Édition Semaine n° 45 / Novembre 2024 |
Patrick Cohën-Akenine, Lannion, samedi 29 octobre 2005. © LEXNEWS LEXNEWS a fait la rencontre d'un Ensemble et de son chef, Patrick Cohën-Akenine, qui mènent une démarche passionnante quant à leur approche de la musique d'ensemble. Les Folies françoises renouent avec la grande tradition des goûts réunis et à une conception ouverte de la musique baroque. Partant de la riche expérience du quatuor à cordes et d'un noyau de musiciens fidèles, les Folies sont plus sages qu'il n'y paraît, avec une interprétation d'une grande rigueur sans rien enlever à sa générosité !
LEXNEWS : « Pouvez vous présenter à nos lecteurs l’origine de votre ensemble ainsi que les raisons du choix de son nom ? »
Patrick Cohën-Akenine : « L'ensemble est né de la rencontre de plusieurs musiciens, au cours de nos études au conservatoire de Paris. Ces rencontres furent assez fortes, c’est en effet à cette occasion que j’ai pu découvrir le clavecin. Je suis violoniste de formation, et j'avoue avoir rencontré le clavecin assez tardivement. C'est à l'âge de 27 ans que j'ai pu réellement commencer à travailler avec cet instrument. C'est également la rencontre avec une claveciniste, qui est ensuite devenue mon épouse, qui a été déterminante pour la création de cet ensemble. Notre Ensemble est né aussi de rencontres avec d'autres musiciens, un violoncelliste, un flûtiste,... et qui font toujours partie de l'Ensemble. Il n’y a pas une seule personne à la tête d'un groupe mais bien plusieurs musiciens qui travaillent de façon collégiale. Dans un premier temps, avant de créer l’Ensemble, j'ai pu jouer avec différentes formations. J'ai été pendant plusieurs années violon solo au Concert Spirituel d'Hervé Niquet, aux Talents Lyriques avec Christophe Rousset, aux Musiciens du Louvre,... et avec un grand nombre de grands musiciens baroques. Très vite, j'ai eu envie de créer mon groupe et d’aborder un répertoire plus spécifiquement instrumental. Il est vrai qu'en France, nous avons une spécificité : la musique baroque est très souvent associée au chant, à la rhétorique, à l'expression lyrique. Je souhaitais vivement suivre un axe beaucoup plus instrumental, et cela a été le facteur essentiel de la création de l'ensemble. Le nom de notre ensemble "Les Folies françoises" est tiré d'une oeuvre de François Couperin qui exprime, au cours de variations, différents affects musicaux. Le grand musicien associe en effet différentes couleurs avec un affect propre. Cette idée d'associer couleurs et affects nous avait particulièrement séduit. Et il faut avouer que le terme de "Folies" nous a également particulièrement plu ! Nous souhaitions sortir des sentiers battus et avoir une autre approche. J'ai réuni plusieurs artistes et nous sommes partis pour cette aventure. L'Ensemble a également profité de rencontres avec des personnalités comme la soprano Patricia Petibon."
LEXNEWS : "Quelle est l'origine du choix de votre instrument, est-ce une vocation très précoce ? »
Patrick Cohën-Akenine : " Oui, c'est une vocation très précoce. Il paraît qu'à l'âge de deux ans et demi j'ai demandé à pratiquer le violon ! La découverte de cet instrument a été un véritable choc. Si mes parents ne sont pas musiciens, j'ai une grand-mère pianiste aimant beaucoup la musique. Et si cet instrument ne m'a pas particulièrement tenté, c'est néanmoins par cet intermédiaire que j'ai pu être introduit à la musique et au violon. Je crois que non seulement le son, mais aussi la gestuelle de l'instrument, m'ont attiré. J'ai pratiqué jeune la danse, et j’ai particulièrement aimé l'idée du mouvement associé à la musique. Je réfléchis d'ailleurs à ce thème pour notre Ensemble. J'ai en fait commencé le violon à quatre ans et demi et cela a été une véritable passion."
LEXNEWS : " vous nous disiez que votre rencontre avec la musique ancienne avait été relativement tardive, est-ce à dire que vous avez eu un parcours très classique auparavant ? »
Patrick Cohën-Akenine : " Oui, la musique ancienne est en effet intervenue un peu plus tard. J'ai découvert la musique ancienne sur instrument moderne en étant violon solo d'un orchestre de chambre. Comme nous jouions beaucoup le répertoire baroque et notamment Bach, j’ai été ainsi amené à jouer les concertos brandebourgeois et d'autres concertos du même compositeur sur mon violon. Il est vrai que le mouvement baroque prenait de l'importance à cette époque, je me suis posé un certain nombre de questions, et cela m'a réellement interpellé. Il faut avouer que notre génération a eu un accès au baroque plus facile, si j'ose dire, que nos prédécesseurs. Ces derniers ont mené une recherche très importante en précurseurs, et ont dégrossi le travail de manière remarquable. Il est sûr que face à l'écoute de ces pionniers, nous assistions à une révolution. Cela m'a d'autant plus intéressé que j'avais suivi une formation de chambriste. J'ai fait en effet huit ans de quatuor à cordes. Cela a été très formateur et j'ai d’ailleurs retrouvé cet esprit de musique de chambre au sein de notre Ensemble. Ce travail avec un groupe de personnes fidèles m'a particulièrement motivé. J'avais remarqué que, très souvent, au sein de la musique ancienne, les Ensembles évoluaient très vite quant à leur composition. Il existe un noyau de musiciens qui évoluent dans différents Ensembles. Je dois avouer que cette démarche ne m'attirait pas trop. Je voyais les choses montées très vite et je pensais qu'il était dommage qu'il n'y ait pas un travail de fond avec les mêmes intervenants. Mon épouse, Béatrice Martin, est une claveciniste de première classe puisqu'elle est l'une des seules lauréates du concours international de Bruges au clavecin après des grands noms comme Scott Ross, Christophe Rousset,... Et avec elle, ainsi que le violoncelliste François Poly, nous réalisons un travail réellement de fond. Nous pratiquons un travail très en avance et non pas quelques instants avant le concert."
LEXNEWS : « Pouvez vous nous expliquer votre approche de la musique de chambre et plus précisément du quatuor cordes ? »
Patrick Cohën-Akenine : " Le quatuor est la discipline la plus exigeante pour les cordes. Cela demande une homogénéité avec des instruments de différentes tailles. Nous sommes obligés de faire un travail très important les uns envers les autres. Il faut aussi rappeler que l'écriture du quatuor est également très exigeante pour le compositeur. Nous avons ainsi un travail très approfondi et cela se répercute sur notre façon de travailler. Cela impose une véritable discipline de travail, au niveau de la justesse d'intonation, mais également quant au maniement de l'archet pour avoir les mêmes articulations,... J'ai pu retranscrire cela dans la musique ancienne et la musique baroque car cette musique demande un gros travail d'articulation pour faire ressortir le texte. En effet, le clavecin est un instrument qui peut exprimer ses nuances grâce aux articulations, à la différence du piano. En travaillant avec Béatrice, j'ai pu faire ces parallèles quant aux articulations. La forme de musique de chambre à l'époque baroque au XVIIe, XVIIIe siècles est prépondérante. Mis à part lors des grandes occasions dans des cathédrales, où de grandes églises, la musique était destinée à un petit groupe. Le clavecin, par exemple, est un instrument beaucoup moins sonore que le piano, et les musiciens se retrouvaient autour de cet instrument en formation réduite qui pouvait comprendre une flûte traversière en bois, un violon,... dans des lieux plus intimes et avec une acoustique favorable. La majeure partie du répertoire est conçue à la taille d'une musique de chambre. Bien sûr, au fil du temps, ce répertoire a pu être adapté pour des instruments plus nombreux et aboutir à une forme orchestrale. Il faut savoir que ces concerts n'étaient pas dirigés par un chef d'orchestre. Ils étaient menés par le premier violon, qui portait le nom de konzert meister ou en France de "roi des violons". Ce premier violon, par ses gestes, ses coups d'archet, sa respiration, dirigeait l'orchestre et donnait le tempo avec un gros appui sur la basse continue. Ce groupe de basse, clavecin/violoncelle, permettait une assise très précise. Le clavecin, en effet grâce à ses cordes pincées, produit un son très précis. Les cordes peuvent ainsi se poser rythmiquement sur cet instrument qui par sa réalisation de basse continue, c'est-à-dire qui ne s'arrête jamais, va offrir un tactus d'une très grande précision. C'est sur ce schéma que repose la ligne directrice de notre Ensemble. C'est en fait une sorte de codirection : Si j'ai pour charge de donner, à partir du violon, le départ et les impulsions, le groupe de continuo clavecin/violoncelle structure quant à lui l'Ensemble. Nous allons bientôt faire des concerts Mozart avec de plus gros effectifs, pour lesquels nous allons mettre le clavecin au centre de l'orchestre, et c'est lui qui donnera cette impulsion et cette rythmique. Cela me permettra de me concentrer sur la ligne mélodique sans être obligé de diriger. Tous les musiciens vont ainsi être à l'écoute et concentrés sur la basse continue qui nous donnera l'harmonie, un rapport à la justesse et à l'intonation. Cela est très important quant à l'esthétique baroque et nous rapproche d’ailleurs de la conception fondamentale du quatuor à cordes."
LEXNEWS : " Quelle est votre vision des notions de timbres, de couleurs,... qui caractérisent de la musique baroque ? »
Patrick Cohën-Akenine : « Les timbres, les couleurs sont des éléments essentiels de la musique baroque. Si nous partons de la référence essentielle, à savoir Couperin, les couleurs donnent une véritable saveur au discours musical, sans lesquelles tout cela serait très monotone. C'est en fait une musique extrêmement contrastée. Je fais souvent référence, lors de mes enseignements, à l'art théâtral. Dans la Commedia dell’arte par exemple, il y a un jeu de contraste à tout moment entre les pleurs et les rires, entre des moments très intimes presque chuchotés et les instants de cris. Cette notion de contraste est très importante dans la musique française et italienne. Il est indispensable de faire ressortir cela, non seulement entre les mouvements et même au sein d'un mouvement. Nous réalisons également ces contrastes dans les effectifs avec un tutti et des solos, cette forme ayant d'ailleurs donné naissance au concerto. En effet, si nous remontons à l’origine du concerto, nous trouverons le concerto grosso. Il s’agit alors d’un petit groupe de musique de chambre composé, par exemple, de deux violons et d'une basse continue clavecin/violoncelle, ensemble qui dialogue avec un gros orchestre. Cela est particulièrement visible chez Corelli, qui est le maître et créateur du genre, avec un orchestre comprenant 40 à 60 musiciens ! Vous imaginez les contrastes que cela pouvait donner ! Il fallait très souvent prêter l'oreille pour pouvoir entendre le petit ensemble de musiciens face à l'orchestre. Pour moi, la musique baroque c'est un peu cela !"
LEXNEWS : " Quelle partie du répertoire exprime pour vous le mieux cette approche ? »
Patrick Cohën-Akenine : « Je pense qu'un compositeur majeur synthétise tout cela : Jean-Sébastien Bach. Il y avait au XVIIe siècle des esthétiques très fortes, et qui se sont un peu estompées au XVIII°. Deux écoles prédominaient alors : La première, française, était axée sur la danse avec une forte connotation rythmique et des références aux danses très fortes. Cela donnait lieu à des styles de pièces tels les menuets, les courantes, les sarabandes,... toutes ces pièces ayant des rythmiques très précises. La deuxième école, en Italie et à la même époque, réservait le rôle principal au chant. Le chant était ainsi au centre de l'art et constituait la source d’inspiration majeure des compositeurs. L'imitation du chant sera au coeur de cette école. Jean-Sébastien Bach, comme d'ailleurs Couperin, vont essayer toute leur vie de réunir ses goûts. Bach peut très bien écrire des pièces comme une suite française dans le plus pur style français. Mais il ira tout aussi bien vers l’écriture de toccatas dans le style de Frescobaldi. Il n’hésitera pas également, dans une même oeuvre, à réunir ces deux approches. Couperin a également réalisé cela. Il a rédigé un traité qui s'intitule les "Goûts Réunis" et un autre qui s'appelle "Les Nations". Je pense que ce sont ces compositeurs, qui ont toujours souhaité associer les styles, qui nous offrent le plus de contraste. Cette approche offre tour à tour une musique très rythmique, puis une autre comprenant une grande mélodie proche du chant,... Je pense qu'un compositeur comme Jean-Sébastien Bach peut ainsi faire l'objet d'étude pendant toute sa vie sans se lasser. Si l'on ne pratiquait que de la musique à danser, la créativité ferait défaut pour nous. C’est un peu la même chose pour la musique de Haendel qui a certes un sens de la mélodie très fort, c'est déjà presque le bel canto, mais avec lequel je me lasserais plus vite. En fait, notre Ensemble embrasse divers styles, afin d'avoir toutes les armes pour aborder Jean-Sébastien Bach ou Mozart."
LEXNEWS : " Quel est votre rapport à la voix et aux autres arts de cette époque qui n'étaient jamais séparés à l'époque mais plutôt conjugués ? »
Patrick Cohën-Akenine : " Je suis bien sûr fasciné par l'art vocal. C'est un très bel instrument, il y a quelque chose de magique avec la voix naturelle. J'ai eu la chance de rencontrer de très bons chanteurs. Ils m'inspirent littéralement, et avec le violon je essaye d'imiter leur expression vocale. Cela est particulièrement vrai pour les timbres. Quelqu'un comme Patricia Petibon, par exemple, a cela dans la voix. Cela lui permet de varier ses couleurs, ses timbres... Nous allons aussi faire des concerts avec Sandrine Piau, Paul Agnew,... Toutes ces voix m'enchantent notamment avec Mozart. Nous avons conçu des programmes Mozart où le violon ira vers la voix. Le choix des oeuvres s'est porté sur la fin de la période salzbourgeoise du compositeur. Nous avons sélectionné des oeuvres composées la même année, 5 concertos pour violon en 1775. Il était très intéressant de voir comment Mozart avait réutilisé, pour un opéra "Il Ré Pastor" écrit à la même époque, des airs que nous retrouvons dans les concertos en question. L’un des thèmes de ses concertos pour violon lui a plus et il l’a retranscrit tout de suite pour le chant. Dans son opéra, il y a un air où il fait dialoguer la voix de soprano avec le violon. C'est une période où il s'exprime en dehors du clavier avec le violon et en même temps où il se rapproche de l'art vocal. Ce parallèle m'a motivé pour le travail de cette année."
LEXNEWS : "L'objectif est il de transcender cette dualité d'instruments ?"
Patrick Cohën-Akenine : " Tout à fait, il s'agit de passer à un autre stade. Et évidemment, j'attends le grand moment ! Le travail, le concert, l'échange qu'il va y avoir entre Sandrine Piau et moi-même. Tout cela relève du non-dit, nous allons aller l'un vers l'autre avec la plus grande écoute. Je vais tendre au maximum vers ce qu'elle va me proposer et je pense que ce que je vais pouvoir lui donner va lui offrir des idées, une impulsion et une rythmique qui vont l'aider dans ses airs. Nous essayons dans la mesure du possible de laisser libre nos instincts. Nous avons fait des années d'études, avec une maîtrise de notre instrument, et maintenant nous avons toutes les possibilités pour nous exprimer. Je pense qu'il est intéressant, grâce à de telles rencontres qui permettent d'évoluer, de pouvoir être confronté à des oeuvres très exigeantes comme celles de Mozart. J'aime bien travailler avec des personnes que je connais depuis des années. Le facteur humain est très important. Nous restons en contact régulièrement et attendons cet instant avec impatience."
LEXNEWS : " Accordez-vous une grande importance au travail sur les sources ? »
Patrick Cohën-Akenine : « C'est très important pour nous. Je passe énormément de temps à la Bibliothèque Nationale, sur les manuscrits. Nous allons parfois revoir la source pour nous rendre compte des articulations. Nous avons la chance, depuis quelques années déjà, d'avoir des éditeurs qui effectuent un travail assez scrupuleux, ce qui n'était pas le cas avec les éditions du XIXe siècle que nous avons tous connues. À cette époque, en effet, un interprète prenait la source et y mettait ses propres articulations. Il y avait à cette époque un véritable culte de l'interprète. Les interprètes de nos jours sont beaucoup plus exigeants sur le travail des sources. Nous cherchons véritablement à restituer la pensée et les couleurs des compositeurs sur lesquels nous travaillons. Nous réfléchissons par exemple aux effectifs de l'époque. Nous évitons ainsi de surcharger ces effectifs, ce qui était le cas autrefois. Nous essayons aussi de retrouver les équilibres afin d'éviter qu'une chanteuse ne soit, par exemple, obligée de forcer sa voix. Je dois avouer que je n'écoute pratiquement aucune version même si je respecte beaucoup ce qui a été fait par mes confrères. J'adore par contre aller écouter les concerts de collègues mais j'ai par contre beaucoup plus de mal avec le disque. C'est également le cas pour mes propres enregistrements. Le concert est un moment magique et je crois beaucoup à l'avènement du DVD qui va non seulement capter un son mais également une ambiance, un mouvement, une couleur... Le disque me paraît un peu froid. Qui plus est, nous savons tous comment les disques sont faits avec beaucoup de montage. Je crois beaucoup plus à l'avenir du DVD."
LEXNEWS : " Quel est votre rapport vis-à-vis de votre instrument ? »
Patrick Cohën-Akenine : " C’est une question qui m'intéresse beaucoup. Le travail sur le violon baroque m'a beaucoup apporté. Dans mes études, jusqu'aux concours internationaux, j'ai pu aborder le répertoire très classique avec les caprices de Paganini et les grands concertos du répertoire. Si j'ai beaucoup aimé toute cette période, j'avais l'impression d'aller dans un entonnoir, tout cela était de plus en plus source de tension. Je ressentais un véritable rapport de force entre mon violon classique et moi-même. Avec le violon baroque, j'ai retrouvé une liberté d'expression. D'un point de vue physique, l'instrument est posé sur la clavicule et la tête n'est pas posée, laissant la table d'harmonie ainsi plus libre. Cela a pour conséquence d’offrir des résonances tout à fait naturelles. L'instrument est non seulement beaucoup plus libre mais également le corps. Cela m'a donné une liberté au niveau de ma gestuelle et notamment de mon bras droit. Ce fut un grand bouleversement, au point où je me demande si je ne suis pas allé vers cette musique ancienne inconsciemment en sachant cela. La conduite du son avec ce vibrato constant et cette tension étaient pour moi une surenchère dans la puissance. Si l'on veut faire carrière comme violoniste moderne, il faut avant tout avoir un gros son parce que nous jouons dans des grandes salles où la notion de puissance est très importante. Il y a donc un travail musculaire très difficile. J'ai quelques amis qui font cela merveilleusement, Laurent Korcia par exemple. Mais des violonistes comme cela, il y en a très peu. Et j'ai l'impression de retrouver cette liberté au violon baroque. J'ai trouvé un très bon instrument grâce à mon luthier, un violon de la fin du XVIIIe fait par un luthier français, Joseph Basso. Ce bel instrument m'a particulièrement motivé. Il a bien sûr fallu trouver un archet qui lui corresponde au mieux, ce qui n’est pas chose facile ! Pour le répertoire plus ancien, je possède un instrument qui est plutôt d'une esthétique XVIIe siècle, un instrument allemand. Il y a une très grande recherche à faire quant aux archets. Les archets ont en effet énormément évolué du début du XVIIe siècle en Italie jusqu'à la période classique. Je joue régulièrement avec six archets et, selon les époques, je passe de l’un à l’autre. Il est intéressant de noter que le son du violon change totalement d'un archet à l'autre. Les articulations sont différentes, les timbres également… Le rapport du musicien avec son instrument est très proche en effet. Nous apprenons à le connaître, à le réparer parfois, il faut faire très attention à l'hygrométrie, au choix des cordes en boyau,… »
LEXNEWS : « Quels sont vos projets pour les mois à venir ? »
Patrick Cohën-Akenine : « Jusqu'à maintenant nous avons gravé pour le disque de la musique française. Les prochains enregistrements vont se porter plutôt vers un répertoire classique. Nous allons sortir en décembre un disque consacré à Boccherini, et nous préparons un disque Mozart pour le mois de mars 2006 intitulé Nacht Muzik. Il s'agira d'un disque assez léger, mais également extrêmement virtuose, sur le thème de la nuit avec une sérénade de 35 minutes ! Nous allons commencer à enregistrer du Bach avec des cantates en dialogue entre Jésus et l'âme. Ces cantates sont magnifiques et nous les enregistrerons en avril 2006 sur un orgue dans le Massif central, orgue qui a été fait à l'identique à partir d’un instrument de Bach. Nous reviendrons également à la musique française avec les Nations de Couperin. » Retrouver les Folies françoises sur leur site :
Les Interviews de LEXNEWS : Dominique VELLARD, Vézelay, 28 août 2004. © LEXNEWS
Rencontré après l'interprétation de la superbe Messe de Notre-Dame de MACHAUT à Vézelay, Dominique VELLARD, créateur du fameux Ensemble Gilles BINCHOIS, a accepté de répondre à nos questions. Découverte d'un artiste talentueux à la rigueur sans concession.
LEXNEWS : « Quels sont les traits marquants de votre parcours musical qui ont pu vous motiver à repartir si loin dans le temps ? » Dominique VELLARD : « J’ai commencé à chanter à Versailles quand j’avais 7 ans et le répertoire était bien sûr celui de la musique ancienne. Ma première musique a ainsi été cette musique dont le qualificatif « ancienne » ne signifiait pas grand chose pour moi. Je chantais de la polyphonie, du chant grégorien, de la musique de CHARPENTIER, BOUZIGNAC,… Pour moi, tout cela était la « vraie musique » : soit la monodie pour le chant grégorien, soit le contrepoint. J’ai commencé à 12 ans avec une guitare à faire des accords, ce qui était totalement nouveau pour moi ! C’est donc cette première musique à l’âge de 7 ans qui m’a fournie toutes mes références pour l’avenir. Je suis passé par le Conservatoire où j’ai pu découvrir d’autres musiques bien sûr, mais cela a toujours été la base même de la musique. La musique jusqu’au 17ième siècle a toujours été celle que je préfère. J’ai fait quelques incursions dans le XIX°, voire même dans le contemporain, mais cela reste résiduel. J’ai eu la chance de travailler avec de nombreux musicologues, et il y a 22 ans, j’ai été nommé à Bâle à la Schola Cantorum, ce qui m’a permis d’avoir des contacts avec de nombreux collègues. J’ai chanté avec de nombreux ensembles européens tels ceux de Clemencic, Sequentia,…ce qui m’a permis de me former à partir de ces expériences. J’ai beaucoup lu et partagé voire même servi de cobayes, comme de nombreux confrères, à des expériences conçues par des musicologues. Mon parcours a ainsi été caractérisé par la mise en son d’une somme innombrable de documents et autres sources anciennes. Il ne faut pas oublier que ces musiques du Moyen-âge, qui nous sont parvenues, sont d’un très haut niveau. Si le XIX° siècle peut faire coexister des chefs d’œuvres à côté d’œuvres contestables, les musiques médiévales que nous connaissons relèvent d’une très grande compétence. Ce sont ces musiques que j’ai toujours pratiquées. LEXNEWS : « Effectuez vous un travail en amont sur ces sources avant votre interprétation comme par exemple la messe de MACHAUT ? » Dominique VELLARD : « En fait la messe de MACHAUT a été étudiée depuis plus d’un siècle, et toutes les éditions sont a priori justes. Je pense très sincèrement qu’il faut rester humble. On m’a souvent présenté comme un musicologue ce qui est totalement faux ! Si je n’avais pas bénéficié de toutes ces sources préalables sur la messe de MACHAUT, j’aurais été incapable de la transcrire. Bien sûr avec tous ce que j’ai appris depuis, je pourrai la relire, mais c’est véritablement un métier en tant que tel. LEXNEWS : « Passez vous facilement du Grégorien au Baroque ? » Dominique VELLARD : « De plus en plus, en effet. J’ai une cinquantaine d’années et donc une certaine expérience. Il y a bien sûr un certain temps d’adaptation. Mais de manière globale, ces sauts dans le temps ne me dérangent pas, même si parfois cela peut être difficile vocalement de passer du Baroque à la Polyphonie dans le même concert. Mais j’ai toujours cherché la grande ligne dans l’histoire de la musique et c’est ce qui m’a aidé à comprendre que ces musiques ne sont pas compartimentées. Il y a des musiques qui sont dans l’extrême et qui m’attirent moins aujourd’hui, je préfère alors ne retenir que les répertoires qui m’exaltent et me nourrissent. » LEXNEWS : « Quelle est la place tenue par MACHAUT dans ces sources d’inspiration ? » Dominique VELLARD : « MACHAUT a tenu une grande place dans ma vie, je l’ai interprété très souvent pour le concert et le disque. Je dois avouer qu’en ce moment, je suis dans une période où j’en fais moins. Je me suis un peu fatigué de tout ce répertoire. C’est d’une telle intelligence et d’une musicalité extraordinaire que cela est difficile à restituer. Ces musiques ont été conçues d’une manière très intellectuelle et atypique. C’est, si vous voulez, un peu l’équivalent de BOULEZ aujourd’hui. Je crois que même les pianistes contemporains ne joueraient pas exclusivement les sonates de cet auteur. Depuis 5 à 6 ans, je cherche à me nourrir de la grande Polyphonie Renaissance, du Grégorien,… » LEXNEWS : « Quelle est l’initiative de votre ensemble Gilles BINCHOIS, il y a maintenant près de 25 ans ? » Dominique VELLARD : « Cela a été pour moi l’occasion d’expérimenter toutes les musiques que j’avais envie de faire. Il ne faut pas oublier qu’il y a 20 ans certains disques de musique médiévale étaient très mal fait. Ce n’était pas la faute des personnes qui les faisaient, mais ils étaient, souvent, soit des amateurs, soit des personnes non spécialisées dans ce domaine. La musique a besoin d’artistes totalement investis dans ce qu’ils font et ne souffre pas d’imperfection. Je pense qu’il ne s’agit pas d’un discours prétentieux, mais bien d’une condition essentielle à tout art. Je ne fais plus aucun concert pour répondre à une demande au risque de dénaturer la source. Il faut non seulement que les chanteurs aient un grand talent, mais, au-delà, qu’ils aient également une volonté de se dépasser complètement. Si la musique n’est pas ainsi conçue, cela ne suffit pas. Il y a aujourd’hui de nombreux jeunes chanteurs qui se débrouillent bien, mais pas assez pour atteindre ce niveau supérieur. Ce n’est d’ailleurs pas qu’une question d’âge, le contre-ténor du concert d’aujourd’hui est très jeune, mais il a une volonté intérieure telle qu’il va au fond des choses et c’est cela qui est essentiel. » LEXNEWS : « Quelle est justement votre attitude quant aux membres qui composent votre Ensemble, est ce quelque chose qui se dit ou bien cela relève-t-il d’une convention tacite ? » Dominique VELLARD : « Je parle en effet de moins en moins ! J’ai en effet avec ces musiciens de longues histoires, ils me connaissent et je les choisis en fonction des affinités musicales que nous pouvons avoir. Dans ce cas, la communication est immédiate. Mais je ne suis pas directif. Même lorsque je dirige un chœur, je limite cette direction. Je me suis rendu compte qu’il faut que toute énergie vous soit donnée pour faire naître des choses très vivantes. C’est de l’extrême qualité de chacun que va se produire l’accord voulu, il faut juste suggérer cette direction. S’il s’agit de faire des choses pour que cela soit historique, cela ne m’intéresse plus ! J’aime bien sûr l’Histoire et que cela nous permette de faire passer quelque chose à notre public, mais après je ne sais pas si cela est perçu ou non…» LEXNEWS : « Pendant certains passages de la Messe, nous avions justement l’impression d’une certaine sensualité dans ce qui était exprimé par les musiciens, ce qui peut sembler étonnant ? » Dominique VELLARD : « Non, car justement c’est une image qui m’est venue à l’esprit lors de certains passages de cette Messe que nous chantions ! Mais je crois que l’Art renvoie tout à fait à cela. » LEXNEWS : « Mais un tel adjectif n’est il pas inadéquat par rapport au message sacré ? N’est ce pas une transposition d’un état psychologique d’un auditeur du XXI° siècle ou bien cela pouvait il être ressenti tel quel à l’époque ? » Dominique VELLARD : « Non, c’est complètement pensé comme cela. Si vous prenez des mystiques comme Jean de la Croix, c’étaient de très grands sensuels. Ils étaient loin d’être des personnes désincarnées ! Un compositeur comme MACHAUT va tomber amoureux d’une jeune fille à la fin de sa vie ! Je crois que lorsque l’on est si touché par la vérité, que l’on soit un grand peintre ou un musicien, on ne peut qu’être sensuel, pas dans un sens trivial bien sûr, mais dans ses rapports avec la matière. Quand nous chantons le Grégorien, avec Hervé Lamy, nous essayons de trouver des couleurs qui se répondent, et pour moi, c’est une forme de sensualité. Cela fait partie du chant liturgique qui est porteur d’un message, mais qui est également porteur de la beauté. Quand la beauté devient première, et que le musicien s’en sert pour l’arrogance, tout est cassé. C’est quelque chose qui a été très difficile dans mon parcours, car on peut se valoriser très facilement de ce que l’on fait, et alors c’est le début de la fin. Sans écarter l’idée de talent, l’humilité doit être le guide. » LEXNEWS : « Cette attitude n’est elle pas plus difficile à obtenir pour la musique baroque qui transgresse plus facilement les cadres et les frontières des siècles précédents ? » Dominique VELLARD : « Oui, je crois qu’il y a dans toutes les musiques, et notamment pour la musique du XVII°, un côté galant qui peut être moins intéressant même s’il reste brillant et éventuellement passionnant. Mais je crois que les grands compositeurs baroques comme MONTEVERDI, CHARPENTIER, NIVERS…sont des personnages très profonds qui peuvent certes se servir d’éléments rhétoriques mais dont le discours restera noble. Quand la musique perd sa noblesse, ce n’est plus véritablement de la musique. Dans le même ordre d’idée, la musique, selon moi, ne peut pas relever du domaine de l’humour. L’humour et la musique me semblent antinomiques. La musique n’est pas drôle, même si vous prenez la chanson traditionnelle où vous pouvez avoir des chansons très lestes, cela sera toujours chanté sérieusement car c’est l’art de la vocalité. » LEXNEWS : « Vous pensez par exemple à des chansons populaires comme les Cris de Paris ? » Dominique VELLARD : « Oui, car dans ce cas nous sommes face à quelque chose de compliqué : Comment arriver à concilier un contrepoint avec des jeux d’onomatopées ? Ce n’est pas un domaine qui m’attire, mais si vous prenez Dominique Visse, il sait faire cela parfaitement. Tout d’abord parce qu’il est un contrapuntiste génial et en plus c’est un acteur ! Je préfère les pages plus lyriques et poétiques d’un Clément JANEQUIN. » LEXNEWS : « Quels sont vos centres d’intérêts actuels ? » Dominique VELLARD : « Nous aimons beaucoup la musique du XVII°, française avec NIVERS, CHARPENTIER,… ou italienne avec MONTEVERDI, CARISSIMI,… Je dois avouer que les deux écoles m’intéressent avec peut-être une petite préférence pour l’Ecole italienne. Toutes ces musiques sont vraiment très profondes, il n’y a en l’espèce aucune galanterie. Parallèlement, je poursuis un travail d’écriture pendant mes vacances, ces dernières étant trop rares ! Je n’écris que de la musique vocale, et seulement pour notre ensemble ou pour moi-même, c'est-à-dire des monodies ou pour quatre à cinq voix. » LEXNEWS : « Les donnez vous en concert et pour le disque ? » Dominique VELLARD : « Nous les donnons en effet en concert, et nous allons enregistrer un disque avec une sélection de ces compositions. J’ai également écrit les « Sept dernières paroles du Christ » qui sont faites pour préluder les Quatuors de HAYDN, et que nous donnons régulièrement en concert. Tout cela a pour moi un sens, même si c’est une petite partie de mon travail. Je pense que cela s’inscrit dans une approche globale de ce que je souhaite réaliser. C’est également une manière de m’épanouir ! C’est évidemment une somme de travail mais cela correspond à un choix personnel. Je n’entreprends que les choses qui m’exaltent sans pour autant être hystérique… »
LEXNEWS : « Dominique VELLARD merci, votre démarche ne manquera pas de passionner nos lecteurs qui retrouveront régulièrement les nouvelles de votre Ensemble dans nos colonnes ! »
Les Interviews de LEXNEWS :Josep CABRE, Vézelay, 29 août 2004. © LEXNEWS Rencontré après un superbe concert donné à Vézelay, Josep Cabré a bien voulu nous présenter son Ensemble, La COLOMBINA, qui s'attache au répertoire vocal pour quatre voix de la fin de la Renaissance espagnole, un ensemble à découvrir absolument ! © LEXNEWS LEXNEWS : « Pouvez vous nous présenter votre Ensemble La Colombina et votre propre parcours ? »
Josep CABRE : « La Colombina est le produit d’un rêve de jeunesse avec Josep Benet depuis deux, voire trois décennies ! La Colombina est née en fait en 1990. Depuis, nous avons évolué, même si Raquel Andueza, soprano, et récemment José Hernandez Pastor, contre-ténor, forment avec nous le noyau dur de cet ensemble. Ce n’est pas un ensemble de musique ancienne mais un quatuor vocal. Cela veut dire que nous partons d’une idée de travail en restreignant volontairement notre répertoire à cette formation restreinte. Il s’agit véritablement d’un équilibre que nous souhaitons à chaque fois établir et préserver autour de ces quatre voix. Il est d’ailleurs très rare que l’une de ces quatre personnes soit remplacée. Cette volonté est justifiée par l’extraordinaire expérience que nous avons pu mener ensemble. Les notes de la polyphonie de cette époque sont faciles à lire, on ne peut pas en dire autant de leur rendu. C’est pour cela que la connaissance que nous avons de chacun est le point essentiel pour exprimer au mieux cette musique. Il me parait essentiel de préserver ce désir de quatre personnes à travailler ensemble. »
LEXNEWS : « Il ne s’agit pas de mettre en avant une individualité au détriment des autres »
Josep CABRE : « Non, en effet. Je pense que les individualités sont suffisamment respectées sans pour autant dominer le résultat d’ensemble. Notre idéal est celui d’un bon quatuor à cordes, et d’ailleurs, sans individualités fortes, il n’y a pas non plus de travail d’ensemble ! »
LEXNEWS : « Votre volonté d’un quatuor à cordes s’articule essentiellement autour du répertoire de la Renaissance espagnole, est ce une autre caractéristique de votre Ensemble ? »
Josep CABRE : « Même si nous avons abordé des répertoires français, italiens,… nous avons une préférence pour les répertoires hispaniques surtout pour ceux de la deuxième moitié du XVI° siècle et du début XVII°. Pour quelles raisons ? Il faut savoir que les quatuors du début du XVI° sont composés par une voix d’alto, deux de ténors et une de basse. L’équilibre à quatre voix mixtes, tel que nous l'avons ici, correspond plus à la fin de la Renaissance, le Maniérisme et le premier Baroque. C’est véritablement le répertoire idéal. Cela ne nous empêche pas de donner l’office intégral pour la Semaine Sainte de VICTORIA avec d’autres voix nous accompagnant. »
LEXNEWS : « Quel est votre travail sur les sources que vous utilisez ? »
Josep CABRE : « Je pense que chacun doit être à sa place et je ne souhaite pas m’investir en tant que musicologue. Ce n’est pas mon rôle. Même si le métier nous permet de comprendre certaines choses, la meilleure solution est de travailler conjointement avec les personnes qui sont spécialisées sur ces sources. Malheureusement, parfois, leurs oreilles n’arrivent pas à percevoir ce qu’ils sont entrain de transcrire, et dans ce cas, on se met d’accord avec eux. Nous utilisons ainsi les éditions modernes, tout en gardant un droit de regard sur les sources anciennes. »
LEXNEWS : « La place des instruments dans votre approche est ainsi également volontairement restreinte ? »
Josep CABRE : « Oui, tout a fait. Le recours aux instruments est assez rare. Un orgue, un luth ou une vihuela peuvent éventuellement intervenir, mais la philosophie de base de La Colombina reste le quatuor vocal. »
LEXNEWS : « Comment percevez vous ce répertoire sur lequel vous axez votre travail ? »
Josep CABRE : « Je pense que la deuxième moitié du XVI° siècle reste encore mal connue. La musique de transition, le Maniérisme,… qui débordent sur le XVII° siècle offrent de nombreux champs d’investigation. Nous trouvons, à cette même époque, vers 1580-1610, à côté d’œuvres très formelles répondant à des souhaits de la Cour, des œuvres construites dans le style antique intégrant de nombreux éléments baroques. C’est quelque chose de passionnant. Nous pouvons déjà trouver cela dans VICTORIA. On pourrait ainsi dire que, plus que la fin de la Renaissance, c’est le tout début du Baroque qui nous attire. GUERRERO offre de nombreux motets, chansons et villanelles pour quatre voix. Il reste un compositeur assez peu connu, en dehors des trois ou quatre œuvres régulièrement données. Et pourtant il produit une musique très dense, qui se distingue pour la même époque, de la madrigalistique en Italie ou de la chanson française. Le travail de Martin de VILLANUEVA, par exemple, est intéressant. Ce compositeur a subi beaucoup de contraintes à son époque. Il avait ainsi une quasi interdiction d’utiliser les instruments pour la polyphonie qui était donnée au monastère royal de l’Escorial, fondé par Philippe II. Il ne faut pas oublier que les règles étaient très strictes dans ce Monastère particulier qui jouissait de la haute influence royale. De plus, l’ordre des Hiéronymites, qui a la charge du monastère, accorde une priorité au plain chant, la polyphonie étant plus restreinte.»
LEXNEWS : « Ces restrictions étaient d’ordre religieuse. »
Josep CABRE : « Oui, absolument. Avec le Concile de Trente, les règles ont été très strictes afin d’éviter les abus lors de liturgie. L’Eglise a ainsi fait marche arrière sur de nombreuses choses, dont la présence des instruments lors du culte. Il faudra attendre la seconde moitié du XVII° siècle pour que cela soit assoupli. L’Escorial impose ainsi des règles très précises sur la durée du plain-chant… Si la musique de VICTORIA se trouve à des milliers de kilomètres de ces compositions données au monastère royal, il n’en demeure pas moins que ce sont des œuvres du patrimoine qui méritent d’être redécouvertes. L’Histoire fera certainement le tri entre ces différentes sources, ce qui n’est pas notre rôle. »
LEXNEWS : « Vous avez, en dehors de La Colombina, fait quelques incursions dans le répertoire contemporain, comment passez vous ainsi du XVI° au XXI° siècle ? »
Josep CABRE : « Je pense sincèrement que si l’esthétique de la musique peut varier avec les siècles, la démarche du chanteur qui cherche une tessiture bien longue, une expressivité qui découle du mot, …reste la même. Je ne dirais pas la même chose pour le répertoire du début XVI° qui pourrait être qualifié de gothique ! Plus que d’exprimer l’affect, ce qui compte c’est la structure du volume sonore. Alors que la deuxième Renaissance cherche beaucoup plus le clair-obscur que l'on retrouvera dans le baroque. C’est un peu cette dernière démarche qui m’attire, y compris pour la musique contemporaine que je peux interpréter avec les œuvres du compositeur Feliu Gasull. »
Les Interviews de LEXNEWS : Arianna SAVALL, PARIS, 16/03/04.
A l'occasion de la sortie de son dernière disque "Bella Terra" paru chez ALIAVOX, Arianna SAVALL présente aux lecteurs de LEXNEWS ce qui lui tient à coeur dans ce projet original qui s'écarte des sentiers habituellement parcourus par la jeune et talentueuse artiste ! LEXNEWS : « Il serait difficile de passer sous silence ce qui vient de se dérouler la semaine dernière à Madrid : Comment percevez vous en tant qu’espagnole, et artiste, la terrible tragédie qui a touché votre pays ? »
Arianna SAVALL : « Ce qui vient de se passer me touche énormément car le premier sentiment qui m’empoigne est une profonde tristesse, un sentiment partagé par une grande majorité de personnes en Espagne et dans le monde entier. Voir ces familles déchirées sous le poids des disparitions brutales ou des blessures qui resteront gravées à vie est une chose terrible car ces personnes étaient innocentes. Je pense que la musique peut être importante dans ces instants de douleurs et de peines. Hier, nous étions avec mes parents et de nombreux musiciens, réunis à Vienne dans un premier concert depuis cette date. Le thème était consacré aux Musiques du Monde : un pur hasard après la triste actualité … L’Ensemble de musiciens Kaboul était accompagné par une chanteuse afghane, exilée depuis 15 ans en Californie car ne pouvant plus être musicienne dans son pays, avec Yaerl Dallal, un luthiste israélien, Driss El Maloumi, un luthiste du Maroc, Kent Suckerman, un américain du nord qui interprète de la musique indienne, ainsi que mes parents, Montserrat Figueras et Jordi Savall, et moi-même représentant la musique médiévale et séfarade. Tous ces musiciens avaient pour trait commun d’unir des traditions musicales et plus généralement culturelles très diverses : chrétiennes, arabes, juives, indiennes,… Je dois avouer que ce concert a eu une dimension très particulière en raison des tragiques évènements. Le programme aurait pu avoir une dimension plus sentimentale en tant normal mais hier c’était une toute autre impression. Voir chanter cette chanteuse afghane accompagnée par ma mère et l’Ensemble fut une chose inoubliable qui était en quelque sorte un message d’espoir et dans une certaine mesure une réponse à l’horreur de l’acte commis. Ce sentiment fut totalement partagé par la salle : le public vibrait et partageait pleinement ce sentiment indicible mais que tous ressentait en leur fort intérieur. Je pense que la musique nous démontre que par son langage unique, un chanteur arabe, juif et chrétien sont reliés par des racines communes qui transcendent les oppositions historiques. »
LEXNEWS : « Nos lecteurs vous connaissent par vos nombreux concerts que nous avons couverts ainsi que par un premier disque « Sopra la Rosa » paru précédemment chez Ambroisie, mais on peut dire que votre dernier enregistrement qui paraît ce printemps chez ALIAVOX signe une création très personnelle ? »
Arianna SAVALL : « Bella Terra est un projet qui est né il y a 11 ans d’une manière très intimiste à la maison. C’est une création musicale consacrée à la poésie. Bella Terra est à la fois le village de mon enfance et en même temps un nom à l’évocation universelle. « Belle terre » fait ainsi référence à une terre un peu plus juste, mieux équilibrée et que l’homme respecterait plus ! Ce mot évoque également l’idée de partage entre l’homme et la nature, l’homme et la femme, ainsi que l’idée de vie indissociable de cette notion. Dans cette idée, j’ai sélectionné des poèmes que j’aimais beaucoup et qui ont pour thème commun l’amour dans ses différentes acceptions : l’amour filial, spirituel, charnel,… Les poésies de Joan Salvat-Papasseit, poète catalan mort à l’âge de 30 ans, expriment cette vitalité dans ses œuvres. Un autre grand poète malheureusement disparu l’automne dernier, Miquel Martí i Pol, a eu également une très grande influence sur notre jeunesse : atteint d’une grave maladie, le poète a développé une communication exceptionnelle avec la jeunesse. J’ai eu le plaisir de le rencontrer un jour et de lui faire entendre certains de ses poèmes que j’avais mis en musique, son accueil fut chaleureux et il m’encouragea vivement à poursuivre.
LEXNEWS : « D’où vous vient ce goût pour cette poésie qui est au cœur de cette nouvelle création ? »
Arianna SAVALL : « Je crois que très jeune j’ai pu bénéficier d’une certaine sensibilité à la poésie grâce au système éducatif que j’ai suivi en Suisse pendant ma jeunesse. Mes parents m’avaient inscrite dans une école à Bâle réputée pour son encadrement pédagogique. Ce fut une expérience fantastique car ce système éducatif part du postulat qu’il est indispensable de préserver cette enfance alors même que, trop souvent, les écoles saturent d’informations et de réalités ces jeunes esprits qui deviennent trop vite adultes. Je me rappelle que nous avions dans cette école de nombreuses manifestations où nous récitions des poèmes de RILKE et de GOETHE. Je pense que cette sensibilité pour la poésie date de cette époque dans un univers poétique germanique en raison de ma situation géographique. A 8-9 ans, nous étions comme dans un rêve. »
LEXNEWS : « La partie musicale est-elle de votre composition ? »
Arianna SAVALL : « Oui, tout à fait. Je n’ai pas voulu imiter un style particulier. Bien sûr ma formation première de musique ancienne est certainement très importante dans les fondements de ces musiques du disque mais j’ai essayé de créer un style propre très personnel et intimiste offert par ce dialogue très spécial entre la voix et la harpe. Cette conversation est un peu perdue de nos jours en Europe même si elle est restée très présente en Irlande et en Amérique. »
LEXNEWS : « Peut on dire que vous avez rétabli un pont entre les origines médiévales des troubadours et notre époque contemporaine en repensant l’équilibre longtemps effacé entre les mots et la musique ? »
Arianna SAVALL : « Je pense en effet que nos origines médiévales accordaient une importance très grande au mot et que la culture des troubadours n’est pas éloignée de ma démarche. Je suis souvent partie d’un poème pour établir la musique qui lui correspond. Mais j’ai également dans certains cas rechercher un texte qui puisse accueillir une mélodie que j’avais à l’esprit, même si par la suite cette mélodie devait elle-même subir quelques modifications pour s’adapter aux accents et au rythme du texte ! Avant de faire ce disque, j’avais depuis longtemps développé en concert cette manière de chanter en s’accompagnant à la harpe. Je trouvais cela très naturel de chanter accompagner de la harpe : c’est en effet tout d’abord une excellente position pour exprimer le chant et la harpe soutient parfaitement la voix avec force ou douceur selon les cas. Elle n’éteint jamais la voix. »
LEXNEWS : « Dans quelle langue sont les poèmes retenus pour votre disque ? »
Arianna SAVALL : « J’ai retenu des poèmes en catalan, en espagnol, un thème séfarade : « Yo m’enamorí d’un aire », et un poème chanté en arabe du poète soufi perse Omar JAYYAM du XII° siècle avec un texte d’une modernité frappante lorsqu’il dit : « Un instant sépare la dévotion du blasphème, un instant partage ce qui est certain de l’incertain profite de cet instant et donne lui tout son prix, car la somme de la vie est comprise en cet instant. » Cette diversité des textes a d’ailleurs retenu l’attention du public lors des concerts donnés. Ce disque peut être ainsi rangé dans la catégorie musique du monde du fait de cet héritage. Certains le présentent dans la catégorie musique ancienne en raison de ma formation initiale et de certains instruments qui y figurent même si je pense que le fait que ce soit une création propre et nouvelle irait plutôt vers la première catégorie. Julio Andrade avec la contrebasse ou Pedro Estevan pour les percussions ainsi que Dimitris Psonis avec ses instruments traditionnels donnent certainement une connotation ancienne à la musique interprétée, ce qui est d’ailleurs le cas avec la harpe que j’utilise ! »
LEXNEWS : « Arianna merci, et à très bientôt dans nos colonnes pour de nouvelles poésies musicales ! »
A découvrir dans notre page DISQUE le très bel album "Bella Terra" paru chez ALIA VOX !
Les Interviews de LEXNEWS : EDWARD HIGGINBOTTOM, LANVELLEC, 25/10/03.
© LEXNEWS
LEXNEWS : « Votre formation initiale est celle d’un organiste qui très vite s’est passionné pour la musique baroque et notamment française, d’où vous vient cette attirance pour cet instrument et ce répertoire et comment êtes vous passé très jeune à la direction d’orchestre puisqu’à l’âge de 29 ans vous devenez Director of Music du New College Choir Oxford ? »
EDWARD HIGGINBOTTOM : « J'ai eu très tôt accès à l'orgue de ma paroisse. C’est vers l'âge de 10 ans que cet instrument m'a attiré, un instrument qui avait l'air un peu plus grand que le piano ! C'est en raison de son esthétique sonore que j'ai alors décidé d'aller plus loin. Un jeune enfant ne pouvait être qu'attiré par la magie des jeux et de leurs multiples combinaisons. Après plusieurs années de pratique, vers l'âge de 16 ans, j'ai été nommé responsable du choeur et du jeu d'orgues de cette église. C'est donc un peu par hasard que j'ai pris un certain goût pour ce genre de choses. Je suis allé ensuite à Cambridge afin d’étudier la musique. Dans ce cadre d'études, il est possible d'être nommé Organ Scholar : c’est un poste qui pendant les trois ans d'études permet d'exercer le rôle de chef de choeur et d’organiste dans la chapelle du collège. Vous le savez pour nous en Angleterre les collèges ne correspondent pas obligatoirement à un enseignement secondaire mais se rattachent aux universités anciennes, Cambridge et Oxford par exemple. Ce sont des bâtiments où vivent les étudiants et les professeurs avec une vie en communauté. C'est d'ailleurs la vie que je mène actuellement au New College. Depuis six siècles, nous avons une activité liturgique dans la chapelle où je dirige cet office. Dans certains collèges, la musique peut même être dirigée par un étudiant. Cette expérience a été très enrichissante car avant même d'être formé, on est obligé de pratiquer cette direction ! Dans cette tâche difficile, l’ Organ Scholar plus âgé peut bien entendu vous guider de manière précieuse. C'est ainsi une sorte de formation empirique et pragmatique. À l'issue de la formation universitaire, j'avais la connaissance de l'orgue, du champ, de la direction et j'ai poursuivi mes études supérieures. Je me suis alors rendu à Paris afin d'approfondir la musique baroque française. C'est à cette époque que j'ai pu suivre des leçons d'orgues avec Marie-Claire Alain. Deux voies s'ouvraient alors à moi : la voie d’un musicologue et la voie d'un interprète. En revenant en Angleterre, j'ai pu avoir un poste qui nécessitait ces deux voies à la fois. C'est d'ailleurs le poste que je possède actuellement : je suis responsable de l'enseignement universitaire et parallèlement j'ai la responsabilité du choeur. »
LEXNEWS : « c'est en fait une certaine tradition historique qui vous a amené à ces deux voies parallèles alors même que souvent les organistes préfèrent une certaine solitude »
EDWARD HIGGINBOTTOM : « il est vrai qu'en France, les organistes ont plutôt une position à part. Ils ont leur propre formation et la pratique de l'ordre des instruments se réalise tout en haut de la tribune. À l'inverse, en Angleterre, les organistes se trouvent souvent associés à des responsabilités de direction de choeur. Il descend alors de sa tribune et c'est son assistant qui assure le jeu de l’instrument ! L’avantage de cette approche est que le chef de choeur connaît le jeu d'orgues : les conseillers ainsi prodigués à son assistant sont forcément plus éclairés. La formation musicale d'un organiste et forcément plus solide que celle d'un chanteur : la composition, l'harmonie, l’analyse sont des domaines familiers. » LEXNEWS : « Vous êtes partisan d’un certain éclectisme dans le choix des répertoires et des œuvres que vous souhaitez présenter, quelle est pour vous l’apport d’une telle démarche ? »
EDWARD HIGGINBOTTOM : « J'ai toujours envie de répondre l'inverse : pourquoi vouloir se restreindre à un certain répertoire ? Il est clair que très souvent l'argument avancé est celui d'une connaissance absolue dans un domaine afin de garantir une spécialité, une niche qui très souvent n'est pas éloignée d'incidences commerciales. Ce n'est pas du tout mon champ de bataille ! Nous pourrions certes revendiquer cette spécialisation dans la musique de BYRD, par exemple, mais d'autres ensembles comme les TALLIS SCHOLARS interprètent déjà cette musique. Ils ont l'avantage de travailler avec des adultes, des soprani qui ont une expérience certaine. Un enfant à l'inverse aura beaucoup de mal à suivre… Je ne veux pas pour ces raisons me présenter comme une personne ayant une spécialisation absolue dans telle ou telle école. Je préfère élaborer un instrument qui a son timbre spécifique, sa capacité à aborder un répertoire et avec cet instrument nous jouons ! Notre ensemble à une certaine couleur qui lui est propre et que l'on ne retrouve pas ailleurs. Cela est bien sûr le résultat de certaines règles et d’une certaine approche. Bien sûr, ces timbres pourront varier à l'image d'un cru pour le vin. Les modalités d'organisation du College nous facilitent cette tâche : notre obligation principale est d'assurer les offices, le reste est laissé plus libre. Le deuxième objectif est de fournir aux enfants une formation musicale la plus complète possible. Dans cette optique, je préfère que cette formation soit fondée sur un grand nombre d'auteurs plutôt que sur un seul ! Je préfère constater que nos enfants ont pu chanter du BACH, du HAYDN, du TALLIS plutôt qu'un seul courant ».
LEXNEWS : « N’était ce pas le cas autrefois en Angleterre avec les diverses influences musicales héritées de l’histoire ? »
EDWARD HIGGINBOTTOM : « Oui ! Tout à fait, en Angleterre au XVIIe siècle, nous avions des anthologies imprimées des oeuvres liturgiques qui contenaient les oeuvres du passé comme celles de TALLIS et BYRD. Ces anthologies furent la base des anthologies rédigées au XVIIIe siècle. Grâce à ce travail, un certain nombre d'oeuvres ont été perpétuées de siècle en siècle. Il n'y a jamais eu en Angleterre d'époque où ni TALLIS ni BYRD ne furent chantés. À l'inverse en France il y a eu de grandes ruptures : au XVIIIe siècle, on ne chantait plus LE JEUNE ou DU CAURROY. »
LEXNEWS : « Revenons à votre instrument de prédilection : comment percevez vous le travail de restauration des orgues baroques entrepris depuis plusieurs années ? »
EDWARD HIGGINBOTTOM : « Nous avons une connaissance assez complète de la technique de l'instrument pour l'époque baroque à l'inverse de la renaissance ou de l'époque médiévale. De nombreux tuyaux sont restés intacts, il nous reste de nombreux schémas des différents mécanismes de l'instrument. Nous avons un grand nombre d'instruments qui sont restés en l'état ou très peu changés. Nous avons constaté que c'est souvent le cas dans le cadre de petites paroisses comme à Lanvellec. Cela s'explique très souvent par le fait que ces paroisses n'avaient pas suffisamment d'argent pour changer ou modifier l'orgue. Cela nous a permis de conserver un certain nombre d'instruments historiques. À l'inverse, en Angleterre nous avons eu beaucoup de mal à sauvegarder ses instruments : pendant les XVIIe et XVIIIe siècle, le pays était tellement riche que les instruments étaient systématiquement changés. Si vous souhaitez retrouver des instruments anciens du XVIIe siècle, il faut aller en Espagne par exemple. Après la grandeur de ce pays, l'économie affaiblie n'a pas altéré ce patrimoine. Il est vrai que certaines restaurations ont pu parfois abîmer l'esthétique générale de l'instrument. Un facteur d'orgues est un artiste et, à l'image des marqueteries des plus beaux meubles du château de Versailles, l'âge d'or pour l'instrument sont les XVIIe et XVIIIe siècles. On peut certes avoir une certaine nostalgie de cette époque et regretter les altérations apportées à ce legs ! »
LEXNEWS : « Pouvez vous nous présenter l’œuvre que vous dirigez ce soir à LANVELLEC ? »
EDWARD HIGGINBOTTOM : « Le programme de ce concert a pour thématique l'orgue de DALLAM. Robert DALLAM est enterré à New College. En rentrant en Angleterre lors de la restauration du roi vers 1660, il travailla sur l'orgue de New College. C'est un lien très fort qui nous unit donc avec LANVELLEC. À partir donc de cet axe de 1660, nous allons interpréter des vêpres (EvenSongs) de la période de Jacques Ier. Ce sont des vêpres qui ont pu être entendues dans les toutes premières années du XVIIe siècle avec des musiques de GIBBONS et TOMKINS. Ces deux musiciens ont eu connaissance des orgues de DALLAM. En deuxième partie nous présenterons des oeuvres de la restauration de HUMFREY et LOCKE de la première période baroque. Il y avait à cette époque un changement de style en Angleterre en retrait par rapport à la France et l'Italie en retenant des formules baroques plus dramatiques et plus fondées sur les voies individuelles avec des résultats plus variés. Nous finissons avec le grand PURCELL et son motet « Singet Lord » qui est l'apogée de la création de cette nouvelle école baroque en Angleterre. »
LEXNEWS : « Quels sont vos projets pour les mois à venir ? »
EDWARD HIGGINBOTTOM : « Dans le cadre de notre activité au New College, nous chantons les vêpres six fois par semaine ! Chaque office est un travail spécifique avec un programme que nous élaborons systématiquement. C'est évidemment une préparation importante et c'est en même temps le moyen idéal de former nos jeunes. Un office dure 40 minutes avec 30 minutes de musique. Nous pouvons très bien chanté une seule fois un motet qui ne sera plus chanté pendant trois ans ! Cette pratique nous donne une certaine aisance. La musique que nous allons chanter ce soir correspond tout à fait aux musiques que nous chantons quotidiennement pendant nos offices. Ces offices sont la base de notre travail. J'ai comme projet d'enregistrer les oeuvres tout à fait contemporaines de compositeurs britanniques l'année prochaine et nous commençons à les travailler dès maintenant. Ce sont des oeuvres très étroitement liées à la liturgie comme la plupart des musiques que nous jouons. C'est pour ces raisons que je n'ai jamais entrepris de travaux sur un vaste répertoire profane même s'il nous arrive de jouer certaines pièces populaires lors de concerts. »
Pour tous renseignements complémentaires : www.newcollegechoir.co.uk
Les Interviews de LEXNEWS : Interview Gérard LESNE, Paris, 05/06/03. © LEXNEWS LEXNEWS a rencontré un grande figure du chant français, Gérard LESNE, lors de la sortie de son dernier enregistrement consacré à PURCELL. Un entretien extraordinaire qui pourra servir d’inspiration aux jeunes générations marchant sur les traces d’un autodidacte qui est parvenu aux premières places de son art, et ce avec modestie ! »
LEXNEWS : « Pouvez vous rappeler à nos lecteurs votre parcours musical qui, à ses origines, est plutôt atypique ? »
Gérard LESNE : « Oui, en effet je n'ai pas une formation classique passant par le conservatoire. Lorsque j'ai débuté il n'y avait pas de structure d'accueil pour un jeune altiste. Un artiste comme Alfred DELLER avait déjà réalisé une belle carrière, je me souviens d’ailleurs qu'il est décédé au moment où j'ai commencé ma propre carrière en 1979. Il existait à l'époque une école anglaise, ainsi qu'une école nordique, avec des noms prestigieux comme René JACOBS, James BOWMAN,… mais en France, au début des années 80, il y avait encore tout à faire. J'ai eu la chance de commencer avec René CLEMENCIC, et grâce à lui, j'ai pu découvrir tous les répertoires de la musique ancienne, non seulement la musique baroque, mais surtout au départ la musique médiévale puis la musique renaissance. Pour la musique baroque, j'ai travaillé le répertoire italien avec lui. C'était la grande période des CARMINA BURANA avec de superbes mises en l'espace. Cela a été une façon extraordinaire d'apprendre mon métier! Quand René CLEMENCIC m'a engagé dans son ensemble, j'étais complètement novice. J'avais certes une jolie voix mais c'était mon seul bagage ! Je n'avais jamais fait de travail préalable au sein de conservatoire. Je savais à peine lire la musique... J'ai appris sur le tas, le plus vite possible. On m'a conseillé d’aller le voir car à l'époque nous étions très peu à avoir ce type de voix. C'était en été, je suivais un Masterclass et je me suis retrouvé engagé l'automne suivant pour une production lyrique en Allemagne avec un rôle très important ! Par la suite, il m’a proposé un nombre incroyable de projets et je me suis retrouvé du jour au lendemain à gagner ma vie ainsi. CLEMENCIC m'a ouvert les portes de ces répertoires, et par la suite j'ai pu travaillé avec l'ensemble ORGANUM dirigé par Marcel PERES. Cela a été également l'occasion de faire de très nombreuses découvertes quant à la musique médiévale, l’Ars Subtilior,… j'ai un souvenir extraordinaire de toutes ces années. J'étais à l’époque connu exclusivement en tant que chanteur médiéval. Lorsque des grands chefs m'ont proposé d'autres répertoires, ils étaient alors hésitants au regard de ce seul bagage. J'ai été engagé par William Christie et j'ai pu compléter avec lui ma formation. C'est un personnage étonnant, une personnalité difficile mais cela a été une expérience très enrichissante. J'ai pu faire beaucoup de musiques françaises avec lui ce qui m'a été d'une grande aide pour la suite et notamment avec El Seminario. J'ai également pratiqué la musique allemande avec HERREWEGHE. »
LEXNEWS « Pensez-vous que ce type d'expérience soit encore possible de nos jours pour un jeune chanteur ? »
Gérard LESNE : « Je pense en effet que ce serait beaucoup plus difficile. C'est un problème auquel je suis confronté aujourd'hui en tant qu'enseignant, puisque j'enseigne depuis plus de dix ans à ROYAUMONT. Il est clair qu'aujourd'hui, autant qu'hier, une très belle voix aura toujours sa place. Mais il est sûr que ce sera beaucoup plus difficile aujourd'hui : il faut être curieux, adaptable, ouvert à de très nombreux répertoires afin de pouvoir répondre aux exigences des différentes productions. Il faut avoir une idée claire de ce que les chefs vont pouvoir vous demander. Il m'arrive régulièrement de prendre de très jeunes chanteurs dont le bagage est certes plus complet que le mien à l’époque et j'espère ainsi reproduire le schéma que j'ai pu connaître. »
LEXNEWS : « Comment percevez vous la voix en tant qu’instrument par rapport aux autres instruments qui participent aux répertoires que vous avez choisis ? »
Gérard LESNE : « Cela rejoint un point que j'ai développé dans mes enseignements. Lorsqu'on lit les traités d'ornementation, il faut partir d'une voix la plus malléable possible et la plus simple possible. Il faut aussi un son très filé, droit, sans vibrato. Lorsqu'on commence à travailler avec moi, je demande à ce que l'on gomme toute référence à l'art vocal du XIXe ou tout est fondé sur une voix très vibrée, très appuyée où finalement la prononciation a moins d'importance que pour des périodes plus anciennes. À partir de cette voix très flexible, très instrumentale, on commence à construire son ornementation en intégrant le vibrato d'une manière très volontaire en sachant pourquoi l'on vibre. Cette façon d'ornementer nous vient directement des instruments, le flattement par exemple est un vibrato particulier, mais c'est déjà un vibrato ! Il faut prendre conscience de tout cela. Je pense en effet que la référence instrumentale est très importante. »
LEXNEWS : « Les références aux voies humaines quant aux instruments étaient fréquentes au XVII° siècle, l’inverse l’est également ? »
Gérard LESNE : « Oui, absolument ! Cette simplicité de la voix se retrouve dans toutes les musiques populaires. Lorsque l'on écoute une artiste comme Nathalie DESSAY interprétant MOZART, elle a intuitivement tout intégré : un son filé, droit, sur lequel on va construire la ligne de chant. Je pense que c'est une certaine décadence de l'art vocal qui a perverti tout cela. Je ne pense pas qu'il faille une technique particulière pour chanter ce répertoire. Il faut chanter de la façon la plus sobre possible. Bien sûr, cette remarque ne concerne que la pose de voix et non l'ornementation. Si le vibrato est nécessaire, son omniprésence est négative. Je n'ai rien en tant que tel contre le vibrato, il m’arrive très fréquemment d'utiliser cette technique, mais les voyelles et les consonnes doivent primer sur ce vibrato. Le vibrato peut souvent être un cache-misère qui va masquer le texte et tout faire disparaître. Et lorsque je demande à mes élèves de réduire ce vibrato ils sont les premiers surpris du résultat et constatent qu'on leur demande rarement une telle chose ! Si dans une production, nous n'avons pas toujours le temps d'insister sur ce point en raison de l'urgence, il est aberrant que cette attitude ne soit pas plus cultivée pendant les enseignements. J'ai fait récemment une production STRADELLA avec un ensemble allemand, qui par ailleurs a de grandes qualités instrumentales : cet univers musical est à la charnière entre le XVIIe avec Monteverdi, CARISSIMI,… et le XVIII°. Il n'y a pas eu à cette occasion une seule référence à la prise de voix ! Pour moi ce fut un non-sens total. Je pense qu'il ne s'agit pas de gommer totalement le vibrato mais de savoir dans quelle mesure il est intégré par rapport à l’œuvre à interpréter. »
LEXNEWS : « Quels sont pour vous les défis à relever aujourd’hui quant à l’approche vocale des répertoires de musique ancienne ? »
Gérard LESNE : « Après avoir travaillé sur la première moitié du XVIIIe siècle, je pense que j'ai beaucoup plus à faire dans le répertoire antérieur de la musique italienne. Il faut savoir qu’en Italie chaque église ou presque possède une bibliothèque avec des oeuvres secrètement conservées ! Il y a un travail énorme de recherche dans cette direction, beaucoup plus qu'en France où ces musiques de Cour ont été traditionnellement centralisées. La musique italienne était ainsi démultipliée en autant de lieux espacés géographiquement où les oeuvres sont demeurées jusqu’ à notre époque. Mais tout est compliqué en Italie, peu de personnes ont pris conscience de cette richesse. Les arts plastiques ont eu la priorité, les répertoires incontournables de VIVALDI sont connus mais tout le reste est à découvrir ! C'est la piste qui me semble la plus évidente… je vais peut-être également travailler avec des effectifs plus importants afin de d’exploiter l'oratorio par exemple. »
LEXNEWS : « Vous venez de signer un superbe disque honorant un grand maître de la musique anglaise, Henry PURCELL, qu’évoque pour vous ce nom et ce 17ème siècle finissant outre-manche ? »
Gérard LESNE : « C'est le génie absolu. C'est un compositeur qui était à l'aise dans tous les genres, curieux de tout et qui aimait relever les défis. Il a élaboré beaucoup de sons sur des basses obligées : je trouve que c'est ce qu'il y a de plus beau dans ce disque ! « O Solitude » par exemple est un véritable défi puisque PURCELL ne devait pas faire deux fois la même chose même s'il s'agissait de cinq minutes de basse ininterrompue ! Il y a là une invention extraordinaire… J'ai autant pratiqué le répertoire allemand qu’anglais. Il est vrai que j’avançais avec prudence quant à des langues réputées difficiles à chanter, surtout l'anglais. J'ai ainsi patienté avant d'aborder ce répertoire anglais ce qui avec le recul me semble une bonne chose. J’estime que ce répertoire doit être épuré de tout artifice. Dans le même esprit, un prochain disque sera consacré aux Songs de DOWLAND avec un quatuor de violes. J'ai adoré faire ce travail mais je ne sais pas encore si cela constituera un axe pour l'avenir. Mais je dois avouer que tout cela est rarement raisonné chez moi et c'est pour cette raison que j'ai beaucoup de mal à en parler à l'avance. Pour moi, les choses viennent quand elles doivent venir ! Ce disque de PURCELL est venu au bon moment mais je ne décide pas de m’enfermer dans une direction particulière. Pour le répertoire français, en tant que haut de contre, je pense avoir fait le tour des oeuvres majeures même si je n’ai bien sûr pas tout accompli ! »
LEXNEWS : « Quel conseil pourriez vous donner aujourd’hui à une jeune chanteur débutant dans cet univers ? »
Gérard LESNE : « Je pense qu'il doit viser l'excellence ! Il n'y a que la qualité qui puisse faire la différence dans un domaine où il y a de plus en plus de monde. Un bon chanteur aura toujours une opportunité pour faire une bonne carrière même si les difficultés sont grandes. Mais techniquement, il doit être irréprochable. En tant qu'autodidacte, je peux dire que je me suis fait mon goût et je pense que c'est la première des choses. Il ne faut pas hésiter par exemple à s'enregistrer lors des cours et s'analyser, s'écouter, ce qui est très formateur et difficile à la fois ! Petit à petit, on sait où l'on va situer sa voix, il ne faut pas trop faire confiance aux autres ! Je peux donner des clés mais j'essaye avant tout de préserver l'autonomie d’un jeune chanteur. Je constate cette qualité lorsqu'un jeune chanteur se corrige automatiquement avant même que j'ai eu le temps de dire quelque chose. Je pense qu'avec cette attitude il est possible d’arriver à des résultats surprenants. Cela nous arrive fréquemment à ROYAUMONT et je crois que cela serait intéressant de présenter à vos lecteurs notre approche lors d’une prochaine visite. »
Gérard LESNE, merci ! Nous acceptons bien volontiers votre invitation au Centre de ROYAUMONT afin de présenter votre approche pédagogique avec vos élèves.
Les Interviews de LEXNEWS : Interview Rolf LISLEVAND Paris, 20/05/03. © LEXNEWS LEXNEWS : « Pouvez vous nous parler de votre dernier disque consacré au luth sorti chez Naïve ? »
Rolf LISLEVAND : « Je mène depuis plusieurs années des parcours parallèles. D'un côté, je conduis un travail de groupe sur des périodes spécifiques ou un compositeur particulier. Nous entrons alors dans un monde musical et nous nous identifions à cet univers. Cela donne lieu évidemment à une certaine subjectivité associée à un aspect créatif. Très souvent, dans nos précédents enregistrements, nous avons laissé une large part à l'improvisation. Lorsque ces programmes ont été joués en concert, d'autres éléments se sont ajoutés aux résultats enregistrés. Le disque et le concert vont ainsi donner lieu à des résultats différents… Parallèlement à cette première activité, je consacre également une autre partie de mon temps au luth en solo. Ces deux chemins me correspondent en tant que musicien, et également quant à ma personnalité. Il y a là un côté extraverti et introverti. L'univers de l'instrument est pour moi une énorme santé mentale, indispensable en tant que musicien et homme. C'est une forme de méditation. »
LEXNEWS : « Même si le mot est souvent trop galvaudé, nous avons l'impression en vous voyant jouer que vous adoptez une attitude que l'on pourrait qualifier de « zen » ? ».
Rolf LISLEVAND : « Je fais moi-même un travail pédagogique. Cette référence à une culture spirituelle est souvent très proche de mes activités. Mais je pense que mon expérience personnelle résulte d'une démarche inverse. Je ne connais pas particulièrement le zen même si j'ai pu m'y intéresser un peu. Mais il est frappant de constater que lorsqu'on décide de communiquer son expérience de plus de vingt ans sur un instrument il est possible de relever des similitudes avec l'approche zen quant à la transmission d'un acquis. Les relations avec le temps, avec le travail, font en sorte que le but apparaît secondaire. Je pense qu'il y a très concrètement des points communs entre les anciennes cultures orientales et notre culture européenne elle même plus ancienne. Je suis persuadé que cela n'est pas un hasard ! Si nous prenons par exemple nos relations avec le temps, thème aujourd'hui perverti dans notre société occidentale, il me semble naturel de recommander à mes élèves d'attendre quatre ou cinq ans avant d'obtenir les résultats souhaités. Dire cela aujourd'hui à des élèves de vingt ans est cependant relativement difficile !!! Je pense qu'aujourd'hui notre société a réduit à l'extrême tout résultat qui pourrait excéder quelques mois. La culture des 17-18e siècles adopte une approche très forte quant à cette relation avec le temps, et cela est pour moi un trait commun avec les cultures orientales. Il est possible de relever un autre similitude : j'ai pu constater avec les instruments de cette période que la notion de force était absente. Ce n'est que progressivement, à partir du XVIIIe et XIXe siècles, qu’une certaine tension va s'installer quant à l'approche des instruments. Cela conduira à exécuter toute musique avec une plus grande force. Or, en musique ancienne, notre approche est totalement différente. L'objectif principal est justement de supprimer toute force. En fait, tout l'art consiste à jouer entre la force et la relaxation ! Et il me semble que nous retrouvons sur ce point également l'approche extrême-orientale. Lorsque nous observons la société du XVIIe siècle, nous pouvons déceler une sorte d'instinct naturel où le jeu entre tension et relaxation est continuel et est intégré à toutes les activités de la société. Cela se répercute même jusqu'au plus banal mouvement d'un doigt ou d'un geste. La musique de la renaissance et du baroque gardent cette approche de l'inspiration/expiration, cette sensation de respirer entre divers niveaux de tension ponctués de moments de relaxation. »
LEXNEWS : « Cela s'observe d'ailleurs dans votre jeu sur scène, où l'inspiration et expiration prennent visiblement une part très importante »
Rolf LISLEVAND : « Oui ! C'est pour moi un aspect physique essentiel. Nos instruments impliquent un contact très physique. Je sais qu'il est possible de faire autrement mais cela me coûterait beaucoup. Pour les instruments de luth, l'idée de ligne est très abstraite. Une corde pincée n'a un son que lors de l'attaque et la continuation de ce son relève presque plus de notre imagination ! Inutile de dire qu'un violon ou une viole permettent un véritable travail sur la résonance après l'attaque. Pour nous luthistes, cette résonance appartient à notre imaginaire et c'est à nous justement d'imaginer cela à l'aide de notre propre corps. Et c'est là où nous pouvons en effet nous rapprocher des expériences des sociétés orientales. »
LEXNEWS : « Le luth est donc au coeur de ce prochain enregistrement ? »
Rolf LISLEVAND : « Oui, il s'agit du luth 11 chœurs que je considère être le luth le plus parfait ! C'est un instrument qui a un très grand ambitus, pouvant descendre très bas dans les graves jusqu'aux notes les plus aiguës. Plus tard le luth évoluera à la période baroque avec plus de cordes et deviendra d'une certaine manière un animal en voie d'extinction en raison de sa complexité à être joué. Cette période du luth classique me fascine depuis de nombreuses années. C'est une musique qui n'est pas virtuose, il y a un jeu de timbres avec un équilibre incroyablement subtil qui porte vers l’intérieur. C'est une musique qui était jouée pour un public très réduit. Il s'agissait très souvent de réunions d'humanistes dans les maisons bourgeoises parisiennes. Ils se rencontraient une fois par mois en faisant des discours sur de nouveaux sujets et invitaient des luthistes pour qu'ils jouent leurs nouvelles compositions. Dix à quinze personnes se réunissaient ainsi en fumant la pipe, un verre de vin à la main, dans une pièce de taille réduite. Cela nous donne une indication précieuse quant aux conditions acoustiques de cette musique. C'est une musique qu'il faut écouter en toute intimité, la nuit par exemple ! Le contexte social dans lequel étaient jouées ces musiques me semble essentiel et je pense qu'aujourd'hui nous nous trompons énormément sur cet aspect. Nous avons recréé ces 30-40 dernières années la musique ancienne avec le plus de connaissances possibles avec un parcours admirable, mais je pense qu'il est temps également de tenir compte de cet autre aspect. Ce répertoire ne peut être abordé sans une étude de son contexte. Nous avons là une musique qui exige une forme d'écoute très précise pour qu'elle puisse donner son maximum. Certains musicologues estiment qu'avec cette approche nous allons dévaluer la musique, je ne suis pas du tout d'accord avec cela. En fait toute musique doit inclure cette dimension acoustique, psychologique... Il est un peu désolant que ce formalisme, cet aspect rituel de la séance de concert directement héritée du XIXe siècle, soit transposé au répertoire ancien. Pour moi, c'est tout aussi absurde que de mettre un groupe de punk dans une église ! Et pour aller plus loin, les meilleures volontés peuvent placer un trio de musique baroque dans une belle cathédrale avec une acoustique agréable, cela ne permettra pas forcément de mettre en valeur cette musique. Il doit y avoir une correspondance entre ce qu’a pu imaginer un compositeur quant au son et le contexte pour lequel il a été conçu. Et si ce contexte avait changé à l'époque, il est évident que ce compositeur aurait également modifié sa propre œuvre ! »
LEXNEWS : « La question s'impose : comment retrouver ce contexte aujourd'hui, au XXIe siècle ? »
Rolf LISLEVAND : « Je reconnais que cela n'est pas du tout évident. Cette dimension entre en conflit très souvent avec notre société contemporaine, où l'idée de profit et d’approche commerciale est omniprésente. Cette dernière dimension est d'ailleurs un des points les plus importants. Mais je pense qu'au-delà de ces contingences matérielles, la lacune vient bien plus du fait de ne pas raconter l'histoire jusqu'au bout... Je pense qu'il manque ce dernier effort, ce qui est dommage après tout le travail accompli. La musique dont nous parlons ne pourra donner son maximum qu’à cette seule condition. Il ne suffit pas de recréer cette musique sur le plan du style, il ne suffit pas non plus de l'exécuter dans un lieu qui pourrait être le même que lors de sa création, mais il faut donner les conditions de l'expérience musicale. Et je pense que nous avons un rôle quant à cette dernière approche : nous nous devons d'expliquer cela. »
LEXNEWS : « L'écrit peut avoir un rôle sur ce dernière aspect ? »
Rolf LISLEVAND : « Oui, tout à fait ! La conversation que nous tenons, l'article paru dans vos colonnes contribuent à cette approche. Je pense qu'il est très important qu'il y ait une collaboration quant à l'organisation des concerts, que le public ait une information suffisante et que les musiciens s'impliquent particulièrement sur ce point. Nous ne devons pas nous cacher derrière le rituel du concert, ce qui est trop souvent le cas ! »
LEXNEWS : « Nous avons en effet constaté, de plus en plus, lors des concerts et festivals, que vous preniez le temps d'expliquer les musiques et leur contexte avant de les interpréter »
Rolf LISLEVAND : « Oui, pour moi le fait d'être musicien implique une volonté de communiquer. Je pense qu'il doit être très douloureux de croire à quelque chose et de ne pas avoir la possibilité de le communiquer. Mais nous avons besoin d'aide pour cela ! Il est clair que si l'on me demande d'interpréter le Manuscrit de Barbe au luth dans une jolie salle du XIXe avec 400 personnes, je sais qu'il sera difficile pour le public d'entrer dans cet univers sonore composé par le toucher que je travaille depuis des années, tous les petits jeux de tension, de résonances, les images qui se créent dans cette musique... Je me ferai certes plaisir d'un point de vue très égoïste, mais ce plaisir sera bien réduit au regard de l'absence de communication avec l'ensemble de la salle. Je pense que la solution, aujourd'hui, pour ce genre de répertoire réside dans le disque. Cela me semble essentiel. Nous pouvons contrôler cette situation et avoir une écoute relativement idéale. Nous pouvons recréer de cette façon un certain contexte social avec certes quelques artifices mais cela ne me dérange pas du tout. Nous adaptons alors cette musique au contexte contemporain. En poussant le raisonnement à l’extrême, je préfère utiliser ces artifices modernes pour parvenir à reproduire ce contexte, avec par exemple l’idée de concert amplifié. »
LEXNEWS : « Pouvez vous nous parler de ce dernier enregistrement de musique française pour le luth ? »
Rolf LISLEVAND : « Il s'agit d'un manuscrit qui appartenait à un certain M. BARBE de Clermont-Ferrand qui est une sélection des plus belles pièces de musique de luth du XVIIe avec un mélange de plusieurs compositeurs: les deux GAULTIER, DUFAUT, GALLOT, MOUTON,… C'est le sommet de cette culture de l'école française de luth ! C'est probablement le recueil le plus précis dans notre répertoire : les doigtés, les informations diverses, tout y est ! Je crois qu'il n'existe aucune autre source aussi complète pour notre instrument. C'est en tant que tel une véritable école quant au jeu de l'instrument même. Le critère de sélection de ces oeuvres tient au goût de barbe lui-même. Le manuscrit donne également une information très riche quant à la manière d'aborder cette musique. Nous valorisons aujourd'hui certains paramètres de manière tout à fait différente de ce qui pouvait se faire à l'époque. J'ai été surpris car je m'attendais à une continuation de l'idée du XVIe siècle du point de vue de la polyphonie, du soin des voix,…. Et soudainement, j'ai réalisé que l'information donnée par ce manuscrit me portait vers une autre direction, une direction avec un goût très marqué pour le geste musical et pour créer des événements verticaux du son. À l'image de nombreuses musiques françaises, il y a un goût marqué pour le timbre. Lorsque l'on découvre cette musique après avoir lu les tablatures, le jeu de l'instrument révèle de nouvelles expériences que l’on n’envisageait pas à première lecture ! Ce qui est une très belle surprise... »
LEXNEWS : « Une découverte au-delà des notes ? »
Rolf LISLEVAND : « Oui tout à fait, toutes les précisions fournies par le manuscrit ouvrent les portes d'un autre univers. Et j'ai réalisé immédiatement qu'il ne fallait pas intervenir outre mesure dans cette interprétation afin de ne pas déséquilibrer cette musique ! Ce qui n'est pas le cas dans notre répertoire de musique italienne ou espagnole, où l'interprète a une part active pour faire revivre ces musiques. Pour ces répertoires, il y a un exemple d’interprétation mais qui n'est en rien rigide et fixé alors qu'avec cette musique française il y a un goût de la forme et une précision, une clarté telle qu'il n'est pas possible d'intervenir. Pour moi c'est un véritable défi ! Cela me permet un équilibre entre les musiques où j'ai à intervenir plus directement et celle où je dois adopter une position plus neutre. »
LEXNEWS : « Comment l'auditeur peut-il percevoir ces images que vous évoquiez quant à l'interprétation de ce manuscrit ? »
Rolf LISLEVAND : « Je pense que si l'auditeur joue le jeu et se met en condition dans un contexte d'écoute que nous évoquions tout à l'heure, cela n'exige pas une explication complémentaire. Je pense que la musique même va parler si on lui laisse cet espace. Il est certain que cette musique n'est pas d'un accès facile ! Ma propre expérience vis-à-vis des disques me porte à écouter ce genre de musique une première fois puis, après quelques temps, je renouvelle l'audition afin de découvrir de nouvelles choses. En fait, on réalise très vite que ce genre de musique peut tenir une certaine place dans notre quotidien. Cela peut être par exemple une belle référence à un moment d'émotion que l'on souhaite retrouver et j'espère vivement que ce disque pourra s'inscrire dans cette démarche… »
LEXNEWS : « En référence à ce que nous disions tout à l'heure, il ne s'agit pas d'une musique qui doit être appréhendée avec notre culture du XXIe siècle qui nous pousse à écouter et à consommer l'intégralité du message immédiatement ? »
Rolf LISLEVAND : « Absolument pas ! Il faut du temps, et c'est un peu comme une petite prière pour laquelle nous entendons vite les paroles et dont nous méditons la portée par la suite. Ce sera toujours les mêmes mots, mais le contenu sera de plus en plus riche... »
LEXNEWS : « Rolf LISLEVAND merci pour cette sincérité et la profondeur de ces explications, nul doute que nos lecteurs vous retrouveront avec bonheur dans ce superbe enregistrement ! » "Une remise à jour de l’exécution", un article de Rolf LISLEVAND pour les lecteurs de LEXNEWS !Je recrée pour moi-même ces circonstances authentiques et historiquement parfaitement fidèles : quelques jours seuls à la campagne avec mon luth. (La technique de l’enregistrement, historiquement infidèle, va vous permettre de partager cette expérience avec moi.)L’expression "exécution historiquement authentique" a été utilisée comme une conviction, un argument, une excuse et au bout du compte, comme un repère pour le classement et la vente. Cet abus a consumé l’expression en lui faisant perdre sa force et sa précision.De ses cendres, est née une nouvelle notion : la perception historique du jeu, formule qui décrit vers quoi tend l’interprète : une attitude et une conviction particulières. Ce terme exclut tous les aspects de la recherche et du savoir qui ne contribuent pas à la réalisation de notre but spécifique d’interprète d’un répertoire non contemporain : offrir à des auditeurs modernes une expérience émotionnelle et spirituelle aussi proche que possible des intentions finales du compositeur.Mais parce que l’état du cœur et de l’esprit de l’homme change, un auditeur de l’époque de Gaultier et un auditeur du XXIe siècle percevront la même information musicale de manière complètement différente. L’homme, et l’esprit de l’époque dans laquelle il vit, ont changé dans les détails les plus simples mais cependant importants tels que l’intensité du volume et de l’énergie que nous utilisons dans la vie quotidienne, ainsi que les notions de temps et de vitesse. Il apparaît donc que l’exécution la plus consciencieuse et la plus fidèle d’une partition "historique" peut ignorer les moyens stylistiques ou physiques dont le compositeur disposait, mais tentera de donner à l’auditeur l’expérience émotionnelle et spirituelle qu’il voulait communiquer.Il est probable que bien que ce ne soit ni une obligation ni une vertu en tant que telle, les moyens dont disposait le compositeur seront utilisés dans ce processus de reconstitution, dans la mesure du possible.L’un des aspects les plus négligés de nos efforts dans la perception historique du jeu est la conscience et le respect des conditions sociales dans lesquelles une œuvre était jouée. Très peu d’autres aspects stylistiques conditionnent autant l’écoute que le contexte social dans lequel une œuvre est exécutée. Cependant cet aspect est traditionnellement réduit au statut d’anecdote biographique ou historique, avec une importance limitée pour la circonstance de l’exécution, ou tout à fait marginale lorsque que l’on évalue l’œuvre du compositeur.J’ai lu un jour la note destinée à l’auditeur au dos d’un enregistrement pour luth : "Il est recommandé à l’auditeur de baisser le volume pour écouter ce disque afin d’obtenir le niveau sonore du jeu naturel de l’instrument." C’était sans aucun doute un conseil sérieux, prodigué en toute bonne foi.Mais étaient-ce les conditions dans lesquelles la musique pour luth était vraiment jouée ? Thomas Mace enfonçait les dents dans un coin de son luth afin de mieux sentir le son et les vibrations de la musique. Titon du Tillet était assis dans un vieux fauteuil face à Monsieur Falco, pendant que le luthiste jouait en répandant de la sueur et des larmes sur son luth. Gaultier jouait ses pièces nouvelles dans une demeure parisienne bourgeoise, pour une poignée de savants humanistes fumant leur pipe en buvant du vin rouge... Sainte Colombe composait et jouait ses pièces pour viole dans une maisonnette en bois isolée de quatre mètres carrés, avec pour public de circonstance, inconfortablement assis sous la maison, un disciple joueur de viole, aussi doué qu’il était jaloux... Robert de Visée jouait du luth et de la guitare pendant les promenades d’après-midi de Louis XIV à travers les galeries et les jardins de Versailles, marchant deux pas derrière le roi et son entourage. (Etait-ce la première incarnation du "walkman" qui devait devenir si populaire ?) De Visée jouit par la suite du privilège discutable de jouer dans la chambre royale devant l’auditoire prestigieux mais peut-être distrait, formé par une certaine "dame" et le roi lui-même.La musique, comme la plupart des formes d’expression humaines, requiert une certaine intimité pour communiquer de l’émotion. Toutes les traditions musicales anciennes ou originelles en ont tenu compte. Les conditions nécessaires à l’exécution d’un son structuré ont toujours été conçues de manière à permettre une notion physique du son. L’histoire de la musique écrite occidentale montre comment les instruments et leur technique de jeu ont évolué de manière à préserver cette énergie sonore pour un public toujours accru, jusqu’à une limite extrême où le concept s’effondre. La réaction du Romantisme à cet effondrement fut assez curieuse : D’une part, les circonstances conditionnaient profondément le processus créatif, d’autre part, l’intimité et le contact physique, l’expérience émotionnelle véritable, furent abandonnés, réduisant ainsi l’exécution de la musique à quelque chose qui se situait entre le rituel bourgeois et le témoignage de la vieille culture européenne. Pourquoi cette part, physique, de l’expérience musicale était-elle si gênante pour l’Europe du XIXe siècle et pourquoi le rythme laissa-t-il sa place à la couleur, à la mélodie, à l’harmonie, pour n’être plus réduit qu’à un élément d’organisation ?Dans la musique populaire moderne, quelque soit le style de rock, rap, pop ou techno, le besoin d’intimité et de contact physique avec le public est un préalable incontesté. Mais résoudre cette question conduit à ne pas se compromettre avec les exigences commerciales. Grâce à la technologie moderne, les vingt mille personnes d’un stade de football, aidées par l’amplification et les projections vidéo, sont aussi proche du son et des musiciens, que s’ils avaient le nez dans la rose de la guitare et que leurs dents et leur estomac transmettaient le son à tout leur corps. Une expérience collective d’intimité.Les contrôles de l’Union européenne menacent d’éliminer plusieurs sortes de fromages français parce que leurs méthodes de production ne sont pas conformes aux normes d’hygiène. Dans ce qui va bientôt devenir un XXIe siècle globalisé où nous aspirons à l’authentique, au local, à l’artisanal, pour notre esprit et nos sens, accordez un moment d’attention à ce moment unique dans l’histoire de l’art, créé par quelques uns, goûté par quelques uns, immortalisé par quelques fidèles, qui vous est offert, à vous et quelques amis pour une soirée intime accompagnée de vin et de fromage.. (Recommandation : ne baissez pas trop le volume !)*(En français dans le texte) Rolf Lislevand, Lac de Garde, Italie, Avril 2003Copyright © 2003 Rolf LISLEVAND - LEXNEWS.
Les Interviews de LEXNEWS : Gilbert BEZZINA, Nice, le 22-03-03.
Nous avons rencontré Gilbert BEZZINA lors de la première de la restitution d'un opéra de VIVALDI, "Rosmira Fedele" à l'Opéra de Nice, une rencontre à l'image du travail réalisé : passionnante !
LEXNEWS : « Pouvez vous nous présenter l’Ensemble Baroque de Nice qui fête cette année son 20ième anniversaire et quelle a été votre rôle quant à l’origine de cet ensemble ? »
Gilbert BEZZINA : « Je dois reconnaître que je suis à l’origine de cet ensemble grâce au hasard ! J’étais violon solo de la Grande Ecurie de la Chambre du Roi où j’étais en parfait accord avec le travail réalisé par cet ensemble. Je suis niçois et j’ai toujours gardé des contacts avec cette ville et par l’intermédiaire d’amis, j’étais régulièrement invité chaque année à faire des concerts. Il y a vingt ans justement la Mairie m’a demandé de m’occuper d’un certain nombre de concerts dans cette ville. Je ne souhaitais pas tenir le rôle d’agent artistique et j’ai donc proposé de faire de la musique avec un certain nombre d’amis que je connaissais sur place. Nous avons baptisé l’Ensemble « Ensemble baroque de Nice » en raison de l’origine géographique de ces premiers musiciens participant à ces concerts. Je dois vous avouer que nous ne pensions pas à l’époque constituer un ensemble permanent ayant une suite !!! Nous pensions qu’il s’agissait d’une expérience ponctuelle pour laquelle nous nous impliquions pendant quelque temps seulement. Puis, petit à petit, nous nous sommes rendus compte que notre association se caractérisait par une certaine homogénéité dans le son et une régularité dans le travail. Je pense que le fait d’avoir été éloigné des grands centres parisiens, nous a permis de développer et de conserver une certaine identité de son que nous ne retrouvons pas ailleurs. »
LEXNEWS : « Il y a-t-il eu dés le départ une orientation de votre ensemble vers la musique ancienne ? »
Gilbert BEZZINA : « Oui, ma formation est celle d’un violoniste classique mais j’ai très rapidement travaillé avec des ensembles baroques : la Petite Bande de Kuijken, la Grande Ecurie,… Je suis principalement orienté vers ce répertoire, et il était clair dés l’origine que nous ferions de la musique baroque sur instruments d’époque ou copies d’anciens instruments. L’essentiel de mon travail porte sur le jeu du violon. Je ne suis pas le seul à avoir fait cela même si je pense que cette recherche a tendance à se perdre un peu. Nous avions, à l’époque, avec Sigiswald Kuijken, mené toute une recherche sur les traités de violon des XVII° et XVIII° siècles. Il se trouve que nous avions mené chacun de notre côté cette recherche sans le savoir ! Et lorsque nous nous sommes rencontrés, nous avons réalisé que nous avions mis à jour de nombreuses similitudes, ce qui pourrait prouver que nous avions touché quelques éléments palpables ! C’est à partir de ces recherches que j’essaye, au quotidien, de transmettre un jeu du violon. Les textes associés à une étude approfondie des instruments et des archets vont ainsi être la base de tout travail. Certains musiciens vont se contenter aujourd’hui, souvent pour des questions de mode, de prendre un archet qui ressemble à un archet baroque sans avoir fait la démarche d’une recherche sur son utilisation spécifique. Nous tenons à cette démarche organologique afin d’éviter ces travers, bien entendu, dans un second temps, il s’agit de dépasser cette démarche scientifique pour s’attacher à l’aspect artistique. Je pense que c’est cette démarche qui nous offre cette homogénéité de son dont je vous parlais tout à l’heure. Notre ensemble est essentiellement un ensemble de cordes, cela explique le choix du répertoire italien, répertoire essentiel pour nos instruments. »
LEXNEWS : « Comment ressuscite-t-on un opéra inconnu de VIVALDI, « Rosmira Fedele » au XXI° siècle et quelles sont les difficultés matérielles d’une telle entreprise ? »
Gilbert BEZZINA : « La restitution de cet opéra a été traitée d’une manière classique. Tout commence, bien sûr, par une recherche dans les bibliothèques à partir des manuscrits, suivi par une interprétation en fonction des traités et autres sources dont nous disposons. En tant que tel, cela ne présente pas plus de difficultés que pour une cantate, si ce n’est que cela est beaucoup plus long ! Si ces opéras sont restés aussi longtemps méconnus, en dehors du cercle fermé des musicologues, c’est qu’ils ont besoin, pour revivre, d’un support scénique qui fait alors intervenir les directeurs de maison d’opéras. Il est clair qu’il est plus facile de monter un concerto avec trompettes qu’un opéra ! Sur le plan musical, nous avons réalisé un travail similaire à celui des instruments avec un groupe de chanteurs habitués à ce répertoire. ROSMIRA Fedele est un pasticcio, c’est à dire une pratique fréquente à l’époque qui consistait, pour un compositeur, à inclure des airs d’autres compositeurs dans son opéra. Pour VIVALDI, c’était plutôt pour des raisons de temps car le musicien travaillait très vite et a du avoir besoin de sources extérieures. Il a également été avancé, mais cela reste à vérifier, que certains chanteurs de l’époque imposaient, en raison de leur célébrité, des airs en contrepartie de leur participation à l’Opéra. Le Pasticcio est donc un opéra pour lequel le livret existe et dont le compositeur écrira les airs en empruntant à d’autres compositeurs. Pour ROSMIRA, il s’agit bien d’un Pasticcio puisque six airs ne sont pas de VIVALDI. Le livret, qu’il a fait éditer à compte d’auteur, est un livret repris de STAMPIGLIA, également traité par HAENDEL quelques années auparavant. VIVALDI écrit dans ce livret : « Musique d’Antonio VIVALDI » ce qui était pratique courante à l’époque même si, en l’espèce, les emprunts ne sont mêmes pas transformés dans la partition !!! Nous retrouvons ainsi un air de HAENDEL, un air de PERGOLESE, un air de HASSE, et deux airs de compositeurs moins connus : MAZZONI et PAGANELLI. Il faut noter que si le manuscrit était à 90 % complet, certains airs étaient cependant manquants dont deux de ROSMIRA, ce qui nous causait un petit problème. Nous souhaitions bien sûr respecter le livret et, qui plus est, quant au personnage principal ! Nous avons ainsi collaboré avec Frédérique Delaméa, grand spécialiste de VIVALDI pour ces restitutions. En fonction des paroles des livrets, il est arrivé à retrouver des airs avec la même structure. Un autre air d’ERSILLA a été restitué à partir d’un autre manuscrit de VIVALDI. Pour le livret, il manquait une page du récitatif qui dévoilait toute l’intrigue au début de l’Opéra. J’ai comblé cette lacune à partir de la partition de l’Opéra de HAENDEL et nous l’avons insérée dans l’œuvre de VIVALDI. »
LEXNEWS : « Ce travail a-t-il modifié votre perception de l’œuvre de VIVALDI ? »
Gilbert BEZZINA : « Nous avons travaillé en effet plus d’an sur ce projet. Je pense que s’agissant d’une œuvre tardive de VIVALDI, certains emprunts de ce pasticcio soulignent un goût du compositeur pour des musiques qui n’étaient plus la sienne comme celle de MAZZONI par exemple. Il est également intéressant de noter quant aux pasticcios originaux le souci permanent des enchaînements des airs. Il y a une diversité dans le déroulement de l’Opéra qui est vraiment conforme à ce qu’il faisait dans ces œuvres d’un bout à l’autre. Cela n’apparaît pas forcément à première vue ! Il n’y a pas que des airs de bravoure. Très honnêtement, ce qui plait le plus au public, ce sont les airs de bravoures et les airs très tendres !!! Mais je pense que l’on a trop souvent tendance aujourd’hui à mettre en avant ces airs en occultant les autres. Il est très important qu’il y ait des airs plus fades pour mieux mettre en valeur les différents rythmes de l’opéra ! »
LEXNEWS : « D'où est partie l'idée de ce projet ? »
Gilbert BEZZINA : « Je ne connaissais pas l’œuvre en détail, même si je l’avais vue à la Bibliothèque de Turin. J’avais certes beaucoup travaillé sur VIVALDI, Turin n’étant pas très loin de Nice ! Je connaissais l’importance de la production lyrique du compositeur et je m’étonnais à l’époque qu’il y ait eu si peu de choses sur sa production. »
LEXNEWS : « VIVALDI avait pourtant fait plus d’une cinquantaine d’opéras ! »
Gilbert BEZZINA : « Oui, il prétend même en avoir composé plus de 80 ! Il en reste une trentaine essentiellement réunis à Turin. A l’époque, j’avais recherché ces productions à Turin et j’étais tombé un peu par hasard sur « Le couronnement de DARIUS » premier opéra que nous ayons monté, suivi par d’autres par la suite. Pour cette saison, l’Opéra de Nice m’avait demandé de monter un ouvrage baroque. Nous avons choisi une des dernières œuvres de VIVALDI à ne pas avoir été touchée depuis sa création ! »
LEXNEWS : « Quel a été votre souhait quant à la mise en scène ? »
Gilbert BEZZINA : « Je dois avouer que je ne souhaitais pas avoir une mise en scène introduisant des motos ou des avions sur scène, ce qui ce fait trop fréquemment à mon goût ! Nous avons la preuve que toute le travail qui a été fait ces quarante dernières années pour faire revivre cette musique baroque a largement contribué à son succès actuel et sa redécouverte auprès d’un plus large public. Et je suis profondément convaincu qu’il est possible de réaliser ce même travail quant à la mise en scène, mais jusqu’à aujourd’hui je n’avais jamais pu faire un tel travail, même si de précédentes réalisations avec d’autres metteurs en scène étaient de qualité. Ma rencontre avec Gilbert Blin a été fructueuse dés le premier contact où nous avons parlé pendant cinq heures ! J’ai été immédiatement séduit par son approche très soucieuse des sources historiques. Il est vrai que je lui avais dit que mon rêve était de pouvoir lever les yeux pendant que je dirigeais l’orchestre et prendre plaisir à ce que je verrai ! Le résultat est saisissant !!! Il ne s’agit pas d’une restitution à l’identique mais son travail repose réellement sur une approche scientifique qui a séduit l’ensemble de l’équipe des décorateurs. »
LEXNEWS : « Si l’on traduit bien vos propos, c’est la preuve qu’il est possible de faire une mise en scène sans forcément choquer en interprétant mal le mot baroque ? »
Gilbert BEZZINA : « Oui, je pense que ce travail en est la meilleur preuve ! Et je suis réjoui que le public ait adhéré à cette vision des choses, ce qui n’était pas évident…On a trop tendance à faire croire qu’il n’est plus possible aujourd’hui de réaliser de telles choses au prétexte que cela serait trop fade ! Je m’inscris totalement en faux quant à cette vision des choses : la beauté des décors et des costumes n’a rien de fade… Sa mise en scène respecte le livret et n’attire pas l’attention sur la seule mise en scène. Je ne pense pas d’ailleurs que cela soit propre au monde baroque, on retrouve les mêmes dérives pour MOZART ou VERDI ! »
LEXNEWS : « Quels sont vos projets pour les mois à venir ? »
Gilbert BEZZINA : « Un de mes rêves est bien sûr que ce travail ne s’arrête pas après les représentations données à Nice et soit repris par la suite. Il ne s’agit pas d’un orchestre très lourd puisque nous sommes 25 musiciens et 7 chanteurs. Il y avait des ballets à l’origine qui ont été occultés selon le souhait de Gilbert Blin pour des raisons de budget. Cet opéra sera produit pour le disque à partir de l’enregistrement « live » des représentations données à l’Opéra de Nice.».
LEXNEWS : « Gilbert BEZZINA, merci ! Nous avons assisté à une représentation magnifique d’un opéra ressuscité par vos soins, nous vous donnons rendez vous très bientôt dans nos colonnes ! »
Les Interviews de LEXNEWS : Daniel LASSALLE, Paris, 4-03-03.
LEXNEWS : "Si la Sacqueboute peut être un nom mystérieux pour le mélomane, après lecture des explications pédagogiques de Daniel LASSALLE, membre de l'Ensemble "Les Sacqueboutiers de Toulouse", l'instrument n'aura plus de secret pour les lecteurs de LEXNEWS !"
LEXNEWS : « Daniel LASSALLE, vous êtes le co-directeur artistique et musicien d’un ensemble dont le nom, « Les Sacqueboutiers de Toulouse », peut sembler étrange à un grand nombre, pouvez vous nous rappeler ce qu’est très exactement cette sacqueboute ainsi que l’origine de votre ensemble qui lui est associé ? »
Daniel LASSALLE : « La sacqueboute est en fait l’ancêtre du trombone moderne. C’est un instrument qui est apparu à la fin du XV° siècle sous ce nom. Il y a plusieurs origines quant à l’origine de ce nom en fonction des aires géographiques de l’instrument. En espagnol, le nom renvoie à l’image « sortir la bouche » c’est à dire que l’on suppose que les musiciens devaient gonfler les joues ou « sortir la poitrine » ce qui donne une indication d’une très mauvaise façon de respirer qui était certainement l’inverse de ce que nous faisons aujourd’hui ! Ce dont nous sommes sûr c’est qu’en France le nom signifiait « tirer » et « pousser », gestes que l’instrumentiste effectue à l’aide de la coulisse, en faisant valoir le travail de la main sur celui de la bouche. L’étymologie est variée mais décrit le même instrument. On distingue différentes tessitures quant à cet instrument avec l’alto, la ténor et la basse. Quant à la conception même de l’instrument, les évolutions ont été minimes et ont concerné essentiellement la perce (diamètre intérieur de l’instrument) qui a presque doublé de taille. A l’époque, les ensembles étaient constitués de deux, trois voire dix personnes, c’est à dire des petites formations où l’instrument s’adaptait à la voix humaine, aux autres instruments,… Au fil des temps, les ensembles se sont agrandis et nous sommes arrivés aux orchestres symphoniques avec une exigence plus importante de décibels pour les cuivres par exemple. L’instrument a donc du s’adapter à ces exigences sonores de l’orchestre. Sinon la sacqueboute que nous jouons aujourd’hui est semblable à celle d’il y a trois siècles : je joue d’ailleurs en ce moment avec un instrument copie du début XVII° siècle dont l’original est au musée de Munich. Le nom de notre ensemble a été inventé car on ne dit pas habituellement un sacqueboutier mais un joueur de sacqueboute ou sacqueboutiste éventuellement. C’est un ensemble qui est apparu en 1976 avec Jean-Pierre Mathieu et Jean-Pierre Canihac, à l’époque respectivement professeur de trombone moderne et professeur de trompette moderne. Ces deux musiciens ont eu la curiosité de rechercher quels étaient les instruments joués à l’époque de MONTEVERDI et ont trouvé la sacqueboute et le cornet à bouquin, ce dernier instrument n’ayant rien à voir avec la trompette baroque. Le cornet à bouquin est en effet creusé dans la corne animal trouée comme une flûte et complétée par une embouchure que l’on a appelé le bouquin (que l’on porte à la bouche). »
LEXNEWS : « En dehors de la recherche organologique, quelle a été l’approche de l’ensemble quant au répertoire ? »
Daniel LASSALLE : « Les fondateurs de l’ensemble ont tout de suite été portés sur le répertoire joué à l’époque de ces instruments. Notre époque moderne a tendance à se limiter à un répertoire restreint qui tourne toujours autour des mêmes morceaux. Nous nous sommes aperçus qu’il y avait par contre un répertoire très riche inexploité pour des instruments qui à l’époque étaient considérés à l’égal des violons et non pas le pigment sonore de l’orchestre sonore moderne. Ces instruments étaient hautement considérés et avaient une importance primordiale au sein des chapelles. Le fief de nos instruments était Saint Marc de Venise avec GABRIELI et MONTEVERDI par exemple. »
LEXNEWS : « Quelles sont les exigences de cet instrument qui séduit immédiatement l’oreille par les nuances qu’il offre ? »
Daniel LASSALLE : « Je conseille vivement de faire du trombone moderne pour acquérir une technique instrumentale et surtout physique ! Il ne faut pas oublier que c’est un instrument à embouchure, une embouchure qui, comme une voix, doit être faite. Cela demande des années de pratique, au moins dix ans, et à partir de là, on peut passer à un instrument ancien. L’instrument ancien est beaucoup plus délicat et ne pardonne rien, qui plus est, le répertoire est beaucoup plus virtuose !!! Si vous prenez le cornet à bouquin, c’est la même chose : c’est un instrument délicat à jouer. Pour les trompettistes, il est familier quant à l’embouchure, mais la technique des doigts sur les trous de l’instrument ne leur est pas habituelle. A l’inverse, les flûtistes à bec ont cette technique des doigts mais n’ont pas celle de l’embouchure ! A l’image de la sacqueboute, c’est un travail de long terme à l’image de la voix, avec des années de sueur sur l’embouchure pour être plus à l’aise par la suite. C’est un peu comme les sportifs, nous devons nous astreindre à une pratique de plusieurs heures par jour, ce qui est physiquement exigeant !»
LEXNEWS : « Vous avez, avec Michel Becquet, réalisé un très bel enregistrement sur le thème de la Sacqueboute sorti récemment chez AMBROISIE, quelle a été votre approche pour ce disque ? »
Daniel LASSALLE : « Les Sacqueboutiers ont trente ans d’existence et nous avons été les invités des plus grands ensembles. Mais nous avons souhaité, avec ce disque, premier du genre,repartir sur des bases fondées sur notre propre identité. Nous nous sommes structurés afin de proposer un travail le plus complet possible. Nous avons ainsi invité Michel Becquet, la grande star mondiale du trombone moderne ! Ce musicien connaissait l’instrument mais a décidé d’aller plus loin avec cette collaboration. »
LEXNEWS : « Quelle a été sa réaction par rapport à ce qu’il connaissait de l’instrument moderne ? »
Daniel LASSALLE : « Il a découvert tout un répertoire et toute une technique qui n’ont rien à voir avec le trombone. Les questions de phrasés, d’articulations, d’adaptations aux instruments, le répertoire très varié ont été autant de découvertes et de surprises. Michel n’a évidemment eu aucun problème d’adaptation quant à l’instrument et c’est surtout le répertoire qui l’a beaucoup intéressé. »
LEXNEWS : « Quelle a été votre approche quant à ce répertoire ? »
Daniel LASSALLE : « Nous avons axé notre recherche sur la première moitié du XVII° siècle qui est véritablement l’âge d’or de la sacqueboute. Nous avons choisi une musique des compositeurs que nous aimons beaucoup : SCHEIN et SCHEIDT qui montrent les aspects populaires de l’instrument, CASTELLO et ORTIZ qui développent la virtuosité,… Je pense que nous avons donné un aspect de ce que nous aimons faire et qui correspond aux différentes expressions de l’instrument. Les instrumentistes s’adaptaient souvent aux fêtes qui étaient données à cette époque et à l’occasion desquelles ils devaient composer et jouer. Si vous prenez les sonates de CASTELLO, par exemple, il était spécifié qu’il fallait par exemple un violon, un trombone. Au regard de cette littérature, on réalise que le violon et le trombone rivalisaient de virtuosité ! Notre travail consiste ainsi à restaurer le prestige perdu de ces instruments. Cela est beaucoup plus gratifiant que le rôle actuel joué par les instruments modernes. »
LEXNEWS : « Quelles sont les sources assurant la réhabilitation de ces répertoires ? »
Daniel LASSALLE : « Nous disposons de traités comme celui de Marin Mersenne sur les instruments. PRAETORIUS et Pierre TRICHET ont également laissé des traités sur les instruments. Parallèlement, nous avons également des traités des instrumentistes à vent qui fournissent des renseignements précieux. Mais il ne faut pas oublier qu’en 1976, lorsque l’ensemble s’est constitué, il y avait tout à faire : des recherches sur les instruments et les copies plus ou moins heureuses qui existaient alors, des recherches sur la musique qui devait être exhumée des bibliothèques ! Jean-Pierre Mathieu et Jean-Pierre Canihac sont souvent partis à Bologne et en Tchécoslovaquie où ils recopiaient des partitions à la main, ce qui était une véritable aventure !!! On peut dire qu’ils étaient des pionniers quant à notre instrument. »
LEXNEWS : « Aujourd’hui, des structures de recherche et d’enseignement existent elles quant à la sacqueboute ? »
Daniel LASSALLE : « Oui, il existe des écoles comme à Toulouse au conservatoire de musique ancienne au niveau régional. Il existe également au CNSM de Lyon un lieu remarquable consacré aux instruments anciens où nous enseignons, Jean-Pierre Canihac et moi même. Bâle, bien sûr, est une institution prestigieuse alors que Paris semble avoir privilégié la viole et le clavecin. Quant aux ensembles, les Sacqueboutiers ont fait école ! Il faut savoir que Jean-Pierre Canihac enseigne depuis longtemps et a formé des personnes comme Jean Tubéry ! Notre classe de sacqueboute à Lyon a 12 ans d’existence. Nous formons de très bons musiciens et je dois avouer que nous frôlons le paradis lorsque nous nous rendons comptes que mêmes des dieux comme Michel Becquet touchent à notre instrument !!! »
LEXNEWS : « Quels sont vos projets pour les mois à venir ? »
Daniel LASSALLE : « Nous attendons beaucoup des retombées de ce disque et notamment sur le plan pédagogique ! Nous avons réalisé qu’il y avait beaucoup de personnes qui ne connaissaient pas notre instrument. A partir de ce travail, nous allons aller plus loin dans cette découverte. Nous avons plusieurs projets d’enregistrements dont un très prochainement consacré à la Cour de Kromériz en Moravie à la fin du XVII° siècle. Nous avons découvert une formation qui était composée d’un violon, d’un cornet, d’une sacqueboute et d’un basson avec des timbres très différents mais qui sonnaient vraiment très bien. Nous nous sommes aperçus qu’il y avait une littérature très importante avec des sonates très virtuoses et très difficiles avec des compositeurs comme BIBER, FUCHS,… Nous avons ainsi décidé d’honorer cette formation avec ce prochain disque qui devrait sortir cette année chez AMBROISIE. Nous avons un grand nombre de concerts cette année qui vont permettre de mieux diffuser ce répertoire ! »
Les Interviews de LEXNEWS : Alfredo BERNARDINI, le 24/02/2003.
« A l’occasion de la sortie d’un superbe enregistrement consacré au compositeur Georg DRUSCHETZKY chez AMBROISIE et d’une tournée en France ce printemps, LEXNEWS a interviewé le fondateur de l’ensemble à vents ZEFIRO, Alfredo BERNARDINI, un ensemble à découvrir absolument en raison de la qualité du travail accompli et de la sympathie qui ressort de cette association latine ! »
LEXNEWS : « Nous constatons une création croissante de nouveaux ensembles en musique ancienne, pouvez vous nous préciser, à partir de votre propre expérience, ce qui peut motiver des musiciens appartenant à des ensembles préexistants souvent prestigieux à fonder leur propre formation ? »
Alfredo BERNARDINI : « Les raisons qui ont motivé la formation de l’ensemble Zefiro en 1989 ont été multiples. Notre envie de jouer la musique du 18ème selon nos idées a été un des facteurs de cette création. Ces idées s'inspirent des sources de l'époque avec pour objectif de communiquer des émotions qui vont au delà des notes. Par ailleurs, nous avons formé dés l’origine un groupe dont le but était de réunir et fondre différentes personnalités individuelles en un langage commun. Zefiro est en effet né de ce souci permanent d’une osmose avec d’anciens camarades de conservatoire comme Paolo Grazzi et Alberto Grazzi. Enfin, un autre but important de l’ensemble a été de mettre en valeur tout répertoire, connu ou inconnu, qui placerait les instruments à vent en premier plan. Nous avons donné une priorité à l’acoustique particulière offerte par les instruments anciens »
LEXNEWS : « Quelle est la place des instruments à vent dans la musique baroque, et peut on noter une évolution de ce rôle au XIX et XX° siècles ? »
Alfredo BERNARDINI : « La musique du 18ème constitue l'âge d'or pour les instruments à vents, notamment pour le hautbois et le basson. C'est à cette époque que furent écrits une grande quantité de sonates, concertos et pièces de chambre avec ces instruments. Certaines de ses oeuvres sont des véritables chefs d'oeuvres. Le résultat produit par l'utilisation des instruments anciens est fort différent de celui offert par les instruments modernes, qui sont un développement des instruments romantiques. Or ces instruments romantiques ont étés conçus selon des principes dictés par une esthétique très différente de celle du 18ème d’où l’intérêt de notre démarche. »
LEXNEWS : « Vous venez de sortir, sous le label AMBROISIE, un superbe enregistrement consacré à GEORG DRUSCHETZKY (1745-1819) présenté dans nos chroniques « Disques » . Qu’est ce qui vous a attiré chez ce musicien ? »
Alfredo BERNARDINI : « Georg DRUSCHETZKY, originaire de la Bohême sous l'empire Autrichien, lui-même virtuose de hautbois et de timbales, a été une personnalité musicale fort intéressante en raison du développement de son activité et de sa façon de composer tout au long de sa vie. Après avoir atteint une renommée en tant que compositeur pour ensemble à vent, son arrivée à Budapest en 1801 marque un nouveau tournant dans sa composition. La musique écrite à partir de cette date dénote un esprit fort original et curieux de nouvelles expériences. Il produira essentiellement une grande quantité de musique de chambre pour vents et cordes. Les pièces que nous avons enregistrées font partie de cette dernière époque de sa vie, alors que le musicien avait plus de 60 ans ! Sa familiarité avec les compositeurs contemporains comme Mozart, Haydn et Beethoven est aussi évidente. On peut dire que DRUSCHETZKY a, d’une certaine manière, permis de jeter un pont entre le classicisme d’un Mozart par exemple et la modernité d’un BEETHOVEN. Notre prochaine création est un CD consacré à Luigi Gatti (1740-1817), musicien de Mantoue devenu Maître de Chapelle à la Cathédrale de Salzbourg : la découverte de sa musique de chambre pour vents et cordes a aussi été une agréable surprise pour nous. Ce CD sortira chez Ambroisie au printemps 2003. »
LEXNEWS : « Quel conseil souhaiteriez vous donner à un jeune (ou moins jeune!) musicien qui souhaiterait aborder un instrument à vent en musique ancienne ? »
Alfredo BERNARDINI : « Je pense que la principale qualité d’un musicien, amateur ou professionnel, est de rester ouvert à ce qui l’entoure. Ainsi ma principale recommandation serait de dire : Soyez curieux et regardez au delà des notes!!! ».
LEXNEWS : "Alfredo BENARDINI, merci pour cette interview qui sera l'occasion pour nos lecteurs de découvrir votre très beau travail !"
Les Interviews de LEXNEWS : Daniel CUILLER, Versailles, le 21-10-02.
LEXNEWS a rencontré Daniel CUILLER quelques heures avant son concert à l’Opéra de Versailles : c’est un musicien sensible et accessible qui s’est livré à nos questions avec gentillesse alors même que le spectacle RAMEAU en clair obscur (coproduction Centre de Musique Baroque de Versailles – Festival de Pontoise) était endeuillé par la disparition brutale de son metteur en scène, Philippe LENAEL, quinze jours plutôt…
LEXNEWS : « Quelle est l’origine de l’Ensemble STADIVARIA ? »
Daniel CUILLER : « L’origine de STRADIVARIA est partie d’une volonté de réunir un ensemble d’amis au début des années 80 à une époque où j’étais premier violon aux Arts Florissants dirigés par William Christie. Le point commun de cette réunion demeurait les instruments à cordes et nous souhaitions approfondir ce répertoire spécifique. Cela a commencé par des concerts sur le répertoire du XVIII° siècle VIVALDI, BACH,… avec le souhait de revisiter ces œuvres avec une autre approche que celle que j’avais pu entendre jusqu’alors avec des orchestres modernes. A partir de cette initiative, nous sommes allés plus loin dans la recherche de documents plus rares et l’exhumation de musiques inconnues. Cela a été le moteur de notre travail. »
LEXNEWS : « Votre répertoire est très varié et étendu : nous avions apprécié votre enregistrement de CORRETTE, il y a quelques années. Vous avez également travaillé les œuvres de FRANCOEUR avec un très beau disque. Vous interprétez ce soir RAMEAU… Quels sont vos critères pour les œuvres que vous retenez ? »
Daniel CUILLER : « Pour le disque de CORRETTE, nous avions retenu l’approche de la musique populaire par un musicien savant. Nous avons voulu montrer qu’à l’époque, en dehors de Versailles, des musiciens puisaient dans le répertoire populaire des oeuvres pour les accommoder à la mode classique du concerto et de la sonate, à l’inverse d’un musicien comme CHEDEVILLE qui a copié VIVALDI, grand musicien savant, pour les arranger en petits concertos champêtres à la manière de CORRETTE. En fait, les deux démarches se rejoignent à la même époque. Les musiciens français ont beaucoup copié et plagié, pratique fréquente à l’époque pour faire connaître des œuvres qu’ils avaient entendues dans d’autres pays. Notre critère de sélection est, en premier lieu, la rareté de l’œuvre retenue et le plaisir de l’ensemble des musiciens pour l’interpréter. Nous accordons ainsi une place importante aux discussions après un concert notamment pour aller plus loin. Notre démarche n’est donc pas exclusivement musicologique, ni exclusivement musicale, c’est en fait une association des deux. Association mise en rapport avec un troisième élément essentiel : ce que nous pouvons apporter à notre public. Il faut souligner le fait que trop souvent ce public est gavé d’un répertoire trop connu ou alors d’un répertoire retenu en raison de la recherche musicologique, ce n’est pas la démarche que nous avons retenue ! Il est clair que nous ne pouvons pas uniquement nous faire plaisir et il faut arriver à vendre des concerts pour en revenir aux choses plus pragmatiques… »
LEXNEWS : « A ce sujet, que percevez vous de l’attente du public ? »
Daniel CUILLER : « Depuis 1987, le nom de STRADIVARIA est associé aux cordes et nous avons découvert qu’il y avait un public qui nous suivait et attendait nos sorties, entraînant par là même un public plus large. Depuis deux ans, nous essayons ainsi d’enregistrer un disque qui soit associé à une série de concerts. Nous avons ainsi considérablement réduit le nombre de programmes que nous faisions. J’apprécie le fait que les personnes qui viennent à nos concerts sachent ce qu’ils vont entendre, ce qui ne les empêche pas de découvrir d’autres choses à cette occasion. Il y a un aspect pédagogique qui est loin d’être négligeable avec la rencontre du public. »
LEXNEWS : « Notre revue va présenter un reportage sur l’Abbaye de FONTEVRAUD, ce lieu a retenu votre attention, pouvez vous nous en dire plus ? »
Daniel CUILLER : « FONTEVRAUD est le lieu fétiche de la Région pour la culture. Il s’agit d’un chantier énorme et déjà une réussite extraordinaire ! Nous y avons déjà enregistré trois disques et le quatrième cet hiver. Nous sommes accueillis par la Région Pays de Loire qui nous subventionne. Il est très agréable d’aller travailler à cet endroit qui offre les conditions idéales de sérénité pour jouer la musique. »
LEXNEWS : « Quelle est votre approche quant aux manuscrits et partitions dans les restitutions des œuvres que vous avez choisies ? »
Daniel CUILLER : « L’idée est de découvrir le manuscrit à partir d’un certain type de recherche. Nous travaillons la plupart du temps sur les manuscrits originaux. Nous travaillons beaucoup en restituant ces œuvres à partir du logiciel FINALE : nous réalisons ainsi une édition interne à partir de ces originaux. C’est un programme idéal pour éditer un document exploitable pour les musiciens. »
LEXNEWS : « Quelles sont les difficultés quant à cette étape préparatoire et quelle est votre approche dans la restitution de l’oeuvre ? »
Daniel CUILLER : La plupart du temps ces manuscrits originaux sont très lisibles. Il y a parfois des ambiguïtés que nous levons en fonction des autres passages de l’œuvre. Quant à la deuxième partie de votre question, il est clair que nous abordons un point crucial dans le travail d’interprétation qui rejoint la problématique de la restauration d’une œuvre d’art : doit on s’attacher à restaurer une ruine pour qu’elle ait l’air de tenir debout ou bien va-t-on s’attacher à reconstruire à l’identique du départ ? Je ne prétends en aucune manière être un musicien revendiquant l’authenticité absolue de son travail d’interprétation par rapport à l’œuvre originale ! Je ne suis pas de ceux qui prétendent qu’à telle date, l’on jouait ainsi et pas autrement, je pense que c’est un faux débat et ceux qui vont dans ce sens, musiciens, metteurs en scène, chorégraphes,…sont totalement dans l’erreur ! C’est une vraie question aujourd’hui. Philippe LENAEL, récemment disparu, était totalement en accord sur cette position. Nous cherchons à apporter tout notre savoir hérité d’un travail quotidien de près de trente années ainsi qu’une vision la plus honnête possible de l’esprit de l’époque. Mais, nous ne pouvons pas affirmer que nous dirigeons comme RAMEAU dirigeait son opéra ! Cela n’enlève en rien tout le travail de recherche sur l’organologie qui a permis d’interpréter les œuvres du répertoire avec des instruments anciens. C’est une démarche inaugurée avec Harnoncourt et Leonhardt , mais qui a été malheureusement depuis trahie par beaucoup de gens qui prétendent jouer du baroque ! Mais, nous ne sommes pas non plus des compositeurs lorsque nous jouons ces œuvres : c’est une question d’honnêteté ! Sinon il faut avoir le courage de prendre la plume et de créer !!! Ce que je viens de vous dire concerne le texte même de l’œuvre, bien sûr, pour les ornementations, c’est autre chose. Pour CORELLI par exemple, je me suis inspiré de ses propres ornementations mais aussi de ses contemporains, GEMINIANI,… et j’ai fait les ornementations à partir de cette base. Je n’ai pas voulu prendre les ornementations de la partition à la lettre car ces partitions sont en fait des copies réalisées à partir de ce qu’il faisait en concert, ce qui ne l’empêchait pas deux ans après de faire quelque chose de très différent ! Dans cette optique, le rôle de l’interprète est créatif, mais reste encadré à partir d’une certaine connaissance de cette musique. »
LEXNEWS : « Le concert et spectacle de ce soir à l’Opéra de Versailles est endeuillé par la disparition de Philippe LENAEL il y a 15 jours. Sans faire une chronique nécrologique, quelles sont néanmoins les pensées qui vous animent afin de lui rendre un dernier hommage ? »
Daniel CUILLER : « Je partageais beaucoup de choses avec Philippe depuis quelques années, nous étions devenus amis et je regrette de ne pas l’avoir mieux connu… Pour moi, il est encore là ce soir. Ce spectacle est son idée et nous l’avons réalisé ensemble. J’avoue que je suis très touché par cette brutale disparition. C’était véritablement un travail d’équipe dans lequel Philippe avait une place essentielle. Son approche était toute racinienne dans le drame de Phèdre, et qui rejoint Euripide, c’est à dire une approche beaucoup plus actuelle qui élude tout l’aspect mythologique. Le drame est absolu : Hyppolite meurt et c’est un point au sujet duquel Philippe tenait beaucoup d’une manière prémonitoire… C’est une approche qui correspond pleinement à l’art baroque avec un mouvement dans l’apparente fixité des choses, la symétrie est dans l’asymétrie,… Tout est incertitude dans l’action, j’avoue que j’ai beaucoup accroché avec cette approche qui dépassait le côté trop souvent superficiel que l’on affuble au baroque. Il est vrai qu’il m’est très difficile d’en parler au passé, Philippe est avec nous ce soir plus que jamais… »
LEXNEWS : « Gardons ces mots comme le meilleur hommage à un artiste de talent et pensons à l’avenir avec vos projets pour le disque et le concert »
Daniel CUILLER : « C’est encore Philippe qui est au cœur de mes projets pour l’avenir ! Il m’a lancé sur un type de création incluant un travail avec les chanteurs, alors qu’à l’origine notre approche était plus tôt instrumentale. Et, je dois avouer que j’ai très envie d’aller plus loin dans cette voie ! Pour le disque, nous allons sortir un disque qui sort chez CYPRES intitulé « A tre violini » consacré à la musique instrumentale dans les cours d’Europe au XVII° siècle. Le prochain disque est un enregistrement sur le thème du « Stabat Mater », c’est une totale recréation qui sortira ce printemps. »
LEXNEWS : « Daniel Cuiller, merci de votre accueil et à très bientôt dans nos colonnes ! »
Retrouvez les prochaines dates de concerts ainsi que l’actualité discographique de l’ensemble STRADIVARIA sur leur site Internet : http://www.stradivaria.org/
Les Interviews de LEXNEWS : Martin GESTER, Versailles, 27/09/02.
Entre deux répétitions pour le concert qu'il allait donner dans le cadre des Grandes Journées du Centre de Musique Baroque de Versailles, Martin Gester a très cordialement accepté de répondre à nos questions afin de nous présenter son parcours et son ensemble, Le Parlement de Musique, une formation fort appréciée des grands festivals de musique baroque...
LEXNEWS : « Pouvez vous nous rappeler votre formation musicale ainsi que l’origine de votre ensemble, Le Parlement de Musique ? »
Martin GESTER : « Mon parcours est un peu similaire à celui de Jordi Savall : je n’ai pas appris la musique dans un conservatoire et mon apprentissage s’est fait par le chant et la pratique d’un instrument. Je suis venu au Conservatoire tardivement. Mon oreille avait d’ailleurs du mal à s’adapter à ce que l’on me demandait de faire dans ces lieux d’enseignement ! La formation traditionnelle des musiciens du monde baroque se fait très souvent à partir d’un instrument ou en tant que soliste. Ma formation est un peu différente en ce que j’ai suivi un parcours empirique à partir de la polyphonie vocale au sein d’une maîtrise. J’étais également organiste dans le cadre d’un petit séminaire où je devais jouer des offices et diriger des répétitions assez tôt. C’est à cette époque que j’ai pu interpréter beaucoup de musique de PALESTRINA, de la polyphonie du XVI et XVII° siècles. Quand j’étais au conservatoire alors même que je jouais du MESSIAN ou du LISZT, je suis fatalement revenu à ces premières sources d’inspiration ! C’est cette musique que j’entendais dans ma tête. Même si mon professeur me poussait à jouer les grandes pièces du répertoire, je me tournais vers FRESCOBALDI, du GABRIELI, et BACH, bien que concernant ce dernier, j’avais plus de mal car je le trouvais trop compliqué ! »
LEXNEWS : « D’où vient cette sensibilité pour ce répertoire ? Est- ce quelque chose de totalement subjectif découvert par hasard ? »
Martin GESTER : « Plus qu’une sensibilité, c’est plutôt une culture fondée sur la polyphonie, une culture qui fonde toute la musique jusqu’à BACH. Cela ne m’a pas empêché de bénéficier des enseignements de mon professeur d’orgue, Pierre Vidal, qui a écrit plusieurs livres sur BACH, c’était un postromantique qui m’a beaucoup appris. Mais les musiques de MONTEVERDI, CARISSIMI, CHARPENTIER, LALANDE, BACH et bien d’autres encore ont forgé ma formation. J’ai également poussé plus loin avec la musique renaissance. Nous avons réalisé un disque autour de la Missa pro victoria de VICTORIA ainsi que Du CAURROY, des musiques sur lesquelles j’aimerai bien revenir dans le futur. J’ai reçu par la suite une formation traditionnelle mais cette dernière est intervenue après coup et le résultat est un peu comme une seconde langue apprise par rapport à la première ! Tout cela a eu une certaine importance sur l’abord du répertoire. Dans le baroque aujourd’hui, on veut surtout voir ce qui surprend ! Au début du siècle, et ce jusque dans les années 50, les musiciens se sont plus attachés à la géométrie. Après, en réaction, on a plus insisté sur l’effervescence : tout ce qui est rupture et étonnement. Il est d’ailleurs très symptomatique de constater que l’on qualifie quelque chose de théâtral au sens de surprenant. Or la théâtralité n’est pas la surprise ! La théâtralité de RACINE n’est pas celle de Victor HUGO, elle-même différente de celle Peter Brook par exemple… Dans la musique, c’est un peu une mode en ce moment : on projette sur le baroque une idée qui est très moderne avec une certaine fureur. Heureusement, tout le monde ne pratique pas ainsi. Jordi Savall par exemple n’a pas besoin de cela ! Il ne s’agit pas ici de donner des noms mais trop de personnes s’attachent à ce que le baroque peut avoir de subversif. Le baroque n’est pas subversif mais cherche plutôt à « contrepointer » un ordre très enraciné. Musicalement, le baroque est toujours une musique base de polyphonie : il y a toujours une interaction de différents éléments.
LEXNEWS : « Cette interprétation de certains chefs baroques que vous évoquiez est elle une certaine forme de rhétorique ? »
Martin GESTER : « Oui, tout à fait ! On dit très souvent que le baroque est italien ce qui est très réducteur… L’Italie est bien sûr une source incontournable pour la musique française et d’autres encore, mais c’est partir d’un postulat erroné. On va chercher à juger COUPERIN ou JACQUET de la GUERRE en disant que c’est moins bien parce que moins italien ! COUPERIN a certes beaucoup lu la musique italienne d’une manière déformée et infidèle mais c’est cette infidélité qui est belle. Pour BACH, c’est la même chose : lorsqu’il fait du style français c’est français selon BACH… Nous serions très embêté s’il avait écrit cette musique en éliminant cette influence personnelle !!! »
LEXNEWS : « Votre démarche tend donc à un certain retour aux sources même s’il ne s’inscrit pas dans les modes actuelles ? »
Martin GESTER : « Je fais en effet très attention à toutes les interactions qui structurent la musique baroque sans imposer de classements rigides : 100% français ou italien. Cela n’est pas tenable parce que cela n’existait pas à l’époque. Les musiciens de cette époque cherchaient la synthèse et la symbiose : il n’y avait pas de frontières. COUPERIN a commencé par écrire sous un nom italien une sonate à l’italienne ! Une fois reconnu, il a révélé son nom et a commencé à écrire avec ce nom. Il écrira ainsi les Nations pour le Roi avec différentes influences, l’Italie étant bien sûr essentielle. LULLY s’est inspiré de la musique italienne avec une adaptation française. Concernant notre démarche, il est vrai que je ne me considère pas dans la lignée classique des musiciens d’aujourd’hui ! La plupart des musiciens sont formés d’une manière équivalente et ont reçu une culture moderne qui dépasse les frontières nationales. C’est en fait une culture de conservatoire où le goût a tellement changé que l’on est très loin de la musique du XVIII°.C’est d’autant plus surprenant lorsque l’on sait qu’aux XVI-XVII° siècles, la musique était bien moins éloignée d’un coin de l’Europe à l’autre alors qu’il fallait plus de temps pour traverser cette Europe qu’aujourd’hui pour faire trois fois le tour du Monde !!! La musique était alors très homogène avec des accents locaux, il ne s’agissait pas de langues musicales différentes. Aujourd’hui, la musique ancienne est une toute autre langue, on croit avoir le même dessin mais en fait ce n’était pas chanté pareil. Les ornement aujourd’hui sont assez représentatifs de cet état : lorsque RAMEAU écrit les ornements dans ses partitions, ils sont interprétés de nos jours comme des mélodies c’est à dire en chantant exactement les notes, alors que c’était un tour de gosier que les chanteurs mettaient en oeuvre ! Des progrès ont été réalisés sur cette question en confrontant cette pratique avec les traditions orales qui ont recours à ces tours de gosiers. »
LEXNEWS : « Faites vous référence aux travaux de Marcel Pérès ? »
Martin GESTER : « Oui, tout à fait, c’est une démarche que j’ai également adoptée. J’ai beaucoup appris en écoutant des musiques traditionnelles. Cela n’a rien d’étonnant car autrefois, beaucoup de choses étaient pratiquées à partir des traditions orales. Les musiciens s’imitaient, ce que reproduisent aujourd’hui les musiciens qui ont une programmation à réaliser et vont acheter deux, trois disques de la même œuvre pour en étudier les différentes interprétations ! Mais cela va souvent reproduire le même moule avec cet exemple contemporain. Quant j’auditionne un chanteur X ou Y, je sais tout de suite quel disque il a écouté ! J’ai par exemple réalisé le Te Deum de CHARPENTIER un certain nombre de fois et j’ai toujours beaucoup de mal à obtenir ce que je souhaite de ce fait ! Ce que nous avons du mal à retrouver relevait en fait de la tradition orale et n’était donc pas consigné par écrit et rarement théorisé. C’est un peu comme si l’on cherchait aujourd’hui un traité sur la manière de chanter une chanson de Jacques Brel ou d’Edith Piaf, cela n’existe pas ! Et pourtant nous écrivons tout aujourd’hui… A ce sujet, j’ai trouvé un manuscrit de CHARPENTIER où il écrit à l’usage des français un texte italien avec la prononciation italienne à la française sans la phonétique internationale qui n’existait pas à l’époque ! Il écrira par exemple « tchi » avec un t pour une prononciation à l’italienne à partir de la prononciation française !!! En fait, la phonétique internationale n’existait pas dans la musique. Nous avons de très rares écrits comme celui de Francesco TOSI qui explique par exemple que les chanteurs italiens ont une certaine manière d’être avant le temps ou derrière le temps qui fait toute leur expression. Mais ces choses là sont impossibles à enseigner, il faut les entendre faire pour les comprendre et les imiter. Nous trouvons les mêmes problèmes pour CHOPIN. Certains affirment qu’il était intraitable pour la mesure, d’autres comme BERLIOZ au contraire prétendent qu’il était beaucoup trop libre ! CHOPIN réalisait à la main droite ce que faisait le chanteur d’opéra. LISZT écrit d’ailleurs à ce sujet que le rubato de CHOPIN était comme l’arbre : la main droite étant les feuilles et la main gauche, le tronc, ce dernier accompagnant légèrement les feuilles lorsque celles-ci sont très agitées. De nos jours, les pianistes font tout bouger, c’est en fait l’arbre entier qui se penche ! Mes études de lettre classiques m’ont appris à tirer des enseignements précieux sur l’évolution des langues et des dialectes. Tout cela est important car nous avons souvent l’impression de jouer comme c’était fait autrefois ce qui n’est pas toujours le cas. Cela implique un travail de tous les jours avec les musiciens qui travaillent avec moi afin de remédier à cette difficulté qui est en fait culturelle. L’exemple de l’art de la déclamation et de la gestuelle baroque est significatif à ce sujet. La musique baroque n’est pas une affaire de changements de tempi : « largo », « grave »,… étaient tous des caractères déclamatoires et non de rythme. « Largo » renvoie au théâtre de RACINE avec une prononciation ample. La musique de COUPERIN est très enserrée dans des différences de tempi très proches : avec quasiment la même pulsation, nous aurons des caractères graves ou gais. Aujourd’hui nous réduisons souvent cela en comprenant « gai » comme étant un allegro au sens où l’entendra BEETHOVEN, alors même qu’allegro existait au XVIII° mais ne signifiait pas vite à l’époque de COUPERIN… Dans le concerto pour la nuit de noël de CORELLI, vous avez à un moment donné une Gavotte. Evidemment, il n’écrit pas le terme Gavotte parce que c’est une œuvre pour l’Eglise et qu’il n’écrit jamais les noms de danses dans des œuvres religieuses, mais c’est tout de même une Gavotte. Et bien pour cette Gavotte il y a indiqué « allegro » ce qui donne des interprétations modernes très rapides à l’image d’un scherzo de BEETHOVEN alors que ce n’est pas du tout le cas ! CORELLI savait très bien ce qu’était une Gavotte à l’époque, c’est à dire une danse et non une course. La déclamation, le caractère rythmique sont très importants pour mon travail. Le geste, la déclamation, les danses structurent la musique baroque et constituent ainsi un art qui disparaîtra par la suite en abandonnant les structures comme le fera l’impressionnisme par exemple. Si vous prenez STRAVINSKY par exemple, il réagit à cette évolution en redonnant un cadre très géométrique, régulier, machinal d’une certaine manière. La musique baroque interprétée au courant du XX° siècle a cherché elle-même à réagir vis-à-vis de cette dernière tendance en retenant la surprise, la théâtralité. Il faut surprendre, et si vous ne surprenez pas, ce n’est pas baroque ! La théâtralité existait bien sûr dans la musique baroque mais ce n’était pas que cela : cette théâtralité est inscrite dans des structures très prévisibles. Il y avait toujours 5 actes, un alexandrin dit comme un vers et non pas comme la prose comme le font la plupart des metteurs en scène. En fait, tout était dit d’une manière rythmique et en même temps emphatique qui prenait beaucoup de temps, où chaque mot était prononcé selon sa propre énergie. La musique de cette époque était la transposition de cela. Et il est très rare d’obtenir cela aujourd’hui chez nos musiciens, la chanteuse Salomé Haller a cette sensibilité. Elle a la chance d’avoir commencé en chantant du texte, elle n’a pas appris la musique en chantant des notes comme j’ai pu le faire en mon temps ce que j’ai toujours trouvé stupide ! Cela peut être utile pour du BOULEZ du fait de la virtuosité de cette musique de structure, mais sinon… Vous voyez, en fait, restituer une musique ancienne c’est suivre à la trace toute une série de paramètres qui entrent en fusion pour aboutir au résultat final. »
LEXNEWS : « Quelle influence cette démarche a-t-elle sur les instruments ? »
Martin GESTER : « Je pense qu’à partir du moment où le musicien travaille dans le sens que j’ai indiqué, la question de l’instrument est moins prioritaire. Il m’est arrivé de jouer du MOZART au piano à des personnes qui me le demandaient alors que d’habitude c’est une musique que j’interprète au clavecin ou au pianoforte. Une musicienne présente m’a alors fait la remarque que l’on avait l’impression que je jouais un pianoforte ! Ce à quoi j’ai répondu que c’était le pianiste qui fait le pianoforte et non l’instrument. Si vous prenez Glenn Gould, il joue de cette manière parce qu’il entend du BACH à la STRAVINSKY, c’est à dire très machinal, très boite à musique ! D’autres vont entendre la musique de CHOPIN à la manière de DEBUSSY, avec un résultat très enrobé, alors même que la musique de CHOPIN, notamment pour sa main gauche, était beaucoup plus rythmé, à l’image des musiques populaires, vous avez un orchestre qui accompagne et un chanteur qui exécute un air très mélodique. L’opéra italien avec BELLINI par exemple reproduit ce schéma : l’orchestre met en valeur le chant avec une logique à deux éléments. Avec BACH c’est beaucoup plus complexe, très souvent cinq composantes vont interagir de cette manière !!! Cela explique que nous soyons très tenus par le tempo avec une plus grande liberté à l’intérieur de ce cadre rigide. Il est clair que si l’on cherche à aborder cela comme un chef moderne qui veut faire bouger son orchestre, cela ne peut pas marcher. Pour certains compositeurs, il est possible de tricher comme chez HAENDEL par exemple, mais avec BACH c’est impossible, vous avez de si longues musiques qui ne décollent pas de la mesure que même si vous souhaitez respirer, vous avez toujours une voix qui continue toujours… Toute cette problématique peut être comparée au problème de la sculpture d’une statue qui doit représenter Apollon et Daphné : comment représenter Apollon qui poursuit Daphné qui se change en laurier ! C’est tout un problème… L’art baroque va imposer comme élément l’immobilité du socle et va en même temps suggérer l’élan, la transformation des personnages. Cela résume les difficultés de l’opéra baroque. »
LEXNEWS : « Quels sont vos projets discographiques pour les prochains mois ? »
Martin GESTER : « Nous allons sortir les leçons de ténèbres de COUPERIN chez ASSAI. Un disque des 6 sonates en trio de BACH pour le clavier à pédalier re-instrumenté dans l’esprit de BACH, disque qui va également sortir chez ASSAI. nous allons sortir un CARISSIMI chez Opus 111, un disque de STEIGLEDER avec un cycle de 40 variations sur le thème de Notre Père chez Tempérament/Radio France. »
LEXNEWS : «Martin GESTER, merci, nos lecteurs retrouveront ces disques dans nos pages Nouveautés Disques, et nous aurons l'occasion de revenir sur les thèmes essentiels que vous venez d'aborder !"
Les Interviews de LEXNEWS : Vincent DUMESTRE, Ambronay, le 22-09-02. © LEXNEWS
LEXNEWS : « Quelle est l’origine de la création de votre ensemble, « Le Poème Harmonique » en 1997 ? »
Vincent DUMESTRE : « Cet ensemble a été créé à partir de différents parcours d’interprètes dans les grands ensembles de musique ancienne. Nous avions tous des idées que nous ne pouvions pas forcément mettre en place dans des formations existantes, que ces idées soient spécifiquement musicales, ou plus générales, notamment liées à des choix de compositeurs. C’est ce qui m’est arrivé, à l’image de nombreux musiciens, un jour, on décide de passer de l’autre côté !… »
LEXNEWS : « Qu’est ce qui a justement motivé ce passage ? »
Vincent DUMESTRE : « Je pense, qu’à un moment donné, on se donne le droit à un tel recul, lorsqu’on estime, à tort ou à raison, qu’une certaine maturité l’autorise ! Il y a également une large part due au hasard des rencontres, comme celle avec Jean-Paul Combet, directeur du label de disques ALPHA, qui a permis de très belles réalisations alors même que ce label naissait en même temps que nous ! Nous avons tout commencé ensemble par la grâce des choses. Pour notre ensemble, je souhaitais porter l’accent sur la musique du début du XVII° siècle, même si cela a évolué depuis. Nous souhaitions montrer l’apport de la musique populaire à la musique savante de cette époque, tendance qui disparaîtra par la suite avec le XVIII° et la bourgeoisie. Ces musiques étaient parfois très proches, même si la musique savante avait recours à cette musique populaire avec une certaine distance. En ce qui concerne les danses du XVII° siècle, nous n’avons gardé que 10 % de la musique imprimée à cette époque, sans compter toutes les musiques orales héritées des traditions ancestrales ! Cela donne une idée de la palette immense de cette musique, et dans ce faible pourcentage, il reste énormément de choses à réaliser. C’est tout un travail musical à faire. Chaque jour exige un travail de rapprochement à faire avec d’autres sources, le théâtre, la littérature,… »
LEXNEWS : « Votre formation en dehors de la musique a été un atout pour cela ? »
Vincent DUMESTRE : « Oui, tout à fait. J’ai suivi l’Ecole du Louvre, je me suis intéressé aux Beaux Arts, j’ai aimé dessiné,… Il ne s’agit pas véritablement d’une formation, car je n’ai pas été très loin dans ces approches du fait de mon intérêt pour la musique, cependant, cela m’a conféré une ouverture d’esprit précieuse pour mes recherches ultérieures. Le XVII° a été une période de transition entre la Renaissance et ce que l’on a appelé le Baroque. Cette période a été l’occasion de remises en question, de doutes, et je dirai même de délires ! GESUALDO aurait eu du mal à réaliser ce qu’il a fait à une autre époque… Cette période d’une quarantaine d’années du XVII° siècle est véritablement passionnante et mérite une vie de travail. Notre ensemble a ainsi choisi de s’attacher à l’apport de ces compositeurs novateurs pour leur siècle et les siècles suivants. »
LEXNEWS : «Quelle est la part des instruments, de la voix et du texte dans le répertoire que vous travaillez ? »
Vincent DUMESTRE : « L’essentiel du travail que nous réalisons porte sur un travail vocal. Pour ce début de la période baroque, l’essentiel des sources pour un musicien était des sources poétiques textuelles. A la fin de la Renaissance, les instruments copiaient les voix. Lorsque dans le cadre d’une polyphonie, il manquait un ténor, un instrument le remplaçait sans difficulté. Les coups d’archets d’une viole imitaient par exemple la prononciation du chanteur. Le travail sur les instruments se fait plutôt sur un plan organologique. Nous essayons de retrouver les instruments les plus adaptés aux formes que nous connaissons. Lorsque nous avons enregistré notre disque « Il Fasolo », nous nous sommes penchés sur les instruments de la Commedia Dell’arte avec la guitare, le colascione, les castagnettes,… Pour certaines représentations, comme celle que nous donnons au Festival d’Ambronay, nous utilisons un instrument très rare, que l’on ne voit pratiquement jamais, le citerone, une sorte de grande basse de Cistre, un instrument magnifique et très beau qui avait disparu très vite en raison de son fort encombrement. Il est vrai que certaines découvertes en matière d’organologie ont une incidence sur nos travaux. Certains instruments s’avèrent être moins sonores que l’on ne croyait. De ce fait, on se pose des questions sur les équilibres entre les instruments et la voix. Mais, la base de notre travail reste vocale. »
LEXNEWS : « Pouvez-vous nous parler de vos travaux de recherches avec le Centre de Musique Baroque de Versailles et l’Académie Bach ? »
Vincent DUMESTRE : « Nous avons décidé, il y a quatre ans, avec l’Académie Bach et ALPHA de constituer un pôle de travail. Musicalement, nous partagions les mêmes idées, et sur un plan pratique, nous nous complétions parfaitement. Le Poème Harmonique, pour la création musicale, ALPHA, pour la production de la discographie, et l’Académie Bach pour l’infrastructure. Cette Académie est un pôle de travail sur les musiques anciennes qui s’associe également à d’autres ensembles que le notre pour permettre aux musiciens de travailler en amont des programmes ce qui est rarement le cas. Ce travail est collégial, ce qui est important pour nous. Parallèlement, nous travaillons avec le Centre de Musique Baroque de Versailles qui nous offre un travail de premier plan en matière musicologique. Ces chercheurs, sous la direction de Jean Duron, nous font bénéficier du résultat de leur travail. Nous avons travaillé sur le compositeur GUEDRON pour lequel il y avait un travail énorme à faire sur les partitions, ses œuvres étant très nombreuses et nécessitant un gros travail pour les rendre exploitables. Sans le Centre, j’y travaillerai encore ! »
LEXNEWS : « Quel sont vos rapports avec le disque et vos préférences quant aux enregistrements en studio ou en direct ? »
Vincent DUMESTRE : « Je pense que le disque a une fonction très importante et qu’il a remplacé beaucoup de choses qui ont disparu comme l’apprentissage des musiciens autrefois. En effet, au XVII° siècle, un jeune luthiste qui souhaite apprendre devait faire comme le peintre qui entrait dans un atelier, balayait pendant un an, puis préparait pendant encore une année les pigments et les toiles, et ainsi de suite… Ce n’était qu’au bout d’un long apprentissage quotidien en présence du maître que les réflexes se constituaient. Cela a totalement disparu aujourd’hui même avec nos conservatoires ! Je pense que le disque est capital aujourd’hui pour proposer cette présence à des personnes qui ne peuvent, pour toute sorte de raisons, souvent matérielles, profiter de l’enseignement d’un maître. En ce qui me concerne, par exemple, j’ai très peu travaillé avec Hopkinson Smith, par contre j’ai beaucoup appris grâce à lui en écoutant très souvent ses enregistrements.
LEXNEWS : « Ce que vous dites est très important car cela va rassurer de nombreux musiciens qu’ils soient amateurs ou plus avancés ! »
Vincent DUMESTRE : « Oui, je pense que c’est capital, cela remplace ce rapport entre l’élève et le maître qui a vraiment disparu. Pour un jeune musicien, c’est véritablement merveilleux de pouvoir écouter chez lui, quant il veut, son artiste préféré. C’est en effet extraordinaire ! Et heureusement que nous avons cela, sinon comment serait il possible d’établir ce rapport autrement avec la vie que nous menons à l’époque actuelle ! Mon rapport avec l’enregistrement est très différent de celui avec le concert. Je n’y vois pas les mêmes objectifs, n’y même la même manière de faire. En effet, je ne suis pas pour le direct, et pour moi le disque est une manière d’aborder la musique différemment par rapport à une représentation publique. Pour le concert, nous devons non seulement nous adapter en fonction des lieux selon leur volume, leur acoustique,… mais également adapter la musique elle-même ! Nous allons devoir faire des ornements différemment, nous allons peut être enlever certains instruments, ou rajouter tel autre. Le disque va répondre à des exigences différentes : nous n’avons pas le même objectif selon les disques, nous n’avons pas le même temps de répétition, et nous utilisons l’acoustique d’une manière différente par rapport au concert. C’est un autre travail qui procurera des plaisirs eux mêmes très différents. Le concert est véritablement un partage, le disque est peut être plus un plaisir égoïste de musicien qui va chercher la perfection. »
LEXNEWS : « Certains de vos confrères reprochent justement au studio d’aseptiser la musique par cette quête de la perfection avec les ingénieurs du son ! »
Vincent DUMESTRE : « Non, je ne partage pas ce point de vue ! Je pense que c’est un peu comme si l’on faisait le reproche à un musicien de travailler dans un lieu où l’acoustique est idéale. Si vous prenez le concert d’Hopkinson ce matin dans cette toute petite salle où nous étions de l’Abbaye d’Ambronay, c’est véritablement un lieu idéal, et ce même artiste jouera dans quelques semaines dans une grande salle de concert américaine devant plusieurs centaines de personnes ! Il me paraît évident que l’on ne va pas lui faire le reproche d’avoir joué dans ce premier lieu magique dont nous avons profité ! Tant mieux, et pour moi le disque c’est la même chose. »
LEXNEWS : « Quels sont les projets de votre ensemble ? »
Vincent DUMESTRE : Nous allons sortir à la fin de cette année les Leçons de Ténèbres de LALANDE chez ALPHA, un travail passionnant qui me permet de montrer les acquis de cet héritage du début du XVII° siècle sur une musique un peu plus tardive. Il y a encore dans la musique de de LALANDE toute la force de l’importance du texte et l’adéquation de la musique au texte. Plus le temps passe, plus je souhaite mettre en adéquation l’aspect musical avec les autres arts de l’époque. Je travaille depuis longtemps sur le théâtre baroque et sur la déclamation en collaboration avec Eugène Green et Benjamin Lazar. La gestuelle de la rhétorique, élément fondateur de tous les arts de cette époque me semble également essentielle. Nous essayons de retrouver cette énergie du geste avec ces artistes qui sont peu nombreux aujourd’hui ! J’aimerai à terme réunir les arts avec pour 2004 un projet du Bourgeois Gentilhomme. Pour nous ce sera le point culminant de notre travail, avec le théâtre, bien sûr, mais aussi la danse du 17° siècle qui n’a rien à voir avec la danse baroque. Cette danse du 17ième est plutôt une danse du mime, au sens du mime Marceau par exemple ou de la Commedia Dell’arte. J’ai le projet de faire travailler la danse mimétique aux chanteurs, ainsi que la rhétorique, la prononciation restituée,… »
LEXNEWS : « Cela ne doit pas être chose facile car la formation des musiciens n’inclut pas ces dimensions ? »
Vincent DUMESTRE : « Tout à fait, et pour cela il faut arriver à intéresser des musiciens afin que le travail avec le Poème Harmonique ne soit pas seulement une collaboration qui dure le temps d’une production, puis on fait une audition et on recommence avec d’autres ! Il faut au contraire leur proposer un vrai travail sur le long terme. C’est évidemment difficile. »
LEXNEWS : « Les musiciens participent aujourd’hui à de nombreux ensembles, ce qui rend leur disponibilité plus réduite… »
Vincent DUMESTRE : « C’est en effet un donnée importante, il faut faire avec ou plus exactement sans, en proposant de beaux projets à long terme. Cela prend du temps, mais petit à petit les musiciens rallient cette approche. »
LEXNEWS : « Peut on dire d’une certaine manière que vous leur demandez d’adhérer à cette philosophie qui résumerait la mission du Poème Harmonique ? »
Vincent DUMESTRE : « Absolument, il est vrai que c’est une philosophie ainsi qu’une manière de travailler. Il s’agit de partager un chemin avec une vraie direction, sans s’en détourner, et en même temps, prendre en considération avec humilité les avis de chacun selon les sensibilités. Pour moi, la première qualité d’un musicien est sa capacité à s’émouvoir ! »
LEXNEWS : « Vous rejoignez Hopkinson SMITH qui nous indiquait lors de son interview que pour lui c’était la qualité fondamentale du musicien quelque soit son niveau ! »
Vincent DUMESTRE : « Oui, ce qui n’est pas toujours facile à atteindre ! Nous sommes dans le cadre d’un travail et nous avons souvent tendance à oublier ce plaisir d’écouter la musique et de s’émouvoir… »
LEXNEWS : « Vincent DUMESTRE, merci de nous rappeler ce bonheur originel qui devrait être au cœur de toute approche de la musique ! »
Les Interviews de LEXNEWS : Hopkinson SMITH, Ambronay, 21/09/02. © LEXNEWS
LEXNEWS : « Quel est le parcours qui vous a mené aux instruments anciens ? »
Hopkinson SMITH : « Je pense qu’il ne faut pas voir l’évolution de mon parcours comme étant divisé en deux périodes distinctes. J’ai, en effet, reçu une formation classique, mais je pense que mon attrait pour d’autres instruments, en particulier anciens, relève plus d’une sensibilité esthétique que d’une évolution liée à la formation. Je pense, en fait, que plus qu’une formation classique, j’ai bénéficié d’un parcours ouvert, laissant des portes également ouvertes vers de très nombreuses directions. Cela correspondait probablement à une sensibilité personnelle et à un besoin intérieur.
LEXNEWS : « L’enseignement que vous avez reçu a-t-il favorisé cette approche ? »
Hopkinson SMITH : « La façon dont on m’a enseigné a été très importante pour les travaux que j’ai entrepris. La méthode qui implique, par exemple, de remonter aux sources originales et aux questions fondamentales a été très bénéfique pour mes recherches. Mais mon parcours musical relève plus d’une approche intuitive indissociable de ma personnalité. Vous savez, je n’aime pas beaucoup les labels que l’on appose, et je préfère de beaucoup la prise en compte d’une approche de l’être lui-même plus que des influences extérieures.
LEXNEWS : « Pouvez vous nous parler de votre attirance pour la musique renaissance avec ce très bel « ATTAIGNANT » que vous venez de sortir chez NAIVE ? »
Hopkinson SMITH : « J’ai dédié la plupart de mon temps au luth baroque. C’était pour moi l’occasion de me lancer sur une voie tout à fait différente. J’avais été fasciné par les deux collections d’ATTAIGNANT pendant une vingtaine d’années. J’ai ainsi pressenti que ces œuvres pouvaient offrir beaucoup plus au luth que ce qui semblait à première lecture. C’est une musique qui est à la fois liée à la tradition populaire, mais également à la musique de Cour des années 20 du XVI° siècle. Cette musique, en France, se caractérise par un esprit tout à fait spécial : une harmonie intérieure, un bien être un peu nostalgique mêlé d’un lyrisme très français. Pour la musique de danse, il y avait de nombreuses possibilités à partir des tablatures d’ATTAIGNANT, et je dois avouer que c’est cette créativité qui m’a séduit dans ce répertoire.
LEXNEWS : « Cette image d’une musique à la fois légère, sans que cela soit péjoratif, et en même temps profonde, permet-elle d’exprimer ce que ressent ce siècle en profonde mutation ? »
Hopkinson SMITH : « Tout à fait ! Nous avons tout avec des pièces comme les Branles de Poitou et autres danses de ce recueil : des airs légers, mais aussi un certain lyrisme, voire même une mélancolie très profonde !
LEXNEWS : « Quelle est l’importance du mode de tablature pour cet aspect créatif dans la restitution de ces œuvres ? »
Hopkinson SMITH : « Tout dépend de la musique dont nous parlons. Si nous prenons une musique de DOWLAND ou une Gaillarde compliquée de HOLBORNE, il y a peu de choses à apporter au texte. Mais avec ces œuvres publiées par ATTAIGNANT, il y a énormément de questions fondamentales posées par le texte même ! Ce sont sur ces questions que j’ai osé quelques tentatives avec ce nouveau disque !!!
LEXNEWS : « Vous semblez tout autant à l’aise dans le répertoire de BACH que dans celui dont nous venons de parler, peut –on facilement passer de l’un à l’autre ? »
Hopkinson SMITH : « C’est en effet très différent. Premièrement l’instrument lui-même est différent ! Nous avons avec ce luth, un autre accord, une autre technique. C’est bien sûr un autre monde de pensée musicale. Mais je pense que le luth offre cet avantage de pouvoir aborder un répertoire aussi large et varié sans pour autant que cela puisse être en opposition. Je dois même dire que ces musiques, par le moyen du luth, se complètent très bien. Cela me fait penser à un acteur qui jouerait un soir le rôle d’un paysan très gai, et qui, la semaine d’après jouerait le Roi Lear de SHAKESPEARE ! Au sein d’une même personne, différentes qualités vont ainsi être mises en œuvre.
LEXNEWS : « Est ce à dire que vous tenez un rôle différent à chaque fois ? »
Hopkinson SMITH : « Je pense qu’il y a des acteurs qui se tiennent à un seul type de rôle toute leur vie, il y en a d’autres qui aiment passer d’un caractère à l’autre. J’essaye de faire plutôt comme ces deniers ! Evidemment, pour revenir à votre question, cela ne se fait pas comme cela, cela demande une grande préparation au même titre que l’acteur avec ses rôles différents. C’est un très grand travail qui s’étale parfois sur des années comme pour l’enregistrement du BACH par exemple. Pour le disque d’ATTAIGNANT, mes racines du luth renaissance remontent à près de 30 ans ! Il y ainsi une certaine période de préparation, plus ou moins longue, qui est intrinsèque au projet. Je fais un disque en moyenne tous les deux ans et cela me demande énormément de temps, à la fois sur le plan intellectuel, mais également sur l’instrument. »
LEXNEWS : « Si vous aviez un conseil à donner à des débutants qui souhaiteraient aborder le luth, le théorbe ou la guitare baroque, quel serait le premier ? »
Hopkinson SMITH : « Ayez toujours du plaisir à jouer. Très souvent lors du travail avec l’instrument et dans le cadre de l’enseignement, il est possible de rentrer dans une certaine rigidité et de s’enfermer dans des dogmes. Cela peut malheureusement rendre les chemins beaucoup plus sinueux avant d’arriver à une certaine satisfaction musicale ! Je pense qu’il ne faut jamais perdre de vue l’harmonie intérieure avec l’instrument et le parcours à mener avec lui. Cela n’empêche pas bien sûr des défis avec ce dernier, mais ils ne doivent jamais désunir le musicien de son instrument ! »
LEXNEWS : « Vous ne prônez pas bien sûr la virtuosité pure pour la virtuosité ! »
Hopkinson SMITH : « En effet, pour moi cela ne peut jamais être le but poursuivi ! Je dirai la même chose à un joueur de trombone, un violoniste ou à un pianiste. Ce n’est pas toujours le cas malheureusement et COUPERIN rappelait que ce n’était pas ce qui le surprenait mais ce qui le touchait qui retenait son attention ! Il est toujours très important de rester en contact avec cette satisfaction intérieure.
LEXNEWS : « Nous vous voyons depuis plusieurs années en soliste alors même qu’auparavant vous participiez à des ensembles, pour quelle raison ? »
Hopkinson SMITH : « J’adore la musique de chambre, mais en fait il s’agit plutôt d’une question de priorités. J’ai besoin de tellement de temps pour réaliser mes idées sur l’instrument que très souvent cela ne me laisse plus d’autres latitudes ! C’est pour ces raisons, qu’en principe, je centre mes efforts sur la pratique des instruments en soliste. Il y a tellement de choses à découvrir ! Il n’est pas possible de réaliser un disque comme celui de BACH, ATTAIGNANT ou KAPSBERGER sans s’y consacrer pleinement. Et cela ne touche pas seulement la musique d’ensemble ! La famille, les élèves, les amis sont malheureusement également concernés ! C’est un choix personnel, je pense que c’est la seule façon de faire les choses le mieux possible.
LEXNEWS : « Quels sont vos projets ? »
Hopkinson SMITH : « Avec le disque ATTAIGNANT, j’ai entrepris un saut vers la renaissance, je vais continuer vers l’époque élisabéthaine. Je pense défricher cette période. Il y a une très grande variété d’instruments qui nécessitent une approche spécifique. Pour certaines musiques comme celle de WEISS ou de BACH, il est possible de retenir un même instrument. Pour la musique du XVII° siècle en France, comme en Allemagne, il y a un instrument général. Pour la musique italienne de la fin du XVI° siècle et anglaise fin XVI° et début du XVII° siècle, il y a également un instrument. J’ai un ami aux Etats-Unis, Van Lennep, qui a fait beaucoup d’instruments pour moi dont un nouveau luth 8 chœurs extraordinaire. Je cherche encore maintenant à exploiter toutes ses possibilités.
LEXNEWS : « Hopkinson SMITH, merci de votre accueil et nous donnerons les prochaines dates de vos concerts et parution de vos enregistrements très prochainement ! »
Les Interviews de LEXNEWS : William CHRISTIE, Paris, 13/09/02.
©Michel Szabo
LEXNEWS : « Comment avez vous perçu ce tournant de la redécouverte de la musique baroque avec votre ensemble, les Arts Florissants ? »
William CHRISTIE : « Cette redécouverte de la musique baroque est un phénomène mondial qui remonte à une quarantaine d’années. La France a retrouvé son patrimoine musical un peu plus tardivement, il y a une vingtaine d’années, et depuis ce temps, les progrès ont été très importants ! Ces répertoires anciens des XVII° et XVIII° siècles ont progressivement acquis une place de choix dans le milieu musical, ce qui a, d’une certaine manière, élargi le répertoire musical. Nos parents et grands-parents écoutaient essentiellement des musiques du XIX° et XX° siècles, maintenant les mélomanes peuvent apprécier plus de 5 siècles de musique ! »
LEXNEWS : « Quel a été, selon vous, le facteur déclenchant de ce tournant ? »
William CHRISTIE : « Malgré son importance, je pense que la musique qui était écoutée jusqu’alors ne parvenait plus à étonner. Imaginez un répertoire joué et rejoué sans cesse pendant plus de cent ans, cela peut conduire à une certaine perte de fraîcheur ! Il y a bien sûr eu une part de travail intellectuel des musicologues, des instrumentistes et des chanteurs dans la redécouverte de la musique baroque mais je pense sincèrement que cette musique sonne bien à nos oreilles parce qu’elle a proposé quelque chose de nouveau. Le charme des instruments anciens va également dans ce sens : ces instruments sont moins entendus que les instruments modernes et offrent ainsi des découvertes auxquelles nous n’étions plus habitués. Autrement dit les mélomanes comme les musiciens se rendent compte qu’il y a autant de compositeurs et d’œuvres de génies avant Mozart qu’après Mozart ! »
LEXNEWS : « Pensez vous qu’une certaine démarche conduisant à rechercher les sources du répertoire XIX-XX° siècles a pu jouer dans cette redécouverte ? »
William CHRISTIE : « Oui, très certainement, cela fascine d’ailleurs certains dont je fais partie ! Mais, personnellement, ce n’est pas le moteur de mes actions, c’est la beauté intrinsèque des œuvres baroques qui retient tout mon attention. Je pense que pour répondre à votre question sur ma formation personnelle, cela a été purement une question de goût. Il es t vrai que j’ai été formé très jeune, et à l’âge de 10 ans j’ai pu découvrir HAENDEL et le Messie, ainsi que la musique française du XVIII° siècle. Cela m’a permis de former très tôt mes préférences et j’avoue que j’ai beaucoup de mal à l’expliquer autrement ! Il n’est pas possible de tout aborder, tout au moins je pense, qu’à la différence de certains musiciens, il est difficile de jouer aussi bien BACH qu’ OFFENBACH ! J’ai eu la chance de pouvoir aborder beaucoup de musique contemporaine il y a une vingtaine d’années. Si cette musique fait intervenir un rapport entre différentes époques, il y a également des différences énormes qui justifient à mon avis une spécialisation. »
LEXNEWS : « Quelle définition souhaiteriez vous évoquer pour le mot baroque ? »
William CHRISTIE : « La définition la plus simple et, selon moi la plus cohérente, est la chronologie historique ! Un art baroque commence, sur le plan musical tout au moins, vers 1600 et s’arrête avec la mort des derniers grands compositeurs vers 1760. C’est donc un siècle et demi d’activité musicale qui s’est répandue dans toute l’Europe. Le style va considérablement changer à partir des années 1600 par rapport aux siècles précédents. L’écriture musicale va profondément changer avec la basse continue et l’évolution de certaines formes musicales. En effet, la sonate, la suite, le motet, l’oratorio, l’opéra, … vont être les ingrédients principaux de cette nouvelle musique baroque. »
LEXNEWS : « Vous allez diriger cet automne, pour la première fois, la Philharmonie de Berlin, peut on dire qu’un pont est lancé entre deux mondes trop souvent cloisonnés ? »
William CHRISTIE : « Oui, je crois qu’il y a une volonté de la part du nouveau directeur de vouloir effectivement approfondir des éléments du style et de l’interprétation d’une musique, ce qui n’est pas l’image traditionnelle d’une telle formation ! Il est curieux que cela se fasse en Allemagne et au sein d’orchestres qui jusque là étaient plutôt conservateurs ! Berlin, Leipzig et même Vienne,… Et pourtant, c’est là bas que l’on peut ressentir aujourd’hui une volonté de vouloir proposer d’autres styles. Ces orchestres se rajeunissent, et les instrumentistes aujourd’hui ont une volonté plus forte pour aller dans cette direction. »
LEXNEWS : « Pouvez vous nous parler du Jardin des Voix que vous débutez cet automne ? »
William CHRISTIE : « C’est un projet ambitieux, d’ordre pédagogique. Je n’enseigne plus au Conservatoire, faute de temps, et j’avoue que pouvoir vivre cette expérience dans le cadre d’un stage avec un groupe d’une dizaine de jeunes chanteurs est une formule idéale. Cela correspond à un besoin : ces jeunes chanteurs ne sont plus dans le cadre de la scolarité. Ils sont au début d’une carrière et veulent se spécialiser et approfondir leurs connaissances en musique ancienne. Nous travaillons ainsi deux points essentiels : celui de la formation et celui de l’insertion professionnelle. Dans le cadre de ce stage, un programme doit être préparé, afin d’être proposé aux plus grandes salles d'Europe. Je vais ainsi être le catalyseur de ces nouvelles énergies afin de leur donner tout ce qui est indispensable de savoir, l’aboutissement étant le concert. »
LEXNEWS : « Quels sont vos projets pour les mois à venir, pour le disque et les concerts ? »
William CHRISTIE : « Je dois vous avouer que je me sens trahi par ce qui vient de se passer. Je me sens victime d’une attitude très cavalière de la part de la société Time Warner. Cette société souhaitait de longue date avoir un contrôle absolu sur la musique Pop, la variété,… Avec une certaine arrogance, ces personnes ont souhaité pénétrer dans le milieu de la musique classique avec l’achat de maisons comme Teldec, Erato,… J’étais assez inquiet lorsque j’ai constaté que ces maisons d’éditions capitulaient. Effectivement, cette inquiétude était justifiée au regard de ce qui se passe aujourd’hui ! Pour le responsable de Time Warner, Monsieur Christie n’est intéressant qu’à la seule condition qu’il vende des disques ! C’est purement commercial… C’est évidemment quelque chose d’insupportable pour moi, j’ai toujours abordé mon parcours professionnel avec d’autres objectifs ! La finesse en matière culturelle n’est malheureusement pas la caractéristique ces responsables. Quel bilan dresser ? Deux superbes maisons de disques, Teldec et Erato, n’existent plus ! Que va devenir le catalogue, personne ne le sait ! Toute activité est gelée jusqu’à prochaine nouvelle, bloquant ainsi tout le travail effectué. La société a soldé l’affaire avec la fin du contrat en contrepartie d’un dédommagement : je me retrouve ainsi avec quelques clopinettes ! Je dois vous avouer que ce n’est pas cela qui m’inquiète le plus. Comme je vous le disais, je n’ai jamais fait de la musique pour devenir riche ! Ce qui m’inquiète plus est que cela touche plus de 30 ans de travail, avec un parfait mépris ! Je ne sais pas ce que nous allons faire, des maisons d’édition s’intéressent bien sûr à nous mais il y a cinq ans de projets superbes qui en restent là… »
LEXNEWS : « Quelle pourrait être la place de plus petits labels dans cette situation ? »
William CHRISTIE : « J’ai toujours loué le courage des petits labels et des personnes qui créent encore aujourd’hui de petites sociétés pour éditer des disques. Mais que va-t-on faire pour les grands projets ? J’ai quitté Harmonia Mundi, à côté de points de désaccords personnels, essentiellement parce qu’ils ne pouvaient pas suivre les grands projets d’opéras ou d’oratorios, les projets qui réunissaient un grand plateau. Il y a très peu de maisons aujourd’hui capables de faire cela. Comment enregistrer un opéra ? Comment enregistrer un « Zoroastre » de RAMEAU ? »
LEXNEWS : « Cela va-t-il limiter le répertoire à enregistrer ? »
William CHRISTIE : « Cela risque en effet d’avoir des conséquences assez lourdes sur les choix. »
LEXNEWS : « Comment réagissez vous à cette situation ? »
William CHRISTIE : « Pour le moment, nous enregistrons. Je viens d’enregistrer un disque la semaine dernière mais je n’ai pas la moindre idée de qui va l’éditer ! Pour les projets déjà enregistrés, c’est également un grand mystère : Zoroastre, Théodora, sont prêts, mais à ce jour tout est gelé alors même que certains sont partis à la gravure ! »
LEXNEWS : « Vous avez participé à une série d’émissions pour la télévision sur la 5, pouvez vous nous dire ce que vous pensez du terme vulgarisation ? »
William CHRISTIE : « Nous avons en effet fait quatre leçons de musique pour le grand public et je pense que cela a été apprécié. En fait, j’accepte une certaine définition de la vulgarisation. Si la démarche retenue est de rendre accessible ce que je fais, je suis pour. Si c’est à l’inverse pour diluer un travail, je ne suis plus d’accord ! Prenez l’exemple du Cross over, comme l’on dit dans le milieu du business, qui demande à un musicien X issu du classique de former une union avec un musicien Y du Pop, la plupart du temps cela donne des résultats épouvantables ! Et cela, je déteste. Vouloir rendre vulgaire mon art, non ! Au sens propre du mot, j’approuve ! »
LEXNEWS : « William Christie, merci pour toutes ces informations, nous ne manquerons pas d’informer nos lecteurs du choix de la prochaine maison d’édition avec laquelle nous vous souhaitons de très belles réalisations pour le bonheur de tous et le respect de la culture ! »
Les Interviews de LEXNEWS : Hervé NIQUET, Sablé, 23/08/02.
LEXNEWS : « Hervé NIQUET, nous vous voyons régulièrement passer du clavecin à la direction, tout en ayant chanté pour les Arts Florissants, quelle est votre formation d’origine et quelle est l’origine du Concert Spirituel ? »
Hervé NIQUET : « J’ai reçu une formation de claveciniste, d’organiste, mais également de chant. La direction d’orchestre m’a permis de m’ouvrir à un répertoire de plus en plus vaste. C’est à partir de là que j’ai pu découvrir un patrimoine exceptionnel avec le Grand Motet français. Le Concert Spirituel a une origine historique particulière : Anne Danican Philidor fut à l’origine de sa fondation en 1725. Cette création fut originale car elle se démarquait de ce qui existait alors. Cet ensemble se constitua, en effet, dans l’attention de se produire en public grâce à des concerts payants. Le Concert Spirituel chercha également à créer un nouvel espace entre l’opéra, la musique de cour et la musique sacrée. Au moment où j’ai pris le nom du Concert Spirituel, j’ai mené des recherches historiques qui m’ont fait réaliser qu’il y avait là tout un répertoire attaché à cet illustre ensemble. C’était, à l’époque, un énorme orchestre et un énorme chœur en même temps. J’ai commencé à piocher dans ce répertoire et je me suis dis : pourquoi ne pas exploiter cette idée de faux répertoire sacré, à savoir des motets et des psaumes que l’on donnait autrefois en concert, avec chœur et orchestre ou des solistes. C’est cela qui m’a incité à creuser et exploiter les motets de GILLES, de CAMPRA, de RAMEAU, … Au terme de cinq années d’enregistrement de disques, nous avons acquis une certaine expérience. »
LEXNEWS : « Le nom « concert spirituel » vous a non seulement inspiré pour votre ensemble mais également pour le concept auquel il renvoyait »
Hervé NIQUET : « Absolument, je me suis rendu compte que cela nous avait donné une renommée à l’étranger. En effet, dés que l’on évoque le motet français, on fait référence au Concert Spirituel. En France, il y a très peu de personnes qui défendent cette forme en réalité. Je suis très fier de pouvoir revendiquer ce travail systématique que nous avons mené sur ce répertoire du Grand Motet français. Je pense que nous avons là un beau patrimoine ! »
LEXNEWS : « Comment réagissez vous dans la direction par rapport à votre expérience en tant qu’instrumentiste ? »
Hervé NIQUET : « La direction est très frustrante, pour moi tout au moins, c’est très clair ! »
LEXNEWS : « On vous voit chanter, vous impliquer dans cette direction »
Hervé NIQUET : « Oui, j’ai besoin de chanter parce que cela me fait du bien. Quand je peux me mettre au continuo, je le fais. Il y a tout de même une part de frustration dans le travail de direction. C’est vraiment intéressant au moment des répétitions quand on élabore et que l’on transforme une matière, mais au concert, nous sommes des catalyseurs pas toujours indispensables ! »
LEXNEWS : « Votre remarque est très intéressante, parce que ce n’est pas obligatoirement l’impression que peut en avoir le public lors du concert ! »
Hervé NIQUET : « Oui, mais après c’est du théâtre et du commerce, il ne faut pas l’oublier ! En tant qu’instrumentiste, je dois vous avouer qu’il y a d’autres joies ! Dans ce concert, je retrouve deux ou trois chanteurs avec qui je chantais il y a quinze ans à la Chapelle royale, et vraiment, j’ai très envie d’aller de l’autre côté et de chanter avec eux plus que de diriger. »
LEXNEWS : « Comment percevez vous le public lorsque vous jouez en concert ? »
Hervé NIQUET : « Cela me fait réagir systématiquement. Il ne faut surtout pas décrocher des personnes présentes dans la salle, cela on le ressent dés que l’on entre sur le plateau. Nous connaissons très souvent le contexte : le lieu, le public que l’on va avoir. A partir du moment où nous avons nous même besoin de ce public, nous ressentons bien la manière dont il réagit et à quel moment il décroche… »
LEXNEWS : « C’est quelque chose que vous percevez tout de suite ? »
Hervé NIQUET : « Oui, et il est clair que cela a une influence sur de nombreuses choses. »
LEXNEWS : « Cela peut il jouer sur votre interprétation ? »
Hervé NIQUET : « Oui, cela influence le son, la rapidité, il faut accrocher ce public. C’est tout l’art de la rhétorique ! Un chef peut très bien ne pas s’occuper de ces choses là, mais ce n’est pas mon choix. La musique que nous jouons est déjà rhétorique : elle est très bien construite et nous nous servons de ses artifices techniques, c’est à dire un mode d’emploi en quelque sorte. Puis, une fois que l’on a utilisé cela à travers la musique, nous sommes face au public et il faut le faire passer. Il y a également d’autres outils que la rhétorique : le son peut servir à remettre l’auditeur sur les rails. S’il y a une faiblesse, il est possible d’aiguiser son attention par un léger piano,… Il est clair que cette persuasion peut être efficace, et dans ce cas, nous mettons la musicologie de côté ! »
LEXNEWS : « Cette approche conduira obligatoirement à une différence entre un enregistrement en direct et en studio ? »
Hervé NIQUET : « Absolument, cela n’a rien à voir. Je déteste le disque !!! Je suis malade avant, pendant et après ! Je ne fais jamais de live, parce que le disque est autre chose. Je souhaite préparer le son et la pierre que l’on est entrain de tailler. C’est un produit mort. »
LEXNEWS : « De nombreux chefs que nous avons interrogés, nous ont exprimé leur préférence pour le live, en critiquant l’approche du studio »
Hervé NIQUET : « Je ne dirai pas pour autant que le studio est à condamner ! Je pense que c’est un endroit où l’on travaille de manière incroyable. Nous pouvons faire des progrès de minute en minute. C’est une façon de se réévaluer et de pousser les musiciens au maximum. C’est très fédérateur, mais il est clair que c’est un autre produit que le concert. Sociologiquement, cela m’intéresse beaucoup, même si j’en suis malade !!! »
LEXNEWS : « Vous allez vous attaquer aux célèbres Fireworks et Watermusic de HAENDEL, quelles sont les difficultés pour rejouer un tel répertoire ? »
Hervé NIQUET : « Il y a, en premier lieu, une difficulté financière et également une difficulté logistique. HAENDEL a, en effet, été très clair en indiquant le nombre exact de musicien qu’il souhaitait pour cette œuvre : à savoir 9 cors, 9 trompettes, 24 hautbois, 15 bassons, 3 postes de percussions, plus les cordes ! Cela fait une centaine de musiciens, vous pouvez imaginer le coût d’une telle représentation ! A 600 francs la minute de répétition, avec 6 heures sur 15 jours de répétitions, vous imaginez les difficultés matérielles… C’est évidemment très cher. Il faut également trouver les musiciens pour une telle œuvre : cela fait 4 ans que je suis sur ce projet ! Vous connaissez comme moi le problème du baroque aujourd’hui : les musiciens jouent partout, en Amérique du Nord, comme en Europe. Nous n’avons plus le temps de répéter, et nous avons des instruments qui sont de plus en plus fiables, mais de moins en moins en baroques, notamment concernant les hautbois et les bassons. Nous avons marqué une pause dans la préparation de ce projet et nous avons réfléchi. Cela nous a conduit à faire fabriquer tout la bande des hautbois et bassons à partir de modèles historiques, nous avons retaillé des anches,… Ainsi, nous avons engagé des personnes qui ont accepté de bien vouloir se remettre en question. Ils devaient, en effet, accepter de réapprendre au beau milieu de leur carrière un nouvel instrument et ainsi se mettre en danger d’une certaine manière. Nous avons réunis tout le monde 6 mois avant, tous les bois et hautbois, les cors et trompettes, en janvier. Cela a été un véritable choc ! Nous étions comme au rayon des tronçonneuses dans un supermarché !!! Le résultat est, en effet, incroyablement sonore, extrêmement volubile, très coloré et, au final, somptueux. »
LEXNEWS : « Vous retrouvez là une sonorité plus proche des origines, sans pour autant avoir des certitudes absolues ? »
Hervé NIQUET : « Bien sûr, je n’ai pas de certitude, mais je pense que nous nous rapprochons de ce qui était à l ‘époque. Je cherche la solution à mes questions par les instruments. Nous avons engagé également des personnes qui avaient fait des recherches sur les trompettes naturelles et les cors. Nous avons dévalisé l’Europe pour obtenir ce résultat ! Nous avons répété la semaine dernière, et je dois avouer que cela a été la fête pendant 4 jours ! Je n’ai jamais eu un orchestre aussi tendu, aussi discipliné. C’est vraiment un événement, et cela remet beaucoup de pendules à l’heure. C’était notre but, et je pense que nous allons essaimer beaucoup de choses en Europe à partir de cette expérience. Beaucoup de monde s’est remis en question avec cet événement. Le fait que nous répétions de moins en moins, que nous ayons de moins en moins de temps, conduit à standardiser, les phrasés n’existent plus,… C’est tout cela qui est inversé avec cette dernière expérience. »
LEXNEWS : « Est il plus difficile d’interpréter ce répertoire à l’intérieur alors qu’il a été conçu à l’origine pour l’extérieur ? »
Hervé NIQUET : « Non, la seule différence est de parvenir à focaliser l’intérêt et le son lorsqu’on est à l’intérieur. Nous donnerons, à deux reprises, ce programme à l’extérieur, mais je pense que cela sera réussit ! »
LEXNEWS : « Pouvez vous nous indiquer vos projets pour cette fin d’année ? »
Hervé NIQUET : « Nous allons sortir en décembre un très beau disque d’un de mes compositeurs préférés de BOISMORTIER, « Daphnis et Chloé ». Nous allons jouer toute la série des Fireworks et Watermusic dans la deuxième quinzaine de septembre, le disque sortira l’année d’après. Je vais diriger le « Médée » de CHARPENTIER à Toronto. Je créé également mon nouvel orchestre baroque au Canada qui va s’appeler « La Nouvelle Symphonie » avec deux productions par an. C’est un orchestre composé de 45 musiciens américains pour le répertoire français. »
LEXNEWS : « Hervé NIQUET, merci, et à très bientôt. »
Les Interviews de LEXNEWS : Denis RAISIN-DADRE 31/08/02 Dieppe. photographie : Guy Vivien
LEXNEWS a rencontré, pour ses lecteurs, Denis RAISIN-DADRE, le chef de l’ensemble renaissance Doulce-Mémoire. Notre revue a été impressionnée par la modestie, et en même temps, la richesse des réponses de Denis RAISIN-DADRE à nos questions. Une interview à lire et à relire afin de prendre un peu de recul par rapport à notre vie trépidante... Il existe des trésors de sérénité dans notre patrimoine musical, suivons le meilleur guide dans ce parcours !
LEXNEWS : “ D’où provient votre attrait pour la musique renaissance ?”
Denis RAISIN-DADRE : « Ce goût vient, en premier lieu, de l’instrument que je pratique. Les personnes qui pratiquent la flûte à bec interprètent très souvent un répertoire des XVII° et XVIII° siècles, c’est le cas de la majorité des flûtistes à bec. J’ai eu par contre la grande chance de travailler avec Gabriel Garrido à Genève, qui m’avait incité à entreprendre le répertoire renaissance. Il faut savoir qu’à cette époque, ce répertoire était moins prisé. Il y a également un second facteur qui explique ce choix : mon intérêt pour les arts et l’histoire de la renaissance. Je me suis très vite intéressé à la littérature, la peinture,… de cette période, et j’ai constaté avec surprise le vide dans les bacs des disquaires quant à la musique de cette même renaissance ! Ce décalage entre les grands génies de la renaissance connus de tous par les musées et les expositions et cette lacune du patrimoine musical m’a conduit dans cette direction. Evidemment, cette musique m’a tout de suite passionné : j’avais un continent à découvrir ! »
LEXNEWS : « Avez vous pratiqué très tôt cette musique renaissance ? »
Denis RAISIN-DADRE : « Non, c’est en fait après l’âge de 20 ans que je me suis dirigé vers ce répertoire. Toutes les personnes de ma génération qui font de la musique ancienne se sont formées un peu de manière empirique ! Il n’y avait pas, comme maintenant, de CNSM. Il y avait très peu de classes de flûtes à bec en France, il fallait alors partir à l’étranger. J’ai surtout pratiqué la musique baroque, comme tous mes collègues. J’ai joué du BACH, du VIVALDI et du TELEMANN comme tout le monde !!! ce qui n’est pas une mauvaise école. J’ai également travaillé le XVIIème italien. C’est donc dans un second temps que j’ai abordé ce répertoire renaissance, ce qui n’était pas évident ! Il fallait, en effet, trouver les clés pour l’interpréter, les partitions, … »
LEXNEWS : « Vous ne souhaitez pas faire trop d’incartades dans d’autres domaines comme le baroque par exemple, pour quelles raisons ? »
Denis RAISIN-DADRE : « Non, en effet. Pour moi, les raisons sont simples : je trouve très difficile de bien faire de la musique de 1480 à 1600 ! Il y a une telle évolution dans les styles, que pour moi c’est déjà bien assez vaste. Si l’on veut faire les choses sérieusement, ce qui est le cas avec Doulce Mémoire, il y a largement de quoi s’occuper. Ces périodes connaissent des évolutions extraordinaires des instruments et des diapasons. Nous ne réalisons pas de la même façon la musique de 1480 et celle de la fin du XVIème avec Claude LE JEUNE ou DU CAURROY. En 120 ans, c’est très différent : n’oublions pas que c’est à peu près la même échelle qui sépare un SCHUBERT d’un SCHONBERG !!! On oublie trop souvent cela, en rangeant cinq siècles de musique ancienne sous le même vocable. Tout le monde peut comprendre qu’un pianiste ne fasse pas du SCHUBERT comme du STRAVINSKY. Par contre, lorsque nous prévenons que nous n’allons pas faire de la même façon de la frotolle de la fin du XV° siècle ( Ndlr : composition polyphonique vocale de forme strophique simple avec un refrain) et de la musique mesurée à l’antique de Claude LE JEUNE, c’est moins bien compris ! Nous essayons de nous rapprocher au plus près des styles et de faire un gros travail. C’est, pour nous, une question d’honnête intellectuelle. Si je devais mettre les pieds dans la musique de 1650, ce serait un tout autre monde… La basse continue est apparue, les instruments ne sont pas les mêmes, les diapasons ne sont pas les mêmes et l’attitude physique elle-même est différente. En fait, la philosophie de cette musique sera différente. Quand vous commencez à mettre les pieds dans cette musique sublime du XVI° siècle, vous réalisez que c’est une musique extraordinaire qui est sans concession ! La musique sacrée est tellement profonde, qu’après cela, vous ne pouvez plus aborder d’autres répertoires. Je ne peux plus, en effet, mettre les pieds dans certaines musiques qui me semblent d’une telle frivolité que je n’ai plus rien à dire les concernant ! »
LEXNEWS : « Cela affecte directement votre oreille et votre perception ? »
Denis RAISIN-DADRE : « Tout à fait, l’oreille devient très exigeante. Si j’avais à me déplacer dans d’autres domaines, j’irai peut être voir du côté de MONTEVERDI, qui est tout de même une personne de la renaissance, qui a écrit également avant l’apparition de la basse continue. Il y a «deux » MONTEVERDI : celui de la Prima Pratica et celui de la Seconda Pratica. Je pourrai peut être m’aventurer dans cette direction pour Doulce Mémoire. J’accepterai également l’Air de Cour français car c’est un répertoire qui me parle et qui est également lié à la renaissance, mais je ne vois absolument pas faire des grands motets français !!! Il y a d’autres ensembles qui le font bien. J’ai un respect pour un certain nombre de mes collègues et je me vois mal apporter quelque chose de plus qu’eux ! Et j’ai tellement de choses à dire dans mon répertoire… De plus, je ne suis pas mégalomane : je n’ai pas besoin d’avoir un chœur et orchestre de 200 personnes pour avoir le sentiment d’exister !!! »
LEXNEWS : « Le terme baroque est souvent utilisé à tort et à travers, qui plus est, lorsqu’il englobe la musique renaissance ! Pouvez vous nous dire ce qui pour vous marque la différence essentielle entre ces deux domaines ? »
Denis RAISIN-DADRE : « Pour moi, la meilleure introduction, afin de distinguer ces deux univers, serait d’aller regarder des peintures renaissances et des peintures baroques ! Le choc est radical… A l’origine de la renaissance, la musique est enseignée avec les mathématiques. La musique est alors l’art du nombre. Elle n’a donc pas, pour les esprits du début de la renaissance, la fonction d’exprimer les passions humaines. C’est quelque chose qui est très troublant pour l’homme moderne. Ce concept d’ « émotion » est omniprésent dans notre culture moderne, et la musique doit être au service des émotions. On vend la musique avec cet argument ! Pour l’homme de la renaissance, c’est une injure absolue. La musique n’est absolument pas au service de l’homme, cela aurait été très choquant d’affirmer cela à cette époque. La musique se suffisait à elle-même et devait répondre à l’harmonie du cosmos. La musique était le reflet de la perfection, l’ars perfecta. Cette notion d’ars perfecta renvoie à l’idée selon laquelle l’art doit refléter la musique de l’univers, qui est une musique parfaite et harmonieuse. La recherche des hommes de cette époque est de parvenir à refléter cette harmonie de l’univers. C’est la caractéristique de toute la musique sacrée de la renaissance. C’est, à mon avis, une différence extraordinaire avec la musique baroque, car cette dernière est au service des passions humaines. Pour l’homme de la renaissance, c’est une véritable dégradation de penser ainsi ! Dans les concerts de musique sacrée que nous réalisons, nous voyons bien que notre public est étonné, très attentif et extrêmement silencieux. Il a le sentiment d’assister à une cérémonie qui exprime une sorte de perfection absolue de la beauté de cette musique. C’est une musique très extatique ! »
LEXNEWS : « sans déchaînement des passions ! »
Denis RAISIN-DADRE : « Non, en effet, il n’y a que la contemplation de la perfection, et ce dans un calme extraordinaire. A la différence, la musique baroque cherche à déstabiliser l’auditeur. Je pense que c’est même le fondement de cette musique : elle déstabilise afin de provoquer des émotions et de faire prendre conscience qu’il n’y a pas un centre dans le monde, mais plusieurs centres. On retrouve cela dans l’architecture et la peinture usant de différentes techniques comme les lignes de fuite par exemple. Si un auditeur écoute une bonne interprétation de musique baroque, il subira une succession de douche écossaise ! Il aura envie de rire, puis de pleurer… La musique religieuse renaissance cherchera à l’inverse à mettre ce même auditeur dans l’état de la mediocritas, c’est à dire un état de la contemplation et de l’apaisement. Il assiste à quelque chose qui le dépasse et le sublime. »
LEXNEWS : « N’est-il pas étonnant que ce répertoire renaissance n’ait pas été plus médiatisé à une époque où notre société trépidante aspire, par tous les moyens, à instaurer et à vendre le calme et le bien-être ?
Denis RAISIN-DADRE : « En effet, je pense que l’on a beaucoup insisté sur la musique baroque ces dernières années, mais je constate qu’une grande partie du public est de plus en plus sensible à cette quiétude. Il y a cette perfection et ce sentiment de sortir d’un concert dans un état d’âme plus sereine ! C’est, en quelque sorte, une forme de thérapie !!! Nous leur donnons cette quiétude et l’équilibre. Ce que recherche l’architecture renaissance c’est l’équilibre. L’obsession de la renaissance était de retrouver le nombre parfait, le nombre d’or. Le baroque a cherché l’inverse avec le déséquilibre. Il y a, en effet, un public qui vient aux concerts de musique renaissance et qui tombe sous le choc ! Nous venons de faire récemment des Leçons de Ténèbres pour lesquelles il y a eut un silence après le concert qui fut très impressionnant. C’était ce sentiment d’avoir retrouvé pendant quelques instants une quiétude et un équilibre si difficile à trouver dans notre monde ! »
LEXNEWS : « Quelle est la place de l’improvisation dans le répertoire instrumental de la renaissance ? »
Denis RAISIN-DADRE : « Le répertoire instrumental de la renaissance, en dehors de la musique sacrée, connaissait, en effet, une grande tradition d’improvisation. Très peu de choses étaient notées : tout le répertoire de danse du XVème siècle n’est pas écrit ! Il y a ensuite une grande part d’improvisation pour les instrumentistes d’ornementation. Ils ne jouaient pas en fait ce qui était écrit ! Cette écriture représentait un schéma, un peu à l’image du jazz aujourd’hui. Il est vrai que si vous jouez certains répertoires, comme la musique de danse ou la musique populaire, en faisant ce qui est écrit vous apportez l’ennui le plus total à votre public ! Nous avons heureusement beaucoup de traités qui nous aident dans cette démarche. Mais cela ne doit pas se substituer au corps de l’artiste qui doit incarner cette musique. Cet attitude du musicien ne peut résulter en effet des seuls traités ! Il faut des musiciens d’aujourd’hui, qui soient bien dans leur corps, qui s’amusent,… C’est très important : nous ne pouvons pas avoir que des chercheurs ! »
LEXNEWS : « Il faut une synthèse entre cette recherche académique et cette vie de la musique ? »
Denis RAISIN-DADRE : « Oui, c’est quelque chose qui me tient particulièrement à cœur pour Doulce Mémoire. Je pense que notre ensemble est un exemple typique de cette confluence entre une démarche musicologique intellectuelle et une démarche sensuelle. Cela répartit notre travail, à la fois dans les bibliothèques et sur la scène. Cette scène est très importante : je souhaite travailler avec des gens jeunes et motivés, qui sont prêts à faire toute sorte de folies, qui aboutissent à un spectacle. »
LEXNEWS : « Retrouve-t-on ainsi une caractéristique de ce qui se pratiquait autrefois, à l’époque où ces musiques ont été créées ? »
Denis RAISIN-DADRE : « Je pense que l’une des caractéristiques de la renaissance, c’est d’arriver à faire une synthèse entre le grave et le plaisant. Nous retrouvons d’ailleurs souvent cette idée dans les préfaces, et dont les auteurs italiens parlent beaucoup. C’est une synthèse chez des personnes qui étaient à la fois de très grands intellectuels, comme RABELAIS par exemple, et en même temps des individus capables de grandes extravagances ! Nous avons moins cela aujourd’hui : nous rencontrons soit des universitaires, volontiers dogmatiques, soit des personnes qui ne font que des spectacles de comiques ! Il n’était pourtant pas choquant à la renaissance d’avoir un moine comme RABELAIS qui écrit les choses les plus sérieuses dans ses correspondances avec ERASME, et en même temps s’amuse avec des plaisanteries de collégiens !
LEXNEWS : « Est ce un trait qui est à rapprocher du terme même « renaissance » que les modernes ont créé ? »
Denis RAISIN-DADRE : « J’ai le sentiment qu’il y a toujours des renaissances, même dans les temps qui précèdent la renaissance. Mais la renaissance qui m’intéresse, celle du XV° siècle, est une expérience extraordinaire en raison de son dynamisme fou et son optimisme. Le frère de Laurent le Magnifique avait pour devise : « le temps revient ». Ils ont vraiment cru à un âge d’or. Je trouve que cette soif de vivre et de créer trouve sa meilleure traduction dans cette avalanche de génies qui est très impressionnante ! La renaissance est une période très créative qui n’a peur de rien. Cela se terminera avec la seconde renaissance au moment de la guerre des religions, avec le retour d’un pessimisme. L’optimisme de la première période trouve sa traduction, quant à elle, dans tous les domaines : l’économie avec le développement du commerce, les échanges, les voyages,… Cette période, ainsi que celle du début du pessimisme, font l’objet de mes recherches. Il est vrai que lorsqu’il y a plus de désespoir, les musiques peuvent parfois être plus belles ! Ces périodes offrent d’immenses créateurs : Claude LE JEUNE, Roland de LASSUS,… Des personnes comme MORALES qui sont moins connues sont également passionnantes. Nous avons là de la très grande musique, même si ces œuvres sont méconnues. N’oublions pas qu’au XIX° siècle on se moquait de VIVALDI ! Et même plus récemment ! Lorsque Christie a débuté en 1980 son travail sur LULLY, mes professeurs ricanaient. De nombreuses personnes se demandaient ce qu’il y avait à chercher dans ce répertoire que l’on qualifiait négativement. Cela provient du fait qu’il y a un très grand décalage entre lire une musique et l’interpréter. »
LEXNEWS : « Le spectacle que vous donnez ce soir « derniers jours de fête » associe théâtralité et musique de la renaissance. Est ce un retour historique aux sources de l’époque ou une interprétation plus libre ? »
Denis RAISIN-DADRE : « Il y a deux choses : tout d’abord, un retour historique, et d’autre part, une grande signature de l’Ensemble. La signature de Doulce Mémoire est de passer du répertoire sacré le plus sérieux au répertoire profane le plus débridé ! L’autre grande caractéristique est que nous réalisons des spectacles. Nous formons un ensemble avec un metteur en scène associé, et nous ne réalisons pas que des concerts. C’est cela qui fait notre réputation aujourd’hui. Nous produisons de réels spectacles avec des costumes, une scène et des acteurs ! Le spectacle de ce soir est le quatrième que nous ayons réalisé. Le thème nous ramène à une période importante qui est l ‘époque des académies en Italie, qui déferleront par la suite en France. Ces académies traitaient des sujets les plus sérieux et réunissaient l’élite intellectuel du moment, des magistrats, des personnes de l’Eglise, des médecins,… Ces notables se rassemblaient afin de débattre des sujets les plus sérieux et en même temps passaient des soirées où l’on s’amusait. En fait, notre spectacle est parti d’un livre que j’ai découvert à Bologne qui décrit ces soirées. Lors de ces soirées, de véritables jeux de rôles étaient organisés ! C’était assez loufoque : le principe était simple. Il fallait élire un prince qui dirigeait les jeux et en proposait les thèmes. Ces jeux allaient de la simple imitation de personnes à des jeux plus complexes ! Le jeu de l’épitaphe consistait à prononcer l ‘éloge funèbre d’une personne encore vivante ! Tout cela était une manière très subtile de faire passer des messages et parallèlement de montrer sa propre culture. C’était, en fait, un moyen de mettre en œuvre le savoir des gens. Ces jeux ont eut beaucoup de succès et ont été mis en musique. Nous avons ainsi dans les partitions des références expresses aux livres des jeux. Les surnoms que l’on trouve dans les livres se retrouvent également dans les musiques. Nous avons donc réalisé un montage à partir de ces livres et de ces partitions. Ces jeux offrent plusieurs niveaux de lecture différents. Ils ont été réalisés à un moment important : celui du siège de Sienne par les Florentins. Ils ont ainsi joué afin de défendre leur culture. Nous avons décidé de décaler le spectacle au XIX° siècle ! L’autre profondeur de ce spectacle est de montrer que le XIX° siècle redécouvre la renaissance en 1830 avec le Prince de la Moskova par exemple. C’est une société qui s’amuse avant de disparaître définitivement, d’où le titre : « derniers jours de fête ». Derrière cet amusement, se cache une mélancolie profonde qui regrette déjà une période qui va s’achever. Ce spectacle a donc cette complexité qui offre une lecture à différents niveaux. Pour répondre directement à votre question, nous sommes à la jonction entre la recherche historique et notre propre identité à laquelle nous tenons beaucoup. Nous recherchons le drôle et le grave, le spectacle et la création, sans oublier la recherche. J’ai toujours été très intéressé par la recherche pratique avec Doulce Mémoire, ce qui n’est pas le cas de la musicologie qui fait peut avancer la pratique, surtout en France ! Par ailleurs, nous sommes très intéressés par la création. J’ai très souvent le sentiment de réaliser de la musique contemporaine et non pas de la musique ancienne ! Je fais de la musique avec des gens d’aujourd’hui, qui ont des corps d’aujourd’hui et des soucis actuels ! Nous sommes avec l’Ensemble en plein cœur de ce monde : le TGV, les concerts,… Nous sommes totalement dans la modernité : c’est pour cela que cette création est essentielle. Vous évoquiez le problème de la musique baroque toute à l’heure, je pense que nous sommes entrain de vivre une renaissance aujourd’hui ! L’Internet et les nouvelles technologies, toutes les questions que nous nous posons aujourd’hui trouvent des résonances très fortes avec la période de la renaissance. Pour moi Gutenberg et l’Internet, c’est la même renaissance ! Je pense que nous nous dirigeons vers des bouleversements très forts dans les années qui viennent. »
LEXNEWS : « Dans l’échange de l’information et des cultures ? »
Denis RAISIN-DADRE : « Complètement ! Je vois là, en effet, une résonance avec la renaissance et également, je l’espère, avec un optimisme. Même si ce n’est pas encore le cas à l’heure actuelle, la modernité peut déboucher sur une espérance plus forte. C’est exactement ce qu’ont vécu les personnes du XVI° siècle et qui a provoqué une création extraordinaire. J’en ressens les prémisses aujourd’hui, peut être plus dans les pays asiatiques qu’en Europe. J’ai noté dans ces régions une créativité extraordinaire. C’est la direction que nous voulons prendre avec Doulce Mémoire, pour ne pas faire de la spéléologie musicale ! Nous n’avons pas comme prétention de donner dans l’exhumation ! »
LEXNEWS : « A propos de technologies, entre le studio et le live, vers où vont vos préférences pour l’enregistrement de vos disques ? »
Denis RAISIN-DADRE : « Pour certains répertoires, je pense que le direct est préférable. Le profane déluré est mieux enregistrer en direct, car même si l’on perd en perfection, on va gagner en spontanéité ! D’autres projets méritent d’y revenir et d’être retravaillés. Il me semble que le disque et le concert sont deux choses à part et il ne faut pas chercher à les comparer. Il y a souvent une souffrance chez les musiciens car, avec le disque, nous allons le plus loin possible et, souvent, nous perdons en spontanéité. Il est probable que d’autres technologies comme le DVD par exemple apporteront des solutions. »
LEXNEWS : « Quels sont vos projets pour les mois à venir ? »
Denis RAISIN-DADRE : « Nous allons suivre la ligne déjà tracée pour Doulce Mémoire, à savoir des projets théâtraux. Nous allons travailler sur le style des Lamentations, et de nombreuses autres pistes à fouiller. Nous allons être très présents au Festival des cathédrales en Picardie. Nous avons également un projet sur Léonard de VINCI pour l’exposition du Louvre en 2003. Nous allons enfin élaborer un spectacle faisant intervenir la danse au XVIème siècle. Nous allons collaborer sur des projets avec des Taiwanais, toujours dans un but d’ouverture ! Je pense que mes directions de recherche vont aller vers la recherche de partitions inconnues dans les bibliothèques. Il y a des continents encore à découvrir !
Les Interviews de LEXNEWS : Pierre CAO, le 22/07/02 Paris.
Photo : Thierry MATGINOT
LEXNEWS s’associe à la nouvelle édition des Rencontres de Vézelay qui sont devenues ces dernières années une halte incontournable sur la route des festivals de l’été. Et ce d’autant plus que son directeur artistique, Pierre CAO, est une figure bien connue du monde de la musique classique et baroque. Une interview chaleureuse qui donnera, à n’en pas douter, l’envie à nos lecteurs, de faire un petit tour à Vézelay en cette fin du mois d’août !
LEXNEWS : « Pouvez vous nous retracer votre parcours musical ? » Pierre CAO : J’ai une formation de chef d’orchestre. J’ai occupé pendant de nombreuses années la fonction de chef d’orchestre à Radio Luxembourg. Cela fait 46 ans que je dirige également des chorales. Je peux donc dire que je possède une certaine expérience dans ces deux domaines. J’ai d’ailleurs toujours enseigné dans ces deux domaines, actuellement encore puisque j’interviens dans la nouvelle école supérieure de Catalogne qui vient d’ouvrir à Barcelone. LEXNEWS : « Vous êtes vous très tôt spécialisé dans la musique baroque ? »Pierre CAO : En fait, je n’ai jamais cherché à me spécialiser dans un quelconque domaine. Ma génération n’a rien à voir avec la génération actuelle en musique baroque ! C’est à partir de 40 ans que j’ai commencé à changer, à travailler avec des instruments anciens et sur des répertoires baroques. Mais encore aujourd’hui, je ne prétends pas à l’exclusivité ! Toute musique est en fait susceptible d’attirer mon attention, même si, aujourd’hui, je réalise beaucoup de musique baroque. LEXNEWS : « Qu’est ce qui dirige vos choix dans ce répertoire si varié qui part de la musique ancienne jusqu’au répertoire contemporain ? » Pierre CAO : Il est vrai qu’à Vézelay, par exemple, je vais diriger les Vêpres de Sainte Marie Madeleine qui est une création contemporaine pour ces rencontres. Cette diversité de répertoire répond à un critère très personnel et subjectif : me sentir à l’aise avec la musique abordée ! D’ailleurs je ne fais jamais de musique baroque française, parce que c’est un répertoire qui ne me parle pas autant que le répertoire allemand pour lequel la langue m’est familière. C’est cette idée qui nous guide pour le Pôle d’art vocal de Bourgogne ARSYS et pour les rencontres de Vézelay. Nous ne cherchons pas une spécialisation à tout prix. La programmation des Rencontres de Vézelay de cette année en est l’illustration : nous partons du Moyen-âge jusqu’au contemporain ! Cela est peut être du à ma génération, à l’époque de notre formation cette tendance à la spécialisation était plutôt rare. LEXNEWS : « Cette diversité est elle un atout pour l’interprétation de ce répertoire de musique ancienne ? » Pierre CAO : Il m’est très difficile de répondre à cette question, car je n’ai pas le recul nécessaire pour en juger. Il est clair que la pratique répétée d’un répertoire plus tardif va obligatoirement donner une technique indispensable pour exécuter du Mahler par exemple. C’est très certainement un avantage pour aborder un répertoire plus ancien. Mais je ne sais pas véritablement ce que j’apporte. Je pense que ce sont plutôt les musiciens et les chanteurs qui peuvent plus facilement s’en rendre compte. LEXNEWS : « Le pôle d’art vocal de Bourgogne, ARSYS, a été crée en 1999, quelle est l’origine de cette création et quelles sont ses caractéristiques ? » Pierre CAO : Ce pôle est né d’un vœu émis par la Région de Bourgogne qui souhaitait créer un ensemble professionnel. La DRAC de Bourgogne m’a contacté pour savoir si j’étais intéressé par ce projet. J’ai tout de suite pensé que c’était une idée séduisante. Le Département de l’Yonne, avec la Région et le Ministère, sont au chœur de cette réalisation. Le pôle est en fait une structure juridique dans laquelle il y a un ensemble vocal professionnel qui se nomme ARSYS Bourgogne, il y a également les Rencontres Musicales de Vézelay, et il y aura par la suite des Master-Classes, des formations à haut niveau. Cette exigence de qualité est le point de départ de cette aventure. Nous nous étions fixés comme objectif d’y parvenir en deux ou trois années pour pouvoir décider d’aller plus loin. Je pense que ce premier objectif est atteint. Notre ensemble arrive à un niveau de maturité intéressant. LEXNEWS : « Quelle est la flamme qui anime cet ensemble ? »Pierre CAO : Tout d’abord, en collaboration avec le Centre de Musique Baroque de Versailles, nous avons entrepris de redécouvrir le répertoire de musique baroque bourguignon, afin de mettre à jour un patrimoine musical exceptionnel. Un bel exemple est venu avec la réalisation des Vêpres de Menault qui a donné lieu à un enregistrement chez K617 ainsi qu’à de nombreux concerts. D’autres projets autour de ce patrimoine vont également être menés dans les prochaines années. Ce travail se décompose en plusieurs étapes : la recherche des documents, la restitution du matériel, l’édition de ce matériel réalisé par les Editions du CMBV . Je m’intéresse à toutes les étapes de ce projet mais je délègue la direction à des chefs que nous invitons puisqu’il s’agit de musique française. Pour Menault par exemple, nous avons fait appel à Jean Tubéry. J’espère que nous allons également faire un autre projet avec Hervé Niquet, ainsi que d’autres chefs. Parallèlement, nous avons souhaité ouvrir la porte à des créations contemporaines, la commande des Vêpres de Sainte Marie Madeleine ,que j’évoquais tout à l’heure, en est une illustration. LEXNEWS : « Vézelay est le pôle de ralliement de votre centre ainsi que le lieu de rencontre dont la réputation ne cesse de grandir, pour quelles raisons avoir retenu ce site, et pouvez vous nous présenter le programme de cet été ? » Pierre CAO : Le choix de lieu a résulté du hasard. Avec le Président Patrick Bacot, nous avons découvert ce lieu et nous en sommes tombés amoureux. La Région a acheté un bâtiment à quelques mètres de la Basilique, dans lequel nous avons nos bureaux depuis un an déjà. Ce fut un coup de foudre. Afin de respecter le lieu, nous avons décidé que le répertoire serait exclusivement sacré et vocal. Il n’y aura pas d’opéras, ni de symphonies. Nous retenons bien sur des thématiques : cette année est consacrée aux vêpres. Ce thème, contrairement aux apparences, offre une diversité exceptionnelle. Des premiers concerts consacrés au grégorien jusqu’à la création contemporaine, nous aurons pour les Rencontres de cette année un éventail très riche sur ce seul thème. L’année prochaine sera consacrée au thème de la lumière éternelle, « Lux Aeterna », avec une programmation qui s’avère très prometteuse. LEXNEWS : « Quels sont vos projets à venir quant à l’actualité du disque et des concerts ? » Pierre CAO : Il y aura bien sur quelques reprises ainsi qu’une nouvelle programmation avec les Saqueboutiers de Toulouse intitulée « De Venise à Dresde ». Nous allons également interpréter le requiem de BIBER,et des œuvres de GRAUPNER . Concernant le disque, nous allons sortir à Vézelay un enregistrement sur les vêpres sous Charles VI à Vienne. Ce sont des œuvres pour lesquelles nous ne possédons que des manuscrits, il n’y avait pas les partitions. Il a donc fallu restituer le matériel à partir de cela. C’est un travail que je trouve très intéressant. Je souhaite également enregistrer les vêpres de Sainte Marie Madeleine que nous allons donner en concert cet été à Vézelay. Le requiem de BIBER sera également disponible en disque l’année prochaine.
LEXNEWS : « Pierre Cao, vous n’allez pas manquer d’occupations pour la fin d’année, en attendant de revenir sur ces évènements nous vous remercions pour votre accueil chaleureux et nous vous donnons rendez-vous à la fin du mois d’août pour les rencontres de Vézelay que LEXNEWS couvrira pour ses lecteurs ». Les Interviews de LEXNEWS : Jean-Louis CHARBONNIER, 01/05/02, Saint Maur.
L'entreprise d'enregistrer l'intégrale des pièces de violes de Marin MARAIS pour le disque est déjà chose peu ordinaire. Lorsqu'elle se double d'une intégrale de ces mêmes pièces en concert pour l'automne 2002, cela donne deux bonnes raisons pour LEXNEWS d'interviewer un artiste qui n'est pas avare en riches analyses !
LEXNEWS : « Jean-Louis Charbonnier, nos lecteurs ont fait votre connaissance lors de la présentation du festival de Dieppe que vous dirigiez jusqu’à votre récente démission. La page est tournée et vous entamez un nouveau cycle passionnant : une intégrale de Marin MARAIS au disque et au concert. D’où vous vient cet attrait pour le violiste rendu si célèbre avec SAINTE-COLOMBE par le film « Tous les Matins du Monde » auquel vous avez contribué en tant que conseiller artistique ? »
Jean-Louis CHARBONNIER : C’est en découvrant la viole de gambe que l’on découvre ces compositeurs qui ont écrit spécifiquement pour cet instrument. Avant « Tous les Matins du Monde », j’ai eu un parcours très varié : j’ai fait du piano, du basson et un peu de violoncelle. J’ai même touché un peu à l’opérette ! J’ai fait partie d’un ensemble de musique ancienne, « Les Musiciens du Prince de Conti » à l’époque où la comtesse de Chambure était conservatrice au musée du conservatoire de Paris. Cette dernière m’a prêté alors un basson baroque et m’a encouragé à aller travailler à Bâle. J’ai parallèlement entrepris le violoncelle car dans un petit ensemble baroque le basson n’était pas suffisant. C’est également elle qui m’a conseillé, en 1972, de me pencher vers la viole de gambe. Pendant mon service militaire dans la musique de l’armée de l’air, j’ai eu la possibilité, étant au Ministère de la Défense, de pouvoir aller tous les jours, à l’heure du repas, à la Bibliothèque Nationale. Cela a été l’occasion pour moi de découvrir une passion pour la recherche de musique ancienne. Madame de Chambure m’a alors prêté une viole de John Pitz (1686), un instrument extraordinaire que j’ai pu jouer jusqu’en 1975, date de son décès. Je suis parti travailler à la Schola Cantorum à Bâle sous la direction d’Anne-Laure Müller, puis à Zurich avec Jordi Savall. J’ai abandonné le basson et la viole est devenue mon seul instrument. C’est en 1975 que j’ai édité mes premières méthodes pour la viole. J’ai très vite abandonné le violoncelle dés que j’ai touché la viole. Même si je pratiquais l’instrument avant la viole parallèlement au basson, j’ai vite réalisé que les liens de parenté entre les deux instruments étaient plus éloignés que ce que l’on avait coutume de penser. Le jour où, en effet, j’ai réalisé que la viole n’était pas du tout l’ancêtre du violoncelle, mais un concurrent et qu’il s’agissait d’une vihuela, une guitare à archet, cela a été une véritable découverte ! Le répertoire me convenait parfaitement à la différence des répertoires comme ceux plus classiques de l’opéra. Le répertoire de la viole n’a pas subi ces transformations dues à l’évolution de la musique. Avec le film « Tous les Matins du Monde », Pierre Vérany m’a proposé d’enregistrer un disque Marin MARAIS. Les pièces à trois violes n’ayant pas été enregistrées, nous les avons retenues. C’est à cette occasion que je me suis rendu compte en approfondissant cette œuvre que Marin MARAIS avait une précision extraordinaire surtout dans les derniers livres. MARAIS fait preuve d’une telle exigence que tout est marqué : les coups d’archet, les doigtés, les balancements de main, … Cette exigence se retrouve d’ailleurs dans les éditions de ses oeuvres où les fautes de gravure sont quasiment absentes. Il a été un véritable défenseur de la musique française. Ces livres sont pour moi un portrait de toute sa vie puisque pour le premier, il avait à peine 30 ans lorsqu’il fut édité, et les dernières pièces sont éditées en 1725, soit 3 ans avant sa mort. C’est d’une certaine manière son testament. Même s’ il a écrit des motets, des opéras qui ont eut du succès, c’est surtout dans ses pièces de viole que l’on peut percevoir une transformation. Avec les premiers livres, nous sommes en plein XVII° siècle et avec les derniers nous sommes déjà dans le style du XVIII° siècle. C’est pour moi, une nouvelle fois, une véritable révélation. Plus je rentre dans son œuvre, plus je réalise ce qui me reste à découvrir ! C’est un peu pour ces raisons que je me dis qu’il ne sert à rien de faire autre chose, tant que je n’aurai pas accompli tout cela. Dans le V° livre que nous venons de sortir, je me suis posé la question s’il y avait des pièces que nous aurions pu écarter. Etait il nécessaire de faire une intégrale ? La réponse est pour moi évidente : je suis de plus en plus persuadé de l’intérêt à porter à l’ensemble de ces œuvres de Marin MARAIS, sans opérer de sélection. Il n’y a selon moi aucune pièce à jeter.
LEXNEWS : « Pouvez vous nous parler de ce qui vous attire dans cet instrument que certains jugent parfois trop discret par rapport à d’autres instruments à cordes ? »
Jean-Louis CHARBONNIER : Il y a quelques temps, les violistes cherchaient à concurrencer le violoncelle, un peu comme au XVIII° siècle. La viole fut abandonnée à cette époque car elle ne s’adaptait pas à la musique. Tout d’abord, les frettes empêchent le vibrato. Même si l’on peut constater de nombreux musiciens qui bougent la main à la manière des violoncellistes, les frettes stoppent heureusement cet effet qui ne devient plus audible. Le problème est qu’en faisant ainsi, on oublie trop souvent qu’il existait un ornement spécifique : le flattement, le balancement de main qui était quelque chose à laquelle il fallait penser comme le tremblement, le pincé, etc.… Dans le même registre, le nombre de cordes empêche d’appuyer plus fort et démontre une nouvelle fois que cet instrument ne peut pas s’adapter à la musique classique. Cela fut la cause de sa longue absence jusqu’à sa redécouverte au XX° siècle. Or, aujourd’hui, on demande de plus en plus aux luthiers de faire des instruments beaucoup plus sonores et qui concurrencent le violoncelle. De mon point de vue, je rêvais de posséder un instrument du XVIII° siècle. Je me suis rendu compte très vite que ces instruments, très rares, étaient tellement abîmés que cela ne valait pas la peine, ou bien cela m’aurait coûter une fortune ! Je dois reconnaître que j’ai reçu un certain enseignement du film « Tous les Matins du Monde ». Alain Corneau m’avait demandé de lui trouver des instruments pour les acteurs. Je lui proposais alors un instrument qui faisait ancien, Alain s’y opposa formellement en relevant avec raison qu’à l ‘époque les musiciens jouaient des instruments neufs ! Il avait raison : il n’ y avait pas cet engouement pour l’ancien. Marin MARAIS d’ailleurs ne jouait pas de la musique ancienne, il interprétait la musique qu’il composait lui-même. J’ai ainsi réalisé que mon rêve d’un instrument ancien n’était plus essentiel. Lorsque le luthier Pierre Jaquier a réalisé l’instrument pour « Tous les Matins du Monde », il a suivi les conseils d’Alain Corneau qui souhaitait un petit instrument et non pas une grosse viole française afin de bien montrer que c’était le musicien qui était au dessus de tout. Le choix se porta donc sur un petit modèle, sombre, orné d’une tête représentant Madame de Sainte Colombe. En fait ce luthier a accepté pour la première fois de sa vie de faire un faux : il a imaginé une petite viole anglaise. Nous savons qu’à l’époque, selon les traités de Rousseau ou de Titon du Tillet, que les violes anglaises étaient très appréciées. C’est donc une viole à 6 cordes anglaise, tout en sachant que c’est Sainte Colombe qui a rajouté une septième corde et a fait filer les cordes d’argent. Mais, parallèlement, il a monté l’instrument avec un manche très large, qui ne correspond pas du tout à la caisse. Et bien le résultat fut paradoxalement extraordinaire : j’ai en effet découvert un instrument d’une douceur exceptionnelle. Le décalage avec la tendance moderne d’un instrument très sonore était flagrant ! Par ce détour original et imprévu, je me suis rendu compte que d’une certaine manière nous opérions un retour aux origines. Je m’explique : le résultat produit est très proche d’une guitare à archet, les origines de la viole. C’est un tout autre instrument qui est donné à jouer. J’ai remarqué d’ailleurs qu’avec mes jeunes élèves, le seul fait de jouer la viole sans l’archet, à la manière du luth, donnait des résultats excellents proches des origines de la viole de gambe. Bien sûr, le danger dans une grande salle est de ne pas être entendu ! Mais il faut accepter de jouer alors dans des lieux plus petits, conformes à cet instrument.
LEXNEWS : « Vous évoquez un problème souvent évoqué par les musiciens et les organisateurs de festival et de concerts, à savoir l’incompatibilité de certains instruments comme la viole, le luth ou la guitare avec de grands espaces de représentation »
Jean-Louis CHARBONNIER : Oui, en effet, c’est une grande difficulté ! Pour moi, le choix est simple, il faut jouer ces instruments dans des salles qui leur correspondent. Mais cela n’est pas toujours chose facile, car il y a des impératifs financiers. Les musiciens sont souvent partagés entre le fait de garder une certaine intimité pour préserver les sons, et en même temps, en faire profiter le plus grand nombre possible. C’est un dilemme. Certaines salles modernes sont parvenues à régler le problème : l’auditorium des Halles peut recevoir 600 personnes tout en permettant d’entendre de partout. La viole a besoin d’une acoustique spécifique qui porte les sons de l’instrument.
LEXNEWS : « Comment est il possible de distinguer ce qui est dans l’esprit de cette époque de ce qui serait le produit d’une interprétation extensive ? »
Jean-Louis CHARBONNIER : Il est possible, à la lecture des traités de musique ancienne par exemple, d’observer des idées à priori contradictoires ! Avec ROUSSEAU et DANOVILLE, par exemple, la plainte se réalise toujours, pour l’un, en montant et, pour l’autre, en descendant. En fait, ils disent tous deux la même chose : il y a, en effet, « monter » à l’oreille, et « monter » en descendant la main sur le manche de la viole, le résultat étant identique. Le danger est en fait de mal interpréter ce qui a été dit. Il est possible de souligner la même chose concernant l’idée selon laquelle la viole devrait imiter la voix. La voix est comme n’importe quel instrument. Si nous prenons un violon Stradivarius, il n’a plus rien à voir avec ce que faisait Stradivarius à l’époque. A part la caisse, tout a été transformé, adapté au travers des siècles. Je trouve scandaleux les Stradivarius qui sont vendus aujourd’hui des millions d’euros. Ils ne correspondent plus à ce qu’ils étaient à l’époque, c’est un peu comme si nous découpions la Joconde pour transformer le fond ! Le manche, le chevalet, l’âme, le cordier, les cordes,… ont disparu. Ils ne peuvent plus sonner comme à l’origine. Seulement ce sont des instruments avec un dessin magnifique, la voûte est superbe. A l’inverse, en replongeant dans les traités et dans les partitions de MARAIS, on se demande lorsqu’il y a quatre flattements et deux balancements de main dans une œuvre, comment peut-on imiter la voix. Si on utilise le vibrato continu comme le font les chanteurs, il n’est pas possible de faire le balancement de main, ni des tremblements. C’est bien la preuve qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. J’ai découvert qu’en fait, grâce à des instruments qui n’avaient pas été transformés, il faudrait que les autres instruments, de même que les chanteurs, se modèlent la dessus. Un chanteur rétorquera que le vibrato fait partie de la vibration de la corde vocale. C’est en fait une grosse erreur ! Qu’est ce qui est naturel ? C’est de faire vibrer une corde à partir d’une vibration qui continue toute seule de manière naturelle, la corde vocale aussi. Par contre, le vibrato est quelque chose que l’on rajoute. C’est une tendance qui est apparue au XIX° siècle et qui est totalement artificielle. Le jour où l’on prendra conscience de cela, les choses changeront. Si l’on parvient à oublier l’influence de notre temps, ce qui est très difficile, ainsi que tout ce qui a évolué depuis cette époque, nous arriverons grâce à l’instrument, et à la spécialisation, à retrouver un esprit proche de cette époque. Tout peut être prouvé dans cette démarche, il faut simplement du temps, justifiant cette vaste entreprise de l’intégrale !
LEXNEWS : « Ce que vous soulignez est très intéressant, d’autant plus que le film « Tous les Matins du Monde » prête plus à Sainte Colombe cet aspect des choses, par opposition à Marin Marais, au moins au début du film, et qu’il reconnaîtra plus tard dans son témoignage ! »
Jean-Louis CHARBONNIER : Oui, je pense que c’est quelque chose de tout à fait normal de se laisser porter par son temps et de se transformer. Il est vrai que lorsque je dénonce les Stradivarius transformés, je ne critique pas l’évolution qui est inéluctable. Il est nécessaire de s’adapter. Par contre, je pense qu’il est indispensable de protéger notre patrimoine de toute dénaturation . De même que l’on restaure des églises et que l’on protège des tableaux, je trouverai dommage qu’il ne reste plus de musique témoin du temps de cette époque. A partir du moment où l’on joue la musique d’une époque, il ne faut pas la dénaturer. Même si les sonates de Bach pour viole de gambe peuvent tout à fait être transposées à l’orgue positif et donner un résultat excellent, je pense que l’œuvre de Marais est trop synonyme de la viole de gambe pour souffrir de telles interprétations. Je pense que cela ne veut plus rien dire. En allant dans ce sens, je pense qu’il sera possible de mieux comprendre les autres aspects de l’œuvre du musicien. L’opéra français est un exemple : MARAIS peut il aller à l’encontre de tout ce qu’il a fait pendant sa vie en composant un opéra ? Lorsqu’il met un ornement pré-vibrato, pourrait il utiliser un ornement qu’il n’a jamais utilisé de toute sa vie sur un instrument ? Il y a quelque chose qui ne marche pas. Lorsque j’entends les enregistrements d’Alcyone avec de grandes voix lyriques, je me dis que le jour où l’on va demander aux chanteurs d’employer le même moyen d’expression que le compositeur avait en lui, je suis sûr que cela changera les choses. Je pense, en effet, que lorsqu’on arrivera à interpréter un opéra comme Alcyone, Sémélé, ou Ariane et Bacchus en imaginant la formation du son et un moyen d’expression différent, on sera étonné du résultat. Pour l’instant, j’entends des représentations d’Alcyone avec des grandes voix qui chantent aussi bien des opéras de fin XVIII°, cela ne me touche pas ! Je trouve tout de même étonnant que MARAIS ne me fasse pas réagir dans ses musiques vocales. Je suis sûr qu’il y a quelque chose et j’espère que je vais la découvrir avant la fin de ma vie ! Je suis persuadé que dans 10, 20 ans ou plus, on refera les opéras de MARAIS et de LULLY d’une autre manière. Christie est déjà allé assez loin, je pense que l’on peut faire encore plus. Cela viendra très certainement des chanteurs.
LEXNEWS : « Comment expliquez vous cette redécouverte de l’instrument, et de son répertoire, après un long sommeil de deux siècles ? »
Jean-Louis CHARBONNIER : Je vois trois raisons expliquant cette redécouverte. Tout d’abord la mise en valeur du patrimoine en général. On découvre depuis quelques années qu’il est nécessaire de préserver notre patrimoine, nous classons même des bâtiments du début du siècle. La musique et ses instruments participent à cette tendance. Je crois que nous sommes de plus en plus demandeurs de cette sauvegarde. Le deuxième point est qu’il y a un besoin de rejouer tout un répertoire qui touche l’âme d’un public de plus en plus nombreux. C’est la grande force du film « Tous les Matins du Monde ». Je pense qu’en plus nous avons chacun notre propre sensibilité. Lorsque j’ai travaillé avec Jean-Pierre Marielle pendant plusieurs mois, au début il ne jurait que par le jazz et n’était pas porté vers le classique. Lorsqu’il s’est rendu compte, qu’en fait, c’était le romantisme qui ne le touchait pas, il s’est mis à apprécier tout un répertoire inconnu de lui jusqu’alors. Et pour finir, je pense que la viole est un instrument très pédagogique.
LEXNEWS : « Nous souhaitions justement vous demander quelle était l’approche que vous favorisiez dans les premières années d’enseignement à de jeunes élèves ? »
Jean-Louis CHARBONNIER : Je me suis rendu compte que la viole était un instrument incroyable pour les enfants. La viole est beaucoup plus facile que le violon ou le violoncelle. Le répertoire est accessible à une vitesse accélérée. Je parviens à des résultats surprenants en un an, ce qui est impossible avec d’autres instruments. J’ai en plus la chance de pouvoir bénéficier de conditions idéales à Fontenay aux Roses avec des petits ateliers découvertes. Les enfants ont, en effet, la possibilité de choisir entre un instrument à cordes, un instrument à vent et un instrument à clavier. En seconde année, ils font un trimestre de chaque instrument ! Lorsqu’ils ont 7 ans, ce ne sont plus les parents qui émettent un souhait, mais l’enfant lui même qui décide de faire de la viole de gambe. A 11 ans, ils passent un examen de fin de cycle, et il leur est demandé de décider après un travail sur dossier. Même si le répertoire s’arrête en 1750, l’étendue des pièces à jouer est beaucoup plus vaste que le violoncelle, instrument réservé à l’orchestre symphonique ou aux pièces de Bach ! C’est pour moi un instrument qui offre un éventail pédagogique incomparable.
LEXNEWS : « Vous venez d’enregistrer un disque avec Jean-Pierre Marielle que vous connaissez depuis le film « Tous les Matins du Monde », pouvez vous nous le présenter ?
Jean-Louis CHARBONNIER : C’est Pierre Vérany qui a été à l’origine du premier enregistrement de Marin MARAIS. Nous n’avions pas à l’époque l’idée d’une intégrale. Je travaillais également à l’époque sur d’autres compositeurs comme CAIX d’HERVELOIS. Progressivement, j’ai réalisé que l’ensemble des pièces des livres suivants méritaient l’attention. Pour la fin de ce cinquième livre, nous avons pris notre temps pour l’enregistrement. L’avantage est que le temps de montage a été réduit d’autant. Je pense que nous avons mis notre maximum dans la réalisation de ce disque. Nous avions le fameux tableau de l’opération de la taille. Je voyais régulièrement Jean-Pierre Marielle depuis le film, et je me suis dit qu’il fallait absolument faire quelque chose avec lui. Je lui ai proposé d’enregistrer cette pièce. Parallèlement au texte du récitant, je lui ai demandé d’annoncer chaque titre des pièces jouées afin de les resituer dans leur contexte. Dans ce livre, chaque pièce est un tableau. La voix de Jean-Pierre est incroyable, c’est une véritable contrebasse de viole ! la vibration de la corde vocale sans vibrato restitue un son chaleureux naturel. L’annonce de ces morceaux permet ainsi un lien extraordinaire.
LEXNEWS : « Cette opération de la taille est extraordinaire : A l’écoute les paroles, c’est tout simplement effroyable ! comment expliquez vous un tel choix ? »
Jean-Louis CHARBONNIER : Oui, surtout sans anesthésie ! je pense qu’il a du supporter un telle opération. Mais de manière générale, MARAIS a souvent utilisé des pièces figuratives. La pièce du Jeu du volant, faisant partie de ce même 5ième Livre est également très descriptive : on peut, en effet, entendre dans cette pièce le volant filer dans les airs, les coups de raquettes …
LEXNEWS : « Nous évoquions au début de l’interview une tournée exceptionnelle, jamais réalisée à ce jour. Pouvez vous nous présenter ce cycle ? »
Jean-Louis CHARBONNIER : L’idée est venue de l’agence Marmouset qui m’a poussé à organiser un Festival de musique baroque à Paris. Après l’expérience du Festival de Dieppe, je ne souhaitais plus m’impliquer dans une telle entreprise. Je leur ai proposé la possibilité d’un intégrale en concert de Marin MARAIS, et cela a été accepté. Cela va se dérouler à l’Eglise des Billettes à Paris dans le 4ième arrondissement. Pendant deux ans et trois mois, l’intégrale des pièces de viole seront interprétées dans cette église à l’acoustique très agréable. Tous les mois, d’octobre 2002 jusqu’en décembre 2004, nous donnerons un concert couvrant l’intégrale des pièces pour viole de Marin MARAIS.
LEXNEWS : « Jean-Louis, merci pour cette interview très instructive, nous vous donnons rendez vous cet automne pour le début de ce cycle à l’Eglise des Billettes dont nos lecteurs pourront consulter le détail dans nos pages concerts. »
Les Interviews de LEXNEWS : Duo SCARAMOUCHE, Paris – 29-04-02.
LEXNEWS a fait la rencontre de Malvina RENAULT-VIEVILLE et Filippo ANTONELLI, un duo, le terme convient-il même encore ?, qui renvoie l’image d’une unité musicale parfaite. Cette impression se confirme à l’écoute de leurs enregistrements que LEXNEWS présentera très prochainement. Voici un ensemble à découvrir au plus vite, au disque et au concert, afin d’apprécier une vraie connivence en quête de bonheur !
LEXNEWS : « Vous n’allez pas échapper à une question que l’on doit vous poser souvent : pour quelle raison avoir pris ce nom « Scaramouche » pour votre ensemble ? »
Malvina RENAULT-VIEVILLE : Nous souhaitions, à l’origine, un nom qui associe à la fois la musique et l’Italie, puisque Filippo est italien. Ce nom nous est venu immédiatement ! c’est à la fois une pièce très connue pour deux pianos, et cela renvoie également au personnage bien connu du masque de Scaramouche. Un masque derrière lequel le personnage se cache, ce qui était notre souhait également afin de mettre la musique au premier plan. La scène devient alors d’une certaine manière le théâtre. Il est vrai que nous ne souhaitons pas nous mettre en avant, seule la musique compte. Filippo ANTONELLI : Il est également possible de reprendre l’exemple du théâtre antique pour lequel le masque servait non seulement à amplifier le son, mais également à mettre en valeur le texte plus que l’acteur. C’est quelque chose de très important pour nous : le duo doit exister au delà de nos propres personnalités.
LEXNEWS : « Vous fêtez vos 10 ans de parcours artistique en commun : quelles sont les raisons qui peuvent pousser deux artistes à jouer principalement un répertoire pour 4 mains et 2 pianos ? »
Filippo ANTONELLI : Je pense, qu’au départ, il y a essentiellement l’envie de partager la musique. La musique est un moyen de communiquer exceptionnel : elle transcende les conflits, les barrières de la langue,… Je pense qu’il n’y a pas mieux pour un musicien que de pouvoir partager avec un autre musicien la musique : c’est le meilleur mode de communication. C’est également la même attention qui nous pousse à partager cette musique avec le public. En fait, nous n’aimons vraiment pas jouer tout seul ! Que ce soit Malvina ou moi même, nous nous sommes très tôt dirigés vers cette musique jouée à deux.
LEXNEWS : « Cette volonté de partage, n’aurait elle pas pu aussi bien se concevoir dans le cadre d’un orchestre ou d’un ensemble de chambre ? »
Filippo ANTONELLI : Il est vrai que cette communication existe pour un soliste avec un orchestre. Mais nous pensons qu’en duo nous allons au delà de nos recherches pianistiques. Nous devons trouver un équilibre, un façon de jouer, une technique pianistique qui est autre qu’en soliste. C’est cela qui nous attire et qui, peut être, nous renferme sur nous même, mais nous sommes avant tout des pianistes. Jouer à deux sur un même clavier, sur un espace qui est tout de même restreint, nous oblige à prendre des positions qui sont tout de même insolites, et pas toujours orthodoxes pour la technique pure ! Nous nous croisons, voire télescopons en vol et cela nous aide à aller plus loin dans notre recherche sur l’instrument. La musique de chambre ou le concerto nous semble presque relever de la bagarre et de la compétition avec l’orchestre, alors que pour nous, le duo est un véritable dialogue. Notre démarche est de faire en sorte que tout en respectant l’individualité de chacun de nous deux, nous parvenions à créer une seule expression dans le jeu. Cela dit, je n’exclut pas cette possibilité dans le cadre de la musique de chambre, mais notre propre sensibilité, et notre parcours ont fait que nous ne sommes pas allés dans cette direction.
LEXNEWS : « Il y a donc cette idée essentielle que vous souligniez tout à l’heure du partage d’un même instrument et d’en repousser les limites, ce qui, à priori, n’est pas possible avec un autre instrument ? »
Filippo ANTONELLI : Non, en effet, pas de la même manière. Nous restons, bien sûr, toujours des pianistes mais en duo nous sommes confrontés au quotidien à des questions très difficiles : comment jouer cette note alors que l’autre est présent au même endroit. Il faut trouver le bon geste, au millimètre près.
LEXNEWS : « Quel est votre répertoire de prédilection ? »
Filippo ANTONELLI : Nous n’avons pas à proprement parler de répertoire de prédilection. Nous nous sentons plus à l’aise dans le répertoire français, mais également autrichien. Mais il faut bien savoir que le répertoire pour 4 mains est relativement restreint. Notre critère pour retenir un morceau plutôt qu’un autre est la possibilité de pouvoir s’amuser avec lui ! Ce peut être tout aussi bien du Brahms ou du Milhaud. Nous pouvons d’ailleurs tout aussi bien nous amuser à 2 dans un répertoire très sérieux : cela nous autorise de passer de Bach au contemporain !
LEXNEWS : « Vous exercez également le métier d’enseignant, quelles pièces pourriez vous conseiller à des amateurs qui souhaiteraient aborder le 4 mains ? Quelles selon vous les difficultés de cette pratique et les qualités à travailler pour y exceller ? »
Filippo ANTONELLI : Pour commencer, nous pourrions conseiller « Ma mère l’Oye » de Ravel. Pour les sonorités et l’équilibre entre les deux musiciens. Malvina RENAULT-VIEVILLE : Il est vrai que l’équilibre entre les deux pianistes reste la qualité première à travailler. La respiration est également essentielle : elle est essentielle pour pouvoir jouer au même moment, pour dialoguer et se comprendre à la minute. C’est pour cette raison que je ne crois pas beaucoup aux duos qui s’associent pour une seule soirée. C’est sur le long terme, au fur et à mesure de la pratique, que l’on peut maîtriser cette pratique. Même après 10 ans de pratique quotidienne, nous apprenons encore ! On doit toujours aller plus loin, anticiper, surprendre l’autre. Cela ne vient pas tout de suite, c’est un apprentissage qui est très long. Filippo ANTONELLI : Je ne suis pas tout à fait d’accord, je pense qu’il y a un terrain favorable au départ et qui se fait de manière instinctive. Certes, la pratique vient après pour confirmer et affiner ces qualités, comme la respiration par exemple.
LEXNEWS : « Qu’entendez vous par qualité de la respiration ? »
Filippo ANTONELLI : Il faut arriver à entrer dans le même rythme respiratoire que l’autre. Cela se fait grâce à la perception physique de l’autre pianiste, mais également par la perception sonore. Cela est très important notamment pour le répertoire à 2 pianos. En écoutant le son de l’autre, il faut comprendre comment il est entrain de respirer et de porter la phrase. On se met à l’intérieur de cette vague, c’est un peu comme du surf ! Et c’est grâce à cela que les attaques sont meilleures parce que nous prenons les vagues du son au bon endroit. Nous n’avons même plus besoin de nous voir parce que nos corps réagissent d’une manière uniforme.
LEXNEWS : « Ce que vous expliquez est essentiel : le son traduisant la respiration de l’autre vous permet une meilleure communication pour le jeu ? »
Filippo ANTONELLI : Oui, tout à fait. Il y a un facteur au départ de complicité et de complémentarité. On se dit que l’on fait pour faire de la musique ensemble, cela se ressent de manière instinctive. Ce fut le cas pour nous, nous avons joué ensemble une première fois et ce fut la bonne pour continuer. Et, en effet, pour aller plus loin que le facteur émotionnel, nous réalisons des exercices, une sorte de gymnastique pour pouvoir affiner cela.
LEXNEWS : « Dans votre pratique quotidienne avez vous une préférence pour le 4 mains sur un même piano ou sur deux pianos ? »
Filippo ANTONELLI : Ce sont deux mondes totalement différents ! Malvina RENAULT-VIEVILLE : Lorsque nous avons besoin de prendre un peu de distance l’un par rapport à l’autre, le 2 pianos peut être utile !!! Filippo ANTONELLI : Les attaques sont plus délicates à 2 pianos. Nous avons trouvé la solution. Nous avons écarté les pratiques qui consisteraient à faire un geste, ou se regarder dans les yeux : cela provoquerait déjà un retard. L’action doit partir au même moment, pour cela il faut savoir à quel moment l’autre commence. Si l’on se regarde, on peut être troublé. La meilleure démarche rejoint ce que nous évoquions précédemment sur la respiration. Le 4 mains est beaucoup plus intime, c’est une pratique beaucoup plus sensuelle. Nous nous touchons, nos bras s’entrecroisent … Nous avons même essayé un piano à 8 mains !!!
LEXNEWS : « Cela doit devenir très acrobatique ! »
Oui, nous avons un peu laissé cela de côté, 4 mains c’est déjà beaucoup !
LEXNEWS : « On entend parfois qu’une main prédominerait sur les trois autres dans cette technique du piano, qu’en pensez vous ? »
Filippo ANTONELLI : Nous ne sommes absolument pas d’accord avec cette idée ! C’est, en effet, une idée préconçue que l’on entend souvent, un peu comme l’image des italiens associés aux spaghettis !!! Toutes les mains jouent un rôle essentiel dans l’exécution. Et on ne peut pas dire qu’il y ait une priorité de l’une d’entre elles. Le 4 mains implique une technique très poussée pour pouvoir bien l’exécuter, il faut réajuster tous les repères que l’on a pu recevoir jusque là. A ce moment là, il faut savoir adapter la technique : même si l’on a qu’une seule note à la basse contre dix à l’aigu, il faut toucher cette basse d’une certaine manière pour que l’autre ne soit pas gêné. Il faut donc un contrôle du clavier et des doigts qui n’a rien à envier au soliste. Il ne faut surtout pas croire que parce qu’il y a 4 mains, c’est plus facile. Les difficultés sont en fait multipliées par deux ! Les pianistes sont en règle général plutôt égocentriques, imaginez cela à deux sur un même clavier ! Les grands noms de la musique ont d’ailleurs utilisé cette pratique pour mettre en place leur version orchestrale. C’est pour cela qu’il faut abandonner cette image d’Epinal.
LEXNEWS : « Alternez vous parfois votre place dans le jeu à 4 mains ? »
Filippo ANTONELLI : Non, je reste toujours à gauche du clavier, et Malvina à droite, peut être parce qu’elle est plus jolie et que le public la voit ainsi plus volontiers !!! Malvina RENAULT-VIEVILLE : Non c’est une question de tempérament, je me sens plus à l’aise dans les aigus.
LEXNEWS : Merci beaucoup à vous deux et nous vous disons à bientôt dans nos colonnes et bon courage pour cette saison !
Les Interviews de LEXNEWS : Stephan PERREAU, le 05/04/02 Paris.
LEXNEWS a le grand plaisir de présenter une interview, réalisée lors du dernier Salon Musicora, d'un artiste hors norme dont la spontanéité n’a d’égal que l’humilité ! Nos lecteurs pourront en effet découvrir une personnalité originale, dont la culture vécue à l’image de celle du XVIII° siècle offre un air frais à notre époque de spécialisation poussée à l’extrême. Il est possible de découvrir la musique après avoir appris à marcher tout en exprimant un talent fait de sensibilité !
LEXNEWS : « Stephan PERREAU, pouvez vous nous rappeler quel a été votre parcours musical et les raisons du choix de votre instrument et du répertoire baroque qui l’accompagne ? »
Stephan PERREAU : « J’ai suivi en fait un parcours un peu particulier : j’ai commencé la musique assez tard au regard des cursus actuels puisque j’avais 14 ans ! Nous avons commencé la musique, mes frères et moi, en écoutant sur un vieux poste de radio les émissions de France Musique, mes parents n’étant pas musiciens. Mon frère, qui était hautboïste, était très féru de baroque. Je dois vous avouer, qu’en ce qui me concernait, je détestais cette musique. Je me rappelle qu’il me faisait écouter les « Nations » de Couperin, interprétées par Savall à l’époque, et cela ne m’attirait guère ! je trouvais que cette musique sonnait faux… Je baignais en effet dans un rationalisme classique peu propice à cette écoute. J’avais commencé ma formation par 5 ans de clarinette suivant les souhaits de mon père dont s’était l’instrument favori : j’ai fait 5 ans de gammes ce qui m’a un peu écœuré comme première expérience. Et un jour, alors que j’étais dans une petite école de musique à côté de Rouen, je me suis promené dans les autres ateliers de cette école. Le professeur de flûte m’a convaincu d’essayer cet instrument, parallèlement à la clarinette. Cela a été le début d’une grande passion, mais toujours dans un répertoire du XX° siècle : Poulenc, Milhaud, Honegger,… Avec le recul, je réalise combien il peut y avoir de points communs entre ce répertoire contemporain et la musique baroque. Au bout de 4 ans, j’ai abordé le violoncelle, et la même année j’ai fait de l’orgue ! Un touche à tout, ce qui m’a valu les foudres des instances du conservatoire classique qui préféraient que l’on se spécialise dans un seul instrument. Mon attrait pour la musique baroque est en fait venu de cet éclectisme commun à cette époque. En effet, à l’époque baroque, on savait faire une basse d’archet, un instrument à vent, écrire, discourir, faire des poèmes,… Tout cela me plaisait beaucoup ! Petit à petit, j’ai été imprégné par cet esprit. Si j’ai depuis abandonné certains de ces instruments, cela a été une expérience enrichissante qui m’a aidé par la suite à connaître et à approfondir un certain nombre de points pour mon instrument. Cette sensibilité musicale s’est construite à partir de ces apprentissages. Je suis entré dans la classe de Philippe-André Dupré, Professeur à Toulouse, ce qui a marqué le début de l’apprentissage de la flûte baroque. Tout en continuant d’enseigner la flûte moderne, je décidais de m’investir essentiellement dans la flûte baroque. Je me suis fait mon goût baroque petit à petit, tout en réalisant avec le recul qu'il avait toujours été présent ! J’ai retenu de ces expériences qu’il ne fallait jamais imposer en musique : les choix doivent se faire d’eux mêmes selon la maturité de l’individu. Un jour ou l’autre le déclic se réalise, ou ne se réalise pas ! Peu importe. »
LEXNEWS : « Nos lecteurs ont apprécié non seulement vos qualités en tant que musicien, mais également en tant qu’auteur avec votre excellente biographie de BOISMORTIER qui vous vaut aujourd’hui à Musicora un prix. Comment vous est venu ce goût pour l’écriture et passe-t-on facilement de l’instrument à la plume ? »
Stephan PERREAU : « Je ne sais pas si l’on peut passer d’un domaine à l’autre, je pense que l’on est dans plusieurs domaines en même temps. Comme je vous le disais tout à l’heure, j’ai toujours été curieux de tout et notamment de littérature. Le français était une des matières dans laquelle j’avais les meilleurs résultats à l’école, ce qui ne m’empêche pas de relever de très nombreuses imperfections dans mon livre en le relisant aujourd’hui ! ! ! La démarche pour ce livre n’est pas le fruit d’un rêve ou d’un aboutissement. Là encore, cela s’est fait spontanément. Ayant réalisé l’enregistrement du disque à deux flûtes pour les éditions ARION / Pierre Verany, j’ai pu rencontrer Jacques Merlet de France Musiques qui s’est passionné pour ce qui était à l’origine un travail universitaire. Jacques Merlet a appelé un éditeur pour ce livre, ce qui m’a fait un peu peur car je ne me sentais pas prêt à publier le fruit de mon travail. Mais en même temps l’éditeur s’est tout de suite passionné pour le projet, alors je me suis laissé faire sans trop savoir où cela allait... »
LEXNEWS : « Cela partait-il d’une volonté de faire connaître un auteur oublié ? »
Stephan PERREAU : « J’ai toujours été contre l’injustice, et à partir du moment où au conservatoire de Toulouse on m’a demandé de travailler sur un thème pour mon diplôme de musique ancienne, j’ai souhaité prendre comme objet de recherche un compositeur oublié. Les premiers morceaux en duos de flûte à bec que j’ai interprétés à mes débuts étaient justement de Bodin de Boismortier : je me suis souvenu de cet auteur. J’ai alors découvert que ce compositeur avait tout contre lui ! on lui prêtait une musique insignifiante et sans intérêt … Je souhaitais trouver une explication d’un tel décalage entre sa notoriété à l’époque baroque et un constat aussi négatif à notre époque. J’ai déjà exploré sa musique, dans laquelle j’ai trouvé des trésors, ce qui m’a conforté dans mon entreprise. »
LEXNEWS : « A la lecture de votre ouvrage, on ressent très nettement chez vous une volonté pédagogique… »
Stephan PERREAU : « A partir du moment ou j’avais décidé de défendre cette cause, et que j’y croyais, il est clair que je souhaitais faire œuvre utile en gardant une approche didactique. J’ai été aidé en cela par des professeurs d’Histoire extraordinaires que j’ai pu, lors de mes études, rencontrer dans les facultés de Rouen, de Bordeaux et de Toulouse. En écrivant ce livre, j’ai voulu faire aimer le personnage et expliquer le contexte dans lequel il vécût. Je remercie beaucoup les Presses du Languedoc car ces éditions m’ont permis d’insérer une iconographie très riche qui sert le discours, ce qui est assez rare pour ce genre d’écrit. Cela permet véritablement de retracer un parcours : il y a des tableaux, des églises, des personnages, des photos,… »
LEXNEWS : « Votre livre se prêterait même à une transposition en CD-ROM ? »
Stephan PERREAU : « Tout à fait, j’aimerai d’ailleurs beaucoup faire un tel CD-ROM sur Boismortier ! C’est un personnage qui a évolué dans toute la France, qui a connu des cultures, des lumières, des paysages très différents. C’est en fait un personnage très complet, comme il était poète, libertin, musicien, littéraire, homme de théâtre et de Cour. C’est vraiment l’homme du XVIII° siècle. Il est vrai que, quelque part, je me reconnais dans ce personnage, je m’identifie d’une certaine manière à lui parce qu’il est passionnant ! J’aimerai pouvoir être passionnant… En tout cas, je me suis fait plaisir en écrivant ce livre, non pas dans une volonté impérative de publier mais d’exprimer quelque chose de spontané et de vrai, dans mon langage, à la manière d’un essai. J’écris comme je pense, j’écris comme je parle et j’écris comme j’aime ! »
LEXNEWS : « Vous ne vous êtes décidément pas arrêté à ces deux qualités, vous travaillez également dans l’édition musicale avec les Editions Pierre Verany / ARION : pouvez vous nous parler de cette activité ? »
Stephan PERREAU : « Dans ma vie, tout ce qui m’arrive est un peu le fait du hasard ! Quand j’ai fait mes études de musique ancienne à Toulouse et à Paris, je travaillais beaucoup la flûte car je voulais être musicien. En même temps, je savais que cela allait être très difficile. Je me suis heurté ainsi très tôt à une crise de conscience : comment assurer matériellement ce parcours ? Je connaissais particulièrement bien ce milieu car tous mes amis sont dans le monde de la musique. Je savais que leurs parcours étaient plus que laborieux sur un plan financier. Je n’avais pas envie de courir après les cachets ! Je souhaitais que la musique reste un plaisir et non une contrainte. Comme je souhaitais faire partager ce que j’aimais, j’avais envoyé de nombreux CV à des maisons d’éditions afin d’écrire des livrets de présentation de disques. Ce que je fis pendant 3 ans pour la Société NAXOS. Cela m’a énormément plu, cela m’a permis d’exercer ma plume, parler des compositeurs qui me plaisaient. Alors que je travaillais à la librairie musicale « La flûte de paon », Manuela Ostrolenk, PDG de la Société ARION me téléphone et me demande pour quelles raisons j’avais envoyé un CV à sa société. Elle me proposa un poste d’assistant de production qui venait de se libérer. Le fait de travailler dans une maison d’édition de disques fut une opportunité incroyable ! Cela fait plus de 3 ans que je travaille dans cette société, étant devenu depuis chef de production. C’est un travail dans lequel je m’accomplis car j’avais toujours souhaité aider les musiciens dans leur métier. Il n’était pourtant pas évident d’avoir une telle position : être à la fois artiste en continuant les concerts et des enregistrements et, parallèlement, être de l’autre côté de la barrière en sélectionnant des projets d’édition. Parallèlement, je suis critique musical pour la Revue Classica. Certains pourront vite conclure que je suis juge et partie, j’ai sur cette question mis un point d’honneur à ne pas incendier un disque qui ne me plaît pas ! Je préfère ne pas en parler. Le fait d’être musicien n’a pas été un handicap dans mes relations avec les artistes enregistrant chez ARION, bien au contraire. Ils ont compris que je pouvais plus facilement connaître leurs difficultés, et en même temps accepter mes recommandations. L’artiste est par définition bohème, je l’étais aussi auparavant ! Le fait d’être de l’autre côté de la barrière m’a aidé à prendre connaissance des difficultés économiques du monde de l’édition musicale. Il faut se battre tous les jours, et tenir compte des contingences du marché. Le disque n’est plus ce qu’il était : auparavant, on enregistrait tout ce que l’on voulait. A l’heure actuelle, l’essentiel du répertoire a été enregistré, à l’exception bien sûr de certains compositeurs méconnus. Nous connaissons en effet à peu près tout de Monteverdi, Couperin, Rameau, Bach… Un jeune artiste qui vient me voir en me disant qu’il souhaite faire l’Offrande Musicale de Bach ou la Selva Morale de Monteverdi est quelque chose d’intéressant en soi, mais cela ne correspond plus à la réalité. Par quoi Jordi Savall a-t-il commencé et qui a fait sa richesse ? C’est le fait que dans sa discographie, il y ait un grand nombre de compositeurs jamais enregistrés. Il les a bien enregistrés et peut s’en glorifier avec raison ! Il a ainsi alimenté un patrimoine et depuis a fait des émules. La force de nombreux ensembles a été de commencer par des choses peu connues et de les avoir bien peaufinées pour en faire des concepts qui sont alors mieux acceptés. Je pense pour résumer qu’une double étiquette, lorsque l’on s’en sert bien et que l’on fait très attention, peut produire quelque chose de très bien. »
LEXNEWS : « Quels sont vos projets dans toutes ces spécialités que nous venons d’évoquer ? »
Stephan PERREAU : « En fait, c’est très curieux car je n’ai jamais de projets à très long terme ! Ce sont toujours des événements qui arrivent soudainement. Après le disque et le livre sur Boismortier, un second disque sort en ce moment consacré à Philidor. En fait ce disque est complété de deux textes parlants de Hyacinthe Rigaud, le grand peintre de la cour de Louis XIV, annonçant un livre en préparation sur ce grand artiste. J’ai également eu la grande joie d’avoir un appel de Jean Gallois qui s’occupe de la collection Mélophile. Ce sont des livres musicologiques accessibles d’une centaine de pages et qui ont le grand avantage d’être très clairs. Il m’a demandé si je voulais bien m’occuper d’un titre consacré au Chevalier de Saint Georges. J’adore ce personnage qui était non seulement musicien mais aussi escrimeur, un coureur de jupons invétéré. C’est un personnage qui résume beaucoup de choses et je suis très honoré de cette responsabilité. C’est donc un projet pour 2002. J’ai également en tête un projet de disque consacré à Alexandre de Villeneuve qui se fera en deux temps avec deux disques. Ce musicien a fait de nombreuses œuvres qui n’ont jamais été enregistrées, dont des sonates pour flûte et basse continue, ainsi que des duos pour deux flûtes. En les déchiffrant, je les ai trouvées extraordinairement belles, avec des mélodies extrêmement modernes. Le second CD sera consacré aux leçons des ténèbres de ce compositeur, thème que j’aime également beaucoup. J’ai, parallèlement, un enregistrement programmé des airs de Cour de Boismortier avec la soprano Isabelle Poulenard et l’ensemble catalan "La Fidelissima".
LEXNEWS : « Nous avons remarqué, dans les très belles pochettes qui accompagnent les CD de vos éditions, des dessins et croquis signés de votre nom, vous avez également cette corde à votre arc ? »
Stephan PERREAU : « Je ne sais pas si c’est une qualité ! A l’école, avec le français, le dessin était la seule matière où j’ai pu obtenir de bons résultats. Comme j’aime la peinture, j’adore reproduire des dessins ou des statues. Je pratique depuis l’âge de 15 ans, mais toujours selon une inspiration du moment et sans contrainte. Ce qui me plaît beaucoup c’est le travail du crayon, sans pour autant avoir fait les Beaux Arts. J’ai ajouté de nombreuses techniques à cette base mais toujours seul. C’est pour cette raison que je reste toujours extrêmement critique sur mes résultats ! »
LEXNEWS : « Dormez vous beaucoup la nuit ! ! ! »
Stephan PERREAU : « Je n’ai en effet pas trop le temps… En fait, je pense que tout ce que l’on fait dans la vie doit être fait avec passion et avec beaucoup d’humilité. A partir du moment où ces deux éléments sont réunis, je pense que tout vous sourit. J’ai beaucoup eu de chance dans ma vie, mais je pense aussi que ma qualité principale a été de garder cette qualité principale d’avoir un œil critique. Il ne faut pas oublier d’où l’on vient : mes parents sont issus d’un milieu modeste, et tout ce que j’ai c’est grâce à eux ! Il faut savoir aider les autres, surtout lorsque l’on a la chance d’être aidé. »
LEXNEWS : « Merci Stephan Perreau. Votre témoignage réjouira sans aucun doute nos lecteurs. A l’évidence, à vous suivre, la morosité n’est pas une fatalité : il suffit de vivre sa vie avec passion ! »
Les Interviews de LEXNEWS : Jordi SAVALL
Photo Gérard Blazer
"Tous les matins du Monde" ont eu de beaux lendemains, et en auront encore ! Et à ceux qui voudraient y voir un crépuscule qu'ils se rassurent, Jordi SAVALL a encore des choses à dire et à nous faire entendre ... Jordi SAVALL a accordé à LEXNEWS une interview exclusive dans laquelle il nous livre des clés essentielles pour aborder le répertoire de la musique ancienne et mieux comprendre la démarche qu'il a retenue.
LEXNEWS : "Quelles seraient, selon vous, pour un mélomane, les clés pour mieux découvrir, et apprécier la musique ancienne ?"
Jordi SAVALL : Je pense qu’il faut toujours avoir envie de connaître des choses, et avoir une certaine sensibilité pour prendre le temps de les écouter et de les connaître. C’est également s’informer, aller écouter des concerts, lire des livres… afin de mieux comprendre ce que l’on écoute. Le fait de chanter ou d’interpréter soi-même un peu de musique peut-être aussi une bonne démarche. C’est la combinaison de tous ces éléments qui permet d’avoir le plaisir de connaître la musique. La découverte de toute chose est intimement liée à un besoin personnel : il n’est pas possible de dresser une démarche absolue et générale. Telle personne aura besoin d’entendre des chants grégoriens, telle autre sera fascinée par les sons de l’orchestre de Mozart avec des instruments d’époque. Je pense, qu’avec une telle diversité de choix, la meilleur des choses à faire est de se laisser porter par ce que l’on a envie d’entendre. Dans cette optique, il est indispensable d’être sélectif. La plus grande difficulté aujourd’hui pour un amateur de musique est de choisir ce qui possède un véritable contenu et qui relève d’une démarche valable. Il y a tellement de concerts, de disques, que la plus grande difficulté est de pouvoir s’y retrouver. Il y a souvent un certain snobisme pour certaines choses qui n’auront pas forcément de lendemain ! Il faut ainsi pouvoir choisir ce qui révèle une qualité. Nous sommes aujourd’hui dans un grand de supermarché, et ce supermarché présente l’inconvénient de ne plus offrir le contact personnel avec l’artisan qui saura conseiller tel ou tel fromage ! Tout est emballé en plastique, et la dimension personnelle qui permettait de savoir pour quoi l’objet de l’acquisition était ainsi fait, ainsi que sa provenance, n’existent plus. Cette relation personnelle est à mon avis un maillon manquant essentiel dans notre chaîne de communication.
LEXNEWS : « Comment est il possible de renouer cette chaîne ? »
Jordi SAVALL : A mon avis, il est possible de rétablir cela avec d’autres moyens. Je pense qu’il est indispensable d’aller aux concerts. Les concerts restent le moment de la grande vérité. Pour un artiste accompli, le concert sera toujours mieux que le disque. Ce sera souvent plus spécial et plus émouvant. Certes, l’exercice sera souvent moins parfait car chaque concert est un acte unique. Le disque sera souvent supérieur techniquement puisqu' il permet certaines manipulations que le concert ne permet pas. La vérité dans la musique peut être perçue par n’importe qui. Si l’on est sensible, on perçoit tout de suite quant une personne à quelque chose à dire ou non. Je pense que c’est quelque chose qui ne s'apprend pas et qui relève de la dynamique de la vie, tout en étant conscient qu’il y a des milliers de formes de musique et des milliers de façons de faire la musique, et qu’il doit y en avoir pour tout le monde. C’est un peu la même chose que pour l’amitié : il y a forcément quelqu’un avec qui nouer des relations fondées sur l’amitié, et cela est forcément quelque chose de personnel. Avec la musique, c’est la même chose ! Dans un millier de personnes assistant à un concert, chaque personne a sa propre perception de l’interprétation qui lui est proposée. C’est, me semble-t-il, quelque chose à préserver en ne se laissant pas trop influencé par les courants de mode. Il faut plutôt essayer de comprendre ce que l’on recherche dans la musique, et savoir si ce que l’on écoute répond à cela.
LEXNEWS : "Quelles sont les qualités que vous attendez d'un élève qui apprend ce répertoire ? et pour un enseignant ?"
Jordi SAVALL : La première qualité de l’enseignant est de connaître au maximum son métier en tant que musicien, mais également sur le plan historique. Il doit être capable de pouvoir expliquer la relation entre l’Histoire et la Musique. Il doit également avoir une expérience suffisante afin d’être capable de discerner ce qui possède une valeur, et de quelle manière l’aborder. Pour un élève, j’attends la réceptivité et la sensibilité, la fascination pour approfondir un travail. Ce sont, à mon avis, des conditions essentielles pour avancer dans l’apprentissage d’une discipline. C’est un peu la même approche que pour le mélomane : il est indispensable de prendre conscience que les choses se gagnent avec le temps que l’on y passe et la persévérance à aller plus loin. Il faut également un certain talent. Même si la musique peut apprendre à développer une certaine technique, des connaissances stylistiques et à jouer d’une manière plus virtuose, il reste que l’élément le plus essentiel ne peut être appris ! La capacité à s’exprimer, le fait de faire vivre une musique par sa propre émotion est une démarche qui ne peut être acquise. L’enseignant peut aider à mieux faire ressortir cela, à l’exprimer plus facilement, mais il faut avoir quelque chose à dire. Cela, on doit le porter en soi-même, parfois très caché.
LEXNEWS : "Vous évoquez à plusieurs reprises l'importance de la maîtrise du corps pour un musicien quant à son instrument. A côté de l'aspect technique, pouvez vous nous en dire plus ?"
Jordi SAVALL : Le musicien, qu’il soit chanteur ou instrumentiste, travaille avec son corps et son corps fait partie de l’instrument. Donc l’instrument, que ce soit l’archet ou les cordes, est touché par les doigts, eux mêmes liés à un bras, et celui-ci à un corps. Tout doit être en harmonie afin d’utiliser l’énergie. Celle-ci doit circuler librement à travers le corps pour que le son, soit dans la voix, soit dans l’instrument, puisse passer aux auditeurs librement. Tout cela implique une maîtrise qui permette d’être relâché et de ne pas avoir des tensions. Cette maîtrise est absolument fondamentale puisqu’elle traduit l’harmonie du corps liée à l’harmonie de l’esprit. Ces deux éléments sont indissociables : c’est un des apprentissages essentiel ! C’est d’ailleurs pour cette raison que la musique est si bénéfique, notamment pour des personnes qui rencontrent des problèmes psychologiques. C’est une thérapie fabuleuse car elle oblige à se laisser porter. Lorsque vous chantez, si vous n’êtes pas libre vous ne parvenez pas à chanter. C’est également lié à un geste de communication, un geste de bonheur. Faire de la musique doit être un moyen d’être heureux avec les autres. Pour cela, il faut se laisser porter, c’est un moment de fusion. Cela implique bien sûr d’éliminer les problèmes qui pourraient interférer. Plus tôt, cela est intégré, mieux cela vaut. Un enfant peut apprendre à jouer ou chanter sans remarquer ce que cela va lui coûter, alors que lorsque l’on commence plus tard, l’effort peut apparaître beaucoup plus douloureux. Il faudra lutter pour acquérir des gestes moins naturels.
LEXNEWS : "Quels principes ou valeurs vous guident et vous permettent de concilier vos recherches musicologiques, vos enseignements, vos concerts, votre maison d'édition,… ?"
Jordi SAVALL : Je pense que la chose la plus fondamentale est qu’à un moment donné de ma vie j’ai compris que la musique était le domaine dans lequel je pouvais m’exprimer le mieux et être utile. Un autre élément essentiel a été de partager cela avec les gens que j’aime. Ces éléments qui peuvent paraître aussi simples sont pourtant fondamentaux. Si l’on réalise un travail qui est souvent très épuisant et qui oblige à une perpétuelle discipline, cela n’est possible que si on le partage avec des personnes avec lesquelles on se sent bien et avec qui l’on aime faire ce travail. C’est à mon avis l’explication de tout le reste ! Si nous avons fait un certain type de répertoire, c’est parce que nous nous sentons vraiment en communion. Cette approche est élargie aux personnes qui nous ont rejoint : des anciens élèves, des stagiaires, qui partagent les mêmes idéaux. C’est ainsi que nous avons envie de découvrir certains domaines. Par exemple, lorsque j’étais violoncelliste, j’étais fasciné par la musique de viole sans le savoir puisque je la jouais avec un violoncelle ! C’était l’envie de connaître un instrument inconnu, un répertoire extraordinaire. Tout cela fait, qu’à un certain moment, j’ai eu du plaisir à consacrer mon temps afin de conserver la mémoire d’une histoire, et en même temps, de faire partager cette mémoire à un plus grand nombre de personnes.
LEXNEWS : « L’amitié et l’amour seraient ainsi les valeurs essentielles pour une meilleure communication ? »
Jordi SAVALL : Oui, pour faire partager tant de merveilles qui ont été créées par des musiciens tout au long de notre histoire…
LEXNEWS : “Pouvez vous nous présenter votre dernier disque “OSTINATO » sorti sous votre label Alia Vox ?"
Jordi SAVALL : “OSTINATO” est un disque pour lequel j’ai recueilli un certain nombre d’œuvres qui me fascinent depuis de nombreuses années par leur beauté et leur extraordinaire structure qui mélange improvisation et création. C’est la continuation du projet « La Folia » que j’avais réalisé il y a quelques années. J’ai voulu poser dans ce disque un choix d’œuvres qui toutes me semblent essentielles dans ce type de répertoire. Toutes sont des œuvres composées sur une basse obstinée. Mais, il n’est pas possible d’imaginer un plus grand contraste que celui de ces œuvres : cela part de la simple improvisation comme le Canaris jusqu’à l’œuvre la plus élaborée quant au contrepoint comme le « Greensleeves to a Ground » ou le "Kanon und Gigue" de Pachelbel, en passant par les merveilleuses variations de Biagio Marini et de Merula qui sont des petits chefs d’œuvre. L’idée est donc de réunir dans un disque toutes les différentes lectures de ce monde si particulier, et qui étaient si essentielles pour le développement du langage musical.
LEXNEWS : "Jordi SAVALL, merci et à bientôt !"
Les Interviews de LEXNEWS : Rolf LISLEVAND
Rolf LISLEVAND, un des meilleurs musiciens de théorbe et de guitare baroque a accordé une interview à LEXNEWS lors du Festival D'Ambronay.
LEXNEWS : "Rolf LILSEVAND, nous avons été frappés lors de la présentation de votre disque consacré à Santiago de Murcia "Codex" par le caractère pluriculturel et atemporel de cette musique. Cela pourrait il être le reflet de votre propre parcours ?"
Rolf Lislevand : "Oui, et pas seulement le mien mais également celui du groupe ! je suis d'origine norvégienne, j'ai émigré en Italie en passant par la Suisse, et j'enseigne en Allemagne. Avec l'expérience passée auprès de Jordi Savall et des autres groupes, j'ai beaucoup voyagé. Je me sens assez citoyen de l'Europe. Le travail que nous avons fait sur Codex de Santiago de Murcia consiste, non seulement à s'identifier à l'œuvre d'un compositeur, mais surtout à une certaine manière de faire la musique, un esprit dans un certain moment de l'histoire de la musique. On se donne un certain nombre de règles pour la recréation de cette musique, règles acquises par la maîtrise des instruments anciens et un travail musicologique. A cela s'ajoute certainement quelque chose de plus particulier, à savoir notre expérience en musique improvisée, ce qui donne certainement une attitude différente de ce qui est généralement fait dans la musique classique. Nous approchons ainsi la musique avec l'idée de recréer une atmosphère, une identité d'un personnage instrumentiste, plus que d'interpréter l'œuvre pour elle même. Cet intérêt pour l'œuvre pour elle même appartient selon moi à une autre époque, à savoir l'époque baroque. Cela concerne un nombre spécifique de grands noms symboliques de la musique baroque à coté desquels existent d'énormes traditions musicales très diversifiées, qui selon le pays et la période donnés, peuvent changer radicalement en 20 ans ! Il y a des traditions orales à cette époque qui consistent, pour les compositeurs de guitare ou de luth, à écrire de petits testaments dans lesquels est donnée une grande variété du langage utilisé, sans raconter l’histoire : ils donnent des phrases, expliquent leur culture musicale, mais ce n’est pas l’œuvre elle même car celle-ci se créée en fait au moment de l’interprétation, un peu de la même façon que pour le jazz ou la musique populaire. Cette approche est un des credo du groupe. L’autre credo est d’essayer de réaliser un répertoire dans lequel le luth ou la guitare figure comme soliste. La plupart du temps ces instruments sont limités à leur rôle d’accompagnement, rôle en effet le plus courant. Mais à l’époque, il existait également de grands virtuoses de ces instruments qui formaient des ensembles très réputés et appréciés en tant que tels. J’étais ainsi très curieux de voir s’il était possible de recréer cela au XXI° siècle !
LEXNEWS : "Quelle est votre position sur l’intérêt de jouer sur des instruments anciens ou copie d’anciens ?"
Rolf Lislevand : "Pour moi, c’est le credo principal, la musique ne peut pas se dissocier d’un instrument, pas plus que la technique instrumentale. Si l’on souhaite apporter quelque chose en rejouant le répertoire de cette époque, c’est à partir du langage de l’instrument. L’instrument va toujours dicter son style musical : le fait même de le tenir en main, va développer instinctivement un langage. Si l’instrument est correctement reconstruit, tout est possible : le contrôle du son, le toucher si cher à l’époque ancienne. Si on ne respecte pas cela tout est fini ! L’instrument est, en effet, un des premiers critères pour refaire cette musique, et proposer une interprétation qui a une valeur pour elle même et pas exclusivement comme un document historique. Malheureusement, les instruments à cordes pincées historiques ne sont plus jouables en raison de leur facture."
LEXNEWS : "Comment concilier l’espace confidentiel de ces instruments joués à l’époque dans des pièces plus petites qu’aujourd’hui et la popularité grandissante du public pour ces instruments ?"
Rolf Lislevand : "C’est une question, en effet, très importante car elle fait intervenir deux éléments : un premier, d’ordre financier, qu’il faut prendre en compte. Un second plus intéressant qui est resté trop souvent dans l’ombre de l’aspect financier, qui consiste à dire que chaque instrument a son espace et son volume d’écoute. Malheureusement, cet élément est rarement respecté dans les programmations : c’est dommage car toute musique a besoin d’une certaine intimité pour être une véritable expérience musicale. L’intimité pour le son, c’est un volume mais également une proximité par rapport à la source du son. Ainsi, dans une petite salle, le jeu d’un luth ou d’une guitare donnera une quantité de couleurs et de nuances merveilleuses qui offriront une expérience très complète du son et donc une communication musicale également totale. Mais ce phénomène s'éloigne aussi très vite en fonction de la taille de la salle : et à un moment, c’est l’atmosphère de la salle qui est perçue, et non plus celui de l’instrument et de la musique ! Je trouve qu’il y a un parallèle assez curieux : aujourd’hui avec la musique rock, pour un groupe très important qui se produit dans un grand stadium de 30 000 personnes, on va amplifier la musique avec la technologie afin de reproduire une intimité égale à celle que pourraient avoir huit personnes dans une salle écoutant un luth ! C’est la même chose qui est recherchée : la proximité, le volume du son. La musique ne passe pas seulement par les oreilles, la tête, elle est également ressentie par des vibrations et des sensations physiques. Nous avons des témoignages historiques selon lesquels certains luthistes mordaient leur instrument afin de mieux ressentir les vibrations par l’intermédiaire de leurs dents ! Et cela, c’est une donnée que l’on a totalement perdue car cette musique est placée dans un cadre qui correspond à celui de la musique du XIX° s. Le cadre de la musique baroque est différent : nous avons des récits d’un grand luthiste français du XVII° s. qui était invité chaque mercredi soir pour jouer en présence de 8 ou 10 personnes, des humanistes, d’un rang social élevé, dans une toute petite salle autour d’un verre de vin et en fumant la pipe. C’est ce contexte qui est occulté aujourd’hui. On reproche trop souvent à ce répertoire de la corde pincée d’être trop difficile d’accès : mais ce n’est pas cette musique qui doit être mise en cause mais le cadre dans lequel elle est proposée et qui ne lui correspond plus."
LEXNEWS : "Est ce que le disque pourrait être un substitut pour recréer ce cadre ?"
Rolf Lislevand : "Tout à fait ! Il est évident que le disque apporte une réponse car il permet de retrouver une certaine intimité. La seule difficulté pour nous est qu’il est indispensable de réduire le décalage entre l’écoute de nos disques par notre public et ce que nous pouvons proposer en concert afin de ne pas les décevoir."
LEXNEWS : "Quels sont vos projets concernant votre ensemble et la prochaine sortie de votre disque ?"
Rolf Lislevand : "Nous allons très prochainement sortir un disque qui s’intitule « Alfabeto » (sortie prévue mi-octobre chez Naïve ). L’Alfabeto est une forme d’écriture à la fois primitive et un peu mystérieuse pour la musique de la guitare baroque. C’est un système qui part du principe que les auditeurs ont déjà une grande culture et peuvent, avec leurs oreilles, rajouter des choses qui ne sont pas vraiment présentes dans l’écriture. Cette idée n’a jamais été prise au sérieux, il n’y a d’ailleurs pas beaucoup de choses réalisées la concernant. C’est justement cette absence d’information qui nous a inspirée ! C’est une musique qui est centrée essentiellement sur le compositeur John Paolo Foscarini avec un recueil d’œuvres à Rome en 1640. Ce sont des œuvres très intéressantes : certaines sont assez simples, il s’agit de chansons que nous faisons avec une instrumentation qui est riche, d’autres sont plus académiques et sont également intéressantes car elles sont l’héritage d’une Renaissance tardive (fin XVI° s.). Pour ces pièces, on va assister à ce qui se produit pour la peinture : pour une même œuvre, le fait de décaler ou de changer de proportions les formes va conduire à une nouvelle œuvre ! Ces compositeurs pour guitare sont très modernistes et assez difficiles d’accès : nous avons choisi d’en faciliter l’accès, sans je l’espère les dénaturer pour autant !"
LEXNEWS : "Rolf Lislevand, merci et nous vous disons à bientôt pour la présentation de votre prochain disque dans notre revue"
Les Interviews de LEXNEWS : Olivier SCHNEEBELI
A l’occasion de la reprise des auditions de la Chapelle Royale dans le cadre des Jeudis Musicaux de la Maîtrise du Centre de Musique Baroque de Versailles, le directeur musical, Olivier SCHNEEBELI a accordé une interview à LEXNEWS après avoir interprété avec les Chantres et les Pages des œuvres de Claude LEJEUNE (v. 1530 – 1600).
LEXNEWS : « Que ressentez-vous lorsque vous pensez que 3 siècles auparavant, vos prédécesseurs interprétaient cette musique dans ces mêmes lieux, avec de jeunes enfants semblables aux Pages et aux Chantres que nous venons d’écouter ? »
Olivier SCHNEEBELI : Lorsque nous nous trouvons près du grand orgue de la Chapelle, à l’endroit où à l’origine les Pages et les Chantres se trouvaient, je me dis qu’il doit y avoir un grand nombre de fantômes qui doivent nous regarder et nous écouter ! Nous nous sentons à la fois très petits, et en même temps, investis d’une immense mission. C’est très impressionnant ; en même temps, cela nous donne beaucoup de force. Nous travaillons directement avec les musicologues du Centre de Musique Baroque qui sont dans les mêmes bâtiments. A partir des éditions originales et des manuscrits, nous élaborons nos éditions, et tout de suite, nous exécutons les pièces. Ainsi, nous avons l’impression de nous retrouver à cette époque où l’on donnait la musique pour la messe du Roi. C’est donc un lieu très porteur pour notre travail. Certes, l’acoustique n’est pas appropriée pour tous les répertoires. De plus, nous réalisons la plupart des concerts en bas, devant l’autel, alors qu’à l’origine cela se déroulait au dessus, de chaque coté de la tribune de l’Orgue où l’acoustique est meilleure. Le Roi assistait aux représentations face à la tribune, également à l’étage. Mais aujourd’hui, pour les spectateurs, il n’est pas très agréable de ne pas pouvoir voir les musiciens dans leur inspiration.
LEXNEWS : « Quelles différences notables relevez-vous dans le travail que vous effectuez avec la Maîtrise du CMBV au quotidien et ce que l’on peut connaître du travail des Maîtrises de l’époque baroque ? »
Olivier SCHNEEBELI : Ce que l’on sait du travail de l’époque baroque, c’est que l’on apprenait aux enfants le catéchisme et la musique. Bien sûr, aujourd’hui, les enfants ont plus de temps pour travailler la musique ! L’apprentissage de la musique n’était pas le même : aux XVI et XVII° siècles, il n’y avait pas la notion de tonalité, on parlait de mode. La solmisation était très différente. Nous nous penchons sur ces problèmes : nous avons beaucoup d’ouvrages sur la manière d’apprendre la musique aux enfants et cela peut nous aider. Nous nous servons des Solfèges de CORRETTE et d’autres auteurs, ce qui est très intéressant. Nous travaillons également les traités de chant de l’époque : celui de BACILLY pour exécuter toute l’ornementation qui est propre au 17° siècle. C’est un gros travail en amont des professeurs avec les jeunes chanteurs. Les enfants travaillent beaucoup par mimétisme, les plus grands leur servant de modèles. Pourtant, je cherche à conserver à chaque voix son individualité propre. C’est une démarche très française. En effet, dans l’orgue français, il y a une diversité de jeux très colorés, très différents ; accouplés ces jeux fonctionnent pourtant parfaitement ! C’est pour ces raisons également que, dans le chœur, nous avons de jeunes chanteuses adultes avec les enfants. Nous savons qu’à l’époque, à la Chapelle royale, au début du XVIII° siècle, il y avait, pour chanter les parties de dessus, des pages et des chanteuses, avec, par exemple, les nièces de COUPERIN, et les filles de LALANDE. Il y avait également quelques castrats, ce qui n’est plus d’actualité bien sûr. On obtenait quand même une cohésion avec ces timbres très différents et chaque timbre ne nuisait pas au reste mais au contraire ajoutait une richesse à l’ensemble. C’est ce que nous essayons de retrouver aujourd’hui avec les Pages et les Chantres. Les timbres devaient être différents à l’époque : si nous écoutons, sur l’orgue Clicquot de la Chapelle Royale, le jeu de la Voix humaine, c’est très curieux. Nous obtenons, en effet, un timbre très nasal, et je pense que l’on devait chanter comme cela. Nous savons que les voix d’hommes dans les églises étaient souvent accompagnées par le serpent. On retrouve cette sorte d'émission dans certains chants populaires comme les chants sardes, bulgares, ou corses avec cet appui très laryngé. Pour certaines pièces, nous essayons de retrouver ce timbre : bien sûr, nous sommes à une époque où nos élèves ne font pas que de la musique baroque, ils font aussi d’autres répertoires. Il leur faut ainsi une technique qui leur permette de réaliser ces autres répertoires, mais très souvent je leur demande un son très direct, très "accroché", facilité par la prononciation du vieux français !
LEXNEWS : « Nous interrogeons souvent les artistes qui enregistrent sur le fait de savoir s’ils font une différence entre le concert et le disque. A la lumière du prochain disque à sortir chez EMI, enregistré à l’occasion du concert des journées DELALANDE organisées par le CMBV, pouvez vous nous livrer votre expérience ? »
Olivier SCHNEEBELI : Je vais vous faire une confidence : je déteste faire des disques en studio ! Dans un concert, c’est tout à fait autre chose. On marche à l’inspiration, il faut convaincre le public, le séduire, il y a l’excitation du concert. Je ne trouve pas ces éléments dans un enregistrement en studio. Ce qui fait qu’un enregistrement « live » est peut être moins parfait puisqu’il y a moins de prises, mais le résultat est plus vrai et plus proche de ma conception de la musique et de son exécution. Je trouve très épuisant le fait de pinailler sur deux notes en studio qui vont conduire à une nouvelle prise ! Certains musiciens vont diront bien sûr le contraire, car ils n’aiment faire que cela. Plus que la qualité d'une prise de son, c'est la musique enregistrée qui m'intéresse. Je possède de vieux disques vinyles qui grattent, et pourtant qui me plaisent infiniment plus que des disques mastérisés qui finalement deviennent pasteurisés ! Nous entendons de plus en plus souvent des sons stéréotypés avec ces enregistrements. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui les ingénieurs du son font autant le disque que les interprètes. Avec un enregistrement en concert, nous ne pensons plus à cela, nous ne pensons qu’à faire de la musique. Même pour les reprises de certains passages après le concert avec le public c’est une tâche facile car nous sentons le public qui est derrière nous, et qui d’une certaine manière participe à ces ajustements.
LEXNEWS : « Quels sont vos projets pour les mois à venir ? »
Olivier SCHNEEBELI : Nous en avons beaucoup ! Nous avons un enregistrement programmé des Motets et Psaumes de Claude LE JEUNE qui devrait sortir en février chez ALPHA.
LEXNEWS : « Vous semblez apprécier particulièrement Claude LE JEUNE ! »
Olivier SCHNEEBELI : Oui, c’est un compositeur qui est très peu connu et qui est pourtant un compositeur majeur de la Renaissance. Il est aussi à la charnière de deux siècles : c’est un compositeur pré-baroque. L’esthétique baroque n’a pas été dans le sens qu’il a indiqué : il est un monolithe dans son siècle. Cela aurait pourtant pu aller dans ce sens, mais vouloir calquer à tout prix la déclamation française sur une déclamation latine ou grecque avec les longues ou brèves ne correspondait pas à la structure des vers français qui fonctionnent avec la rime et le nombre de pieds. C’est tout de même une musique issue de recherches poussées très loin ! Cette musique est très difficile à travailler techniquement et rythmiquement. Il y a énormément d’ornementations, de diminutions très raffinées qui sont très difficiles pour les chanteurs. C’est une musique très atypique, à cause, justement, de cette métrique tout à fait particulière. Nous préparons également plusieurs concerts dont un à Lyon dans le cadre du Festival du vieux Lyon : la Messe à 4 chœurs de Marc Antoine CHARPENTIER avec un petit nombre : juste les Chantres et quelques pages répartis dans l'espace comme le voulait CHARPENTIER, dans une sorte de carré. C’est une musique absolument étonnante qui est inspirée par les musiques polychorales italiennes, ce qui laisse à penser que CHARPENTIER, même si le doute demeure sur ses visites éventuelles en Italie, a été fortement au contact de la musique de ce pays. Nous allons mettre en chantier un compositeur également peu connu de l’époque de Louis XIII, Etienne MOULINIE avec son Cantique de Moïse, magnifique paraphrase due à l’Abbé Antoine GAUDEAU. Nous avons, enfin, un projet avec Martin GESTER sur un compositeur qui était à Reims dans la deuxième moitié du XVIII° siècle : Henri HARDOUIN.
LEXNEWS : Olivier SCHNEEBELI, nous vous remercions pour cette présentation de votre travail dont LEXNEWS se fera régulièrement l’écho dans ses colonnes.
Les Interviews de LEXNEWS : Hugo REYNE
A l'occasion de la sortie du 3ième volume de la collection "Lully ou le musicien du Soleil" intitulé "La Grotte de Versailles" chez Accord-Universal, LEXNEWS a interviewé Hugo REYNE, chef de l'ensemble "La Simphonie du Marais".
LEXNEWS : "Quelle est l'origine du nom de l'ensemble que vous dirigez "La Simphonie du Marais ?"
Hugo REYNE : J’ai cherché pour ce nom à allier le côté musical et le côté patrimonial : « Simphonie » pour la musique parce qu’il me semble qu’un ensemble doit avoir une connotation musicale, ce qui n’est pas toujours le cas. Et puis, un quartier de Paris représentatif de la musique baroque : le Marais, avec ses hôtels particuliers du XVII° s. Le Marais est un quartier très varié (plus restreint à l’origine: historiquement le côté Saint Paul du Marais), quartier qu’il faudrait d’ailleurs faire revivre en musique. Charpentier a officié à Saint Paul. Ces lieux ont un passé historique important, avec leurs salons, le théâtre du Marais au XVII° s…Cela pourrait être l’un des axes de travail de la Simphonie du Marais. Nous aimerions, en effet, faire renaître le Festival du Marais… J’ai cherché un nom à la fois musical et historique. L’un des buts majeurs de notre ensemble est d'interpréter les musiques dans les lieux où elles ont été jouées à l’époque, ou du moins, dans leur contexte. La Simphonie a été créée en 1987, suite aux célébrations commémoratives du tricentenaire de la mort de LULLY, lors de la naissance du Centre de Musique Baroque de Versailles, et à l’instigation à l’époque de l’ADIAM 78. J’avais fait un petit programme LULLY avec une dizaine d’instrumentistes seulement, même neuf exactement !, parmi lesquels les têtes d’affiches d’aujourd’hui, si on peut dire : Christophe Rousset au clavecin, Marc Minkowski au basson, Florence Malgoire et Philippe Couvert au violon, Anne-Marie Lasla à la viole, Randall Cook au hautbois, Pascal Monteilhet au théorbe … une petite équipe de la jeune génération de la musique baroque que j’avais rassemblée pour cet évènement LULLY en un seul concert en 87.
LEXNEWS : "A l'occasion du concert donné à Pontoise dans le cadre des journées Lalande, vous avez joué deux pièces de LULLY et LALANDE faisant intervenir des monuments célèbres de Versailles (en l'occurrence les jardins et fontaines) : pouvez vous nous expliquer quels étaient les liens qui unissaient la musique et le cadre pour lequel elle avait été composée ?"
Hugo REYNE : C’est une des activités qui était prédominante lors de la construction du nouveau Château de Versailles qui succédait au Château de Louis XIII, un pavillon de chasse. Je pense que, comme toute personne, lorsqu’on investit un nouveau lieu, un lieu de vie, cela prend une importance considérable….ce fût bien sûr le cas pour Louis XIV. Il était assez évident que pour des compositeurs qui voulaient bien être vus du Roi, ils se devaient de composer des œuvres à la gloire des jardins de Versailles. DELALANDE, je dis DELALANDE, certes on peut dire LALANDE, mais, lui même signait DELALANDE en un seul mot. Donc, je respecte ses volontés ! DELALANDE débute sa carrière en 1683 avec les Fontaines de Versailles. Il faut savoir que la Cour s’installe définitivement en 1682 à Versailles. Ce point est trop souvent oublié, car on a souvent tendance à associer Versailles à l’ensemble du règne de Louis XIV en oubliant ainsi Saint Germain en laye. J’aimerai à ce sujet faire des choses importantes à Saint Germain en laye, comme nous essayons de le faire à Fontainebleau. Il n’y a pas qu’un seul Château en Ile de France ! Il y avait également beaucoup de jardins et de grottes à Saint Germain en laye… La nouveauté dans la vie de Louis XIV, c’est en 1682, son installation à Versailles. Ainsi, la composition des Fontaines en 1683 apparaît pour DELALANDE presque naturelle. Pour LULLY, la grotte de Versailles était une construction plus ancienne et qui sera certes détruite lorsqu’il la jouera pour la première fois en 1668. Mais, c’était un lieu qui se prêtait très bien à la musique avec ses échos dans la composition musicale. Il ne faut pas oublier, qu’à l’époque, il n’y avait pas d’opéra royal, pas de salle. Pour le spectacle, c’était donc toujours des théâtres de verdure ou des appartements avec dès lors des problèmes de places. La grotte de Versailles apparaît alors comme un lieu musical par excellence, ce qui explique que LULLY ait composé sur ce thème. Ce qui est intéressant également, c’est qu’il compose avec QUINAULT. Ce sera leur premier essai ensemble. Ainsi, deux lieux sont mis en valeur par la musique : les grottes et les jardins avec leurs fontaines qui sont toutes des allégories. Concernant les jardins et fontaines, DELALANDE s’associe avec Antoine MAUREL qui est un chanteur de la Chapelle Royale et qui est un librettiste à ses heures. Cela appelle un travail intéressant pour mettre dans la bouche de ces fontaines des louanges pour le Roi. Il y aura également tout un contexte mythologique…
LEXNEWS : "Vous avez eu recours, lors de ce concert, à un substitut original : l'intervention d'une comédienne jouant le rôle d'un guide faisant la visite des jardins du Château de Versailles, et ce tout au long des étapes des musiques interprétées. N'est ce pas là une façon de remettre cette musique dans le contexte où elle était la plupart du temps exécutée ? Dans ce même esprit, est il possible de comprendre cette musique sans les danses qui l'accompagnaient souvent ? "
Hugo REYNE : Le contexte est toujours une priorité selon moi : il y a toujours quelque chose de visuel qui nous manque dans un concert. C’est le cas aussi pour toute musique de scène : on peut faire Didon et Enée de Purcell sans mise en scène, ce sera bien, mais le public risque de ne pas comprendre l’histoire. Il est également possible de faire des mi-chemins, c’est cependant parfois dangereux et difficile. Il s'agit alors du mise en l’espace, concept à la mode aujourd’hui, faute de moyens suffisants. Pour ces deux œuvres, j’ai choisi de faire appel à une comédienne. En fait, l’idée est venue de la comédienne elle même : être une guide-conférencière versaillaise qui arrive avec son parapluie et son imperméable et qui rassemble le groupe pour présenter les jardins. C’est à mon avis une bonne manière pour faire appel à l’imaginaire du public. Elle présente et parle des lieux. Le public les imagine à sa façon, c’est cela qui est important. A l’origine, cette musique de LULLY était jouée dans les appartements avec des costumes. Une mise en scène et un texte qui avaient un écho obligatoirement différent autrefois par rapport au public d’aujourd’hui. Il est à mon avis utile de faire des références à la mythologie de nos jours, sans pour autant tomber dans l’animation scolaire, afin de redonner le contexte de ces œuvres. La guide conférencière joue ce rôle : lorsque nous visitons un château, ces personnes sont là pour nous remémorer des données que nous sommes sensées savoir ! J’ai pris le dictionnaire de la fable de CHOMPRE et, à partir de ses notices, les explications sont livrées au public par la conférencière sur des personnages mythologiques comme Diane, Vénus, …Pour les fontaines de Versailles, c’est en effet particulièrement précieux : Encelade, le géant, qui osa défier les Dieux est ainsi présenté au public. Latone, Bacchus, Diane sont remis ainsi en place dans les esprits avec leurs attributs. Je n’hésite pas à faire moi même un petit discours au début d’un concert, lorsque je n’ai pas une comédienne, afin de replacer le contexte de l’œuvre interprétée, ou bien lors d’un bis, lorsque le lieu du concert a connu un événement historique important pour l’œuvre jouée. C’est en fait un souci de mémoire ! En ce qui concerne la danse, j’ai beaucoup travaillé sur ce thème et les différents caractères de la danse française. C’est capital. Dans les deux oeuvres dont nous parlions, il n’y a pas trop de danses. Mais en effet pour certaines compositions c’est beaucoup plus problématique : si nous ne pouvons pas les reproduire il faut trouver des palliatifs. J’ai beaucoup travaillé avec Francine Lancelot et ses élèves. Je n’ai pas eu encore l’occasion de monter un ballet avec des danseurs, cela reste encore à faire… Les danseurs baroques aujourd’hui sont un peu comme les chorégraphes contemporains : ils ne choisissent pas des œuvres à part entière. Ce serait en effet un travail énorme. Prenons un ballet de LULLY, nous n’avons plus ses chorégraphies. Nous avons certaines chorégraphies à partir de 1700, date à laquelle LULLY est déjà mort. Il y a évidemment les opéras baroques mais c’est autre chose. Le travail avec les danseurs est toujours passionnant, difficile aussi ! J’ai fait "Monsieur de Pourceaugnac" avec des danseurs. Mais là, c’était une comédie-ballet qui en fait était devenue un ballet-comédie où la danse était prédominante ! L’équilibre n’est en effet pas toujours facile à trouver. La danse baroque n’est pas encore assez représentée même si le travail de Francine Lancelot est accompli sur le plan de la recherche. Le problème est surtout un problème financier, nerf de la guerre. Je pense qu’il faut aujourd’hui prendre une œuvre vraiment conçue pour la danse, un ballet de LULLY par exemple et le monter. En ce qui me concerne, en tant que chef d’un ensemble, je n’ai pas un budget suffisant pour la danse. A défaut, j’ai cherché à palier ce manque de danse en ayant recours, comme vous l’avez relevé, à l’imaginaire grâce à une comédienne. Je pratique aussi des mises en l’espace ou en faisant jouer la comédie aux chanteurs. J’ai toujours essayé de rapprocher poésie et musique : à l’époque, pour la grotte par exemple , le librettiste QUINAULT était souvent mis en exergue contrairement à aujourd’hui.
LEXNEWS : " Nous interrogeons souvent les artistes qui enregistrent sur le fait de savoir s’ils font une différence entre le concert et le disque. "
Hugo REYNE : J’ai fait une quinzaine d’enregistrements : pendant longtemps j’ai pratiqué de manière traditionnelle sur trois jours en faisant six services c’est à dire deux services par jour. Nous répétons ainsi jusqu’à ce que cela soit bien, puis nous faisons le montage pour prendre tous les bons passages et les assembler. Les choix ne sont alors pas toujours faciles à faire ! Aujourd’hui, pour nos deux derniers disques, nous avons enregistré en concert. Ce sont le volume 2 « Ballet de Flore » et le volume 3 « La Grotte de Versailles ». Ces deux disques ont été enregistrés au cours du même concert ! L’enregistrement en concert est difficile, car c’est un risque que tout le monde prend ensemble. Nous ne pouvons pas revenir dessus. Nous essayons d’enregistrer la générale et le concert. Très souvent nous gardons la version concert. En effet, la générale est souvent moins vivante en raison de l'absence du public. Mais, cela est également difficile, car nous livrons au public quelque chose qui ne peut pas être corrigée. Il y a bien sûr une inégalité par rapport aux enregistrements en studio, surtout que la mention « live » n’est pas toujours explicite ! Mais, en échange, nous avons aussi plus de vie. C’est d’ailleurs pour ces raisons que l’on ne remplacera jamais le concert par le disque. Bien sûr, avec le concert, il ne reste plus que le son ! Il faut également savoir, qu’aujourd’hui, il est plus coûteux de faire des enregistrements en studio. Notre choix est justifié également par le lieu dont nous pouvons disposer, à savoir l’Opéra Royal de Versailles. Ce n’est pas n’importe quel lieu ! C’est un endroit qui a tellement vécu de musiques et de théâtres... Qui plus est, c’est un lieu calme, ce qui n’est pas toujours facile à trouver ! L’acoustique est peut être un peu sèche, mais il ne faut pas oublier que parfois, certains enregistrements de musiques profanes ont lieu dans des églises avec beaucoup de réverbérations et d’amplifications qui n’existent pas au naturel, ce qui peut décevoir le public en concert dans d’autres contextes. Là, nous avons une vraie acoustique de théâtre, nous ne trichons pas. C’est un réel plaisir d’enregistrer dans ce lieu, et nous espérons continuer chaque année de donner un ouvrage de LULLY grâce au Centre de Musique Baroque de Versailles.
LEXNEWS : "Quelles sont vos dernières productions discographiques ? et pouvez vous nous indiquer vos projets pour les mois à venir ? "
Hugo REYNE : Nous enregistrons le Bourgeois Gentilhomme qui devrait sortir en 2002 pour ACCORD-UNIVERSAL sous forme d’un coffret de 2 CD, car la musique fait à elle seule déjà 1 heure 45. Nous ajouterons de la Comédie, là encore, pour que le public puisse remettre la musique dans le contexte. Nous allons faire l’inverse de ce qui se fait d’habitude. Très souvent, en effet, les metteurs en scène coupent la musique pour ne plus avoir que la comédie dans le Bourgeois Gentilhomme. Il ne faut pas oublier que cette pièce a été composée à 50 % de texte et 50 % de musique. Puisqu’il s’agit d’un disque, nous n’allons bien sûr pas donner toute la comédie, mais nous allons en donner de larges extraits, et notamment tout ce qui a trait à la musique : par exemple le début, avec le maître de danse et le maître de musique. Nous aurons ainsi une vision nouvelle de ce Bourgeois Gentilhomme. Il n’y a pas eu en effet d’enregistrements de cette musique si ce n’est la Marche Turque dans des anthologies ou dans « Tous les Matins du Monde ». Il y a pourtant beaucoup d’autres musiques intéressantes dans cette œuvre. C’est une pièce importante car elle marque l’apothéose de la Comédie-Ballet en 1670. Nous avons ainsi une étape très importante pour l’histoire de la musique puisque tout va exploser une année plus tard avec l’Opéra. Tous les éléments de l’Opéra sont là, dans une pièce de théâtre ! Nous allons également préparer, en vue de l’enregistrement de l’année prochaine, une autre œuvre de LULLY, « Le triomphe de l’Amour ». C’est encore une œuvre avec QUINAULT, une œuvre de la maturité de LULLY. Elle se fera sans danseurs, mais offrira une musique superbe, avec de très beaux passages et une recherche d’instrumentation chez LULLY très intéressante. Nous allons également faire un Opéra comique de François-André PHILIDOR, l’un des créateurs de cette forme d’Opéra. Je m’attaque à la fois à la création de l’Opéra mais également à la naissance de l’Opéra comique quelques décennies plus tard. PHILIDOR est un personnage intéressant, joueur d’échecs fameux qui a laissé un Traité mais également un musicien plus méconnu aujourd’hui alors qu’il incarne l’esprit des Lumières du XVIII° s., dont DIDEROT parle dans le « Neveu de RAMEAU ». C’est un très bon compositeur, un très bon harmoniste. Nous avions déjà joué un opéra comique, « Sancho Pança » pour le Festival de Pontoise, il y a deux ans. Nous allons maintenant nous attaquer aux « Femmes Vengées », datant de 1775, avec un livret de SEDAINE de l’Académie Française, fameux pour s’être allié aux créateurs de l’Opéra Comique. Nous allons également reprendre notre programme « MOLIERE et la musique ». C’est un programme qui mêle musique et comédie et qui a demandé beaucoup de travail. Nous redonnons également notre programme de musique de plein air : LULLY, PHILIDOR, qui s’intitule « Malheurs de la Guerre et Plaisirs du Roy ». C’est un programme de musiques festives mais également funèbres, il y a un scénario dans ce programme, qui plait beaucoup au public. J’ai en prévision également un programme de concerts de flûte, car je suis bien sûr également hautboïste et flûtiste ! Nous venons également de sortir un disque consacré à « Attali » de RACINE avec une musique de Jean-Baptiste MOREAU qui disponible chez CALLIOPE. C’est la première fois que l’on enregistre cette musique originale d’Attali. Nous l'avons enregistrée avec Lambert Wilson qui déclame les alexandrins de cette tragédie. Ce qui me manque personnellement c’est de ne pas faire plus de RAMEAU. Pour moi, c’est un grand compositeur, c’est notre génie du XVIII° s. Ce sera, je l’espère, un projet à moyen terme ! Il est difficile de faire du RAMEAU avec de petits effectifs, il faut des moyens considérables. En attendant, pour l’année prochaine, ce sera un programme LULLY et un programme PHILIDOR. Cela fait déjà beaucoup de travail ! Sachant que nous sommes, en effet, une petite association de deux personnes : mon amie Claire Guillemain sur le plan administratif et moi même sur le plan artistique. Un ensemble de musique baroque, c’est comme une petite entreprise. Nous employons environ soixante personnes par an qui sont des intermittents du spectacle. C’est donc beaucoup de travail pour deux ! Nous avons besoin de soutien financier pour monter nos projets. Des partenaires nous ont déjà fait confiance. Nous avons souvent été aidés par France Telecom. Depuis cette année nous sommes aidés par la DRAC. Nous sommes également aidés par l’ADAMI pour le Bourgeois Gentilhomme. Nous sommes toujours à la recherche d’une résidence. Nous espérons être encore aidés pour pouvoir faire plus et mieux ! Il y a tellement de choses à faire. Pour le disque, nous souhaitons poursuivre cette entreprise LULLY, et pourquoi pas, en 2032, quadricentenaire de la naissance de LULLY, avoir peut être terminé cette « intégrale », du moins ce vœu de faire rejaillir toutes ces œuvres qui dorment et qui méritent d’être entendues par le public puisque LULLY est le grand réformateur de notre musique française.
LEXNEWS : "Hugo REYNE, merci et nous vous souhaitons bon courage et nous ne manquerons pas de nous faire l’écho de cette sympathique Simphonie du Marais !" |
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