« L'Homme d'argile » (2023) d’Anais
Tellenne avec Emmanuelle Devos, Raphaël Thiéry, Mireille Pitot ; Audio :
Français DD 5.1, Français DD 2.0, Sous-titrage : Français , DVD, Blaq Out,
16 juillet 2024.
« Raphael n'a qu'un œil. Il est le gardien d'un manoir dans lequel plus
personne ne vit. A presque 60 ans, il habite avec sa mère un petit pavillon
situé à l'entrée du grand domaine bourgeois. Entre la chasse aux taupes, la
cornemuse et les tours dans la Kangoo de la postière, les jours se suivent
et se ressemblent. Par une nuit d'orage, Garance, l'héritière, revient dans
la demeure familiale. Plus rien ne sera plus jamais pareil ».
Nombreux sont les thèmes abordés par ce film singulier d’Anais Tellenne,
mais celui qui retiendra probablement l’attention en premier sera
certainement ce soin de tous les instants porté au regard, regard sur
l’autre, sur soi-même et sur la vie. Le regard bleu intense de Garance
interprétée avec une rare intensité par Emmanuelle Devos, à la fois fragile
et tendue dans sa quête artistique ; le regard cyclopéen de Raphael,
Quasimodo des temps modernes. Ces êtres en souffrance errent dans ce décor
d’un autre temps où tout semble en suspens, chaque émotion ne demandant qu’à
pouvoir s’exprimer par la sculpture, la cornemuse ou tout simplement par
l’amour…
Porté par un beau jeu d’acteur, ce film surprenant pousse le spectateur dans
ses retranchements, sollicite à voir « d’un autre œil » cet homme frustre
dans son éveil à l’altérité et identité suscitée par le geste créateur de la
sculptrice, réminiscences de l’homme né de la terre selon le souffle
biblique et d’une réalisatrice inspirée.
Bonus : Court métrage : "Le Mal bleu" d'Anaïs Tellenne et Zoran Boukherma
(2018, 15') ; Enregistrement de la musique originale par l'Orchestre
Symphonique de Budapest (15') ; Commentaire de séquence par Anaïs Tellenne
(6')
" Perfect days
" ; Un film de Wim
Wenders avec Koji Yakusho, Min Tanaka, Arisa Nakano, DVD, Blaq Out, 2024.
Hirayama travaille à l’entretien des toilettes publiques de Tokyo. Il
s’épanouit dans une vie simple, et un quotidien très structuré. Il
entretient une passion pour la musique, les livres, et les arbres qu’il aime
photographier. Son passé va ressurgir au gré de rencontres inattendues.
Et si Hirayama avait raison ? Qu’avons-nous fait de notre vie ? Telles sont
les questions qui ne manqueront pas de se poser les spectateurs de ce film
émouvant et sensible offert par Wim Wenders l’année passée et disponible
aujourd’hui en une belle édition DVD et blue-Ray chez Blaq Out. Le
réalisateur allemand célèbre déjà pour la poésie de son fameux long-métrage
« Les Ailes du désir » enchante de nouveau avec cette réalisation d’une rare
esthétique dans le quotidien urbain de la capitale du Japon, Tokyo.
Nous devinons progressivement que le personnage principal - interprété avec
une présence hypnotique à l’écran par Koji Yakusho (Prix d’Interprétation
masculine à Cannes ) - semble avoir une autre vie que celle qui l’occupe
quotidiennement quant à l’entretien des toilettes publiques de la capitale
japonaise. Mais rien ne semble transparaître de ce passé probablement
douloureux et qui l’a conduit à changer de vie et surtout de poser ce regard
sur les êtres et les choses. Soulignons que pour cette réalisation, Wim
Wenders avoue que Koji Yakusho fut « réputé » être un adepte des premières
et uniques prises ! « Laissez-moi faire », disait-il… Et combien avait-il
raison tant sa présence crève l’écran !
La part onirique si chère au réalisateur allemand s’immisce avec délicatesse
dans les rêves d’une rare beauté stylistique sans pour autant que la poésie
du quotidien ne soit en reste avec également des plans superbes… sans
oublier l’architecture étonnante des toilettes design et interactives de
Tokyo !
Chaque plan de ce film introspectif sublime le regard que nous portons sur
notre quotidien, en témoigne cette lumière qui transparaît des arbres si
précieux au personnage principal. Baigné d’esprit zen tout autant que
shintoïste, « Perfect Days » encouragera le spectateur occidental, mais
aussi japonais à se réapproprier cette intériorité si souvent mise à mal à
notre époque…
A noter, enfin, les bonus passionnants et la belle et longue présentation du
film par Wenders lui-même.
Canadian Pacific - 1949 ; Un film de
Edwin L.Marin avec Randolph Scott, Jane Wyatt, DVD, Sidonis, 2023.
Employé de la Canadian Pacific Railroad, Tom Andrews reçoit pour mission
de trouver un passage dans les Montagnes Rocheuses pour finaliser un
itinéraire de chemin de fer entre le Canada et les États-Unis. Une
entreprise qui n'est pas du goût de tout de monde, en particulier des
trappeurs qui mettent tout en œuvre pour saboter le projet, allant jusqu'à
provoquer une révolte indienne afin de préserver leurs intérêts dans le
commerce de la fourrure…
Ce long-métrage sorti en 1949 en pleine époque de succès du western propose
un sujet rarement abordé au grand écran à savoir la difficile construction
du chemin de fer reliant les États-Unis au Canada. Très rapidement ce
chantier monumental rencontra de sérieuses difficultés de la part des
populations locales qui redoutèrent d’être spoliées de leurs biens sans
oublier le sort guère plus enviable réservé aux nombreuses tribus indiennes…
L’acteur Randolph Scott, véritable vedette à l’époque avec à un actif de pas
moins de 62 westerns, campe avec brio, ici, le personnage de l’arpenteur
ayant pour mission délicate de trouver une voie dans les Montagnes Rocheuses
ainsi que faire régner l’ordre sur ce chantier plus qu’explosif…
Le scénario bien ficelé et crédible s’appuie sur des faits historiques lors
de l’édification de la ligne datant de 1881, des faits historiques ayant
fourni un grand nombre d’anecdotes au film. Les décors de cette grande
production sont pour la plupart ceux des fameuses Montagnes Rocheuses qui
irradient de leurs couleurs vertigineuses cette aventure mouvementée.
Un trio amoureux, des Indiens, un vilain, il n’en fallait pas plus pour que
cette réalisation enlevée du réalisateur Edwin L. Marin offre un plaisant
divertissement !
"Le samouraï" (1967) : Un film de
Jean-Pierre Melville avec Alain Delon, François Périer, Nathalie Delon,
Cathy Rosier… Scénario de Jean-Pierre Melville et Georges Pellegrin ;
Photographie d’Henri Decaë ; Décors de François de Lamothe ; En UHD, Blu-ray
et DVD, coffret collector limité et numéroté à 1 000 exemplaires, Pathé
Films, 2023.
Jef Costello (Alain Delon), un tueur à gages, reçoit pour mission de
liquider le patron d’une boîte de jazz et prépare soigneusement son coup.
Dans le club, personne ne le voit sauf la pianiste (Cathy Rosier) qui le
croise alors qu’il quitte la scène du crime… Arrêté pour vérification
d’identité, il est relâché grâce à un solide alibi mis au point avec sa
maîtresse Jane (Nathalie Delon). Pourtant persuadé qu’il est bien l’homme
recherché, le commissaire de police (François Périer) décide de se lancer à
ses trousses.
« Le samouraï » du réalisateur Jean-Pierre Melville compte parmi ces films
entrés dans la légende du cinéma, tant pour ses qualités esthétiques – cette
couleur melvillienne à nulle autre pareille restituée par la superbe
restauration du film – que pour la consécration de son personnage central :
le mythique Alain Delon. « Le samouraï » marquera une étape déterminante
dans la reconnaissance internationale de Jean-Pierre Melville à la fin des
années 60. Perfection des plans, importance du non-dit et des silences
propices à développer l’éventail du jeu énigmatique d’Alain Delon, ce film
taillé sur mesure pour l’acteur manifeste le goût du réalisateur pour les
héros solitaires et sans peur. Mais derrière cette façade percent de temps à
autre quelques failles, celles suggérées par l’attachement discret à cet
oiseau en cage ou encore cette très discrète relation amoureuse avec sa
maîtresse interprétée, ici, par sa femme dans la vie, Nathalie Delon…
Bref, celles et ceux qui n’auraient pas revu ce film incontournable auront
plaisir à le redécouvrir ou à le découvrir tout simplement dans cette
remarquable édition complétée par des bonus également passionnants ; à
découvrir notamment le témoignage de Philippe Labro sur son amitié
indéfectible avec Melville.
« Audrey Rose » (1977) - Un film de
Robert Wise Frank De Felitta (scénario) avec Anthony Hopkins, Marsha Mason
et John Becken ; DVD / 1h 53min / RIMINI Editions, 2023.
Janice et Bill Templeton forment avec leur fille Ivy une famille heureuse
et sans histoire... jusqu’au jour où un mystérieux étranger se met à les
suivre partout où ils vont. L’inconnu finit par leur proposer un rendez-vous
et leur révéler qu’Ivy serait la réincarnation de sa propre fille, morte
onze ans plus tôt...
Les amateurs de West Side Story seront surpris de découvrir que son
réalisateur Robert Wise excellait également dans un tout autre genre, à
savoir celui du fantastique ! « Audrey Rose » compte parmi cette veine
développée en 1977 dans la foulée du fameux film L’Exorciste sorti en 1973.
Pour ce long-métrage Robert Wise ne fait pas le choix d’effets spéciaux
impressionnants, mais au contraire retient une approche reposant
essentiellement sur les non-dits et les atmosphères oppressantes avec un jeu
de prises de vue intérieur/extérieur subtil. Tout en effet est en suggestion
dans ce film servi par l’interprétation inspirée du jeune Anthony Hopkins
qui apporte un peu de profondeur sur cette histoire de réincarnation. Si les
questions soulevées s’inscrivent dans le contexte de l’époque d’une Amérique
découvrant les spiritualités d’Extrême-Orient, le film peine quelque peu à
élever le débat. Au-delà, cette réalisation soignée offre cependant de
bonnes scènes sur une question originale à redécouvrir dans cette édition
DVD.
Bonus :
-Le cinéma d’horreur selon Robert Wise (17’30), par Stéphane du Mesnildot,
historien du cinéma
-Audrey Rose, une âme pour « deux » : livret de 24 pages conçu par Marc
Toullec
« EN PLEIN FEU » ; Un film de
Quentin Reynaud avec Alex Lutz et André Dussollier ; Durée: 1h25, DVD ;
Apollo films - StudioCanal, 2023.
Un feu géant ravage la forêt des Landes. À la suite d’une alerte
évacuation, Simon et son père Joseph quittent leur domicile mais se
retrouvent rapidement prisonniers de leur véhicule au milieu de ce cauchemar
climatique. Le brasier se rapproche. Que faire ? Attendre les secours… ? Ou
n’est-ce pas en s'enfonçant plus loin encore dans l'immensité terrifiante de
la forêt brûlante qu'ils trouveront le moyen de s'en sortir… ?
Le dernier film de Quentin Reynaud plonge le spectateur dans la fournaise
des relations, celles d’un père avec son fils à l’instant ultime de la vie.
Sur fond cataclysmique – le réalisateur parvenant à reproduire de manière
impressionnante l’embrasement de la forêt des Landes – ce long-métrage
cherche surtout à approfondir les errances du personnage principal
interprété avec talent par Alex Lutz dans ces rapports de père en fils. Les
errances de Simon dans la forêt embrasée ne sont pas sans rappeler celles de
Kagemusha dans l’un des chefs d’œuvre d’Akira Kurosawa et cette ambiance de
fin du monde constituant l’arrière-plan demeure, ici, propice à de multiples
évocations oniriques. Quelle issue s’offre au jeune homme pris dans les
tenailles de l’embrasement général malgré la présence essentielle de son
père interprété avec justesse par André Dussollier et ce fils qu’il tente en
vain de joindre ? Un film sensible à découvrir dans cette édition DVD.
BIG GUNS ; Un film de Duccio Tessari
avec Alain Delon, Richard Conte, Roger Hanin, Carla Gravina, Marc Porel…
Scénario : Ugo Liberatore, Franco Verucci et Roberto Gandus, d'après une
histoire de Franco Verucci ; Musique : Gianni Ferrio ; Édition restaurée DVD/Blu-ray,
Pathé Films, 2023.
Tony Arzenta exerce ses talents de tueur à gages pour le compte d’une
mafia internationale. Lorsqu’il annonce son retrait pour consacrer davantage
de temps à sa femme et son fils, l’organisation décide de le traquer pour le
liquider...
Ce film quelque peu méconnu dans lequel Alain Delon campe le rôle d’un tueur
à gages désabusé vient de faire l’objet d’une restauration inédite en 4K
sous la supervision de Pathé ; une restauration bien venue qui offre
d’occasion de redécouvrir l’acteur dans un scénario taillé pour lui sur
mesure. Sans valoir le Clan des Siciliens, « Big Guns » devrait retenir
l’attention des amateurs de Delon tant ce dernier livre dans ce
long-métrage, qu’il co-produisit et qui fut dirigé par Duccio Tessari, une
interprétation sensible et pleine de nuances, loin des rôles parfois plus
composés qu’il pourra jouer par la suite. C’est en effet un Alain Delon à la
fois taciturne et mélancolique, froid mais aussi les larmes aux yeux que
l’on découvre avec cette palette d’émotions à partir de son seul et fameux
regard…
Ce film sorti en 1973, un an après le fameux Parrain, sans jouir du même
souffle, s’inscrit cependant dans une version plus réaliste de la mafia,
dont les codes moraux semblent nettement plus estompés - à la différence de
la vision parfois esthétisante du Parrain – au profit d’une noirceur
impitoyable et probablement plus fidèle à la réalité. Devenu une machine à
tuer dont les sentiments se sont quasiment évanouis, le tueur s’engage dans
une course poursuite vers une mort inéluctable.
Avec des plans soignés, une photographie qui s’inscrit notamment dans le
design des années seventies et le modernisme urbain des villes européennes
telle la brumeuse Milan hivernale, Big Guns ravira assurément les amateurs
d’Alain Delon et des films de cinéma bis.
Infos techniques :
DVD - 1.85 - Couleur
Version française : 99 min - LANGUES : Français Mono 2.0 - SOUS-
TITRES : Sourds et malentendants
Version italienne : 109 min - LANGUES : Italien Mono 2.0 - SOUS-
TITRES : Français / Anglais
BLU-RAY - 1.85 - Couleur
Version française : 103 min - LANGUES : Français DTS Mono 2.0 -
SOUS-TITRES : Sourds et malentendants
Version italienne : 113 min - LANGUES : Italien DTS Mono 2.0 -
SOUS-TITRES : Français / Anglais
Suppléments :
Big Guns : Entretiens autour du film avec Nicolas Pariser, Jean-
François Rauger et Laurent Chollet (38 min)
"Trois Jours à Vivre" ; Un film de
Gilles Grangier avec Daniel Gélin, Jeanne Moreau, Lino Ventura, Georges
Flamand, Armontel et Aimé Clariond, DVD, Pathé film, 2023.
Simon Belin est un comédien ambitieux dans une troupe de théâtre
itinérante, mais toujours relégué aux seconds rôles. Un soir, il est témoin
d’un meurtre. En identifiant le premier suspect qu’on lui présente, Lino
Ferrar, il voit là une opportunité pour briller et être sous le feu des
projecteurs. Mais ce dernier s’échappe de prison et prévient Simon : il ne
lui reste que trois jours à vivre.
« Trois jours à vivre » compte parmi ces films quelque peu injustement
oubliés et dont la récente restauration redonne un lustre appréciable pour
cette réalisation pourtant soignée signée Gilles Grangier et servie par une
pléthore d’acteurs talentueux. Qu’on en juge ! Daniel Gélin, Jeanne Moreau,
Lino Ventura et bien d’autres gloires du cinéma concourent en effet à donner
du brio à « Trois jours à vivre ». Mais, le réalisateur a lors de sa sortie
en 1958 (deux ans après son tournage) été quelque peu boudé par la Nouvelle
Vague qui critiquait en lui un cinéma trop facile et grand public.
Certes l’intrigue servie tout de même par le truculent dialoguiste Michel
Audiard est un brin prévisible mêlant ambiance de films noirs et comédie.
Les jeunes acteurs s’engagent cependant pour donner à ce long-métrage une
certaine profondeur notamment le duo Gélin et Moreau particulièrement
présent à l’écran pour ce début de leur carrière.
Mais le charme de ce film réside surtout dans la photographie remarquable
d’Armand Thirard, sans oublier un jeune assistant-réalisateur plein de
promesses en la personne de… Jacques Deray !
Bref, tout concourt à faire de « Trois jours à vivre » un plaisant moment de
divertissement et de cinéma dans cette belle belle version restaurée Pathé
Film.
« L'homme de Dieu » ; Un film de
Yelena Popovic avec Aris Servetalis (The Waiter (2018)), Alexander Petrov (War
Zone (2012)), Mickey Rourke (Iron man 2 (2010), Les Immortels (2011)) &
Tonia Sotiropoulou (Skyfall (2012), Hercule (2014)) ; Durée : 1h50, DVD,
Saje Distribution, 2022.
Exilé injustement, condamné sans jugement, calomnié sans motif. La vie,
les épreuves et les tribulations d’un homme de Dieu, Saint Nectarios
d'Égine, qui supporta jusqu’au bout la haine injuste de ses ennemis tout en
prêchant la Parole de Dieu sans relâche.
« L’homme de Dieu », deuxième long-métrage de la réalisatrice Yelena Popovic,
fait entrer le spectateur dans l’univers mystique des grands ascètes
spirituels, en l’espèce celui de Nectarios d’Égine au parcours singulier. Ce
film qui a rencontré un large succès lors de sa sortie retrace, en effet, le
parcours étonnant d’un véritable saint ayant toute sa vie durant enduré les
injustices et autres cabales afin d’écarter cet homme jugé trop dérangeant.
Cet homme de Dieu éloigné de toute soif du pouvoir dérange en effet les
autorités religieuses de son temps au XIXe siècle et suscite ainsi bien des
haines et convoitises contre lui. Véritable bouc émissaire des faiblesses
humaines, il sera dès lors conspué, exilé et relégué dans une île lointaine,
Égine, où il fondera un monastère de moniales, cette dernière initiative
donnant également lieu à de nouvelles injustices.
Ce film sobre et à la réalisation esthétique nous plonge dans l’intériorité
de cet homme de Dieu à la fois humble et fort d’une passion sans limites
pour l’amour divin transcendant toutes les bassesses humaines. La qualité de
ce film tient également au charisme rayonnant de son principal acteur en la
personne d’Aris Servetalis qui irradie l’écran de son regard bienveillant et
parvient même à occulter la brève présence étonnante de Mickey Rourke dans
la scène finale où il incarne le paralytique miraculé !
« Bill Doolin le hors-la-loi » (Cattle
Annie and Little Britches) – 1981 ; Un film de Lamont Johnson avec Burt
Lancaster, Amanda Plummer, DVD, Sidonis, 2022.
Deux adolescentes, bercées d’histoires de hors-la-loi, décident de partir
à leur recherche. Elles croisent le chemin de l’un d’entre eux : Bill Doolin,
ombre de lui-même. Leur déception fait place à leur décision de l’aider à
échapper à un marshal très entêté.
« Bill Doolin » du réalisateur Lamont Johnson se trouve être le dernier
western d’une légende du cinéma, Burt Lancaster. Initialement prévu pour un
autre héros hollywoodien du genre, John Wayne, ce dernier étant gravement
malade, l’acteur au sourire légendaire le remplaça au pied levé. Si ce
western du début des années 80 n’a pas le brio de ses aînés, il offre
cependant un traitement original d’un sujet véridique, à savoir la lente
décomposition d’une bande de bandits menée par Bill Doolin au terme de sa
vie accompagné de l’un des derniers Dalton. Deux adolescentes sans
ressources, ni parents, sont fascinées par ces hors-la-loi et décident de se
rallier à leur cause, partageant leur vie miséreuse faite de vols souvent
ratés…
Inspiré d’une histoire vraie, notamment les deux jeunes filles Anna McDoulet
et Jennie Stevens qui purgeront une peine de prison pendant 6 mois au terme
de cette épisode de leur vie, ce western parvient à restituer de manière à
la fois humoristique et tragique leur quotidien. Deux figures ressortent de
cette réalisation tournée à Durango dans le propre ranch de John Wayne : un
Burt Lancaster au terme de sa carrière mais rayonnant de présence et de joie
de vivre. Face à lui, la fille de Christopher Plummer, pétillante et
parvenant sans forcer à prendre sa place dans ce milieu d’hommes…
Format : 4/3 1:33 Audio : VOSTFR – VF Durée : 97 min Bonus : Présentation du
film par Patrick Brion
COUP DE FOUET EN RETOUR (BLACKLASH)
de John STURGES – 1956 - Avec Richard WIDMARK, Donna REED, William CAMPBELL
; INEDIT en BLU RAY Master HD, Interview de Richard WIDMARK, Technicolor
restauré - VF/VOST, 1h21, DVD, Sidonis, 2022.
Au lendemain de la Guerre de Sécession, Jim Slater revient en Arizona, à
la recherche de la tombe de son père qui, jadis, échappa au massacre de ses
compagnons par les indiens avant de s’enfuir avec 60.000 dollars en or…
« Coup de fouet en retour » est l’exemple même de western ne bénéficiant pas
des moyens financiers importants des compagnies concurrentes, mais proposant
néanmoins un scénario et une réalisation méritant l’attention.
Produit par Universal à l’époque, ce film assez modeste offre, en effet, une
intrigue séduisante allant crescendo jusqu’à son issue singulière. Il faut
dire que le réalisateur John Sturges signera par la suite de grands westerns
passés à la postérité tels « Les sept mercenaires » et « Règlement de
Comptes à OK Corral »…
Sans atteindre le niveau de ces derniers, « Coup de fouet en retour » mérite
d’être redécouvert grâce à cette belle édition Technicolor restaurée Master
HD, et surtout pour la prestation qu’y livre le grand acteur Richard Widmark
plus vrai que nature. Le personnage qu’il incarne développe tout au long du
film différentes facettes psychologiques qui se révèlent progressivement
avec nuances, ce qui n’est habituellement pas le propre du genre. Face à lui
Donna Reed (« tant qu’il y aura des hommes » ; « La vie est belle »)
resplendit à l’écran par sa présence.
« SOLE » ; Un film de Carlo Sironi
avec Claudio Segaluscio et Sandra Drzymalska, DVD, Les Alchimistes Films,
2022.
Le jeune Ermanno vit dans une Italie sans futur. Lena, 22 ans, enceinte,
arrive tout juste de Pologne. Elle porte l’enfant que l’oncle d’Ermanno et
sa femme adopteront à la naissance…
Premier long-métrage du jeune réalisateur Carlo Sironi, « Sole » fait preuve
d’une maturité étonnante et d’une maîtrise technique remarquable (filmée en
format 1:1.33). Délaissant les effets spéciaux et le zapping des images, le
réalisateur prend le temps d’entrer au cœur de la psychologie de chacun des
protagonistes pour livrer un film fin et introspectif. Revendiquant
l’héritage du cinéma japonais des années 50 dont notamment le célèbre
réalisateur Mikio Naruse, Sironi tisse progressivement une narration
reposant plus sur l’expression de ses acteurs que sur le dialogue. D’un
mutisme obsédant dans la première partie du film, des failles s’immiscent
cependant progressivement jusqu’au point d’orgue final. La barrière de la
langue (dans le film comme pour les acteurs retenus), le lourd passé suggéré
pesant sur chacun d’entre eux, la fatalité des liens éclatés ne laissent
guère d’espoir dans cet univers glauque où l’amour maternel impossible
devient tarifé… Mais Sironi parvient à introduire dans cette histoire un
brin d’espoir, une lumière qui progressivement justifie le titre du film,
prénom de l’enfant qui occupera la deuxième partie. Histoire d’amour
improbable, communication suggérée plus qu’avérée, « Sole » irradie le cœur
des hommes au final dans cette ambiance bleutée qui caractérise la
photographie de ce film à découvrir impérativement.
« Si j’étais un espion » ; Un film
de Bertrand Blier avec Bernard Blier, Bruno Cremer, Patricia Scott, Claude
Piéplu, Pierre Le Rumeur, Suzanne Flon ; Scénario de Bertrand Blier ;
Dialogues de Philippe Adrien ; Musique de Serge Gainsbourg et Michel
Colombier ; En combo DVD/Blu-ray, Pathé Films, 2022.
Médecin parisien menant une existence paisible et anonyme, le docteur
Lefebvre voit sa vie totalement bouleversée lorsqu’un de ses patients, connu
pour son comportement dépressif, est porté disparu…
Une ambiance noir et blanc des plus classiques, un médecin « soudainement »
impliqué dans une histoire rocambolesque, Bertrand Blier dans un rôle
original… Il n’en fallait pas plus pour composer un film d’espionnage
atypique, premier film de Bertrand Blier, le fils de l’acteur appelé à un
bel avenir. Et pourtant, cette réalisation singulière ne connut pas à sa
sortie un succès retentissant, ce qui surprend aujourd’hui au regard de la
qualité de l’image et du jeu des acteurs. Composant par le truchement d’une
intrigue de plus en plus serrée une ambiance étrange, ce film alterne entre
oppression du personnage manifestement pris au piège et quotidien anonyme de
la vie parisienne des années 60. Bertrand Blier signe avec « Si j’étais un
espion » un film en marges du genre, le spectateur ne parvenant pas à cerner
ce mystère, ni la véritable personnalité des protagonistes à commencer par
celle du médecin, impeccablement interprété par Bernard Blier en premier
rôle. Avec ses plans soignés et une musique attractive signée Gainsbourg, ce
film mérite d’être redécouvert dans cette version restaurée en 4K.
Version restaurée en 4K, sous la supervision de Pathé avec le soutien du
CNC
Suppléments :
Si j’étais un espion : Entretien avec Bertrand Blier par Vincent Roussel (30
min)
Archive : Bernard et Bertrand Blier à propos de leur première collaboration
« Contes du hasard et autres
fantaisies » ; Un film de Ryusuke Hamaguchi avec Kotone Furukawa, Katsuki
Mori, Kiyohiko Shibukawa, Fusako Urabe, Aoba Kawai ; DVD et VOD, Diaphana,
2022.
Un triangle amoureux inattendu, une tentative de séduction qui tourne mal et
une rencontre née d’un malentendu. La trajectoire de trois femmes qui vont
devoir faire un choix…
Après « Drive My Car » présenté dans ces colonnes, Oscar du meilleur film
international, le dernier long-métrage du réalisateur japonais Ryūsuke
Hamaguchi développe sur trois contes la thématique de la coïncidence
touchant un personnage féminin. Manifestement inspiré du cinéma d’Éric
Rohmer, « Contes du hasard et autres fantaisies » explore l’intimité
féminine jusqu’en ses infimes variations en autant de petits tableaux
sensibles, allant de la légèreté aux questions les plus existentielles.
Ce parcours sinueux de trois femmes livrées à leur destin se trouve
bouleversé par cet inattendu qui introduit des ruptures subrepticement dans
leur vie quotidienne. Le hasard fait-il bien les choses ? Tels sont les fils
qui se tissent dans cette réalisation soignée se déroulant dans le silence
feutré de l’inconscient des personnages. Réalisé sous la forme de trois
histoires distinctes, « Contes du hasard et autres fantaisies » convie à
l’inattendu du monde, à notre capacité à élever notre imagination pour
aborder certaines situations que le hasard place sur nos vies.
Ce film a le mérite de nous ouvrir à cette perspective, ce qui n’est pas le
moindre de ses mérites.
"UN AUTRE MONDE" de Stéphane Brizé
avec Vincent Lindon, Sandrine Kiberlain, Anthony Bajon, DVD, DIAPHANA
ÉDITION VIDÉO, 2022.
Un cadre d'entreprise, sa femme, sa famille, au moment où les choix
professionnels de l'un font basculer la vie de tous. Philippe Lemesle et sa
femme se séparent, un amour abimé par la pression du travail. Cadre
performant dans un groupe industriel, Philippe ne sait plus répondre aux
injonctions incohérentes de sa direction. On le voulait hier dirigeant, on
le veut aujourd'hui exécutant. Il est à l'instant où il lui faut décider du
sens de sa vie.
Ce troisième opus de la trilogie, après « La loi du marché » (2015) et « En
guerre » (2018), fait entrer le spectateur dans l’univers sombre et
impitoyable du marché, marché qui gouverne et dirige toutes les lois des
affaires… et les hommes écrasés par elles. Ce qui est vécu au quotidien par
des millions de femmes et d’hommes dans nos sociétés dites modernes fait
l’objet d’un traitement une fois de plus sans concession par Stéphane Brizé
avec son acteur fétiche, Vincent Lindon particulièrement inspiré par son
rôle. Cet être que l’on sent sensible et ouvert s’effondre progressivement
dans l’adversité, à la fois professionnelle et privée, de sa vie.
S’entourant d’acteurs pour la plupart non professionnel à l’exception de la
fragile Sandrine Kimberlain, méconnaissable dans ce rôle où elle interprète
une femme brisée par son divorce, Brizé dépeint sans merci, mais sans
caricatures pour autant, cette dépersonnalisation des rapports humains
conduisant à cet « homme sans qualité » qu’évoquait déjà en son temps Robert
Musil. Sans dévoiler l’issue de ce film bien mené, le personnage central
n’acceptera pas cette fatalité, non point en Robin des Bois des affaires
mais en homme debout, face à son destin et à celui de ses congénères. Un
film qui fait sens.
« L’extravagant Mr. Deeds » (Mr.
Deeds Goes to Town) 1936 ; Un film de Frank Capra avec Gary Cooper et Jean
Arthur ; DVD, Wild Side Vidéo, 2022.
Martin W. Semple s’est tué dans un accident de voiture, léguant son
immense fortune à un neveu qu’il n’a jamais vu. La haute société
new-yorkaise est en émoi !
Qui est donc ce Longfellow Deeds, ce jeune homme naïf, un tantinet loufoque,
qui joue du tuba et écrit des vers, pour la plus grande joie des habitants
de sa bourgade,
Mandrake Falls ?
Ce chef-d’œuvre du réalisateur Frank Capra réalisé en 1936 fait l’objet
d’une belle édition avec ce coffret BR/DVD/Livret. Il faut dire que ce récit
humaniste passé à la postérité pour l’impressionnant travail mené par le
réalisateur américain d’origine italienne, non seulement sur les cadrages
savants mettant en valeur ses acteurs, mais aussi pour cette liberté qui fut
sienne afin d’encourager les émotions de ces derniers à l’écran.
Et le résultat opère avec cette saisissante prestation d’un jeune acteur qui
serait amené à être pourtant plus connu pour ses rôles taciturnes que
facétieux. Le jeune Gary Cooper crève, en effet, l’écran dans ce rôle unique
dans sa carrière où il lui sera loisible de laisser apparaître tour à tour
un visage candide, des traits tourmentés ou encore des sourires
communicatifs. Face à lui la sémillante Jean Arthur a quelques difficultés à
rivaliser avec son partenaire qui lui vole souvent la vedette.
Frank Capra avec cette comédie délivre à la veille de la 2e Guerre mondiale
un message pour un monde plus humain anticipant déjà sur son iconique « La
vie est belle » qui sortira dix ans après. Le réalisateur de « Arsenic et
vieilles dentelles » livre ainsi avec « L’extravagant Mr Deeds » un film à
la fois bouleversant et divertissant à redécouvrir dans cette belle édition
Wild Side Vidéo !
« Les nuits révolutionnaires »
réalisé par Charles Brabant, 7 épisodes de 60 min - Version numérisée et
restaurée en 2K, 4 DVD, Doriane Films, RM Arts, 2021.
Restif de la Bretonne, écrivain et philosophe, moraliste autant que
libertin, a vécu la Révolution à chaud. Toutes les nuits, il arpente les
bas-quartiers du Paris populaire, tel un hibou. C’est en voyant défiler sous
ses yeux la grande, et la petite histoire, qu’il a écrit Les Nuits de Paris.
Véritable petit bijou de nos jours injustement méconnu, la série « Les nuits
révolutionnaires » d’après l’œuvre et la vie de Nicolas Restif de la
Bretonne nous transporte à la veille de la Révolution jusqu’à la Terreur
robespierriste en 7 épisodes passionnants. Le réalisateur, Charles Brabant,
littéralement happé par le souffle rétivien a conçu un scénario
particulièrement habile afin de restituer ces temps troublés où chaque parti
cherchait à tirer à soi la lame de fond révolutionnaire. Produite pour le
bicentenaire de la Révolution en 1989, cette fresque trépidante n’a pas pris
une ride et la prestation de son personnage principal en la personne de
Michel Aumont rivalise avec la beauté des décors restituant le Paris
nocturne et diurne des années révolutionnaires.
Alternant moments de gravité et scènes plus cocasses, l’esprit libertin
côtoie celui des Lumières en d’habiles transitions. Avec un casting de choix
(Michel Bouquet, Maria Casarès, Fabrice Luchini, Gérard Desarthe, Bernard
Fresson, Daniel Mesguich, Paul Crauchet, Michel Robin, Maria de Medeiros,
Marcel Maréchal…), cette série parvient à se saisir non seulement de
l’esprit révolutionnaire avec ses convictions et doutes, mais aussi de la
vie parisienne vue sous d’autres angles que ceux habituellement légués par
l’histoire officielle, sous le regard perçant de cet écrivain à l’étonnant
parcourt que fut Restif de la Bretonne (1734-1806), dit « le hibou ».
Un voyage captivant sur les temps révolutionnaires à découvrir
impérativement avec ce coffret Doriane Films !
« Eiffel » ; Un film de Martin
Bourboulon avec Romain Duris, Emma Mackey et Pierre Deladonchamps ; DVD,
Pathé, 2022.
Venant tout juste de terminer sa collaboration sur la Statue de la
Liberté, Gustave Eiffel est au sommet de sa carrière. Le gouvernement
français veut qu’il crée quelque chose de spectaculaire pour l’Exposition
Universelle de 1889 à Paris, mais Eiffel ne s’intéresse qu’au projet de
métropolitain. Tout bascule lorsqu'il recroise son amour de jeunesse. Leur
relation interdite l’inspire à changer l’horizon de Paris pour toujours.
C’est un visage et surtout une passion qui ont été ainsi rendus à Gustave
Eiffel avec ce film réalisé par Marin Bourboulon. Ce long-métrage parvient à
rendre avec une beauté saisissante cette fin de siècle qui connut
l’Exposition Universelle et tous les espoirs après une guerre ayant ravagé
les esprits. L’heure est à l’insouciance et à la démesure, ce qui tombe
bien, car Eiffel offrira le projet qui cristallisera cette attente en une
unique dentelle de fer.
Mais l’intérêt de ce film ne réside pas dans la seule évocation de la genèse
de l’un des monuments les plus emblématiques de la capitale française mais
aussi dans le traitement du caractère du personnage saisi par une passion de
jeunesse qui éclaire sous un jour nouveau tout son travail. Ces « deux
femmes » occuperont l’esprit de l’ingénieur de manière à la fois possessive
et exclusive, la première lettre du prénom de l’aimée A pour Adeline
rejoignant la forme de la célèbre tour en devenir… Le réalisateur parvient à
évoquer avec puissance et poésie cette édification qui ne sera pas sans
embûches. Avec une photographie remarquable et des plans saisissants, toute
la magie de la Dame du Champ de Mars se trouve magnifiée dans ce film à
découvrir dans cette belle édition Pathé.
« Échec au porteur » (1957) ; Un
film de Gilles Grangier avec Paul Meurisse, Jeanne Moreau, Serge Reggiani et
Simone Renant ; Scénario : Pierre Véry, Noël Calef et Gilles Grangier
d'après le roman Échec au porteur de Noël Calef ; Dialogues : Noël Calef et
Pierre Véry ; DVD – 1.37 - N&B - 83 min, Pathe Films, 2022.
Membre d'un gang de trafiquants, Bastien Sassey transporte un ballon de
foot contenant de la drogue. Mais celui-ci est bientôt remplacé par un
ballon en plastique chargé d'explosifs, destiné à éliminer un gang rival.
Hélas, cette bombe à retardement tombe entre les mains d'un groupe d’enfants
qui joue à proximité...
La superbe restauration livrée par Pathé Films réjouira tous les amateurs de
bons polars, « Échec au porteur » réalisé en 1957 par Gilles Grangier
comptant assurément parmi eux. Porté par un scénario bien ficelé adapté du
roman de Noël Calef par l’auteur lui-même et Pierre Véry, ce film
transportera instantanément le spectateur dans un univers à jamais révolu,
celui des banlieues naissantes des années 50… Grâce à une distribution
prestigieuse mettant en avant Paul Meurisse, Jeanne Moreau et Serge Reggiani
sans oublier des seconds rôles convaincants, « Échec au porteur » tient en
haleine des premières jusqu’aux dernières minutes. Mais le plaisir réside
surtout dans la beauté de la réalisation avec ses plans parfaits, cette
photographie impeccable et un tournage en extérieur sur des plaines en
profonde mutation entre campagne et prochaine urbanisation, à l’image des
inoubliables plans de Pasolini sur les borgate romaines. On y
retrouvera ces meutes de jeunes enfants se chamaillant dans les décombres de
vieilles bâtisses appelées à être rasées par les pelleteuses de promoteurs,
ces petites ruelles dignes du photographe Atget et, paradoxalement, un monde
gagné par l’industrialisation et le modernisme, notamment la police, avec de
nouvelles technologies qui feront sourire de nos jours…
Suppléments :
- Analyse du film par Bertrand Tavernier (15 min)
- Gilles Grangier, Le Cinéma de Banlieue – Entretiens avec François
Guérif & Noël Véry (18 min)
- Actualité Pathé : Noël Calef reçoit le prix Quai des Orfèvres pour son
livre Échec au Porteur – 1956
Sort également en DVD « Le sang à la tête » de Gilles Grangier.
« L’Idiot » 1946 ; Un film de
Georges Lampin ; Scénario de Charles Spaak avec Gérard Philippe, Edwige
Feuillère, Lucien Coëdel et Marguerite Moreno d’après le roman de Fedor
Dostoïevski, DVD PAL - Toutes Zones - VF - N&B - 95 mn - Doriane Films –
2021.
1870. Après un long séjour en Suisse pour des raisons de santé, le
tendre et idéaliste prince Lev Nikolaïevitch Mychkine (Gérard Philippe)
retourne à Saint-Pétersbourg. Sans ressources, il se rend chez le général
Epantchine, son seul parent. Vite écoeuré par l’hypocrisie de la haute
société russe, le prince tente d’empêcher la belle Anastasia (Edwige
Feuillère) de se perdre aux mains du vil marchand Rogojine. Qui de l’idiot
ou du voleur gagnera son coeur ?
Il fallait oser une adaptation en moins de cent minutes du célèbre roman de
près de mille pages de Fiodor Dostoïevski « L’Idiot ». Georges Lampin su
relever ce défi avec un charme certain dans ce film sorti au lendemain de la
guerre, en 1946. Un tout jeune acteur encore méconnu à l’époque allait
irradier l’écran dans le rôle du prince Mychkine. Son nom ? Un certain
Gérard Philippe qui interprétait à la même époque du tournage le rôle de
Caligula dans la pièce de Camus, un grand écart qui témoignait déjà de
l’aisance de la future vedette. Dans le film de Lampin, face à la ténébreuse
et provocante Edwige Feuillère dans le rôle de la belle Anastasia, Gérard
Philippe parvient à se saisir de l’esprit du grand romancier russe quant à
l’interprétation de son rôle. Un souffle mi christique, mi- exalté,
caractérise ce personnage que ses contemporains présentent comme simple
d’esprit alors que la lucidité de son cœur parvient à révéler l’âme des
personnes qu’il rencontre. Dans ces multiples confrontations et sur fond
d’hypocrisies de la société russe, « L’Idiot » introduit un message
d’espoir, vite estompé par la fin tragique. Lampin, réalisateur d’origine
russe et nourri de littérature de son pays offre avec cette réalisation
soignée et des plans pour certains de toute beauté une lecture convaincante
de ce célèbre roman.
Du plomb pour l'inspecteur » (Pushover)
– 1954 ; Un film de Richard Quine avec Fred MacMurray, Philip Carey, Kim
Novak ; Format : 16/9, 1:85, Audio : Français – VOST, Durée : 82 min, Noir
et Blanc, DVD, Sidonis, 2021.
Des braqueurs tuent un vigile avant de prendre la fuite avec leur butin.
Un inspecteur infiltré surveille la maîtresse de l’un d’eux, mais l’amour
entre en jeu, et il se trouve rapidement pris au piège entre gangsters et
policiers ; sa vie va alors basculer.
Ce petit joyau méconnu du film noir mérite assurément d’être redécouvert
grâce à cette édition soignée du label Sidonis. « Du plomb pour l’inspecteur
» du réalisateur Richard Quine emporte en effet le spectateur en un
tourbillon sans retour impliquant un policier et une femme fatale balayés
par la tentation. Car là est bien le fil directeur de cette belle
réalisation, aux plans impeccables, portant principalement tout au long du
film sur un seul et même immeuble au sein duquel les protagonistes se
débâteront pour échapper à leur destin…
L’intrigue se met en place très progressivement à partir d’un banal hold-up
d’une banque, sans qu’un mot ne soit prononcé. Puis, crescendo, l’action
véritable se met en place, non point à coups de revolver et de sirènes de
voiture, mais bien plus subtile car située essentiellement sur le plan
psychologique. L’inspecteur interprété avec une rare intelligence par Fred
MacMurray (« Assurance sur la mort ») glisse insidieusement de la rectitude
de son métier à la tentation de la passion et du gain. Tout cela est mené de
main de maître par le réalisateur avec une jeune actrice au tout début de sa
carrière, Kim Novak, inoubliable dans « Vertigo », mais dont on pressent ici
toutes les promesses.
Un film captivant à compléter par les toujours documentés bonus de Bertrand
Tavernier et François Guérif.
« Les Civilisations perdues : Jerash
cité gréco-romaine », réalisation Jacques Vichet, Blue Bird Productions, LCJ
Éditions, 2014.
Si les sites de Pétra, Leptis Magna, Palmyre ou encore Volubilis sont de nos
jours bien connus, celui de Jerash en Jordanie reste plus confidentiel.
Comme si le voile qui avait recouvert cette cité fondée à l’époque
hellénistique par les Séleucides l’avait à la fois préservée des
destructions mais aussi, et par là même, condamnée à une certaine
discrétion. Le passionnant documentaire de Jacques Vichet ouvre les portes
de cette ville bâtie par les vétérans de l’armée d’Alexandre le Grand qui
lui auraient donné son nom – Gerasa (cité des Gérontes) – et ses premiers
édifices. Chaque siècle laissera ses strates archéologiques mises en
évidence avec didactisme par l’archéologue et spécialiste du site Jacques
Seigne. Si ce labyrinthe minéral peut de prime abord déconcerter quelque peu
le spectateur, le chercheur lui-même architecte démêle au fil de ce
documentaire esthétique cet écheveau en montrant combien il demeure
essentiel de replacer chaque édifice encore visible dans son contexte
historique, ce que nous voyons n’étant pas la configuration initiale
souhaitée par les bâtisseurs mais souvent le fruit de multiples aménagements
et remplois par les siècles postérieurs. La conquête romaine lui donnera ses
lettres de noblesse, notamment grâce au commerce prospère et à
l’agriculture. Gerasa deviendra même l’une des dix principales cités de
l’empire et accueillera en son enceinte l’empereur Hadrien en 129. Après son
heure de gloire, cette cité connaîtra un lent déclin à partir des invasions
perses et arabes sous les Omeyyades, déclin accentué par les terribles
tremblements de terre au VIIe s. Après un bref sursaut au moment des
croisades, le sable enveloppera définitivement cette cité en un long sommeil
qui paradoxalement lui sera salutaire en la préservant des outrages du
temps…
Réalisateur : Jacques Vichet, Genre : Documentaires, Année : 2013, Durée :
0h52, Langue : Français / Anglais, Sous-titre : Aucun, Format : 16/9, Son :
Stéréo en dolby digital 2.0
BACKTRACK A.KA. CATCHFIRE, 1990 - Couleurs
- 100 mn; Un film de Dennis Hopper avec Dennis Hopper, Jodie Foster ;
Nouvelle restauration HD, Montage Director's Cut en exclusivité sur
l'édition Blu-ray, Version originale sous-titrée + Version française,
Édition Blu-ray ou DVD, Carlotta Films, 2021.
Anne Benton, une jeune artiste de Los Angeles, est
témoin d’un meurtre orchestré par la mafia. Elle tente de trouver protection
auprès de la police, mais les hommes de main du parrain ont déjà retrouvé sa
trace. Anne parvient malgré tout à s’enfuir sous une nouvelle identité. Un
tueur à gages nommé Milo est alors engagé pour débusquer et éliminer la
jeune femme. Contre toute attente, cet homme sans pitié va tomber amoureux
de sa cible…
Avec Backtrack, l’acteur et réalisateur Dennis Hopper
revisite le genre du polar. Les repères traditionnels se trouvent en effet
bouleversés pour le plus grand plaisir du spectateur, tout d’abord un brin
désemparé, puis finalement embarqué dans cette folle cavale menée tambour
battant par Dennis Hopper, également acteur dans son film, en compagnie de
la troublante Joddie Foster.
Si Dennis Hopper sait jouer à la perfection des rôles aussi différents que
ceux qu’il a interprétés avec brio dans « Easy Rider », « Blue Velvet » ou
encore « Apocalypse Now », dans « Backtrack » il se joue, en effet, avec un
plaisir évident des codes classiques du polar. Et pourtant, tous les
ingrédients sont réunis, une jeune artiste témoin gênant d’un crime commis
par la mafia, une police inefficace pour la protéger et une fuite sous la
forme d’une cavale sans lendemain face aux gangsters… Mais cette recette
aurait été trop évidente pour Dennis Hopper, cet esthète épris d’art
contemporain dont il a su inviter de grands représentants au cœur même de sa
réalisation. Cela donne des scènes assez étonnantes et d’une rare esthétique
dans une galerie d’art. Les liens entre art contemporain et cette
réalisation débridée fourmillent au point de faire perdre parfois les
repères du spectateur étonné par ces multiples références à des artistes
majeurs du XXe siècle tels Jenny Holzer ou encore Georgia O'Keeffe, sans
oublier la courte scène avec Bob Dylan…
Dennis Hopper, dans cette réalisation aux multiples versions, s’amuse et
amuse avec « Backtrack », un film sans prétention, tournant tout en
dérision, et aux multiples clins d’œil à l’histoire du cinéma…
" Dieu sait quoi
" de Jean-Daniel Pollet - 1995 ; Film en version restaurée, 90 minutes ; textes de Francis
Ponge, dits par Michael Lonsdale ; 14 x 19 cm , 64 pages + DVD, Éditions de
l’œil, 2020.
Des objets quotidiens filmés dans un paysage provençal, tels que les
évoqua Francis Ponge dans ses textes. Peu à peu se dévoile ce « monde muet »
qui « est notre seule patrie », s’animent ces « retours de la joie, ces
rafraîchissements de la mémoire, des objets de sensations », ce que Ponge
appelait ses « raisons de vivre ».
Lorsque la poésie de Francis Ponge rencontre celle du cinéaste Jean-Daniel
Pollet, le 7e art propose une autre voie, celle du cinéma de poésie, proche
de ce que poursuivit en son temps Pier Paolo Pasolini. Aussi Jean-Daniel
Pollet part-il de cette clé de l’œuvre de Francis Ponge : "Ce monde muet est
notre seule patrie." Il s’agit alors de redescendre aux choses, comme aux
mots, une descente qui n’a rien de celle d’Orphée, mais relève plutôt de
l’intimité du regard et du verbe… « Dieu sait quoi » est une locution
souvent employée par le poète Francis Ponge, non point en une recherche
transcendantale, mais plutôt comme un aveu d’impuissance à nommer les
choses.
Jean-Daniel Pollet a, ici, décidé de relever ce défi en suggérant une image
à partir de ces objets du quotidien, artefact appartenant au réalisateur
dans l’enclos de sa vie privée, en une métaphore plus générale de la vie
humaine. Carafes, verres, tables, écran de télévision, fruits de fin
d’automne sont autant de suggestions et de supports à capter ce monde muet
grâce à la poésie de l’image. Ces plans fixes ou mouvants « éclairés » par
l’admirable musique d’Antoine Duhamel faisant écho parfois à d’autres
réminiscences héritées de Bach composent un cadre libre à cet échange entre
l’image et la langue. La poésie de Ponge avec la voix de Michael Lonsdale
irradie ces plans de toute beauté du réalisateur. « Dieu sait quoi » offre
cette manière de filmer propre à Jean-Daniel Pollet en suggérant à hauteur
du regard une ligne indicible d’horizon. Les éléments se conjuguent dans
cette partition terrestre et céleste tendue vers le sud, la Méditerranée, si
précieuse aux deux hommes.
Le silence du langage, hypnotique, alterne avec la poésie de l’image à un
point tel qu’un galet irisé d’eau se métamorphose en poème. Une aventure
secrète et à la fois ouverte grâce à ce remarquable livret-DVD proposé par
les éditions l’œil.
« 1984 » ;Un film de Michael Redford
avec John Hurt, Richard Burton, Suzanna Hamilton et Cyril Cusac ; 105 mn,
DVD, Rimini Editions, 2024.
En 1984, le monde est dominé par trois grandes puissances qui se livrent
une guerre perpétuelle. L’une d’elles, l’Océania, est dirigée par un parti
unique et soumise à un régime totalitaire, personnifié Big Brother, dont le
portrait est omniprésent. Le bureaucrate Winston Smith tombe amoureux de
Julia, ce qui est totalement interdit.
Le film « 1984 » réalisé par Michael Redford offrira à celles et ceux qui
n’auraient pas encore lu le fameux roman dystopique de Georges Orwell une
transposition cinématographique convaincante à plus d’un titre.
Le scénario tout d’abord plonge littéralement le spectateur dans l’univers
orwellien glaçant à souhait où les couleurs se sont quasiment estompées pour
une atmosphère sépia des plus oppressantes… Des plans soignés, des cadrages
jouant des contrastes avec les effets des masses endoctrinées et la solitude
du héros quasi kafkaïen interprété avec une rare justesse par John Hurt,
happent spontanément et allant crescendo jusqu’au terme de cette intrigue
qui dénonce les effets de l’endoctrinement des masses et de la manipulation
politique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et à la veille de la
Guerre froide.
Le choix des acteurs s’avère également des plus judicieux - John Hurt
précédemment évoqué, mais aussi l’inoubliable Richard Burton dont ce sera le
dernier rôle à l’écran puisqu’il disparaîtra à l’âge de 58 ans quelques
jours après la fin du tournage. Ce géant du grand écran et du théâtre livre
dans ce dernier film une interprétation idoine faite de fausse compassion et
d’une rare cruauté quant à l’endoctrinement.
Au final, le spectateur de cette belle réalisation servie par la musique du
légendaire groupe londonien Eurythmics n’aura qu’une envie, redécouvrir le
roman à l’origine de ce film réussi.
« La Tresse » ; Un film de Laetitia
Colombani avec Kim Raver, Fotinì Peluso et Mia Maelze, DVD, M6 Video.
Inde. Smita est une Intouchable. Elle rêve de voir sa
fille échapper à sa condition misérable et entrer à l'école. Italie. Giulia
travaille dans l'atelier de son père. Lorsqu'il est victime d'un accident,
elle découvre que l'entreprise familiale est ruinée. Canada. Sarah, avocate
réputée, va être promue à la tête de son cabinet quand elle apprend qu'elle
est malade. Trois vies, trois femmes, trois continents. Trois combats à
mener. Si elles ne se connaissent pas, Smita, Giulia et Sarah sont liées
sans le savoir par ce qu'elles ont de plus intime et de plus singulier.
Le film de Laetitia Colombani retrace le destin de trois femmes, et de trois
vies parallèles, qui bien que ne se rencontrant à aucun moment, aboutiront
néanmoins à un lien commun : celui de la vie et du courage des femmes. Tout
oppose en effet la condition sociale de Smita et de sa fille, cette
Intouchable à l’avenir tout tracé dans la réprobation générale des
laissés-pour-compte de la société indienne, de celle de cette avocate
canadienne à la carrière prometteuse. Entre ces deux vies, Giulia, jeune
Italienne, apparaît dans la fraîcheur innocente de sa jeunesse jusqu’à ce
que l’accident de son père révèle l’ampleur du désastre…
Réalisé d’après le best-seller de la réalisatrice Laetitia Colombani, ce
film d’une sobre intensité emporte le spectateur en un maelström vertigineux
des sentiments, évocation poignante du destin de ces trois femmes, des
destinées traitées avec une rare sensibilité écartant tout pathos.
L’esthétique des plans est également de toute beauté qu’il s’agisse des
couleurs de l’Inde, de la lumière hypnotique bleu-azur du sud de l’Italie ou
encore de la perfection géométrique des buildings de la city canadienne,
tout emporte conviction. Ce formalisme accentué par des optiques et des
caméras différentes parvient à restituer parfaitement le destin croisé de
ces trois femmes que tout éloigne pourtant, mais qui finira par les réunir
au final.
Un film d’une rare intensité qui rapproche les êtres et souligne la force
d’âme de ces femmes du XXI° siècle.
« Persée l'invincible » (1963) ;
Réalisateur : Alberto de Martino avec Leo Anchoriz, Richard Harrison, Anna
Ranalli, Arturo Dominici, DVD, ARTUS Films, 2024.
Acrisios a usurpé le trône d’Argos en tuant le roi et épousant sa veuve,
Danaé. Persée l’héritier légitime, vit à Sériphos, ville voisine, mais
ignore tout de sa naissance. Il va le découvrir grâce à la belle Andromède,
puis, avec l’aide de la déesse Athéna, accomplir des exploits héroïques pour
reprendre le trône...
Avec « Persée l’invincible » du réalisateur Alberto de Martino, le
spectateur plongera dans la mythologie revisitée par le péplum italien ! De
Martino est en effet un habitué du genre avec une production plus que
pléthorique, alternant entre réalisations inspirées et d’autres… nettement
moins… Persée compte parmi les premières avec un scénario plausible bien
qu’inspiré très extensivement de l’histoire mythologique. Si des
aménagements avec l’Histoire et la Géographie sont en effet perceptibles, il
n’en demeure pas moins que cette réalisation parvient à capter dès les
premiers plans l’attention de l’amateur de péplum avec des bons, des
méchants, des monstres dont la terrible Gorgone quelque peu surprenante…
Richard Harrison, ancien culturiste habitué du genre, parvient à occuper
progressivement l’écran même s’il n’a pas le même charisme qu’un Steve
Reeves ou d’un Reg Park, alors que Leo Anchóriz et Arturo Dominici incarnent
les forces du mal de manière convaincante. Comptant parmi les références du
cinéma populaire italien, « Persée l’Invincible » est à redécouvrir dans
cette très belle édition combo DVD/BRD incluant les deux montages du film et
accompagnée d’un très instructif livret revenant sur le thème mythologique
de Persée !
« Chien de la casse » ; Un film de
Jean-Baptiste Durand avec Anthony Bajon, Raphael Quenard, Galatea Bellugi ;
Durée : 93 minutes, Langue : Français, Nationalité : France, BRD, Blaq Out,
2024.
Dog et Mirales sont amis d’enfance. Ils vivent dans un petit village du
sud de la France et passent la majeure partie de leurs journées à traîner
dans les rues. Pour tuer le temps, Mirales a pris l’habitude de taquiner Dog
plus que de raison. Leur amitié va être mise à mal par l'arrivée au village
d'une jeune fille, Elsa, avec qui Dog va vivre une histoire d'amour. Rongé
par la jalousie, Mirales va devoir se défaire de son passé pour pouvoir
grandir, et trouver sa place.
Voici le premier long-métrage de Jean-Baptiste Durand, un réalisateur est
qui s’est déjà fait remarqué par une double récompense en 2024 avec le César
du Meilleur Premier Film et le César de la Meilleure Révélation Masculine.
La qualité à la fois graphique et cinématographique de ce film tient au fait
que son réalisateur a bénéficié au préalable d’une formation aux arts
graphiques, notamment dans le domaine de la peinture de portraits qu’il
affectionne plus particulièrement.
Et c’est bien les portraits à la fois intimistes et quelque peu désabusés
des protagonistes qui ressortent de ce film dont l’action se passe
essentiellement dans les ruelles d’un petit village du sud de la France, par
morte-saison, un cadre esseulé qui accentue encore plus le désoeuvrement de
certains des personnages. Mais ici nulle condamnation – le réalisateur
connaît bien ce milieu rural dont il est originaire – mais plutôt une
succession d’esquisses très graphiques d’âmes en peine, cherchant la
communication et l’amour malgré la parole qui bute souvent… Mirales,
interprété avec une verve impressionnante par Raphael Quenard, s’avèrera
beaucoup plus fragile qu’il n’y parait alors que le mutisme de son ami
d’enfance, Dog, brillamment interprété par Anthony Bajon (remarqué déjà dans
La Prière), s’estompera progressivement jusqu’à l’acmé du film. Amour,
amitiés, passions et mal de vivre ponctuent ce film d’une grande sobriété et
d’une esthétique indéniable.
« Le Ciel rouge » ; Un film de
Christian Petzold avec Thomas Schubert, Paula Beer, Langston Uibel, Enno
Trebs, Matthias Brandt, DVD, Blaq Out, 2024.
« Une petite maison de vacances au bord de la mer Baltique. Les journées
sont chaudes et il n'a pas plu depuis des semaines. Quatre jeunes gens se
réunissent, des amis anciens et nouveaux. Les forêts desséchées qui les
entourent commencent à s'enflammer, tout comme leurs émotions. Le bonheur,
la luxure et l'amour, mais aussi les jalousies, les rancœurs et les
tensions. Pendant ce temps, les forêts brûlent. Et très vite, les flammes
sont là ».
Avec « Le Ciel rouge », le réalisateur allemand Christian Petzold livre un
témoignage sensible et intériorisé sur les relations humaines. Sur fond de
forêt incandescente, un maillage de plus en plus serré des sentiments se
tisse progressivement alors que sourde la menace des éléments, en
l’occurrence le feu. Après un début quelque peu poussif aux accents
rohmériens, ce long métrage prend toute son ampleur en révélant le cœur de
chacun des protagonistes, surtout celui de l’écrivain, interprété avec
justesse par l’acteur autrichien Thomas Schubert mais également celui plus
énigmatique de la jeune femme avec la rayonnante Paula Beer.
Après l’insouciance, l’embrasement gagne chacun des protagonistes jusqu’à
l’acmé au terme de cette aventure estivale où pointent le danger et la mort
soulignée par la poignante musique de Ryuichi Sakamoto (lire
notre interview)… Dans ce maelström captivant, quelques belles
références littéraires, Heinrich Heine et son délicat poème Asra, Uwe
Johnson quelque peu méconnu de ce côté-ci du Rhin…
Ce film sensible qui aborde au carrefour des sentiments la question de la
création artistique et de ses enjeux sur fond de nature en danger, un propos
discret mais juste qui témoigne de la qualité du cinéma de Christian Petzold
et de ses acteurs. À découvrir.
« Une pierre dans la bouche » de
Jean-Louis LECONTE réalisé en 1983 avec HARVEY KEITEL, CATHERINE FROT,
MICHEL ROBIN Et RICHARD ANCONINA, scénario de Gérard Brach et Jean-Louis
Leconte, photographie Henri Alekan, version restaurée en DVD, Doriane Films,
2023.
Un fugitif américain, blessé et traqué, échappe à ses assassins lancées à
ses trousses. Il se réfugie dans une très belle demeure isolée où vit
Victor, vieux comédien, aveugle et fortuné. L'arrivée du neveu du vieillard,
avide personnage flanqué d'une charmante petite amie, va bouleverser ce
fragile équilibre. Les tueurs de l'homme en fuite ne tarderont pas à venir
rendre visite au vieil homme.
Certains films, quelque peu tombés dans l’oubli après leur sortie, méritent
d’être redécouverts, c’est le cas d’ « Une pierre dans la bouche » du
réalisateur Jean-Louis Leconte sorti en 1983. Plusieurs arguments plaident
en effet à revoir ce long-métrage d’un réalisateur qui à l’époque fit appel
à une légende du cinéma dans son équipe technique à savoir le grand chef
opérateur Henri Alekan qui confèrera à ce film une photographie unique.
Dans ce cadre à la fois enchanteur et oppressant d’un beau manoir esseulé et
quelque peu abandonné, un duo d’acteurs va tisser des liens inattendus et
originaux inversant le fameux syndrome de Stockholm. Le fugitif interprété
avec brio par le grand Harvey Keitel (Taxi Driver) se laisse en effet
progressivement émouvoir par le vieux comédien aveugle joué avec truculence
et profondeur par Michel Robin, sociétaire de la Comédie française, et qui
n’est plus à présenter… Dans ce film à mi-chemin entre théâtre et cinéma,
tragédie et comédie, la vie semble suspendue malgré l’adversité qui enserre
la demeure. L’arrivée de deux autres protagonistes (Richard Anconina
accompagné de la jeune Catherine Frot) ne fera qu’accélérer le destin de
cette histoire singulière dont le titre « Une pierre dans la bouche »
renvoie à une signification de trahison dans le milieu mafieux.
« Le conquérant » ( The Conqueror) -
1956 ; Un film de Dick Powell avec John Wayne et Suzan Hayward, DVD, Sidonis
Calysta, 2023.
Au début du XIIe siècle, les vastes plaines d'Asie centrale brûlent des
guerres que se livrent, depuis des siècles, des tribus rivales. C'est là que
vient au monde Temüjin, fils ainé de l'une des familles de guerriers de l'un
des quarante clans que compte le peuple mongol. Brave parmi les braves, il
se doit de venger la mort de son père, tué par un chef tatare dont il tombe
amoureux de la fille, la farouche Bortaï. La bataille s'engage, la première
avant que Temüjin n'entre dans l'histoire sous le nom de Gengis Khan...
Si le nom de Temüjin n’est guère connu que des spécialistes, celui de Gengis
Khan qu’il prendra par la suite en devenant le conquérant de l’Asie centrale
est plus familier… Ce sont les débuts de cette incroyable légende que relate
ce film du réalisateur Dick Powell en une superproduction hollywoodienne
convoquant les plus grandes stars du cinéma de l’époque.
John Wayne et Suzan Hayward tiennent en effet le haut de l’affiche de ce
film qui atteint à l’époque un budget record et connut un véritable succès
auprès du public. Il faut dire que rien n’a été ménagé quant aux moyens
employés : figurants en grand nombre, cavaliers éprouvés et cascades
plausibles, paysages magnifiques tournés dans l’Utah…
Passées les quelques minutes de surprise quant au rôle d’un John Wayne
transformé en chef du peuple mongol, le spectateur se laisse prendre par ce
récit de fiction s’inscrivant dans l’Histoire véridique de ce chef de guerre
qui fit trembler l’Asie jusqu’à la Chine.
« L'homme à la peau de serpent » (The
Fugitive Kind )- 1960 ; Un film De Sidney Lumet avec Marlon Brando, Anna
Magnani, Joanne Woodward, DVD, Sidonis, 2023.
Bohème, Val Xavier quitte La Nouvelle-Orléans, où il a des ennuis avec la
justice, et s’installe dans une petite localité du Mississippi avec la ferme
intention de se racheter une conduite. Il est embauché par Lady Torrance, la
patronne d’un commerce. Une femme nettement plus âgée que lui, aigrie par
son mariage malheureux avec un homme qui, souffrant, ne quitte pratiquement
plus le lit. Celle-ci tombe bientôt sous le charme du nouveau venu qui ne
laisse pas non plus indifférentes l’épouse du shérif et une jeune femme
alcoolique et nymphomane.
Taillé sur mesure pour l’acteur Marlon Brandon, ce long-métrage du
réalisateur Sidney Lumlet explore l’univers décrit par le célèbre écrivain
américain Tennessee William qui en signe lui-même le scénario à partir de sa
pièce « Opheus Descending » écrite quelques années plus tôt. L’écrivain en
dépeignant l’univers sombre et passionné d’une petite ville du Mississippi
avait déjà pensé, avait-il confié, au célèbre acteur irradiant littéralement
l’écran sous la caméra de Sidney Lumet. Face à lui Anna Magnani, peut-être
plus convaincante dans les films de légende de Pier Paolo Pasolini (Mama
Roma) que sous les latitudes américaines, mais donnant néanmoins une
réplique juste.
Le film parvient à instaurer un climat à la fois passionnel et quelque peu
déphasé, chacun des protagonistes semblant déraciné sur cet ilot esseulé du
Mississippi. Mais le génie de Lumlet (Douze hommes en colère ; Serpico) est
de parvenir à saisir la face sombre du Sud des États-Unis dans ces années
d’après-guerre où racisme, violence et alcool rythmaient la vie quotidienne.
Une vision pessimiste de la société américaine de cette époque que
parviennent cependant à illuminer le jeu époustouflant et la présence de
Marlon Brando.
« VIRGIN SUICIDES » -1999 ; Un film
de Sofia Coppola avec Kirsten Dunst, James Woods, Kathleen Turner, A.J.
Cook, Josh Hartnett, Leslie Hayman, Michael Paré, Scott Glenn, Danny DeVito
; Scénario et dialogues de Sofia Coppola d'après le roman de Jeffrey
Eugenides, The Virgin Suicides ; Musique originale de Richard Beggs, Air,
combo 4K UHD + Blu-ray, et en Salle, Pathé, 2023.
Dans une ville américaine tranquille et puritaine des années
soixante-dix, Cecilia Lisbon, treize ans, tente de se suicider. Elle a
quatre sœurs, de jolies adolescentes. Cet incident éclaire d'un jour nouveau
le mode de vie de toute la famille…
Ce premier film hypnotique de Sofia Coppola sorti en 1999 fit date à
l’époque en raison de l’atmosphère qui se dégage non seulement de l’intrigue
mais également du traitement de cette histoire tirée de l’Amérique des
années 70. À la fois récit onirique sur l’adolescence contrariée de cinq
jeunes filles et critique de la superficialité d’une société engoncée dans
ses contradictions, Virgin Suicides ne laisse pas indifférent avec cette
évocation à la fois cynique et tragique.
Le contraste saisissant du puritanisme de façade lézardé par les aspirations
des jeunes adolescentes et les ravages de la société de consommation
préfigure ce qui adviendra quelques décennies plus tard sur le vieux
continent.
La version restaurée 4K met en valeur le travail sur la photographie de la
jeune réalisatrice accentuant l’univers onirique dans lequel les jeunes
filles se protègent en tentant en vain de préserver un dernier bastion de
liberté. L’innocence perdue, le souffle libertaire, l’incompréhension entre
les sexes, la définition de l’amour, nombreux sont les thèmes abordés avec
poésie mais aussi une tragique lucidité par Sofia Coppola dans ce film de
jeunesse sans concession.
Version restaurée en 4K Infos techniques : BLU-RAY - 1.66 - Couleur – 97 min
LANGUES : Français et Anglais DTS 2.0 & 5.1 - SOUS-TITRES : Français 4K
ULTRA-HD - 1.66 - Couleur - 97 min LANGUES : Français et Anglais DTS 2.0 &
5.1 - SOUS-TITRES : Français
« Esterno Notte » ; Une série de
Marco Bellocchio avec Fabrizio Gifuni, Margherita Buy, Toni Sevillo, Fausto
Russo Alesi, Daniela Marra, Gabriel Montesi, Paolo Pierobon, Fabrizio Contri,
Pier Giorgio Bellocchio, Antonio Piovanelli, Bruno Cariello, Gigio Alberti,
Luca Lazzareschi, ITALIE | FRANCE | SÉRIE | 2022 6 x 55 minutes, COFFRET 2
DVD, Arte editions,2023.
Le 16 mars 1978, Aldo Moro, alors président de la Démocratie chrétienne,
est enlevé par les Brigades Rouges. En état de choc, le gouvernement italien
se retrouve face à un dilemme : faut-il accepter la négociation avec le
groupe terroriste, au risque de mettre en péril la démocratie, ou ne rien
céder et prendre le risque d’une mise à mort de l’homme politique ?
Marco Bellochio signe avec Esterno Notte une série passionnante sur
l’affaire qui traumatisa l’Italie entière à la fin des années 70 lorsque le
président de la Démocratie chrétienne Aldo Moro fut enlevé par les Brigades
Rouges souhaitant imposer la révolution prolétarienne d’inspiration
marxiste-léniniste. L’évènement porta un coup sévère aux institutions qui
jusqu’alors avaient résisté aux multiples attentats perpétrés par ces
groupes d’extrême gauche durant les années de plomb.
Le cinéaste Marco Bellochio n’est plus à présenter et ce coup d’essai dans
le domaine de la série est une véritable réussite, tant la qualité du
scénario, la réalisation de chacun des épisodes, le choix des acteurs
convainquent sans réserve, une vingtaine d’années après Buongiorno notte du
réalisateur sur ce même sujet. Privilégiant le format long de la minisérie
afin d’approfondir l’analyse des protagonistes, Bellochio examine tour à
tour le personnel politique, le rôle du pape Paul VI interprété par Toni
Servillo, les membres des Brigades Rouges, sans oublier l’étonnante
métamorphose réalisée par Fabrizio Gifuni pour interpréter le rôle d’Aldo
Moro.
Rien n’est épargné dans cette triste évocation d’une société prise par le
doute le jour où l’un de ses responsables devient l’otage d’un groupuscule
extrémiste… Cette histoire qui marqua l’Histoire italienne du XXe siècle se
trouve restituée avec un rare talent aux accents christiques au terme de cet
épisode sombre.
« Chasse à la mafia (Vous
souvenez-vous de Paco ?) » ; Un film de Jess Franco, Espagne 1963, DVD,
Artus, 2023.
Alors qu’il s’apprêtait à donner des renseignements à l’inspecteur Ruiz à
propos du politicien véreux Leprince, le barman Paco est assassiné à coups
de couteau. L’inspecteur mène l’enquête alors que, petit à petit, les
participants au meurtre tombent les uns après les autres.
Le nom du réalisateur Jess Franco semble quelque peu tombé dans l’oubli de
nos jours alors même que ce touche-à-tout ait réalisé près de 200 films
mêlant érotisme et horreur, et ait attiré l’attention d’un certain Orson
Welles qui en fit son assistant-réalisateur pour Falstaff… « Chasse à la
mafia », réalisé en 1963, ressort très nettement de cette production massive
à petit budget avec un film à la fois soigné sur le plan technique et plutôt
plaisant à découvrir grâce à cette musique omniprésente qui confère un
rythme certain à l’intrigue.
Franco a su adapter des auteurs en tout genre allant de Sade à Mirbeau en
passant par Exbrayat pour « Chasse à la mafia », plus connue sous son titre
original espagnol Rififí en la ciudad. Si l’intrigue guère originale se
déroule dans le milieu de banditisme et de politiciens crapuleux, l’angle
retenu par le réalisateur, celui d’un policier tenace précédé d’une
mystérieuse femme qui le devance dans son enquête, retient cependant
l’attention du spectateur pris par le déroulement de l’histoire. Jean
Servais campe, ici, le rôle classique de salaud prêt à tout pour assouvir sa
soif de pouvoir alors que l’acteur espagnol, Fernando Gomez, livre une
interprétation plus fine et moins prévisible de son rôle.
Avec quelques plans d’une rare esthétique dans le goût d’Orson Welles et une
photographie également remarquable, « Chasse à la mafia » mérite d’être
redécouvert grâce à cette nouvelle version intégrale - Master 2K restaurée
parue chez ARTUS Films.
Langue Français, Espagnol, Sous-Titre Français, Format Coffret digipack Blu
Ray + DVD
Format Original 1.77 - 16/9ème compatible 4/3 - 1920/1080p Format DVD DVD -
PAL - Zone 2 / BD - Zone B Duree 104 minutes Noir et blanc / couleur Noir et
blanc
« L'Atalante » 1933 de Jean Vigo avec
Michel Simon, Dita Parlo, Jean Dasté, Gilles Margaritis, Louis Lefebvre,
Maurice Gilles, Raphaël Diligent ; Nouveau master restauré 4K, DVD, Gaumont
Classiques ,2022.
Jean, un marinier, a épousé Juliette, une fille de paysans de l'Oise.
Leur vie va se dérouler, avec des alternances de bonheur et de tristesse, à
bord d'une péniche, "L'Atalante". L'équipage se compose d'un mousse et du
père Jules, un pittoresque loup de mer vivant dans sa cabine au milieu de
ses chats et d'un indescriptible capharnaüm. Juliette, distraite un moment,
rêve de Paris...
« L’Atalante » compte parmi ces chefs-d’œuvre du 7e art qui sont restés
gravés dans la mémoire des cinéphiles ainsi que le rappelle Martin Scorcese
dans le bonus accompagnant ce DVD restauré paru chez Gaumont Classics. Il
faut souligner que c’est un important travail de restauration qui a été
entrepris sur ce film signé du réalisateur Jean Vigo disparu prématurément
après n’avoir réalisé que 4 longs métrages. Une belle et audacieuse
restauration qui a pu être réalisée grâce aux nombreuses versions, ruchs
voire seulement bandes sonores, encore disponibles…
Ce nouveau master restauré 4K restitue ainsi toute la profondeur des plans
soignés du réalisateur ainsi que la beauté de la photographie en noir et
blanc des berges de la Seine sur lesquelles se déroule l’essentiel du film
tourné, rappelons-le, en 1933.
Si l’histoire peut sembler quelque peu anodine, le jeu des acteurs – comment
passer sous silence la présence inoubliable du grand Michel Simon ?!– lié à
l’art cinématographique livre, ici, une vue ou plutôt une vie de Paris des
plus esthétiques, aujourd’hui disparu et prolongeant encore quelque temps le
Paris d’un Atget déjà si engagé dans l’industrialisation.
Entre comédie et poésie, tableau sensible d’un monde bientôt révolu, «
L’Atalante » offre au spectateur une belle leçon de cinéma, idéalement
restituée par cette édition Gaumont Classics.
Bonus : Présentation de L'Atalante par Martin Scorsese (3')
Tournage d'hiver de Bernard Eisenschitz (70')
L'Atalante restauré (3')
« Fille du Diable » (1946) ; Un film
de Henri Decoin avec Pierre Fresnay, Fernand Ledoux, Andrée Clement et
Albert Rémy, DVD et VOD, Gaumont, 2022.
Célèbre criminel en fuite, Saget est pris en voiture par Ludovic Mercier,
un homme qui revient dans son village natal après 25 ans d’exil fructueux
aux Etats-Unis. Mais Mercier est ivre et le véhicule dérape. Si
l’automobiliste meurt dans l’accident, Saget survit et décide d’usurper
l’identité du mort. Accueilli en fanfare par tous les villageois, il trompe
ses compatriotes à l’exception de la mystérieuse Isabelle, surnommée « Fille
du Diable »…
Si le nom du réalisateur Henri Decoin semble quelque peu méconnu de nos
jours, il connut cependant une notoriété certaine au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale et signera quelques longs-métrages intéressants tel la «
Fille du Diable », un film alternant entre drame psychologique et policier.
Usant de plans audacieux pour l’époque et travaillant la photographie avec
art, Decoin offre, en effet, avec cette réalisation une attrayante réflexion
sur les frontières entre bien et mal, déterminisme et libre arbitre.
Servi par une musique brillante du grand compositeur Henri Dutilleux, la «
Fille du Diable » mérite d’être également redécouvert pour son jeu d’acteurs
convaincant avec un Pierre Fresnay plus vrai que nature, incarnant un
mauvais garçon sur le point de se repentir ; Fernand Ledoux, remarquable de
justesse et d’humour, sans oublier la troublante Andrée Clément, disparue
prématurément, quelques années après ce long métrage, du grand écran.
" Les Chiens de guerre" ; Un film de
John IRVIN avec Christopher WALKEN, Tom BERENGER, Jean-François STEVENIN,
JoBeth WILLIAMS ; Format écran : 16/9, Format image : 1.85, Durée : 1h40
environ ; Langues : Français, Anglais, Sous-titres : Français, Son: 2.0, DVD,
(inclut version longue)
Jamie Shannon est un mercenaire de renom. Son job : parcourir le monde et
participer à toutes les guerres qui peuvent l’enrichir. Il vient d’accepter
la mission la plus dangereuse de toute sa carrière : organiser un putsch au
Zangaro, État africain gouverné par un dictateur sanguinaire. Pour remplir
son contrat, il doit recruter une équipe de dangereux mercenaires… de
véritables chiens de guerre.
Marquant le début des années 80, « Les chiens de guerre » réalisé par John
Irvin s’inscrit dans le cadre de cette longue série de films traitant du
thème des mercenaires aux quatre coins du monde… Adaptant à l’écran le roman
de Frederick Forsyth, ce long-métrage s’est fait remarqué pour son
traitement réaliste des protagonistes qui se démarque des autres
réalisations du genre. Loin du superhéros hollywoodien invincible, Shanon
laisse apparaître dès les premières minutes du film le quotidien banal et
souvent glauque de ces hommes souvent laissés pour compte de l’armée et dont
les idéaux se réduisent souvent à des questions financières. Tourné au
Belize sur la côte est de l’Amérique centrale, « Les chiens de guerre »
décrit les aventures d’une petite équipe de mercenaires recrutés par le
personnage qu’incarne avec sobriété et brio Christopher Walken. Atypique, ce
film retrace la longue préparation du commando, ses imperfections et aspects
sombres avant l’assaut final. Bénéficiant d’un casting international, « Les
chiens de guerre » offre au réalisateur John Irvin l’occasion de dépeindre
un univers qu’il connaissait bien pour avoir auparavant couvert la guerre du
Vietnam en tant que documentariste. A noter le titre anglais de ce film
inspiré d’une réplique du Jules César de William Shakespeare : « Carnage !
et alors seront lâchés les chiens de guerre »…
Pygmalion - Leslie Howard et Anthony
Asquith avec Leslie Howard, Wendy Hiller, Wilfrid Lawson, Marie Lohr,
d’après la pièce de George Bernard Shaw, Mostra de Venise 1938 - Meilleure
interprétation masculine, Oscars 1939 - Meilleure Adaptation, Version
originale anglaise, sous-titres français - Noir & Blanc - 95 mn, DVD,
Doriane Films, 2022.
Le professeur Henry Higgins, expert en phonétique, fait la connaissance
d’une jeune fleuriste de Covent Garden, Eliza Doolittle, au très fort accent
cockney. Avec son ami le colonel Pickering, il fait le pari de la faire
passer pour une duchesse...
Exercice de haute virtuosité que cette brillante adaptation de la célèbre
pièce de George Bernard Shaw. Avec « Pygmalion », en effet, les trois
réalisateurs crédités au générique signent un long-métrage enlevé et
trépidant, au rythme et ambiance british à souhait. Il faut avouer que les
interprétations livrées par Leslie Hiller et Wendy Hiller contribuent à
faire de ce film servi par une photographie impeccable un classique du
cinéma anglais. L’humour se trouve bien entendu placé au premier plan avec
des réparties hilarantes à la hauteur du célèbre dramaturge irlandais.
Mais, « Pygmalion » se double par ailleurs d’une analyse sociale non dénuée
d’intérêt avec une critique des hiérarchies de classe omniprésentes dans la
société aristocratique britannique du siècle passé.
Brillant et pétillant, « Pygmalion » offre une belle leçon de cinéma
récompensé par les plus hautes institutions du grand écran.
Bonus DVD :
Un cottage dans le Dartmoor, un film de Anthony Asquith (88 minutes)
Un livret illustré de 12 pages
« LE ROI DE PARIS » ; Un film de
Dominique Maillet avec Philippe Noiret, Veronika Varga, Jacques Roman,
Manuel Blanc, Michel Aumont, Paulette Dubost, Corinne Clery, Ronny Coutteure,
Franco Interlenghi, Sacha Briquet, Bernard Lajarrige, Pierre Vial ; Coffret
combo 2 DVD + 1 Blu-ray - 181 min - Version originale française -
Sous-titres anglais et hongrois - Sous-titres pour sourds et malentendants –
Audiodescription, Doriane Films, 2022.
Le « Roi de Paris », en cette saison théâtrale 1930, est le grand acteur
Victor Derval qui règne en maître sur le Boulevard et vit entouré de sa cour
: un directeur de théâtre, sa fidèle habilleuse, un marquis déchu et
pique-assiette, et son ancienne maîtresse et partenaire à la scène. Un jour,
il est accosté par Lisa, une jeune étrangère venue tenter sa chance comme
actrice à Paris. Séduit, Victor Derval l’embauche et l’installe chez lui où
elle fait la connaissance de Paul, son fils. Père et fils en viennent très
vite à se disputer l’amour de la jeune actrice…
« Le roi de Paris » de Dominique Maillet, curieusement passé sous silence
lors de sa sortie en 1995, livre un portrait sensible sur la condition de
comédien dans les années 30. Avec un rôle taillé sur mesure pour l’immense
Philippe Noiret, ce long-métrage bénéficie d’un luxe de décors remarquables
servant à la prestation du facétieux comédien avec, en contrepoint, une
jeune comédienne Veronika Varga parvenant à ne pas être éclipsée par
l’imposant acteur.
« Le roi de Paris » dévoile les arcanes de la notoriété en en révélant les
sommets, mais aussi les gouffres, ainsi qu’il ressort assez finement de ce
rapport de plus en plus étroit entre l’acteur, son fils et la jeune ingénue.
Avec un Michel Aumont quelque peu en retrait, ce film séduit et divertit,
atout principal de la condition d’artiste dont il souligne les gouffres et
paradoxes.
"Robuste" ; Un film de Constance
Meyer avec Gérard Depardieu et Déborah Lukumuena ; DVD & VOD, Diaphana,
2022.
Lorsque son bras droit et seul compagnon doit s’absenter pendant
plusieurs semaines, Georges, star de cinéma vieillissante, se voit
attribuer une remplaçante, Aïssa. Entre l’acteur désabusé et la jeune
agente de sécurité, un lien unique va se nouer.
Avec « Robuste », Constance Meyer signe son premier long-métrage, un film
sensible et émouvant sur les rapports entre individus. Taillé sur mesure
pour la carrure de Gérard Depardieu, le scénario offre une confrontation
singulière avec, face à lui, l’étonnante Déborah Lukumuena déjà remarquée
dans « Divines » et nullement intimidée devant ce monument du cinéma
français.
Si la vulnérabilité et le désabusement abondent dans ce film aux plans
soignés, tout cynisme s’éloigne progressivement au fur et à mesure que la
lumière apportée par la jeune Aïssa entre dans le cœur de cet homme aigri.
Jouant des contrastes entre ces corps « robustes » et cachant pourtant une
fragilité certaine, cette belle réalisation convie le spectateur à
s’interroger sur ses propres réalisations, incomplétudes et valeurs. Avec
une photographie également remarquable, « Robuste » ouvre sur le sens de la
vie et notre rapport à elle.
« Meurtre À Montmartre » ; Un film
de Gilles Grangier avec Michel Auclair, Paul Frankeur, Giani Esposito, Annie
Girardot, Jacqueline Noëlle, Lucien Nat et Marcel Bozzuffi ; Scénario de
Gilles Grangier et René Wheeler, d'après le roman de Michel Lenoir ;
Dialogues de René Wheeler ; combo DVD/BRD, Pathé Films, 2022.
Le marchand d’art Marc Kelber croit faire l’affaire du siècle quand il
achète un tableau de Gauguin à Jacques Lacroix, un prétendu collectionneur.
Mais quand il découvre que ce dernier est un escroc qui lui a vendu un faux,
Kelber est bien décidé à se venger. Il retrouve alors Lacroix et ses
complices, le peintre faussaire Watroff et sa compagne et modèle Viviane.
Mais plutôt que de leur faire payer leur arnaque, il décide finalement d’y
prendre part.
Ce film noir « Meurtre à Montmartre » qui vient de faire l’objet d’une
version restaurée en 4K sous la supervision de Pathé et avec le soutien du
CNC sera l’occasion de redécouvrir la qualité apportée à toutes les étapes
de la réalisation par cette personnalité du monde du cinéma que fut Gilles
Grangier. Après « Échec au porteur » présenté dans ces colonnes et « Le Sang
à la tête », c’est au tour de « Meurtre à Montmartre » de bénéficier d’une
belle édition inédite à partir des négatifs originaux grâce à l’initiative
de Valérie Paulin.
Sorti en 1957, ce long-métrage présente un tableau à la fois réaliste et
sombre au cœur de Paris. Ce qui n’aurait pu être qu’une mauvaise affaire
d’un marchand d’art va en effet rapidement tourner au drame et révéler les
affres du cœur humain, prêt à tout pour l’appât du gain. Bien au-delà d’un
simple crime crapuleux, Grangier explore en effet les intrications complexes
des personnalités réunies notamment des quatre protagonistes principaux à
savoir le marchand d’art interprété avec une rare profondeur par Paul
Frankeur, le prétendu collectionneur peu scrupuleux joué avec une aisance
déconcertante par Michel Auclair, l’artiste paumé interprété par Giani
Esposito et enfin la compagne de ce dernier, une petite jeunette âgée de 25
ans et déjà promise à un bel avenir en la personne d’Annie Girardot…
Ce quatuor mené de main de maître par Grangier compose une partition
impeccable et réaliste, le plus souvent en décor extérieur révélant l’art du
réalisateur pour des plans impeccables et une photographie d’une rare
profondeur. Ayant fait l’objet d’une préparation poussée sur le milieu de
l’art, ce film adapté de l’œuvre de l’écrivain Michel Lenoir s’avère vite
convaincant sur un sujet pourtant pointu. La mise en scène à la fois
rigoureuse et laissant une grande liberté aux acteurs conduit à un film
d’une belle maîtrise et dont on s’étonne qu’il ait pu être éreinté par la
critique lors de sa sortie et tombé injustement dans l’oubli depuis…
Suppléments :
- Meurtre à Montmartre : Entretiens autour du film
Avec Valérie Paulin et François Guérif (31 min)
- Actualité Pathé : Exposition de faux chefs-d’œuvre au salon de la police
1954
"Le Vétéran" ; Un film de Robert
Lorenz avec Liam Neeson, Katheryn Winnick et Juan Pablo Raba, DVD,
M6 Vidéo, 2022.
Poursuivis par les membres d’un cartel mexicain, une mère et son fils
traversent la frontière qui sépare le Mexique de l’Arizona et se retrouvent
sur les terres de Jim Hanson. Aigri, vieillissant, celui-ci dénonce
traditionnellement les immigrés clandestins aux autorités. Mais quand la
mère est tuée dans une fusillade, l’américain récalcitrant décide d’aider le
jeune Miguel à fuir. Le vétéran de guerre veuf et désabusé et le garçon
orphelin vont devoir traverser les États-Unis, poursuivis par des criminels
et des policiers corrompus.
Un héros solitaire, un brin acariâtre, et un jeune immigré innocent traqué
par des gangsters forment la trame de ce long-métrage réalisé par Robert
Lorenz qui s’est notamment fait connaître pour sa longue collaboration avec
Clint Eastwood (Sully, American Sniper ou encore Invictus). L’acteur retenu
pour ce film d’action n’en est pas moins que le talentueux Liam Neeson qui
incarne idéalement cet ancien Marine de la guerre du Vietnam, désabusé et
résolu à donner un sens à la vie misérable qu’il menait jusqu’alors. Mené
tambour battant, ce film pousse à l’extrême les limites du bien et du mal
avec tout de même quelque surprise, notamment dans la scène finale. Quelques
clins d’œil notamment à Clint Eastwood jalonnent ce long-métrage
divertissant, notamment lorsque le jeune Miguel regarde le fameux film «
Pendez-le haut et court » à la télévision… Avec de superbes plans tournés en
décors naturels dans l’Ohio ou au Nouveau-Mexique, « Le Vétéran » permet une
nouvelle fois d’apprécier les qualités d’acteur de Liam Neeson, convaincant
dans cette réalisation enlevée.
« Je suis un aventurier » (The Far
Country) 1954; Un film de Anthony Mann avec James Stewart, Ruth Roman et
Walter Brennan, Édition collector digibook DVD + Blu-Ray + livre de 144
pages – édition limitée à 2500 exemplaires, Sidonis, 2022.
1896. Inculpé de meurtre, Jeff Webster quitte Seattle mais en arrivant à
Skagway, il est accusé par le juge corrompu Gannon d’avoir troublé l’ordre
public en menant ses troupeaux à travers la ville. Ceux-ci ayant été
confisqués, Jeff part pour Dawson avec Ronda Castle qui l’a engagé comme
chef d’équipe. Il reprend bientôt possession de son troupeau, poursuivi par
Gannon...
« Je suis un aventurier » compte parmi ces westerns d’Anthony Mann marqué
par sa collaboration fructueuse avec l’acteur James Stewart (Winchester 73,
L’Homme de la plaine…)
À partir d’un scénario classique d’un solitaire tel qu’en comptait
l’Amérique à ses débuts, le réalisateur tisse progressivement une évocation
allant crescendo, le personnage central, à l’origine centré sur lui-même,
s’ouvrant progressivement aux maux de son entourage.
Filmé dans les splendides décors du glacier d'Athabasca et du parc naturel
de Jasper dans les Rocheuses canadiennes, ce long-métrage fut l’occasion de
prises de vue inoubliables et d’une photographie non moins remarquable de la
part de William Daniels.
Évoquant de manière récurrente la loi du plus fort, ce film suggère
progressivement la réaction d’une partie des habitants au profit d’une loi
et d’une justice plus grande, prémices de la société moderne américaine qui
allait s’imposer par la suite. James Stewart plus vrai que nature rayonne
dans ce film divertissant, non dénué de scènes parfois dramatiques, avec
face à lui le toujours sympathique vieillard bougonnant incarné par Walter
Brennan (que l’on retrouvera souvent aux côtés de John Wayne notamment dans
Rio Bravo), sans oublier la brune Ruth Roman et la blonde Corinne Calvet. Un
western séduisant à retrouver dans cette belle édition Sidonis en DVD.
"Drive my car" ; Un film de RYUSUKE
HAMAGUCHI d'après la nouvelle de Haruki Murakawi avec Hidetoshi Nishijima et
Toko Miura, DVD, Diaphana, 2022.
Alors qu’il n’arrive toujours pas à se remettre d’un drame personnel,
Yusuke Kafuku, acteur et metteur en scène de théâtre, accepte de monter
Oncle Vania dans un Festival, à Hiroshima. Il y fait la connaissance de
Misaki, une jeune femme réservée qu’on lui a assignée comme chauffeur. Au
fil des trajets, la sincérité croissante de leurs échanges les oblige à
faire face à leur passé.
« Drive my car » du réalisateur japonais Ryusuke Hamaguchi emmène le
spectateur en une longue pérégrination de près de trois heures, un voyage
dans la vie et notre quotidien, parsemés de blessures et de non-dits. Filmé
avec une rare netteté et des plans d’une rigueur épurée faisant alterner
modernité du Japon sur fond de paysages traditionnels saisissants, ce film
où la musique laisse s’exprimer les silences ne pourra qu’apostropher le
spectateur pour cette place accordée à l’introspection.
En un parallèle séduisant avec la fameuse œuvre de Tchekhov « L’Oncle Vania
», les protagonistes de ce film singulier tentent de composer avec leur vie,
avec la vie. Kafuku, metteur en scène, admirablement interprété par le
ténébreux Hidetoshi Nishijima peine à trouver le sens des épreuves qu’il
subit, celles de sa jeune enfant, puis de sa femme. Puisant dans l’œuvre
théâtrale et l’écriture, ces questionnements propres à tout être, le metteur
en scène représenté lors de la préparation d’un festival à Hiroshima ne
parvient pas à se départir du mutisme qui l’empêche de jouer de nouveau le
rôle de l’oncle Vania. Ce questionnement subtil sur le sens de la vie
s’étire au fil des longues routes serpentant la modernité nippone jusqu’à ce
que l’éveil surgisse de manière inattendue par le truchement de la jeune
femme qui lui sert de chauffeur.
Ces huis clos ne laisseront pas le spectateur indemne, un film à découvrir
dans cette belle édition.
« Le genou d’Ahed » ; Un film de
Nadav Lapid avec Avshalom Pollak, Nur Fibak, Yoram Honig, DVD, Pyramide
Video, 2022.
Y., cinéaste israélien, arrive dans un village reculé au bout du désert
pour la projection de l’un de ses films. Il y rencontre Yahalom, une
fonctionnaire du ministère de la Culture, et se jette désespérément dans
deux combats perdus : l’un contre la mort de la liberté dans son pays,
l’autre contre la mort de sa mère.
C’est littéralement un cri de rage et de désespoir que lance le réalisateur
israélien Nadav Lapid avec « Le genou d’Ahed », un film sélectionné au
Festival de Cannes 2021. Le clin d’œil du titre de ce long-métrage
n’échappera pas aux cinéphiles épris du fameux « Genou de Claire » d’Éric
Rohmer, mais ici, la symbolique s’avèrera tout autre. Ahed est une
palestinienne en révolte contre l’attitude d’Israël sur les terres occupées,
tout comme Y. le cinéaste du film qui fulmine contre son propre pays.
Au-delà du domaine culturel et du cinéma qui font l’objet d’une sévère
diatribe de la part de Lapid, son alter ego à l’écran, « Le genou d’Ahed »
devient en quelque sorte une allégorie de nos sociétés modernes
contemporaines et de la modernité face aux valeurs immuables. Quelle liberté
foule-t-on au nom du culturellement correct ? Quelle singularité aplanit-on
au prétexte des bonnes intentions ? On le voit, ces questionnements trouvent
des échos plus qu’actuels à notre époque et Nadav Lapid par un rythme
saccadé, des mouvements de caméras parfois intempestifs à l’image de la
colère sourde qui gronde traduit ces bouillonnements par différentes
attaques acérées. Face à lui, son pays sûr de lui prend les traits d’une
avenante jeune femme au sourire généreux, ce sourire de la technocratie
arrogante qui sous couvert d’une jeunesse conditionnée se fissure au moindre
doute. Un cinéma engagé et enragé à découvrir.
"Dans la gueule du loup" (The Mob -
1951) ; un film de Robert Parrish avec Broderick Crawford, Betty Buehler,
Richard Kiley, Ernest Borgnine et Charles Bronson ; Format : 16/9 - 1:33,
Audio : Français – Anglais – VOST, Durée : 87 min, Bonus : Présentation
François Guérif et Bertrand Tavernier, Couleur : Noir et Blanc, DVD, Sidonis,
2021.
Le détective Johnny Damico sort d’une boutique et tombe sur une scène de
crime ; c’est le début pour lui d’une longue et périlleuse infiltration de
la pègre…
Le réalisateur Robert Parrish offre avec « Dans la gueule du loup » sorti en
1951 un film noir, enlevé et au rythme haletant. Servi par un scénario
remarquable de William Bowers d'après le roman « Waterfront » de Ferguson
Findley, ce deuxième long-métrage de Robert Parrish repose également sur son
personnage central interprété avec un brio certain par le monumental
Broderick Crawford, crevant l’écran par sa présence, une présence qui
retiendra d’ailleurs quelques années plus tard l’attention de Fellini pour
son fameux film « Il Bidone ».
« Dans la gueule du loup » traite le thème qui deviendra classique par la
suite au grand écran de l’infiltration par un policier du milieu de la
pègre. Suivant une progression allant crescendo, cette histoire toujours
plausible est l’occasion pour le réalisateur de déployer son art
cinématographique, tant à l’occasion de scènes extérieures sur les docks de
toute beauté que pour de somptueux plans d’intérieur. La photographie en
noir et blanc signée Joseph Walker (Mr Smith au sénat) séduit spontanément
tout autant que le jeu des acteurs dont certains seront appelés à un bel
avenir tels Ernest Borgnine (L’homme de nulle part) Richard Kiley (L’homme à
l’affut) et une courte apparition de Charles Bronson (Chino)… Un film
efficace et attractif qui tient le spectateur en haleine jusqu’à la scène
finale.
« Family life » ; Un film de Ken
Loach avec Sandy Ratcliff, Bill Dean, Grace Cave, Malcolm Tierney, Hilary
Martin, Michael Riddall, Alan MacNaughtan, Johnny Gee ; Master restauré par
STUDIO CANAL, Version originale anglaise, sous-titres français, Noir &
Blanc, 105 mn, Collection Typiquement British, DVD Doriane Films, 2021.
Au Royaume-Uni, dans les années 70. Janice, jeune femme fragile, est
ramenée à ses parents par la police après avoir erré dans le métro
londonien. Entre inquiétude et irritation, Vera et son mari poussent leur
fille à consulter le docteur Donaldson, un psychiatre novateur. Mais la
dureté de ses parents et la violence de l’acharnement médical vont conduire
Janice dans une descente aux enfers.
Film emblématique des années 70, « Family life » de Ken Loach happe le
spectateur en une spirale infernale dans ce qu’une famille peut créer de
pire. Partant de la situation banale d’une jeune femme fragile interprétée
avec réalisme par Sandy Ratcliff ayant connu elle-même une enfance et une
vie difficile, le réalisateur anglais parvient avec ce film sombre à créer
un tourbillon sourd et en apparence invisible qui emporte le personnage
principal dans les affres de la psychose, dans l’incompréhension quasi
totale de ses parents. Pire, l’expression « l’enfer est pavé de bonnes
intentions » se trouve portée à son paroxysme dans cette réalisation
implacable. Les parents de la jeune femme représentent l’archétype même de
l’impossibilité d’une véritable communication où préjugés et aveuglement
conduisent à l’anéantissement d’un être. L’univers de la psychiatrie ne
ressort pas grandi de ce film à charge ; inspiré du courant antipsychiatrie,
ce film dénonce très tôt en 1972 l’inanité des traitements à base
d’électrochocs et médicaments qui rapidement détruisent toute vie chez le
patient ainsi que l’illustre tristement cet exemple malheureusement banal.
Un film fort, toujours d’actualité, et qu’il importe de découvrir dans cette
belle édition.
Complément : Visiblement je vous aime, film de Jean-Michel Carré
Beaucoup, passionnément, à la folie, documentaire de Jean-Michel Carré
Entretien avec Claude Sigala, directeur du Coral
« AU P’TIT ZOUAVE » ; Un film de
Gilles Grangier avec François Périer, Dany Robin, Marie Daëms, Jacques Morel,
Alice Field ; Scénario et dialogues de Pierre Laroche ; Adaptation d’Albert
Valentin ; Décors de Raymond Druart ; DVD • 1.33 • N&B • 110 min, Pathé
Films, 2024.
Dans un quartier populaire de Paris, où les policiers et un assassin de
vieilles filles sévissent, le café Au P’tit Zouave offre réconfort et
sécurité aux habitants modestes de la ville. Mais l’arrivée d’un homme plus
fortuné et mystérieux vient perturber l’équilibre déjà précaire de
l’établissement.
Voici une petite pépite bien injustement méconnue de nos jours et que Pathé
Films a eu la fort bonne idée de restaurer en une édition ravivant tout le
charme de la photographie de ce film signé du réalisateur Gilles Grangier,
réalisateur déjà présenté dans ces colonnes (« Le Sang à la tête » (1956), «
Échec au porteur » (1957), « Trois jours à vivre » (1958), « 125 rue
Montmartre » (1959)). L’action se déroule presque exclusivement au sein d’un
ancien café de Paris dans un quartier populaire, métro Grenelle, où il fait
office de port d’échouage pour bien des épaves de la vie. Dans ce microcosme
où chacun réinvente le monde au quotidien, un verre de gros rouge à la main,
il ne se passe guère autre chose que la vie qui défile, son long cours
tranquille… jusqu’à ce que l’imprévisible survienne avec l’apparition d’un
bien curieux personnage, aussi mystérieux que séducteur. On l’aura compris,
c’est le grand acteur François Périer qui incarne, ici, ce personnage
énigmatique avec cette faconde dont il avait le secret, et conférant ainsi
au film toute sa profondeur.
Gilles Grangier n’a pas ménagé sa peine pour reproduire l’esprit d’un
bistrot de quartier populaire avec ses âmes en peine et ses petites
mesquineries bien anodines qui constituaient le quotidien de ces îlots de
vie au cœur de la capitale. Ces lieux, aujourd’hui relégués au rang de
souvenirs, prennent ici vie avec une poignante authenticité.
Entre comédie et film noir, « Au P’tit Zouave » vaut surtout pour sa
truculente évocation de Paris au siècle passé, une évocation sublimée par
une mise en scène minutieuse et un sens aigu du détail. Ce film, à la fois
tendre et cruel, restitue avec brio une atmosphère aujourd’hui disparue,
offrant ainsi un voyage dans le temps empreint de mélancolie et de charme.
LANGUE : Français Mono 2.0 • SOUS-TITRES : Anglais / Sourds et malentendants
•
AUDIOVISION BLU-RAY • 1.33 • N&B • 110 min LANGUE : Français DTS mono 2.0 •
SOUS-TITRES : Anglais / Sourds et malentendants • AUDIOVISION
Suppléments :
François Périer, le prince de l’ambiguïté (22 min)
Dany Robin, la petite fiancée de la France (24 min)
Robert Dalban : Profession second rôle (10 min
« La Rose de la mer » ; Un film de
Jacques de Baroncelli avec Fernand Ledoux, Roger Pigaut, Denise Bosc, Noël
Roquevert, Pierre Palau, René Génin ; Restauré par Pathé, en DVD/Blu-ray,
Pathé, 2024.
Jérôme possède un bateau, La Rose de la Mer, avec son truand d'oncle. Ils
naviguent avec une bande de forbans engagés par l'oncle pour saborder le
navire et toucher la prime d'assurance. Mais Jérôme n’est pas de cet avis et
s’oppose au reste de l’équipage.
Le cinéma compte certains réalisateurs injustement tombés dans l’oubli,
Jacques de Baroncelli en est un exemple notoire. Après avoir découvert « La
Rose de la mer », l’un de ses derniers films sorti en 1946, on se posera la
question : pour quelle raison avoir attendu aussi longtemps pour ressortir
cette pépite des oubliettes du 7e art ?
Tout concourt en effet à faire de « La Rose de la mer » une belle page du
cinéma : son scénario adaptant avec aisance le roman sombre de Paul Vialar
dans le milieu très fermé de la marine marchande, le choix des acteurs,
véritables gueules du cinéma évitant de sur-jouer, une photographie
remarquable et des plans de toute beauté. Articulé autour de l’idée de
rédemption, ce film nous plonge dans les profondeurs de la psyché
d’individus ballottés tout aussi bien par la vie que par les flots.
Derrière les masques et les postures, se cachent des cœurs d’êtres humains
qui se fendent parfois comme les vagues les plus solides sur les brisants.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce film se veut comme un message
d’espoir, de la noirceur des hommes peut naître parfois les plus belles
fulgurances…
« BLACK TEA » ; Un film de
Abderrahmane Sissako avec Nina Mélo , Han Chang, DVD, Gaumont, 2024.
Aya, une jeune femme ivoirienne d’une trentaine d’années, dit non le jour
de son mariage, à la stupeur générale. Émigrée en Chine, elle travaille dans
une boutique d'export de thé avec Cai, un Chinois de 45 ans. Aya et Cai
tombent amoureux mais leur histoire survivra-t-elle aux tumultes de leurs
passés et aux préjugés ?
« Black Tea » peut s’enorgueillir d’être non seulement un film d’une rare
beauté par ses plans soignés, son art de la photographie et de la lumière,
mais aussi un film d’ouverture, une diagonale des cultures qui touche au
cœur dès les premiers plans. Échappant fort heureusement aux discours
lénifiants des « citoyens du monde » et autres « habitants d’une même
planète », le réalisateur Abderrahmane SISSAKO déjà salué dans ces colonnes
pour son mémorable long-métrage Timbuktu (2014) ne lisse pas l’altérité,
tant s’en faut. Porté par un jeu d’acteurs délicat et subtil à l’égal de
l’art du thé mis en valeur dans ce film, « Black Tea » développe la force
des sentiments au-delà des frontières culturelles sans pour autant les nier.
Car les préjugés abondent bien entendu dans cette Chine qui sait accueillir
ces étrangers d’origine africaine lorsque leur présence sert les intérêts
économiques du pays mais peut remettre en question leur installation avec la
même rapidité. Mais là n’est pas le propos du réalisateur qui privilégie par
cette allégorie de la rencontre de deux continents l’analyse des liens
tissés et les réseaux inexorablement scellés qui en découlent.
« Black Tea » explore avec finesse ces échanges, ces confrontations parfois,
tout en magnifiant ces silences évocateurs entre les êtres.
« POUR L’AMOUR DU CIEL » ; Un film
de Luigi Zampa avec Jean Gabin, Mariella Lotti, Antonella Lualdi, Julien
Carette, Elli Parvo… Restauré par Pathé ; Scénario de Cesare Zavattini ;
Adaptation de Suso Cecchi D'Amico, Vitaliano Brancati, Diego Fabbri, Giorgio
Moser ; Dialogues d’Henri Jeanson ; Musique de Nino Rota ; Photographie de
Carlo Montuori ; Montage d’Eraldo Da Roma ; Décors de Gastone Medin ; En
combo DVD/Blu-ray, 2024.
Lorsqu’il se fait mortellement renverser par un camion, le riche
industriel romain CarloBacchi se voit refuser l’entrée au paradis. Le juge
céleste lui donne alors douze heures pour racheter ses fautes en faisant le
bonheur de Santini, un de ses ouvriers qui a tenté de se suicider.
Cette coproduction franco-italienne réalisée par Luigi Zampa associe une
vedette française du 7e art en la personne de Jean Gabin et des comédiens
italiens pour un tournage dans la Ville Éternelle. Entre néoréalisme italien
et comédie à la croisée des genres, « Pour l’amour du ciel » bénéficie
aujourd’hui d’une belle restauration disponible en combo DVD/Blu-Ray
réalisée par les éditions Pathé.
Que pourrait faire tout à chacun s’il lui était donné quelques heures à
revivre afin de réparer ses torts ? Tel est le thème retenu pour ce film
servi par un rythme enlevé et des plans rigoureux magnifiant la Rome à la
veille des années 50. À noter la musique du célèbre compositeur italien Nino
Rota !
Si le film peut souffrir parfois de ce mélange des genres et d’une équipe
disparate, il n’en demeure pas moins que la prestation de Jean Gabin ainsi
que la superbe photographie méritent à elles seules de (re)découvrir cette
page restée discrète dans la filmographie au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale.
« Opération Prophète » ; Un film de
Michal Kondrat, DVD, Saje Editions, 2024.
1956. Après trois ans d’emprisonnement aux mains du régime communiste
pendant la guerre froide, le cardinal Stefan Wyszyński, primat de Pologne,
est rétabli à la tête de l’Église catholique à Varsovie. Chef spirituel et
visionnaire, il dialogue sans relâche avec les autorités communistes pour
négocier plus de droits pour l’Église et la nation opprimée. Quel est cet
homme prophétique qui a ouvert la voie à l’ascension spectaculaire du pape
Jean-Paul II et à la chute du communisme en Europe ?
C’est une belle et tragique histoire – véridique – que celle que nous
propose le réalisateur Michal Kondrat sur le combat d’un homme d’Église, le
primat Wyszynski, et de son peuple contre l’athéisme aveugle d’un régime,
celui de la Pologne communiste. Celui qui osa dire non à l’oppression au
péril de sa propre vie et celle de ses compagnons a en effet inspiré le
réalisateur polonais pour ce long-métrage à la fois sensible et délaissant
tout pathos inutile quant à cette histoire tragique.
Jour après jour, année après année, nous découvrons le combat quotidien de
cette personnalité forte et déterminée instillant auprès de son entourage le
courage de lutter contre la machine politique impersonnelle et broyant toute
opposition sur son passage. Tortures physiques, intimidations, menaces et
diffamations, tout est mis en place afin d’éradiquer toute survivance de la
foi catholique indissociable de l’âme polonaise.
C’est ce rude combat que nous découvrons avec ce film servi par
l’interprétation remarquable de l’acteur Slawomir Grzymkowski, littéralement
habité par son rôle.
Un récit historique dont il convient de ce souvenir et qui ouvrit la voie à
l’action déterminante du pape Jean-Paul II à l’encontre du communisme en
Europe.
« Le maître des îles » (1970) ; Un
film de Tom Gries avec Charlton Heston, John Phillip Law, Geraldine Chaplin-
Combo DVD / Blu-Ray, Sidonis Calysta, 2024.
L’archipel d’Hawaï dans les années 1880. Descendant d’une riche famille
de planteurs, Whip Hoxworth abandonne le commerce maritime pour prendre
possession des terres héritées de son père. Contre vents et marées, il
devient à l’issue de quelques années le plus grand propriétaire de la région
grâce au travail acharné de ses ouvriers chinois dont un couple élève son
fils. Sachant son activité menacée par l’indépendance des îles, il fomente
une révolution de manière à ce que son territoire bénéficie du protectorat
américain…
Réalisé au fait de la gloire de son acteur principal, Charlton Heston, « Le
maître des îles » ne rencontra pas à sa sortie le succès que ce film
méritait, la grande époque du cinéma d’aventure hollywoodien étant quelque
peu passée au tournant des années 70. Cette superproduction aux moyens
financiers exceptionnels à l’époque mérite pourtant d’être redécouverte, et
ce, à plus d’un titre :
Tout d’abord pour la prestation de l’acteur principal, Charlton Heston, qui
après le succès de « La Planète des singes » en 1968 jouit d’une réputation
incontestée à Hollywood. Autour de lui, Géraldine Chaplin et surtout la
Chinoise Tina Chen dont se fut le plus grand rôle à l’écran méritent aussi
d’être soulignées.
Si quelques longueurs incontournables au genre peuvent être notées, il
demeure néanmoins que « Le maître des îles » du réalisateur Tom Gries (Will
Penny, Le Solitaire, Cent fusils, L’Évadé, Le Solitaire de Fort Humboldt) a
su associer faits historiques et fiction de manière plaisante et
divertissante. Le scénario de James R. Webb informé pour l’époque d’après le
best-seller de James Michemer entre au cœur de l’Histoire de l’archipel
hawaïen en tenant compte des réalités sociales et ethniques à la fin du XIXe
s.
Pour parfaire l’ensemble, la musique enlevée du grand Henri Mancini viendra
ajouter au charme de cette fresque épique réussie, à redécouvrir.
« Hôtel de France » (1987)- Un film
de Patrice Chéreau avec Laurent Grévill, Valeria Bruni Tedeschi, Vincent
Perez, Laura Benson, Thibault de Montalembert, Marc Citti, Bernard Nissille,
Marianne Denicourt, Isabelle Renauld, Bruno Todeschini, Agnès Jaoui, Hélène
de Saint-Père, Thierry Ravel, Dominic Gould, Foued Nassah, Eva Ionesco… ;
Scénario : Patrice Chéreau et Jean-François Goyet d'après l'œuvre d'Anton
Tchekhov ; Photographie : Pascal Marti, DVD/BRD, Pathé Films, 2023.
Quand ils avaient vingt ans, Michel et Sonia se sont aimés. Ils faisaient
partie d'une bande de copains provinciaux, dont Michel en était le leader,
celui qui "irait loin". Mais il s'est arrêté en chemin, et voilà qu'ils se
retrouvent tous à une réception quelques années plus tard. Sonia ne peut
s'empêcher d'être déçue et Michel d'en être blessé.
Avec « Hôtel de France » de Patrice Chéreau, voici une curieuse réalisation,
de nouveau disponible en DVD/BRD chez Pathé Films, entre cinéma et théâtre,
ce qui n’étonnera pas les amoureux du metteur en scène disparu en 2013. En
une adaptation libre de la pièce « Platonov » d’Anton Tchekhov, Chéreau
s’empare, ici, de l’un de ces carrefours des sentiments que la vie déploie
parfois, pour explorer l’intériorité de chaque protagoniste, toujours en
rapport avec le groupe.
Le film sorti en 1987 fut un échec tant sur le plan de la critique que des
spectateurs, le réalisateur avouant a posteriori son insatisfaction sur ce
long-métrage expérimental. Et pourtant, presque quarante années plus tard,
cette sortie en DVD permettra de découvrir l’étendue du champ
d’expérimentation de ce metteur en scène/réalisateur de génie que fut
Patrice Chéreau. Certes, les amoureux de Tchekhov pourront de prime abord
être surpris de découvrir cette adaptation contemporaine dans un hôtel
restaurant plus qu’ordinaire au bord d’une nationale… Passé l’étonnement, le
spectateur se trouvera cependant engagé malgré lui en un tourbillon à la
fois jubilatoire et destructeur des relations humaines, avec, comme fil
directeur récurrent la question essentielle : qu’avons-nous fait de notre
vie ?
Ce film fut réalisé avec sa très jeune équipe du Théâtre des Amandiers de
Nanterre dont de nombreux noms alors inconnus deviendront par la suite des
références dans leur art, citons notamment Vincent Perez, Thibault de
Montalembert, Bruno Todeschini, Valeria Bruni-Tedeschi, Laurent Grévill,
Agnès Jaoui, Marianne Denicourt, Eva Ionesco… Véritable chorégraphie
humaine, « Hôtel de France » rejoint la dramaturgie de Tchekhov sur cette
perte des repères, les rapports conflictuels entre générations, les jeux
cyniques de séduction.
Si quelques imperfections pointent parfois, cette adaptation très libre sera
néanmoins l’occasion de retrouver l’esprit Chéreau anticipant sur son grand
film « La Reine Margot » en 1994.
Coffret Yves Boisset : « Espion
lève-toi (1981) + Le Saut de l'ange » avec Lino Ventura, Michel Piccoli,
Bruno Cremer, Bernard Fresson, Krystyna Janda ; Combo Blu-ray + DVD
Collection Make my day !, Studiocanal 2023.
Sébastien Grenier, un ancien espion, dirige une société à Zurich. Tandis
que les attentats terroristes se multiplient, Sébastien est contacté par un
haut fonctionnaire suisse, Jean-Paul Chance. La mort de ses deux amis les
plus chers décide Sébastien à reprendre ses activités d'espion...
Comptant parmi l’un des derniers grands films du réalisateur Yves Boisset
avant qu’il ne passe à la télévision, « Espion lève-toi » fut l’occasion de
réunir deux monstres sacrés du cinéma avec Lino Ventura et Michel Piccoli
dans la grande tradition des films d’espionnage des années 60 et 70.
Dans un univers trouble et sombre, cette confrontation entre les deux
protagonistes sur fond de dialogues toujours inspirés de Michel Audiard ne
laisse pas un instant de répit. Lino Ventura crève l’écran face au jeu de
chat et de la souris de Michel Piccoli, en une partie d’échecs énigmatique
sans issue dans le cadre de la ville de Zurich.
Influencé par le cinéma de Francesco Rosi et le contexte géopolitique
troublé des années 70, Yves Boisset signe avec cette réalisation soignée un
grand film entré depuis dans les classiques du cinéma. Un incontournable
irrésistible !
A noter que ce coffret combo DVD/BRD contient également le 4ème film du
réalisateur « Le saut de l’ange », film d’action de 1971 avec Jean Yanne.
LA CIBLE de Peter Bogdanovich avec
Boris Karloff, (1967 - Couleurs - 90 mn), Nouvelle Restauration 2K, Version
originale sous-titrée français + Version française, Édition Blu-ray ou DVD,
Inédit en Blu-ray, Carlotta, 2023.
Byron Orlok, célèbre acteur de films d’épouvante, a décidé de mettre un
terme à sa carrière. Sa dernière apparition publique aura lieu le lendemain
à un drive-in où il présentera son dernier film. Ce jour-là, Bobby Thompson,
un assureur fasciné par les armes à feu, abat de sang-froid sa mère et sa
femme. Bien décidé à ne pas s’arrêter là, le jeune homme poursuit sa route,
jalonnée de cadavres, jusqu’au drive-in…
Un jeune homme de la middle class américaine vivant chez ses parents avec
son épouse et entretenant avec eux des relations apparemment sans problème ;
parallèlement, un vieil acteur, à la gloire en berne du cinéma de l’horreur,
et en fin de parcours… Voici les personnages centraux que tout oppose dans
les premières minutes de ce premier long-métrage de Peter Bogdanovich. Mais
l’action va s’accélérer lorsque nous comprenons que derrière cette routine
presque inquiétante se cache un personnage froid et prêt à tout quant à sa
passion dévorante pour les armes à feu… L’horreur succédera au quotidien, en
un singulier jeu de miroir (voir notamment la scène finale, la plus réussie
du film avec le coup de feu sur l’écran du drive-in…). Surtout, ce drame ne
sera curieusement pas dans la fiction du 7ième art représenté avec talent
par le jeu impeccable de Boris Karloff dans l’un de ses derniers rôles à
l’écran, mais bien dans la réalité d’un tueur en série au-dessus de tout
soupçon.
Ce thème pourrait apparaître banal à l’heure malheureusement tragique des
multiples carnages de tueur en série aux États-Unis, si ce n’est que ce film
date de 1967, il y a plus de 55 ans, soit plus d’un demi-siècle, à une
époque où ce phénomène était nouveau et demeurait encore marginal de l’autre
côté de l’Atlantique… Malgré les maladresses dues aux conditions plus que
particulières de tournage rappelées dans le bonus du coffret prestige DVD+BRD
édité en nombre limité par Carlotta, le film suscite la curiosité dès
l’accélération des évènements.
Il est intéressant de noter d’ailleurs que « La Cible » fut quelque peu
limitée lors de sa sortie car entre-temps Martin Luther King et le président
Kennedy avaient été assassinés dans les conditions que l’on sait. Reste que
« La Cible » demeure un film à redécouvrir dans cette belle édition
restaurée 2K sous la supervision de Peter Bogdanovich en personne !
« Le Cardinal » ; Un film de Nicolae
Margineanu avec Mircea Andreescu, Alexandru Rusu, Radu Botar ; Versions :
VF, VOST, Durée : 95 min, DVD, Saje Éditions, 2023.
1950, prison de Sighet, Roumanie. C'est là, derrière les barreaux, qu'un
groupe d’évêques gréco-catholiques est emprisonné par les autorités
communistes, dans le but de les amener à renier toute forme d’allégeance au
Vatican, perçu comme une influence étrangère. Un homme s'élève parmi eux qui
devient progressivement un guide pour chaque prêtre : l'évêque Iuliu Hossu...
Développant un thème déjà abordé par l’écrivain japonais Shūsaku Endō dans
son célèbre roman « Silence », le réalisateur roumain Nicolae Margineanu a
su se saisir de la résistance de la foi face à l’adversité, un choix
toujours difficile dans un contexte d’oppression. A la différence du roman
japonais, il ne s’agit pas pour Iuliu Hossu, évêque de l’Église
grecque-catholique roumaine de Gherla, d’apostasier sa foi mais d’accepter
de se convertir à l’Église orthodoxe roumaine. Mais c’était sans compter sur
la ferme conviction du prélat roumain et de ses compagnons arrêtés en 1948
et emprisonnés dans les terribles geôles roumaines.
En évitant toute surenchère de violences suffisamment suggérées par cette
belle réalisation, « Le cardinal » a privilégié l’analyse des caractères des
différents protagonistes de cet univers carcéral, véritable huis clos où les
personnalités se révèlent. L’homme d’Église reste inflexible même si parfois
quelques failles peuvent poindre sans qu’elles ne conduisent à céder pour
autant sous la menace… Ce film sensible révèle ce combat du quotidien, fait
d’humanité dans les pires conditions et toujours cette compassion
indéfectible du prélat non seulement pour ses compagnons d’infortune mais
également à l’égard de ses tortionnaires.
Reconnu martyr, le cardinal Iuliu Hossu a été béatifié le 2 juin 2019 par le
pape François et ce film remarquable lui rend – ainsi qu’à ses compagnons –
l’hommage qui s’imposait.
« Quand siffle la dernière balle »
(Shoot out) – 1971 ; Un film de Henry Hathaway avec Gregory Peck, Patricia
Quinn et Robert F.Lyons ; Audio : VOST et VF Dual Mono Restaurées ; Durée :
97mn ; Bonus : Présentations Patrick Brion et Jean-François Tiré, DVD,
Sidonis, 2023.
Un homme, Clay Lomax, sort de prison après avoir purgé une peine de 8 ans
et veut se venger de Sam Foley, un complice qui l'a trahi. Mais au passage,
il lui échoit la petite fille de 7 ans de la femme qu'il avait aimée avant
son incarcération et qui est morte entre temps. Donc il lui reste à
poursuivre son objectif, avec une petite fille dans les pattes, et une bande
de tueurs à ses trousses engagés par le fameux traître.
Le grand réalisateur Henry Hathaway n’est plus à présenter et ses films, ses
westerns et films d’action, sont bien souvent passés à la postérité du 7ème
art. Aussi sera-t-il intéressant de (re)découvrir son avant dernier film, «
Quand siffle la dernière balle » qui sans égaler « Nevada Smith », « La
conquête de l’Ouest », « Les trois lanciers du Bengale » ou encore « Le
Carrefour de la mort », mérite cependant d’être redécouvert. Ce long-métrage
fait figure d’hommage au genre classique du western avec ces paysages du
Nouveau Mexique exceptionnellement rendus par de superbes plans en une
saison automnale annonciatrice du crépuscule du genre et du réalisateur.
Le film vaut également d’être redécouvert pour la présence rayonnante de
Gregory Peck, incarnant étonnement le rôle d’un méchant repenti, retrouvant
peu à peu le sens des valeurs sans oublier cette petite fille interprétée
avec une rare présence par la jeune Dawn Lyn dont l’effronterie n’a d’égal
que l’attendrissante spontanéité.
Si le scénario laisse parfois quelque peu à désirer, l’action allant
crescendo réservera de beaux moments de cinéma pour cette ultime ode au
genre western.
« Les écumeurs » (The Spoilers) –
1942 ; Un film de Ray ENRIGHT avec John WAYNE, Marlene DIETRICH, Randolph
SCOTT, DVD, Sidonis, 2023.
La ruée vers l'or bat son plein en Alaska. De prétendus agents du
gouvernement détournent la loi en spoliant de leur concession les
prospecteurs les plus modestes qui, désormais associés à Glennister,
propriétaire d'un gisement important, tiennent tête au commissaire aux mines
McNamara. Avec l'aide d'un juge véreux, ce dernier réplique par davantage
d'expropriations encore, allant jusqu'à envoyer Glennister derrière les
barreaux. Celui-ci n'entend pas se laisser faire…
Casting de choix pour ce western quelque peu atypique nous transportant dans
l’univers sauvage de la ruée vers l’or avec John Wayne, Marlene Dietrich et
Randolph Scott. Un trio de choc réuni, ici, pour la première fois dans ce
film enlevé. Marlene Dietrich crève littéralement l’écran dans cette
réalisation soignée de Ray Enright, un habitué du western, genre qu’il sert
à merveille avec des plans rigoureux et surtout des décors et scènes
d’extérieurs d’un réalisme époustouflant. L’action menée tambour battant est
ponctuée de bagarres spectaculaires dont notamment celle finale réglant le
compte du cynique et néanmoins toujours souriant Randolph Scott. John Wayne
s’impose bien entendu aux côtés de sa partenaire qu’il ne parvient pas
curieusement cependant à éclipser contrairement aux autres westerns qu’il
tourna, le charme de Marlene Dietrich s’imposant !
« 10 hommes à abattre » ( 10 Wanted
Men 1955) ; Un film de Bruce HUMBERSTON –avec Randolph SCOTT, Richard BOON,
Lee VAN CLEEF, DVD, Sidonis, 2023.
Arizona. Tenace, John Stewart est parvenu à défendre son ranch contre les
Indiens. Sous prétexte qu'il donne refuge à sa fille adoptive, son rival
Campbell engage dix tueurs pour l'abattre, mais il s'agit en réalité pour ce
dernier de faire main basse sur ses terres afin d'agrandir son propre
domaine. Assiégé auprès d'une poignée de fidèles, Stewart leur résiste…
« 10 hommes à abattre » compte parmi ces westerns mettant en avant des
acteurs réputés du genre tel l’incontournable Randolph Scott, mais aussi
Richard Boon ainsi que de jeunes premiers appelés à un bel avenir comme Lee
Van Cleef. Sans atteindre les sommets d’un John Ford, cette réalisation de
Bruce Humberston se laisse néanmoins agréablement découvrir pour la
prestation plus nuancée qu’à l’habitude de Randolph Scott qui compte une
soixantaine de westerns à son actif, toujours charmeur, mais plus fragile et
bousculé par cette rivalité inattendue au stade de sa vie apaisée de grands
propriétaires. Richard Boone au début de sa carrière s’impose également à
l’écran, lui qui sera appelé à jouer dans des films de légende tels Alamo,
Tonnerre Apache, Rio Conchos, Le Dernier des géants… Avec des plans serrés
sur l’action, la succession de scènes impressionnantes telle celle de
l’attaque à la dynamite d’une maison servant de refuge à Stewart, offrira un
divertissement plaisant pour ce western à redécouvrir.
Format : CINEMASCOPE, Audio : VF/VOST, Durée : 80 min, Bonus :
Présentation Patrick BRION et Jean François GIRE
« La cité de la violence » (Citta
Violenta) – 1970 ; Un film de Sergio Sollima avec Charles Bronson, Telly
Savalas, Jill Ireland, Michel Constantin, Umberto Orsini… Format :
Cinemascope, 2:35, 16/9, DVD, Sidonis, 2023.
Tandis qu’il circule en voiture avec sa compagne Vanessa, le tueur à
gages Jeff Heston tombe dans un piège. Blessé, il échoue en prison. Libéré,
il ne poursuit désormais plus qu’un double objectif : se venger de ceux qui
l’ont trahi et retrouver celle qu’il aime. Sa croisade sanglante débute à la
Nouvelle-Orléans où la mafia locale l’attend de pied ferme…
Ce film signé par le réalisateur et critique de cinéma italien Sergio
Sollima revisite les codes du polar en proposant une adaptation exacerbée
répondant au style des années 70. La violence omniprésente – suggérée ou
explicite – ne passerait plus aujourd’hui selon les codes éthiques fort
heureusement plus évolués notamment quant aux violences faites aux femmes.
Par delà ces clichés d’une société à l’époque en crise, ce long-métrage
servi par une photographie irréprochable vaut essentiellement pour le jeu de
l’acteur phare dans le genre, un certain Charles Bronson… Incarnant à la
perfection le rôle de loup solitaire, la touche originale vient de ses
rapports plus que passionnels avec sa compagne dans le film – et véritable
épouse dans la vie – la ravissante Jill Ireland. Entre histoire d’amour
mouvementée, mafia intempestive avec un Terry Savalas que l’on a connu sous
des jours meilleurs, « La cité de la violence » est servi par la musique
toujours efficace du légendaire Ennio Morricone et ravira les nostalgiques
des films des années 70, courses poursuites automobiles, pattes d’eph et
cols à rallonge garantis !
Détails techniques :
Audio : Français et VOST, Durée : 108mn, Bonus : Présentation François
Guérif et Jean-Baptiste Thoret, Couleur
Pier Paolo Pasolini 100 ans en 6 BRD
aux éditions Carlotta
6 BD • MASTERS HAUTE DÉFINITION • 1080/23.98p • ENCODAGE AVC Version
Originale / Version Française* DTS-HD Master Audio 1.0 • Sous-Titres
FrançaisFormats 1.37, 1.66 et 1.85 respectés • Noir & Blanc et Couleurs •
Durée Totale des Films : 867 mn, 2022.
Pier Paolo Pasolini aurait cent ans en cette année 2022 et les éditions
Carlotta lui rendent le plus bel hommage qui soit en réunissant 9 de ses
meilleurs films en un somptueux coffret Blueray. Couvrant la décennie des
années 60, des années des plus prolifiques, ce coffret inclut notamment son
premier film Accattone (1961) qui sera le point de départ d’un cinéma
d’auteur à nul autre pareil. Retenant des acteurs pour la plupart non
professionnels et focalisant sa caméra sur les borgate romaines déshéritées,
le cinéaste poète capte les méfaits de l’industrialisation sauvage de
l’Italie. La perte du lien, les communautés déplacées dans des barres
d’immeubles dépersonnalisés, la pauvreté humiliante sont autant de thèmes
récurrents qui structurent ce cinéma à hauteur d’âmes en perdition. Suivront
dans cet esprit Mamma Roma l’année suivante, puis La Ricotta en 1963 avant
le coup de tonnerre esthétique porté par L’Évangile selon saint Matthieu,
admirable réalisation pour l’intellectuel marxiste qu’était Pier Paolo
Pasolini… Ce coffret inclut également des réalisations plus méconnues du
cinéaste : Des Oiseaux petits et gros, Œdipe Roi, Carnet de notes pour une
Orestie africaine sans oublier l’énigmatique Médée avec Maria Callas, autant
de réalisations passionnantes qui devraient captiver non seulement les
amateurs du cinéaste italien, mais également tous les passionnés du grand
écran.
LES 9 FILMS
BLU-RAY 1 : ACCATTONE (1961 – N&B – 117 mn – Nouvelle Restauration 4K)
BLU-RAY 2 : MAMMA ROMA (1962 – N&B – 107 mn – Nouvelle Restauration 4K) • LA
RICOTTA (1963 – Couleurs et N&B – 35 mn – Restauration HD)
BLU-RAY 3 : L’ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU (1964 – N&B – 138 mn –
Restauration 2K)
BLU-RAY 4 : DES OISEAUX PETITS ET GROS (1966 – N&B – 89 mn – Restauration HD)
• ENQUÊTE SUR LA SEXUALITÉ (1964 – N&B – 92 mn – SD)
BLU-RAY 5 : ŒDIPE ROI (1967 – Couleurs – 104 mn – Restauration HD) • CARNET
DE NOTES POUR UNE ORESTIE AFRICAINE (1970 – N&B – 74 mn – Restauration 2K)
BLU-RAY 6 : MÉDÉE (1969 – Couleurs – 111 mn – Restauration 2K)
LES SUPPLÉMENTS
2 DOCUMENTAIRES :
"CINÉASTES, DE NOTRE TEMPS : PASOLINI L’ENRAGÉ" (98 mn)
"MÉDÉE PASSION, SOUVENIRS D’UN TOURNAGE" (30 mn)
4 DOCUMENTS OU ANALYSES • 7 ENTRETIENS
SCÈNES COUPÉES : "DES OISEAUX PETITS ET GROS" • "MÉDÉE"
7 BANDES-ANNONCES ORIGINALES
2 BANDES-ANNONCES : "ÉVÉNEMENT PASOLINI 100 ANS !"
« Les jeunes amants » ; Un film de
Carine Tardieu avec Fanny Ardant, Melvil Poupaud, Cécile de France, Florence
Loiret Caille, Sharif Andoura, DVD, Diaphana, 2022.
Shauna, 70 ans, libre et indépendante a mis sa vie amoureuse de côté.
Elle est cependant troublée par la présence de Pierre, cet homme de 45 ans
qu’elle avait tout juste croisé, des années plus tôt. Et contre toute
attente, Pierre ne voit pas en elle “une femme d’un certain âge”, mais une
femme, désirable, qu’il n’a pas peur d’aimer…
Comment évoquer ces liens trop souvent occultés ou tout simplement tus,
parce que dérangeants, entre deux êtres qui s’aiment malgré une importante
différence d’âge ? C’est l’interrogation qu’a souhaité aborder « Les jeunes
amants » de Carine Tardieu et de la scénariste Agnès de Sacy à partir d’un
projet initial de la réalisatrice Sólveig Anspach disparue avant d’avoir pu
le tourner.
Ce film à la fois sensible et tendre alterne entre lumière et pénombre. À
partir d’un thème en effet délicat et rarement traité au grand écran, cette
réalisation pudique mais explorant les consciences des différents
protagonistes, notamment des proches, déploie une palette de sentiments
qu’interprètent avec justesse Fany Ardant et Melvil Poupaud. Sans excès et
tout en nuances, « Les jeunes amants » adopte un ton juste qui saisit
spontanément le spectateur, le fait sourire et l’émeut souvent également. Il
faut dire que Fany Ardant irradie l’écran, une fois de plus, pour ce rôle
pourtant difficile à tenir. Face à cette légende du cinéma, Melvil Poupaud
parvient à rendre crédible cette histoire vécue par des couples, entre
clandestinité et culpabilité. A noter les seconds rôles qui offrent un
contrepoint vibrant à cette réalisation soignée, qu’il s’agisse de Cécile de
France, Florence Loiret Caille ou encore Sharif Andoura plus vrai que
nature…
Un film au ton juste et non dénoué d’humour.
« Le dénonciateur » (1949) ; Un film
de Mitchell Leisen avec Alan Ladd, Wanda Hendrix et Francis Lederer ; DVD,
Sidonis, 2022.
Deuxième Guerre Mondiale. Plusieurs agents américains sont envoyés dans
l’Italie sous la botte allemande pour saboter un réseau. Dénoncés à
l’ennemi, la plupart sont tués. L’Europe désormais en paix, le capitaine
Carey, qui compte parmi les rares survivants, revient sur les lieux du
drame, dans la région de Milan, bien déterminé à démasquer le traître…
Ce film noir injustement méconnu réalisé par Mitchell Leisen compte parmi la
filmographie de l’acteur Alan Ladd (« L’homme de la Vallée perdue) pour
lequel il livre une prestation remarquable. Ladd dont le jeu à la fois sobre
et expressif développe, en effet, dans ce film d’espionnage toute une
palette d’émotions sous la caméra de Mitchell Leisen qui s’efforce ici de
rendre l’atmosphère d’après-guerre d’un petit village lombard en Italie.
Entre secrets farouchement préservés, jalousies et vendetta, l’intrigue
palpitante tient le spectateur en haleine jusqu’à l’issue finale. À noter
l’excellente musique de ce film composée par Ray Evans et Jay Livingston,
musique qui fut gratifiée d’un Oscar en 1951.
« Adieu Monsieur Haffmann » ; Un
film de Fred Cavayé avec Daniel Auteuil, Gilles Lellouche, Sara Giraudeau,
Nicolai Kinski, Mathilde Bisson et Anne Coesens, DVD, Orange Studio, 2022.
Paris 1941. François Mercier est un homme ordinaire qui n’aspire qu’à
fonder une famille avec la femme qu’il aime, Blanche. Il est aussi l’employé
d’un joaillier talentueux, M. Haffmann. Mais face à l’occupation allemande,
les deux hommes n’auront d’autre choix que de conclure un accord dont les
conséquences, au fil des mois, bouleverseront le destin de nos trois
personnages.
Ce quasi-huis clos dans le Paris occupé embarque le spectateur dans la
spirale du mal ordinaire. Un petit employé, médiocre et jusqu’alors résigné,
découvre avec l’arrivée des Allemands dans la capitale qu’il peut atteindre
tout ce qui lui était jusqu’alors interdit par sa condition modeste et son
handicap. En adaptant la pièce de théâtre du même nom de Jean-Philippe
Daguerre couronnée de 4 Molière, le réalisateur Fred Cavayé a fait choix
d’éviter pour ce long-métrage tout manichéisme. François Mercier n’apparaît
pas au début sous un mauvais jour face à l’adversité à laquelle se trouve
confronté son patron, le joaillier talentueux M. Haffmann, interprété avec
justesse par un Daniel Auteuil remarquable. Ce n’est que progressivement que
l’âme de l’employé se révèle, laissant libre court à ses mauvais instincts.
Gilles Lellouche livre ici une interprétation impressionnante quant à cette
métamorphose du salaud ordinaire. Face à lui, son épouse jouée avec finesse
par Sara Giraudeau se transforme elle aussi, mais en sens contraire, tout au
long du film. « Adieu Monsieur Haffmann » évite les poncifs du genre et
livre une réflexion épurée sur ce qui révèle ou au contraire pervertit les
individus, une belle réalisation soignée aux décors de toute beauté du Paris
des années 40.
« La Reine Des Cartes » ; Un film de
Thorold Dickinson ; Musique de Georges Auric ; Photographie d’Otto Heller ;
Master restauré par STUDIO CANAL, Version originale anglaise, sous-titres
français, Noir & Blanc - 95 mn, Doriane Films, 2022.
Au XIXe siècle, à Saint-Pétersbourg, une vieille comtesse vend son âme au
diable en échange du pouvoir de gagner aux cartes. Un officier cupide et
féru de jeu cherche à connaître son secret, quitte à courir de grands
dangers.
Le réalisateur anglais Thorold Dickinson s’est saisi avec « La Reine des
Cartes » du chef-d’œuvre d’Alexandre Pouchkine « La Dame de pique » en une
réalisation virtuose. Ce film aux accents faustiens - la fameuse scène de
l’apparition de la vieille comtesse dans la chambre du jeune officier
brillamment interprété par Anton Wallbrook – met en place, plan après plan,
une ambiance entre pénombre et clarté grâce à l’admirable photographie
d’Otto Heller. Cette ambiance feutrée des tavernes et salons mondains de la
Russie tsariste contraste avec le pacte diabolique entraînant un jeune
officier ambitieux en une spirale irréversible.
Réalisé avec peu de moyens, ce long-métrage du réalisateur anglais parvient
à atteindre des sommets à la fois esthétiques mais aussi dramatiques.
Thorold Dickinson déploie, en effet, dans ce film étonnamment méconnu un art
consommé du fantastique en d’infimes détails, des prises de vue
vertigineuses, sans oublier le jeu des acteurs talentueux tels Wallbrook et
Edith Evans.
Un film à redécouvrir dans cette remarquable édition Doriane Films.
Complément : un livret illustré de 12 pages avec un texte de Jean-François
Baillon et l’extrait d’un entretien avec Martin Scorsese.
« Partenaires » ; Un film de Claude
d’Anna avec Nicole Garcia, Jean-Pierre Marielle, Michel Galabru et Michel
Duchaussoy ; 75 mn - Version française, DVD, Doriane Films, 2022.
Dans les coulisses et les loges du théâtre où se joue la énième
représentation d’une pièce à succès, se déroule une comédie dramatique. Une
actrice célèbre, Marion Wormser, développe des rapports tumultueux avec son
partenaire et mari, grand comédien devenu acteur de second plan, Gabriel
Gallien…
Ce film méconnu de Claude d’Anna a le mérite non seulement de réunir deux
monstres sacrés du cinéma français en la personne de Nicole Garcia et
Jean-Pierre Marielle, mais également de proposer une lecture à huis clos des
coulisses du monde théâtral. Entre comédie et drame, arrière-cour et pleins
feux de la scène, le réalisateur tisse progressivement un portrait doux-amer
de la vie de représentation, sur scène comme dans la vie quotidienne. Nicole
Garcia et Jean-Pierre Marielle composent un couple convaincant à l’écran,
avec ces nuances d’ironie sarcastique, ces gouffres béants et, en filigrane,
cette peur de la solitude face à leurs démons intérieurs. Allégorie plus
générale de la vie, « Partenaires » souligne les chemins parfois divergents
de toute association et démontrant ainsi que chaque individu se trouve
toujours seul face à lui-même.
En 1925, l’écrivain André Gide effectue un voyage en Afrique-Équatoriale
française et au Congo belge avec son secrétaire, Marc Allégret, qui en tire
un document filmé et en rapporte de nombreuses photographies…
« Voyage au Congo » ne relève pas vraiment de l’enquête ethnographique sur
le modèle de celle qu’entreprendra quelques années plus tard Claude
Lévi-Strauss au Brésil. Avec cette évocation filmée en 1926 par le
secrétaire d’André Gide, Marc Allégret, appelé à un brillant avenir de
cinéaste, il s’agit plutôt d’une digression poétique et esthétique. La quête
de la beauté, celle de ces paysages encore vierges pour la plupart de toute
dévastation coloniale, c’est « l’homme nu », celui encore préservé de toutes
les entraves de l’occidentalisation qui transparaît dans ces plans certes
naïfs mais d’une ineffable esthétique. Si, bien entendu, les commentaires
laissent parfois percevoir quelques ethnocentrismes, il demeure cependant
que « Voyage au Congo » jette un regard bienveillant sur ce monde où candeur
et joie de vie transparaissent dans les scènes filmées en 1925.
Restauré à partir du négatif original par les Films du Panthéon et les Films
du Jeudi en collaboration avec la Cinémathèque française, « Voyage au Congo
» est le premier film de Marc Allégret. Le musicien Mauro Coceano en a
composé la musique accompagnant ces images d’une époque aujourd’hui révolue,
presque un siècle plus tard. À la différence des jugements de Lévi-Strauss,
ce ne sont pas de « Tristes Équateurs » qui sont, ici, dévoilés par la
caméra d’Allégret mais plutôt une candeur de vie préservée, une certaine
insouciance que ces corps encore indemnes de l’influence occidentale
subliment. Danses, travaux des champs, pratiques sociales, palabres, c’est
cette vie africaine que souhaitait faire découvrir l’écrivain André Gide
alors chargé de mission par le Ministère des Colonies. L’homme blanc est
étonnamment absent de cette réalisation au style libre, renforçant ainsi
cette impression de contre-enquête ethnographique du « bon sauvage », un
parti pris moderne pour l’époque.
C’est cette poésie préservée des affres de la modernité qui a été captée sur
la pellicule et qui peut être, avec un plaisir certain de curiosité,
redécouverte grâce à cette remarquable restauration. Un film qui vaut tout
un voyage tant ces images restent longtemps gravées dans la mémoire. A noter
le livret très complet qui accompagne le DVD présentant de nombreux
témoignages.
« LUI » ; Un film de Guillaume Canet
avec Guillaume Canet, Virginie Efira, Mathieu Kassovitz et Laetitia Casta ;
Drame ; 1h28, DVD, Pathé, 2022.
Un compositeur en mal d’inspiration, qui vient de quitter femme et
enfants, pense trouver refuge
dans une vieille maison à flanc de falaise, sur une île bretonne déserte.
Dans ce lieu étrange et
isolé, il ne va trouver qu’un piano désaccordé et des visiteurs bien décidés
à ne pas le laisser en
paix.
Avec son film « Lui », le réalisateur et acteur Guillaume Canet revisite en
quelque sorte Nietzche et Rimbaud en faisant du « je est un autre » avec
lequel il a bien des mailles à partir… Sur le ton de la comédie, ce film
réalisé dans le superbe cadre sauvage de Belle-Île offrira non seulement des
scènes cocasses à l’humour cinglant, mais aussi quelques propositions
fertiles pour réfléchir au sens de la vie. Reprenant la formule du monologue
intérieur chère à Joyce, c’est dans la solitude bretonne que ce film décrit
les errements du personnage central en butte avec lui-même et qui convoque,
sans le vouloir, tous les protagonistes de sa vie. Mais au bout d’un moment,
la liste commence à s’allonger et notre personnage d’apparaître vite débordé
par tout ce monde s’invitant spontanément dans sa retraite de moins en moins
solitaire. Avec ce film, Guillaume Canet démontre s’il en était encore
besoin une nouvelle fois ses talents de comédien, mais aussi sa capacité à
concevoir et à monter un film sur un thème délicat et mené tambour battant.
A découvrir dans cette belle édition.
« LA RUE CHAUDE » ; Un film d’Edward
Dmytryk (Walk On The Wild Side) - 1962 - avec Capucine, Jane Fonda, Barbara
Stanwyck, Laurence Harvey et Anne Baxter; DVD, Wild Side Video, 2021.
La Nouvelle-Orléans, 1930. Objet de toutes les convoitises, la brillante
et sophistiquée Hallie est la principale attraction de la plus célèbre
maison close de la ville. Très éprise d’elle, Jo, la tenancière de
l’établissement, la fait surveiller étroitement par ses sbires. Tout droit
arrivé du Texas – après avoir croisé la route de la jeune et délurée Kitty –
Dove va bouleverser la donne en se lançant à la recherche de l’amour de sa
vie, Hallie, qui s’était volatilisée quelques années plus tôt…
Le réalisateur Edward Dmytryk signe avec « La rue chaude » en 1962 un film
aux multiples facettes et quelque peu méconnu. Ce long-métrage qui a fait
l’objet de difficultés lors de sa réalisation du fait de multiples
interventions sur son scénario séduit cependant spontanément pour son
esthétique et sa photographie de toute beauté sur fond de Louisiane des
années 30.
Le générique de Saul Bass annonce la couleur - en noir & blanc – avec cette
étonnante progression d’un chat plus noir qu’une panthère dans les dédales
d’une rue sordide… La musique, également, force l’admiration grâce au talent
d’Elmer Bernstein (« Les sept Mercenaires »), plus inspiré que jamais dans
ces airs de jazz envoutants.
L’intrigue sert d’écrin de choix pour cette adaptation très libre du roman
de Nelson Algren et offre la possibilité de déployer les talents d’acteur de
l’énigmatique et insaisissable Capucine, de l’âpre Barbara Stanwick à la
généreuse Anne Baxter, sans oublier une petite nouvelle, Jane Fonda,
inoubliable en ingénue dévergondée… Face à ces femmes omniprésentes, la
pureté et candeur de Laurence Harvey (déjà plus qu’inflexible face à John
Wayne dans le légendaire « Alamo ») étonne quelque peu lorsque l’on se
souvient du roman initial de l’amant américain de Simone de Beauvoir. Il
demeure cependant que ce film noir et impitoyable réservera de nombreuses
scènes inoubliables, telles celles se déroulant dans la maison close sur
fond de musique jazz.
Un film impitoyable sur fond de passion et dépression.
"Absolution" – 1978 ; Un film
d’Anthony Page avec Richard Burton, Dominic Guard, David Bradley, Billy
Connolly ; DVD, durée : 1H35, langue : Français + VOSTFR, Sous-titre : oui,
format : Couleur 16/9, DVD, LCJ, 2021.
Un prêtre enseignant dans une école militaire catholique se trouve
confronté à une blague morbide évoquée lors de la confession par un de ses
plus prometteurs étudiants. À la recherche de la vérité, il sera confronté
au plus terrible des secrets…
« Absolution » peut à juste titre se targuer d’être un excellent thriller
tenant en haleine le spectateur des premières scènes bucoliques dans la
campagne anglaise jusqu’à la terrible et cynique issue finale.
À partir d’un scénario machiavélique – ou plus exactement diabolique – signé
Anthony Shaffer, ce film à tort méconnu d’Anthony Page se trouve servi par
la brillante interprétation de Richard Burton campant le rôle d’un prêtre
rigoriste. Plus tourmenté que jamais, ce dernier se trouve confronté à la
naissance du mal dans l’âme de l’un de ses étudiants les plus prometteurs,
un germe qui se déploiera avec finesse tout au long du film pour atteindre
son point culminant en cette fameuse scène finale inoubliable, rendue
pourtant sans aucun effets spéciaux.
Car là réside la réussite de ce long-métrage qui n’a eu recours à aucun
trucage, mais a fait choix de privilégier bien au contraire la seule
dimension psychologique des protagonistes. Tout à fait plausible, ce récit
servi par une réalisation sobre et soignée gagne en intensité jusqu’à son
terme et questionne le spectateur sur les frontières toujours ténues entre
le bien et le mal.
« Maria Montessori » ; Un film de
Gianluca Maria Tavarelli avec Paola Cortellesi, Massimo Poggio & Alessandro
Lucente ; version : VF, DVD, Saje Éditions, 2021.
Maria Montessori, pédagogue la plus célèbre au monde, s’est battue toute sa
vie pour faire accepter des méthodes pédagogiques révolutionnaires, d’abord
dans le système scolaire italien, puis dans le reste du monde…
Le film de Gianluca Maria Tavarelli s’est attaché à restituer la lutte d’une
femme, Maria Montessori, pour faire accepter dans un monde d’hommes, ses
convictions profondes sur l’éducation. Évoquant le double combat mené par
cette femme de caractère, celui d’une jeune mère rapidement abandonnée, et
celui de cette scientifique initialement moquée par ses pairs, le
réalisateur parvient à rendre compte avec nuances des lourdeurs et
réticences face à la nouveauté dans le domaine scientifique et pédagogique à
la fin du XIXe siècle, surtout lorsque celle-ci provient de l’initiative
d’une femme…
L’actrice Paola Cortellesi fait preuve d’une interprétation remarquable pour
ce rôle littéralement taillé sur mesure. Le film suit en parallèle son
destin public fait de luttes, convictions puis de reconnaissances jusqu’à la
montée du fascisme, mais aussi son destin de femme et de mère dont la garde
de son enfant lui fut enlevée, terrible épreuve pour celle qui allait
devenir la mère de tous les enfants laissés pour compte.
Une belle réalisation qui permettra de mieux connaître ce destin singulier
dont le nom orne encore fièrement certaines écoles perpétuant sa pédagogie
installées dans le monde entier.
En salle, e-cinema, VOD...
« Retour en Alexandrie » ; Un film de
Tamer Ruggli avec Nadine Labaki et Fanny Ardant ; 90' - Suisse - France -
2023 - Version originale française, Tipimages Production, au cinéma le 16
octobre 2024.
Après vingt ans d’absence, Sue retourne en Égypte, son pays natal, pour
revoir sa mère, Fairouz, une aristocrate excentrique, avec qui elle a rompu
tout lien. Ce voyage surprenant, qui la mène du Caire à Alexandrie, teinté
de souvenirs lointains, de nostalgie et de sentiments mêlés à l’égard de son
passé, lui permettra de devenir libre et affranchie.
« Retour en Alexandrie », premier long-métrage du réalisateur
suisse-égyptien Tamer Ruggli explore les questions fondamentales de
l’identité et du déracinement par le truchement d’une comédie douce-amère.
Le regard bienveillant porté sur cette jeune femme ayant quitté son pays
pour l’occident n’évite pas pour autant les fractures et autres cicatrices
encore vives qui divisent cette âme hésitant entre retour au pays et
distanciation inexorable.
Les racines, les liens, les sentiments
souvent exacerbés par les passions défilent au rythme des paysages
éblouissants de lumière et de couleurs grâce aux plans conçus avec une
jouissance manifeste par la caméra de Tamer Ruggli. Du Caire à Alexandrie,
les contrastes sont certes saisissants entre une Égypte confrontée à la
modernité et, ça et là, les inévitables réminiscences de son prestigieux
passé. Et si nous sourions souvent avec « Retour en Alexandrie » grâce à la
prestation inspirée de l’actrice Nadine Labaki et la truculente Fanny
Ardant, la nostalgie pointe également dans notre propre rapport à notre
passé…
« Les Immortels – L’au-delà chez les
Pharaons » avec Jeremy Irons ; Réalisation de Michele Mally ; Durée : 95
minutes ; Pathé Live, en salle le 24 juillet 2024.
Kha, architecte et bâtisseur de tombeaux pour les pharaons, doit
entreprendre le voyage vers les Enfers, au milieu de mille dangers. La vie
éternelle est en jeu, mais le risque est de finir dissous dans le néant
cosmique.
C’est à un envoutant voyage aux confins de la vie et de la mort auquel nous
convie cet exceptionnel docu-récit à partir des trésors des collections
égyptiennes du Museo Egizio de Turin, la plus grande collection d’art
égyptien après celle du Caire. L’acteur Jeremy Irons semble littéralement
happé par son rôle de conteur, évoquant l’histoire de Kha, architecte des
pharaons, et de son épouse qu’il souhaite rejoindre pour la vie éternelle.
Sa tombe aujourd’hui protégée par les murs du célèbre musée de Turin sert de
point de départ à un merveilleux voyage dans la pensée religieuse des
anciens Égyptiens, faite de transcendance, mais aussi de touchantes
immanences ainsi qu’en témoignent ces nombreux dons pour une vie belle après
la mort.
Avec des plans exceptionnels et une
indéniable esthétique réalisée par Michele Mally, ce film nous plonge dans
les arcanes de cette culture funéraire grâce aux meilleurs spécialistes
réunis pour cette somptueuse réalisation. Le temps de ce récit émouvant,
nous voyageons tour à tour sur les sites antiques de l’Égypte Gizeh, de
Louxor, Karnak, la Vallée des Rois, mais aussi vers le village ouvrier de
Deir el-Medina, sans oublier l’exceptionnel musée de Turin (présenté dans
ces colonnes) ou encore le Louvre, le British Museum et bien d’autres lieux…
Une évocation sensible d’un monde disparu qui reprend vie instantanément, le
temps d’une belle réalisation…
« INVINCIBLE » ; Un film de Vincent
René-Lortie avec Marc-Antoine Léokim Beaumier-Lépine,
Justine Élia St-Pierre, Josée Isabelle Blais, Gilles Pierre-Luc Brillant,
Luc Ralph Prosper
Shakib Naoufel Chkirate, Miguel Miguel Tionjock et Sonia Florence Blain
Mbaye ; Telescope Films, 2023.
Inspiré d’une histoire vraie, Invincible revient sur les dernières 48
heures de la vie de Marc-Antoine Bernier, un jeune garçon de 14 ans qui se
retrouve confronté à son besoin criant de liberté.
Il faudra retenir le nom du réalisateur de ce court métrage intitulé «
Invincible » : Vincent René-Lortie, pour toutes les promesses que cette
réalisation sensible annonce. Car, ces trente minutes qui semblent à la fois
une éternité et un éclair happent littéralement le spectateur par la
puissance des non-dits et cette ambiance à la fois lumineuse et sombre des
déchirements psychologiques d’un adolescent à la dérive…
Nous ne saurons rien de l’origine de ce
mal-être, René-Lortie ne cherchant pas ici à faire œuvre psychologisante,
c’est ailleurs que se situe l’originalité de son traitement de l’absence
possible de communication d’êtres fragilisés jusqu’à la rupture. La seule
flamme de vie qui reste au jeune homme, interprété avec une rare présence
par Marc-Antoine Léokim Beaumier-Lépine, tient du rêve et de la poésie,
celle d’un autre monde dans lequel il peut encore se considérer libre alors
qu’il se trouve enfermé dans un établissement pénitentiaire pour mineurs.
Quelles sont les frontières de la santé mentale ? Quelle communication est
encore possible lorsque des murs ont imposé un silence implacable ?
Ce sont autant d’interrogations qui pointent dans ce court métrage
remarquable à découvrir au plus vite.
« Séduite et abandonnée » (Sedatta e
abbandonata) – 1964 de Pietro Germi avec Stefania Sandrelli, Saro Urzi,
Umberto Sparado et Leopoldo Trieste ; Italie - 123 min - Comédie dramatique
- Noir et Blanc - 1,66, Tamasa Distribution, 2023.
Un village de Sicile à l’heure de la sieste. Alors que tout le monde
dort, Peppino, un jeune étudiant, se met en tête d’aller conter fleurette à
Agnese, la soeur de sa fiancée, Mathilde. Il n’a aucun mal à la séduire
mais, pris de panique, il s’enfuit peu après. La jeune fille tombe enceinte,
provoquant le scandale dans la famille et s’attirant les foudres de son
père, Vicenzo. Celui-ci, blessé dans son honneur, décide de se venger.
Il est grand temps de (re)découvrir le cinéma de Pietro Germi, une
personnalité à part qui ressort dans sa manière de filmer. « Séduite et
abandonnée », par exemple, qui vient de faire l’objet d’une exemplaire
restauration 4K avec deux autres films de Germi, permettra de se faire une
idée de son regard à la fois tendre et grinçant sur les provinces
italiennes, en l’espèce la Sicile des années 60… Nous avons bien entendu en
mémoire le fameux « Divorce à l’italienne » sorti en 1961 avec l’inoubliable
Marcelo Mastroianni en noble sicilien souhaitant se remarier avec la jeune
Angela et prêt à tout pour cela. En 1964, c’est « Séduite et abandonnée »
qui reprend ce thème du drame familial sous l’angle de ce que l’on nommerait
de nos jours un prédateur sexuel n’hésitant pas à forcer une relation non
consentie avec la jeune sœur de sa fiancée… Mais l’humour sarcastique
dépasse le tragique pour livrer une étude de mœurs qui n’hésite pas à
enfoncer le clou avec des références désinvoltes…
Les structures archaïques de la société
italienne se trouvent questionnées, l’honneur, le patriarcat, le machisme
omniprésent, la réputation, etc. Dans le cadre somptueux par son
authenticité d’une Sicile ayant encore échappé à la modernité, la caméra de
Pietro Germi se veut tout autant une ode à cette île bien particulière qu’à
ses habitants grâce à une photographie remarquable amplifiée par le noir et
blanc. À noter l’incroyable prestation de Saro Urzì, lui-même sicilien - qui
obtiendra le Prix d’Interprétation à Cannes pour ce film, un comédien que
les Français connaissent bien pour avoir interprété le rôle du coiffeur
Brusco dans les Don Camillo !
TAMASA DISTRIBUTION met à
l’honneur le cinéaste italien Pietro Germi. En trois films de Rome à Trévise
en passant par la Sicile, le cinéma du Transalpin fait merveille dans «
Séduite et abandonnée », « Le chemin de l’espérance » et « Au nom de la loi
! »
« À L'INTÉRIEUR » ; Un film de VASILIS
KATSOUPIS avec WILLEM DAFOE - Grèce, Allemagne, Belgique • 1H45 • Drame,
Thriller, L’Atelier Distribution, 2023.
Nemo, cambrioleur chevronné, se retrouve piégé dans un luxueux
appartement new-yorkais. Essentiellement décoré d'œuvres d'art, il va devoir
faire preuve de créativité et de ténacité pour survivre et tenter de
s'échapper...
Pour son premier long métrage, le réalisateur grec Vasilis Katsoupis signe
un film d’une rare maturité, explorant les tréfonds de la psychologie d’un
homme forcé malgré lui à un huis clos inhabituel. « À l’intérieur » débute,
en effet, par un cambriolage « classique » dans un luxueux appartement
new-yorkais au sommet d’une tour. Tout n’est que raffinement, chaque détail
objet d’un luxe inouï, sans compter des œuvres d’art inestimables telles ces
toiles d’Egon Schiele… Nemo, interprété avec une rare présence par le
talentueux Willem Dafoe, opère de manière professionnelle, recherchant
l’œuvre phare qu’il ne parvient pas à trouver jusqu’à ce que la machine
s’enraye… Piégé par le système d’alarme, il se trouve condamné à chercher
une issue dans cette cage dorée qui progressivement va devenir sa prison.
Servi par une réalisation soignée, une
photographie d’une rare qualité et des plans superbes, ce film conduit le
protagoniste – accompagné du spectateur – à assister à une lente
métamorphose, le cambrioleur devenant lui-même partie de cet habitat
luxueux, créateur d’une œuvre d’art vivante qu’il élabore à la fois pour
échapper à son sort et à des fins cathartiques. Avec de superbes monologues
sur la raison, l’art, les passions et les affres du doute, « A l’intérieur »
ne laissera pas indemne et résonnera longtemps après la scène finale !
« Redécouvertes et raretés du cinéma
italien » en salle avec la rétrospective Carlotta proposant 7 films rares et
autres chefs-d’œuvre en version restaurée allant de 1963 à 1988.
HIER, AUJOURD’HUI ET DEMAIN
de Vittorio De Sica (1963)
UN MODÈLE DU FILM À SKETCHES
AVEC LE COUPLE DE LÉGENDE
MARCELLO MASTROIANNI - SOPHIA LOREN
SEULE CONTRE LA MAFIA
de Damiano Damiani (1970)
UN RÉQUISITOIRE FÉROCE CONTRE LA MAFIA DOUBLÉ D'UN MAGNIFIQUE
PORTRAIT DE FEMME
MIRACLE À L'ITALIENNE
de Nino Manfredi (1971)
NINO MANFREDI SIGNE UNE COMÉDIE SATIRIQUE SUR L'ALIÉNATION RELIGIEUSE
PORTIER DE NUIT
de Liliana Cavani (1974)
UNE PLONGÉE AU CŒUR DES DÉVIANCES HUMAINES SERVIE PAR UN DUO
D'ACTEURS D'EXCEPTION
AFFREUX, SALES ET MÉCHANTS
de Ettore Scola (1976)
L'UN DES GRANDS CLASSIQUES DE
LA COMÉDIE NOIRE À L'ITALIENNE
L'AFFAIRE MORI
de Pasquale Squitieri (1977)
LA LUTTE SANS MERCI DU "PRÉFET DE FER" CONTRE LA MAFIA SICILIENNE
LA LÉGENDE DU SAINT BUVEUR
de Ermanno Olmi (1988)
LE RÉCIT BOULEVERSANT
D'UN RETOUR À LA VIE
Salles :
PARIS LE CHAMPO
BESANÇON VICTOR HUGO GRENOBLE LE CLUB
MARSEILLE LES VARIÉTÉS MONTBÉLIARD COLISÉE
NICE RIALTO NÎMES LE SÉMAPHORE
IBOS PARVIS MÉRIDIEN
« Il Boemo » - Un film de Petr
Vaclav avec Vojtech Dyk, Barbara Ronchi, Elena Radonicich, Lana Vlady,
Mimesis Films, 2023.
1764. Dans une Venise libertine, le musicien et compositeur Josef
Myslivecek, surnommé « Il Boemo », ne parvient pas à percer malgré son
talent. Sa liaison avec une femme de la cour lui permet d’accéder à son rêve
et de composer un opéra. Dès lors sa renommée grandit, mais jusqu’où
ira-t-il ? La vie, l’œuvre et les frasques d’un compositeur de génie oublié
que le jeune Mozart admirait.
Cela faisait longtemps que le septième art n’avait livré un si beau
témoignage sur un musicien, en l’occurrence un musicien injustement oublié
depuis la fin du XVIIIe siècle. Avec un ton à la fois sobre quant au
traitement des sentiments et riche de ces lumières de la Sérénissime, le
réalisateur Petr Vaclav offre un film captivant, intelligent et sensible
portant sur la vie du compositeur bohémien, Josef Myslivecek, né à Prague en
1737 et mort à Rome en 1781 des ravages causés par la syphilis. Si le
musicien parti de rien sut gravir une à une les marches de la gloire en
Italie, il compta même parmi ses admirateurs le tout jeune Mozart.
Cette réussite ne survécut cependant pas à sa disparition, tombant
totalement dans l’oubli depuis. C’est tout le mérite – et bien d’autres
encore – de ce long-métrage d’une rare acuité que de restituer cette
atmosphère où se mêlaient libertins, artistes et puissants.
Avec des décors somptueux, un choix de premier plan de
solistes et de musiciens (Juan Sancho, Krystian Adam, Sophie Harmsen,
Philippe Jaroussky, Raffaela Milanesi, Emöke Barath, Simona Šaturova…)
offrant au mélomane une admirable musique tout au long de ces 140 minutes de
bonheur, sans oublier une véritable histoire reposant sur un travail poussé
de recherche. Il Boemo marquera certainement l’histoire du film historique,
après Barry Lindon, Amadeus, Tous les matins du monde ou encore Farinelli.
Associant avec justesse fiction et vérité historique, la place de la musique
en cette période de fin d’Ancien Régime en France se trouve elle-même à la
croisée des chemins. Alors que les feux du baroque s’estompent déjà, de
nouvelles gloires pointent déjà – sublime rencontre dans le film du tout
jeune Mozart et de Myslivecek, des étoiles montantes annonciatrices du XIXe
s, du romantisme et de la musique de concert…
Soulignons, enfin, que c’est l’acteur Vojtech Dyk qui campe, ici, avec
justesse le rôle du compositeur, divisé entre son art et les réalités de son
temps, un portrait crédible qui ne donne qu’une seule envie : découvrir
l’immense répertoire méconnu de ce musicien étonnant.
Fiche technique : Durée : 140 - Image : 1,77:1 - Son : 5.1 - Pays :
République Tchèque, Italie, Slovaquie - Langue : Italien, Production :
Mimesis Film - Producteur : Jan Macola
« Remorques » (1941) ; Un film de
Jean GRÉMILLON avec Jean GABIN, Madeleine RENAUD, Michèle MORGAN d’après le
roman de Roger VERCEL “Remorques” ; Scénario et dialogues Jacques PRÉVERT,
adaptation André CAYATTE et Charles SPAAK, décors Alexandre TRAUNER, image
Armand THIRARD, musique Roland MANUEL, Carlotta, 2023.
André Laurent, capitaine du remorqueur Le Cyclone, assiste avec son
équipage à la noce d’un de ses marins avant d’être appelé en urgence pour
secourir les passagers d’un cargo, dont Catherine, l’épouse du commandant.
Alors que sa femme Yvonne lui dissimule sa maladie et le supplie de prendre
sa retraite, André tombe follement amoureux de Catherine, avec laquelle il
débute une liaison...
« Remorque » est l’histoire d’une passion amoureuse entre un marin et une
femme mystérieuse sortie des ondes, Calypso envoûtante ayant pour ce film
les yeux de Michèle Morgan…
Cette évocation poétique réalisée par le cinéaste Jean
Grémillon dans les conditions plus que particulières de l’entrée en guerre
de la France explique certainement que Remorques n’ait pu connaître le
destin du mythique de Quai des Brumes sorti quelques années auparavant en
1938. Toujours est-il que le scénario et dialogues de Jacques Prévert, la
splendide photographie d’Armand Thirard et la musique empoignante de Roland
Manuel composent un ensemble convaincant permettant à l’intrigue de se
développer grâce au talent des comédiens réunis, Jean Gabin, Michèle Morgan
et Madeleine Renaud.
Réalisme et poésie se conjuguent dans ce film où la mer représente l’autre
femme silencieuse mais néanmoins omniprésente, rivale de tous les instants.
Si l’on songe à l’époque et aux conditions plus que rocambolesques du
tournage (Gabin mobilisé sous les drapeaux dut profiter d’une permission
pour terminer les dernières prises !), le cinéphile ne pourra qu’être
impressionné par les scènes maritimes et les effets spéciaux, sans oublier
la musique obsédante de Roland Manuel renforçant ce lyrisme. Un film à
redécouvrir grâce à cette remarquable restauration 4K.
"Les Basilischi" (I basilischi,
1963) Un Film de Lina Wertmüller | Italie | 83 mn, Carlotta, en salle, 2022.
Antonio, fils du notaire d’une petite ville du sud de l’Italie, a 20 ans
et passe ses journées à s’ennuyer avec ses amis Francesco et Sergio. Les
jours s’écoulent, interminablement semblables, meublés des mêmes discussions
et de la même absence d’activité. Un jour, Antonio se voit offrir la
possibilité d’aller vivre à Rome…
Si un petit air fellinien souffle sur le film « Les Basilischi » de Lina
Wertmüller (disparue à la fin de l’année dernière) qui fut l’assistante du
grand maître, c’est pour mieux s’en départir avec ce portrait à la fois
caustique et attendri de ce petit village du sud de l’Italie des années 60…
Servi par une maîtrise remarquable des cadrages et des plans
soignés pour ce village d’une beauté sauvage, ce premier long-métrage de la
réalisatrice laisse l’impression d’un carnet intime sans concessions sur
cette Italie profonde qu’elle connaît bien, carnet qui en dévoile le
quotidien souvent vide de sens avec ses habitants parlant à longueur de
journée de rêves inaccomplis.
Sur fond de musique d’un jeune Ennio Morricone à ses débuts, « Les
Basilischi » compte parmi ces films ouvertement néoréalistes à mi-chemin
entre Fellini et Pasolini, un désoeuvrement rural touchant à découvrir pour
ce film resté inédit en France et bénéficiant aujourd’hui d’une remarquable
restauration 4K.
"The Replacement" ; Un film d'Oscar
Aibar avec Ricardo Gomez, Vicky Luengo, Pere Ponce et Pol Lopez ; Format
image : 2.39, 16/9e comp 4/3 ; Espagnol et Français, Sous-titres Français ;
Durée : 1h59 ; VOD & digital, Wild Side Video, 2022.
Été 1982, dans l’Espagne post-franquiste et l’agitation de la Coupe du
monde de football. Andrès, jeune flic endurci des quartiers difficiles de
Madrid, est affecté à Dénia, village côtier de la Costa Blanca, dans
l’espoir d’y trouver une vie meilleure. Mais une fois sur place, il
s’aperçoit très vite que la douceur de ce lieu idyllique n’est qu’un leurre…
Avec « The Replacement », le réalisateur Oscar Aibar règle en quelque sorte
des comptes avec l’ère post-franquiste, parfois complaisante à l’égard de
ses anciens démons. En un film réaliste au rythme quelque peu trépidant,
nous suivons les errances du personnage principal, le policier Andrès,
lui-même ballotté par le poids de ses origines et interprété avec justesse
par un Ricardo Gomez inspiré.
Bien que filmé dans le décor balnéaire de la Costa Blanca de
l’Espagne, ce n’est cependant guère une Espagne estivale pour touristes que
nous découvrons à l’écran, mais bien un pays rude et confronté à ses peurs.
Reposant sur des faits réels ayant tristement eu lieu dans le village de
Dénia dans la province d’Alicante, cette sombre histoire relate la retraite
paisible et prospère d’anciens dignitaires nazis et de leur communauté
largement soutenue par la communauté villageoise gratifiée de leur
générosité.
Cette enquête menée tambour battant sous la caméra particulièrement mobile
d’Oscar Aibar souligne non seulement les soubresauts d’une localité et d’un
pays souvent en conflit avec sa propre histoire, mais aussi en une métaphore
élargie notre propre rapport avec notre conscience.
Un film à découvrir en VOD
« La Lune s’est levée » (Tsuki wa
noborinu) ; Un film de Kinuyo Tanaka, Sélection
officielle – Cannes Classics ; Drame - 1955 - 101 min - n&b - 1.37 - VOSTF -
DCP - Selection Cannes Classics 2022, Carlotta. En salle
M. Asai vit à Nara auprès de ses trois filles : l’aînée
Chizuru, revenue au domicile familial après la mort de son mari ; la cadette
Ayako, en âge de se marier mais peu pressée de quitter les siens ; et la
benjamine Setsuko, la plus exubérante des trois soeurs qui rêve de partir
s’installer à la capitale...
Le cinéma des années 50 n’était guère ouvert aux femmes si ce n’est qu’en
tant qu’actrices. Rares, en effet, étaient les réalisatrices à cette époque,
surtout au pays du Soleil levant. Et pourtant Kinuyo Tanaka compte parmi ces
rares réalisatrices, elle qui passa de l’autre côté de la caméra après avoir
été la star des films de Mizoguchi et Ozu. De ce dernier qui est d’ailleurs
l’auteur du scénario de cette chronique familiale, la réalisatrice a retenu
de nombreux enseignements. Dans ce film « La lune s’est levée », la
réalisatrice aura recours à l’acteur également fétiche d’Ozu en la personne
du célèbre Chishu Ryu, mais aussi à sa manière de filmer les intérieurs des
maisons japonaises, ses plans serrés sur les expressions des personnages
avec une nature encadrée par les parois coulissantes.
Elle se distingue de son maître et ami cependant par une
sensibilité toute féminine dans la manière de traiter le caractère des
différentes femmes de ce récit touchant. Ainsi, si les positions de ces
trois sœurs relèvent encore largement de la tradition dans leur manière de
conserver les places jusqu’alors réservées aux femmes dans le Japon dévasté
par la Seconde Guerre mondiale, la modernité s’immisce subrepticement avec
des robes occidentales et même des cigarettes… Jouant de subterfuges
féminins, ces femmes cherchent à accélérer leur destin sentimental, rejetant
les mariages convenus par leurs parents et leur préférant des amours
choisies et souhaitées.
Avec une photographie de toute beauté et des plans soignés sur une nature
sublimée, ce film inédit en France dans sa version restaurée 4K devrait
assurément rencontrer l’intérêt des passionnés du cinéma japonais pour sa
fraîcheur certaine. A noter que 5 autres films inédits sont proposés en
salle par les éditions Carlotta (Lettre d’amour, Maternité éternelle, La
Princesse errante, La Nuit des femmes et Mademoiselle Ogin).
« Dillinger est mort » (Dillinger é
morto) – 1968 ; Un film de Marco Ferreri avec Michel Piccoli, Anita
Pallenberg et Annie Girardot ; Italie - 95 min – Couleur, Visa n° 36881,
Distribution Tamasa, 2022, en salle.
Un homme, en rentrant comme tous les soirs chez lui, trouve son épouse
couchée, migraineuse. Alors qu’il se prépare à dîner. À la recherche
d’ustensiles de cuisine, il trouve par hasard un revolver, caché dans un
placard…
Un demi-siècle après sa réalisation «
Dillinger est mort » de Marco Ferreri semble un ovni dans le paysage
cinématographique. Tout d’abord par sa forme, avec seulement quelques rares
échanges parsemés au cours des 95 mn que compte ce long-métrage, ce qui sera
d’ailleurs à porter au crédit de son acteur principal, Michel Piccoli, qui
livre ici une interprétation d’une rare présence, proche du mime. La scène
se situe essentiellement en intérieur dans l’habitation de ce cadre italien
designer pour une fabrique de masques à gaz…
Ferreri s’est essayé à tous les genres transversaux du cinéma
sulfureux ; on notera notamment « Le lit conjugal » déjà présenté dans ces
pages. Ici, le film développe le thème de la folie ordinaire qui s’empare
d’un personnage lambda, obsédé par les objets qui l’entourent et qui
prennent progressivement une emprise sur cet esprit volatil et distrait.
Préfigurant nos distractions allant crescendo vis-à-vis des nouvelles
technologies, « Dillinger est mort » tisse une allégorie de nos aliénations
quotidiennes conduisant jusqu’à l’absurde. Dans ce théâtre sans monologue,
où les bruits tissent au fur et à mesure les seules conversations, le
personnage semble presque possédé par son environnement, fasciné par les
couleurs et les sons au point d’en perdre la raison.
Diatribe de nos temps modernes tout autant que réflexion personnelle sur le
sens profond de la vie, « Dillinger est mort » dérange encore à notre
époque, ce qui n’est peut-être pas le moindre mérite de ce film à découvrir.
« Le désert rouge » (Il deserto
rosso) – 1964 ; Un film de Michelangelo ANTONIONI avec Monica VITTI, Richard
HARRIS, Carlo CHIONETTI, Xenia VALDERI, Rita RENOIR ; scénario Michelangelo
ANTONIONI et Tonino GUERRA ; photographie Carlo DI PALMA ; musique Giovanni
FUSCO et Vittorio GELMETTI ; montage Eraldo DA ROMA ; producteur Antonio
CERVI, Italie / France | 117 mn | Couleurs | 1.85:1, VISA : 28 333 | VOSTF
Carlotta Distribution, en salle le 22 janvier 2022.
Mariée à un riche ingénieur, Giuliana est sujette à de fréquentes crises
d’angoisse. Dans la banlieue industrielle de Ravenne, elle cherche le
réconfort auprès de Corrado, un collègue de son mari venu recruter de la
main-d’oeuvre…
Lorsqu’un réalisateur, en poursuivant sa ligne créatrice, se métamorphose en
peintre de la société industrielle et des sentiments les plus profonds de
l’homme, cela donne un film singulièrement étrange et d’un rare esthétisme.
Michelangelo Antonioni avec « Le désert rouge » dépeint, en effet, pour la
première fois en couleurs, les profondes intrications d’un personnage, la
secrète Giuliana partagée entre sa vie dans le monde réel en tant qu’épouse
d’un riche industriel, mère d’un jeune enfant, et les tréfonds de son
rapport à son environnement.
Certains ont vu dans ce long-métrage, servi par la sublime
photographie de Carlo Di Parma et faisant de chaque plan une œuvre d’art,
qu’une critique du monde industriel des années 60 et de la reconstruction.
Si les paysages et la nature ravagés par les usines et leurs menaçantes
cheminées sont certes bien présents, ce cadre oppressant sert également – et
peut-être surtout- de miroir aux affres et au gouffre personnel que seule la
jeune femme interprétée avec une rare profondeur par la jeune Monica Vitti
parvient à percevoir. C’est en effet par son regard que la nature dévastée
prend ces nouvelles couleurs, que le bleu devient plus bleu et la noirceur
plus puissante encore.
« Le désert rouge » qui vient de faire l’objet d’une nouvelle restauration
4K sublime la réalité en d’autant d’infimes détails qui soudainement
prennent leur importance à l’écran, à l’image de nos songes intérieurs.
Cette peinture de l’univers intérieur confronté à la réalité crue de la
plaine industrielle du Pô des années 60 laisse place à un long cheminement
dans les brumes de nos existences.
« Le Lit conjugal », un film de
Marco Ferreri avec Marina Vlady, Ugo Tognazzi, Italie - 1963 - 90 min - Noir
et Blanc, Visa n° 26698, distribution Tamasa, cinéma le 22 décembre 2021.
Un célibataire endurci, Alfonso, 40 ans, épouse Régina, une jeune femme
catholique. Encore vierge, Regina se montre vite sexuellement insatiable.
Elle souhaite être fécondée le plus rapidement possible, quitte à mettre en
danger la vie de son mari, qui n’est plus pour elle qu’un simple moyen de
reproduction.
Le réalisateur iconoclaste Marco Ferreri livre avec « Le Lit conjugal » une
satire grinçante des valeurs traditionnelles et de l’hypocrisie de l’Italie
des années 60. Avec une tonalité différente des comédies qui feront le
bonheur du grand écran italien populaire de cette même époque telles celles
de Dino Risi avec « Le Fanfaron ».
Ici, Ferreri place progressivement ses pièces sur l’échiquier
en forçant à peine les coups, rendant ainsi plus convaincante la critique
sociale qu’il assène. Ugo Tognazzi force, quant à lui, l’admiration dans
cette interprétation en nuances à mi-chemin entre comique et tragique, ce
qui ne sera pas toujours le cas dans la suite de sa carrière. Marina Vlady,
surprenante dans son rôle de mante religieuse, étonne et séduit dans son jeu
tout en suggestions allant crescendo. Cette comédie douce-amère parvient à
gagner le spectateur qui sans croire à l’issue finale s’étonne pourtant de
cet emballement des évènements. « Le Lit conjugal » offre de beaux plans de
la ville de Rome et d’agréables instants de cinéma, et pour ces raisons
mérite d’être redécouvert à l’écran grâce à cette belle restauration.
« TOKYO SHAKING » ; Un film de
Olivier Peyon ; Scénario : Cyril Brody & Olivier Peyon avec Karin Viard,
Stéphane Bak, Yumi Narita, Philippe Uchan, Jean-François Cayrey, produit par
Les Films du Lendemain, en VOD à partir du 7 octobre, Wild Side Video, 2021.
Tokyo, le 11 mars 2011 : un tsunami ravage la côte du Japon, menaçant de
détruire la centrale de Fukushima. Alexandra, qui travaille depuis peu pour
une banque française à Tokyo, se retrouve au cœur de cette crise. Tiraillée
entre les ordres de sa direction et la volonté de protéger sa famille et ses
collaborateurs, Alexandra tente de composer avec la situation et se
retrouve, presque malgré elle, à défendre une certaine idée de l’honneur.
Le réalisateur Olivier Peyon a fait choix pour son film « Tokyo shaking »
d’observer nos contemporains par temps de crise. Alors que Karin Viard avec
un brio certain interprète une dirigeante expatriée dans une banque
française à Tokyo survient le terrible accident de Fukushima lors du
tremblement de terre de 2011.
Quand tout s’effondre autour d’elle, que restera-t-il de ses
certitudes ? Ce film se saisit de cette situation pour dresser non seulement
un portrait de femme, également mère de famille, mais aussi d’un être relié
à ses congénères par tout un tissu de liens. La lente transformation d’un
volontarisme sans faille, tout au service de la cause de la « firme »,
s’effrite comme le béton de la centrale afin de laisser échapper non pas une
énergie négative, mais le sens des valeurs et de la vie. Sans pour autant
livrer un discours moralisateur au pays du Soleil levant, « Tokyo shaking »
interroge le spectateur sur ce qui compose notre quotidien. Sur quelle
échelle appuyons-nous nos vies ? Une réflexion alerte et bien servie par un
jeu d’acteurs convaincant et quelques touches d’humour.
« L’Étang du Démon » (Yasha-ga-ike) 1979 ; Un
film de Masahiro Shinoda avec Tamasaburo BANDO, Go KATO, Tsutomu YAMAZAKI,
Hisashi IGAWA, Fujio TOKITA, Koji NANBARA, Yatsuko TANAMI, directeurs de la
photographie Masao KOSUGI et Noritaka SAKAMOTO,
musique Isao TOMITA, scénario Takeshi TAMURA et Haruhiko MIMURA, d’après la
pièce de Kyoka IZUMI ; Pour la 1re fois au cinéma en version restaurée 4K le
22 septembre 2021.
Province d’Echizen, été 1913. En route vers Kyoto, le professeur Yamasawa
traverse un village frappé par la sécheresse, perdu au milieu des montagnes.
À proximité se trouve l’étang du Démon, objet de superstitions de la part
des habitants. En effet, si la cloche du village ne sonne pas
quotidiennement, le dragon retenu au fond de l’eau serait libéré et
provoquerait un déluge mortel. L’arrivée de Yamasawa chez Akira et Yuri, le
couple chargé de faire respecter cette tradition immuable, va bientôt mettre
en péril cet équilibre…
Le réalisateur Masahiro Shinoda convie le spectateur à une étonnante fresque
fantastique avec ce film « L’Étang du Démon » sorti en 1979 et pour la
première fois au cinéma en version restaurée en France. Appartenant à la
Nouvelle Vague japonaise, Shinoda s’est inspiré d’une célèbre pièce de
kabuki signée Kyoka Izumi au début du XXe siècle dans laquelle un amour
tragique réunit les protagonistes près d’un lac que l’on dit hanté d’un
démon…
La réussite de ce
film à la fois étrange et pourtant familier aux lecteurs des nombreux contes
et légendes du Japon ancien tient à deux facteurs essentiels : La qualité de
la réalisation et la performance extraordinaire notamment celle du grand
acteur de kabuki Tamasaburo Bando parvenant à incarner avec puissance et
subtilité les deux personnages féminins. Après Fleur pâle (1964) et Double
Suicide à Amijima (1969), L’Étang du Démon fait entrer le spectateur dans un
univers onirique des plus réussis où les réminiscences de la musique
occidentale (Debussy, Moussorgski) s’entrecroisent aux références
traditionnelles japonaises. De la même manière, les personnages fantastiques
qui, progressivement, s’immiscent dans cette légende étonnante tiennent à la
fois des multiples divinités et démons traditionnels du Japon ancien et des
évocations du peintre Jérôme Bosch. C’est dans cette alliance étonnante que
réside le charme de ce récit surprenant dont le spectateur ne sort pas
indemne à son terme grâce à cette très belle restauration 4K…
Fantastique, Drame - Japon - 1979 - 124 min - couleurs - 1.85 - VOSTF - DCP
- Cannes Classics 2021 - Visa n° 155506
Trilogie Musashi La Légende de
Musashi - Duel à Ichijoji - La Voie de la lumière, Un film de Hiroshi
Inagaki avec Toshiro Mifune, Rentaro Mikuni, Koji Tsuruta , Mariko Okada. En
salle, Carlotta distribution, 2021.
LA LÉGENDE DE MUSASHI (Miyamoto Musashi) Japon, 1600. Jeune homme fruste rejeté par les siens, Takezo rêve de
devenir samouraï pour recueillir gloire et honneurs. Avec son ami Matahachi,
il part au combat mais se retrouve rapidement du côté des vaincus.
Contraints de fuir, les deux hommes trouvent refuge chez la veuve Oko et sa
fille Akemi. Alors que Matahachi décide de rester auprès d’elles,
abandonnant par là sa promise Otsu, Takezo retourne seul au village où il
sera très mal accueilli…
DUEL À ICHIJOJI (Zoku Miyamoto Musashi: Ichijoji no ketto) Takezo, rebaptisé Musashi Miyamoto, est devenu un samouraï hors pair.
Depuis des années, il parcourt le pays au gré de ses affrontements dont il
sort toujours vainqueur. Le voici désormais à Kyoto pour combattre maître
Yoshioka. Dans la grande ville, il retrouve ses deux soupirantes : la
vertueuse Otsu, ancienne fiancée de Matahachi, et la jeune Akemi, également
courtisée par Yoshioka. Alors que l’affrontement entre les deux hommes est
sans cesse repoussé, la violence autour de Musashi ne fait que croître…
LA VOIE DE LA LUMIÈRE (Miyamoto Musashi kanketsuhen: ketto Ganryujima) Musashi a renoncé aux combats pour mener une vie simple. Le jeune homme
rustre des débuts semble avoir enfin trouvé la voie de la sagesse. Lorsque
son ennemi acharné, le talentueux et ambitieux sabreur Kojiro Sasaki, le met
au défi, Musashi lui donne rendez-vous dans un an. Il sait que ce combat
sera le plus important de sa vie…
Avec la Trilogie Musashi, ni cape, ni épée, mais la voie du
sabre ! Dans la plus belle tradition du chambara – équivalent au Japon de
nos films d’aventures de cape et d’épée – le réalisateur Hiroshi Inagaki
s’est attaqué à une légende, celle du héros du roman-fleuve en deux volumes
d’Eiji Yoshikawa « La Pierre et le Sabre » et « La Parfaite Lumière ». Le
héros solitaire apparaît à l’écran sous les traits du merveilleux acteur
Toshiro Mifune, à l’aube de sa brillante carrière avec un rôle taillé à sa
solide carrure. Trois films se succèdent ainsi de 1954 à 1956 qui
connaîtront un véritable succès mondial couronnés par l’Oscar du meilleur
film étranger en 1956. Ces trois réalisations soignées relatent la vie
tumultueuse d’un samouraï d’origine modeste, ayant réellement existé et dont
la légende populaire s’est emparée. Servie par une production ambitieuse, un
cinéma en couleurs rendant idéalement les somptueux paysages d’un Japon
encore préservé quant à sa nature, cette trilogie convainc spontanément tant
sur le plan de l’action que de l’analyse des caractères. Évitant les poncifs
du genre, ces trois films parviennent à évoquer assez fidèlement l’esprit du
bushido si essentiel dans la société médiévale japonaise, sans pour autant
exclure l’analyse des conditions sociales féodales qui régnaient également à
cette époque. Tant l’impressionnante photographie tournée en Eastmancolor
que le jeu d’acteurs saisissent le spectateur ébloui par une telle
réalisation à la fin des années 50. À l’opposé du cinéma intimiste d’un Ozu,
cette trilogie palpitante réserve de belles heures de cinéma grâce à cette
version restaurée tout spécialement.
Aventures - Japon - 1954 - 302 min - Couleurs - 1.33 -
VOSTF - DCP - Visa n° 76776 - 83520 - 83521
« La Vengeance d’un acteur » (Yukinojô
henge) – 1963 ; Un film de Kon Ichikawa, au cinéma le 30 juin en version
restaurée 4K, 109 min - couleurs - 2.35 - DCP - Visa n° 50 947, VOSTF,
Carlotta, 2021.
Yukinojo, célèbre acteur de kabuki, vient jouer à Edo avec sa troupe. Un
soir, sur scène, il reconnaît dans le public les trois hommes qui ont
provoqué la ruine et le suicide de ses parents : le magistrat Dobe et les
commerçants Kawaguchiya et Hiromiya. À l’époque, il avait alors juré de les
venger coûte que coûte. Yukinojo compte bien tenir sa promesse et va pour
cela se servir de la fille de Dobe, Dame Namiji, tombée amoureuse de
l’acteur…
« La Vengeance d’un acteur » du réalisateur Kon Ichikawa, sorti en 1963,
relève du jidai-geki, genre théâtralisé très prisé au Japon évoquant la vie
à Edo, avec ses seigneurs, samouraïs et marchands. Sur fond de vengeance aux
accents shakespeariens, Kon Ichikawa qui voue une admiration au cinéma
occidental, dont notamment celui de Pasolini, dresse ici un tableau onirique
de toute beauté. Servi par une technique aux plans soignés, d’une rigueur
implacable avec sa caméra encadrant les acteurs entre deux portes
coulissantes telle une estampe délicate, « La Vengeance d’un acteur » est
l’occasion d’une attention toute particulière apportée aux décors et aux
costumes.
Il ressort alors de cette réalisation le sentiment surprenant
d’être à mi-chemin entre composition théâtrale, long-métrage et œuvre
graphique onirique, bien avant les derniers films que réalisera Kurosawa.
Kon Ichikawa dont la longue carrière avait débuté par le cinéma d’animation
et le dessin a toujours conservé cette sensibilité graphique perceptible
dans ses films. Dans cette réalisation complexe où règne en maître l’acteur
mythique au Japon Kazuo Hasegawa, les genres se fondent sans se confondre
entre théâtre kabuki et cinéma japonais contemporain sans oublier
l’importance de la musique associant sans heurts musique jazz et
traditionnelle…
Grâce au format CinémaScope idéal pour évoquer la scène
théâtrale et une remarquable restauration 4K, « La Vengeance d’un acteur »
nous plonge dans une féerie à la fois dramatique où l’un des thèmes préférés
du réalisateur – la solitude de l’individu face à la collectivité – se
déploie admirablement avec une rare intensité.
Un film à redécouvrir à l’écran pour une belle leçon de cinéma.
« Une vie difficile » (Una Vita difficile) ; Un
film de Dino Risi avec Alberto Sordi, Lea Massari – Italie – 1961 – 1h59, au
cinéma le 16 juin 2021, Distribution Les Acacias, 2021.
Silvio Magnozzi, ancien résistant, tente en homme de gauche convaincu de
s’accrocher à ses convictions politiques. Lui qui s’est reconverti en
journaliste engagé a de plus en plus de mal à subvenir aux besoins de sa
famille. Son épouse, Elena, supporte de moins en moins son idéalisme et lui
reproche de ne pas vouloir tirer profit du miracle économique italien.
Lorsqu’elle le quitte, Silvio tente de la reconquérir en acceptant de se
compromettre avec un riche industriel italien…
« Une vie difficile » du réalisateur Dino Risi explore dans une tonalité
caustique les effets du développement économique après-guerre en Italie.
Marquée par un fossé séparant une petite élite attachée à ses privilèges
d’une grande majorité de nécessiteux, l’Italie du début des années 60 offre
un terrain de choix pour la caméra de Dino Risi avec, déjà, cette approche,
qui lui est propre, de comédie et de gravité. Aucune couche sociale
n’échappe en effet à son regard scrutateur sans concession.
L’aristocratie
enfermée dans ses traditions tout comme la petite bourgeoisie de province
sans oublier celles et ceux peinant à manger à leur faim dans cette Italie
d’après-guerre passent sous le crible du réalisateur pour le plus grand
bonheur du spectateur grâce au comédien fétiche Alberto Sordi. Passant d’un
registre à l’autre à une vitesse vertigineuse, Alberto Sordi parvient à
souligner sous le registre de la critique sociale les aberrations des
aspirations de chacun des protagonistes du boom économique. Film politique à
sa manière, « Une vie violente » dénonce ce que Pier Paolo Pasolini
critiquera également avec la perte de l’identité culturelle italienne pour
un consumérisme aveugle. Un film d’une sobriété technique à redécouvrir à
l’écran grâce à cette belle version restaurée !
« Shorta » un film de Anders Ølholm
et Frederik Louis Hviid avec Jacob Lohmann, Simon Sears, Tarek Zayat,
Policier / Danemark / VF & VOST / Image : 2.39 / Son : 5.1 / Durée 1h48, au
cinéma le 23 juin.
Talib, 19 ans, adolescent noir, meurt des suites de blessures mortelles
en garde à vue. Son décès provoque une révolte dans la banlieue de
Copenhague au moment où deux policiers que tout oppose, Jens et Mike, s’y
trouvent justement en patrouille. Pris en chasse, ils vont devoir se frayer
un chemin pour échapper aux émeutes. S’engage alors un affrontement
implacable.
Ce film danois au rythme trépidant et haletant pourrait tout aussi bien se
dérouler en France, dans un autre pays en Europe ou aux États-Unis. Criant
d’actualité, il pose de nombreuses questions quant à l’autorité,
l’intégration, le respect et le sens moral. Ne cherchant pas à stigmatiser,
contrairement à ce que pourraient laisser penser les premières minutes, ce
film soulève plus de questions qu’il ne propose de solutions.
Les réalisateurs, Anders Ølholm et Frederik Louis Hviid, par
un style original et des plans parfois singuliers, font entrer leur caméra
en des lieux jugés de nos jours comme interdits à l’enquête, zones
parallèles où d’autres autorités règnent et que les responsables politiques
ont progressivement abandonnées… Que se passe-t-il lorsque la confrontation
semble incontournable ? C’est à cette question et bien d’autres encore que
Shorta s’attache avec un jeu d’acteurs convaincant, qu’il s’agisse des deux
policiers ou du jeune Tarek Zayat, impressionnant face à la caméra. Les
certitudes s’effritent contre ces murs de banlieues déshéritées. Sans cacher
le profond malaise qui gagne les forces de police tout autant que la
population de ces quartiers, ce film suggère quelques issues vers la
lumière, sans illusions pour autant. Un traitement beaucoup plus fin de la
violence urbaine que ce que le cinéma nous livre quotidiennement, un film à
découvrir…
« Mon cousin » de Jan Kounen avec
Vincent Lindon, François Damiens, Alix Poisson, Pascale Arbillot ; Comédie -
Durée du DVD : 1h42 - Durée du Blu-ray : 1h47, Pathé, 2021. En dvd, blu-ray
et vod, le 3 février 2021.
Pierre est le PDG accompli d'un grand groupe familial. Sur le point de
signer l'affaire du siècle, il doit régler une dernière formalité : la
signature de son cousin Adrien (François Damiens) qui détient 50% de sa
société et connaît des troubles psychologiques...
Avec « Mon cousin » le réalisateur Jan Kounen signe une
comédie à la fois légère, mais posant aussi de vraies questions, plus qu’une
comédie, « Mon cousin » est une alchimie. Vincent Lindon ( En Guerre, La Loi
du Marché, Welcome), plus grave que jamais, tient le haut de l’affiche en
homme d’affaires affairé face à l’étonnant François Damiens (Le Prince
Oublié, Mon Ket, Dikkenek), ici, en cousin quelque peu dérangé…
Ce duo contrasté évoque en de multiples scènes détonantes les
travers de la vie moderne dans laquelle les liens se trouvent mis à rude
épreuve et le sens de la vie continuellement questionné.
Entre coups de griffes apportés aux nouvelles tendances du
bien-être et stéréotypes de la vie branchée d’une élite du monde des
affaires, quelle place reste-t-il à la vie ? La vraie ? Ce sont ces
questions que soulève ce film au rythme trépidant et plaisant, servi par un
jeu d’acteurs convaincant pour celles et ceux souhaitant quelques moments de
divertissement au cœur même pourtant des questions incessantes de notre
quotidien…
"Silence" (Chinmoku) ; Un film de
Masahiro Shinoda ; Scénario : Shusaku ENDO avec David LIMPSON, Don KENNY et
Tetsuro TAMBA ; Musique : Toru TAKEMITSU ; Directeur de la photographie :
Kazuo MIYAGAWA ; Carlotta Films, 2020.
Au XVIIe siècle, deux prêtres jésuites, le père Rodrigues et le père
Garrpe, débarquent sur les côtes japonaises. Dans ce pays où la religion
chrétienne est interdite et ses fidèles persécutés, les deux missionnaires
sont accueillis avec enthousiasme par les croyants, obligés de se cacher
pour pratiquer leur foi. Le but des deux Occidentaux est d’aider à
réimplanter le christianisme dans le pays, mais également de découvrir la
vérité sur leur mentor, le père Ferreira, mystérieusement disparu après sa
capture par les autorités cinq ans plus tôt…
Près d’un demi-siècle avant le film de Martin Scorcese, le réalisateur
japonais Masahiro Shinoda avait déjà adapté à l’écran le roman « Silence »
de l’écrivain Shûsaku Endô. Ce dernier toujours hanté par les tensions entre
traditions ancestrales et modernité apportée par le christianisme au Japon
avait signé une œuvre puissante et trouble, hantée par les thèmes de la
souffrance, de la culpabilité et du rachat. Le choc survenu lors de
l’arrivée des premiers missionnaires jésuites au Japon au XVIIe siècle fut,
en effet, tel auprès de la population réceptive que le pouvoir avait réagi
rapidement et violemment contre cette intrusion culturelle et politique.
À la différence de Scorcese, c’est du point de vue japonais
que ce récit puissant et sensible se trouve traité avec finesse par le
réalisateur de la nouvelle vague japonaise au début des années soixante-dix,
en une évocation aux nombreux plans symbolistes. Plongés dans de sublimes
paysages japonais filmés par le grand directeur de la photographie Kazuo
Miyagawa (Rashomon d’Akira Kurosawa, L’Intendant Sansho de Kenji Mizoguchi),
les protagonistes de cette histoire douloureuse avancent sans trouble, sûrs
de leur foi et convictions jusqu’à ce que le doute s’immisce…
La rigueur jésuite ne parvient pas à réduire l’intransigeance
du pouvoir shogunal, l’incompréhension réciproque conduit à un bras de fer
sans concession qui va se déplacer bien au-delà des percussions physiques et
de la torture. C’est en effet sur le domaine psychologique que le
réalisateur – suivant en cela le roman de Endô – place la caméra en plans
rapprochés.
Conversion et fidélité, foi et amour, douleur et rédemption, nombreux sont
les thèmes moraux abordés par ce très beau film réalisé avec sobriété par
Masahiro Shinoda et qui ne pourra que conduire à de nombreux questionnements
au terme de la terrible confrontation finale.
En exclusivité sur le vidéo club du vendredi 15 au mardi 19 janvier inclus -
Disponible en DVD/BRD en mars prochain
« Madre » ; Un film de Rodrigo
Sorogoyen avec Marta Nieto, Jules Porier, Alex Brendemühl, Anne Consigny,
Frédéric Pierrot, Guillaume Arnault et Raúl Prieto, DVD, Le Pacte, 2020.
Dix ans se sont écoulés depuis que le fils d’Elena, alors âgé de 6 ans, a
disparu. Dix ans depuis ce coup de téléphone où seul et perdu sur une plage
des Landes, il lui disait qu’il ne trouvait plus son père. Aujourd’hui,
Elena y vit et y travaille dans un restaurant de bord de mer. Dévastée
depuis ce tragique épisode, sa vie suit son cours tant bien que mal. Jusqu’à
ce jour où elle rencontre un adolescent qui lui rappelle furieusement son
fils disparu...
Le réalisateur espagnol Rodrigo Sorogoyen livre avec « Madre », et après
déjà un remarqué « Que Dios nos perdone » en 2016, un rare témoignage sur la
puissance des sentiments dans nos vies… Tout en nuances, à l’image des
superbes paysages côtiers des landes, ce redoutable long-métrage lamine les
profondeurs des âmes, à l’image des lames s’abattant sur la plage tout au
long du film. Les protagonistes de ce long métrage sensible évolueront
d’ailleurs très souvent entre terre et mer, sur cette zone de sable tragique
et mouvante d’où le drame est parti.
Les premières minutes sont insoutenables, tant l’oppression et l’angoisse
gagnent le spectateur, à l’image de cette mère affolée et impuissante face à
l’inéluctable. La comédienne Marta Nieto interprète ce rôle avec une telle
présence et un naturel si convaincant que cette peur en devient
transmissible, sans recul. Puis, vient le temps du deuil, une séparation impossible que
cette mère ne parvient pas à dépasser en des errements incessants sur les
lieux de la disparation jusqu’au jour où un jeune garçon apparaît dans sa
vie, signe ou simple transfert ?
De la peur à l’amour, un long cheminement va dès lors gagner chacun des
protagonistes de ce film, à la fois tragique et aux lueurs d’espérance.
Après un court-métrage initial portant le même titre et réduit aux premières
scènes de la disparition de l’enfant, ce long-métrage, en ayant recours
principalement au plan-séquence, ajoute au réalisme où la lumière unique du
golfe de Gascogne irradie la pellicule en autant de dégradés que de
sentiments.
Un film puissant et sensible, émouvant et subtil.
« Hiroshima » - 1953, un film de
Hideo Sekigawa avec Yumeji Tsukioka, Eiji Okada, Yasumi Hara, Isuzu Yamada –
N&B – 104’ – 35mm – Nikkyôsô Prod. – VOSTF, Vidéo Club Carlotta, 2020.
Le jour où la bombe atomique fut larguée sur Hiroshima, le destin de
milliers de civils japonais fut définitivement brisé. L’histoire de certains
d’entre eux est évoquée dans ce film résolument opposé à la guerre.
Voici un film qui marquera probablement la conscience des
Occidentaux, celle des Japonais l’étant depuis longtemps avec les nombreux
films antimilitaristes, dits du Genbaku, du nom du dôme symbolique ayant
résisté à l’explosion nucléaire. Ce récit des plus réalistes évoque
dramatiquement le destin des victimes de Hiroshima. Nulle emphase ni effets
spéciaux grandioses, en effet, mais un traitement cataclysmique d’un jour
qui fut malheureusement réel, reposant sur une image crépusculaire des
ruines de la ville atomisée.
Sorti en 1953, ce film fut longtemps introuvable, tant aux États-Unis qu’au
Japon, les opinions communistes du réalisateur Hideo Sekigawa ayant condamné
d’avance sa production.
Il apparaît manifeste que le témoignage du réalisateur
japonais est sans concessions tant sur le nationalisme aveugle de ses
compatriotes que sur l’inconscience américaine ayant conduit à cette
catastrophe sans précédent. L’horreur nucléaire qui marquera de manière indélébile la
conscience japonaise sur plusieurs générations trouve ses premiers
développements avec ce film éprouvant ayant fait appel à des centaines
d’habitants de Hiroshima même comme figurants, ajoutant ainsi au réalisme
des scènes de désolation filmées…
La véritable consécration du film « Hiroshima » viendra quelques années plus
tard par le réalisateur français Alain Resnais qui en reprendra quelques
scènes pour son chef-d’œuvre « Hiroshima mon amour » avec également pour
vedette le même acteur Eiji Okada. Un film, d’une dure réalité, mais qui ne
saurait encore aujourd’hui rester au tires des films tabous et occultés.
« Au-dessous du volcan » (Under the
Volcano) ; Un ufilm de John Huston avec Albert FINNEY, Jacqueline BISSET,
Anthony ANDREWS, Ignacio LÓPEZTARSO ; Scénario Guy GALLO d’après le roman de
Malcolm LOWRY, directeur de la photographie Gabriel FIGUEROA, musique Alex
NORTH, producteurs Moritz BORMAN & Wieland SCHULZ-KEIL.
En salle pour la 1re fois en version restaurée à partir du 7 octobre 2020.
Carlotta.
À la veille du 1er novembre 1938, la nuit s’est abattue sur Cuernavaca et
l’animation est déjà vive dans les rues où l’on prépare le Jour des Morts.
Geoffrey Firmin, ex-consul britannique, erre parmi la foule, ivre mort, pour
oublier le départ de sa femme Yvonne.
Adapté du célèbre roman de Malcom Lowry, « Au-dessous du volcan » donne lieu
à un étonnant et fabuleux jeu d’acteur de la part d’Albert Finney. Dans un
véritable one man show, l’acteur britannique venu de l’univers du théâtre
envahit l’écran avec cette interprétation exigeant qu’il apparaisse saoul de
la première jusqu’à la dernière minute du film, et ce sans qu’à un seul
instant cela ne semble artificiel…
Rongé par l’alcool et les remords du passé, ce colosse aux pieds fragiles
offre, en effet, tout au long du film un étonnant portrait psychologique
contrastant avec celui de son ex-épouse désarmée et interprété avec brio par
la rayonnante Jacqueline Brisset. Véritable drame dont la tension va crescendo au fur et à
mesure de la progression du film, « Au-dessous du volcan » explore au plus
intime la plongée dans le désespoir d’un être humain jusqu’à l’inexorable.
La finesse des sentiments analysés par la caméra de John Huston est
proportionnellement inverse à la démesure de consommation d’alcool du
principal protagoniste.
Sur fond de société traditionnelle mexicaine avec sa fête des Morts
contrastée et envoûtante, la violence contenue se libérant progressivement,
« Au-dessous du volcan » offre une allégorie réussie des passions humaines
par le truchement du personnage central. Sentiments déchaînés et destinées
inexorables vont dès lors rattraper chacun des protagonistes de ce
long-métrage remarquablement restauré.
Drame - USA - 1984 - 112 min - couleurs - 1.85:1 - VOSTF - DCP - Visa n° 59
097
« Manon » ; Un film de Henri-Georges
Clouzot avec Cécile Aubry, Michel Auclair, Serge Reggiani, Gabrielle Dorziat
; D’après le roman de l'Abbé Prévost. Lion d'or au Festival de Venise de
1949, Prix Georges Méliès en 1949 ; Noir & blanc, 105 mn, VOD, Les films du
Jeudi, 2020.
Une nuit, deux clandestins sont découverts dans la cale d'un bateau à
destination de la Palestine. Le capitaine envisage de les livrer à la police
aussitôt la ville d'Alexandrie atteinte, puis se laisse attendrir par cette
passion dévorante dont le jeune couple entreprend le récit.
« Manon », le film d’Henri-Georges Clouzot s’inspire très librement du
fameux roman de l’Abbé Prévost « L’Histoire du chevalier des Grieux et de
Manon Lescaut », un récit qui fit scandale au XVIII° siècle.
L’histoire conte la rencontre fortuite de deux jeunes gens ballottés par les
affres de la guerre à la Libération dans une petite ville de Normandie alors
que les habitants souhaitent tondre la jeune femme, Manon, accusée d’avoir
pactisé avec l’ennemi. Dès les premiers plans, c’est une passion dévorante
qui va consumer les deux amants, Manon ne cherchant que la lumière et les
fastes, quitte à s’y brûler, Robert ayant déjà, pour sa part, trouvé sa
flamme dévorante…
Clouzot partant de cette intrigue commune va développer un film ciselé dont
la photographie et les plans de toute beauté ne cessent de surprendre encore
70 ans plus tard. À partir de cette quête impossible entre les deux amants,
l’adversité, les épreuves, et finalement la mort, ne parviendront pas à
briser ce qui n’aurait pourtant pas dû durer. Car tout opposait Manon et
Robert, et pourtant un destin commun allait les réunir dans la passion et
les sables du désert.
Si le roman de l’abbé Prévost avait déjà été porté plusieurs fois au cinéma
avant la version de Clouzot, et le sera encore après lui, cette adaptation
tient non seulement de l’allégorie du destin des jeunes d’après-guerre, mais
aussi des affres sentimentales du réalisateur que ce dernier connut à
l’époque avec sa compagne Susy Delair. Après le clair-obscur des mois
suivants la Libération faits de combines et de petits trafics, vient le
rayonnement solaire de l’échappée vers la Terre promise, un destin qui passe
cependant par une longue et fatale traversée du désert… Cette illumination
symbolique transposée à l’écran irradiera les derniers plans inoubliables de
cette singulière histoire d’amour.
"Dark Waters" ; Un film de Todd
Haynes avec Mark Ruffalo, Anne Hathaway ; Scénario Mario Correa, Matthew
Michael Carnahan ; Directeur de la photographie Edward Lachman ; Montage
Affonso Gonçalves ; Musique Marcelo Zarvos ; Durée 2h06 ; Le Pacte, VOD,
2020.
Robert Bilott est un avocat spécialisé dans la défense des industries
chimiques. Interpellé par un paysan, voisin de sa grand-mère, il va
découvrir que la campagne idyllique de son enfance est empoisonnée par une
usine du puissant groupe chimique DuPont, premier employeur de la région.
Afin de faire éclater la vérité sur la pollution mortelle due aux rejets
toxiques de l’usine, il va risquer sa carrière, sa famille, et même sa
propre vie...
L’histoire évoquée dans « Dark Waters » aurait pu naître dans l’imagination
fertile d’un scénariste de films à grand spectacle d’Hollywood avec
multiples effets spéciaux et musiques détonantes… s’il n’était
malheureusement l’évocation sans trucages ni aucune invention d’une tragique
histoire vraie, la nôtre !
Todd Haynes s’est en effet saisi de ce scandale mondial du téflon pour
proposer un film témoignage particulièrement sobre si l’on songe aux
tragiquesfaits évoqués. La photographie d’Edward Lachman parvient à rendre
les teintes de cette nature abîmée de Virginie Occidentale par la cupidité
et l’arrogance de l’homme alors que l’univers glacé des cabinets d’avocats
d’affaires semble à mille lieues d’un tel désastre.
Sauf que l’un d’entre eux, Robert Bilott a décidé de dire non au système, risquant sa vie et sa
carrière pour se dédier à cette cause perdue d’avance. C’est ce combat
impossible de David contre Goliath qui est au cœur de ce film passionnant,
qui tient en haleine le spectateur pendant deux heures jusqu’à son terme.
Mais, comment ne pas se sentir concerné ?
Mark Ruffalo interprète avec un réalisme sidérant l’avocat
Robert Bilott, parvenant à rendre toutes les étapes de ce combat au long
cours contre la célèbre firme DuPont de Nemours, l’un des géants de
l’industrie chimique, depuis ses illusions de brillant juriste reconnu par
son équipe jusqu’au doute et à la maladie le gagnant… « Dark Waters » porte
bien son titre et s’avère être en effet un film sombre, qui ne laisse guère
d’espoir sur les combats menés pour l’écologie de la planète et surtout pour
la survie de l’homme. Ce film laisse cependant une lueur d’espoir : par la
prise de conscience de pratiques scandaleuses et encore d’actualité, les
générations futures réagiront peut-être plus efficacement que leurs aînés,
mais ne sera-t-il pas trop tard ?
« Garabandal, Dieu seul le sait » ;
Un film de Brian Alexander Jackson avec Belén Garde García, Fernando García
Linares et Rafael Samino Arjona ; Versions VF / VOSTFR, Saje Distribution,
2020.
18 juin 1961. Dans un petit village du nord de l'Espagne, San Sebastian
de Garabandal, quatre jeunes filles affirment avoir vu l'archange
Saint-Michel et la Vierge. Le curé Don Valentìn et le brigadier Don Juan se
trouvent rapidement impliqués dans un événement qui les dépasse, cherchant à
comprendre où se trouve la vérité, confrontés à une hiérarchie perplexe et à
une foule de plus en plus nombreuse qui monte au village en quête de
miracles...
Si les apparitions mariales sont nombreuses, seul un petit nombre d’entre
elles ont été reconnues par l’Église. Prudence et précautions sont donc de
mises, et ont en effet prévalu afin d’éviter tout excès dans les
qualifications de ces évènements qui, souvent, relèvent plus de la ferveur
mystique que d’une véritable manifestation religieuse. Mais les multiples
apparitions à Garabandal, au nord de l’Espagne ont suscité – et continue de
susciter – de nombreuses interrogations. C’est le point de départ de ce film
sobre et documenté de Brian Alexander Jackson « Garabandal, Dieu seul le
sait » qui livre avec pudeur et nuances un beau témoignage sur ces
évènements. Le cadre somptueux des paysages montagneux de l’Espagne du Nord
souligne la beauté sauvage de cet endroit préservé de la modernité, sans
télévision ni moyens de communication. En ces lieux, la foi traditionnelle
occupe encore une place essentielle pour la communauté villageoise en ce
début des années 60.
Ce film sobre et où l’humour pointe parfois est loin d’être
édifiant, il ne verse en aucune manière dans un mysticisme marial exacerbé
et sombrant parfois dans une hystérie certaine. Le témoignage est limpide,
invitant à la foi et à la prière. Rien d’extraordinaire, et pourtant si
nécessaire à l’époque du Concile Vatican II en cette décennie qui allait
tant bouleverser l’Église.
Une question demeure, cependant, encore : Quelle sera à l’avenir la position
de l’Église sur ces apparitions ? Moins hostile ces derniers temps, rien ne
fait obstacle – selon l’expression canonique officielle – à ce que ces
apparitions soient un jour reconnues, le dossier reste ouvert…
Mais lorsque quatre jeunes filles affirment avoir eu des visions d’ange et
de la Vierge Marie, tout bascule… Le réalisateur souligne par ses cadrages
serrés et ses interrogatoires avec force champs-contrechamp le scepticisme,
puis l’opposition radicale des autorités religieuses, voyant d’un « mauvais
œil » ces manifestations. Face à ces critiques, la candeur de ces jeunes
filles rayonne tout au long du film, témoignage manifeste de leur bonne foi,
aucune n’ayant cherché à ajouter aux messages délivrés, parfaitement
conformes aux canons de l’Église catholique.
"Le retour de Richard III … par le
train de 9h24" ; Film réalisé par Éric Bu ; Scénario de Gilles Dyrek, avec
Sophie Forte et Hervé Dubourjal, Jean-Gilles Barbier, Camille Bardery,
Amandine Barbotte, Lauriane Escaffre, Ariane Gardel, Benjamin Alazraki,
Yvonnick Muller… Stéphane Sansonetti (Atlan films) et Alexis Bougon ; Samsha
Productions avec la participation de Jean-Baptiste Neyrac (Neyrac Films),
VOD, 2020.
Condamné par la médecine, Pierre-Henri engage des comédiens pour jouer sa
famille disparue pendant une semaine et l’aider à se réconcilier avec les
siens. Entre réalité et fiction, cette relecture d’un passé familial
mouvementé est un règlement de compte où on ne sait bientôt plus faire la
part entre le vrai et le faux. Les comédiens étant tous au moins aussi
névrosés que lui, voici Pierre-Henri bientôt débordé par les transferts des
uns et des autres…
La comédie dramatique est art délicat. Comédie et drame font, en effet,
difficilement bon ménage et souvent l’un l’emporte sur l’autre à moins d’un
match nul. Le film réalisé par Éric Buc évite bien des écueils et noue un
dialogue intime sur le sens de nos vies, nos réussites, mais surtout nos
échecs lorsque le terme de ce parcours commence à poindre. Si le début du
film transmet ces hésitations à se livrer avec une gêne manifeste à « jouer
le jeu » pour les comédiens convoqués, tout comme pour l’ordonnateur de
cette mise en scène, rapidement, le jeu s’engage et livre un témoignage
ironique, grinçant et touchant sur ce qui importe dans la vie.
Les comédiens deviennent parties prenantes de ce « jeu » qui
se métamorphose en « je », révélant leurs propres failles et témoignages sur
leur sens de la vie. « La vie n'est pas trop courte, c'est nous qui la
perdons », rappelle Sénèque, ce dont témoigne parfaitement cette comédie
dramatique servie par un jeu d’acteurs convaincants.
Éric Bu, récompensé à Cannes par le prix France Télévision au
Short Film Corner pour son court-métrage « Le soleil des Ternes », oscille,
ici, entre grand écran et théâtre, aidé en cela par le scénario et les
dialogues écrits par Gilles Dyrek (scénario & dialogues) qui interprète, par
ailleurs, le personnage de William, en référence à Shakespeare…
Une comédie grave sur ce qui importe dans nos vies… à moins qu’il ne
s’agisse de l’inverse, un drame comique sur « l’insoutenable légèreté » de
nos existences…
LE RETOUR DE RICHARD 3 PAR LE TRAIN DE 9H24 d'Éric Bu, sera l'un des
derniers films à sortir directement en VOD, le mercredi 17 juin 2020, sur la
plateforme FilmoTV avant la réouverture des salles de cinéma le 22 juin
2020.
En 1925, l’écrivain André Gide effectue un voyage en Afrique-Équatoriale
française et au Congo belge avec son secrétaire, Marc Allégret, qui en tire
un document filmé et en rapporte de nombreuses photographies…
« Voyage au Congo » ne relève pas vraiment de l’enquête ethnographique sur
le modèle de celle qu’entreprendra quelques années plus tard Claude
Lévi-Strauss au Brésil. Avec cette évocation filmée en 1926 par le
secrétaire d’André Gide, Marc Allégret, appelé à un brillant avenir de
cinéaste, il s’agit plutôt d’une digression poétique et esthétique. La quête
de la beauté, celle de ces paysages encore vierges pour la plupart de toute
dévastation coloniale, c’est « l’homme nu », celui encore préservé de toutes
les entraves de l’occidentalisation qui transparaît dans ces plans certes
naïfs mais d’une ineffable esthétique. Si, bien entendu, les commentaires
laissent parfois percevoir quelques ethnocentrismes, il demeure cependant
que « Voyage au Congo » jette un regard bienveillant sur ce monde où candeur
et joie de vie transparaissent dans les scènes filmées en 1925.
Restauré à partir du négatif original par les Films du Panthéon et les Films
du Jeudi en collaboration avec la Cinémathèque française, « Voyage au Congo
» est le premier film de Marc Allégret. Le musicien Mauro Coceano en a
composé la musique accompagnant ces images d’une époque aujourd’hui révolue,
presque un siècle plus tard.
À la différence des jugements de Lévi-Strauss, ce ne sont pas
de « Tristes Équateurs » qui sont, ici, dévoilés par la caméra d’Allégret
mais plutôt une candeur de vie préservée, une certaine insouciance que ces
corps encore indemnes de l’influence occidentale subliment. Danses, travaux
des champs, pratiques sociales, palabres, c’est cette vie africaine que
souhaitait faire découvrir l’écrivain André Gide alors chargé de mission par
le Ministère des Colonies. L’homme blanc est étonnamment absent de cette
réalisation au style libre, renforçant ainsi cette impression de
contre-enquête ethnographique du « bon sauvage », un parti pris moderne pour
l’époque.
C’est cette poésie préservée des affres de la modernité qui a été captée sur
la pellicule et qui peut être, avec un plaisir certain de curiosité,
redécouverte grâce à cette remarquable restauration. Un film qui vaut tout
un voyage tant ces images restent longtemps gravées dans la mémoire.
"LA RUMEUR" réalisé par William
Wyler (1961) avec Audrey Hepburn, Shirley MacLaine, James Garner, DVD et BRD,
Wild Side, 2020.
Amies depuis les bancs de la faculté, Karen et Martha ont réalisé leur
rêve en ouvrant un pensionnat de jeunes filles. Mais cette promesse de
bonheur va être anéantie par le machiavélisme de Mary, une écolière
tourmentée. Ses mensonges seront le début d’un engrenage funeste…
Le réalisateur William Wyler, bien connu pour ses films « Vacances romaines
» et « Ben Hur », a également signé en 1961 un long-métrage original et à
contre-courant « La Rumeur » réunissant deux talentueuses actrices, la
rayonnante Audrey Hepburn et Shirley MacLaine. Si l’intrigue s’avère plus
que sulfureuse en ce début des années 60, « La Rumeur » qui atteindra les
deux jeunes femmes – Audrey Hepburn et Shirley MacLaine - dirigeant le
pensionnat de jeunes filles parviendra cependant à contourner la censure
implacable de l’époque en focalisant la caméra sur l’attitude et les valeurs
intransigeante de la société américaine puritaine.
Le film débute par un cadre idyllique, une vie sans histoire où la candeur
des jeunes filles de ce pensionnat se dispute à la bonne humeur dans ce qui
ressemble à une antithèse des rigoristes collèges anglais.
Mais cette atmosphère hédoniste laisse poindre quelques
nuages par un personnage inattendu, Mary, une écolière singulièrement
méchante et prête à tout pour assouvir ses velléités de domination et
manipulation. Et déjà, par son regard haineux et soupçonneux, l’univers
immaculé de ce pensionnat change d’atmosphère…
Le réalisateur souligne en une fine analyse des caractères et
une brillante direction du jeu d’acteurs les tensions des protagonistes
jusqu’à l’éclatement du scandale né de cette fameuse rumeur quant aux mœurs
des deux femmes dirigeant l’établissement… Ne pouvant centrer sa caméra sur
ce qui est alors indicible et inavouable, « La Rumeur » fait le choix habile
du traitement psychologique de l’opinion publique, cette société bourgeoisie
et aisée qui préfère condamner plutôt que comprendre, briser des vies au
lieu d’offrir un salut. C’est ce jeu de tensions qui est habilement rendu
par « La Rumeur », sans oublier « l’aveu » de Martha d’une rare sensibilité
à l’écran, une confession inoubliable qui souligne le chemin parcouru depuis
cette époque, il y a soixante ans…
« Julietta » ; Un film de Marc
Allégret avec Jean Marais, Dany Robin, Jeanne Moreau, Denise Grey, Nicole
Berger, Bernard Lancret, Georges Chamarat ; Adaptation et dialogues de
Françoise Giroud d'après l'œuvre de Louise de Vilmorin, Noir & blanc,
restauré et numérisé en 2K avec le soutien du CNC, VOD, 97 mn, Les films du
Jeudi / Les films du Panthéon – 1953.
Julietta est sur le point de faire un mariage de raison. Au cours d’un
arrêt en gare de Poitiers, la jeune fille descend du train, qui repart sans
elle. Audacieuse, elle accepte l’hospitalité de Maître Landrecourt, un beau
jeune homme. La fausse ingénue s’installe dans la maison de l’avocat,
s’immisce dans sa vie… Au grand dam de Rosie, sa fiancée.
Avec « Julietta », film de Marc Allégret réunissant de jeunes acteurs dans
l’ascension de leur talent, c’est la saveur acidulée de la plume de Louise
de Vilmorin qui transparaît dans cette réalisation soignée. Si l’histoire
peut sembler un brin mièvre et typique de nombreuses réalisations édulcorées
de cette époque, les dialogues adaptés de la romancière par Françoise Giroud
génèrent, ici, une suite d’analyses cocasses où l’ironie se charge de battre
en brèche les conventions de l’époque.
Dans un décor idyllique, Jean Marais, Dany Robin et Jeanne
Moreau resplendissent avec facilité, alors que le rythme va crescendo en une
tonalité vaudevillesque. La lumière posée sur les femmes par une femme
transparaît grâce au jeu des comédiennes qui parviennent à ne pas être
estompées par la présence écrasante de Jean Marais.
Plaisant et divertissant, « Julietta » s’avère être un film à redécouvrir
pour se plonger dans cette époque du début des années 50 et ces mutations
amorcées sur la place des femmes.
« Avez-vous la Foi ? » ; Un film de
Jon Gunn avec Mira Sorvino, Sean Astin, Alexa PenaVega, Ted McGinley ;
Versions : VF / VOSTFR, Saje Distribution, 2020.
Remué par le questionnement troublant d’un prédicateur de rue, le pasteur
Matthieu décide de mettre sa propre foi en acte. Cela va provoquer une
réaction en chaîne sur 12 personnalités différentes, dont les destins vont
s’entre croiser, toutes confrontés à la même question : Avez-vous la foi ?
Le film de Jon Gunn « Avez-vous la foi ? » s’aventure dans les méandres
toujours risqués des croyances des individus et des fondements mêmes de leur
vie. À l’heure de la laïcité exacerbée, ces questions peuvent donner
l’impression de prosélytisme, comme si la foi devait s’arrêter aux
frontières de nos convictions personnelles dans nos temples, églises,
mosquées ou synagogues pour laisser place à l’esprit public en collectivité.
Le réalisateur de « Avez-vous la foi ? » a choisi pour son film de traiter
ces questions sur le plan des zones critiques de personnages que tout sépare
et qui vont se trouver réunis en une transcendance, interrogée et vécue,
commune.
Si le traitement est bien entendu « à l’américaine » en un esprit
évangélisateur qui pourra exaspérer certains, il demeure que ce film pose de
vraies questions, celles de la tolérance, du partage gratuit et du sens de
nos vies. Rien que pour cela, et en ces temps difficiles qui s’annoncent, il
mérite d’être découvert.
« Avez-vous la foi » offre de plus un scénario enlevé,
mettant en évidence les fils ténus qui tissent nos vies, leur précarité,
comme leur force, pour tendre à autre chose que le quotidien. Les
protagonistes de ce film sont convaincants dans leur interprétation, qu’il
s’agisse du jeune noir délinquant converti au moment ultime de sa chute ou
de cette femme sans domicile fixe avec sa petite fille, désespérée et ayant
perdu la foi jusqu’à ce que…
« Avez-vous la foi ? » devrait être vu en famille ou entre amis pour
susciter un débat que l’on imagine fervent.
« Olivia » (1950) ; Un film de
Jacqueline Audry avec Edwige Feuillère, Simone Simon, Marina De Berg, Yvonne
De Bray, Suzanne Dehelly, Marie-Claire Olivia, Gabriel Sardet, Danièle
Delorme ; durée 1h35mn, Noir & Blanc, Restauré et numérisé en 2K avec le
soutien du CNC, Les Films du Jeudi, Les Films de la Pléiade, VOD Films et
Documentaires, 2020.
Fin du XIXème siècle dans une pension de jeunes filles près de
Fontainebleau, la directrice, la fascinante Mademoiselle Julie, sème le
trouble dans le cœur de la nouvelle venue, Olivia…
Un brin suranné bien que très audacieux pour son époque, le film « Olivia »
de Jacqueline Audry demeure encore aujourd’hui non dénué de charme et
transporte immédiatement le spectateur dans un univers totalement féminin et
révolu, celui de la fin du XIXe siècle, aux valeurs et ambiances encore
attachées au paraître et aux convenances. Si les valeurs morales ont depuis
été fort bouleversées après l’américanisation de la société et mai 1968, le
film « Olivia » anticipe sur ces évolutions en évoquant à mot couvert, en
1950, des relations lesbiennes dans une pension de jeunes filles…
De manière très pudique mais non cachée, la réalisatrice
Jacqueline Audry filme cet
univers en vase clos sur toute la durée de cette réalisation soignée et
esthétique. Château et parc, meubles de style et crinolines, les demoiselles
se regroupent en un phalanstère coupé du monde entre deux clans et deux
femmes charismatiques.
Assistante de Max Ophüls et de Jean Delannoy à ses débuts,
Jacqueline Audry, grande admiratrice de Colette, pointe du doigt les
multiples relations entre femmes, qu’elles soient nourries par l’amour, la
haine, la jalousie ou la fascination. L’une des rares réalisatrices de
l’après-guerre à avoir fait de la femme, et du désir, le vecteur de ses
réalisations comme dans le film « La Garçonne » où le thème de
l’homosexualité est également présent.
Avec « Olivia », c’est bien entendu Edwige Feuillère qui rayonne par sa
présence face à la facétieuse et capricieuse Simone Simon et l’ingénue
Marie-Claire Olivia. Un film de femmes, fait par des femmes, plus moderne
qu’il n’y paraît de nos jours, à redécouvrir…
« Un divan à Tunis », un film de
Manele Labidi avec Golshifteh Farahani, Majd Mastoura, Aïcha Ben Miled,
Feriel Chamari, Hichem Yacoubi ; Comédie, Durée 1h28, VOD, Diaphana, 2020.
Après avoir exercé en France, Selma, 35 ans, ouvre son cabinet de
psychanalyse dans une banlieue populaire de Tunis…
Avec « Un divan à Tunis », la réalisatrice Manele Labidi signe un premier
film alerte sur un thème original, celui de l’ouverture de son pays
d’origine, la Tunisie, aux idées de la modernité, et notamment celles de la
psychanalyse… Et, si en France, il est difficile d’ouvrir son cabinet de
psychanalyse parce qu’il y en a déjà quatre dans l’immeuble et dix dans la
même rue, en Tunisie, cela ne semble pas plus évident… Nul procès
d’intention dans sa démarche, mais plutôt le souhait d’une prise de
conscience - c’est peu dire en la matière – aux évolutions d’une société qui
au lendemain de la révolution de jasmin ayant précipité le départ du
président Ben Ali cherche encore ses repères.
Entre l’emprise croissante du fondamentaliste qui trouve
rassurant ce barbu de Freud qui ressemble à l’un des leurs, et la
superficialité consternante d’une patronne d’un salon de coiffure attachée
aux seules apparences, c’est une métaphore plaisante d’une psychanalyse «
sur le vif » de la société tunisienne à laquelle convie la réalisatrice Manele Labidi.
Entre ironie, constat parfois dépité d’une bureaucratie
inexorablement enseveli dans les lourdeurs de son inefficacité, et
soubresauts d’un semblant d’ordre avec le jeune policier, c’est tout un
maillage complexe et délicat que ce film suggère sous l’apparence d’une
légèreté masquant à peine les réalités. L’actrice d’origine iranienne
Golshifteh Farahani rayonne dans ce rôle sur mesure, dévoilant ainsi la
fragilité des certitudes de ses contemporains, à l’image des siennes. Un
film dont l’humour ne doit pas masquer les questions de fond qu’il soulève.
« Voyage sans espoir » ; Un film de
Christian-Jaque avec Simone Renant, Jean Marais, Paul Bernard, Jean
Brochard, Louis Salou, Lucien Coedel, Frédéric Mariotti, Clary Monthal ;
Comédie dramatique, 1943, Noir & Blanc, 86 minutes, Les Films du Jeudi, VOD,
Restauration et numérisation 2 K avec le soutien du CNC.
Gohelle, évadé de prison, cherche à fuir en embarquant sur un cargo. Sans
le sou, il demande à sa maîtresse, Marie-Ange, de charmer le riche Alain
Ginestier, rencontré dans le train, qui semble le pigeon idéal. Mais
Marie-Ange tombe amoureuse de Ginestier. Hélas pour elle, la fortune du
jeune homme est en fait de l’argent volé. Elle le convainc de restituer
l’argent et de s’enfuir avec elle, mais Gohelle ne l’entend pas de cette
oreille…
« Voyage sans espoir » du réalisateur Christian-Jaque (« La Symphonie
fantastique » ; « Nana » ; « La Tulipe noire » ) plonge le spectateur dans
un univers crépusculaire qui tient pour beaucoup au contexte de l’époque de
sa sortie en 1943. Dans une ambiance en effet sombre et où l’essentiel des
scènes se déroule dans la pénombre de la nuit, c’est une impression de
noirceurs percées de temps à autre d’espoirs qui domine.
Cette ambiance résulte bien entendu tout d’abord du scénario
que l’on doit à l’écrivain Pierre Mac Orlan, qui avait déjà signé celui d’un
autre grand film - le fameux « Quai des Brumes » - reposant également sur un
Réalisme poétique. L’écrivain a puisé un grand nombre d’anecdotes dans la
vie de bohème qu’il connut dans sa jeunesse dans le Montmartre du début du
XXe siècle. Christian-Jaque s’est saisi de ce scénario pour proposer un film
soigné, aux décors somptueux qu’il s’agisse des intérieurs ou des scènes
d’extérieurs, lui qui avait commencé sa carrière en tant qu’architecte
décorateur. Le choix des acteurs tient aussi à l’attrait de ce film
plaisant, Jean Marais, bien sûr, même s’il ne développe pas tout le talent
qui sera le sien quelques années plus tard dans « La Belle et la Bête »,
Simone Renant très juste dans son rôle de femme ballottée par la vie et ses
amours, sans oublier Paul Bernard et Lucien Coëdel.
Un film qui se laisse regarder avec plaisir.
« La dénonciation », 1962, un film
de Jacques Doniol-Valcroze avec Maurice Ronet, Françoise Brion, Nicole
Berger, Sacha Pitoeff, Raymond Gérome, Michel Lonsdale, Gisèle Hauchecorne ;
Coquille d'argent au Festival de San Sebastian 1962, Noir & blanc, 105 mn,
restauré et numérisé en 2K avec le soutien du CNC, VOD, Films &
Documentaires, 2020.
Le producteur de cinéma Michel Jussieu passe un matin dans un cabaret où,
la veille, il a oublié son chandail. Il est alors le témoin involontaire du
meurtre d’un journaliste d’extrême droite…
Le film « La dénonciation » développe avec une acuité saisissante le thème
de la culpabilité. Alors que tout semble aller pour le mieux pour ce
personnage alerte qui possède un travail manifestement lucratif, une belle
épouse, un cadre de vie luxuriant, un fait divers bouleverse ce quotidien
sans histoires pour faire émerger une histoire, la sienne et les affres du
passé. Coïncidence ? Rattrapé par son destin ? Le film de Jacques
Doniol-Valcroze, réalisé dans les heures sombres de l’OAS et de la guerre
d’Algérie au début des années 60, parvient à maintenir le suspense jusqu’à
son terme à partir du personnage central de Michel Jussieu interprété avec
finesse et réalisme par Maurice Ronet en un rôle qui lui sied à merveille. À
l’image de ce sourire énigmatique entre ironie et malaise si emblématique de
l’acteur, la distance vis-à-vis des choses et des êtres se trouve au cœur de
ce film dont la photographie remarquable accentue les contrastes et les
effets de noir et blanc.
Quelle part le déterminisme peut-il jouer dans la vie d’un
homme ? Est-il condamné à répéter toujours les mêmes actes selon les mêmes
failles ? « La dénonciation » apporte un élément de réponse, celle déjà
évoquée par le psychiatre autrichien Viktor Frankl, à savoir qu’entre le
stimulus d’une situation et la réponse de l’individu, il y a toujours un
espace, une part de liberté de choisir qu’il convient de saisir…
« Une vie cachée » (A Hidden Life),
durée : 2h54, Réalisé par : Terrence Malick avec : August Diehl & Valérie
Pachner, VOD, UGC DISTRIBUTION / ORANGE STUDIO, 2020.
Franz Jägerstätter, paysan autrichien, refuse de se battre aux côtés des
nazis. Reconnu coupable de trahison par le régime hitlérien, il est passible
de la peine capitale. Mais porté par sa foi inébranlable et son amour pour
sa femme, Fani, et ses enfants, Franz reste un homme libre.
Le réalisateur Terrence Malick (« La balade sauvage », « Les moissons du
ciel ») s’est attaqué à un thème inaccoutumé au cinéma avec le film « Une
vie cachée ». Les personnages habituellement traités pendant la Seconde
Guerre mondiale, qu’ils soient nazis ou victimes, ont jusqu’à ce film le
plus souvent occulté les résistants internes au nouvel ordre imposé, sujet
central retenu par le réalisateur. Le scénario s’est emparé d’une histoire
véridique, celle de Franz Jägerstätter, paysan autrichien, qui refusera
jusqu’au bout de servir le régime hitlérien. Ce film d’une durée de 3 heures
plonge le spectateur dans un univers bien particulier, à la fois onirique et
méditatif, recomposant la vie intérieure des protagonistes, celle du paysan
et de sa famille, isolés du monde dans un petit village des Alpes
autrichiennes.
Alors que la guerre semble à des milliers de kilomètres et
que le quotidien des travaux des champs et de la ferme occupe l’essentiel,
progressivement, les nuages s’amoncellent au-dessus du village, nuages
annonciateurs d’orages irréversibles.
Quelle est la part de liberté face à
un impératif aussi fort ? Quelle place la foi tient-elle dans ce combat des
valeurs morales ? Nombreuses sont les questions surgissant de cette
réalisation poétique et puissante, qui ne pourra laisser indifférent.
Favorisant la puissance des éléments et l’importance des silences aux
dialogues, les visages des acteurs composent à eux seuls une puissante
narration grâce au talent d’August Diehl et Valérie Pachner, littéralement
habités par leur rôle. La liberté transcende l’adversité et parvient à
donner un sens à la vie, celui de préférer ses convictions les plus intimes
aux conventions. Un témoignage rare et puissant, à découvrir avec ce très
beau film.
"5 est le numéro parfait" Un film de
Igort Avec : Toni Servillo, Valeria Golino, Carlo Buccirosso, VOD, M6 Video,
2020.
Peppino Lo Cicero, ex-tueur à gages de la Camorra est fier de son fils
qui gravit les échelons du crime organisé. Mais quand celui-ci est
froidement tué dans un guet-apens, il reprend du service accompagné de son
ami Toto le boucher. Leur quête de vérité va déclencher une spirale de
vengeances et de trahisons dans les clans mafieux du Naples des années 70.
Les premières scènes du film « 5 est le numéro parfait » laissent une
curieuse impression, celle d’une réalisation plus proche d’un roman
graphique mâtiné de jeu vidéo que celle d’un long-métrage classique. Rien
d’étonnant à cela puisque son réalisateur n’est autre que Igort, et que
derrière ce pseudo se cache Igor Tuveri, un brillant auteur de BD italien
qui a décidé de porter à l’écran l’une de ses créations les plus célèbres du
même nom sortie en 2002.
Aussi, « 5 est le numéro parfait » tire-t-il sa force de frappe d’un
surprenant mélange des genres, film noir à l’américaine dans un cadre
napolitain des années 70… Baignant dans une pénombre omniprésente –
jusqu’aux scènes finales pourtant baignées de lumière - où les noirs cèdent
parfois aux gris, ce film est rythmé en séquences dans lesquelles alternent
dialogues et actions à l’image d’un roman graphique.
Des incrustations à l’écran de plusieurs plans en split
screen comme cela fut pratiqué à une époque au cinéma dans les années 70, un
découpage en chapitres, des...
... ralentis vertigineux frisant parfois la parodie
comme cette chorégraphie d’un règlement de comptes au pistolet composent un
genre nouveau dans lequel Toni Servillo déploie tous ses talents avec une
aisance déconcertante, même avec ce nez busqué caricatural repris du héros
de la célèbre BD.
Même si le spectateur peut parfois se trouver déconcerté par cette approche
singulière, le charme opère grâce aux répliques souvent bien choisies, à ces
scènes singulières tournées avec un sens esthétique certain, et une approche
novatrice qui a pris le parti de sortir des sentiers battus !
"La Belle Époque" un film de Nicolas
Bedos avec Daniel Auteuil, Guillaume Canet, Fanny Ardant, Dora Tillier,
produit par Les Films du Kiosque, DVD & VOD, 2020.
Victor, un sexagénaire désabusé, voit sa vie bouleversée le jour où Antoine,
un brillant entrepreneur, lui propose une attraction d’un genre nouveau :
mélangeant artifices théâtraux et reconstitution historique, cette
entreprise propose à ses clients de replonger dans l’époque de leur choix.
Victor choisit alors de revivre la semaine la plus marquante de sa vie :
celle où, 40 ans plus tôt, il rencontra le grand amour…
« La Belle Époque » est une expression encore quelque peu usitée chez les
post-quinquas pour évoquer ces instants relevant d’un passé insouciant où
tout semblait sourire à la vie. Le film de Nicolas Bedos invite le
spectateur à ce travail de mémoire – sous le ton de la comédie – avec
Victor, sexagénaire, quelque peu déphasé dans cette époque et modernité dans
lesquelles il ne se reconnait plus, lui qui avait connu l’insouciance et la
liberté des années 70, années également de son grand amour, aujourd’hui
quelque peu tari par des années de conjugalité… À partir de ces lignes
directrices, Nicolas Bedos a conçu un film alerte, qui débute de manière
déroutante au rythme du zapping et des interruptions incessantes de notre
quotidien pour, lentement, entamer un decrescendo sous la forme de la
réminiscence – artificielle certes – mais suffisante pour replacer les
priorités des protagonistes. « La Belle Époque » livre alors un film
détonnant, imprévisible en une confrontation d’époques et de dialogues en
jeu de quilles…
Le passé, la nostalgie, les ambitions
échouées surgissent sur commande – ou presque – dans la virtualité d’une
mémoire recomposée. Qu’advient-il lorsque le virtuel devient plus vrai que
le réel, lorsque les choses s’entrechoquent et s’inversent ? Les acteurs
prennent manifestement un certain plaisir à ce jeu, Daniel Auteuil et Fanny
Ardant plus vrais que nature, Guillaume Canet brillamment empêtré dans ce
jeu de reconstitution, sans oublier Dora Tillier qui livre dans ce film un
jeu sensible à fleur de peau. De bonnes répliques, des scènes assez justes.
Que reste-t-il lorsque tout est bidon ?
« La Belle Époque » convoque nos vies : Et si derrière les façades de nos
fausses virtualités, nous redécouvrions ce qui est vrai ?
« Le Photographe » un film de Ritesh
Batra avec Nawazuddin Siddiqui, Sanya Malhotra, Abdul Quadir Amin, Denzil
Smith, VOD, Le Pacte, 2020.
Rafi, modeste photographe, fait la rencontre d'une muse improbable, Miloni,
jeune femme issue de la classe moyenne de Bombay. Quand la grand-mère du
garçon débarque, en pressant son petit-fils de se marier, Miloni accepte de
se faire passer pour la petite amie de Rafi. Peu à peu, ce qui n'était
jusque-là qu'un jeu se confond avec la réalité…
C’est à la découverte d’une Inde sensible à laquelle nous convie le
réalisateur Ritesh Batra par ce film finement traité, et qui d’une certaine
manière poursuit l’inspiration première de son film « The Lunchbox ».
Face à la modernité de la société indienne, les structures ancestrales
demeurent et le système des castes reste pour la jeunesse contemporaine,
soumise tout à la fois aux exigences économiques souvent dures et aux
modèles internationaux, omniprésent dans les relations. Sans caricature, « Le Photographe » suggère une union
possible entre deux êtres que tout sépare, reposant sur les affinités
amoureuses et dépassant les clivages irréductibles. C’est un tableau de
l’Inde moderne que propose le film « Le Photographe », sans concessions et
pourtant empreint d’une poésie certaine et doublé d’une esthétique réussie.
Les couleurs de l’Inde transpercent en effet de manière récurrente le
quotidien, pourtant souvent sombre, des classes défavorisées. Ritesh Batra
parvient même, spontanément, à rendre leur vie bien plus lumineuse que celle
des classes moyennes, pâle reflet d’un occident artificiellement assimilé.
La truculence de la grand-mère de Rafi, les rires et complicités de ses
compagnons d’infortune sont à mille lieues des impressions négatives
éprouvées par le poète Pier Paolo Pasolini lors de sa découverte de ce
continent. Le spectateur se trouve rapidement convié à cette sensible
vitalité avec ce film touchant d’une pudeur manifeste non dénuée d’humour.
Il ressentira alors l’étrange impression d’un voyage spontané dans une
culture pourtant encore si différente de la nôtre, ainsi qu’en témoigne la
conclusion bien pensée de cette belle histoire.
"Les siffleurs" un film de Corneliu
Porumboiu avec Vlad Ivanov, Catrinel Marlon, Rodica Lazar, Antonio Buil,
Agustí Villaronga, Sabin Tambrea, VOD, Diaphana Distribution, 2020.
Cristi est un inspecteur de police de Bucarest désabusé et corrompu.
Embarqué malgré lui par la sulfureuse Gilda sur l’île de la Gomera, il doit
apprendre le Silbo, une langue sifflée ancestrale dans le but d’aider un
groupe mafieux à faire évader Zsolt. En effet, seul ce dernier sait où sont
cachés 30 millions d’euros issus du trafic de drogue. Mais c’était sans
compter sur la police, à la recherche de ce même butin. Et de l’amour qui va
s’en mêler.
« Les siffleurs » s’avère être un thriller singulier et déroutant. Les
dialogues laissent rapidement la place à une autre communication, celle
héritée de la nature avec ce curieux langage des sifflements, propres aux
oiseaux et imités par les hommes avec le Silbo. Nulle invention, là, du
réalisateur Corneliu Porumboiu, mais une réelle pratique ancestrale existant
sur l’une des sept îles des Canaries, La Gomera, depuis des milliers
d’années.
Ce film aux contrastes saisissants entre pénombres et
luminosité de la nature insulaire, retenant une violence des plus froides,
place au centre de l’intrigue ce moyen atypique de communication utilisé par
un groupe mafieux afin de protéger leurs malversations.
Corneliu Porumboiu
suggère avec « Les siffleurs » une allégorie des années après Ceaușescu avec
cet univers encore prégnant de caméras omniprésentes espionnant les
protagonistes, les mafieux, mais aussi la police également corrompue, et que
le spectateur a du mal parfois à distinguer…
Vlad Ivanov incarne idéalement ce policier désabusé, ballotté par les
évènements qu’il pensait initialement contrôler, influencé par deux femmes,
sa mère et une femme fatale mafieuse qui bouleverse sa vie. Mais, par-delà
ce sombre paysage évoqué par un scénario volontairement découpé avec des
plans serrés et des cadrages soignés, c’est la communication entre les êtres
et l’amour qui peut en découler, dépassant les conventions classiques du
langage – avec également cette omniprésence de la musique classique – et
réunissant des êtres en souffrance.
La scène finale du film imprime en point d’orgue cette sensation absolue que
rien ne peut séparer deux âmes qui s’aiment…
"La Passion du Christ", un film de
Mel Gibson, avec Jim Caviezel, Monica Bellucci, Maia Morgenstern ; Langue :
Araméen, Latin, Hébreux, sous-titres : Français / Anglais, VOD, du 5 au 12
avril, Saje Distribution 2020.
Les douze dernières heures de la vie du Christ. Rendu au Mont des
Oliviers, Jésus prie après avoir partagé un dernier repas avec ses apôtres.
Il résiste maintenant aux tentations de Satan. Trahi par Judas, Jésus est
arrêté et emmené à Jérusalem, où les chefs des Pharisiens l'accusent de
blasphème et lui font un procès qui a pour issue sa condamnation à mort...
"La Passion du Christ" a à maintes reprises été portée au cinéma par
différents réalisateurs. Rares sont, cependant, celles qui ont suscité
autant de polémiques que la version de Mel Gibson. Avec le recul – le film
est sorti en 2004 - nous pouvons aujourd’hui retrouver plus au calme cette
belle réalisation et découvrir le dramatique chemin de croix de Jésus,
condamné par la haine des hommes, indépendamment des confessions ou
appartenances politiques de l'époque.
La réalisation doloriste de Mel Gibson débute par une vision spectrale à
Gethsémani, la brume dressant parmi les oliviers faiblement éclairés par la
lune un paysage oppressant. Dans ce cadre, l’angoisse du Christ s’avère
parfaitement rendue par la caméra du réalisateur, ces moments de peur du
Fils de l’Homme qui, sur le front de Jim Caviezel, se traduisent par des
gouttes de sang suivant le texte des Écritures. Puis surviennent la trahison
de Judas et le déchaînement de la violence sur cet agneau sacrifié en
victime expiatoire. C’est cette violence, cet angle volontairement retenu par Mel
Gibson, qui a fait débat lors de sa sortie, la plupart des autres
réalisations ayant préféré la suggérer plutôt que l’exposer.
Si dans nos
sociétés occidentales, paradoxalement la violence s’affiche sans retenue, la
mort en revanche a été largement mise à l’écart, et on peut légitimement se
demander si le peintre allemand de la Renaissance Matthias Grünewald célèbre
pour son retable d’Issenheim aurait pu aujourd’hui représenter une telle
vision du Crucifié ? Les vives réactions suscitées lors de la sortie de « La
Passion du Christ » n’imposent-elles pas la réponse ?
La version de Mel Gibson, à la différence de celle plus socialisante d’un
Pasolini par exemple, met l’accent sur la condamnation aveugle des hommes,
prêts à tout afin de préserver leurs privilèges. Mais, contrairement à ce
qui a été souvent dit, nulle haine, ni condamnation, ne viennent poindre sur
le visage et les mots du supplicié : si ces sentiments naissaient chez ceux
qui verraient ce film, alors le message de l'homme porté à la Croix ne
serait une fois de plus pas compris. Un très beau film dont certaines scènes
sont peut-être à éviter aux jeunes enfants.
"Les Eblouis", un film de Sarah Suco
avec Camille Cottin, Jean-Pierre Darroussin, Eric Caravaca et Céleste
Brunnquell, VOD, Pyramide Distribution, 2020.
Camille, 12 ans, passionnée de cirque, est l’aînée d’une famille
nombreuse. Un jour, ses parents intègrent une communauté religieuse basée
sur le partage et la solidarité dans laquelle ils s’investissent pleinement.
La jeune fille doit accepter un mode de vie qui remet en question ses envies
et ses propres tourments. Peu à peu, l’embrigadement devient sectaire.
Camille va devoir se battre pour affirmer sa liberté et sauver ses frères et
soeurs.
Sarah Suco livre avec son premier film « Les Éblouis » un témoignage à la
fois fort, pudique et éloquent sur les dérives et l’emprise que certaines
personnes et groupes peuvent exercer sous le prétexte de la foi ou d’une
idéologie. À partir d’une expérience personnelle – celle qu’elle subit
pendant une dizaine d’années avant sa majorité – la réalisatrice a fait
choix de situer cette histoire sobre, mais néanmoins puissante, dans un
cadre contemporain. Si cette mouvance est explicitement inscrite dans le
cadre de l’Église catholique et d’une déviance charismatique comme ce fut le
cas à de nombreuses reprises par le passé, il ne s’agit pas pour autant de
faire des amalgames et condamner la religion dans son ensemble.
Le discours est fort heureusement plus subtil, celui qui
souligne et démonte les rouages de l’emprise psychologique de quelques «
meneurs » sur des hommes, des femmes et des enfants plus fragiles encore, et
sur lesquels tout un réseau de dépendances fondées essentiellement sur la
culpabilité et la séduction se tisse. Loin de tout manichéisme outrancier –
la réalisatrice avoue d’ailleurs avoir laissé de côté bien des pratiques
plus condamnables dans son film – « Les Éblouis » révèle combien,
progressivement, les individus se trouvent dépossédés d’eux-mêmes, et pire
encore, de leurs proches. Antithèse de l’amour et du partage officiellement
avancés pour fonder ces communautés, ce sont les contraintes physiques et
psychologiques, la manipulation et la dépendance, qui se trouvent érigées en
code de conduite et duquel il est bien difficile de s’échapper. C’est
pourtant ce combat que mènera la jeune Camille, brillamment interprétée par
la jeune comédienne Céleste Brunnquell, entourée de comédiens adultes ou
plus jeunes encore tout aussi éblouissants, et donnant au film un ton juste.
Camille, étonnante de sincérité et de véracité, afin de rompre cette emprise
infernale, emprise qui malheureusement se perpétue encore trop souvent de
nos jours.
« It must be Heaven », un film de
Elia Suleiman avec Elia Suleiman, Durée 1h42, Scénario Elia Suleiman,
Directeur de la photographie Sofian El Fani, Montage Véronique Lange,
Costumes Alexia Crisp Jones et Eric Hildenbrand. VOD à partir du 15 avril,
Le Pacte, 2020.
Elia Suleiman fuit la Palestine à la recherche d'une nouvelle terre
d'accueil, avant de réaliser que son pays d'origine le suit toujours comme
une ombre. La promesse d'une vie nouvelle se transforme vite en comédie de
l'absurde. Aussi loin qu'il voyage, de Paris à New York, quelque chose lui
rappelle sa patrie.
Heureux qui comme Elia Suleiman a fait un beau voyage et puis… est retourné
en Palestine, à Nazareth, sa ville natale qu’il pensait pourtant fuir pour
trouver une autre terre promise. Mais le réalisateur n’est pas à un paradoxe
prêt, lui qui n’hésite pas à se présenter comme Palestinien alors qu’il
possède un passeport israélien. Après « Intervention divine » sur le
quotidien en terres palestiniennes, « It must be Heaven » s’avère être un
film tout aussi singulier que déroutant sur ce qui compose nos racines et
les motifs de les interroger.
À l’image de ce petit citronnier que l’acteur-réalisateur
soigne patiemment dans son appartement à Nazareth, l’homme est souvent plus
ou moins transplanté hors de son substrat natif, la vie se chargeant
d’infirmer ou de confirmer ce sentiment.
Pour Suleiman, le quotidien de
Nazareth lui apparaît plein de contradictions, telle cette scène ouvrant ce
film à la fois pudique – le réalisateur et comédien ne prononcera seulement
que quelques mots – et burlesque : une procession de croyants arrive devant
les portes fermées d’une église que ses occupants refusent d’ouvrir, rappel
à peine voilé des situations aberrantes qui ont lieu au quotidien en Terre
sainte sur les sites partagés entre les différentes confessions. L’identité
est au cœur du long cheminement mené par Suleiman, qui transporte le
spectateur de Nazareth à Paris, puis de Paris à New York, à chaque étape les
aberrations de la vie moderne occupant tout l’espace couvert par la caméra.
Le burlesque bouscule le non-sens, la satire alterne avec la quête
identitaire. Sommes-nous condamnés à toujours mener une vie errante ? Le
lien et la communauté seront au centre des espoirs de ce film étonnant qui
conduira immanquablement le spectateur à s’interroger sur le sens de sa vie,
ce qui n’est pas le moindre de ses mérites.
TEMPS SANS PITIÉ (Time Without Pity),
Un film de Joseph LOSEY, avec Michael REDGRAVE, Ann TODD, Leo McKERN, Peter
CUSHING, Alec McGOVERN, Lois MAXWELL, musique John MORRIS, directeur de la
photographie Frederick FRANCIS, montage Alan OSBISTON, scénario Ben BARZMAN,
musique Tristram CARY produit par John ARNOLD et Anthony SIMMONS, Drame,
Royaume-Uni, 1957, 89mn, N&B, Carlotta distribution, version restaurée.
À sa sortie de cure de désintoxication, David Graham apprend la condamnation
à mort de son fils Alec pour le meurtre de sa petite amie. Il ne reste plus
que vingt-quatre heures avant que la sentence soit appliquée. Persuadé de
son innocence, David débarque à Londres pour mener l’enquête et découvrir
l’identité du véritable assassin. Au cours de cette journée cauchemardesque,
il va aussi devoir lutter contre ses propres démons…
C’est une véritable course contre la montre qui est lancée
sur ces 24 heures, des heures qui seront fatales à la vie d’un homme accusé
d’un meurtre, alors que son père est persuadé de son innocence. Ce film
plaidoyer contre la peine de mort débute pourtant mal, son avocat est
convaincu qu’il n’y a plus rien à faire, les différents témoins entendus
convergent vers la même conclusion : Alex est coupable de ce crime et rien
ne pourra empêcher sa pendaison le lendemain…
Mais son père David, interprété avec une rare
intensité par Michael Redgrave, va non seulement combattre contre cette
issue fatale, mais également contre sa propre face sombre, l’alcool qui le
ronge et le fait qu’il a été jusqu’alors un étranger éloigné pour son fils.
Le réalisateur d’origine américaine Joseph Losey (The Servant et Monsieur
Klein) exilé au Royaume-Uni pour échapper au maccarthysme sait ce que
signifient les condamnations sans appel.
En un rythme crescendo, le combat
du père pour rétablir la vérité se transforme en spirale infernale emportant
toutes les certitudes – y compris les siennes – sur son chemin. Les façades
s’écroulent, les non-dits s’effondrent pour atteindre à son paroxysme lors
de la scène finale opposant le tueur et le père sur la piste d’essai
automobile.
Cette course contre la montre oppose en effet la froide logique
d’un homme – et d’une société – épris de contrôle alors que le personnage
interprété par Michael Redgrave démontre que de la fragilité la plus extrême
peut surgir la vérité, aussi douloureuse soit-elle. Un film captivant,
angoissant, particulièrement soigné dans sa réalisation et que cette
restauration met en valeur !
« Le Mystère von Bülow » Barbet
Schroeder réalisation, Titre original : Reversal of Fortune, avec Jeremy
Irons, Glenn Close, Ron Silver, Annabella Sciorra, Sortie le 4 mars 2020,
Oscar 1991 du Meilleur Acteur Distribution Acacias Films
Une des plus riches héritières des États-Unis, Sunny von Bülow, est
retrouvée dans un coma profond provoqué par une surdose d’insuline. Son
second mari, Claus, personnalité inquiétante et charismatique, est
instantanément accusé d’avoir tenté de l’assassiner et est condamné à 30 ans
de prison. Décidé à prouver son innocence, il obtient le concours du célèbre
avocat Alan Dershowitz qui, aidé de ses étudiants, va mener une enquête
riche en révélations pour le disculper. Le procès ultra-médiatisé qui va
suivre sera la dernière chance d’éclaircir le mystère von Bülow.
Voici un film qui sort de nouveau en salle et qui avait à l’époque fait
beaucoup parler de lui, à l’égal de l’affaire qui en est le thème principal.
Le réalisateur Barbet Schroeder avoue avoir été passionné par le sujet,
presque digne en lui-même d’un scénario de film. Le scénario du « Mystère
von Bülow » sera, en fait, principalement bâti à partir du livre de l’avocat
d’Alan Dershowitz traitant de cette pénible affaire et sur des centaines de
dépositions de Claus von Bülow décrivant dans le détail leur vie quotidienne
à Clarendon Court.
À partir de cette trame et de trois acteurs littéralement
habités par leur rôle, le Mystère von Bülow peut se développer en une
intensité crescendo.
Jeremy Irons apparaît comme le coupable idéal, un homme
perverti par un milieu privilégié qui ne peut que nourrir des relations
malsaines et intéressées. Mais au fil du temps, ces certitudes s’effritent,
même chez l’intrépide avocat, spécialiste des causes perdues…
La victime ne
semble plus si étrangère à ces malaises, son mari moins glacial qu’il n’y
paraît.
Tout est affaire de nuances, d’impressions, ces choses du quotidien
qui font et défont les vies. Le contraste entre l’équipe de l’avocat,
véritable œuvre collective non dénuée d’ailleurs de tensions et rivalités,
est saisissant avec cet univers glacé fait de conventions et de non-dits de
la famille von Bülow.
Le Mystère von Bülow parvient ainsi à suggérer ces
différences non seulement sociales mais également psychologiques des
protagonistes en une palette d’émotions assez fine et variée. Qui est le
vrai coupable, quelle vérité dans cette tragique et sombre histoire ? Qui
peut trancher ?
Claus von Bülow est décédé l’année dernière en 2019, à l’âge de 92 ans,
emportant avec lui dans la tombe probablement la clé de cette énigme, si
tant est, qu’il la savait…
« Le réseau SHELBURN » un film de
Nicolas Guillou avec : Alexandra Robert, Laurent Chandemerle, Thomas
Blanchet, Brice Ormain, Éric Simonin, Boris Sirdey, Antoine Michel. FRANCE ·
2019 · 2h03 · COULEUR · SCOPE · 5.1 Vent d’Ouest Distribution au cinéma le
22 janvier 2020.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, plus de 10 000 avions alliés tombent
sur le sol français. De 1943 à 1944, le Réseau Shelburn est mis en place par
les alliés et la Résistance Française pour évacuer les aviateurs vers
l’Angleterre. Dans les Côtes du Nord, à Plouha, Marie-Thérèse Le Calvez,
résistante depuis les premiers jours de l’occupation, va mettre son courage
au service de la liberté. Baignée entre incertitude et désespoir, quel prix
devra-t-elle payer pour que l’opération soit une réussite ?
Le réalisateur Nicolas Guillou s’est saisi avec « Le réseau Shelburn » d’un
thème puissant et jusqu’alors absent du grand écran, celui de la Résistance
Française ayant permis l’évacuation des aviateurs alliés tombés sur le sol
français alors occupé. Avec un budget réduit et de faibles moyens, ce long-métrage
parvient à évoquer – souvent avec plus de force que plus d’une super
production – le courage, la détermination, mais aussi les peurs et
faiblesses de ces femmes et de ces hommes qui surent dire non à l’oppression
nazie. C’est d’ailleurs une femme qui est l’héroïne principale de ce film
qui se déroule essentiellement en Bretagne ; Marie-Thérèse Le Calvez a
réellement existé ainsi que ce Réseau qui se mit rapidement en œuvre en 1943
afin d’évacuer, avec 8 missions qui tenaient quasiment du suicide, les
aviateurs alliés sous la barbe des soldats allemands surveillant la côte.
Bénéficiant de l’adhésion d’un grand nombre de personnes, anonymes et
passionnés, par l’histoire de la Résistance, Nicolas Guillou est parvenu à
évoquer de manière réaliste et néanmoins sensible ce quotidien fait
d’hébergements clandestins, de transmissions au péril de leur vie et celle
de leurs proches, et de convictions, mais aussi de dissimulations afin
d’échapper aux terribles délations nombreuses en ces temps troublés… Les
cadrages privilégient le quotidien de ces femmes et de ces hommes de
courage, sans pour autant s’abstraire de la nature environnante qui rappelle
que le cours de la vie se poursuit au gré des saisons, malgré l’adversité et
ceux qui tombent. Un témoignage précieux et une mémoire à partager avec les
plus jeunes…
HERBES FLOTTANTES (Ukigusa) un film
de Yasujiro OZU avec Ganjiro NAKAMURA, Machiko KYO, Ayako WAKAO, Hiroshi
KAWAGUCHI, Haruko SUGIMURA, scénario Kogo NODA et Yasujiro OZU, musique
Takanobu SAITO, directeur de la photographie Kazuo MIYAGAWA, décors Tomoo
SHIMOGAWARA, producteur Masaichi NAGATA , Drame, Japon, 1959, 119mn,
Couleurs, 1.33:1, Carlotta, 2019.
Une petite troupe de théâtre kabuki débarque dans un village de pêcheurs
au sud du Japon. Il y a des années, leur meneur, Komajuro, avait eu une
aventure avec l’une des habitantes. De leur brève union est né un garçon,
Kiyoshi, qui ignore tout de l’identité de son père. Mais ce dernier n’est
pas le seul à qui Komajuro a caché la vérité. Lorsque Sumiko, sa maîtresse
actuelle et comédienne de la troupe, découvre l’existence de Kiyoshi et de
sa mère, elle décide de se venger…
Heureuse initiative de Carlotta de proposer de nouveau en salle le film de
Yasujiro Ozu Herbes flottantes, qui n’avait pas été projeté au cinéma
depuis plus de 25 ans. Avec cette version restaurée 4K, c’est une véritable
ode à la couleur que le célèbre réalisateur japonais offre ainsi,
aujourd’hui, à l’écran. Il s’agit en fait du remake d’un film antérieur
d’Ozu, Histoire d’herbes flottantes (1934), qui était initialement en noir
et blanc et muet.
Grâce au procédé Eastmancolor, la splendeur des paysages
et des intérieurs rayonne à l’écran et sert d’écrin à cette histoire qui
débute de manière bucolique et enlevée sur fond musical léger.
L’impression qui domine alors est celle de ces images du
monde flottant de la fin du XIXe siècle japonais propres aux estampes. La
troupe de kabuki déambulant en habits traditionnels, les gros plans avec
caméra au sol en cette prise de vues si emblématique du grand réalisateur
sont autant d’instantanés à forte impression graphique. Mais Herbes
flottantes sait dépasser ce cadre esthétisant pour dessiner progressivement
un autre tableau, celui des sentiments qui s’exacerbent avec la progression
du film. Des dialogues savamment étudiés, entrecoupés de silences éloquents,
l’humour scandant les scènes se transformant en violence morale et même
physique ; c’est une tension plus inhabituelle des films d’Ozu qui
s’instille alors dans la seconde partie d’Herbes flottantes.
Servi par un
jeu d’acteur fort et puissant, ce long-métrage tourné loin de la Shochiku en
faveur de la Daiei et de son puissant producteur Masaichi Nagata offre un
nouveau visage dans la filmographie d’Ozu avec des scènes d’une grande
tension psychologique comme celle de la violente querelle entre le directeur
de la troupe et sa maîtresse séparés par une trombe de pluie. Herbes
flottantes est une ode à la couleur et à la lumière comme pour mieux
éclairer ce remarquable et sombre tableau des sentiments. A ne pas rater !
Attaque à Mumbai (2h 05min), un film
de Anthony Maras avec Dev Patel, Armie Hammer, Jason Isaacs, sortie 4
juillet 2019 en E-Cinema VOD
Novembre 2008, une série d’attaques terroristes a lieu dans la ville de
Mumbai. Durant trois jours, des hommes armés prennent d’assaut le légendaire
Taj Mahal Palace Hôtel en retenant les clients et les employés qui s’y
trouvent. L'histoire vraie des attaques terroristes qui se sont déroulées à
Mumbai en novembre 2008.
C’est à une véritable enquête journalistique à laquelle s’est livré le
réalisateur Anthony Maras pour cet impressionnant long-métrage consacré aux
évènements qui se sont déroulés à Bombay en 2008. Prenant pour cadre le
légendaire palace Taj Mahal Hotel, le film évoque en un huis clos éprouvant
ce tragique évènement. À partir de points de vue des différents
protagonistes, Antony Maras a opté pour des scènes fortes extrêmement bien
maîtrisées, mais sans ajouter à l’horreur des faits.
Si la froideur et l’endoctrinement aveugle des terroristes ne
surprennent pas vraiment, la surprise vient du comportement d’une grande
partie du personnel de l’hôtel qui paya d’ailleurs chèrement de leur vie ce
courage. Refusant d’abandonner leurs clients terrorisés dans leur
suite, ils eurent pourtant au même titre à subir la rage folle des
assaillants.
Face à l’indigence des forces spéciales mettant trois jours à
pouvoir intervenir, c’est une lutte pour la vie qui s’est engagée avec des
moments forts tels ces longues pérégrinations dans d’interminables couloirs
fuyant les terroristes. Parmi les personnages, le Chef et un serveur vont
organiser cette survie avec courage pour leurs clients.
Il a fallu à Antony Maras de nombreuses heures pour écouter
les conversations téléphoniques laissées par les téléphonies, relire les
témoignages des clients otages de l’hôtel, et restituer avec ce réalisme
certain ce drame qui laisse encore, plus de dix ans après, sans voix.
« BIANCA », un film de Nanni MORETTI
avec Nanni MORETTI et Laura MORANTE, Comédie dramatique, Italie, 1984, 98mn,
Couleurs Réalisation : Nanni MORETTI, Carlotta, en salle le 5 juin.
Michele Apicella, professeur de mathématiques, vient d’être muté au lycée
Marilyn Monroe, établissement aux méthodes d’enseignement alternatives. Son
passe-temps favori est d’observer la vie des gens, couples d’amis ou simples
voisins, et de retranscrire leurs faits et gestes dans ses carnets. Doté
d’une éthique ultraexigeante, croyant à la fidélité absolue, Michele cherche
la femme idéale. Mais lorsqu’il croit l’avoir trouvée en la personne de
Bianca, professeur de français dans son établissement, il se met à paniquer.
Pendant ce temps, certaines personnes de son entourage meurent dans des
conditions mystérieuses…
Nanni Moretti
signe avec Bianca, en 1984, un film puissant et désopilant comme le
réalisateur les affectionne. Son héros, Michele Apicella, est lui-même
déroutant, séduisant ses amis comme des inconnus par son empathie et cette
intelligence que l’on qualifierait d’émotionnelle de nos jours. Alors ce personnage interprété avec toute la verve de Nanni
Moretti scrute, analyse et espionne son entourage pour traquer leurs failles
et les exhorter à rester sur la voie de son éthique bien particulière.
Mais cette bienveillance cache un secret, un terrible gouffre
qui engloutit tout sur son passage. Michele est, en effet, un idéaliste, en quête d’absolu
inatteignable, cause de sa solitude.
Sa
vie se compose de petites manies, notamment celle de noter dans ses carnets
les faits et gestes tirés de ses observations incessantes, son acuité à
l’observation des couples et des familles pouvant le faire passer pour un
sociologue averti. Et pourtant, par-delà les scènes loufoques et farfelues,
la névrose gagne, celle qui ronge le personnage et ceux qui l’approchent de
trop près. Et alors, surgit un autre visage, nettement moins séduisant,
celui de la Gorgone qui tue de son regard quiconque l’observe, un
renversement des rapports entre observé et observateur qui conduira à la
fatalité de ce film désopilent et néanmoins plaisant…
scénario : Nanni MORETTI et Sandro PETRAGLIA, Musique : Franco PIERSANTI,
Montage : Mirco GARRONE, Directeur de la photographie : Luciano TOVOLI,
Décors : Giorgio LUPPI et Marco LUPPI, Production : Achille Manzotti, Faso
Film/Rete Italia, Au cinéma le 5 juin 2019 en version restaurée dans le
cadre de la rétrospective VIVA NANNI qui propose également un autre grand
film du réalisateur : « La messe est finie ».
L’Héritage des 500 000 (Gojumannin
no isan), un film de Toshiro MIFUNE avec Toshiro MIFUNE, Tatsuya MIHASHI,
Tsutomu YAMAZAKI, Mie HAMA, Yuriko HOSHI et Tatsuya NAKADAI, Japon, 1963,
98mn, N&B, 2.35 Scénario : Ryuzo KIKUSHIMA, Musique : Masaru SATO, Montage :
Shuichi ANBARA, Directeur de la photographie : Takao SAITO, Production :
Masumi FUJIMOTO et Tomoyuki TANAKA, En salle, Carlotta, 2019.
Durant la Seconde Guerre mondiale, le commandant Matsuo a participé à
l’ensevelissement de plusieurs milliers de pièces d’or dans la jungle
philippine. Alors qu’il pensait ce trésor enfoui à tout jamais, emportant
avec lui le souvenir des cinq cent mille soldats japonais morts sur cette
île, voilà qu’un riche homme d’affaires, Mitsura Gunji, lui propose de
partir à la recherche du butin. Contraint d’accepter, Matsuo retourne aux
Philippines accompagné de quatre hommes recrutés par Gunji…
Si Toshiro Mifune, l’acteur fétiche du grand réalisateur
japonais Kurosawa, est bien connu du public occidental amateur de cinéma
japonais, peu savent cependant qu’il passa de l’autre côté de la caméra pour
réaliser un unique film en 1963, intitulé L’Héritage des 500 000, et
aujourd’hui en salle pour la première fois en France. Un événement à ne pas
manquer.
L’exercice d’un grand acteur se métamorphosant en réalisateur
talentueux n’est guère fréquent, et n’est pas Clint Eastwood qui veut !
Cependant, force est de constater que le charme opère immédiatement pour
cette réalisation signée Mifune, tout à la fois, ici, réalisateur et acteur.
Dès les premières scènes de ce film en noir et blanc, l’amour que Mifune
porta toujours à la photographie se manifeste avec des plans de toute beauté
dans le cadre urbain du Japon tout comme dans la nature sauvage des
Philippines.
Partant d’une légende – l’or de Yamashita - dont certains
soutiennent la possible véracité d’un trésor de guerre composé de milliers
pièces d’or enfoui aux Philippines pendant l’occupation japonaise lors de la
Seconde Guerre mondiale, le film développe librement le récit de ces hommes
à la recherche du butin enfoui dans le plus grand secret par les officiers
en déroute. Plus que l’intrigue en elle-même, c’est le traitement opéré par
le réalisateur - et l’acteur – Toshiro Mifune qui confère tout son intérêt à
ce long-métrage. Offrant en effet un véritable voyage dans l’âme de chacun
de ces protagonistes ayant pour la plupart connus les affres de la guerre,
ce retour aux Philippines est aussi celui du sens de la vie pour chacun
d’entre eux. Entre froids calculs de personnes désabusées par les souvenirs
de la guerre et ayant sombré dans le banditisme et l'honneur maintenu
jusqu’au bout, chaque acteur – à noter l’apparition du légendaire Tatsuya
Nakadai en début de film - développe une palette de sentiments étendue qui
donne toute sa saveur à ce film étonnant et assurément à découvrir en salle.
"Fukushima, le couvercle du soleil" Un film de
Futoshi Sato, Japon, 1h30, Couleur, Flat, 5.1, 2018.
Le 11 mars 2011, le Japon est secoué par un séisme, suivi d’un tsunami et
de la triple catastrophe nucléaire de Fukushima. L’équipe du Premier
ministre, Naoto Kan, tente de faire face à cette situation. Que s’est-il
passé réellement à la résidence du Premier ministre au moment de la pire
crise de l’histoire du pays ? La vérité a-t-elle été entièrement révélée ?
Chronique...
Fukushima, littéralement l’île de la bonne fortune, a connu le triste sort
d’un des séismes les plus importants de l’histoire du Japon. Un séisme ou
plutôt des séismes successifs qui furent suivis d’un violent tsunami
provoquant cette catastrophe nucléaire que personne n’a pu depuis oublier et
portant tristement désormais son nom.
Vu de l’Occident,
cet effroyable accident a été perçu comme un évènement catastrophique plus
que regrettable mais venant après celui de Tchernobyl, un « on le savait
bien »… Mais au Japon même, on s’en doute, cette tragédie nucléaire a été
vécue avec angoisse et panique, un drame en écho avec cette hantise
japonaise du nucléaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est ce
vécu ne pouvant recevoir que bien peu de mots dont témoigne ce passionnant
film réalisé par Futoshi Sato et intitulé tout simplement « Fukushima, le
couvercle du soleil ».
Menée comme une enquête journalistique, cette
réalisation a fait le choix de la sobriété malgré la gravité des évènements. Futoshi Sato a privilégié l’analyse de la réaction des pouvoirs publics sur
fond d’enquête journalistique face à la catastrophe, en contrepoint de
l’action héroïque d’un certain nombre d’employés de la centrale, et d’une
population apeurée évacuée toujours plus loin… Il a été reproché au Premier
ministre de l’époque, Naoto Kan, de n’avoir pas réagi avec efficacité aux
évènements, une inertie manipulée par les médias et l’opinion publique, et
qu’entend justement réévaluer ce film engagé.
Si certains
éléments relèvent de la fiction, l’essentiel des faits a, en effet, été
retenu. Et si les responsables politiques apparaissent à l’écran consternés
et atterrés par ce qui survient, il apparaît rapidement que le Premier
ministre tente de prendre et d’imposer des mesures de protection pour la
population civile afin de limiter les contaminations et établit une gestion
de crise avec la société responsable de la gestion de la Centrale, un
dernier élément plus que sensible.
Mené selon un rythme effréné, alternant angoisse et urgence,
scènes intimistes, ambiance de cellules de crise et de conférences de
presse, "Fukushima, le couvercle du soleil" souligne toute la perfectibilité
des créations humaines lorsque la nature reprend ses droits (70 % de la
population japonaise est aujourd’hui opposée au nucléaire), une
toute-puissance pour des jours radieux qui apparaîtra bien fragile et
consternante au terme de ce beau film à découvrir en salle.
David Grieco est un talentueux
réalisateur italien (Evilenko 2004) qui a connu dans sa jeunesse
Pier Paolo Pasolini dont il a été l'assistant pour ses films et l'ami
jusqu'à sa disparition tragique. Convaincu que le grand intellectuel
italien pourfendeur de la société de son temps n'est pas mort d'un
simple assassinat crapuleux, il a réalisé un film sensible et engagé, La
Macchinazione, dans lequel il évoque sa vision de cette disparition.
Rencontre avec David Grieco autour de ce film et de son témoignage
personnel.
ous avez connu Pier Paolo Pasolini et
avez travaillé pour lui très tôt dans votre carrière cinématographique.
Quel souvenir gardez-vous de lui ?
David Grieco :
J’ai connu Pasolini alors que j’étais âgé
d’une dizaine d’années. Pasolini fréquentait ma famille notamment mon
père et sa seconde épouse, Lorenza Mazzetti, réalisatrice anglaise.
Alors qu’elle réalisait son premier film sans aucun budget, Pasolini qui
souhaitait entreprendre lui-même Accatone venait souvent à la
maison lui demander conseil. Le lieu était ouvert à un grand nombre de
personnes du cinéma de tous horizons et très tôt on m’a proposé d’être
comédien, ce que j’ai accepté. Je me suis, cependant, vite rendu compte
que je n’étais pas fait pour cela. Lorsque j’ai eu 15-16 ans, Pasolini a
écrit un rôle pour moi dans le film Théorème. Malgré un certain
nombre de réalisations derrière moi, je me sentais toujours gêné, mal à
l’aise devant la caméra. Lors du tournage, j’ai dit à Pasolini que je ne
souhaitais plus être acteur et qu’il fallait qu’il coupe les scènes où
je figurais. Il fut surpris et même s’il fut certainement déçu, il
accepta cependant de supprimer les scènes précédentes, mais me demanda
instamment d’en réaliser encore une dernière qui autrement l’aurait
bloqué dans la réalisation de son film. J’ai alors accepté et j’ai
tourné cette dernière scène, mais je ne veux toujours pas, même encore
aujourd’hui, revoir ce film ! Après cela, j’ai demandé à Pasolini d’être
son assistant sur ce même film et il a accepté.
Je l’ai également déçu à une autre reprise lorsqu’il m’a demandé de
m’occuper de Maria Callas pendant le tournage de Médée. C’était
une tâche très délicate car il appréciait beaucoup cette femme,
peut-être la seule femme qu’il ait vraiment aimée. Il savait que j’étais
un petit voyou des rues mais qu’en même temps j’étais issu d’un milieu
bourgeois et intellectuel. De plus, je parlais plusieurs langues, et
pour lui, j’étais dès lors l’interlocuteur idéal pour m’occuper d’elle.
Au bout de trois semaines, j’ai finalement décidé d’arrêter car Maria
Callas était la diva que l’on connaît et méritait bien sa réputation !
Elle faisait par exemple tomber un objet par terre en me demandant de le
ramasser, m’appelait au beau milieu de la nuit pour me demander une
bouteille d’eau minérale alors qu’elle se trouvait dans le meilleur
hôtel de Rome… Pasolini ne s’est pas fâché mais j’ai bien senti, qu’une
nouvelle fois, il était déçu par mon attitude, et nous ne nous sommes
plus vus pendant un an.
À l’âge de 18 ans, je suis devenu journaliste ; c’est à cette époque que
nous avons repris contact. Nous avions un rapport beaucoup plus adulte,
différent aussi parce qu’il était également journaliste et qu’il aimait
beaucoup ce métier. On parle souvent de Pasolini en tant que poète,
écrivain, réalisateur mais rarement en qualité de journaliste ; or,
c’est une activité qui l’a non seulement beaucoup occupé, mais qui lui a
aussi énormément apporté et qu’il a aimée. Il a fait plus de 800
articles dans sa vie en commençant par la presse clandestine pendant la
guerre. Il a toujours gardé sur lui sa carte de journaliste, qui n’était
pas, certes, la carte professionnelle mais une carte secondaire qu’il
affectionnait tout de même. Pour l’anecdote, elle était encore dans ses
papiers avec lui le jour de sa mort. Pour mener des enquêtes pour ses
articles, il me demandait souvent des sources que je pouvais lui
procurer dans les archives de L’Unita, le journal du PCI pour
lequel je travaillais. J’étais d’ailleurs un peu l’intermédiaire entre
lui et Enrico Berlinguer qu’il appréciait beaucoup. J’avais avec
Pasolini un rapport quotidien très banal fait de conversations lors des
nombreux repas dans les trattorias romaines pris avec Ninetto Davoli,
Franco Citti et bien d’autres encore. Nous étions comme une bande de
gamins en passant nos soirées ensemble, souvent dans la rue, on faisait
les idiots. On ne le sait pas assez mais Pasolini avait un grand sens de
l’humour. Je le considérais comme un ami d’enfance alors même qu’il
avait exactement l’âge de mon père à cette époque !
L’image de Pasolini dans votre
film laisse l’impression de quelqu’un à la fois résolu dans son combat
mené depuis ses jeunes années, et en même temps une certaine érosion,
fatigue, voire découragement ? Est-ce ainsi que vous avez pu le
percevoir dans les derniers mois de sa vie ?
David Grieco :
Le Pasolini que je décris dans
mon film La Macchinazione est celui des quatre derniers mois de
sa vie. À cette époque, je le voyais moins, car il fréquentait Pino
Pelosi. La personnalité de Pasolini durant cette période, un Pasolini
fatigué, usé - et je suis heureux que vous l’ayez souligné - est
effectivement pour moi un élément très important du film. Dans ses
derniers mois, il avait une fièvre, la fièvre d’aller jusqu’au bout, il
avait mis son nez partout, il avait un grand nombre d’informateurs qui
lui donnaient des tuyaux incroyables, mais parallèlement Pasolini était
épuisé car il avait vraiment l’impression que personne ne le comprenait.
Moi-même, avec le recul, je me souviens lui avoir fait le reproche qu’il
était trop pessimiste, que sa vision apocalyptique de la société n’était
pas forcément justifiée. Il n’acceptait pas ces remarques et estimait
que nous ne comprenions pas ce que lui pourtant savait. C’est d’ailleurs
un peu mon chagrin aujourd’hui avec le recul. Il a voulu aller jusqu’au
bout, il savait probablement qu’il risquait sa vie, mais il a pensé
qu’avec sa mort tout exploserait. Malheureusement…
Cet héritage a justifié ce
long-métrage que vous venez de réaliser La Macchinazione. Le
titre indique très clairement le parti que vous avez pris pour expliquer
la mort du célèbre poète, écrivain et cinéaste, allant au-delà d’un
crime crapuleux.
David Grieco :
Oui, bien au-delà. Le film
d’Abel Ferrara qui est sorti en 2014 sur cette même thématique est un
peu la raison d’être de mon propre film. À l’époque, les producteurs
m’avaient proposé de faire le scénario pour le film de Ferrara. Même si
j’étais sceptique quant à l’approche qui y serait retenue, j’ai malgré
tout commencé à travailler sur le scénario et Ferrara m’a indiqué qu’il
ne souhaitait évoquer seulement que le dernier jour de la vie de
Pasolini. J’ai insisté, cependant, qu’il fallait bien néanmoins rappeler
comment et pourquoi il avait été tué, ce à quoi Ferrara m’a répondu : "Je
ne veux pas faire une histoire d’espionnage !" Notre histoire s’est
dès lors arrêtée là, et j’ai quitté cette réalisation. Les semaines qui
ont suivi, je n’arrivais plus à dormir, j’avais pourtant un autre film à
faire à Prague, mais j’ai tout arrêté en me disant que je devais
réaliser ce film en souvenir de Pasolini, les autres personnes ayant
connu Pasolini étant presque toutes mortes. Nous nous sommes très
endettés pour réaliser ce film.
La Macchinazione, un film
réalisé par David Grieco avec Massimo Ranieri, Libero De Rienzo, Matteo
Taranto, François Xavier Demaison et avec Milena Vukotic, Roberto Citran,
Tony Laudadio et Alessandro Sardelli et l’amicale participation de Paolo
Bonacelli, Catrinel Marlon. Scénario de David Grieco et Guido Bulla.
Produit par Marina Marzotto, Alice Buttafava, Dominique Marzotto, Lionel
Guedj, Vincent Brançon. Musique PINK FLOYD. Produit par Propaganda
Italia en association avec Moutfluor Films, MIBACT en coproduction avec
To Be Continued Productions, 2016.
Des sources très précises sont évoquées
dans votre film qui jettent un éclairage différent sur ce qui est
habituellement présenté.
David Grieco :
50 % des sources m’appartiennent puisque
ce sont des choses que j’ai vécues personnellement lors des derniers
mois précédant sa mort. J’ai également suivi de très près le premier
procès de Pelosi puisque j’en ai écrit le mémoire pour la famille
Pasolini avec pour juge le frère d’Aldo Moro qui sera d’ailleurs
kidnappé et tué deux ans après. Ce juge qui s’appelle Carlo Alfredo Moro
condamne Pelosi à neuf ans de prison pour le meurtre de Pasolini avec
des inconnus. À partir de là, ma conviction était confirmée. Et cela m’a
rappelé une anecdote que j’avais vécue chez Laura Betti en février 1975.
Alors que nous dînions avec elle, elle s’est mise à m’interpeller
vivement en me disant : « Il faut que tu l’arrêtes ! ». Surpris,
je lui ai demandé « Comment cela ? » Elle a poursuivi : « Oui,
il (Pasolini) est fou, il est en train d’écrire un livre sur
Eugenio Cefis, le président de ENI et de Montedison, il ne comprend pas,
ils vont le tuer ! Toi qui es un journaliste professionnel, il faut que
tu l’arrêtes ». Abasourdi, j’ai demandé à Pasolini " Pourquoi ?
Tu as décidé d’écrire un livre sur Eugenio Cefis ? " Il m’a répondu
amusé par métaphore : « Tu sais le pétrole est plus important que
l’eau… », mais il ne m’en a pas dit plus et ne m’a pas laissé entrer
dans ce qui le retenait déjà à cette époque. Les mois qui ont suivi,
j’ai compris qu’il me demandait régulièrement des sources
journalistiques qui m’ont donné une idée de son parcours et de ce qu’il
recherchait. À chaque fois que j’ai essayé d’entrer dans le vif du
sujet, il s’est esquivé. C’était un homme très méfiant, ce qui était
plus que justifié avec, il faut le rappeler, plus d’une trentaine de
procès dans sa vie… Il a vraiment été persécuté tout au long de sa
carrière, ce qui l’incitait à ne faire confiance qu’à un très petit
nombre de personnes dont je faisais partie. Dans les dernières années,
il avait un peu ce syndrome d’être trahi, ce qui a fait qu’il a été
trahi par presque tout le monde. Je ne saurai jamais si c’est lui qui a
en quelque sorte provoqué cela ou si c’était son destin et qu’il le
connaissait en tout état de cause.
Vous citez en exergue de votre
film cette phrase de Pasolini : « Le courage intellectuel de la
vérité et la pratique politique sont deux choses inconciliables en
Italie ». Comment la réouverture de son procès et l’instruction
récente se déroulent-elles dans votre pays récemment secoué
politiquement par la chute du gouvernement Renzi et le non au
référendum?
David Grieco :
J’estime que cette phrase prononcée par
Pasolini il y a plus de 40 ans est toujours valable. On est absolument
dans la même situation, c’est d’ailleurs un phénomène mondial que nous
avions devancé en Italie ! Je pense en effet que ce que Pasolini
affirmait à une époque où certains individus avaient encore une réelle
profondeur et désintéressement personnel est encore plus d’actualité
aujourd’hui. Il m’est arrivé plein de difficultés et d’obstacles avec le
tournage de ce film et qui sont le signe de ce que nous évoquons, j’ai
d’ailleurs du mal à ne pas faire le parallèle dans une moindre mesure en
ce qui me concerne avec ce qu’a pu connaître Pasolini à son époque. Si
je peux citer un exemple, il est évocateur de ces petits tracas que l’on
peut semer sur le chemin d’un réalisateur dénonçant un complot politique
dans son film. 48 heures avant la sortie en salle du film en Italie,
j’ai reçu une interdiction de le voir aux mineurs de moins de 14 ans
alors même que j’ai bien pris soin d’éviter tout ce qui pourrait entrer
dans ce type de censure. J’ai d’ailleurs obtenu depuis la levée de cette
censure. J’aurais plein d’autres exemples de cet ordre à citer…
Peut-on dire de Pasolini qu’il
a lui-même été la victime expiatoire de ce qu’il dénonçait ? Et
avez-vous l’impression que cette image est encore présente dans la
conscience collective italienne ou bien qu’elle a cédé au chant du
relativisme et du consumérisme international ?
David Grieco :
Pasolini a été non seulement
la victime expiatoire de ce qu’il a dénoncé mais il l’a en plus, selon
moi, souhaité. Dans ce film, je montre combien il est allé sur le lieu
du crime en sachant, je pense, ce qui allait survenir. Ceux qui le
connaissaient avaient remarqué avant sa mort combien il pouvait parfois
abandonner une conversation, être très irritable et même laisser
apparaître une peur, ce qu’il ne voulait jamais admettre pour autant. Le
courage était son drapeau. Il était persuadé en agissant ainsi d’abattre
tout le complot qu’il avait démasqué, ce en quoi il s’est trompé. J’ai
souvent eu l’occasion lors de manifestations de constater combien
Pasolini, bien qu’agressé verbalement par des jeunes, était capable
d’engager une conversation avec eux et que ces derniers repartaient en
s’excusant. Il a peut-être pensé pouvoir se rendre sur la plage d’Ostie
et les convaincre.
Je pense que la raison principale et intime est qu’il s’est rendu sur
place à cause de la mort de son frère. Pasolini a clairement annoncé
dans une réponse à un courrier de lecteur que l’exemple de son frère le
mènerait jusqu’à la fin de sa vie. J’ai interprété cela comme une vision
prophétique. Pasolini a toujours mis une certaine distance entre
lui-même et les autres intellectuels. Il a toujours critiqué ces
intellectuels comme des penseurs de salon avec leurs beaux intérieurs et
leur maison protégée, sans qu’ils sachent quoi que ce soit de
l’extérieur et de la rue. Il a eu la même attitude parfois dans le
cercle restreint de ses amis intellectuels. J’ai quelques anecdotes à
l’esprit : par exemple, lorsque nous sortions manger une pizza, il nous
emmenait dix minutes chez Moravia ou Calvino en prétextant une question
à leur poser, mais j’ai vite compris qu’il le faisait exprès car nous
débarquions à l’improviste avec des cheveux très longs, habillés comme
des voyous et nous avions bien remarqué que les personnes présentes
étaient sidérées ; C’était, selon moi, une provocation manifeste. Il
était clair que c’était une manière de se stigmatiser, lui écrivain
bourgeois vivant dans un intérieur confortable et parlant néanmoins de
révolution avec le souvenir de son frère mort au combat. Ce sens de la
culpabilité est essentiel selon moi pour comprendre Pasolini.
Pouvez-vous nous dire vos raisons pour
le choix de la musique des Pink Floyd et plus précisément Atom Heart
Mother qui rythme et donne un fil directeur à votre réalisation ?
Comment avez-vous pu en obtenir les droits ?
David Grieco :
Je travaille habituellement
avec un compositeur italo-américain extraordinaire qui s’appelle Angelo
Badalamenti ("Twin Peaks") qui est un de mes meilleurs amis et
qui a composé la bande sonore de mon film précédent, "Evilenko".
Mais cette fois je voulais faire ce que Pasolini faisait d’habitude,
c’est-à-dire utiliser une musique qui existait déjà. J’ai tout de suite
pensé à "Atom Heart Mother" qui est le disque qui a marqué
davantage mes goûts musicaux quand j’étais jeune. J’ai donc envoyé aux
Pink Floyd une lettre et le scénario du film traduit en anglais.
Tout le monde se foutait de ma gueule, bien évidemment, car ils
l’avaient refusé à l’époque à Stanley Kubrick pour "Orange mécanique".
Mais un mois après les Pink Floyd m’ont permis de l’utiliser en
dépensant un minimum parce qu’ils voulaient soutenir ce film qui raconte
la vérité sur la mort de Pasolini. J’en ai fait donc une sorte de
requiem, et tout d’un coup je me suis aperçu qu’il s’agissait en quelque
sorte d’un véritable requiem.
Cher David Grieco, merci pour ce précieux
témoignage et nous ne pouvons que souhaiter que votre film soit très
bientôt dans les salles françaises !
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