étant à l’origine de nombreuses
commandes.
L’artiste se fait remarquer très tôt pour son art à peindre d’après un
modèle vivant, une manière qui aura d’ailleurs une influence déterminante
sur ses contemporains et successeurs. Au lieu de copier les maîtres, il
s’essaie avec le talent qui sera le sien à des représentations personnelles
atypiques comme celle du Petit Bacchus malade, œuvre qui marque la rupture
avec son maître le Cavalier d’Arpin dont il quittera l’atelier après huit
mois seulement. Ce naturalisme va se développer pendant ces riches et
fertiles années romaines jusqu’à ce que le peintre fuyant son destin de
toiles en rixes, achève cette période romaine avec le meurtre suite à une
bagarre avec Ranuccio Tomassoni en 1606, ce qui lui vaudra une peine d’exil.
Ce sera alors Naples, Malte…et la mort au terme de cette fuite incessante.
Stefano Zuffi a privilégié une présentation des œuvres du peintre délaissant
l’ordre chronologique au profit de thèmes récurrents tels les natures
mortes, les lames étincelantes, les cinq sens, les têtes tranchées, les
corps, etc. Comme à l’accoutumée, de gros plans sur de nombreux détails
révèlent la création caravagesque de manière lumineuse et pédagogique
offrant ainsi un ouvrage passionnant. |
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«
Pierre Matisse & Joan Miró ; Ouvrir le feu – correspondance croisée,
1933-1983 » ; Édition établie, annotée et présentée par Élisa Sclaunick, 16
x 20 cm, 792 p., L’Atelier contemporain éditions, 2020.
Si le nom d’Henri Matisse est mondialement connu, celui de son fils Pierre
est resté plus confidentiel et réservé à l’univers des marchands d’art du
XXe siècle, monde auquel il appartenait. Son action inlassable à faire
connaître des peintres comme Chagall ou Miró qui s’avéreront être des icônes
de l’art moderne a été, pourtant, majeure bien que quelque peu méconnue du
grand public. Cette ample et volumineuse correspondance entretenue entre le
marchand d’art, Pierre Matisse, et le peintre espagnol Joan Miró (1893-1983)
publiée par les éditions de l’Atelier contemporain offre à la fois une mise
au point et une mise en perspective des plus fructueuses.
Cet ensemble épistolaire dépasse, en effet, rapidement les relations
d’affaires pour dresser un tableau évocateur, vu de l’intérieur, du monde de
l’art de cette époque. À l’image de l’action entreprise par Pablo Picasso,
Pierre Matisse reste persuadé que seule une action engagée peut assurer une
meilleure diffusion des œuvres créées par ces artistes pour la plupart
encore méconnus. C’est une relation amicale, mais surtout d’initiés qui va
ainsi se tisser au fil des pages dès 1933.
Le début de cette correspondance dévoile un peintre espagnol aspirant à une
reconnaissance internationale, passant par les États-Unis, et bien sûr, New
York, où Matisse possède une galerie reconnue en raison de ses relations
dans le monde de l’art. Ainsi que le souligne Élisa Sclaunick qui a établi
l’édition de cette correspondance, Pierre Matisse encouragera et sera le
spectateur privilégié de la fabrique de l’œuvre du peintre espagnol : « Joan
Miró rend précisément compte de la progression de son travail, de sa
manière, de la façon dont il crée. Il est plaisant de voir se dessiner un
mythe forgé notamment par Michel Leiris amusé du contraste entre cet artiste
et son voisin de la rue Blomet, André Masson : Joan Miró est très ordonné,
très organisé dans son travail, capable de prévoir son travail à l’avance,
de suivre le rythme qu’il s’est fixé, comme il le répète souvent à Pierre
Matisse, peut-être pour rassurer en lui le marchand désireux de faire des
expositions et de réaliser des ventes ». Et effectivement, Joan Miró tient
rigoureusement dans ces lettres le journal de sa création dont les nombreux
détails précisent non seulement sa manière de travailler, mais surtout la
vision de son œuvre en création justifiant le temps passé à son travail pour
son marchand.
Rapidement, à la fin des années 30, Pierre Matisse disposera de l’essentiel
de l’œuvre peint de Miró et confiera avec un jugement d’une rare acuité «
qu’il y a tout lieu de croire que le marché le plus important pour votre
œuvre se trouve ici et que nous arrivons à le développer, c’est ici qu’il
faut faire le grand effort »… Au fil des années, les relations gagnent en
profondeur et en amitié, sur un ton plus direct, Pierre Matisse confiera
sans détour à son ami peintre ce qu’il pense être le mieux pour son œuvre et
son image, indépendamment de toute considération marchande : « On vous
engage dans des chemins où votre dignité souffre et votre réputation en
sortira endommagée. Il est temps de freiner et de refuser à vous prêter à ce
jeu », note-t-il dans une lettre du 30 septembre 1954 à l’occasion de ses
relations avec Aimé Maeght. Ce que nous considérons en ce XXI° siècle comme
des « classiques » de l’art moderne, notamment les céramiques de Miró sont
encore balbutiants, ainsi qu’en témoignent ces échanges épistolaires,
l’artiste s’inquiétant d’un possible faible intérêt pour ces dernières de la
part du marchand d’art.
Une correspondance riche et féconde dans laquelle la complicité qui unit les
deux hommes converge pour établir la reconnaissance d’une œuvre originale et
unique, présentée et commentée « en direct » au fil des pages. C’est
véritablement au cœur de l’atelier de Miró, mais aussi de celui du monde de
l’art du XXe siècle que ces échanges s’échelonnant sur cinquante ans nous
convient, dévoilant au lecteur plus qu’une époque, une évolution
déterminante dans l’histoire de l’art.
Philippe-Emmanuel Krautter
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«
Potential Worlds – Planetary Memories & Eco-fictions »; Textes de Benjamin
H.Bratton, TJ Demos, Reza Negarestani et Jussi Parikka; Introduction de Suad
Garayeva-Maleki et Heike Munder ; 18 x 23,5 cm, 272 p., 1ère édition,
Éditions Scheiddeger & Spies, 2020.
« Potential Worlds » réunit un vaste ensemble d’œuvres récemment montrées
dans le cadre de plusieurs expositions notamment à Zurich (au Migros Museum
für Gegenwartskunst) et à Bakou (au YARAT Contemporary Art Space). Œuvres de
pas moins de trente-six artistes venus du monde entier, chacune d’elle a à
cœur de révéler les désastres subis par la nature et notre environnement.
Collages, montages, clichés ou installations, etc. Ce sont des œuvres de
conviction, originales, singulières et d’une extrême variété dénonçant
toutes à leur manière l’exploitation sans limites des richesses et
ressources de notre univers et ces indéniables conséquences écologiques et
sociales.
Avec des textes signés Benjamin H.Bratton, TJ Demos, Reza Negarestani et
Jussi Parikka, chaque auteur entend accompagner ces œuvres fortes et mettre
en perspective, chacun avec leur propre regard, les différentes façons de
concilier la nature, l’avenir et notre environnement. Des approches tant
écologiques que posthumanistes dans lesquelles l’art a un rôle essentiel à
jouer en tant qu’expérience tant technologique, scientifique et sociale
telle notamment l’adaptation artistique des nouvelles technologies.
L’ouvrage, introduit par Suad Garayeva-Maleki, commissaire et directrice du
YARAT Contemporary Art Space Migros, et Heike Munder, directeur artistique
du Museum für Gegenwartskunst, se propose avant tout de rechercher au
travers de ces différentes annexions et exploitations de notre environnement
quelle serait la meilleure – et peut-être la plus protectrice - définition
de la nature qui pourrait dès lors, et dès aujourd’hui, en être dégagée.
Une approche engagée nous interrogeant, bien sûr, sur la crise
environnementale que notre monde actuel connaît et visant à orienter notre
regard vers la nature de demain, celle que souhaiterions. |
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Susie Hodge : « Petite histoire de l’art moderne et
contemporain ; chefs d’œuvres, mouvements, techniques » ; Broché, 148 x 210
mm, 150 illustrations, 224 p., Coll. « Petite histoire de », Éditions
Flammarion, 2020.
Susie Hodge, historienne, auteur de nombreux ouvrages et artiste elle-même,
nous livre, dans la collection « Petite histoire de », une collection
aujourd’hui bien connue aux éditions Flammarion, une fort attrayante
introduction à l’histoire de l’art moderne et contemporaine.
L’ouvrage a retenu quatre grandes divisions, partant des grands mouvements
ou styles ayant marqué l’art moderne et contemporain (du réalisme aux
YougBritish Artists) jusqu’aux différentes techniques que ces arts ont su
retenir et développer dont notamment « l’impasto », le Ready-Made, les
matériaux industriels ou encore l’art vidéo. Deux chapitres essentiels entre
lesquels viennent s’intercaler pour mieux les illustrer les plus grands
chefs œuvres et les thèmes classiques ou majeurs, offrant ainsi au lecteur
un large éventail d’artistes et d’œuvres choisi et illustré. Chaque section
pouvant être abordée et lue séparément, et comportent des renvois forts
utiles vers les autres parties
L’auteur réussit ainsi le pari d’expliquer de manière claire et concise
l’art moderne depuis Courbet, puis l’art contemporain jusqu’à nos jours avec
notamment l’installation de Yayoi Kusama. Une évolution majeure pour
laquelle Susie Hodge a su également sans en brouiller le sens mettre en
évidence les différences influences, interactions et connexions.
Chaque partie offre, en effet, pour chaque mouvement, chefs d’œuvres, thèmes
ou techniques, présentés sous forme de fiche, les différents points de
repère, associations ou liaisons indispensables à une pleine appréhension
(date, auteurs associés, lieux, etc.) de l’art moderne et contemporain.
Un ouvrage présentant un large panorama de l’art moderne et contemporain
plus que clair et pédagogique, aussi plaisant qu’indispensable ! |
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Charlie
Koolhaas : "City Lust - London Guangzhou Lagos Dubai Houston », texte en
anglais, relié, 412 p., 354 illustrations couleur, 20.5 x 30 cm, Scheidegger
Éditions, 2020.
C’est hors et bien loin des sentiers battus auquel nous convie le dernier
ouvrage de l’artiste Charlie Koolhaas. L’auteur invite en effet à un
dialogue incessant entre mots et images par le filtre des grandes villes
dans lesquelles elle a vécu ou travaillé. Les confrontations engendrées par
la mondialisation et les traits culturels originels de ces mégapoles ne
cessent d’interroger son regard, qu’il s’agisse de Londres, Dubaï ou
Houston, des métropoles pourtant différentes mais qu’une culture mondiale
tend aujourd’hui à rapprocher. Il ne s’agit pas ici d’un plaidoyer, ni d’une
diatribe sur la mondialisation, mais d’un témoignage vécu de l’intérieur,
source de ces nombreuses créativités pouvant surgir de ces grandes
tendances.
À l’image des nouvelles solidarités qui peuvent naître des
plus grandes fractures sociales et économiques, de nouveaux regards peuvent
aussi provoquer des fulgurances inattendues parmi les décombres de
l’économie mondiale. Les photographies et le texte de Charlie Koolhass ne
manquent pas d’humour lorsque surgit parmi la grisaille urbaine des couleurs
éclatantes, symboles d’espoirs encore présents. Les contrastes sont
manifestes dans ce regard porté comme pour mieux rappeler cet incroyable
brassage international auquel ce siècle, et le précédent, nous ont habitués
ou contraints.
Certes, tout n’est pas rose sous le regard de Charlie
Koolhass, tant s’en faut, mais une certaine poésie émerge cependant, contre
toute attente, de ces prises de vues étonnantes, un brin de vie né des
paradoxes de nos capitales internationales et qui livre au lecteur comme un
témoignage d’espoir malgré les sombres nuages pesant sur l’humanité. |
Spiritualités |
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Saint
Jean de la Croix : "Cantique Spirituel" ; Traduction Jean-Marc Sourdillon,
illustrations Catherine Sourdillon, Illador Éditions, 2023.
Jean-Marc Sourdillon, accompagné de Catherine son épouse pour
l'illustration, nous propose en ces pages une merveilleuse traduction et
édition du poème Le Cantique Spirituel de saint Jean de la Croix ; un poème
né dans les tréfonds d'une geôle dans laquelle saint Jean de la Croix avait
été tenu captif dans des conditions effroyables. Le réformateur du carmel,
compagnon de sainte Thérèse d'Avila, s’était heurté à l'opposition des
conservateurs de son ordre. C'est dans ce contexte digne de l'Inquisition
que Juan de Yepes Álvarez, de son nom d'église Jean de la Croix, composera
ces vers mentalement, l'écriture lui étant formellement proscrite.
Le lecteur du 21e siècle ne pourra qu’être ébloui par le degré de foi
atteint pour avoir fait naître une telle confession amoureuse à partir des
abîmes les plus sombres. Travaillant de mémoire, le saint mystique revisite
le célèbre Cantique des Cantiques bibliques pour en proposer une variation
lumineuse et pleine d'espérance. Le traducteur, Jean-Marc Sourdillon, s'est
attaché à souligner la délicatesse incandescente de cette poésie allégorique
entre l'époux et l'épouse, l'âme et son créateur. Entrelacs amoureux
ineffables et pourtant magnifiés par le verbe, tension exclusivement portée
par l'abandon mystique :
“ Mon âme s'est mise, et tout mon avoir, à son service.
Je ne garde plus les bêtes, je n'ai plus d'autre office,
aimer est à présent mon seul exercice”.
C'est un souffle unique que nous propose cette très belle édition servie par
les illustrations irradiantes de Catherine Sourdillon soulignant
l'embrasement provoqué par cet amour mystique.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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« La
Vie de la Vierge Marie » de Marie-Gabrielle Leblanc ; Photographie de John
Pole ; Editions Pierre Téqui, 2023.
C’est un merveilleux ouvrage consacré à « La vie de la Vierge Marie dans
l’art » que nous propose Marie-Gabrielle Leblanc, historienne d’art, aux
éditions Pierre Téqui. Une vie de Marie extrêmement détaillée et superbement
illustrée par une centaine d’œuvres d’art du Moyen-Âge à nos jours. Allant
de la « Naissance de la Vierge Marie, ses parents et son enfance » à « La
Sainte Famille » en passant par « L’Immaculée Conception », son mariage, «
l’Annonciation…, ce sont ainsi pas moins de 10 chapitres de la vie de la
Vierge Marie que le lecteur retrouvera. Des épisodes de sa vie qui, après
avoir été préalablement explicités, se dévoilent plus encore au travers des
plus belles œuvres d’art ; des œuvres, connues ou moins connues, du VIIIe au
XXIe siècle, analysées et présentées pour chacune sur une double page. C’est
donc à un véritable dialogue auquel nous convie Marie-Gabrielle Leblanc,
auteur déjà dans la même collection de plusieurs ouvrages remarqués
consacrés à la vie du Christ.
Bien que reposant sur l’Ancien et le Nouveau Testament de la Bible Crampon,
cet ouvrage se veut avant tout un livre d’histoire de l’art plus qu’un
ouvrage théologique. Aussi, trouvera-t-on également - ce qui est un peu
inévitable concernant les épisodes de la vie de Marie – des références aux
évangiles apocryphes. L’auteur a cependant souhaité rassurer son lecteur en
soulignant dès son avant-propos : « … je m’efforce d’être fidèle aux dogmes
enseignés par l’Église catholique et attentive aussi à ce qu’enseignent en
matière d’iconographie chrétienne, les Églises orthodoxes et orientales
pré-chalcédoniennes comme Coptes. » Une précision bien venue faisant de cet
ouvrage une très riche et belle ouverture aux mystères de la Vierge Marie. |
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« Saint
Michel » ; Collectif, 256 p., Editions du Cerf, 2023.
A souligner la parution aux éditions du Cerf d’un splendide ouvrage
entièrement consacré à saint Michel. Rappelons que le culte de saint Michel,
ange de Dieu avec Raphaël et Gabriel, est l’un des plus anciens de la
chrétienté et qu’il est l’un des saints les plus vénérés que ce soit en
Orient ou en Europe. Fêté en France le 29 septembre, on ne compte plus le
nombre de cathédrales, chapelles, sanctuaires, grottes ou ermitages dédiés à
ce saint patron de la France et de la Normandie, mais aussi de la Cité du
Vatican, de Kiev ou encore de Bruxelles.
Réunissant sous la direction de Giorgio Otranto et de Sandro Chierici les
meilleurs spécialistes, historiens et médiévistes, l’ouvrage remarquablement
illustré nous livre la vie, l’histoire, la représentation et la dévotion
dévolue à ce saint archange tant prié dans le monde. Avec de riches
contributions et pas moins de 300 illustrations, c’est véritablement à un
magnifique pèlerinage dédié à celui dont le nom signifie en hébreu « Qui est
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